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A-771-85 A-772-85
Société canadienne des postes, Stuart Cooke, François Boyer, Yves Dubuc, Jacques Lamarche (appelants)
c.
Syndicat des postiers du Canada, SPC: 174 GG 208 (intimé)
et
Procureur général du Canada (mis-en-cause)
RÉPERTORIÉ: S.P.C. c. SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES
Cour d'appel, juges Marceau, Hugessen et Lacom- be—Montréal, 6 novembre; Ottawa, 18 décembre 1986.
Pratique Outrage au tribunal Appel interjeté contre le rejet de la demande d'annulation de l'ordonnance de justifica tion ex parte Demande d'ordonnance de justification appuyée par des affidavits de postiers attestant du maintien dans trois succursales de la Société canadienne des postes d'une pratique interdite par une sentence arbitrale Demande d'annulation au motif que les affidavits seraient irrecevables parce qu'ils ne lient pas les appelants à la violation de la sentence arbitrale Rejet de la demande, le second juge ne voulant pas substituer ses vues à celles du premier juge L'appel des appelants individuels est accueilli; l'appel de la société est rejeté (dissidence du juge Marceau) Aucune preuve n'établit un rapport entre les appelants individuels et la violation de la sentence arbitrale La demande d'ordonnance de justification visée à la Règle 355(4) doit être conforme aux exigences de la Règle 319(2) L'ordonnance ex parte pronon- cée contre la Société canadienne des postes est justifiée selon la preuve prima facie des affidavits relative au maintien de la pratique interdite Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 319(1),(2), 330a) (mod. par DORS/79-58, art. 1), 355(4).
Compétence de la Cour fédérale Division de première instance Appel contre le rejet de la demande d'annulation de l'ordonnance de justification rendue ex parte L'appel est accueilli quant aux appelants individuels car les affidavits à l'appui de la demande d'ordonnance de justification sont enta- chés d'un vice Il y a compétence naturelle d'annuler l'or- donnance ex parte s'il ressort, après audition de la partie lésée, que l'ordonnance n'aurait pas être rendue La Règle 330a) s'applique à toute ordonnance ex parte y compris aux ordonnances de justification Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 319(1),(2), 330a) (mod. par DORS/79-58, art. 1), 355(4).
Relations du travail Sentence arbitrale déposée auprès de la Cour fédérale Appel contre le rejet de la demande d'annulation d'une ordonnance de justification rendue ex parte Les affidavits justificatifs donnent une preuve prima facie de la violation de la sentence arbitrale, mais ils n'établissent pas de lien entre cette violation et les appelants individuels
L'appel est accueilli quant aux appelants individuels (dissi- dence du juge Marceau) L'ordonnance ne peut se fonder sur des renseignements défectueux Il doit être satisfait aux exigences procédurales de la Règle 319(2) La partie lésée n'est pas tenue à ne soulever que d'autres faits que ceux qui ont été présentés au moment a été rendue l'ordonnance ex parte L'appel est rejeté à l'égard de la Société canadienne des postes en raison de la preuve prima facie du maintien de la pratique prohibée Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art. 159 (mod. par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 57) Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 319(1),(2), 330a) (mod. par DORS/79-58, art. 1), 355(4).
Il s'agit d'un appel d'un jugement de la Division de première instance qui a rejeté la requête en annulation d'une ordonnance rendue ex parte enjoignant aux appelants de comparaître pour répondre à une accusation d'outrage au tribunal. L'intimé avait présenté une demande d'ordonnance de justification, en vertu de la Règle 355(4), au motif que les appelants ne s'étaient pas conformés à la sentence arbitrale ordonnant à l'employeur de cesser d'engager des facteurs pour remplir les fonctions des postiers. Les appelants ont demandé à leur tour à la Cour, en vertu de la Règle 330a), d'annuler l'ordonnance ex parte pour cause d'irrecevabilité de la demande visant la délivrance de cette ordonnance. Les appelants n'ont pas tenté d'établir devant le juge qui procédait à la révision, des faits additionnels à ceux dont l'intimé avait fait état devant le juge qui avait rendu l'ordonnance de justification. Ils ont soutenu que les affidavits justificatifs n'établissaient pas les faits allégués en ce sens qu'ils ne les rattachaient pas à la violation de la sentence arbitrale. La demande a été rejetée, le second juge n'étant pas disposé à substituer son opinion de la preuve à celle du juge qui avait rendu l'ordonnance.
Arrêt (le juge Marceau dissident): l'appel des appelants nommément désignés devrait être accueilli; l'appel de la Société canadienne des postes devrait être rejeté.
Le juge Lacombe (avec l'appui du juge Hugessen): Il n'existe aucune preuve dans les affidavits ni au dossier que les appelants désignés nommément aient participé à la violation de la sen tence arbitrale. Encore moins y avait-il de preuve en quoi et comment pouvait leur être personnellement imputable la déso- béissance à la sentence arbitrale. La demande d'ordonnance de justification visée à la Règle 355(4) relève de la Règle 319(2), qui exige qu'une requête soit appuyée par un affidavit certifiant tous les faits sur lesquels se fonde la requête sauf ceux qui ressortent au dossier. L'ordonnance ex parte n'aurait pas être prise contre les appelants désignés nommément.
L'arrêt Wilson c. R., cité à l'appui de la proposition selon laquelle le juge qui procède à la révision ne peut intervenir que lorsque des faits supplémentaires sont établis devant lui, ne s'applique pas. Il s'agissait d'une affaire criminelle, concer- nant l'examen d'une autorisation visant l'écoute électronique. De plus, le juge saisi d'une demande d'autorisation d'écoute électronique a discrétion de l'accorder ou de la refuser, alors que le juge saisi d'une demande d'ordonnance de justification en vertu de la Règle 355(4) n'a pas de pouvoir discrétionnaire. Il doit rendre l'ordonnance selon que le droit, la preuve et les procédures l'exigent. Lorsqu'une telle ordonnance a été rendue ex parte, le juge saisi d'une requête en annulation en vertu de la Règle 300a) n'a pas davantage de discrétion à exercer lui- même. Il doit accorder le recours soit pour des motifs de droit
péremptoires qui ont échappé au juge qui a prononcé l'ordon- nance, soit en raison de faits additionnels que la partie lésée soulève lorsqu'on lui donne la possibilité de se faire entendre. Le droit applicable à la révision des ordonnances rendues ex parte reste celui qui a été formulé dans l'arrêt May & Baker (Canada) Liée c. L'»Oak»: quand une ordonnance est rendue ex parte, la Cour est naturellement compétente pour annuler celle-ci, après avoir accordé à la partie lésée l'occasion de faire valoir ses droits, s'il apparaît alors que l'ordonnance ex parte n'aurait pas être rendue. La Règle 330a) s'applique à «toute ordonnance rendue ex parte» y compris l'ordonnance de justifi cation qui, selon la Règle 355(4), peut être rendue sans que la partie adverse soit entendue. Son objet est de permettre à la partie lésée, par application du principe fondamental audi alteram partem, de faire valoir tous ses moyens militant à l'encontre de la délivrance de l'ordonnance ex parte. La partie lésée ne peut être restreinte à ne pouvoir soulever que des faits additionnels à ceux qui ont présidé à la délivrance de l'ordon- nance ex parte. -
Bien que l'ordonnance de justification ne soit qu'une simple assignation, une dénonciation irrégulière ne peut conduire à une assignation valide. Les appelants désignés nommément n'avaient pas à attendre de comparaître en réponse à une assignation irrégulière pour attaquer devant le tribunal une preuve que l'intimé n'avait pas faite lors de sa délivrance. Ils avaient le droit d'obtenir la levée immédiate de l'ordonnance.
