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T-1822-85
Ivan William Mervin Henry (demandeur)
c.
Commissaire des pénitenciers (défendeur)
RÉPERTORIÉ: HENRY C. CANADA (COMMISSAIRE DES PÉNI- TENCIERS)
Division de première instance, juge Strayer— Prince Albert, 16 mars; Ottawa, 2 avril 1987.
Droit constitutionnel Charte des droits Vie, liberté et sécurité Demande de mandamus forçant le déblocage de fonds contenus dans le compte d'épargne d'un détenu en vue de l'acquittement des frais découlant d'un litige Le Règlement régissant le décaissement de l'argent contenu dans le Fonds de fiducie des détenus, la Directive prescrivant le maintien d'un solde minimum et l'ordre permanent énonçant les motifs des retraits sont formulés d'une façon très générale, au point d'empêcher les détenus d'avoir accès à leurs économies dont ils peuvent avoir besoin pour protéger, devant une cour de justice, leur liberté et sécurité Demande accueillie Il y a eu violation de l'art. 7 de la Charte Injustifiable en vertu de l'art. 1 puisqu'il est douteux que les directives et les ordres permanents aient «force de loi» Bien que le Règlement ait «force de loi», il ne s'agit pas d'une «limite raisonnable» Il est anormal de limiter l'accès aux tribunaux au moyen de vagues critères tel celui de savoir si un litige va faciliter la «rééducation et la réadaptation» d'un détenu Charte cana- dienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap 11 (R.-U.), art. 1, 7, 8, 9, 11d), 12, 15(1), 24 Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C., chap. .1251, art. 32 (mod. par DORS/83-562, art. 1) Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, art. 29.
Pénitenciers Demande de mandamus enjoignant au défendeur de débloquer de l'argent contenu dans le compte d'épargne d'un détenu en vue de l'acquittement des frais découlant d'un litige La demande de fonds a été rejetée, en raison de l'exigence d'un solde minimum Demande accueil- lie -- Il y a eu violation de l'art. 7 de la Charte Le Règlement, les directives et les ordres permanents sont formu- lés de façon très générale, au point d'empêcher l'accès aux économies nécessaires à l'engagement d'un litige pour protéger la «liberté et la sécurité de la personne» Il n'y a pas eu preuve qu'il s'agissait de «limites raisonnables» prescrites par «une règle de droit» au sens de l'art. I de la Charte Les directives et les ordres permanents n'ont pas force de loi Le Règlement ne constitue pas une «limite raisonnable», étant donné le caractère trop vague des critères Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, art. 29 Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C., chap. 1251, art. 32 (mod. par DORS/83-562, art. 1) Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 7, 8, 9, 11d), 12, 15(1), 24.
Il s'agit d'une requête en mandamus enjoignant au défendeur de débloquer de l'argent contenu dans le compte d'épargne d'un détenu pour que ce dernier acquitte les frais découlant d'un
litige. Le défendeur a refusé de débloquer les fonds du deman- deur, parce que ce dernier disposait d'une somme inférieure au minimum requis pour être libéré sous condition et qu'il serait admissible à la libération conditionnelle dans deux ans. Le demandeur a prétendu que ce refus allait à l'encontre de plusieurs dispositions de la Charte. Le défendeur a riposté que le Règlement, la Directive du commissaire et l'Ordre perma nent, prévoyant la retenue d'une somme minimale afin que le demandeur puisse en disposer à sa libération, constituaient une limite raisonnable justifiable sous le régime de l'article 1 de la Charte.
Jugement: la demande devrait être accueillie. La Cour rendra une ordonnance de mandamus enjoignant au commis- saire de débloquer les fonds, à la seule condition qu'on s'assure normalement de l'utilisation de ceux-ci aux fins d'un litige.
Le demandeur a démontré que les restrictions imposées aux détenus qui veulent utiliser leurs fonds en vue d'un litige constituent une atteinte aux droits prévus à l'article 7 de la Charte. Le paragraphe 32(2) du lement portant sur le décaissement de l'argent contenu dans le Fonds de fiducie des détenus, les articles 8 et 10 des directives prescrivant le main- tien d'un solde minimum et conférant au sous-commissaire le pouvoir d'établir des conditions régissant les retraits des comp- tes d'épargne des détenus, et les articles 12 et 13 de l'Ordre permanent énonçant les motifs des retraits des économies sont font — M& de façon très générale, au point d'empêcher les déte- nus d'avoir accès à leurs économies dont ils peuvent avoir besoin pour tenter de protéger, devant une cour de justice, leur «liberté et sécurité de la personne». L'exigence de maintenir un solde minimum restreint la capacité d'un détenu d'exercer ses recours judiciaires.
