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T-1250-80
Aerlinte Eireann Teoranta (faisant affaire sous la dénomination sociale de «Aer Lingus»)
et
Alitalia Linee Aeree Italiane S.p.A (faisant affaire sous la dénomination sociale de «Alitalia»)
et
British Airways (faisant affaire sous la dénomina- tion sociale de «British Airways»)
et
Canadian Pacific Air Lines, Limited (faisant affaire sous la dénomination sociale de «CP Air»)
et
Compagnie Nationale Air France (faisant affaire sous la dénomination sociale de «Air France»)
et
El Al Israel Airlines Limited (faisant affaire sous la dénomination sociale de «El Al»)
et
Iberia, Lineas Aereas de Espana, S.A. (faisant affaire sous la dénomination sociale de «Iberia»)
et
Koninklijke Luchtvaart Maatschappij N.V. (fai- sant affaire sous la dénomination sociale de «KLM Royal Dutch Airlines»)
et
Christopher Morris, liquidateur de Laker Airways Limited (en dissolution)
et
Deutsche Lufthansa AG (faisant affaire sous la dénomination sociale de «Lufthansa»)
et
Société Anonyme Belge d'Exploitation de la Navi gation Aérienne (faisant affaire sous la dénomina- tion sociale de «Sabena»)
et
Scandinavian Airlines of North America Inc. (fai- sant affaire sous la dénomination sociale de «Scandinavian Airlines System» ou «SAS»)
et
Swiss Air Transport Co., Ltd. (faisant affaire sous la dénomination sociale de «Swissair»)
et
Wardair Canada Inc. (faisant affaire sous la déno- mination sociale de «Wardair») (demandeurs)
c.
La Reine du chef du Canada et ministre des Transports du Canada (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: AERLINTE EIREANN TEORANTA C. CANADA
Division de première instance, juge Muldoon— Ottawa, 20 janvier au 27 février 1986 et 20 février 1987.
Droit aérien Taxes des services aéronautiques Validité du règlement fixant des taxes d'atterrissage pour les vols transocéaniques Le règlement outrepasse-t-il les pouvoirs du gouverneur en conseil ou du ministre? Est-il discrimina- toire et illégal? Règlement sur les taxes des services aéro- nautiques, C.R.C., chap. 5 Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1970, chap. A-3, art. 5 Décret autorisant l'établissement de règlements ministériels, C.R.C., chap. 126 Loi sur l'admi- nistration financière, S.C. 1951 (2e session), chap. 12, art. 18 Loi modifiant la Loi sur l'aéronautique, S.C. 1966-67, chap. 10, art. 1 Loi sur les langues officielles, S.R.C. 1970, chap. O-2, art. 8(2)a),d) Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 15 Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 338(2), 487 Convention relative à l'aviation civile internationale, 7 déc. 1944, [1944] R.T. Can. 36, art. 15 Accord relatif aux transports aériens entre le gouverne- ment du Canada et le gouvernement du Royaume des Pays- Bas, 17 juin 1974, [19751 R.T. Can. 19.
Restitution Taxes d'atterrissage qui seraient discrimina- toires et illégales Aucune possibilité de recouvrement si les paiements ont été effectués en vertu d'une erreur de droit Recouvrement possible lorsqu'il y a contrainte ou lorsqu'il s'agit d'une opération illégale Au Québec, c'est le Code civil qui s'applique Code civil du Bas-Canada, art. 1047, 1140.
Le Règlement sur les taxes des services aéronautiques qui était en vigueur jusqu'en septembre 1985 prescrivait, pour les vols transocéaniques, une taxe d'atterrissage dont le taux était supérieur à celui de la taxe exigée pour les vols internationaux et les vols intérieurs. Les demandeurs s'adressent à la Cour afin d'obtenir qu'elle déclare que le Règlement outrepassait les pouvoirs du gouverneur en conseil ou du ministre, ou qu'il était nul et inopérant parce qu'il était discriminatoire. Ils demandent également la restitution de la taxe versée en trop.
Jugement: l'action doit être rejetée.
Le Règlement était valide. Le pouvoir relatif aux taxes d'atterrissage conféré au gouverneur en conseil par la Loi sur l'aéronautique et subsidiairement au ministre des Transports par le Décret autorisant l'établissement de règlements ministé- riels est général, étendu et pratiquement absolu. Même si la taxe se rapportait aux frais engagés par le ministre pour fournir des installations et des services, il n'était pas nécessaire qu'il existe un tel lien.
Bien que les deux versions officielles de l'article 5 de la Loi sur l'aéronautique puissent sembler différentes, elles ne le sont pas en réalité si on les considère en regard de la Loi sur les langues officielles. L'article indéfini «un» (ou «une») peut être utilisé en français pour traduire le mot anglais «any». Ainsi, l'expression «à un aéroport» qui figure à l'article 5 signifie notamment «à chaque aéroport sans exception ou à n'importe quel aéroport» le ministre fournit «tous et chacun ou n'im- porte quels» services et installations.
Même si les taxes d'atterrissage pour les vols transocéaniques étaient effectivement discriminatoires parce qu'elles étaient plus élevées que celles exigées pour les vols internationaux et pour les vols intérieurs, elles n'étaient pas nulles et inopérantes. Le pouvoir d'établir des règlements prescrivant une taxe pour l'utilisation d'installations et de services sans autres entraves comporte le pouvoir de créer des catégories d'usagers. Lorsque l'établissement de telles catégories crée entre les divers usagers une discrimination fondée sur l'origine et la destination des vols, cette discrimination n'enlève rien à la validité du règle- ment. La preuve ne laisse voir aucune trace de malveillance ou de mauvaise foi et le critère choisi pour effectuer la classifica tion n'était pas déraisonnable et ne comportait pas de considé- rations illogiques, illégales ou non pertinentes. En outre, les demandeurs ne peuvent invoquer à cet égard ni la Charte ni la Déclaration des droits car leurs dispositions concernant l'égalité et la non-discrimination constituent des droits de l'homme qui s'appliquent aux individus mais non aux sociétés.
Les tribunaux canadiens n'ont pas compétence pour faire appliquer des traités qui ne sont pas incorporés au droit interne par le pouvoir législatif. De toute manière, les taxes d'atterris- sage pour les vols transocéaniques ne violaient pas les obliga tions du Canada découlant de son adhésion à la Convention de Chicago ni ne déshonoraient le Canada en sa qualité de membre de l'OACI car il n'y a pas eu de discrimination fondée sur la nationalité. Qui plus est, les taxes d'atterrissage prescri- tes par le ministre relativement aux vols transocéaniques déro- geaient très peu aux principes de tarification suggérés par l'OACI. La méthode de tarification, qui consiste à utiliser une taxe «globale» ou «résiduelle», est celle qui est employée dans la plupart des aéroports étrangers. Et suivant la preuve, aucun des demandeurs n'a été surtaxé lorsqu'il a payé les taxes d'atterrissage.
Toutefois, si la Cour se trompe et s'il devait par la suite être jugé que le règlement était ultra vires pour le motif qu'on n'aurait pas faire payer aux demandeurs le coût d'utilisation des aéroports ils se rendent rarement ou jamais, chaque demandeur aurait alors droit à une réduction proportionnelle des taxes d'atterrissage effectivement payées depuis 1974 en ce qui a trait aux atterrissages effectués dans les provinces de common law et depuis 1975 pour ceux effectués au Québec. Les demandeurs devraient cependant payer la taxe la moins
élevée suivante, celle pour les vols intérieurs ou celle pour les vols internationaux.
Il n'y a aucune distinction à faire au Québec entre les sommes versées en vertu d'une erreur commune de droit ou d'une erreur de fait. Ce sont les articles 1047 et 1140 du Code civil qui s'appliqueraient à la restitution. Pour ce qui est des provinces de common law, on doit considérer que les deman- deurs ont payé la taxe sous réserve de leurs droits à compter du début de l'action ou plus tôt, à condition qu'il soit possible de prouver qu'ils ont protesté énergiquement. Les paiements effec- tués à la suite d'une erreur de droit ne peuvent être recouvrés sauf lorsqu'il y a contrainte ou qu'il s'agit d'une opération illégale.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Pan American World Airways Inc. c. La Reine et autre, [1981] 2 R.C.S. 565, confirmant (1981), 120 D.L.R. (3d) 574 (C.A.F.) et [1979] 2 C.F. 34 (1s inst.); Gravel c. Cité de St-Léonard, [1978] 1 R.C.S. 660; Procureur Général du Canada v. La Compagnie de Publication La Presse, Ltée, [1967] R.C.S. 60; Cardinal et autre c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643; (1986), 63 N.R. 353; Hydro-Electric Commission of Nepean c. Ontario Hydro, [1982] 1 R.C.S. 347.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Alaska Trainship Corporation c. Administration de pilo- tage du Pacifique, [1978] 1 C.F. 411 (lie inst.); Kruse v. Johnson, [1898] 2 Q.B. 91 (Div. Ct.).
DÉCISIONS CITÉES:
Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735; Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121; Kiriri Cotton Co. Ltd. v. Dewani, [1960] A.C. 192 (H.L.); Eadie v. Township of Brantford, [1967] R.C.S. 573.
AVOCATS:
Raymond D. LeMoyne et Peter Richardson pour les demandeurs.
W. Ian C. Binnie, c.r. et David T. Sgayias pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Doheny, MacKenzie, Montréal, pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MULDOON: Les demandeurs aux pré- sentes peuvent être désignés à juste titre par les noms bien connus des compagnies aériennes qu'ils exploitent: Aer Lingus, Alitalia, British Airways, CP Air, Air France, El Al, Iberia, KLM, le liqui- dateur de Laker Airways, Lufthansa, Sabena, SAS, Swissair et Wardair. Dans leur déclaration modifiée une nouvelle fois et déposée le 13 février 1984, les demandeurs prétendent faire l'objet de discrimination et être surtaxés illégalement en ce qui concerne les taxes d'atterrissage pour chaque vol transocéanique que les défendeurs définissent, en se fondant sur le Règlement sur les taxes des services aéronautiques [C.R.C., chap. 5], comme un vol qui franchit une ligne imaginaire (approxi- mative) passant au-dessus ou près du cap Spear, à Terre-Neuve, et traversant, au sud, l'équateur au 45e méridien ouest.
Les demandeurs allèguent que le texte régle- mentaire est ultra vires, nul et inopérant ab initio en ce qui concerne les taxes d'atterrissage. Chaque compagnie aérienne demanderesse réclame un remboursement dont les sommes vont de plus de $800,000 et les intérêts dans le cas d'Aer Lingus à plus de 12 millions et les intérêts dans le cas de British Airways.
Une conférence préalable à l'instruction a été tenue à Ottawa le 18 septembre 1985. Les avocats respectifs des parties ont déposé un exposé conjoint des faits le 4 octobre 1985. Ils ont également préparé ensemble neuf recueils de pièces dont les parties reconnaissent l'admissibilité en preuve ainsi que l'exactitude. Chaque partie a en outre préparé un «dixième» recueil de pièces dont chacune recon- naît l'admissibilité, mais se réserve le droit de contester l'exactitude, la valeur et l'interprétation des documents présentés par la partie adverse. L'instruction en audience publique de la présente action a commencé le 20 janvier 1986 et a pris fin le 27 février 1986, mais les derniers arguments écrits n'ont été reçus que le 14 juillet 1986.