Toutefois, l'ordonnance ex parte prononcée contre la Société canadienne des postes était justifiée. Les affidavits contenaient la preuve prima facie que la pratique prohibée se poursuivait toujours dans trois succursales de la Société canadienne des postes. Cette preuve était suffisamment articulée pour permet- tre au juge de première instance qui prononçait l'ordonnance de justification de citer l'appelante à comparaître. C'est lors de l'audition au fond que l'appelante pourra faire valoir ses moyens de défense. Le juge qui est saisi d'une demande d'or- donnance de justification est simplement tenu de se rendre compte que la preuve dont font état les affidavits à l'appui de la demande suffit à justifier sa délivrance: Baxter Travenol Labo ratories Inc. c. Cutter (Canada) Ltd. (1985), 56 N.R. 282 (C.A.F.).
Le juge Marceau (dissident): La décision du premier juge n'est pas en cause. L'appel vise la décision du second juge et la question de savoir s'il a commis une erreur en refusant de se mettre à la place du premier juge.
La Règle 330 confirme l'existence du pouvoir d'annuler une décision rendue ex parte, mais elle n'indique nullement en quoi consiste cette annulation ni ne fournit de précision sur les circonstances dans lesquelles elle pourra avoir lieu. On ne parle cependant pas d'une décision qui remplace celle initialement rendue, mais qui s'y superpose seulement, laissant intacts tous les effets produits jusque là. Le pouvoir réservé à la Règle 330 n'est pas un pouvoir d'appel. Le pouvoir de révision dans les cas la Cour a rendre une décision ex parte dérive de la common law. Il est inhérent à la juridiction de la Cour, et il correspond à une nécessité. Un tel pouvoir est nécessaire seule- ment pour obvier au cas la Cour aurait agi sur la base d'une information trompeuse ou incomplète, car autrement un appel, portant sur le dossier tel que constitué, serait interjeté. Depuis que l'arrêt May & Baker a été rendu, le juge Mclntyre, dans l'arrêt Wilson c. R., a approuvé les propos tenus dans l'arrêt
Gulf Islands Navigation, à savoir qu'en tout état de cause, il ne revenait pas normalement à un juge autre que celui qui avait pris la décision initiale ex parte de s'arroger le pouvoir de la réviser. Bien que l'arrêt Wilson ait porté sur une affaire criminelle, les propos approuvés avaient été prononcés dans une affaire civile, et ils prétendaient résumer l'état d'une jurispru dence constante en matière civile. Le juge de première instance n'avait pas le pouvoir de siéger en appel de la décision du premier juge. Toutefois, si l'on suppose qu'il avait ce pouvoir, le fait que le juge ait pu donner suite à la requête ne signifie pas qu'il était tenu de le faire. Si son refus d'exercer son pouvoir est fondé sur un motif valable et qu'il n'est pas susceptible de causer un déni de justice en privant définitivement des justicia- bles d'un remède auquel ils ont droit, le droit d'opposer un tel refus ne saurait être nié. C'est bien le cas ici. Le motif valable est la réticence du juge à se substituer à son collègue et à agir en juge d'appel, une situation qui est à éviter autant que faire se peut. Les appelants auront la possibilité d'exposer la situation au moment de leur comparution. L'autre solution réside dans un appel. Un juge a le pouvoir discrétionnaire de rejeter une demande pour le seul motif qu'il lui semble qu'une autre procédure serait préférable: Rex v. Kennedy, a Metropolitan Magistrate (1902), 86 L.T. Rep. 753 (H.C.).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
May & Baker (Canada) Liée c. L',,Oak», [1979] 1 C.F. 401; (1978), 89 D.L.R. (3d) 692 (C.A.); Baxter Travenol Laboratories Inc. c. Cutter (Canada) Ltd. (1985), 56 N.R. 282 (C.A.F.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Wilson c. R., [1983] 2 R.C.S. 594; [1984] 1 W.W.R. 481; (1984), 51 N.R. 321.
DÉCISIONS CITÉES:
Kukan c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra- tion, [1974] 1 C.F. 12; (1974), 1 N.R. 445 (C.A.); R. c. Perry, [1982] 2 C.F. 519; (1982), 133 D.L.R. (3d) 703 (C.A.); Gulf Islands Navigation Ltd. v. Seafarers Inter- nat'! Union of North America (1959), 18 D.L.R. (2d) 625; (1959), 28 W.W.R. 517 (C.A.C.-B.); Rex v. Ken- nedy, a Metropolitan Magistrate (1902), 86 L.T. Rep. 753 (H.C.).
AVOCATS:
R. Luc Beaulieu pour les appelants. Olivier Després pour l'intimé.
PROCUREURS:
Ogilvy, Renault, Montréal, pour les appe- lants.
Trudel, Nadeau, Lesage, Cleary, Larivière et Associés, Montréal, pour l'intimé.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE MARCEAU (dissident): Je le regrette, mais je ne partage pas l'avis de monsieur le juge Lacombe. Je ne crois pas que le juge de première instance [jugement en date du 23 septembre 1985, T-1015-1016-85] ait commis une erreur qui puisse donner ouverture à la sanction de cette Cour. Mon collègue suggère de maintenir l'appel pour partie; au contraire, je me sens incapable de contester, sinon la facture du jugement a quo, du moins sa substance, et je refuserais d'intervenir. Cela étant, il me faut, avec égards, expliquer mes réserves quant à sa façon de voir et tenter de défendre la mienne.
