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A-275-86
Mackintosh Computers Ltd., Compagnie d'Élec- tronique Repco Ltée/Repco Electronics Ltd., Maison des Semiconducteurs Ltée/House of Semiconductors Ltd., Chico Levy et Nat Levy (appelants) (défendeurs)
c.
Apple Computer, Inc. et Apple Canada Inc. (inti- mées) (demanderesses)
A-276-86
115778 Canada Inc., faisant affaire sous la déno- mination sociale de Microcom, James Begg et 131375 Canada Inc. (appelants) (défendeurs)
c.
Apple Computer, Inc. et Apple Canada Inc. (inti- mées) (demanderesses)
RÉPERTORIÉ: APPLE COMPUTER, INC. c. MACKINTOSH COM PUTERS LTD.
Cour d'appel, juges Mahoney, Hugessen et Mac- Guigan—Ottawa, 28, 29, 30 septembre et 1 e et 13 Dctobre 1987.
Droit d'auteur Contrefaçon La reproduction d'une microplaquette d'ordinateur viole le droit d'auteur sur le vrogramme informatique s'y trouvant inscrit La conversion i'u programme du langage d'assemblage au langage machine n'est pas une .traduction» au sens de l'art. 3(1)a) de la Loi L'inscription du programme sur une microplaquette est une reproduction d'une oeuvre sous une forme matérielle et est visée par le droit d'auteur Pour les fins du droit d'auteur, !a microplaquette programmée doit être appréciée à l'état statique.
Les appelants ont copié deux programmes machine (Auto - ;tart ROM et Applesoft) utilisés par les intimées dans leur )rdinateur Apple II. Les appelants n'ont pas copié les program mes écrits en code d'assemblage. Au lieu de cela, ils ont -eproduit, apparemment par des moyens mécaniques, la micro- plaquette de silicium dans laquelle les programmes se trouvent nscrits.
Les appels en l'espèce sont formés à l'encontre de la conclu- ;ion du juge de première instance selon laquelle le droit d'au- teur dans les programmes machine en question a été violé.
Arrêt: les appels devraient être rejetés mais le jugement de la Division de première instance devrait être modifié de manière à imiter à Apple Computer, Inc. le redressement accordé.
Le juge Mahoney: L'argument selon lequel les programmes m langage machine constituaient simplement des instructipns
elatives à la fabrication des microplaquettes est entièrement Iénué de pertinence. Le droit d'auteur dans la version en
langage machine des programmes n'est pas visé en l'espèce. De plus, les microplaquettes n'étaient pas fabriquées suivant des spécifications contenues dans la version en langage machine des programmes.
Le juge de première instance s'est trompé en concluant que la conversion des programmes du langage d'assemblage initial en langage machine hexadécimal constituait une traduction au sens de l'alinéa 3(1)a) de la Loi. Il s'agit plutôt d'une reproduc tion de l'original, protégée, comme ce dernier, par le droit d'auteur.
Les programmes inscrits sur les microplaquettes sont des reproductions des programmes en cause. Le juge de première instance a eu raison de se fonder sur la prémisse voulant que la reproduction à l'égard de laquelle un droit d'auteur était réclamé et une violation alléguée était constituée de l'ensemble des circuits statiques des microplaquettes, non de la suite dynamique des impulsions électriques dictées ou permises par cet ensemble de circuits. Le début de l'article 3 de la Loi, par lequel le titulaire du droit d'auteur se voit accorder «le droit exclusif ... de reproduire une oeuvre ... sous une forme matérielle quelconque», est rédigé de façon assez générale pour comprendre l'inscription des programmes des intimées sur une microplaquette. Rien dans la Loi n'exigeait qu'une reproduc tion prenne une forme lisible par l'homme pour être protégée par un droit d'auteur ou pour porter atteinte à un droit d'auteur. Aussi, lorsque les appelants ont copié les programmes inscrits sur les microplaquettes, ils ont porté atteinte au droit d'auteur des intimées protégeant ces programmes.
