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T-2618-85
Chef Bernard Ominayak, chef de la bande indienne de Lubicon Lake de Little Buffalo Lake (Alberta), en son nom et au nom de tous les membres de la bande indienne de Lubicon Lake et Bande indienne de Lubicon Lake, groupe d'In- diens reconnu sous le régime de la Loi sur les Indiens, de Lubicon Lake et Little Buffalo Lake (Alberta) (demandeurs)
c.
Honorable William McKnight, ministre des Affai- res indiennes et du Nord canadien et La Reine du chef du Canada (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: OMINAYAK C. CANADA (MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN)
Division de première instance, juge Strayer— Ottawa, 3 et 24 mars 1987.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Mandamus Requête visant à faire radier une déclaration demandant un jugement déclaratoire et un bref de mandamus enjoignant aux défendeurs de fournir des fonds aux demandeurs pour les procédures qu'ils ont engagées La requête n'est accueillie qu'en ce qui concerne le bref de mandamus Un bref de mandamus ne peut être accordé contre Sa Majesté sous ce nom Un bref de mandamus peut être décerné contre un fonction- naire du gouvernement s'il est automatiquement tenu par la loi d'exercer une fonction déterminée lorsque se produisent des événements précis, créant ainsi un devoir dont il doit s'acquit- ter à l'égard d'une personne déterminable et pour l'exercice duquel il ne jouit d'aucune discrétion La déclaration ne révèle pas l'existence d'un tel devoir Elle mentionne les responsabilités générales existant sous le régime de la loi constituant le ministère et l'obligation imposée à la Couronne par le droit fédéral, y compris le droit statutaire et la common law !l est allégué dans les plaidoiries que le ministre a, en son contrôle, suffisamment de crédits pour aider les deman- deurs, mais non qu'il est tenu par la loi de leur fournir des fonds Les dispositions relatives au financement figurant dans la Loi de crédits et le Budget sont discrétionnaires.
Pratique Plaidoiries Requête en radiation Demande visant à faire radier la déclaration pour le motif qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action Décla- ration visant à obtenir un jugement déclarant que les défen- deurs sont légalement tenus de fournir des fonds aux deman- deurs pour les procédures légales qu'ils ont engagées et un bref de mandamus obligeant le ministre et Sa Majesté à verser cette somme Demande rejetée et demande de bref de mandamus radiée Une première requête visant à obtenir un bref de mandamus a été rejetée parce qu'une telle question doit être jugée sur présentation d'une déclaration et l'autorisa- tion de s'adresser à la Cour pour que soient écourtés les délais impartis pour l'échange des plaidoiries n'empêche pas la Cour de décider que la déclaration ne révèle aucune cause raisonna- ble d'action Un bref de mandamus ne peut être accordé
contre Sa Majesté sous ce nom La déclaration ne révèle aucun devoir précis pour le ministre de financer les procédures légales en l'espèce Il n'y a pas lieu à mandamus contre le ministre Il existe certains doutes quant aux autres ques tions en litige qui sont toutefois complexes On ne peut affirmer qu'il est si évident que l'action visant à obtenir un jugement déclaratoire doive échouer qu'il faudrait radier la déclaration Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 419(1)a).
Peuples autochtones Requête visant à faire radier une déclaration sollicitant un jugement déclarant que les défen- deurs sont tenus de financer les procédures légales engagées par les demandeurs et un bref de mandamus les obligeant à s'acquitter de cette obligation Diverses actions ont été intentées pour faire reconnaître les droits des demandeurs sur certaines terres La demande de mandamus seulement est radiée Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, chap. I-6.
Couronne Pratique Un bref de mandamus ne peut être accordé contre la Couronne sous ce nom: Reg. v. Lords Com missioners of the Treasury (1872), 7 Q.B. 387.
Il s'agit d'une demande visant à faire radier la déclaration pour le motif qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'ac- tion. La déclaration vise à obtenir un jugement déclarant que les défendeurs sont légalement tenus de financer les procédures légales engagées par les demandeurs, et un bref de mandamus obligeant à la fois le ministre et Sa Majesté à verser cette somme. Les demandeurs ont engagé des procédures devant diverses cours afin de faire reconnaître leurs droits sur certaines terres. Leur dettes s'élèvent à plus de I 400 000 $ et ils pré- voient avoir besoin d'une somme additionnelle de 2 000 000 $.