Mais d'abord entendons-nous sur ce dont il s'agit. Saisi d'une requête introductive d'une pro- cédure d'outrage au tribunal, un juge de la Divi sion de première instance émettait, en septembre 1985, une ordonnance enjoignant aux appelants de comparaître à une date déterminée pour entendre la preuve des actes qu'on leur reprochait et, le cas échéant, exposer les raisons de leur conduite. La requête, faite sous la Règle 355(4) [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663], n'avait pas fait l'objet de signification, de sorte que le juge avait prendre sa décision ex parte. En prenant con- naissance des procédures engagées contre eux, les appelants formèrent l'opinion que la preuve par affidavit présentée au soutien de la requête n'était pas suffisante pour appuyer valablement l'émission de l'ordonnance, et ils décidèrent de l'attaquer. Il leur était loisible de procéder par la voie de l'appel (et de fait ils prirent prudemment les mesures pour que la possibilité éventuelle d'un appel leur reste ouverte au cas leur choix de procédure s'avère- rait malheureux) mais ils crurent préférable de se prévaloir d'abord de la possibilité que semblait offrir la Règle 330 [mod. par DORS/79-58, art. 1] dont il convient de reproduire de nouveau le texte, vu son importance pour la discussion à venir:
Règle 330. La Cour peut annuler
a) toute ordonnance rendue ex parte, ou
b) toute ordonnance rendue en l'absence d'une partie qui a omis de comparaître par suite d'un événement fortuit ou d'une erreur ou à cause d'un avis de requête insuffisant;
mais une telle annulation n'affecte ni la validité ni la nature d'une action ou omission antérieure à l'ordonnance d'annula- tion sauf dans la mesure la Cour, à sa discrétion, le prévoit expressément dans son ordonnance d'annulation.
Les appelants inscrivirent donc une requête demandant l'annulation de l'ordre de comparaître en invoquant la Règle 330. La requête vint devant un juge autre que celui qui avait rendu l'ordon- nance. Le juge considéra la demande, mais voyant que les appelants ne cherchaient nullement à ajou- ter aux faits invoqués devant le premier juge (ils n'avaient même produit aucun affidavit de sub stance) mais faisaient valoir uniquement que, sur la base des seuls faits dûment attestés sous ser- ment, l'ordonnance n'aurait pas être émise, il refusa d'intervenir. Le juge choisit mal ses termes pour expliquer succinctement son refus mais sa véritable motivation, je pense qu'on l'admettra sans peine, était suffisamment claire: il ne voulait pas vérifier la pertinence de l'attitude adoptée par son collègue et substituer simplement sa propre réaction à celle que, lui, avait eue'. C'est une attaque contre cette décision de rejet de la requête soumise en vertu de la Règle 330 qui est devant nous—et uniquement celà.
Je me permets même d'insister. La décision du premier juge n'est pas elle-même en cause. Il semble bien que les lacunes de la requête présentée par les intimés aux fins de mettre en branle les procédures d'outrage au tribunal soient dues à des bévues de préparation et de rédaction plus qu'à autre chose, mais, de toute façon, personne ne doute que l'émission de l'ordonnance n'était pas pleinement justifiée sur la seule base des faits attestés sous serment. Si l'appel aujourd'hui por- tait sur la décision du premier juge, il ne présente- rait, je pense, absolument aucun problème. Mais ce n'est pas le cas. L'appel porte sur la décision du deuxième juge et la question qu'il pose est sans détour: en refusant de se mettre purement et sim- plement à la place du premier juge pour vérifier la légitimité de la réaction de son collègue et confir- mer ou infirmer le geste qu'il avait posé, le deuxième juge a-t-il commis une erreur que cette Cour doit sanctionner?
' On a pu lire dans les motifs de monsieur le juge Lacombe les trois paragraphes du jugement mais je voudrais plus précisé- ment rappeler le texte du deuxième:
S'agissant en outre d'une matière la Cour n'entend pas substituer sa propre appréciation de la preuve à celle du juge qui a rendu l'ordonnance en premier lieu, ce dernier s'étant fondé sur la requête, les affidavits et le dossier devant lui;
Une fois ainsi fixé sur ce dont il s'agit vraiment, on voit tout de suite ce qu'implique la réussite de l'appel. Il est clair que cette Cour ne peut repro- cher au deuxième juge son refus d'intervenir dans la décision du premier que dans la mesure elle peut affirmer: premièrement, que le deuxième juge avait effectivement le pouvoir d'intervenir comme on le lui demandait; et deuxièmement, qu'il ne pouvait pas, dans les circonstances, refuser de le faire. Examinons donc la valeur de chacune de ces deux affirmations.
l—Le deuxième juge avait-il le pouvoir d'inter- venir comme on le lui demandait?
Ce serait ne pas voir la difficulté telle qu'elle se présente que de penser que la Règle 330 l'a réso- lue. La Règle 330 confirme, pour la Cour fédérale siégeant en première instance, l'existence du pou- voir attribué à toute cour de justice d'annuler la décision qu'elle aurait pu rendre ex parte, un pouvoir qui n'existe évidemment pas dans le cas d'une décision ordinaire destinée à être définitive. Mais elle n'indique nullement en quoi consiste cette annulation ni ne fournit de précision quant à savoir dans quelles circonstances elle pourra avoir lieu et qui, au nom de la Cour, pourra la prononcer.
On voudra bien noter, d'abord, que si le terme «annulation» de la version française reste ambiva lent, le terme «rescind» de la version anglaise est plus précis et plus révélateur: il n'est pas synonyme de «set aside». On notera aussi qu'on ne parle pas d'une décision qui remplace celle initialement rendue, mais qui s'y superpose seulement, laissant intacts tous les effets produits jusque-là. Je suis d'avis que les mots utilisés pour décrire le pouvoir réservé à la Règle 330 ne conviennent pas à l'idée d'une simple reprise de l'opération assumée par le premier juge pour en vérifier la valeur, et que l'effet attaché à l'ordonnance d'annulation, qui en est un de simple superposition et d'avenir, n'est pas compatible avec l'effet rétroactif d'une décision de pure correction comme l'est celle d'un tribunal d'appel. Et j'ajoute qu'il est, à mon sens, fort compréhensible que ce pouvoir dont fait état la Règle 330 n'en soit pas un de la nature d'un pouvoir d'appel. Il faut d'abord se demander d'où vient ce pouvoir car il n'a certes pas sa source dans la Règle elle-même: le principe qu'une fois sa décision rendue, une cour est functus officio et