Il n'est pas nécessaire de trancher la question de savoir si les microplaquettes sont des organes au moyen desquels l'oauvre peut être débitée au sens de l'alinéa 3(1)d) de la Loi.
Le juge Hugessen: Le caractère anthropomorphique de pres- que tout ce qui est dit ou écrit au sujet des ordinateurs—des mots ayant une connotation cognitive tels «langage», «mémoire», «lire»—crée une difficulté réelle. Ainsi, même si les program mes en question ont été transposés d'un langage en un autre langage, ils ne constituent pas une «traduction» au sens de la Loi—la transposition dans une langue d'une chose énoncée dans une autre langue. Les microplaquettes des appelants ne constituaient pas non plus des organes au sens de l'alinéa 3(1)d). Les programmes en cause ne sont pas des oeuvres susceptibles d'être «exécutées» ou «représentées» ou «débitées» mécaniquement.
Toutefois, le juge de première instance a eu raison de con- clure que les microplaquettes sur lesquelles étaient inscrits les programmes étaient des reproductions des programmes de code d'assemblage protégés par le droit d'auteur des intimées. Pour les fins de la Loi, le résultat de l'activité consistant à produire ou à reproduire une oeuvre littéraire est nécessairement une oeuvre littéraire (un ouvrage imprimé ou écrit). En l'espèce, comme les microplaquettes ne comportent rien qui soit imprimé ou écrit, leur reproduction, à première vue, ne porterait pas atteinte au droit d'auteur. Toutefois, «le droit exclusif de pro- duire ou de reproduire sous une forme matérielle quelconque» comprend par déduction nécessaire le droit exclusif de produire le support sur lequel l'oeuvre visée sera reproduite. Les articles 10 et 21 de la Loi, qui traitent de la propriété des moyens de reproduction des oeuvres protégées par le droit d'auteur, renfor- cent cette interprétation. Et même si le moyen de reproduction ne constitue pas lui-même une reproduction au sens du para-
graphe 3(1), l'autorisation implicite visant la reproduction— présente en l'espèce puisque les microplaquettes utilisées dans l'ordinateur des appelants pouvaient servir à reproduire les programmes des intimées dans leur version écrite en code hexadécimal—porte atteinte au droit d'auteur.
Le juge MacGuigan: Dans l'affaire Computer Edge, qui était identique à l'espèce, la High Court of Australia a décidé qu'aucune atteinte n'avait été portée au droit d'auteur. Toute- fois, la loi australienne interprétant cette affaire était fondée sur une loi anglaise différente de celle sur laquelle est fondée la loi canadienne. De plus, le point de vue sur lequel cette décision est fondée, selon lequel le programme était en réalité une série d'impulsions électriques emmagasinées dans les microplaquet- tes, n'est pas compatible avec les conclusions du juge de première instance, qui n'ont pas été contestées avec succès. Et la United States Court of Appeals, dans l'arrêt Apple Compu ter, Inc. v. Franklin Computer Corporation, a décidé qu'il n'existait aucune raison pour laquelle un programme du sys- tème d'exploitation, comme le programme en l'espèce, devrait être moins protégé qu'un programme d'application.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Copyright Act, 1911, 1 & 2 Geo. V, chap. 46 (R.-U.). Copyright Act, 1956, 4 & 5 Eliz. II, chap. 74 (R.-U.). Copyright Act, 1968 (Cth), 63 (Austr.).
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10, art. 52b)(i).
Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, chap. C-30, art. 2, 3, 4, 10, 17(2)b), 21.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Computer Edge Pty Ltd v Apple Computer Inc (1986), 65 ALR 33 (H.C.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Compo Company Ltd. c. Blue Crest Music Inc. et autres, [1980] 1 R.C.S. 357; Moreau. Alfred v. St. Vincent, Roland, [1950] R.C.E 198; Thrustcode Ltd. v. W.W. Computing Ltd., [1983] F.S.R. 502 (Ch.D.); University of London Press v. University Tutorial Press, [1916] 2 Ch. 601; Apple Computer, Inc. v. Franklin Computer Corp., 714 F.2d 1240 (3rd Cir. 1983).