L'exposé conjoint des faits déposé par les parties est libellé comme suit:
[TRADUCTION] Les parties conviennent de ce qui suit: Les parties
1. Chacun des demandeurs assure ou a assuré des services aériens entre divers pays, y compris le Canada.
2. La Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1970, chap. A-3, confie au défendeur, le ministre des Transports, diverses fonctions dont la construction et l'administration de tous les aérodromes ainsi que des stations ou postes d'aéronautique de l'État.
3. A l'époque en cause pour les fins de l'espèce, les demandeurs ont utilisé et utilisent les aéroports administrés par le ministre pour assurer leurs services aériens.
Loi sur l'aéronautique
4. Conformément à l'article 5 de la Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1970, chap. A-3, le gouverneur en conseil ou le ministre, avec l'autorisation de ce dernier, peut établir des règlements prescrivant la taxe relative à l'utilisation:
a) d'une installation ou d'un service fournis par le ministre ou en son nom, pour un aéronef ou relativement à un aéronef;
b) d'une installation ou d'un service qui ne sont pas visés par l'alinéa a) et qui sont fournis, à un aéroport, par le ministre ou en son nom.
5. Le gouverneur en conseil a autorisé le ministre à établir des règlements prescrivant une telle taxe par le Décret autorisant l'établissement de règlements ministériels, DORS/70-409, au- jourd'hui C.R.C. 1978, chap. 126.
Règlement sur les taxes des services aéronautiques
6. Se fondant sur l'article 5 de la Loi sur l'aéronautique et sur le Décret autorisant l'établissement de règlements ministériels, le ministre a établi le Règlement sur les taxes des services aéronautiques qu'il a modifié à l'occasion:
DORS/70-410, entré en vigueur le 9 septembre 1970 DORS/72-487, entré en vigueur le 22 novembre 1972 C.R.C. 1978, chap. 5, entré en vigueur le 1»» janvier 1980 DORS/82-469, entré en vigueur le 30 avril 1982.
7. Les taxes prescrites par le Règlement sur les taxes incluent notamment diverses taxes d'atterrissage, les taxes générales d'aérogare, les taxes de préparation des passagers, les taxes d'utilisation des passerelles d'embarquement, les taxes de trans port des passagers, les taxes pour les services de sécurité relatifs aux passagers, les taxes d'utilisation des services de télécommu- nications, les taxes d'utilisation des installations et services en route, les taxes de stationnement des aéronefs, les taxes d'abri sous hangar, et les taxes d'entreposage de marchandises.
8. Jusqu'au 1 »' septembre 1985, le Règlement sur les taxes prescrivait notamment une taxe d'atterrissage pour les vols intérieurs, une taxe d'atterrissage pour les vols internationaux et une taxe d'atterrissage pour les vols transocéaniques:
a) «vol intérieur»: vol effectué entre des endroits situés au Canada;
b) «vol international»: vol effectué entre un endroit situé au Canada et un autre situé hors du Canada, qui n'est pas un vol transocéanique;
c) «vol transocéanique»: vol qui est effectué entre un endroit situé au Canada et un endroit situé hors du Canada et qui comporte le survol de l'océan Atlantique, sauf s'il s'agit d'un vol effectué entre un endroit situé au Canada et un endroit situé hors du Canada, à l'ouest d'une ligne joignant le point situé le plus à l'est du Canada au point d'intersection du 45» méridien ouest et de l'équateur.
9. Jusqu'au 30 avril 1981, le Règlement sur les taxes des services aéronautiques prévoyait que la taxe d'atterrissage pour les vols internationaux était payable pour l'atterrissage d'un aéronef à un aéroport canadien lorsque ledit aéroport était:
a) soit le dernier point d'atterrissage avant un vol transocéanique,
b) soit le premier point d'atterrissage après un vol transocéanique;
et du 1°' mai 1981 au 31 août 1985, le Règlement portait que la taxe d'atterrissage transocéanique était payable pour l'atterris- sage d'un aéronef qui terminait un vol transocéanique.
10. Pendant l'époque en cause, le taux de la taxe d'atterrissage pour les vols transocéaniques était supérieur à celui de la taxe pour les vols internationaux, et les taux des taxes d'atterrissage pour les vols transocéaniques et pour les vols internationaux étaient supérieurs à celui de la taxe d'atterrissage pour les vols intérieurs.
Accords internationaux
11. Le Canada a signé la Convention relative à l'aviation civile internationale, conclue à Chicago le 7 décembre 1944 et appe- lée couramment Convention de Chicago.
12. Le Canada a signé des accords bilatéraux relatifs aux services aériens avec l'Irlande, Israel, l'Italie, le Royaume-Uni, la France, les Pays-Bas, la République Fédérale d'Allemagne, la Belgique, le Danemark, la Norvège, la Suède et la Suisse, soit les pays de résidence respectifs des demandeurs.
Taxes payées
13. Chaque demandeur a effectué, aux époques pertinentes, des vols transocéaniques au sens du Règlement, et a payé la taxe d'atterrissage applicable.
14. Les demandeurs ont versé à la défenderesse sa Majesté la Reine les sommes indiquées à l'annexe A des présentes à titre de taxes d'atterrissage pour les vols transocéaniques.
Passagers payants, vols intérieurs
15. Aucun des demandeurs ayant son domicile à l'étranger n'a eu le droit pendant la période en cause d'embarquer pour un vol intérieur des passagers payants à un aéroport canadien et de les débarquer à un autre aéroport canadien.
Installations et services
16. Aux aéroports utilisés par les demandeurs pendant la période en cause, les vols cargo n'utilisent pas et n'ont pas utilisé les aérogares, et leur fréquence n'a eu et n'a aucune influence sur les services fournis par le ministre auxdites aérogares.
17. Aux aérogares des aéroports utilisés par les demandeurs pendant la période en cause, il n'existait pas et il n'existe pas de zones ou d'installations distinctes réservées exclusivement aux personnes accompagnant une catégorie particulière de voya- geurs partant par des vols internationaux ni aux personnes accueillant une catégorie particulière de voyageurs arrivant par des vols internationaux.
18. L'expression «aéroports utilisés par les demandeurs» qui figure dans les admissions de faits aux paragraphes 16 et 17 vise les aéroports de Gander, d'Halifax, de Dorval (Montréal), de Mirabel (Montréal), de Toronto, d'Ottawa, de Winnipeg, de Calgary, d'Edmonton et de Vancouver; mais elle ne signifie pas
que tous les demandeurs ont utilisé tous ces aéroports pendant la période en cause.
La présente action a été intentée le 10 mars 1980 et chaque déclaration modifiée indique les montants des taxes pour les vols transocéaniques que chacun des demandeurs a versés depuis 1974 et qu'ils réclament en l'espèce; ces sommes sont maintenant énumérées à l'annexe A de l'exposé conjoint des faits susmentionné. Quelle que soit la conclusion à laquelle j'arriverai concernant les obligations des parties, celles-ci se sont mises d'ac- cord sur les chiffres figurant à l'annexe A. Les demandeurs ont formulé leurs réclamations dans le dossier officiel renfermant les plaidoiries qui a été préparé suivant la Règle 487 [ Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] et déposé le 4 mars 1985. Ils prient la Cour:
[TRADUCTION] DE RÉSERVER leurs droits en ce qui concerne les taxes d'atterrissage payées depuis les dates indiquées ci- après ou qui doivent être payées pendant la durée de l'instance.
DE DÉCLARER que le Règlement sur les taxes des services aéronautiques est ultra vires, nul et inopérant ab initio en ce qui a trait aux taxes d'atterrissage.
D'ORDONNER à la première défenderesse de verser à chacun d'eux respectivement la somme suivante:
[Cette annexe fait maintenant partie de l'annexe A de l'ex- posé conjoint des faits présenté par les parties.]
D'ORDONNER le paiement d'un intérêt au taux légal sur les sommes susmentionnées, conformément à la loi.
D'ACCORDER tout autre redressement qui ... peut sembler juste.
LE TOUT avec dépens.
L'action des demandeurs soulève divers points qui doivent être examinés séparément et l'un à la suite de l'autre. Elle sera en fin de compte rejetée pour les motifs qui suivent, les défendeurs ayant droit aux frais entre parties.
VALIDITÉ DU RÈGLEMENT
Les demandeurs invoquent deux motifs pour contester le Règlement en vertu duquel les taxes d'atterrissage contestées ont été imposées. Ils pré- tendent que ce Règlement outrepassait les pouvoirs délégués par le Parlement au gouverneur en con- seil ou au ministre avec l'autorisation de ce der- nier; ils soutiennent en outre que, même s'il était en théorie valide, ce Règlement était néanmoins nul et inopérant parce qu'il était discriminatoire. On parle au passé du Règlement contesté parce
que la taxe d'atterrissage pour les vols transocéani- ques a été révoquée le ler septembre 1985 par un nouveau Règlement promulgué dans DORS/ 85-861. Elle a alors été remplacée par une nouvelle taxe d'atterrissage pour les vols internationaux en conformité avec la nouvelle définition de l'expres- sion «vol international».
Le Règlement contesté est-il nul et inopérant parce qu'il est ultra vires?
La réponse à cette question préliminaire est négative. Le règlement est valide.
Les dispositions pertinentes de l'article 5 de la Loi sur l'aéronautique [S.R.C. 1970, chap. A-3] sont reprises au paragraphe 4 de l'exposé des faits déposé par les parties. Exerçant le pouvoir qui lui est conféré par cet article, le gouverneur en conseil a autorisé le ministre à établir des règlements conformément au Décret autorisant l'établisse- ment de règlements ministériels, C.R.C., chap. 126. Il s'agit d'un décret très court qui, dans les mêmes termes que l'on trouve à l'article 5 de la Loi, en particulier, aux alinéas Sa) et b), autorise directement le ministre à établir des règlements.
L'article 5 de la Loi sur l'aéronautique et les règlements établis en vertu de celui-ci ont déjà été admis de plein droit dans l'arrêt Pan American World Airways Inc. c. La Reine et autre, [1981] 2 R.C.S. 565. Dans cette affaire, les compagnies aériennes appelantes, qui avaient leur base aux E.-U., ont contesté la légalité des droits que le ministre des Transports leur réclamait pour des services de télécommunication et de navigation en route fournis à leur demande par des installations situées au Canada. Aucun des aéronefs ne s'était posé au Canada même si, dans certains cas, ils avaient survolé le territoire canadien. On n'a nulle- ment laissé entendre dans l'arrêt Pan American qu'il s'agissait de taxes discriminatoires et à cet égard, cet arrêt diffère donc de l'espèce. Par contre, confirmant la conclusion du juge Mahoney qui siégeait alors à la Division de première ins tance de la Cour fédérale, la Cour suprême du Canada a statué que l'expression de l'article 5 de la Loi permettant de «prescrire» des taxes signifie non seulement la fixation de la taxe mais aussi l'imposition de l'obligation de la payer.