impuissante à se reprendre est un principe trop fondamental pour qu'il puisse être mis en brèche par le seul effet d'une règle de pratique; la Règle ne fait sans doute que confirmer l'existence du pouvoir. 11 s'agit en fait d'un pouvoir qui n'a jamais été accordé législativement mais que toutes les cours de common law ont depuis longtemps déclaré inhérent à leur juridiction (voir la revue historique qu'en fait le juge Smith dans l'arrêt de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique Gulf Islands Navigation Ltd. v. Seafarers Internat'l Union of North America (1959), 18 D.L.R. (2d) 625; (1959), 28 W.W.R. 517). Or, un pouvoir inhérent en est un qui correspond à une nécessité. Pourquoi donc est-il nécessaire qu'une cour puisse posséder un pouvoir de révision dans les cas où, par exception, elle a été appelée à rendre une décision ex parte? Ce ne peut être, à mon sens, que parce qu'elle a pu agir sur la base d'une vue tronquée ou incomplète, parce que non présentée contradic- toirement, de la situation de faits qu'elle avait à considérer. Il répugnerait à la notion même de justice que, dans un tel cas, la décision conserve son caractère définitif, ce qui serait le cas si la cour n'avait pas un pouvoir de rescision, puisque l'appel, portant sur le dossier tel que constitué, ne serait alors d'aucun secours. Mais je ne vois nulle- ment de nécessité ailleurs. Pourquoi la voie de l'appel ne resterait-elle pas, dans le cas d'une décision ex parte comme de toutes autres déci- sions, la seule voie ouverte pour vérifier la pure légalité de la décision du juge? Les exigences du principe de l'audi alteram partem supposer qu'elles aient un rôle à jouer dans le cas d'une décision prévue à l'avance comme pouvant et même devant être prise ex parte) en autant qu'elles se rapportent à la seule possibilité de faire des représentations sur le plan du droit ne sont- elles pas suffisamment respectées par la procédure d'appel? Bref, le pouvoir est nécessaire pour obvier au cas la Cour aurait agi sur la base d'une information trompeuse ou incomplète, car il y va de saine administration de la justice; mais il ne l'est certes pas autrement. Et, de toute façon, ce surtout que je me refuse à admettre c'est qu'on puisse sur la seule foi d'une règle de pratique donner à un juge d'une cour de justice la mission de contester et le pouvoir de contrer l'appréciation et le geste d'un collègue de même niveau que lui. Je sais bien que dans l'affaire May & Baker (Canada) Liée c. L'«Oak», [1979] 1 C.F. 401;
(1978), 89 D.L.R. (3d) 692 (C.A.), cette Cour n'a pas cherché à limiter l'application de la Règle 330 aux cas la partie non présente lors de la pre- mière décision voudrait faire état de faits addition- nels. Mais je ferai remarquer que la Cour n'a pas dit, là, si la révision envisagée ne devait pas venir du même juge; et je dirai surtout que, depuis cette décision de May & Baker, il y a eu l'approbation que le juge McIntyre, dans l'affaire Wilson c. R., [1983] 2 R.C.S. 594; [1984] 1 W.W.R. 481, a apportée aux propos qu'avait tenus le juge Smith dans l'arrêt Gulf Islands Navigation Ltd. ci-haut cité, à l'effet qu'en tout état de cause, il ne revenait pas normalement à un juge autre que celui qui avait pris la décision initiale ex parte de s'arroger le pouvoir de la réviser. On fait valoir que la décision Wilson portait sur une affaire criminelle mais, de toute façon, les propos approuvés avaient été prononcés dans une affaire civile et d'ailleurs prétendaient résumer l'état d'une jurisprudence constante en matière civile.
Je me permets ainsi de penser, avec égards pour l'opinion contraire de mon collègue, que le juge de première instance n'avait pas le pouvoir de siéger en appel de la décision du premier jugez. Mais allons plus loin et supposons qu'il avait ce pouvoir; le succès de l'appel, on l'a vu, ne serait pas pour autant acquis. Car il ne suffirait pas que le juge ait pu agir sur la requête pour que la Cour puisse lui reprocher son inaction, il faudrait qu'il eût été tenu de le faire. Voyons donc de plus près maintenant cette deuxième condition.
2 Il est intéressant de noter, pour fin de comparaison, qu'en procédure civile québécoise, la rétractation de jugement à la demande d'une partie n'est possible que si cette partie devait être présente mais a été empêchée pour cause, ou encore en certaines hypothèses exceptionnelles la Cour aurait pu agir sur la base d'une information tronquée, et qu'il n'existe aucun autre remède. Voici d'ailleurs les deux articles du Code de procédure civile du Québec:
482. La partie condamnée par défaut de comparaître ou de plaider peut, si elle a été empêchée de produire sa défense, par surprise, par fraude ou par quelque autre cause jugée suffisante, demander que le jugement soit rétracté, et la poursuite rejetée.
La requête, adressée au tribunal le jugement a été rendu, doit contenir non seulement les motifs qui justifient la rétractation, mais aussi les moyens de défense à l'action.
483. De même, le jugement contre lequel n'est ouvert aucun autre recours utile peut être rétracté par le tribunal qui l'a rendu, à la demande d'une partie, dans les cas suivants:
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2—Si le deuxième juge avait le pouvoir d'inter- venir, était-il tenu de le faire?
Le point de départ, ici encore, se doit d'être l'observation simpliste que la Règle 330 reconnaît l'existence d'un pouvoir mais n'accorde à personne le droit d'en obtenir l'exercice. Elle ne dit pas qu'une partie qui se trouve dans telle ou telle circonstance peut obtenir tel remède. En fait, comme je l'ai suggéré, c'est à cause des besoins de l'administration de la justice qu'on a pu considérer qu'un tel pouvoir était nécessaire et partant inhé- rent, les cours s'étant vite rendu compte que sans lui elles risquaient de prendre des décisions erron- nées sans que la partie lésée n'ait de remède et d'être ainsi les instruments de purs dénis de justice. Et se trouve, à mon sens, la mesure de l'obliga- tion du juge de l'utiliser.
Il ne faut pas oublier que c'est la discrétion du deuxième juge dont il est question ici, non celle du premier. Personne ne conteste, je l'ai dit, que le premier juge n'avait pas la discrétion d'émettre une ordonnance sur la seule foi des éléments de preuve que les affidavits tel que rédigés établis- saient; il y avait une lacune, dont il aurait pu requérir la correction fort possiblement mais dont il ne s'est sans doute pas rendu compte. J'accepte
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1. Lorsque la procédure prescrite n'a pas été suivie et que la nullité qui en résulte n'a pas été couverte;
2. Lorsqu'il a été prononcé au-delà des conclusions, ou qu'il a été omis de statuer sur un des chefs de la demande;
3. Lorsque, s'agissant d'un mineur ou d'un interdit, aucune défense valable n'a été produite;
4. Lorsqu'il a été statué sur la foi d'un consentement ou à la suite d'offres non autorisés et subséquemment désavoués;
5. Lorsque le jugement a été rendu sur des pièces dont la fausseté n'a été découverte que depuis, ou à la suite du dol de la partie adverse;
6. Lorsque, depuis le jugement. il a été découvert des pièces décisives dont la production avait été empêchée par une circonstance de force majeure ou le fait de la partie adverse;
7. Lorsque, depuis le jugement, il a été découvert une preuve, et qu'il appert:
a) que si elle avait été apportée à temps, la décision eût probablement été différente;
b) qu'elle n'était connue ni de la partie, ni de son procu- reur ou agent et
c) qu'elle ne pouvait pas, avec toute la diligence raisonna- ble, être découverte en temps utile.