L'intimé ne s'est pas acquitté de l'obligation de justifier la limitation. En particulier, la Directive du commissaire et l'Or- dre permanent ne constituent pue�ttre pas «une règle de droit» comme l'exige l'article 1 de la Charte. Dans un contexte différent, la Cour suprême du Canada a statué qu'une directive du commissaire n'a pas force de loi. Les ordres permanents semblent revêtir le même caractère. Ces directives et ordres n'ont pas force de loi, conférant ou refusant des droits aux détenus, parce qu'ils sont destinés à l'administration interne du service correctionnel. Certes, le paragraphe 32(2) du Règle- ment a force de loi; mais on n'a pas démontré qu'il s'agissait d'une «limite raisonnable». Il est anormal de conférer à un fonctionnaire autorisé du service correctionnel le pouvoir dis- crétionnaire de décider si un litige engagé par un détenu va faciliter sa «rééducation et sa réadaptation». L'accès aux tribu- naux ne devrait pas dépendre de critères aussi vagues. Il se peut qu'une disposition limitant le droit des détenus de retirer des sommes d'argent de leur compte d'épargne pour leur permettre d'intenter des poursuites en justice, selon la nature de celles-ci, soit justifiée si elle est prescrite par la loi. Ce qui est attaqué en l'espèce, c'est une disposition générale qui limite ces retraits et pourrait toucher tout genre de litige. Que le requérant puisse ou non faire valoir ses droits à la liberté et à la sécurité, il est soumis à des règles générales qui restreignent son droit d'utili- ser des fonds pour intenter un litige.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS CITÉES:
Martineau et autre c. Comité de discipline des détenus de l'Institution de Matsqui, [1978] I R.C.S. 118; Ibra-
him c. Canada (tribunal disciplinaire), ordonnance en date du 4 novembre 1985, Cour fédérale, Division de première instance, T-1325-85, encore inédite; Bovair c. Comité régional d'étude des demandes de transfert (1986), 2 F.T.R. 185 (C.F. 1" inst.); R. v. Institutional Head of Beaver Creek Correctional Camp, [ 1969] 1 O.R. 373 (C.A.).
A COMPARU:
Ivan William Mervin Henry pour son propre compte.
AVOCAT:
Martel Popescul mandataire du défendeur. LE DEMANDEUR POUR SON PROPRE COMPTE:
Ivan William Mervin Henry, Prince Albert, Saskatchewan.
PROCUREUR:
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE STRAYER: Dans la présente action intentée au moyen d'une déclaration, le demandeur (requérant) conclut à des brefs de certiorari et de mandamus, et à une injonction interlocutoire pour enjoindre au défendeur (intimé) de débloquer à son profit en tout ou en partie de l'argent contenu dans son compte d'épargne au pénitencier de la Saskatchewan et devant servir à couvrir les dépen- ses relatives aux diverses actions en justice qu'il a intentées. Il conclut également aux redressements prévus au paragraphe 24(1) de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]. Il a ultérieurement déposé dans la même action un avis de requête visant à obtenir une injonction qui tend au même but et concluant à tout redressement approprié sous le régime du paragraphe 24(1) de la Charte. À l'audience, il a été convenu que je devrais considérer la présente demande comme une requête en mandamus et que, en statuant sur les points juridiques soulevés
dans cette demande relativement au pouvoir de l'intimé de retenir cet argent, je trancherais l'ac- tion elle-même parce qu'il s'agissait du seul redres- sement sollicité par le requérant.
Le requérant est détenu au pénitencier de la Saskatchewan, purgeant une peine d'emprisonne- ment pour une période indéterminée en tant que délinquant dangereux. Il a saisi cette Cour de plusieurs actions; à part la présente: il s'agit, sui- vant ses propres termes, de l'action portant le numéro du greffe T-995-85 [ordonnance en date du 15 juillet 1987, encore inédite] dans laquelle il a tenté de faire examiner une décision rendue par le ministre de la Justice concernant son recours en grâce; il y a en outre l'action portant le numéro du greffe T-1846-86 qu'il a intentée contre la GRC pour récupérer ses vêtements et d'autres articles saisis au moment de son arrestation, l'action T-2013-86 qu'il a intentée contre le Solliciteur général et la Commission nationale des libérations conditionnelles pour obtenir des transcriptions judiciaires, et l'action portant le numéro du greffe T-1529-85 dont j'ai déjà été saisi et qui porte sur le décachetage par le personnel du pénitencier de la correspondance qu'il a reçue pendant qu'il était dans l'établissement.