DÉCISIONS CITÉES:
Cuisenaire v. South West Imports Limited, [1969] R.C.S. 208; Boosey v. Whight, [1899] 1 Ch. 836, confir- mée par [1900] 1 Ch. 122 (C.A.); Ladbroke (Football) Ltd. v. William Hill (Football) Ltd., [1964] 1 W.L.R. 273 (H.L.).
AVOCATS:
Robert H. C. MacFarlane pour les appelants. Alfred S. Schorr, Ivor M. Hughes et Joseph I. Etigson pour les intimées.
PROCUREURS:
Fitzsimmons, MacFarlane, Toronto, pour les appelants.
Ivor M. Hughes, Concord (Ontario), pour les intimées.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: J'ai eu l'avantage de lire, à l'état de projet, les motifs de mon collègue le juge MacGuigan. Si j'en arrive au même résultat que celui-ci, je le fais sur le fondement de motifs sensiblement plus restreints.
Les appels en l'espèce sont interjetés de juge- ments [[19871 1 C.F. 173; 10 C.P.R. (3d) 1 Ore inst.)] prononcés dans deux actions qui ont été instruites ensemble et ont donné lieu à une preuve qui, pour les fins de toutes les questions qu'on nous a demandé de trancher, était une preuve com mune. L'appelant James Begg s'est désisté de l'ap- pel particulier qu'il avait formé à l'encontre de la conclusion de responsabilité personnelle qui avait été tirée contre lui. Les autres appelants particu- liers n'ont pas soulevé un tel motif d'appel. Les intimées ont renoncé à leur allégation que la fabri cation de copies des objets en trois dimensions confectionnées selon des plans ou des instructions protégés par un droit d'auteur suffisait à elle seule à porter atteinte à leur droit. Il a été reconnu que l'intimée Apple Computer, Inc. était la seule demanderesse ayant droit aux redressements accordés, et que, quel que soit le sort des appels, les jugements de la Division de première instance devraient être modifiés en conséquence.
Pour paraphraser les termes utilisés par le juge Estey dans l'arrêt Compo Company Ltd. c. Blue Crest Music Inc. et autres, [1980] 1 R.C.S. 357: même s'il résulte d'une série de faits assez compli- qués, cet appel soulève uniquement la question de savoir si la personne qui reproduit une micropla- quette d'ordinateur viole de ce fait les droits exclu- sifs accordés en vertu de l'article 3 de la Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, chap. C-30, au titu- laire d'un droit d'auteur sur le programme machine inscrit sur cette microplaquette. Deux programmes sont en cause en l'espèce. Les motifs des jugements à l'encontre desquels le présent appel est formé ont été rapportés intégralement
dans le recueil 10 C.P.R. (3d) 1, auquel je renver- rai le lecteur. Le recueil [1987] 1 C.F. 173 en rapporte une version abrégée, qui omet de nom- breuses conclusions de fait essentielles.
Les dispositions de la Loi sur lesquelles porte principalement le litige sont les alinéas 3(1)a) et d).
3. (1) Pour les fins de la présente loi, le «droit d'auteur» désigne le droit exclusif de produire ou de reproduire une œuvre, ou une partie importante de celle-ci, sous une forme matérielle quelconque, d'exécuter ou de représenter ou, s'il s'agit d'une conférence, de débiter, en public, et si l'eeuvre n'est pas publiée, de publier l'ceuvre ou une partie importante de celle-ci; ce droit comprend, en outre, le droit exclusif
a) de produire, reproduire, représenter ou publier une tra- duction de l'eeuvre;
d) s'il s'agit d'une œuvre littéraire, dramatique ou musicale, de confectionner toute empreinte, tout rouleau perforé, film cinématographique ou autres organes quelconques, à l'aide desquels l'eeuvre pourra être exécutée ou représentée ou débitée mécaniquement;
Les appelants admettent que les programmes machines originaux, écrits en langage d'assem- blage, constituaient des œuvres littéraires au sens de la Loi et se trouvaient protégés par un droit d'auteur appartenant à l'intimée Apple Computer, Inc. Ils reconnaissent également que les program mes inscrits sur les microplaquettes, s'ils faisaient l'objet d'un droit d'auteur, ont été copiés en très grande partie et, en conséquence, violés.