Pour une étude complète sur la demande de rétractation, on peut se référer à: J. Anctil, «La rétractation de jugement à la demande d'une partie« (1973), 4 R.D.U.S. 119.
donc qu'une partie de l'ordonnance de justification soit sujette à sanction, et que les individus concer nés aient droit d'en obtenir la mise de côté. Mais je ne vois pas qu'on puisse automatiquement tirer de une obligation d'agir pour le deuxième juge. Si le refus de ce dernier d'exercer son pouvoir est fondé sur un motif valable et qu'il ne soit pas susceptible de causer un déni de justice en niant définitivement à des justiciables un remède auquel ils ont droit, je ne vois pas sur quelle base on pourrait en nier la possibilité, voire même la légiti- mité. Et c'est bien le cas ici, à mon avis. Pour ce qui est du motif valable, il s'agit essentiellement, on l'a vu, d'une réticence à se substituer à son collègue et à agir en juge d'appel face à lui, une situation qui, si elle n'est pas juridiquement inac- ceptable comme je l'ai soutenu, est tout au moins à éviter autant que faire se peut. Et pour ce qui est de l'absence de déni de justice, le juge parle de l'opportunité qu'auront les appelants d'exposer la situation au moment de leur comparution, ce qui est parfaitement vrai quant à la détermination de leur fonction auprès de la Société canadienne des postes et de leur rôle relativement aux actes repro- chés, mais ne couvre, je l'admets, que l'aspect équité et non de pur droit, le problème de la légalité de l'émission même de l'ordonnance étant laissé de côté. La réponse cependant est évidem- ment tout prête: il y a, bien sûr, l'appel. On a déjà reconnu qu'un juge avait la discrétion de refuser une demande pour le seul motif qu'il lui semblait qu'une autre procédure était préférable (Rex v. Kennedy, a Metropolitan Magistrate (1902), 86 L.T. Rep. 753 (H.C.)). La légitimité du refus du juge en l'espèce me semble autrement plus facile à reconnaître.
Voilà donc les motifs qui m'empêchent d'admet- tre,—je le dis avec égards pour ceux qui voient autrement,—que cette Cour puisse contester la légalité et la légitimité de la décision qui est actuellement attaquée devant elle. Je sais bien qu'en pratique, le maintien de l'appel ne va qu'as- surer aux appelants un résultat qu'ils pourraient obtenir en poursuivant leur appel contre l'ordon- nance de justification. Mais je crois qu'il y a beaucoup plus ici qu'une question de procédure; il y a une question de juridiction et de principe dont la solution peut avoir des conséquences futures. C'est pourquoi j'ai tenu à exprimer mon avis.
Je rejetterais l'appel avec dépens.
* * *
Voici les motifs du jugements rendus en fran- çais par
LE JUGE LACOMBE: Il s'agit d'un appel d'un jugement de la Division de première instance qui a rejeté la requête des appelants en annulation d'une ordonnance rendue ex parte les enjoignant de com- paraître pour répondre à une accusation d'outrage au tribunal.
Le 12 avril 1985, une sentence arbitrale était prononcée en faveur de l'intimé; il la déposait à la Cour fédérale du Canada le 14 mai 1985, confor- mément à l'article 159 du Code canadien du tra vail, S.R.C. 1970, chap. L-1 [mod. par S.C. 1977-78, chap. 27, art. 57], et il signifiait l'avis de
son dépôt à l'appelante le 21 mai 1985.
La sentence arbitrale faisait droit au grief que l'intimé avait institué contre l'appelante en vertu de la convention collective des postiers. Elle con- cluait ainsi:
POUR CES MOTIFS, le tribunal fait droit au grief et,
déclare que l'employeur ne peut confier aux facteurs les fonctions de cueillir le courrier dans les râteliers de tri par routes des facteurs, de transborder le courrier trié des cases des râteliers vers le matériel roulant (chariots, bacs) ainsi que de transférer ce matériel de la section de tri primaire aux endroits désignés, sans enfreindre les descriptions de fonc- tions des postiers et leur convention collective,
ordonne à l'employeur de cesser la pratique mentionnée au paragraphe précédent...
Le 17 juin 1985, l'intimé présentait une demande d'ordonnance de justification, en vertu de la Règle 355(4) 3 , au motif que les appelants ne s'étaient pas conformés à la sentence arbitrale.
3 Règle 355. .. .
(4). Une personne ne peut être condamnée pour outrage au tribunal commis hors de la présence du juge que s'il lui a été signifié une ordonnance de justification lui enjoignant de com- paraître devant la Cour, au jour et à l'heure fixés pour entendre la preuve des actes dont il est accusé et pour présenter, le cas échéant, sa défense en exposant les raisons de sa conduite. Cette ordonnance, rendue par le juge soit de sa propre initia tive, soit sur demande, doit obligatoirement être signifiée à personne, à moins qu'un autre mode de signification ne soit autorisé pour des raisons valables. La demande d'ordonnance de justification enjoignant d'exposer les raisons peut être pré- sentée sans qu'il soit nécessaire de la faire signifier.
Le 11 juillet 1985, l'ordonnance était rendue ex parte.
Le 12 septembre 1985, les appelants faisaient requête à leur tour, en vertu de la Règle 330a) 4 , en vue de faire annuler l'ordonnance ex parte pour cause d'irrecevabilité de la demande de l'intimé pour l'émission de cette ordonnance.
Le 23 septembre 1985, la Cour, présidée par un autre juge que celui qui avait émis l'ordonnance ex parte, rejetait la requête en annulation des appe- lants pour les courts motifs qu'il convient de repro- duire intégralement:
La Cour n'étant pas satisfaite que les intimés auraient pré- senté des faits additionnels s'ils avaient été entendus avant l'ordonnance qu'on veut faire annuler;
S'agissant en outre d'une matière la Cour n'entend pas substituer sa propre appréciation de la preuve à celle du juge qui a rendu l'ordonnance en premier lieu, ce dernier s'étant fondé sur la requête, les affidavits et le dossier devant lui;
Considérant que les intimés auront l'opportunité d'attaquer la preuve du requérant à l'occasion de l'audition relative au mépris de Cour;
La requête est rejetée, avec dépens.
Il est acquis au débat que les appelants n'ont pas établi ni cherché à établir devant le juge siégeant en révision des faits additionnels à ceux que l'in- timé avait lui-même invoqués devant le juge qui avait émis l'ordonnance de justification.
Dans sa demande d'ordonnance de justification, l'intimé affirmait que l'appelante, par l'entremise des autres appelants en leur qualité d'agents res- ponsables de ses relations de travail et de son personnel, et ces derniers, agissant à titre person nel et dès lors en dehors de l'exécution de leurs fonctions, ne respectaient pas l'interdit prononcé par la sentence arbitrale de faire exécuter par des personnes autres que des postiers les fonctions dévolues à ces derniers de par leur convention collective de travail, en ce que certaines opérations de manutention du courrier se poursuivaient tou- jours de la manière proscrite par la sentence arbi- trale, à trois succursales, nommément désignées, de l'appelante dans la ville de Montréal.
4 Règle 330. La Cour peut annuler a) toute ordonnance rendue ex parte, ou
mais une telle annulation n'affecte ni la validité ni la nature d'une action ou omission antérieure à l'ordonnance d'annula- tion sauf dans la mesure la Cour, à sa discrétion, le prévoit expressément dans son ordonnance d'annulation.