Le pouvoir discrétionnaire conféré au gouver- neur en conseil et, subsidiairement, au ministre des
Transports, est général, étendu et pratiquement absolu. Ce pouvoir discrétionnaire de prescrire une taxe pour l'utilisation de toute installation ou de tout service fourni par le ministre ou en son nom, à tout aéroport et relativement à tout aéronef, com- porte celui de taxer ou non l'utilisation de toute installation ou de tout service, ou encore de taxer certains services et non d'autres.
Comme on le verra, la taxe se rapportait aux frais engagés par le ministre pour fournir des installations et des services. Il n'est pas nécessaire qu'il existe un tel lien, mais c'est le cas en l'espèce. Les coûts de chaque installation et service fournis à chaque aéroport ainsi que les revenus qui en découlent ne sont pas indiqués séparément. Au contraire, on utilise pour fixer la taxe ou les droits la méthode «globale» qui réunit tous les frais enga- gés par le «réseau» d'aéroports internationaux de ce pays (énumérés au paragraphe 18 de l'exposé des faits des parties, ci-dessus) et en établit la moyenne. On calcule ensuite un coût moyen par rapport au poids de chaque appareil ou au nombre de passagers. Idéalement, la taxe d'atterrissage serait fixée à un taux suffisant pour recouvrer tous les frais y afférents. La question de savoir si les taxes imposées pour les vols transocéaniques per- mettent de recouvrer le montant total des frais engagés dans ce secteur ou de récupérer un mon- tant supérieur à celui-ci est une question de fait qui sera examinée plus loin.
Les demandeurs soulignent qu'ils n'ont pas besoin d'utiliser directement les installations et les services de chaque aéroport canadien pour leurs vols transocéaniques, mais ils paient les taxes imposées en vertu de la méthode «globale». C'est pourquoi, à leur avis, ce mode de taxation outre- passe les pouvoirs conférés par la Loi. Les deman- deurs insistent sur le mot souligné dans l'expres- sion «la taxe relative à l'utilisation d'une installation ou d'un service fournis», tirée de l'arti- cle 5. Ils prétendent qu'ils ont été taxés pour des installations ou des services aéroportuaires qu'ils n'ont pas utilisés. Ils allèguent qu'à moins qu'un aéronef n'ait effectivement atterri à un aéroport et n'ait eu recours à une installation ou à un service particuliers, la fixation de toute taxe relative au coût de cette installation ou de ce service outre- passe sans aucun doute le pouvoir conféré par la loi. Selon les demandeurs, l'utilisation de fait est le
seul critère légal qui permet de prescrire une taxe; tout autre critère rend la taxation nulle.
Les demandeurs font en outre valoir que la fixation de taxes différentielles outrepasse le pou- voir habilitant conféré par la Loi. Ils soutiennent qu'étant donné qu'il ne semble pas exister de pou- voir permettant expressément de prescrire des taxes pour les vols transocéaniques ou pour quel- que autre catégorie différente de vols, une telle taxation contrevient au pouvoir conféré par le Parlement.
Les défendeurs prétendent que le choix, la méthode ou la manière suivie pour prescrire des taxes, notamment les taxes d'atterrissage pour les vols transocéaniques, fait partie depuis toujours des pouvoirs conférés au gouverneur en conseil ou au ministre par le Parlement à l'article 5 de la Loi sur l'aéronautique. Les parties s'entendent pour dire que le seul critère permettant d'imposer une taxe est «l'utilisation d'une installation ou d'un service fournis par le Ministre . .. relativement à un aéronef; et ... à un aéroport». Les défendeurs allèguent que le ministre peut exercer son pouvoir discrétionnaire presque universel relativement à l'utilisation des installations et des services de quelque partie que ce soit du réseau d'aéroports internationaux du Canada; et, par conséquent, la fixation d'une taxe ne serait ultra vires que si les défendeurs avaient l'intention d'imposer celle-ci à quelques-uns ou à l'ensemble des demandeurs (ou à d'autres compagnies aériennes) qui n'ont utilisé aucun des services ni aucune des installations à aucun des aéroports du réseau.
Dans cette nouvelle ère la constitution décrit le Canada d'une manière plus précise que jamais en faisant clairement de la «primauté du droit» l'un des principes fondamentaux ou l'une des principa- les assises du Canada, les tribunaux ne doivent pas se montrer aussi serviles qu'auparavant dans leur respect des dispositions législatives principales ou accessoires. Évidemment, cela ne signifie pas et ne devrait jamais signifier que les magistrats peuvent faire preuve de désinvolture ou d'insouciance lors- qu'il s'agit d'annuler des règlements, même quand ils sont priés de le faire par des avocats aussi éloquents, compétents et perspicaces que ceux qui représentent les demandeurs en l'espèce. La Cour est tenue de trouver et de donner aux dispositions législatives une interprétation qui, sans forcer ou
déformer le sens de celles-ci, raffermit le règle- ment attaqué. Si ledit règlement ne peut être sauvé grâce au sens ou même grâce à un des sens ordi- naires du libellé de la loi, qu'il en soit ainsi.
L'article 8 de la Loi sur les langues officielles, S.R.C. 1970, chap. O-2, prévoit que, dans l'inter- prétation d'un texte législatif, les versions des deux langues officielles font pareillement autorité. Le paragraphe 8(2) prescrit les moyens d'éviter le chaos lorsque les rédacteurs parlementaires, les traducteurs ainsi que les parlementaires eux- mêmes créent une incompatibilité entre ces versions qui sont supposées faire pareillement autorité. Les alinéas 8(2)b) et c) revêtent un grand intérêt dans le cadre d'un État fédéral bilingue existe un dualisme juridique, mais ils ne s'appli- quent pas aux points litigieux en l'espèce. Les deux autres alinéas sont cependant pertinents:
s.(2)...
a) lorsqu'on allègue ou lorsqu'il apparaît que les deux ver sions du texte législatif n'ont pas le même sens, on tiendra compte de ses deux versions afin de donner, sous toutes réserves prévues par l'alinéa c), le même effet au texte législatif en tout lieu du Canada l'on veut qu'il s'applique, à moins qu'une intention contraire ne soit explicitement ou implicitement évidente;
d) s'il y a, entre les deux versions du texte législatif, une différence autre que celle mentionnée à l'alinéa c), on don- nera la préférence à la version qui, selon l'esprit, l'intention et le sens véritables du texte, assure le mieux la réalisation de ses objets.
Il est bon de mettre côte à côte les deux versions de la disposition pertinente de la Loi sur l'aéro- nautique afin de déterminer si le règlement pres- crivant une taxe d'atterissage pour les vols transo- céaniques peut être invoqué en vertu de l'une ou l'autre de ces versions, ou des deux, contre les demandeurs qui utilisent parfois certains des aéro- ports du réseau pour lesquels le ministre prescrit une taxe d'atterrissage.
5. Le gouverneur en conseil peut établir des règlements, ou, en conformité des modalités qu'il peut spécifier, autoriser le Ministre à établir des règlements prescrivant la taxe relative à l'utilisation
a) d'une installation ou d'un service fournis par le Ministre ou en son nom, pour un aéronef ou relativement à un aéronef; et
b) d'une installation ou d'un service qui ne sont pas visés par l'alinéa a) et qui sont fournis, à un aéroport, par le Ministre ou en son nom.
Les deux versions ne sont pas tout à fait identi- ques, car si elles l'étaient, le texte anglais devrait plutôt dire, pour être plus fidèle au texte français: «a facility or service .. . an aircraft; and ... an airport». Ou bien pour suivre plus fidèlement le texte anglais, le texte français porterait: «toute installation ... tout service» ou peut-être «un aéro-
nef quelconque un aéroport quelconque», ou l'une ou l'autre de ces formulations. Bien qu'elles ne soient pas identiques, les deux versions officièl- les sont-elles différentes pour l'essentiel? Pas nécessairement, et en fait pas du tout si on les considère en regard de la Loi sur les langues officielles.
L'article indéfini un (ou une) peut être utilisé en français pour traduire le mot anglais any. Dans l'arrêt Pan American, précité, la Cour a dit la page 570): «L'article 5, dans son al. a) emploie les mots "un aéronef" au sens large». Il est évident que l'objet de l'article 5 de la Loi sur l'aéronauti- que est de conférer un pouvoir discrétionnaire presque absolu et universel d'établir des règle- ments prescrivant des taxes pour l'utilisation des installations ou des services à un aéroport. Il faut donner au mot souligné son sens ordinaire qui, dans les deux versions de la Loi, est général.
Le dictionnaire The Shorter Oxford English Dictionary (3 e édition, 1983) définit comme suit le mot «any»: [TRADUCTION] 1. gén. Au sing. = un—n'importe quel ou n'importe quoi. Au plur. = certains—n'importe quel, quelqu'en soit le genre ou le nombre ... c. Dans des phrases affirm.: = (par interprétation) tous ceux de la catégorie mentionnée quiconque appelé ME. 2. Quantitatif: = un nombre ou une quantité, quels qu'ils soient 1526. 3. Qualitatif: de n'importe quelle sorte; .. .
Voici les principales significations attribuées au mot «any» par le Black's Law Dictionary, 5 e éd., 1979: [TRADUCTION] «Certains, un parmi plu- sieurs; un nombre indéterminé. Un au hasard, peu importe le genre ou la quantité ... Le mot "any" a diverses significations et il peut être employé pour indiquer "tout" ou "chaque" aussi bien que "cer- tains" ou "un"; son sens dans un texte législatif dépend du contexte et de l'objet de la loi.»
Voici la définition du mot «any» qu'on trouve dans le Dictionnaire Juridique/Legal Dictionary— Nouveau Dictionnaire Th. A. Quemner, 1977— Éditions de Navarre, Paris: «un quelconque, qui- conque, tout ... [Eg.] any twelve jurors—douze jurés quelconques».
Les ouvrages étrangers précités confirment (si une telle confirmation était nécessaire) l'interpré- tation entièrement canadienne faite par la Cour du mot «any» figurant à l'article 5 de la Loi sur l'aéronautique, suivant laquelle outre les sens déjà examinés, ce terme signifie également «tout», «chacun sans exception» ou «quelconque». Ainsi, l'expression «à un aéroport» qui figure à l'article 5 signifie notamment [ TRADUCTION] «à chaque aéroport sans exception ou à n'importe quel aéro- port» le ministre fournit tous et chacun ou n'importe quels services et installations.