Jugement: la demande est rejetée et la demande de bref de mandamus est radiée.
Le juge Rouleau a rejeté une requête visant à obtenir un bref de mandamus obligeant le ministre à fournir des fonds aux demandeurs pour les procédures légales qu'ils avaient engagées pour le motif qu'une telle affaire devait être jugée sur présenta- tion d'une déclaration. Il a toutefois autorisé les demandeurs à s'adresser à la Cour pour demander que soient écourtés les délais prévus dans les Règles relativement à l'échange des plaidoiries. Ces directives n'empêchent pas la Cour de décider que la déclaration ne révèle aucune cause raisonnable d'action. C'est également évident parce que malgré le rejet de leur requête en mandamus, les demandeurs ont quand même cher- ché à obtenir un bref de mandamus dans leur déclaration.
Un bref de mandamus ne peut être accordé contre Sa Majesté sous ce nom: Reg. v. Lords Commissioners of the Treasury (1872), 7 Q.B. 387. Par conséquent, il n'y aura pas lieu à mandamus contre Sa Majesté la Reine du chef du Canada. Un bref de mandamus peut être décerné contre un fonctionnaire du gouvernement s'il est automatiquement tenu par la loi d'exercer une fonction déterminée lorsque se produi- sent des événements précis, une telle obligation créant un devoir dont il doit s'acquitter à l'égard d'une personne déterminable et pour l'exercice duquel il ne jouit d'aucune discrétion mais est plutôt responsable devant la Couronne ou le Parlement. La déclaration ne révèle aucun devoir précis de ce genre. Pour ce qui est d'une obligation légale, la déclaration ne mentionne que les responsabilités générales du ministre sous le régime de la loi constituant son ministère et l'obligation fiduciaire imposée à la Couronne par le «droit fédéral, y compris le droit statutaire et
la common law», à l'égard des demandeurs. Ni la Loi de crédits ni le Budget de l'année financière courante n'énoncent claire- ment l'obligation pour le ministre de financer des litiges lorsque se produisent des faits comme ceux dont il est question en l'espèce. Ces dispositions relatives au financement sont mani- festement discrétionnaires.
Il n'y a pas lieu de radier les autres dispositions de la déclaration. La Cour ne devrait pas radier des demandes, sauf dans les cas «évidents»: Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735. Il n'est pas si évident que les demandeurs ne peuvent avoir gain de cause dans leur action visant à obtenir un jugement déclaratoire que leur déclaration devrait être radiée. Il peut exister des doutes sérieux quant à leur revendication. Il est possible qu'ils ne puissent avoir gain de cause dans leurs revendications fondées sur la Charte et la Déclaration canadienne des droits que s'ils réussissent à montrer que l'obligation fiduciaire des défendeurs comprend celle de fournir des fonds. La question de savoir s'il est possible ou non de déduire de ce principe l'existence d'une obligation générale pour la Couronne à titre de fiduciaire de fournir à demande des fonds pour les actions intentées, est fort complexe et demeure pour l'instant sans réponse.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735; Succession Creaghan c. La Reine, [1972] C.F. 732 (1'» inst.); Omi- nayak c. Canada (ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), ordonnance en date du 12 décembre 1985, Cour fédérale, Division de première instance, T-2618-85, encore inédite.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335; Kruger c. La Reine, [1986] 1 C.F. 3; (1985), 58 N.R. 241 (C.A.); Bande indienne de Lubicon Lake (La) c. R., [1981] 2 C.F. 317 (1fe inst.); confirmée par 13 D.L.R. (4th) 159 (C.A.F.); Ominayak v. Norcen Energy Resour ces Ltd. (1983), 29 Alta. L.R. (2d) 151 (B.R.); confirmée par [1985] 3 W.W.R. 193; [1985] 1 R.C.S. xi; (1985), 58 N.R. 122.
DÉCISIONS CITÉES:
Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441; Minister of Finance of British Columbia v. The King, [1935] R.C.S. 278; [1935] 3 D.L.R. 316; Grand Council of the Crees (of Quebec) c. R., [1982] 1 C.F. 599; (1981), 124 D.L.R. (3d) 574 (C.A.); Reg. v. Lords Commissioners of the Treasury (1872), 7 Q.B. 387.