Ayant été empêché par des agents du péniten- cier de se servir de son compte d'épargne à la prison pour engager ses actions en justice, le requérant s'est adressé au Commissaire des péni- tenciers, le 28 mai 1985, en vue de faire débloquer ces fonds. Le 5 juillet 1985, le Commissaire lui a écrit en ces termes:
[TRADUCTION] La présente fait suite à votre lettre du 28 mai 1985, concernant votre demande visant à faire débloquer des fonds de votre compte d'épargne.
Je crois comprendre que vous purgez actuellement une peine d'emprisonnement d'une durée indéterminée en tant que délin- quant dangereux, et que vous êtes donc admissible à libération conditionnelle dans deux ans.
Le 19 juin 1985, vous aviez 19,65 $ dans votre compte courant et 207,34 $ dans votre compte d'épargne. Puisque vous ne disposez pas d'un solde minimum de 350 $ dans votre compte d'épargne, somme considérée comme essentielle si vous obtenez une libération sous condition, je regrette de ne pouvoir faire droit pour le moment à votre demande visant à faire débloquer des fonds de votre compte d'épargne.
Le requérant prétend que ce refus de lui permet- tre d'utiliser le solde total de son compte pour intenter des procédures judiciaires va à l'encontre des articles 7, 8, 9, 11d), 12 et 15(1) de la Charte.
L'avocat de l'intimé a soutenu que le requérant n'avait pas fait la preuve de la violation de l'un quelconque des droits prévus par la Charte. Subsi- diairement, il a fait valoir que le Règlement sur le service des pénitenciers [C.R.C., chap. 1251], la Directive du commissaire émise par le Commis- saire des pénitenciers et l'Ordre permanent appli cable à cet établissement prévoyaient la retenue d'une somme minimale dans le compte d'épargne d'un détenu afin qu'il puisse en disposer à sa libération. L'avocat a prétendu qu'il s'agissait d'une limite raisonnable à un droit prévu par la Charte, et que cela pourrait être considéré comme une atteinte à un tel droit justifiable sous le régime de l'article 1 de la Charte. Il a souligné en outre que la directive et les ordres permanents actuels prévoient la retenue dans le compte d'épargne d'un solde minimum de seulement 80 $, au lieu du minimum prescrit de 350 $ applicable à l'époque ce détenu a présenté sa demande en mai 1985. J'ai soulevé avec le demandeur-requérant la ques tion de savoir si, étant donné le nouveau minimum et le fait (qu'il n'a pas contesté) qu'il dispose maintenant d'un solde de 441,15 $ dans son compte d'épargne, cela ne lui permettrait pas de retirer une somme suffisante pour que la présente demande n'ait pas à suivre son cours. Le requérant a toutefois exprimé le désir de voir sa demande suivre son cours et ce, afin que la Cour statue que toute restriction du droit d'utiliser ces fonds pour engager des poursuites en justice est contraire à la Charte.
L'article 29 de la Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, autorise le gouverneur en conseil à édicter des règlements concernant notam- ment la garde et la discipline des détenus ainsi que l'application de cette Loi. Cet article prévoit égale- ment que, sous réserve de la Loi et des règlements, le commissaire peut émettre des directives
29....
(3) concernant ... la garde, le traitement, la formation, l'emploi et la discipline des détenus et la direction judicieuse des pénitenciers.
La Directive du commissaire 600-6-06.1 du 31 octobre 1983, qui est d'une portée plus générale, classe les détenus par catégories relativement à certaines questions concernant leur compte d'épar- gne. L'article 24 de cette directive vise ceux qui doivent purger plus de cinq ans avant de devenir admissibles à la libération conditionnelle totale, et
l'article 27 touche ceux qui ont moins de cinq ans à purger. À l'origine la Directive permettait aux détenus de ne retirer de leur compte d'épargne que la somme excédant 350 $, même si elle prévoyait des exceptions à cette règle générale en autorisant des dépenses pour certaines fins qui pouvaient réduire le compte jusqu'à un minimum de 100 $. Ces exceptions ne s'appliquaient pas en l'espèce.