Si les rédacteurs des lois et les législateurs qui les adoptent étaient clairvoyants, ils pourraient prévoir les problèmes précis découlant de litiges éventuels et ils pourraient prendre les dispositions pour y faire face ou les rejeter sommairement. Ils ne l'ont pas fait dans les circonstances, ce qui nécessite donc une interprétation judiciaire de leur travail. La portée générale accordée au pouvoir de prescrire des taxes pour les vols transocéaniques résulte d'une interprétation judiciaire faite à la lumière des décisions rendues en première instance et en dernière instance dans l'affaire Pan Ameri- can. Les motifs du jugement prononcés en pre- mière instance par le juge Mahoney (qui siège maintenant à la Division d'appel de cette Cour) ([1979] 2 C.F. 34 (i re inst.)) ont été adoptés à l'unanimité par la Cour d'appel fédérale ((1981), 120 D.L.R. (3d) 574) et cités et approuvés par la Cour suprême du Canada. Feu le juge en chef Laskin a rédigé la décision unanime de la Cour suprême l'on trouve le passage suivant la page 572):
Après avoir fait mention des sens du terme «prescribe» (pres- crire) que donnent les dictionnaires, le juge Mahoney a conclu que l'art. 5 donne le pouvoir non seulement de fixer la taxe, mais aussi d'imposer une obligation légale de la payer. Je ne vois aucun motif de ne pas souscrire à son opinion et je suis par conséquent d'avis de rejeter l'argument que dans sa rédaction, l'art. 5 n'impose pas aux appelantes une obligation de paiement.
Les défendeurs rétorquent aux demandeurs qui prétendent que la méthode globale consistant à établir la moyenne des coûts est, sinon illégale, du
moins inadéquate, qu'une telle critique n'est pas pertinente quant à la question de la validité du règlement imposant la taxe. Soulignant que l'arti- cle 5 de la Loi n'énonce pas un but ou un objet ultérieur, comme par exemple celui de [TRADUC- TION] «recouvrer les frais engagés pour fournir des installations ou des services à l'aéroport», ils sou- tiennent que le ministre possède un pouvoir discré- tionnaire quasi absolu de prescrire une taxe en se fondant sur à peu près n'importe quel motif raison- nable, sans faire preuve de malveillance ou de despotisme. En fait, si on interprète correctement l'article 5, le ministre n'est pas obligé d'essayer de recouvrer les frais engagés ni de fixer un prix de base. Au contraire, l'article 5 lui confère unique- ment un pouvoir de prescrire une taxe. Il s'agit d'une disposition concernant la fixation d'un prix et non le recouvrement de frais. Par conséquent, la critique relative au prix de base non déraisonnable choisi par le ministre comme moyen de fixer la taxe n'a aucune importance dans les prémisses.
Les défendeurs ont tracé en détail l'historique législatif des pouvoirs qui ont finalement été con- centrés et formulés à l'article 5 de la Loi sur l'aéronautique. Ils soutiennent que cet historique étaye leur interprétation. Avant 1966, les règle- ments sur les taxes des services aéronautiques étaient adoptés conformément à la Loi sur l'admi- nistration financière, S.C. 1951 (2 e session), chap. 12, qui prévoyait:
18. Lorsque Sa Majesté fournit un service à une personne et que le gouverneur en conseil estime que la totalité ou une partie du coût de ce service devrait être supportée par celui qui en est destinataire, le gouverneur en conseil peut, sous réserve des dispositions de toute loi concernant ledit service, prescrire par règlement le droit susceptible d'être imposé en l'occurrence. [Non souligné dans le texte original.]
L'objectif qui ressort de la première expression soulignée dans la disposition législative précitée, c'est-à-dire le recouvrement des frais engagés, limite la portée des textes réglementaires établis en vertu de celle-ci. Un droit ne pouvait être prescrit que s'il était destiné à recouvrer la totalité ou une partie des frais engagés pour fournir le service et, par conséquent, le gouverneur en conseil aurait logiquement fixer le prix de base.
En 1966, le Parlement a décidé que le pouvoir d'établir des règlements sur les taxes des services aéronautiques et, par conséquent, de prescrire une taxe, ne serait plus conféré par la Loi sur l'admi-
nistration financière mais par la Loi sur l'aéro- nautique. Ce faisant, il a tout simplement laissé tomber l'expression «la totalité ou une partie du coût» (S.C. 1966-67, chap. 10, art. 1). Une fois disparue cette allusion directe au recouvrement des frais, le seul critère permettant de prescrire une taxe est devenu l'utilisation d'une installation ou d'un service à un aéroport. Le gouverneur, ou le ministre, n'était alors pas tenu d'examiner quelque autre élément que ce soit. (Depuis 1966, deux nouvelles modifications ont été apportées, mais elles n'ont aucune incidence sur le litige.) Ainsi, comme les défendeurs le soutiennent à juste titre, le Parlement a clairement manifesté dans la loi son intention d'accorder un pouvoir discrétionnaire de tarification qui n'a aucun rapport avec les frais engagés pour fournir des installations et des services.
Cette interprétation permet d'écarter le sens étroit attribué par les demandeurs à l'article 5 de la Loi. Se prononçant en son nom et au nom de trois autres juges de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Gravel c. Cité de St-Léonard, [1978] 1 R.C.S. 660, le juge Pigeon a souligné à la page 667 que l'historique législatif d'un texte peut servir à l'interpréter:
L'historique d'une législation peut servir à l'interpréter parce que les textes antérieurs sont de nature à jeter de la lumière sur l'intention qu'avait le législateur en les abrogeant, les modi- fiant, les remplaçant ou y ajoutant.
(Cet extrait est cité à titre d'exemple par Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes, 2 e éd., 1983, page 160.)
En ne reproduisant pas dans la Loi sur l'aéro- nautique la disposition concernant le recouvrement des frais, le législateur a indiqué son intention d'enlever toute limite au pouvoir délégué de pres- crire une taxe pour l'utilisation des services et des installations à un aéroport. En outre, le fait que pendant toute la période en cause on a considéré les aéroports internationaux du Canada comme un réseau, indique que l'utilisation entraînant l'impo- sition d'une taxe peut concerner une partie seule- ment du réseau d'aéroports et non pas nécessaire- ment l'ensemble des installations et des services du réseau d'aéroports, mais juste ceux d'un aéroport.
La Cour conclut par conséquent que le Règle- ment contesté, en vertu duquel le ministre a pres- crit des taxes d'atterrissage pour les vols transo-
céaniques, n'outrepassait, ni en fait ni en droit, les pouvoirs délégués par le Parlement en vertu de l'article 5 de la Loi sur l'aéronautique.
Les taxes d'atterrissage contestées quant aux vols transocéaniques sont-elles nulles et inopérantes parce qu'elles sont discriminatoires?
La réponse à cette question subsidiaire est néga- tive. Les taxes d'atterrissage pour les vols transo- céaniques prescrites conformément au Règlement sur les taxes des services aéronautiques ne sont pas nulles et inopérantes parce que discriminatoi- res.
Bien sûr, il est vrai que les taxes d'atterrissage pour les vols transocéaniques prescrites dans le Règlement sur les taxes des services aéronauti- ques, sous les diverses formes qu'il a revêtues jusqu'au P r septembre 1985, sont effectivement discriminatoires. Elles le sont parce que ces textes réglementaires établissent une distinction entre les vols intérieurs, les vols internationaux et les vols transocéaniques, l'échelle des taxes prescrites pour chaque catégorie de vols étant croissante. Ce fait est illustré aux paragraphes 8, 9 et 10 de l'exposé conjoint des faits produit par les parties et cité plus haut.
Se fondant sur ce même principe, les deman- deurs affirment qu'étant donné qu'ils ont payer les taxes d'atterrissage les plus discriminatoires prescrites par le Règlement, celui-ci est nul ab initio et ultra vires dans la mesure il prescrit des taxes supérieures aux taxes d'atterrissage ordi- naires pour les vols internationaux. Ils demandent à la Cour, dans leur déclaration, de conclure à la nullité dudit Règlement [TRADUCTION] «en ce qui a trait aux taxes d'atterrissage». Compte tenu de ma conclusion antérieure quant à la validité des Règlements prescrivant des taxes d'atterrissage en regard de l'article 5 de la Loi, la fixation de taxes d'atterrissage ne peut en elle-même être [TRADUC- TION] «ultra vires et inopérante ab initio». Les demandeurs ne peuvent donc se plaindre que de l'écart existant entre la taxe d'atterrissage plus élevée pour les vols transocéaniques et la taxe d'atterrissage moins élevée pour les vols internatio- naux et la taxe d'atterrissage encore moins élevée pour les vols intérieurs.
Il n'est pas nécessaire de se pencher sur la question de l'adoption de lois ayant une incidence
extraterritoriale, même si l'une des deux coordon- nées de la ligne imaginaire décrite dans le Règle- ment est l'intersection du 45e méridien ouest et de l'équateur. Malgré le fait que cette dernière coor- donnée se trouve à l'extérieur du Canada et de ses eaux territoriales, le point saillant est la fixation de taxes pour l'atterrissage à tout aéroport au Canada. L'arrêt Pan American, précité, confirme largement le pouvoir de prescrire une taxe relative- ment à l'utilisation d'installations et de services par les avions qui traversent l'océan Atlantique.
Le Règlement contesté, le Règlement sur les taxes des services aéronautiques, fait partie du droit interne du Canada. Les parties ont invoqué aux paragraphes 11 et 12 de leur exposé conjoint des faits, précité, la Convention de Chicago [Con- vention sur l'aviation civile internationale, 7 déc. 1944, [1944] R.T. Can. 36] du 7 décembre 1944 ainsi que les accords bilatéraux conclus avec les pays se trouvent les sièges sociaux de la plupart des demandeurs. La pertinence des prati- ques et du droit international sera examinée plus loin. Étant donné toutefois que le Canada ne reconnaît pas un traité qui n'est pas incorporé dans son droit interne par des dispositions législatives adéquates, la question des taxes discriminatoires soulevée par les demandeurs doit être examinée dans le cadre des lois du Canada. Il reste à déter- miner s'il faut interpréter ces lois de manière, si possible, à respecter le traité ou les déclarations de l'OACI (pièces 19a), b) et c) présentées conjointe- ment).
À l'appui de leur prétention, les demandeurs citent un bon nombre de jugements dont presque tous se rapportaient à des questions de droit muni cipal. Il est possible que les quelques jugements qui ne reposent pas sur l'interprétation de règlements administratifs adoptés par des municipalités soient fondés, mais les demandeurs les ont mal interpré- tés. Par exemple, un extrait du sommaire de la décision Alaska Trainship Corporation c. Admi nistration de pilotage du Pacifique, [1978] 1 C.F. 411 (lre inst.), illustre son inapplicabilité la page 412]:
Arrêt: dans les deux actions, il est jugé que l'insertion des expressions «immatriculés au Canada» ou «immatriculés aux États-Unis», dans les articles 9 et 10 du Règlement, est ultra vires du pouvoir de l'Administration de pilotage du Pacifique, tel que ce pouvoir lui a été délégué par l'article 14 de la Loi sur le pilotage. Le jugement peut aussi être rendu, dans les deux
actions, pour d'autres déclarations attestant: (1) que les pilotes membres de l'Administration de pilotage du Pacifique étaient en situation de conflit d'intérêts, au sens d'équité du terme, lorsqu'ils ont participé à la rédaction et à l'adoption du Règle- ment, et ne se sont disculpés de ce conflit d'intérêts à aucun moment pertinent; (2) que l'Administration, en insérant dans les articles 9 et 10 les termes prévoyant le pavillon du navire, n'a pas été motivée par l'objet public de sécurité au sens de l'article 12 de la Loi sur le pilotage, mais plutôt par le désir de procurer un bénéfice matériel aux pilotes, ses adhérents; (3) que le S.S. Alaska, dans les parcours il voyageait sans pilote de l'Administration à son bord, n'a constitué aucune menace pour la sécurité au sens de l'article 12 de la Loi sur le pilotage; (4) que l'Administration, en incluant lesdites expressions dans le règlement, a transgressé les intentions du Parlement voulant que certains navires, qui ne présentent aucune menace pour la sécurité de la navigation au sens de l'article 12, soient exemptés du pilotage obligatoire, par les méthodes de l'exemption ou de la dispense prescrites dans la Loi sur le pilotage. [Non souligné dans le texte original.]