La demande de l'intimé était appuyée du ser- ment de trois postiers qui avaient travaillé à l'une ou l'autre des trois succursales de l'appelante, du 21 mai au 13 juin 1985. Deux affidavits se bor- naient à dire, dans des termes identiques, qu'au cours de cette période < span> fonctions de cueillir le courrier dans les râteliers de tri par route des facteurs ont été effectuées par des personnes autres que des postiers, à savoir des facteurs» à deux de ces succursales. Pour l'autre succursale, le dernier affidavit empruntait le mot à mot même de la première conclusion de la sentence arbitrale pour dire que les fonctions y décrites avaient été con- fiées «à des personnes autres que des postiers, à savoir des facteurs».
Dans leur requête en annulation ainsi que dans leur appel devant cette Cour, les appelants ont pris la position que ces affidavits ne prouvaient pas les faits allégués par l'intimé dans sa demande d'or- donnance en ce qu'ils ne les reliaient en aucune façon à la violation de la sentence arbitrale qui y était dénoncée, et que, la demande étant irrégu- lière, elle ne pouvait, en droit, donner lieu à l'émis- sion de l'ordonnance ex parte.
Je suis d'avis que ces prétentions ne sont fondées qu'en partie et qu'elles ne valent que pour les appelants Cooke, Boyer, Dubuc et Lamarche et nullement à l'égard de l'appelante, la Société cana- dienne des postes.
Les affidavits des postiers ne faisaient aucune mention des individus que sont ces quatre appe- lants. Par ailleurs, la sentence arbitrale, dont l'avis de dépôt à la Cour fédérale ne leur a même pas été signifié, ne faisait aucune allusion qu'ils avaient été impliqués à quelque titre que ce soit dans ce conflit syndical entre l'appelante et l'intimé. Il n'y avait donc aucun iota de preuve dans les affidavits ou ailleurs dans le dossier que, soit personnelle- ment, soit ès qualité pour le compte de l'appelante, les appelants Cooke, Boyer, Dubuc et Lamarche aient été mêlés de près ou de loin, directement ou indirectement, à la violation de la sentence arbi- trale. Encore moins y avait-il de preuve, même indirecte et si ténue soit-elle, qui eût dit en quoi et comment pouvait leur être personnellement impu- table la désobéissance à la sentence arbitrale que l'intimé alléguait s'être produite aux trois succur- sales de l'appelante entre le 24 mai et le 13 juin 1985. Les affidavits des trois postiers étant com-
piétement silencieux à leur égard, il n'est même pas établi en preuve qu'ils détenaient les fonctions d'agents responsables des relations de travail et du personnel que la requête de l'intimé leur attribue, voire même qu'ils travaillaient pour l'appelante durant la période dont il s'agit.
La Règle 319(1)` stipule que toute demande faite «à la Cour, à un juge ou un protonotaire ... doit être faite par voie de requête» et la Règle 319(2) 6 exige qu'«une requête doit être appuyée par un affidavit certifiant tous les faits sur lesquels se fonde la requête sauf ceux qui ressortent du dossier», à défaut de quoi la demande doit être refusée. Kukan c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1974] 1 C.F. 12; (1974), 1 N.R. 445 (C.A.).
Comme toute autre demande, la demande d'une ordonnance de justification prévue à la Règle 355(4) tombe sous le coup des exigences procédu- rales de la Règle 319(2). A plus forte raison, doit-il en être ainsi en matière d'outrage au tribu nal, qui est de droit strict, strictissimi juris, et ce, à toutes les étapes de la procédure, vu qu'elle se rattache à la liberté des individus et qu'elle peut les mener éventuellement à une peine d'emprison- nement. Règle 355(2)'.
Il s'ensuit que l'ordonnance ex parte n'aurait pas être émise contre les appelants Cooke, Boyer, Dubuc et Lamarche.
Même à cela, prétend l'intimé, le juge siégeant en révision ne pouvait l'annuler parce que c'est seulement en présence de faits additionnels établis devant lui qu'il pouvait intervenir dans les cadres de la Règle 330a) et qu'il n'avait pas discrétion dès
` Règle 319. (1) Lorsqu'il est permis de faire une demande à la Cour, à un juge ou un protonotaire, la demande doit être faite par voie de requête.
e Règle 319. ...
(2) Une requête doit être appuyée par un affidavit certifiant tous les faits sur lesquels se fonde la requête sauf ceux qui ressortent du dossier; cet affidavit doit être déposé, et une partie adverse peut déposer un affidavit en réponse.
' Règle 355. ...
(2) Sauf disposition contraire, quiconque est coupable d'ou- trage au tribunal est passible d'une amende qui, dans le cas d'un particulier ne doit pas dépasser $5,000 ou d'un emprison- nement d'un an au plus. L'emprisonnement et, dans le cas d'une corporation, une amende, pour refus d'obéissance à un bref ou une ordonnance, peuvent être renouvelés jusqu'à ce que la personne condamnée obéisse.
lors pour décider autrement que ne l'avait fait son collègue, sur le dossier tel que constitué lors du prononcé de l'ordonnance de justification.
L'intimé appuie cette prétention sur un passage du jugement de l'honorable juge McIntyre de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Wilson c. R., [1983] 2 R.C.S. 594; (1984), 51 N.R. 321, qui semble aussi avoir inspiré le juge de première instance.
Dans l'affaire Wilson c. R., le juge McIntyre écrit, aux pages 608 R.C.S.; 336 N.R.:
Les exigences de l'administration judiciaire ainsi que le décès ou la maladie du juge qui a accordé l'autorisation font qu'il n'est pas toujours pratique ou possible d'adresser une demande de révision au juge qui a rendu l'ordonnance. Il ressort de la jurisprudence qu'un autre juge de la même cour peut réviser une ordonnance rendue ex parte. Voir, par exemple, les arrêts Bidder v. Bridges (1884), 26 Ch.D. 1 (C.A.) et Boyle v. Sacker (1888), 39 Ch.D. 249 (C.A.) Dans l'arrêt Gulf Islands Naviga tion Ltd. v. Seafarers' International Union (1959), 18 D.L.R. (2d) 625 (C.A.C.-B.), le juge Smith affirme, aux pp. 626 et 627:
[TRADUCTION] Examen fait des arrêts, qui ne sont ni aussi concluants ni aussi uniformes qu'ils pourraient l'être, j'estime qu'il y a une jurisprudence prépondérante qui appuie les propositions suivantes relativement à la révision par un juge d'une ordonnance rendue ex parte par un autre juge: (1) il a le pouvoir d'annuler l'ordonnance ou l'injonction; (2) plutôt que d'exercer ce pouvoir, il devrait déférer la demande au premier juge, sauf dans des circonstances spéciales, par exemple, lorsqu'il agit avec le consentement ou l'autorisation du premier juge, ou lorsque celui-ci ne peut entendre la demande; (3) si le second juge entend la demande, il doit en reprendre l'audition au complet à la fois sur le plan du droit et celui des faits en cause.