AVOCATS:
James A. O'Reilly et Mark G. Peacock pour
les demandeurs.
I. G. Whitehall, c.r. pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Byers, Casgrain, Montréal, pour les deman- deurs.
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STRAYER: La présente demande vise à faire radier la déclaration, modifiée le 27 novem- bre 1986 dans l'action susmentionnée, parce qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action.
Un bref rappel des faits ayant donné lieu à la présente action nous permet de constater que les demandeurs ainsi que d'autres parties ont intenté en avril 1980 une action devant cette Cour contre la Couronne du chef du Canada, la Couronne du chef de l'Alberta ainsi qu'un certain nombre de sociétés pétrolières afin d'obtenir des jugements déclaratoires portant qu'ils possédaient certains droits ancestraux relativement à une vaste région du Nord de l'Alberta, y compris les droits miniers sur ces terres, un jugement déclaratoire portant que toute cession par la Couronne du chef de l'Alberta des droits sur les hydrocarbures de ces terres est inconstitutionnelle et nulle, un jugement déclaratoire portant que les demandeurs n'ont pas renoncé à leurs droits par le Traité numéro 8 de 1899, une ordonnance enjoignant aux défendeurs à l'action de verser aux demandeurs des redevances sur les revenus tirés de tous les hydrocarbures extraits pendant une certaine période ainsi que tous les revenus obtenus de baux, etc. consentis pour ces hydrocarbures et, subsidiairement, de payer aux demandeurs une indemnité d'un milliard de dollars; des jugements déclaratoires portant que la Couronne du chef du Canada et la Couronne du chef de l'Alberta contreviennent à leurs obligations légales et constitutionnelles et leur enjoignant de prendre les mesures nécessaires pour permettre à la Couronne du chef du Canada de remplir ses obligations.
Ladite action a été intentée devant cette Cour qui, le 19 novembre 1980 [Bande indienne de Lubicon Lake (La) c. R., [1982] 1 C.F. 317] (décision confirmée en appel le 5 mai 1981 [13 D.L.R. (4th) 159]), l'a rejetée à l'égard de tous les
défendeurs sauf Sa Majesté la Reine du chef du Canada, pour le motif qu'elle n'avait pas compé- tence en ce qui concerne les autres défendeurs. Cette action est pour le reste toujours pendante devant cette Cour.
En février 1982, les demandeurs et d'autres parties ont intenté une action devant la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta contre Sa Majesté la Reine du chef de l'Alberta et un certain nombre de sociétés pétrolières afin de faire valoir leurs droits ancestraux ou issus de traités à l'égard des mêmes questions. Ils ont cherché à obtenir une injonction provisoire de la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta (Ominayak v. Norcen Energy Resources Ltd. (1983), 29 Alta. L.R. (2d) 151) qui la leur a refusée, cette décision étant confirmée par la Cour d'appel de l'Alberta ([1985] 3 W.W.R. 193) et l'autorisation d'appel étant refusée par la Cour suprême du Canada ([1985] 1 R.C.S. xi; (1985), 58 N.R. 122).
En novembre 1985, les demandeurs se sont adressés à cette Cour afin d'obtenir un bref de mandamus obligeant le ministre des Affaires indiennes de l'époque, l'honorable David Crombie,
... à fournir immédiatement aux requérants une subvention, une avance ou un prêt, soit un total de 2 250 000 $, destinés à l'acquittement des dettes qu'ils ont contractées à l'égard des procédures judiciaires, et des dettes à venir ...