La compétence de l'Administration de pilotage du Pacifique pour adopter le règlement, la conclusion quant à l'existence d'un conflit d'intérêts de la part de ses membres et le non-respect de la volonté du Parlement sont autant d'éléments qui distinguent nettement le jugement susmentionné du juge Gibson de l'espèce.
Cela ne signifie pas que l'exercice de pouvoirs légaux délégués au gouverneur en conseil,, ou à un ministre, ne peut pas faire l'objet d'Un contrôle judiciaire. Comme l'a déclaré unanimement la Cour suprême du Canada par l'intermédiaire du juge Estey dans l'arrêt rendu avant l'adoption de la Charte, Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735, la page 748:
11 faut dire tout de suite que la simple attribution par la loi d'un pouvoir au gouverneur en conseil ne signifie pas que son exercice échappe à toute révision. Si ce corps constitué n'a pas respecté une condition préalable à l'exercice de ce pouvoir, la cour peut déclarer ce prétendu exercice nul.
Puisqu'il en est ainsi dans le cas du gouverneur en conseil, c'est a fortiori la même chose pour un ministre, et ce avant le l er septembre 1981. L'omis- sion de respecter une condition préalable à l'exer- cice d'un pouvoir quasi judiciaire est cependant loin des circonstances de l'affaire Alaska Train - ship qui est tout simplement inapplicable en l'es- pèce, même si le pouvoir délégué était de nature législative, comme c'est le cas aux présentes.
On admet généralement depuis le jugement de lord Russell of Killowen dans Kruse v. Johnson,
[1898] 2 Q.B. 91 (Div. Ct.), sinon avant, qu'il est possible de contester la validité d'un règlement administratif adopté par un conseil scolaire ou un autre organisme local en invoquant la discrimina tion. De nombreux arrêts indiquent toutefois que ce principe ne s'applique qu'aux «règlements admi- nistratifs», c'est-à-dire aux dispositions législatives accessoires adoptées par des organismes créés par la loi (par exemple, des municipalités, des universi- tés et d'autres organismes du même genre). Il ne s'applique pas à certains «règlements» qui consti tuent des dispositions législatives accessoires adop- tées par l'exécutif du gouvernement (par exemple, le gouverneur en conseil, le lieutenant-gouverneur, un ministre de la Couronne) en vertu d'une déléga- tion de pouvoirs prévue par la loi. Comme l'a fait remarquer le professeur Elmer A. Driedger dans «Subordinate Legislation» (1960), 38 R.B.C. 1, ni la discrimination ni même le caractère déraisonna- ble des règlements pris par l'exécutif ne consti tuent des motifs de les annuler. Ainsi que la Cour l'a souligné dans l'arrêt Inuit Tapirisat, il est en fait possible de réviser des procédures inéquitables lorsque l'exécutif lui-même constitue le tribunal de révision, mais non une tarification ou des taxes différentielles comme c'est le cas en l'espèce. Le pouvoir d'établir des règlements prescrivant une taxe pour l'utilisation d'installations et de services sans autres entraves comporte le pouvoir de créer des catégories d'usagers. Lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, l'établissement de telles catégories crée entre les divers usagers une discrimination fondée sur l'origine et la destination des vols, cette discrimination n'enlève rien à la validité du règlement.
Le juge Abbott a rédigé le jugement de la majorité dans l'arrêt Procureur Général du Canada v. La Compagnie de Publication La Presse, Ltée, [1967] R.C.S. 60. Dans cette affaire, après avoir acquitté les droits de sa licence de radiodiffusion pour la période du l er avril 1960 au 31 mars 1961, la demanderesse a fait l'objet d'un décret qui augmentait ses droits pour l'année cou- rante. La demanderesse a payé sous réserve de ses droits et, dans sa pétition de droit, elle a soutenu que le décret était nul et ultra vires pour diverses raisons dont celle-ci la page 73]:
[TRADUCTION] 2. Il est injuste et discriminatoire parce qu'il établit une distinction entre [la demanderesse, La Presse] et d'autres stations commerciales privées de radiodiffusion et éga-
lement entre un groupe de stations commerciales privées de radiodiffusion, la Société Radio-Canada et d'autres catégories de stations de radiodiffusion.
Les propos pertinents du juge Abbott figurent à la page 75 du recueil:
[TRADUCTION] Quant au caractère prétendu discriminatoire du règlement, je ne suis pas convaincu qu'il soit en fait discri- minatoire. De toute façon, l'art. 3 de la Loi ne restreint nullement les pouvoirs du gouverneur en conseil de prescrire des droits de licence. Le fait que ces droits puissent être discriminatoires n'est pas, à mon avis, un moyen suffisant pour contester la validité du décret.
Le jugement unanime de la Cour suprême du Canada rédigé par le juge Le Dain dans l'arrêt Cardinal et autre c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, la page 653; (1986),
63 N.R. 353, la page 358, mentionne d'autres cas il peut y avoir discrimination en toute impunité:
Cette Cour a confirmé que, à titre de principe général de common law, une obligation de respecter l'équité dans la procédure incombe à tout organisme public qui rend des déci- sions administratives qui ne sont pas de nature législative et qui touchent les droits, privilèges ou biens d'une personne: ... [Non souligné dans le texte original.]
Cette notion d'examen de la validité des déci- sions administratives qui ne revêtent pas un carac- tère législatif est importante pour l'intégrité du pouvoir législatif existant en vertu de la Constitu tion du Canada. Tout comme les assemblées légis- latives provinciales, le Parlement est d'une espèce particulière et on ne peut entraver sa réglementa- tion constitutionnelle des entreprises en matière d'échanges, de commerce et d'aéronautique. La discrimination entre des catégories d'entreprises est essentielle pour l'exercice de tels pouvoirs cons- titutionnels de réglementation législative, d'octroi de licences et de tarification pour l'utilisation d'installations.
Une telle réglementation ne doit évidemment pas contrevenir à la primauté du droit, en particu- lier depuis la promulgation de la Charte cana- dienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]. En l'espèce, la discrimination entre des catégories de vols ainsi qu'une application égale de la taxe prescrite à l'intérieur de chaque catégorie accordent aux demandeurs toute liberté, sinon en pratique du moins en principe, pour faire affaire ou non au Canada et payer la taxe ou non.
Dans un tel cas, la loi est claire: ce genre de discrimination ne constitue pas en lui-même un motif pour annuler le règlement. La preuve ne laisse voir aucune trace de malveillance ou de mauvaise foi flagrante. On peut soutenir que de tels éléments rendraient le règlement nul et inopé- rant. L'arrêt Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, a illustré, bien longtemps avant l'adoption de la Charte, l'abus de pouvoir fondé sur des considérations non pertinentes.
Ce qui, en l'espèce, constitue bel et bien de la discrimination entre les catégories de vols n'a rien de péjoratif. Il est également possible d'affirmer qu'il s'agit d'une simple classification des entrepri- ses aux fins de prescrire des taxes d'atterrissage. La présence de sociétés canadiennes parmi les demandeurs et le fait admis qu'Air Canada, bien qu'elle ne soit pas partie demanderesse, a été pendant toute la période en cause elle aussi assu- jettie à la taxe d'atterrissage pour les vols transo- céaniques comme l'ont été les demandeurs mon- trent que le règlement a été appliqué de manière égale et non discriminatoire. Comme on le remar- quera, le critère choisi pour effectuer la classifica tion n'était pas déraisonnable et ne comportait pas de considérations illogiques, illégales ou non pertinentes.
Il semble tout à fait probable que le genre de classification des vols dont il est question dans le Règlement contesté pourrait résister à une demande d'annulation, même si ladite classifica tion faisait partie d'un règlement municipal. Elle n'est ni déraisonnable ni discriminatoire en ce sens qu'elle ne fait pas échec aux droits véritables à l'égalité. Étant donné que la législation habilitante n'avait d'autre objectif que de prescrire des taxes pour l'utilisation d'installations et de services, le ministre n'était pas tenu par la loi d'établir les écarts de prix en se fondant sur autre chose que ladite utilisation. Il n'était pas non plus obligé (comme l'indiquent clairement les décisions de plus en plus nombreuses relatives à la discrimina tion individuelle et fondées sur l'article 15 de la Charte) d'ajuster ces écarts avec une précision mathématique. On peut souligner que les disposi tions de la Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III, et de la Charte con- cernant l'égalité et la non-discrimination consti tuent des droits de l'homme qui s'appliquent aux
individus mais non aux sociétés. Le pouvoir législa- tif de réglementation des sociétés conféré par la Constitution au Parlement et aux assemblées légis- latives des provinces dans leur champ de compé- tence respectif est absolu et presque sans limites, sous réserve des exceptions déjà examinées. De toute manière, les événements en cause se sont produits avant l'adoption de la Charte.
La Cour statue par conséquent que les taxes d'atterrissage contestées quant aux vols transocéa- niques n'étaient et ne sont pas nulles en raison de leur caractère discriminatoire. De toute façon, elles ne sont pas discriminatoires au sens péjoratif elles opprimeraient les demandeurs ou équivau- draient à confisquer leur profit. Si les demandeurs considèrent que les taxes d'atterrissage pour les vols transocéaniques leur imposent une obligation trop lourde pour les fins de leurs opérations com- merciales au Canada ou qu'elles indiquent que le ministre n'a pas le sens des affaires, ce qui dans les deux cas n'est pas objectivement prouvé, ils doi- vent accepter le fait que ces griefs ne sont pas de la compétence des tribunaux.
PERTINENCE DES ACCORDS INTERNATIONAUX
Dans leur ouvrage intitulé Droit constitutionnel, Presses de l'Université de Montréal, 1982, les auteurs Chevrette et Marx déclarent aux pages 1196 et 1197:
Droit international et droit interne .. .
un traité ne fait partie du droit interne que s'il y est incorporé par un texte de loi. Le droit international coutumier obéit à cet égard à des règles différentes, le juge national le recevant après s'être assuré que la coutume existe et que le Canada y adhère. Mais dans l'ordre interne la règle de droit international, même si dans certains cas elle n'a pas été formellement incorporée, opère comme un principe général d'interprétation, en tel sens qu'une loi nationale contraire pourra l'écarter à condition de le faire bien clairement, à défaut de quoi on interprétera la loi comme lui étant conforme ou l'on tentera à tout le moins de rendre les deux normes, nationale et internationale, concilia- bles.