J'estime qu'à une seule restriction près, ce passage s'applique à la révision d'une autorisation d'écoute électronique. Le juge chargé de la révision ne doit pas substituer son appréciation à celle du juge qui a accordé l'autorisation. Il n'y a lieu de toucher à l'autorisation que s'il appert que les faits sur lesquels on s'est fondé pour l'accorder diffèrent de ceux prouvés dans le cadre de la révision ex parte. A mon avis, compte tenu du mutisme du Code criminel sur ce point et de la confusion qui en résulte, il convient de suivre la pratique déjà décrite.
Avec égards, l'arrêt Wilson c. R. ne s'applique pas dans l'espèce. D'abord, il s'agissait d'une affaire criminelle et non d'une affaire civile. Dans cette cause, l'accusé subissait son procès sur des accusations de paris illégaux devant un juge de la Cour provinciale du Manitoba. La cause de la Couronne reposait exclusivement sur les preuves recueillies par écoute électronique obtenue à la suite de quatre autorisations accordées par des juges de la Cour du Banc de la Reine du Mani-
toba. Le juge du procès acquitta l'accusé parce que, selon lui, l'écoute électronique était illégale, et les preuves ainsi recueillies, inadmissibles, les quatre autorisations accordées à cet effet ne ren- contrant pas les conditions imposées par la loi. La Cour d'appel du Manitoba cassa ce jugement et ordonna un nouveau procès. Ce que la Cour suprême a décidé avant tout dans cette affaire, en confirmant la Cour d'appel du Manitoba, c'est que les autorisations d'écoute électronique ne peuvent être mises en question de façon indirecte ou colla- térale par le juge du procès, surtout si ce dernier exerce une juridiction de niveau inférieur à celle des juges qui avaient autorisé l'écoute électroni- que. Toute demande de révision d'autorisation d'écoute électronique doit être adressée à la cour qui l'a accordée, en la forme appropriée et en temps utile, ce qui exclut qu'elle soit faite à l'étape du procès de l'accusé. De plus, un juge saisi d'une demande d'autorisation d'écoute électronique a discrétion de l'accorder ou de la refuser et un autre juge, appelé à la réviser, ne peut substituer sa propre discrétion à celle de son collègue; pour ce faire, doivent lui être présentés des faits différents de ceux établis lors de l'autorisation initiale.
Dans cette optique, les commentaires du juge McIntyre se comprennent facilement: pour sup pléer à l'absence de dispositions sur le sujet dans le Code criminel, il adopte les règles du droit civil en matière de révision d'ordonnances ex parte et les applique à la révision d'autorisations d'écoute élec- tronique en droit criminel avec une seule restric tion, celle relative à la discrétion des juges d'accor- der ou de refuser les demandes d'autorisation d'écoute électronique.
Mais tel n'est pas le cas en matière d'outrage au tribunal. Un juge n'a pas discrétion d'accorder ou de refuser une demande d'ordonnance de justifica tion faite conformément à la Règle 355(4). Il doit rendre l'ordonnance selon que le droit, la preuve et les procédures l'exigent, sa décision, en cas d'er- reur, étant susceptible d'appel en cette Cour: R. c. Perry, [1982] 2 C.F. 519; (1982), 133 D.L.R. (3d) 703 (C.A.).
À l'inverse, lorsqu'une telle ordonnance a été rendue ex parte, un juge saisi d'une requête en annulation en vertu de la Règle 330a), n'a pas davantage de discrétion à exercer lui-même comme il n'a pas à respecter la discrétion inexis-
tante de l'autre juge qui a émis l'ordonnance ex parte. Il doit accorder le recours et annuler l'or- donnance rendue ex parte, soit pour des motifs de droit péremptoires qui ont échappé au juge qui l'a prononcée parce que la partie lésée, n'ayant pas été entendue à cette occasion, n'a pu les porter à son attention, soit en raison de faits additionnels que la partie lésée soulève alors qu'on lui donne l'opportunité de se faire entendre.
Il apparaît dès lors que l'opinion du juge McIn- tyre émise dans l'arrêt Wilson c. R. n'a rien changé aux règles civiles régissant la révision d'or- donnances rendues ex parte et n'a apporté aucune modification aux modalités d'application de la Règle 330a). Le droit à ce sujet reste celui qui a été formulé de façon décisive par l'ancien juge en chef de cette Cour dans la cause May & Baker (Canada) Ltée c. L'«Oak», [1979] 1 C.F. 401 (C.A.). Dans cette affaire, deux prorogations de délais pour signifier la déclaration avaient été accordées ex parte par deux juges de la Division de première instance. Une requête pour annulation de la signification avait été présentée au juge qui avait accordé la deuxième prorogation «au motif que les prorogations du délai de signification ... ont été accordées sans raison suffisante». Cette Cour cassa le jugement de la Division de première instance qui avait rejeté la requête en annulation, parce que la page 404], d'avis contraire à celui du premier juge, «Les documents produits à l'appui des deux ordonnances de prorogation du délai ne révèlent aucun fait qui dénote une "raison suffi- sante".» Après avoir rappelé la règle générale à l'effet qu'un jugement ne peut être révisé qu'en appel, le juge en chef Jackett écrit, à la page 405:
Toutefois, quand une ordonnance est rendue ex parte, à mon sens, sauf disposition contraire, la Cour est naturellement com- pétente, après avoir accordé à la partie lésée l'occasion de faire valoir ses droits, s'il apparaît alors que l'ordonnance ou le jugement ex parte n'aurait pas être rendu,
a) pour annuler l'ordonnance ou le jugement ex parte à compter du jour elle rend cette ordonnance et
Il s'ensuit, selon moi, dans un tel cas, que la partie lésée ale droit de se voir accorder l'annulation de l'ordonnance ex parte et que l'appelante, en tant que partie lésée, aurait obtenir ce redressement en vertu du jugement qui fait l'objet du présent appel. [C'est moi qui souligne.]
Et, dans un renvoi en bas de page, il ajoute ce qui suit:
J'entends par ordonnance ou jugement ex parte celui la partie lésée n'a pas pu faire valoir ses droits. Quand elle révise la question, la Cour doit tenir compte
a) des nouveaux éléments de preuve présentés par cette partie ou
b) des observations présentées par celle-ci ou par les deux parties.
La Règle 330a) est d'application générale. Elle vise de même façon et sans restriction «toute ordonnance rendue ex parte»; n'y fait pas excep tion l'ordonnance de justification qui, au désir de la Règle 355(4) in fine, peut être émise sans que la partie adverse ne soit entendue. Par application du principe fondamental audi alteram partem, son objet est justement de permettre à la partie lésée de se faire entendre pleinement devant la Cour et d'y faire valoir tous ses moyens militant à l'encon- tre de l'émission de l'ordonnance ex parte. Il est évident dès lors que la partie lésée ne peut être restreinte à ne pouvoir y soulever que des faits additionnels à ceux qui ont présidé à l'émission de l'ordonnance ex parte, au motif, par exemple, que le juge qui entend sa requête en annulation n'est pas le même que celui qui a rendu l'ordonnance. Si tel était le cas, la partie lésée n'obtiendrait qu'une demi-mesure de justice et son droit d'être pleine- ment entendu dépendrait de la constitution parti- culière de la Cour qui est saisie de sa requête en annulation. La Règle 330a) et la jurisprudence ne font pas de telles distinctions. Il n'y a aucune raison pour que les principes émis par cette Cour dans l'arrêt May & Baker (Canada) Ltée c. L'«Oak», supra, ne s'appliquent pas à la révision d'ordonnances de justification rendues ex parte en matière d'outrage au tribunal.