C'est dire qu'ils ont cherché à obtenir des fonds pour les autres procédures engagées devant cette Cour et devant la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta. Le juge Rouleau de cette Cour a rejeté leur requête le 12 décembre 1985 [Ominayak c. Canada (ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, T-2618-85, encore inédit] pour le motif qu'un bref de mandamus n'était pas le recours approprié et qu'une telle affaire devait être jugée sur présentation d'une déclaration. Les demandeurs ont alors déposé une déclaration devant cette Cour le 15 avril 1986 afin d'obtenir un jugement déclaratoire ainsi qu'un bref de man- damus portant que les défendeurs sont tenus de leur fournir aune subvention, une avance ou un prêt» totalisant 2 250 000 $ et afin qu'il soit ordonné à l'honorable David Crombie de verser cette somme. Il faut noter que contrairement à, ce qui avait été le cas pour la demande de bref de mandamus, Sa Majesté la Reine du chef du Canada a été constituée défenderesse dans cette
procédure. Cette déclaration a été considérable- ment modifiée le 27 novembre 1986 et m'a ensuite été présentée sous cette forme modifiée. Le redres- sement demandé reste toujours un jugement décla- ratoire portant que les défendeurs sont légalement tenus de fournir «une subvention, une avance ou un prêt» aux demandeurs pour leur permettre de con- tinuer les diverses procédures qu'ils ont engagées, et un bref de mandamus obligeant à la fois l'actuel ministre, l'honorable William McKnight, et Sa Majesté à verser cette somme qui est maintenant passée de 2 250 000 $ à 3 400 000 $. Le paragra- phe 26 de la déclaration, que je dois présumer exact aux fins des présentes, porte que le montant des dettes contractées jusqu'à maintenant par les demandeurs dans ces diverses procédures est supé- rieur à 1 400 000 $ et que ceux-ci prévoient avoir besoin d'une somme additionnelle de 2 000 000 $ pour poursuivre leurs actions.
Alors que les demandeurs en l'espèce ne com- prennent que le chef et les membres de la bande indienne de Lubicon Lake et la bande elle-même qui est désignée comme «un groupe d'Indiens [reconnu] sous le régime de la Loi sur les Indiens», l'action originale devant cette Cour portant le numéro de greffe T-2048-80, a été intentée non seulement au nom de la bande mais aussi au nom de «tous les membres ... de la communauté crise [sic] de Little Buffalo Lake», et la déclaration indique que dans cette affaire environ la moitié des particuliers demandeurs ne sont pas inscrits sui- vant la Loi sur les Indiens [S.R.C. 1970, chap. I-6], mais sont d'origine crie. L'action dont a été saisie la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta a été intentée notamment au nom
[TRADUCTION] des 150 membres de la bande indienne de Lubicon Lake et des 100 autres membres autochtones de la communauté crie de Little Buffalo Lake
ainsi qu'un nom de certains particuliers. L'impor- tance que peuvent avoir les modifications appor- tées à la composition des demandeurs d'une affaire à une autre est une question qui devra être exami née plus tard, mais il faut remarquer que le droit à l'obtention de fonds du trésor fédéral pour la pour- suite des deux autres affaires n'est revendiqué en l'espèce qu'au nom de certains des demandeurs qui étaient parties dans ces deux autres affaires.
On peut également souligner que les revendica- tions présentées au nom des demandeurs dans les
autres actions sont quelque peu différentes; elles portent notamment que les ancêtres des deman- deurs n'étaient pas parties au Traité 8 et que, par conséquent, leurs droits ancestraux ne sont pas éteints ou, subsidiairement, que s'ils y ont été parties, ils n'ont pas encore reçu les terres qui devaient leur être réservées conformément audit traité.
Avant d'examiner le fond de la requête, je vou- drais régler un point qui a été soulevé par les avocats des demandeurs-intimés: ils prétendent que le juge Rouleau, après avoir examiné dans le cadre de la demande de bref de mandamus la question de savoir si les demandeurs avaient une cause raisonnable d'action, a statué que tel était le cas. Cet argument reposait sur l'ordonnance du juge des requêtes qui a autorisé les requérants à
s'adresser au juge soussigné pour demander que soient écourtés les délais prévus dans les Règles relativement à l'échange des plaidoiries et à la conduite des interrogatoires préalables et des contre-interrogatoires sur affidavits.
Dans son ordonnance, le juge Rouleau a également autorisé les parties à présenter une demande unila- térale visant à obtenir la fixation d'une date spé- ciale pour la tenue de l'instruction.
Je ne crois pas que ces directives empêchent la Cour, après le dépôt d'une déclaration, de décider que celle-ci ne révèle aucune cause raisonnable d'action. Il n'est pas nécessaire que j'examine le fondement ou la portée de l'autorisation de modi fier les procédures en une déclaration, accordée après le rejet d'une requête en mandamus. Mais j'estime qu'il est évident que cela n'écarte pas toute possibilité de constester la déclaration, une fois que sa portée est comprise, pour le motif qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'ac- tion. C'est également évident parce que malgré le rejet de leur requête en mandamus pour le motif qu'il ne s'agissait pas du recours approprié, les demandeurs ont quand même cherché dans leur déclaration à obtenir un bref de mandamus comme mesure de redressement.