Dans son ouvrage intitulé Constitutional Law of Canada, 2e éd., Carswell, Toronto, 1985, Hogg affirme aux pages 245 et 246:
[TRADUCTION] Le droit constitutionnel canadien, qui est dérivé à cet égard de celui du Royaume-Uni, ne reconnaît pas qu'un traité fait partie du droit interne du Canada. Par consé- quent, un traité qui nécessite une modification du droit interne du Canada ne peut être mis en application que par l'adoption d'une disposition législative apportant la modification requise.
Bien des traités n'exigent pas que le droit interne des États qui y adhèrent soit modifié. Tel est le cas des traités qui n'empiè- tent pas sur les droits individuels, ni ne contreviennent aux lois déjà existantes ou encore qui n'exigent pas une mesure outre- passant les pouvoirs exécutifs du gouvernement qui a conclu le traité. Par exemple, il est possible de mettre en application les traités conclus par le Canada et d'autres États relativement à la défense, l'aide étrangère, la haute mer, l'espace aérien, la recherche, les stations météorologiques, les relations diplomati- ques et de nombreuses autres questions, par une simple mesure exécutive du gouvernement canadien qui a conclu le traité. De nombreux traités ne peuvent cependant être mis en application sans que le droit interne du Canada soit modifié. Ainsi, il n'est souvent possible d'exécuter les traités conclus par le Canada et d'autres Etats relativement aux brevets, aux droits d'auteur, à l'imposition des ressortissants étrangers, à l'extradition et à de nombreuses autres questions qu'en adoptant des dispositions législatives modifiant le droit interne du Canada.
Mais au Canada, la constitution n'exige pas que le Parle- ment donne son approbation avant qu'un traité soit conclu, cela contreviendrait au principe fondamental de la suprématie du Parlement si l'exécutif pouvait modifier le droit du pays en concluant tout simplement un traité.
L'exactitude des deux règles précitées est confir- mée par la jurisprudence, notamment l'arrêt de la Cour suprême du Canada, Pan American, déjà cité. Dans cette affaire, que l'on trouve dans le recueil à [1981] 2 R.C.S. 565, le juge en chef Laskin a repris l'argument des compagnies aérien- nes qui alléguaient que ce qu'on appelle le droit international coutumier ne les obligeait pas à reconnaître l'exercice par le Canada de sa souve- raineté sur l'espace aérien au-dessus de la haute mer. Il a statué comme suit sur cet argument aux pages 567 et 568:
Il n'y a pas lieu en l'espèce d'appliquer un principe d'interpréta- tion favorisant la compatibilité du droit interne avec le droit international. Les seules contestations que les appelantes peu- vent soulever, c'est que le droit international invoqué en l'espèce s'applique parce qu'il est incorporé de façon expresse au droit canadien, ou que les redevances ne sont, en aucune façon, autorisées en vertu du droit canadien.
Ainsi, le droit international, qu'il soit coutumier ou qu'il découle d'un traité, est tout aussi applica ble et exécutoire que le droit canadien lorsqu'il est formellement incorporé au droit interne. Autre- ment dit, les «redevances» doivent être versées lorsqu'elles sont permises par le droit canadien, comme c'est le cas des taxes d'atterrissage pour les vols transocéaniques. Si l'exécutif ne cherche pas à obtenir l'incorporation législative de traités concer- nant la compétence législative conférée au Parle- ment par la Constitution, le Canada pourrait se
faire une piètre réputation auprès des autres nations. Tout grief de ce genre ne relève pas de la compétence des tribunaux canadiens, car le pou- voir judiciaire ne peut à lui seul faire appliquer des traités qui ne sont pas incorporés au droit par le pouvoir législatif. On n'a cependant présenté aucune preuve convaincante qui, suivant la prépon- dérance des probabilités, montre que la fixation des taxes d'atterrissage contestées relativement aux vols transocéaniques a violé les obligations du Canada découlant de son adhésion à la Convention de Chicago ou a déshonoré le Canada en sa qualité de membre de l'OACl/ICAO.
Voici le texte des dispositions pertinentes de l'Article 15 de la Convention de Chicago (pièce 1):
ARTICLE 15
Tout aéroport d'un État Contractant qui est ouvert l'usage public des aéronefs nationaux sera, sous réserve des dispositions de l'Article 68, ouvert dans les mêmes conditions aux aéronefs ressortissant à tous les autres États Contractants. Des condi tions également uniformes seront appliquées pour l'utilisation par les aéronefs de chacun des États Contractants de toutes installations de navigation aérienne, y compris les services de radiocommunications et de météorologie, mises à la disposition du public pour faciliter la navigation aérienne et contribuer à sa sécurité.
Les droits perçus ou autorisés par un État Contractant, relativement à l'utilisation desdits aéroports et installations par les aéronefs de tout autre État Contractant, ne devront pas excéder,
b) pour les aéronefs affectés à des services aériens interna- tionaux réguliers, les droits acquittés par ses aéronefs nationaux affectés à des services internationaux analogues.
L'Article 15 prévoit essentiellement qu'il ne doit pas y avoir de discrimination fondée sur la natio- nalité des aéronefs étrangers par rapport aux aéro- nefs nationaux de l'État contractant. On n'a fourni aucun élément de preuve montrant la moindre trace de discrimination entre les demandeurs et Air Canada, ou entre les compagnies demanderes- ses canadiennes et les compagnies demanderesses étrangères. En adoptant le Règlement sur les taxes des services aéronautiques qui est contesté en l'es- pèce, les défendeurs ont agi légalement et en con- formité avec l'Article 15 de la Convention de Chicago.
Le Conseil de l'OACI a publié, à l'occasion, des déclarations sur les redevances d'aéroports et d'ins- tallations et services de navigation aérienne de
route (pièce 19). En 1974, le Conseil a publié une telle déclaration (pièce 19(B)) figuraient les principes pertinents suivants:
10. Il conviendrait de choisir les systèmes de redevances, aux aéroports internationaux, conformément aux principes suivants:
iii) Les redevances ne doivent pas établir de discrimina tion entre les usagers étrangers et les usagers qui ont la nationalité de l'État dont relève l'aéroport et qui exploitent des services internationaux similaires, ni entre deux ou plusieurs usagers étrangers d'un aéroport.
Compte tenu du passage tiré de la pièce 19(B), les demandeurs n'ont encore une fois aucun motif valide de se plaindre des taxes d'atterrissage. L'ex- pression «services internationaux analogues» qui figure à l'Article 15 de la Convention ainsi que l'expression «services internationaux similaires» laissent très certainement présager l'existence d'opérations ou de services différents, et ne contre- disent pas l'écart qui existe au Canada entre les taxes exigées pour les «vols internationaux» et celles demandées pour les «vols transocéaniques».
Les accords bilatéraux dont il est question au paragraphe 12 de l'exposé conjoint des faits déposé par les parties sont produits sous les pièces 3 à 14 du volume II. La pièce A soumise par les deman- deurs indique certains renvois à ces accords en ce qui concerne l'inobservation des lois et règlements de l'autre partie contractante, et en ce qui a trait à un traitement préférentiel relativement aux doua- nes, à l'immigration, à la quarantaine et à l'utilisa- tion d'installations. Le Canada a convenu avec d'autres pays de ne pas accorder de préférence fondée sur la nationalité dans les dispositions suivantes:
Danemark: article 4(1) (pièce 4)
France: article 7(1) (pièce 5)
Allemagne: article 8(1) (pièce 6)
Israël: article VIII(1) (pièce 8)
Pays-Bas: article VIII 1. (pièce 10)
Norvège: article 3(1) (pièce 11)
Suède: article 3(1) (pièce 12)
Suisse: article VIII 1. (pièce 13)
On peut trouver un exemple d'une telle disposi tion dans le traité qui a été conclu en 1974 avec les Pays-Bas [Accord relatif aux transports aériens entre le gouvernement du Canada et le gouverne- ment du Royaume des Pays-Bas, 17 juin 1974, [1975] R.T. Can. 19], qui est entré définitive- ment en vigueur le 15 juillet 1975 (pièce 10) et est
clairement rédigé dans les deux langues officielles du Canada:
ARTICLE VIII
1. Les droits imposés dans le territoire de l'une ou l'autre des Parties contractantes pour l'utilisation des aéroports et des autres installations d'aviation par les aéronefs d'une entreprise de transport aérien désignée de l'autre Partie contractante ne seront pas plus élevés que ceux qui sont imposés aux aéronefs d'une entreprise de transport aérien nationale qui assure des services internationaux analogues.
Il est évident que, en ce qui a trait aux taxes d'atterrissage contestées, la demanderesse KLM n'a fourni aucun élément de preuve étayant une plainte fondée sur l'article VIII 1. de l'entente susmentionnée conclue entre le Canada et le Royaume des Pays-Bas, si on présume que cette Cour est le tribunal approprié, ce qu'elle n'est pas.
Qui plus est, la déclaration de 1974 de l'OACI, produite conjointement sous la cote 19(B) et invo- quée fréquemment par les parties, semble tout au moins tolérer un certain degré de traitement préfé- rentiel. Parmi les principes énoncés à la section S9, on trouve le suivant:
vii) Lorsque des tarifs préférentiels de redevances, des réductions spéciales ou d'autres formes de réductions sur les redevances normalement imposées pour les installations et services d'aéroport sont accordés à des catégories particulières d'usagers, [ce qui n'est pas répudié en l'espèce] les États doivent garantir, dans la mesure du possible, qu'aucune part des coûts dûment imputables aux usagers en cause, qui ne serait pas recouvrée du fait de l'application de l'arrangement, ne sera portée à la charge d'autres catégories d'usagers.
Ce principe édifiant mais non contraignant en vertu duquel des tarifs préférentiels, des réductions spéciales et d'autres réductions peuvent être permis, suivant l'OACI, constitue probablement le fondement de la pléthore de témoignages d'experts et de témoignages sur les états financiers, la comp- tabilité, les principes comptables et les observa tions sur les temps et mouvements qui ont été soumis en détail à la Cour.
Il faut se rappeler que le pouvoir qui est conféré par la Loi au ministre de prescrire une taxe pour l'utilisation de. installations ou services à quelque aéroport que ce soit, constitue un pouvoir de tarifi- cation qui n'est pas limité par des considérations quant au coût. Dans le cas des principes incom patibles seraient énoncés d'une part par l'OACI et la Convention de Chicago et d'autre part dans la
Loi sur l'aéronautique et son règlement d'applica- tion tout à fait valide, la Cour serait tenue de respecter la Loi et le règlement étant donné que les engagements internationaux ne sont pas expressé- ment incorporés dans le droit canadien. Mais, même s'il n'est pas obligé d'appliquer servilement ou avec une précision mathématique, sinon du tout, les principes de l'organisation de l'aviation civile, le ministre a trouvé le moyen de s'y confor- mer rigoureusement.