Il s'ensuit de tout ceci, pour revenir aux données de l'espèce, que les appelants Cooke, Boyer, Dubuc et Lamarche avaient le droit strict d'être mis hors cause, dès le stade préliminaire de la procédure d'outrage au tribunal entreprise contre eux par l'intimé. Pour ce faire, il leur suffisait d'en démon- trer le vice fondamental, soit l'absence totale de preuve contre eux dans les affidavits soumis à son appui. Le juge de première instance aurait annuler leur assignation, car il ne s'agissait pas pour lui de substituer son appréciation de la preuve à celle du juge qui avait émis l'ordonnance ex parte. Il s'agissait plutôt pour lui de statuer que telle preuve n'existait pas, et que, en conséquence,
leur assignation pour outrage au tribunal était invalide.
Le juge de première instance ne pouvait davan- tage refuser de leur accorder leur recours en annu- lation au motif additionnel que, de toute façon, ils auraient le loisir d'attaquer la preuve de l'intimé au stade ultérieur de l'audition au fond de sa requête pour outrage au tribunal. Pour qu'un tel raisonnement puisse être retenu, encore faut-il que l'affidavit ou les affidavits produits au soutien d'une demande d'ordonnance de justification com- portent une preuve quelconque de la commission de l'outrage au tribunal alléguée dans la demande. Même si cette dernière participe de la nature d'une dénonciation et quoique l'ordonnance n'est qu'une simple assignation, il est de principe, cependant, qu'une dénonciation irrégulière ne peut conduire à une assignation valide. Les appelants Cooke, Boyer, Dubuc et Lamarche n'avaient pas à atten- dre de comparaître sur une assignation irrégulière pour attaquer devant le tribunal une preuve que l'intimé n'avait pas faite lors de son émission. Ils avaient le droit, en soulevant ce moyen péremp- toire dans leur requête en annulation, d'obtenir, in limine, la levée immédiate de l'ordonnance rendue ex parte contre eux.
En est-il de même, cependant, en ce qui a trait à l'appelante, la Société canadienne des postes? À l'audience, son procureur a avancé la proposition astucieuse suivante. Dans sa demande d'ordon- nance, l'intimé alléguait que c'était par l'entremise des autres appelants qu'elle avait commis l'outrage au tribunal dont il s'agit, alors que les affidavits produits au soutien de la demande n'impliquaient en aucune façon ces derniers dans la violation de la sentence arbitrale. Par voie de conséquence et par application à l'inverse, sinon par absurde, du prin- cipe qui facit per alium facit per se, l'appelante soutient qu'elle ne peut être citée pour un outrage au tribunal qu'elle n'aurait commis que par per- sonnes interposées, si ces dernières doivent être mises hors cour, faute de preuve contre elles, à ce stade préliminaire des procédures.
Séduisant de prime abord, cet argument ne résiste pas à l'examen. Il ne saurait être retenu sans imposer une lecture par trop byzantine de la requête de l'intimé et des trois affidavits à son appui. Comme nous l'avons vu, la requête alléguait que des personnes autres que des postiers avaient
exercé les fonctions de ces derniers, en violation de la sentence arbitrale, «aux succursales "R", St- Michel et Ahuntsic de la Société canadienne des postes, respectivement sises au 7115 boulevard St-Laurent ...» etc. (c'est moi qui souligne). Chacun des affiants disait dans son affidavit être postier à l'emploi de l'appelante et nommément à l'une ou l'autre des succursales mentionnées dans la requête et y avoir constaté que, durant la période du 24 mai au 13 juin 1985 il y a travaillé, des fonctions visées par la sentence arbi- trale avaient été confiées à des personnes autres que des postiers, à savoir des facteurs. Il y avait donc une preuve, prima facie, que la pratique que la sentence arbitrale avait ordonné à l'em- ployeur de cesser se poursuivait toujours à trois de ses succursales.
Que cela ait été ou non le résultat de l'entremise des autres appelants ou se soit produit pour une autre raison n'importait guère pour les fins de l'émission de l'ordonnance de justification. Un fait matériel précis qui visait l'appelante d'une façon ou d'une autre, sinon directement, avait été établi dans les affidavits des postiers à l'appui de la requête de l'intimé; l'interdit prononcé par la sen tence arbitrale n'était pas observé dans trois de ses établissements. Il y avait donc une preuve prima facie d'une désobéissance à la sentence arbitrale, qui a été soumise à l'appréciation du juge qui a émis l'ordonnance de justification. Cette preuve était suffisamment articulée pour lui permettre, eu égard aux allégations de la requête de l'intimé, de la relier à la responsabilité personnelle de l'appe- lante et le justifier d'assigner cette dernière à comparaître pour en répondre éventuellement devant le tribunal. C'est au stade ultérieur, lors de l'audition au mérite, que l'appelante pourra faire valoir ses moyens de défense en vue de se discul- per, dont possiblement celui qu'elle soulève présen- tement dans son appel. Sur une demande d'ordon- nance de justification, un juge n'a qu'à se satisfaire que la preuve contenue dans les affidavits produits à son soutien est suffisante pour autoriser l'émis- sion de l'ordonnance. Baxter Travenol Laborato ries Inc. c. Cutter (Canada) Ltd. (1985), 56 N.R. 282 (C.A.F.), à la page 288.
Dans l'espèce, cette preuve existait contre l'ap- pelante et justifiait qu'une ordonnance ex parte
soit rendue contre elle. Ainsi, c'est à bon droit que sa requête en annulation a été rejetée par le juge de première instance.
En conclusion, le présent appel ne doit être accueilli qu'en partie. Je ferais donc droit à l'appel des appelants Cooke, Boyer, Dubuc et Lamarche et je rejetterais celui de l'appelante, la Société canadienne des postes; j'infirmerais en partie le jugement de la Division de première instance et j'annulerais l'ordonnance de justification ex parte émise contre les appelants Cooke, Boyer, Dubuc et Lamarche et je la maintiendrais contre l'appe- lante, la Société canadienne des postes et rejette- rais sa requête en annulation.
Vu que le résultat est partagé en cette Cour comme il aurait l'être en Division de première instance, il n'y a pas lieu d'accorder de frais à aucune des parties tant en appel qu'en première instance.
LE JUGE HUGESSEN: J'y souscris.
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