Les principes applicables à une requête présen- tée en vertu de la Règle 419(1)a) [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] afin de faire radier une action pour le motif qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action sont bien connus. Dans l'arrêt Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [ 1980] 2
R.C.S. 735, la Cour suprême a confirmé qu'il faut tenir tous les faits allégués dans la déclaration pour avérés et que la Cour ne doit rejeter l'action ou radier une déclaration que «dans les cas évi- dents» et lorsqu'il s'agit d'un «cas au-delà de tout doute». Comme l'a dit le juge Pratte dans Succes sion Creaghan c. La Reine, [1972] C.F. 732 (ire inst.), à la page 736, la mention dans les Règles de cette Cour qu'il n'existe «aucune cause raisonnable d'action» signifie que la Cour n'a pas à décider si l'action est vraiment fondée en droit, mais simple- ment si la réclamation du demandeur est «soute- nue». Voir également l'arrêt Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441, aux pages 450 et 487.
En ce qui concerne la demande de bref de mandamus, je suis convaincu pour des motifs sem- blables à ceux donnés par le juge Rouleau qu'il n'est pas possible de faire droit à une telle demande reposant sur les arguments présentés en l'espèce et qu'elle devrait être radiée. Il est bien établi en droit qu'un bref de mandamus ne peut être accordé contre Sa Majesté sous ce nom: voir par exemple Reg. v. Lords Commissioners of the Treasury (1872), 7 Q.B. 387, à la page 394. Par conséquent, il n'y aura pas lieu à mandamus contre Sa Majesté la Reine du chef du Canada. Il est également évident qu'un bref de mandamus peut être décerné contre un fonctionnaire du gou- vernement s'il est automatiquement tenu par la loi d'exercer une fonction déterminée lorsque se pro- duisent des événements précis, une telle obligation créant un devoir dont il doit s'acquitter à l'égard d'une personne déterminable et pour l'exercice duquel il ne jouit d'aucune discrétion mais est plutôt responsable devant la Couronne ou le Parle- ment: voir par exemple Minister of Finance of British Columbia v. The King, [1935] R.C.S. 278; [1935] 3 D.L.R. 316; Le Grand Council of the Crees (of Quebec) c. R., [1982] 1 C.F. 599; (1981), 124 D.L.R. (3d) 574 (C.A.). La déclara- tion en cause ne révèle aucun devoir précis de ce genre à l'égard des demandeurs. Pour ce qui est d'une obligation légale, la déclaration ne men- tionne que les responsabilités générales du ministre défendeur sous le régime de la loi constituant son ministère et l'obligation fiduciaire imposée à la défenderesse Sa Majesté la Reine du chef du Canada par le «droit fédéral, y compris le droit statutaire et la common law», à l'égard des deman-
deurs. Il est allégué au paragraphe 25 de la décla- ration que le ministre défendeur a en son pouvoir suffisamment de crédits votés par le Parlement pour aider financièrement les demandeurs à conti- nuer les procédures légales qu'ils ont engagées. Il n'y est même pas suggéré que le ministre est tenu par la loi de remettre des sommes précises à des Indiens ou des groupes particuliers d'Indiens qui décident d'intenter des poursuites. Les avocats des deux parties m'ont signalé que dans la Loi de crédits n" 2 de 1986-87 [S.C. 1986, chap. 28], le poste L-55 de l'annexe est décrit comme suit:
Prêts à des revendicateurs autochtones, conformément aux conditions approuvées par le gouverneur en conseil, pour le paiement des frais de recherches, d'élaboration et de négocia-
tions concernant les revendications .... 14 303 000 $
De même, le Budget principal des dépenses de 1986-1987 réservait une somme de 300 000 $ à titre de «contributions à des particuliers, à des bandes et à des associations indiennes pour le financement de procès types». Les avocats m'ont en outre indiqué que les demandeurs avaient effec- tivement reçu des fonds pour les négociations con- cernant leur revendication. Ni la Loi de crédits ni le Budget de l'année financière courante n'énon- cent clairement l'obligation pour le ministre défen- deur de verser 3,4 millions de dollars ni, en fait, toute autre somme aux demandeurs pour le finan- cement de litiges lorsque se produisent des faits comme ceux dont il est question en l'espèce. Les dispositions existantes quant au financement sont manifestement discrétionnaires, sauf que le gou- verneur en conseil peut fixer les modalités des prêts pour la recherche et pour la négociation. Il n'est même pas allégué dans la déclaration que les demandeurs ont satisfait à de telles conditions. Je considère par conséquent que les plaidoiries ne peuvent fonder une demande de bref de manda- mus et je radie cette partie de la demande de redressement.