En fait, les principes énoncés par l'OACI sont si généraux et limités qu'ils ne peuvent être invoqués qu'à titre de lignes directrices mais non à titre de loi. Ces principes portent pour l'essentiel sur les coûts alors que le Parlement insiste sur la tarifica- tion exclusivement. Outre le principe vii) énoncé à la section S9 de la pièce 19(B), les autres principes (non soulignés dans le texte original) sont les suivants:
i) Le coût à partager comprend la totalité des dépenses que représentent, pour la collectivité qui en assume la charge, l'aéroport et ses services auxiliaires essentiels, y compris les intérêts sur le capital investi et l'amor- tissement du capital, ainsi que les frais d'entretien et d'exploitation, et les frais de gestion et d'administra- tion, mais compte tenu des recettes aéronautiques et autres, que l'exploitation de l'aéroport procure à l'or- ganisme qui assure cette exploitation.
ii) Une imputation de coût devrait être prise en considé- ration pour l'usage de locaux ou d'installations par les services publics.
iii) La proportion du coût imputable aux différentes caté- gories d'usagers, y compris les aéronefs d'État, doit être déterminée sur une base équitable de façon qu'aucun usager ne doive supporter la charge de dépenses qui ne lui sont pas proprement imputables selon une répartition des dépenses effectuée conformé- ment à de sains principes de comptabilité.
iv) De manière générale, les exploitants d'aéronefs et les autres usagers des aéroports ne doivent pas être impo- sés pour des installations et services qu'ils n'utilisent pas et qui ne sont pas ceux prévus et mis en oeuvre dans le cadre du plan régional de l'OACI.
v) Dans des circonstances favorables, les aéroports peu- vent réaliser des recettes suffisantes pour dépasser avec une marge raisonnable le montant de tous les coûts directs ou indirects (y compris ceux qui se rapportent à l'administration générale, etc.) et per- mettre ainsi le remboursement des dettes et la consti tution de réserves pour des immobilisations futures.
vi) La capacité de paiement de l'usager ne doit être prise en considération qu'une fois les coûts pleinement éva- lués et répartis sur une base objective. A ce stade, on devra tenir compte de la capacité contributive des États et collectivités intéressées, étant entendu que l'État ou l'autorité responsable en matière de redevan-
ces peut décider de recouvrer un montant inférieur aux coûts totaux en échange des avantages retirés sur le plan local, régional ou national.
vii) [déjà cité plus haut]
viii) Bien qu'elles doivent être conformes à l'Article 15 de la Convention de Chicago, les redevances d'aéroport imposées à l'aviation générale internationale doivent être évaluées raisonnablement, eu égard au coût des installations et services nécessaires et utilisés et au fait qu'il faut s'efforcer d'encourager l'expansion de l'avia- tion générale internationale.
Il ressort de la valeur et de la prépondérance de la preuve crédible que, même si le Parlement a conféré au ministre un pouvoir général de tarifica- tion lui permettant de prescrire des taxes pour l'utilisation d'installations et de services, les taxes d'atterrissage qu'il a prescrites relativement aux vols transocéaniques dérogent très peu, sinon aucu- nement, aux principes suggérés par l'OACI. Ainsi, même si la Cour avait compétence pour détermi- ner si les défendeurs ont respecté ou non ces principes, la preuve indique qu'en prescrivant les taxes d'atterrissage contestées, le ministre s'est bien acquitté de sa tâche. Il n'a pas violé ces principes. Il n'est pas nécessaire de faire preuve d'une précision mathématique à cet égard, même si les parties s'emportent en alléguant l'existence d'une abondance d'expertises comptables contra- dictoires.
LES DEMANDEURS ONT-ILS ÉTÉ «SURTAXÉS»?
Compte tenu des conclusions initiales suivant lesquelles le Règlement sur les taxes des services aéronautiques contesté a été adopté conformément à l'article 5 de la Loi sur l'aéronautique et n'est pas nul et inopérant parce qu'il serait discrimina- toire, la vérité brutale est que la question de savoir si les demandeurs ont été «surtaxés» ou non n'a aucune incidence légale. En prescrivant les taxes, le ministre risque de chasser les entreprises deman- deresses et d'entraîner des représailles de la part des autorités aéroportuaires de leur pays d'origine s'il impose une taxe trop élevée. Il pourrait causer la fermeture des compagnies demanderesses cana- diennes. Étant donné que les demandeurs ont con- tinué à payer les taxes d'atterrissage, c'est à la suite de décisions à caractère commercial qu'ils ont volontairement continué à utiliser les aéroports canadiens. Ils ont payé sous réserve de leurs droits à compter environ du moment ils ont intenté la présente action. Les ministres qui se sont succédés
étaient responsables devant le Parlement, leurs collègues du cabinet et le caucus du gouvernement. Les demandeurs, qui sont toutes des personnes morales, sont administrés et dirigés par des person- nes qui sont responsables devant leurs actionnaires ou l'Etat en tant que propriétaire.
Dans le cours normal des événements, le minis- tre d'alors, sans doute retenu par ses responsabili- tés particulières, a tenu compte des coûts lorsqu'il a prescrit les taxes. Il n'était pas tenu de le faire par le pouvoir que lui conférait le Parlement à l'article 5 de la Loi; mais, dans le cours normal des événements, le ministre a tenu compte du coût. C'est en fait ce qui ressort visiblement de la preuve qui indique également dans la pièce 218, soit le rapport du vérificateur général, que le réseau de huit aéroports internationaux a perdu beaucoup d'argent. Il s'agit d'une autre manière de décrire le non-recouvrement des frais. Quelle que soit «la totalité des dépenses que représentent, pour la collectivité qui en assume la charge, l'aéroport et ses services auxiliaires», il semble évident que l'en- semble des contribuables canadiens en a supporté la plus grande partie.
La preuve documentaire présentée par Gordon Clare Wilson ainsi que son témoignage oral étaient les plus convaincants et les plus crédibles sur cette question. Depuis août 1978, M. Wilson est le conseiller financier de la division de la surveillance des taux de l'Administration canadienne des trans ports aériens (ACTA). Après avoir obtenu un baccalauréat spécialisé en sciences commerciales de l'Université Carleton en 1973, il s'est joint pendant une courte période au personnel de la Commission canadienne des transports il a travaillé à titre d'assistant à la recherche dans le cadre d'un projet sur les coûts d'exploitation d'une entreprise de transport aérien. En octobre 1973, il a été embauché par la division des statistiques de l'aviation de Statistique Canada, il a acquis une expérience précieuse pour son emploi actuel et pour les fins de sa crédibilité en l'espèce. Au moment de son témoignage, M. Wilson avait parti- cipé à toutes les activités de la division de la surveillance des taux qui est responsable du pro gramme de recouvrement des coûts de l'ACTA. Il a participé à la préparation de renseignements financiers utilisés et devant être utilisés dans l'éla- boration de propositions présentées à l'industrie au sujet des taxes.
L'enregistrement du témoignage oral de M. Wilson va de la page 2584 (vol. 13) de la trans cription des témoignages à la page 2843 (vol. 14). Ce témoin bien informé a relaté dans des termes simples l'évolution des taxes d'atterrissage depuis les années qui ont précédé l'établissement de taxes d'atterrissage pour les vols internationaux en 1957 jusqu'à leur fusion en 1985 avec les taxes d'atter- rissage pour les vols transocéaniques, qui a été suivie de la disparition de ces dernières le ler septembre de cette même année (Transcription des témoignages, pages 2610 2621). Cette évolution est également illustrée dans les pièces 220 223.
La méthode employée par l'ACTA a entraîné une réduction de la taxe des vols transocéaniques le ler mai 1982, réduction que M. Wilson explique ainsi:
[TRADUCTION] R. La méthode que nous avons suivie, consis- tant à examiner les coûts et les revenus du réseau d'aéroports internationaux, nous a permis d'obtenir un montant que nous appelons la «taxe d'atterrissage de rentabilité» et aussi long- temps qu'on exige de chacun le versement d'une somme infé- rieure à cette taxe, nous sommes d'avis que personne ne paie intégralement les frais engagés.
Par suite de certaines modifications des coûts et de change- ments majeurs touchant l'ensemble des revenus de ces aéroports mais non les taxes d'atterrissage, la situation était telle que sans une réduction de la taxe d'atterrissage pour les vols transocéa- niques, celle-ci aurait été supérieure à la taxe d'atterrissage de rentabilité. Et pour être conséquents avec la méthode adoptée, nous avons décidé de réduire cette taxe.
(Transcription, vol. 13, page 2618)
De 1976, au moment les taxes ont augmenté de 30 %, à septembre 1985, lorsque les taxes d'at- terrissage pour les vols transocéaniques sont dispa- rues, les taxes exigées pour les vols intérieurs et pour les vols internationaux ont augmenté à un rythme plus rapide que celui de la taxe pour les vols transocéaniques. M. Wilson a déclaré dans son témoignage:
[TRADUCTION] Si je me rappelle les chiffres correctement, au cours d'une période de dix ans se terminant avec les augmenta tions de septembre 1985, la taxe des vols intérieurs a augmenté d'environ 272 %, celle des vols internationaux de 240 % et celle des vols transocéaniques était de 14 % supérieure à ce qu'elle était dix ans auparavant.
(Transcription, vol. 13, page 2620)
La méthode suivie consiste à utiliser une taxe «globale» ou «résiduelle», système qui est employé à plusieurs sinon à tous les aéroports étrangers dans le monde. Le témoin des demandeurs Cornelius
Lakeman qui, avant de prendre sa retraite, était chef du département des affaires internationales, division des services aériens de KLM, a déclaré ce qui suit dans son témoignage:
[TRADUCTION] Q. Certains aéroports essaient dans une cer- taine mesure de séparer le côté piste et le côté ville?
R. Certains aéroports le font.
Q. Beaucoup ne le font pas?
R. Beaucoup ne le font pas.
Q. Très bien. Et vous admettrez avec moi qu'en ce qui a trait aux méthodes suivies, il existe dans le monde un large éventail de pratiques permettant d'obtenir ces taxes finales?
R. Oui.
Q. Oui, mais en général, la taxe qui est finalement imposée une fois les coûts et les revenus équilibrés est la taxe d'atterrissage?
R. Oui.
(Transcription, vol. 2, pages 288 et 289)
Lors de son contre-interrogatoire, M. Wilson a répété la technique permettant de calculer la taxe d'atterrissage de rentabilité et ses explications se trouvent à la page 2791 de la transcription des témoignages (vol. 14). Les transporteurs transo- céaniques et autres profitent des revenus tirés des concessions et des entreprises de location qui entrent dans les recettes «globales», ce qui réduit les frais qui devraient autrement être supportés par les compagnies aériennes. Cette technique est tout à fait compatible avec le principe énoncé par l'OACI au paragraphe S9(i), précité, comme le révèle la pièce 19(B).
La pièce 223 produite par M. Wilson (transcrip- tion, vol. 14, pages 2662 et ss.) montre le calcul de la taxe d'atterrissage de rentabilité dans le réseau d'aéroports internationaux. Les sommes figurant dans la première partie de la pièce 223 sont tirées de l'état des revenus et des dépenses pour l'année 1982-1983, qui paraît à la page 10 de la pièce 185. La pièce 223 indique qu'afin de recouvrer la tota- lité des frais engagés dans le réseau des aéroports internationaux, il aurait fallu exiger pour chaque catégorie de vols une taxe d'atterrissage de $2.25 par 1 000 livres. En fait, les taxes d'atterrissage en vigueur pour chaque 1 000 livres le l er mai 1982 étaient de $1.62 pour les vols transocéaniques, de $1.38 pour les vols internationaux et de $0.91 pour les vols intérieurs.