La question du sens que le Parlement a eu l'intention de donner au mot «traduction» dans le contexte de l'alinéa 3(1)a) de la Loi est très liti- gieuse; aussi, dans l'exposé des faits, qui suivra, j'éviterai d'utiliser ce terme et emploierai le mot [TRADUCTION] «conversion», que j'entendrai comme entièrement neutre.
LES FAITS
Le juge de première instance a conclu à la page 7 C.P.R.:
Un langage informatique, et il en existe un grand nombre, est un code servant à écrire un programme. On parle de langage «évolué» ou de langage «de bas de gamme» selon que celui-ci est facile ou difficile à lire. Un langage évolué comporte des symboles et des règles qui correspondent d'assez près aux symboles mathématiques ordinaires et à la langue anglaise (ou à toute autre langue commune) de sorte qu'il peut être lu et compris avec une facilité relative. Citons notamment, à titre d'exemple, le BASIC, le COBOL, le PASCAL et le FORTRAN.
Un deuxième niveau de langage, qui peut être désigné comme niveau intermédiaire, comporte des éléments mnémo- techniques qui correspondent plus explicitement aux opérations que l'ordinateur doit accomplir. Ainsi, dans l'extrait susmen- tionné, LDY signifie «load index Y with memory» (charger le registre d'index Y avec la mémoire), et STA signifie «store accumulator in memory» (mémorisation de l'accumulateur). Ce niveau intermédiaire est décrit comme un langage d'assemblage.
Un troisième niveau de langage, le bas de gamme, est parfois appelé langage machine ou code machine. Il existe deux ver sions du langage machine qui sont pertinentes en l'espèce: un système de notation hexadécimale et un système de notation binaire. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de décrire les deux systèmes en détail; qu'il me suffise de dire que le système de notation hexadécimale est fondé sur un système numérique utilisant seize symboles de base, tandis que le système de notation binaire est fondé sur un système numérique ayant deux symboles de base. Le système de notation hexadécimale n'est qu'une façon plus courte d'écrire le code binaire. Il est utilisé parce qu'il emploie moins de caractères et qu'il est par conséquent moins encombrant que le système binaire.
La notation binaire n'utilise que les symboles «1» et «O». La notation hexadécimale utilise les dix chiffres «0» à «9» ainsi que les six premières lettres de l'alphabet, «A» à «F».
Les programmes en cause ont initialement été écrits en langage d'assemblage. En voici un extrait, cité par le juge de première instance à la page 6 C.P.R.:
LDY #$2F
BNE CLRSC2
LDY #$27
STY V2
LDY #$27
LDA #$00
STA COLOUR
JSR VLINE
Le programme a alors été converti en langage machine. En l'espèce, on a choisi la notation hexa- décimale. La forme hexadécimale de l'extrait pré- cité est la suivante la page 8 C.P.R.]:
AO 2F
DO 02
AO 27
84 2D
A9 00
85 30
20 28
Le juge de première instance, à la page 9 C.P.R., a conclu:
En fait, c'est la forme binaire du langage machine que l'ordinateur «comprend». La suite de 1 et de 0 peut être
représentée dans l'ordinateur comme deux états: «électrique- ment allumé» et «électriquement éteint» (ou correspondant à des niveaux de voltage élevé et bas).
À titre d'exemple, elle a mentionné [aux pages 8 et 9 C.P.R.] que:
... l'instruction LDY en code d'assemblage susmentionnée, qui s'exprimait sous les signes AO en notation hexadécimale, deviendrait en notation binaire 1010 0000.