L'article 32 du Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C., chap. 1251, modifié en juillet 1983 [DORS/83-562, art. 1], prévoit notamment:
32....
(2) Aucun montant d'argent inscrit au crédit d'un détenu au Fonds de fiducie des détenus ne doit être déboursé, à moins que
a) le détenu n'en permette le décaissement au moyen d'une autorisation écrite; et que
b) le chef de l'institution ou un autre fonctionnaire autorisé ne certifie que, selon lui, le décaissement a pour objet la rééducation et la réadaptation du détenu.
(2.1) Aucun montant d'argent contenu dans le compte d'épargne d'un détenu qui fait partie d'une catégorie visée par directive ne doit être décaissé si le solde de ce compte est inférieur au montant prescrit par directive.
(2.2) Nonobstant le paragraphe (2.1), un montant d'argent contenu dans le compte d'épargne d'un détenu qui fait partie d'une catégorie visée par directive peut, avec l'autorisation écrite de ce dernier, être décaissé pour l'une des fins prévues par directive.
Une autre directive datée du 1" octobre 1986 prévoit à l'article 8 que les détenus doivent mainte- nir un solde minimal de 80 $ dans leur compte d'épargne. L'article 10 de cette Directive dispose que le sous-commissaire de la région doit fixer, pour cette région, les conditions applicables aux retraits du compte d'épargne des détenus. L'Ordre permanent 860, qui semble être visé par l'article 10 de la Directive et se rapporte à cet établisse- ment, a été établi le 16 février 1987. Il prévoit notamment:
[TRADUCTION] 12. Les retraits du compte d'épargne peuvent
être effectués pour les fins suivantes:
le paiement d'impôts;
le paiement de primes d'assurance;
le paiement d'honoraires d'avocat;
le paiement de frais de justice et (ou) d'amendes impo sées par un tribunal;
le paiement de prêts contractés à l'extérieur auprès de banques à charte, de sociétés de fiducie ou de coopérati- ves de crédit;
l'achat d'obligations d'épargne du Canada ou d'une province;
l'obtention de certificats et de licences (de naissance et (ou) de métier);
les dépenses de libération conditionnelle de jour ou d'absence temporaire;
le paiement des cours de formation approuvés et des frais qui s'y rapportent;
une aide justifiée à la famille. Dans ce cas, l'agent de gestion des cas doit user de son jugement et tenir compte de sa connaissance des faits entourant le détenu pour déterminer les besoins. S'il y a lieu, on pourra obtenir d'autres faits justificatifs au moyen d'une évaluation communautaire.
13. Nonobstant les dispositions qui précèdent, un détenu doit conserver un solde minimal de quatre-vingts dollars (80 $) dans son compte d'épargne. Les retraits du compte d'épar- gne ne doivent être permis que sur les sommes excédant quatre-vingts dollars (80 $). Cette règle ne souffre aucune exception.
Si je comprends bien le désir des parties, je devrais trancher cette affaire en tenant compte de la loi, des directives et des ordres permanents actuels pour pouvoir déterminer si le requérant a mainte- nant le droit d'utiliser ses fonds. Je tiens pour acquis que la Directive du 1" octobre 1986 et les articles 12 et 13 de l'Ordre permanent 860 adoptés sous son régime sont les dispositions actuellement en vigueur.
Ainsi qu'il a été souligné, le requérant prétend qu'il y a eu violation de plusieurs droits prévus par la Charte. Je doute fort de la pertinence de la plupart des articles de la Charte auxquels il ren- voie. Il a toutefois démontré à ma satisfaction que ces restrictions imposées aux détenus qui veulent utiliser leurs fonds en vue d'un litige constituent une atteinte aux droits prévus à l'article 7 de la Charte. Le paragraphe 32(2) du Règlement (pré- cité), les articles 8 et 10 de la Directive du 1cr octobre 1986 et les articles 12 et 13 du dernier Ordre permanent (ainsi que les ordres et directives qui les précèdent) sont formulés d'une façon très générale, au point d'empêcher les détenus d'avoir accès à leurs ressources financières dont ils peu- vent avoir besoin pour tenter de protéger, devant une cour de justice, leur «liberté et sécurité de la personne», expression figurant à l'article 7. Il me semble que, même si la Directive du commissaire et, en particulier, l'Ordre permanent prévoient des retraits du compte d'épargne d'un détenu pour «le paiement d'honoraires d'avocats» et «le paiement de frais de justice», ils obligent néanmoins celui-ci à conserver un solde minimal de 80 $ dans son compte, ce qui restreint sa capacité d'exercer ses
recours judiciaires. Certes, une telle restriction semble revêtir une importance minime pour la plupart des plaideurs; mais ce peut être différent en ce qui concerne un détenu pour qui la somme de 80 $ peut représenter un pourcentage substantiel des ressources dont il dispose.