C'est pourquoi les défendeurs allèguent que, même après avoir tiré profit de la taxe de transport aérien, ils fournissaient une subvention de $0.63 par 1 000 livres pour le secteur transocéanique, de $0.87 pour le secteur international et de $1.34 pour le secteur intérieur. Ils soutiennent qu'une subvention de $0.63 par 1 000 livres représente une subvention de $485 pour chaque atterrissage d'un Boeing 747 effectuant un vol transocéanique. La pièce 266 indique une taxe d'atterrissage de renta- bilité de $2.80 par 1 000 livres en 1978-1979 alors même que le taux de la taxe d'atterrissage pour les vols transocéaniques était de $2.06.
Il faut souligner que la taxe de transport aérien ne constitue pas un revenu de l'aéroport. Elle est prélevée sur le prix du transport par avion, mais le tarif payé ne s'applique pas toujours au décollage effectué à partir d'une piste d'un aéroport. Il pour- rait s'appliquer au décollage effectué à partir d'un lac, d'une rivière ou en plein champ. Cette taxe est prélevée sur le tarif aérien seulement. Il ne s'agit pas d'une taxe imposée à l'usager d'un aéroport. Par conséquent, si le gouvernement accorde une partie de ces recettes fiscales comme subvention pour les aéroports, ce simple fait n'oblige pas à justifier l'ensemble des recettes fiscales au même titre que les revenus provenant de ventes hors taxes, de taxes générales d'aérogare ou de taxes d'atterrissage. Bien que les demandeurs puissent profiter d'une telle subvention tirée des recettes fiscales, ce procédé ne les concerne pas vraiment.
L'ACTA a calculé la taxe d'atterrissage de ren- tabilité de la même manière chaque année. En 1981, les prévisions indiquaient que la taxe pour les vols transocéaniques serait supérieure à la taxe d'atterrissage de rentabilité et c'est pourquoi la taxe de ces vols a été sensiblement réduite afin d'éviter de surtaxer les transporteurs touchés. C'est ce qui ressort du témoignage de M. Wilson, aux pages 2805 et 2806 de la transcription (vol. 14).
Montrant les points forts et les faiblesses qui caractérisent habituellement les membres de leur profession, les experts ont essayé d'établir que les demandeurs ont été ou n'ont pas été surtaxés selon la partie à laquelle ils fournissaient leurs connais- sances techniques. Après avoir évalué les témoins en personne et avoir examiné la transcription de leurs longs témoignages ainsi que les pièces volu- mineuses, la Cour arrive à certaines conclusions.
La Cour préfère le témoignage de Steven O. Gunders à celui d'Alan S. Cunningham. Ce der- nier prétend que les états du fonds renouvelable des aéroports (FRA) représentent fidèlement les opérations des aéroports, qui sont à l'occasion inclus dans le système du FRA. Dans son rapport (pièce 211), il analyse le recouvrement excéden- taire ou déficitaire par secteur, à partir du prix de base non rajusté du FRA. Il s'agit manifestement d'une erreur qui rend son analyse peu fiable. Le vérificateur général du Canada a exprimé une opinion défavorable (pièce 212) au sujet des états financiers du FRA et ce, pour plusieurs raisons, notamment (page 27.25) parce qu'on ne tient pas compte [TRADUCTION] «d'un montant représen- tant les intérêts débiteurs du gouvernement en ce qui a trait au capital investi dans le fonds». C'est ce qu'a affirmé le vérificateur général adjoint, David Lawrence Meyers, dans son témoignage qui figure à la page 2468 de la transcription (vol. 13). Les passages du contre-interrogatoire de M. Cun- ningham qui figurent aux pages 2175 2177 de la transcription (vol. 11) constituent des éléments qui justifient le rejet de son témoignage. Un autre élément qui crée un doute sérieux quant à l'objec- tivité de cette personne et de son témoignage est la «technique» irrégulière qui consiste à attribuer tous les revenus découlant de la concession de boutiques hors taxes au secteur international et à présumer ensuite que toutes les autres sources de revenus sont réparties en proportion du volume de passa- gers. Encore une fois, comme on peut le constater aux pages 2280 et 2281 (vol. 12), M. Cunningham a bel et bien déclaré dans son témoignage qu'il n'a pas joué son rôle mais s'est plutôt fié à M. Hart, un autre témoin, et aux allégations des deman- deurs [TRADUCTION] «et c'est plus ou moins le comité qui a décidé que la ventilation des dépenses et des revenus reposant sur le nombre de passagers était en fait équitable». Ces exemples de la manière dont le témoin a abordé les points en litige font perdre toute confiance en son professionalisme et son objectivité. Ils sapent notamment sa crédibilité.
Par contre, M. Keith Boocock s'est distingué par son expérience, ses connaissances et sa crédibilité. La Cour préfère son témoignage ainsi que celui de Philip Beinhaker chaque fois ils sont en pré- sence de témoignages contradictoires.
La Cour est tout à fait convaincue, suivant la prépondérance des probabilités, qu'aucun des demandeurs n'a été surtaxé lorsqu'il a payé les taxes d'atterrissage pour les vols transocéaniques.
RESTITUTION
Les demandeurs prétendent qu'ils auraient droit à une restitution si la conclusion antérieure de la Cour, selon laquelle le Règlement sur les taxes des services aéronautiques est valide et infra vires, était par la suite jugée erronée. Les défendeurs soutiennent que les demandeurs n'ont pas droit au remboursement des taxes d'atterrissage pour les vols transocéaniques versées avant que la présente action ne soit intentée le 10 mars 1980, parce que, selon eux, ces taxes ont été payées par suite d'une erreur de droit commune et non parce qu'ils avaient contraint les demandeurs à le faire.
Parce qu'elle admet le témoignage de Steven O. Gunders et celui des autres témoins des défen- deurs, la Cour conclut que la classification par catégories des différents vols «intérieurs», «interna- tionaux» et «transocéaniques» était justifiée et non déraisonnable en ce qui a trait à la répartition des coûts engagés pour les aéroports internationaux. Il s'ensuit que si le Règlement était ultra vires pour le motif qu'on n'aurait pas faire payer aux demandeurs le coût d'utilisation des aéroports ils se rendent rarement ou jamais, chaque deman- deur aurait alors droit à une réduction proportion- nelle des taxes d'atterrissage effectivement payées depuis 1974 en ce qui a trait aux atterrissages effectués dans les provinces de common law et depuis 1975 pour ceux effectués au Québec. Il s'ensuit également que si on se fonde sur l'écart discriminatoire existant entre les diverses catégo- ries de vols pour conclure que le Règlement atta- qué est nul et inopérant en ce qui concerne ce qu'on appelle les catégorisations discriminatoires, le Règlement peut alors être dissocié; et comme les demandeurs se sont plaints spécifiquement de la taxe pour les vols transocéaniques, ils ne peuvent échapper au paiement de la taxe moins élevée, que ce soit la taxe pour les vols intérieurs ou celle pour les vols internationaux, qui est prescrite à l'occasion.
Pour ce qui est des taxes payées à la suite d'atterrissages effectués au Québec, il n'y a aucune distinction à faire entre les sommes versées en
vertu d'une erreur commune de droit ou de fait. Si le Règlement était ultra vires et inopérant et pouvait dans une certaine mesure être dissocié, les demandeurs n'auraient jamais été redevables à l'égard des défendeurs. De toute façon, les articles 1047 et 1140 du Code civil du Québec régissent la question de la restitution.
Pour ce qui est du remboursement des sommes versées relativement aux atterrissages effectués dans les provinces de common law, les mêmes considérations quant à l'effet ou l'absence d'effet du Règlement s'applique, qu'il soit ultra vires ou nul et inopérant, mais dissociable.
L'affaire des demandeurs met en cause le même genre d'erreur que dans les arrêts
Kiriri Cotton Co. Ltd. v. Dewani, [1960] A.C. 192 (H.L.); Eadie v. Township of Brantford, [1967] R.C.S. 573; et Hydro-Electric Commission of Nepean c. Ontario Hydro, [ 1982] 1 R.C.S. 347.
Dans l'arrêt Nepean Hydro, précité, le juge Estey qui a rédigé le jugement de la majorité de la Cour suprême a souscrit, aux pages 398 et 399, à la conclusion du juge de première instance qui a dit:
[TRADUCTION] À mon avis, les paiements ont été effectués sans réserve, dans le but de préserver des droits. Nepean a formulé des objections à l'occasion; mais à mon avis ces objec tions se sont résumées à ce qu'on peut qualifier de rouspétance. On ne peut déduire des circonstances que les paiements étaient involontaires au sens de la loi.
En l'espèce, bien que l'action ait été intentée le 10 mars 1980, la déclaration des demandeurs a été modifiée jusqu'au 9 février 1984 et on doit consi- dérer qu'ils ont payé sous réserve de leurs droits au moins à compter du début de l'action jusqu'aux dates respectives indiquées à l'annexe de leur exposé conjoint des faits. Si l'un des demandeurs a fait séparément, avant le début de l'action, des protestations sérieuses qui peuvent être prouvées, la rouspétance mise à part, il faut considérer qu'il n'a pas effectué ces paiements librement à cette date antérieure, lesdits paiements ayant été effec- tués sous l'effet de la contrainte. Tous les autres demandeurs n'ont pas été contraints de payer.
Plus loin dans l'arrêt Nepean Hydro, le juge Estey résume sa décision (page 411) et l'effet de son jugement met en lumière les observations qui précèdent. Il a répété qu'en général, le paiement
effectué à la suite d'une erreur de droit ne peut être recouvré. Le recouvrement est toutefois permis dans deux cas, lorsqu'il y a contrainte et lorsqu'il s'agit d'une opération illégale. Dans le premier cas, «le recouvrement est permis puisque le paiement n'est pas volontaire et il n'y a aucune raison de présumer, simplement parce qu'il y a eu paiement, que le demandeur a abandonné son droit de recouvrer les sommes qu'il a payées par suite d'une contrainte de fait». Dans le deuxième cas (c.-à-d. lorsque l'opération est illégale), le recou- vrement est permis lorsque les parties n'ont pas participé à l'acte illégal. En l'absence de l'un ou de l'autre de ces éléments, comme c'est le cas en l'espèce, on ne peut invoquer une erreur de droit commune pour obtenir un recouvrement fondé sur la common law.
Dans l'arrêt Nepean Hydro, le juge Dickson, aujourd'hui juge en chef de la Cour, a exprimé une forte dissidence à laquelle a souscrit feu le juge en chef Laskin. Il n'appartient toutefois pas à cette Cour de préférer l'opinion de la minorité à celle de la majorité.
Il est évident que s'il doit y avoir restitution, il sera nécessaire de formuler et d'engager une réfé- rence suivant les conditions qui précèdent ou celles prescrites par une cour d'appel.
En fin de compte, l'action des demandeurs est toutefois rejetée à compter du 24 février 1987, conformément à la Règle 338(2); les demandeurs devront payer aux défendeurs les frais entre par ties une fois qu'ils auront été taxés.
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