Pour qu'un programme puisse être utilisé par un ordinateur, il faut donc qu'il soit converti en une série d'états «électrique- ment allumé» et «électriquement éteint», soit un code électrique correspondant à la notation binaire du programme. Cela peut se faire de plusieurs façons puisque, une fois écrit, un pro gramme peut être inscrit sur plusieurs supports matériels. Il suffit que le support matériel puisse refléter deux états distincts capables de correspondre aux I et aux 0 du code binaire.
Le juge de première instance a alors discuté de plusieurs modes de conversion à un code électri- que, par exemple, l'utilisation de bandes ou de cartes perforées dans lesquelles un trou représente le chiffre un et l'absence d'un trou un zéro, ou vice versa; l'emploi de bandes ou de disques magnéti- ques sur lesquels la présence d'une charge magné- tique désigne le chiffre un et son absence un zéro, ou vice versa. Tous ces signes peuvent être lus par la machine, qui est munie de détecteurs captant la présence ou l'absence de lumière ou d'une charge magnétique. Elle a poursuivi, à la page 10 C.P.R.:
La preuve a montré qu'on pouvait considérer la mémoire interne de l'ordinateur comme une série de boîtes aux lettres (casiers) disposées en formation rectangulaire, dans lesquelles l'information est emmagasinée sous la forme d'octets (huit uns et zéros par casier). Au niveau de la structure électrique, la mémoire de l'ordinateur est un circuit intégré capable de retenir, grâce à ses circuits, une combinaison d'états électriques de haut et de bas voltage. Ce code électrique correspond en tous points au programme écrit en notation binaire:
[TRADUCTION] Vous pouvez vous représenter huit transis tors, disposés en rangée, et ces transistors pourraient en quelque sorte être utilisés dans la construction du dispositif pour représenter l'information qui doit être emmagasinée ... (Transcription des notes sténographiques, vol. I, p. 49).
Il existe deux types de mémoire interne de l'ordinateur, soit la mémoire vive (RAM) et la mémoire morte (ROM). La mémoire vive ou mémoire à accès sélectif est volatile. Lorsque le courant est coupé, tout ce qui a été placé en mémoire vive est effacé. Ainsi, un programme chargé, à partir d'une disquette souple, dans la mémoire vive interne d'un ordinateur afin de préparer une déclaration d'impôt disparaîtrait de la mémoire interne de l'ordinateur si l'on coupait le courant; il en serait de même des montants de revenus ou des calculs d'impôt qu'on aurait pu obtenir en utilisant le programme. La mémoire morte (ROM), d'autre part, est de nature permanente, et tout ce qui est emmagasiné dans celle-ci n'est pas effacé lorsque le courant est coupé. La différence entre les deux types de mémoire
s'explique ainsi: alors que les huit transistors de la mémoire vive peuvent basculer en position allumée ou éteinte (c'est-à-dire représenter soit un un ou un zéro, selon les instructions du programme ou les données qui y sont emmagasinées), les transistors des cellules mémoire des microplaquettes de mémoire morte (ROM) ont été «brûlés» et donc structurés de façon permanente de façon à ne transmettre qu'un seul ensem ble d'instructions. Voilà pourquoi la mémoire morte peut seule- ment être «lue»; il est impossible d'écrire d'autres informations sur celle-ci, contrairement au cas de la mémoire vive.
Les microplaquettes dont il est question en l'espèce sont des microplaquettes ROM. Le juge de pre- mière instance a poursuivi, aux pages 11 et 12 C.P.R.:
Lorsqu'un programmeur ou un fabricant d'ordinateurs désire que le programme soit inscrit sur une mémoire morte (ROM), il expédie une copie du programme en langage machine (hexa- décimal ou binaire) à un fabricant de mémoires mortes (ROM). Le fabricant de mémoires mortes (ROM) Apple II a aussi exigé que le programme soit fourni sur au moins deux supports différents (soit un ruban de papier perforé et une disquette souple) pour en faciliter la vérification. Une combi- naison est alors inscrite dans les cellules de mémoire de la microplaquette par un processus photolithographique qu'il n'est pas nécessaire de décrire en détail aux fins des présents motifs. La combinaison créée dans la microplaquette de la mémoire morte (ROM) correspond à la combinaison binaire du pro gramme écrit. Ainsi, la microplaquette est structurée de telle sorte qu'elle puisse reproduire le programme ou une partie de celui-ci dans sa forme de code électrique comme cela est nécessaire, chaque fois qu'un courant électrique passe la boîte aux lettres] appropriée de la mémoire morte (ROM).