Je ne radierai cependant pas les autres disposi tions de la déclaration. Je souligne qu'il ne m'ap- partient pas de décider si les demandeurs peuvent établir leur droit à un redressement. S'il s'agit d'un cas «évident» (pour reprendre le terme approuvé par la Cour suprême du Canada) ils ne peuvent avoir gain de cause, je dois alors radier leur décla- ration. Mais s'il est possible qu'un juge de pre- mière instance fasse droit à leur demande, je ne dois pas radier ladite déclaration. Je ne peux affir-
mer qu'il est si évident que les demandeurs ne peuvent avoir gain de cause dans leur action visant à obtenir un jugement déclaratoire que leur décla- ration devrait être radiée. Il n'est pas impossible qu'ils obtiennent une forme quelconque de juge- ment déclaratoire. Je reconnais qu'il existe des doutes sérieux quant à leur revendication. Ils sou- tiennent pour l'essentiel que les défendeurs ont l'obligation fiduciaire de leur avancer l'argent nécessaire pour tout litige qu'ils décident d'enga- ger afin de protéger leurs droits ancestraux ou issus de traités. Ils allèguent également que les droits qui leur sont garantis par les articles 7 et 15 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie Ide la Loi consti- tutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] ont été violés parce qu'ils ne peuvent avoir recours aux tribu- naux en raison de leur pauvreté. Ils invoquent pour la même raison l'alinéa la) de la Déclaration canadienne des droits [S.R.C. 1970, Appendice III] et allèguent qu'ils ont été privés de leurs biens sans que la loi soit appliquée de manière régulière. Il me semble fort possible qu'ils ne puissent avoir gain de cause dans leurs revendications fondées sur la Charte et la Déclaration canadienne des droits que s'ils réussissent à montrer que l'obligation fiduciaire des défendeurs comprend celle de finan- cer leurs actions. Si tel n'est pas le cas, il me semble qu'ils sont dans la même position que tous les autres aspirants demandeurs de notre société qui désirent obtenir des fonds publics pour finan- cer les actions qu'ils souhaitent intenter afin de défendre des droits de propriété allégués.
Pour ce qui est de l'obligation fiduciaire elle- même, les demandeurs invoquent principalement l'arrêt de la Cour suprême du Canada, Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335, et accessoirement, la décision Kruger c. La Reine, [1986] 1 C.F. 3; (1985), 58 N.R. 241 (C.A.). Il faut souligner que ces affaires traitaient principa- lement de l'obligation pour la Couronne d'utiliser pour le meilleur avantage des Indiens les terres des réserves indiennes qu'elle a obtenues par renoncia- tion ou par suite d'une expropriation. Il reste à déterminer s'il est possible ou non de déduire de ce principe l'existence d'une obligation générale pour la Couronne à titre de fiduciaire (fiduciary) ou, dans un sens très large, à titre d'administrateur (trustee) des titres ancestraux sur les terres dont le
fief simple appartient désormais à une province ou à des particuliers, de fournir à demande au bénéfi- ciaire de ces titres les fonds nécessaires pour inten- ter des actions afin de protéger les biens en fiducie. Si on conclut à l'existence d'une telle obligation légale, il est également possible d'alléguer qu'elle peut servir de fondement à la revendication des demandeurs reposant sur l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] qui garan- tit les droits ancestraux existants.
Étant donné la complexité de ces questions, je ne peux affirmer qu'il est «évident» que les deman- deurs ne possèdent aucune cause raisonnable d'ac- tion. Je rejette par conséquent la demande en plus de radier la demande de bref de mandamus. Les dépens suivront le sort du litige.
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