Je ne suis pas non plus convaincu que toutes ces restrictions soient justifiées au sens de l'article 1 de la Charte. L'avocat de l'intimé a présenté très peu d'arguments et il n'a rapporté aucune preuve à l'appui de cette justification. Une fois qu'on a fait la preuve prima facie de la violation d'un droit prévu à la Charte, il incombe à la partie qui invoque l'article 1 de justifier la «limitation», far- deau dont on ne s'est pas acquitté en l'espèce. Je ne suis pas persuadé que la Directive du commis- saire et l'Ordre permanent constituent «une règle de droit» comme l'exige l'article 1. Dans un con- texte différent, quatre juges de la Cour suprême ont statué qu'une directive du commissaire n'a pas force de loi: voir Martineau et autre c. Comité de discipline des détenus de l'Institution de Matsqui, [1978] 1 R.C.S. 118. Voir également Ibrahim c. Canada (tribunal disciplinaire) (T-1325-85, ordonnante en date du 4 novembre 1985, Cour fédérale, Division de première instance, encore inédite), à la page 22; Bovair c. Comité régional d'étude des demandes de transfert (1986), 2 F.T.R. 185 (C.F. l'- inst.), à la page 187. La Cour d'appel de l'Ontario a adopté un point de vue similaire sur les directives du commissaire dans l'affaire R. v. Institutional Head of Beaver Creek Correctional Camp, [1969] 1 O.R. 373, la page 380. À mon avis, les ordres permanents revêtent le même caractère. J'estime qu'il est impossible de considérer les directives et les ordres comme ayant force de loi, parce qu'ils sont destinés à l'adminis- tration interne du service correctionnel. Ils déter- minent les obligations contractuelles des membres de ce service.
Le même raisonnement ne s'applique pas à la restriction imposée par le paragraphe 32(2) du Règlement. Celui-ci a indubitablement «force de loi», mais aucune preuve ne m'a été présentée et peu d'arguments ont été invoqués pour me con- vaincre que cette disposition constitue une «limite raisonnable» au sens de l'article 1 de la Charte. Cette justification ne m'apparaît pas évidente. Il me semble anormal de conférer à un fonctionnaire
autorisé du service correctionnel le pouvoir discré- tionnaire de décider si un litige engagé par un détenu va faciliter sa «rééducation et sa réadapta- tion». L'accès aux tribunaux ne devrait pas dépen- dre de critères aussi vagues.
Il se peut qu'une disposition limitant le droit des détenus de retirer des sommes d'argent de leur compte d'épargne pour leur permettre d'intenter des poursuites en justice, selon la nature de cel- les-ci, soit justifiée si elle est prescrite par la loi. Il faut souligner que, ce qui me préoccupe en l'es- pèce, ce n'est pas la situation particulière du requérant, mais une disposition générale qui limite ces retraits et pourrait toucher tout genre de litige, quel que soit le lien direct de cette disposition avec les questions de liberté et de sécurité, et quels que soient la situation du détenu ou les faits de sa cause.
Que le requérant puisse ou non faire valoir ses droits à la liberté et à la sécurité, il est soumis à des règles générales qui restreignent son droit d'utiliser des fonds pour intenter un litige. Il a donc qualité pour conclure à un redressement fondé sur la nullité générale de ces règles.
La Cour rendra donc une ordonnance de la nature d'un mandamus pour enjoindre au Com- missaire des pénitenciers de prendre les mesures nécessaires pour s'assurer que, si le requérant demande par écrit que des fonds soient retirés de son compte d'épargne pour qu'il puisse intenter un litige, on donne suite à sa demande sans tenir compte des restrictions imposées par le Règlement sur le service des pénitenciers, les directives du commissaire et par les ordres permanents, à la seule condition qu'on s'assure normalement de l'utilisation des fonds à cette fin.
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