Après avoir traité des autres composantes de l'ordinateur et rejeté l'argument que les program mes en cause n'étaient que de simples spécifica- tions pour les pièces d'une machine, le juge de première instance a conclu, à la page 16 C.P.R.:
... le programme ... garde encore ce caractère à l'intérieur de l'ordinateur. Il peut être «extrait» de la mémoire morte ou lu chaque fois que cela est nécessaire. Un programme «désassem- bleur» est souvent utilisé à cette fin. Ainsi, la version en code hexadécimal des programmes Autostart ROM et Applesoft peut facilement être affichée à l'écran de contrôle ou reproduite sur papier s'il y a «lecture» directe de celle-ci à partir des microplaquettes respectives. De plus, cette forme hexadécimale du programme peut subséquemment être convertie en sa ver sion en langage d'assemblage du code source original sans grande difficulté.
Finalement, il vaut la peine de noter, en ce qui a trait aux faits, que les programmes n'ont pas été copiés sous leur forme écrite, bien que l'on ait admis les avoir copiés en très grande partie; ils ont plutôt été copiés directement à partir des micropla- guettes au moyen d'un procédé permettant la pro duction de microplaquettes en grande partie iden- tiques aux microplaquettes originales.
LES QUESTIONS EN LITIGE
Les appelants fondent leur opposition au juge- ment porté en appel sur les motifs suivants:
1. Le rejet de la prétention que les programmes en langage machine constituaient simplement des ins tructions relatives à la fabrication des micropla- guettes était incompatible avec toute la preuve ainsi qu'avec une conclusion de fait précédemment tirée par le juge de première instance.
2. Le juge de première instance a commis une erreur de droit en concluant que le langage machine, qu'il soit binaire ou hexadécimal, consti- tue une «traduction» du langage d'assemblage au sens de l'alinéa 3(1)a).
3. Le juge de première instance a commis une erreur de droit en concluant que les programmes inscrits sur les microplaquettes constituent au sens du paragraphe 3(1) de la Loi sur le droit d'auteur des reproductions des programmes machines dans leur version écrite et, en particulier, en concluant que le paragraphe 3(1) n'exige pas d'une reproduc tion qu'elle se présente sous une forme lisible par l'homme.
4. Le juge de première instance a commis une erreur de droit en concluant que les microplaquet- tes des appelants constituaient des organes portant atteinte à un droit d'auteur au sens de l'alinéa 3(1)d).
1. LE CODE MACHINE NE CONSTITUE QU'UNE SÉRIE DE SPÉCIFICATIONS RELATIVES À LA FABRICATION D'UNE MICROPLAQUETTE
Cette objection ne m'apparaît réellement pas aider la cause des appelants. En fait, il ne m'appa- raît pas que la prétention visée ait été rejetée.
La conclusion contraire précédente sur laquelle on s'appuie est la conclusion précitée tirée de la page 11 du recueil publiant le jugement, qui décrit la manière dont la copie en langage machine d'un programme est utilisée dans la fabrication d'une microplaquette ROM. J'ai été incapable de trou- ver dans le jugement de première instance une conclusion selon laquelle la version en langage machine d'un programme machine sert à autre chose qu'à faciliter l'inscription matérielle du pro gramme sur une microplaquette, un disque, une
bande ou un autre support. Cette étape est essen- tielle à l'utilisation du programme par un ordina- teur, et, à ce que j'ai appris, la rédaction initiale du programme avait pour seul objet une telle utilisation.
La question en jeu, telle que l'énonce avec préci- sion et, à mon avis, de manière exacte, le juge de première instance aux pages 180 C.F.; 19 C.P.R.:
... se résume à la question suivante: un programme informati- que qui provient d'un texte écrit, dans le sens normal et habituel de ces termes, mais qui a une dimension (comme cela ressort des faits susmentionnés) qui n'est pas traditionnellement liée à ces textes, continue-t-il d'être protégé par le droit d'au- teur lorsqu'il ... est inscrit dans un dispositif conçu pour fournir une réplique de ce code.
Je ne puis voir comment une telle objection est pertinente à la question prémentionnée. Il n'est pas allégué que le droit d'auteur dans la version en langage machine des programmes ait été violé. Les appelants n'ont pas fabriqué leurs microplaquettes en se fondant sur les instructions du langage machine. Aucune analogie ne peut être établie entre la situation en l'espèce et celle mettant en jeu la recette de tourte au lapin de Mme Beaton.
2. LE LA NGAGE MACHINE N'EST PAS UNE TRADUCTION
Le juge de première instance, avec raison, a écarté comme non pertinent le fait que la conver sion d'un programme d'un langage ou d'un code machine à un autre est appelée [TRADUCTION] «traduction» dans le jargon de la programmation informatique. Elle a, toutefois, conclu que la con version des programmes en cause du langage d'as- semblage dans lequel ils avaient été initialement écrits en langage machine hexadécimal constituait une traduction au sens de l'alinéa 3(1)a).
3. (1) Pour les fins de la présente loi, le «droit d'auteur» désigne le droit exclusif de produire ou de reproduire une œuvre, ou - une partie importante de celle-ci, sous une forme matérielle quelconque ... ; ce droit comprend, en outre, le droit exclusif
a) de produire, reproduire, représenter ou publier une tra- duction de l'œuvre;
En tirant une telle conclusion, elle a été influencée par l'analogie existant entre la conversion d'un texte en code morse ou en langage sténographique et la définition du terme anglais «translation» («traduction»). Concernant cette dernière question, elle a dit aux pages 181 C.F.; 20 C.P.R.:
... je constate que le terme anglais «translation» est défini comme suit dans The Concise Oxford Dictionary (6° éd., 1976):
[TRADUCTION] Exprime le sens (d'un mot, d'une phrase, d'un discours, d'un livre, d'un poème, ...) dans une autre langue, ou dans une autre forme de représentation... [C'est moi qui souligne.]
La conversion d'un code à un autre est manifestement visée par cette définition.
Il est axiomatique que le droit d'auteur protège l'expression d'une idée mais non l'idée exprimée. Ce principe a été énoncé par le président Thorson dans la décision rendue dans l'affaire Moreau, Alfred v. St. Vincent, Roland, [1950] R.C.E. 198, à la page 203.
[TRADUCTION] Je crois qu'un principe élémentaire du droit relatif aux droits d'auteur veut qu'il n'existe aucun droit d'au- teur sur les idées mais seulement sur la présentation qu'on en donne. Juridiquement, l'auteur ne jouit d'aucun monopole ni droit de propriété sur l'usage des idées dont il se sert, même si elles sont originales. Son droit d'auteur se limite à l'oeuvre littéraire qui est l'expression de ses idées. Celles-ci sont du domaine public, mais l'ceuvre littéraire lui appartient person- nellement. N'importe qui peut adopter et utiliser à volonté ses idées mais nul ne peut plagier son œuvre sans son consentement.
Cette déclaration a été approuvée expressément par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Cuisenaire v. South West Imports Limited, [1969] R.C.S. 208, aux pages 211 et suivantes.
Le sens d'un mot, d'une phrase, d'un discours, d'un livre ou d'un poème, pour employer les exem- ples figurant dans la définition de dictionnaire qui précède, est l'idée qu'il ou qu'elle exprime. Il s'en- suit que, pour les fins de la Loi sur le droit d'auteur, le terme anglais «translation» («traduc- tion») ne peut constituer l'expression d'un tel sens sous «une autre forme de représentation».
En ce qui a trait aux analogies, le juge de première instance a poursuivi aux pages 182 C.F.; 20 et 21 C.P.R.:
On peut tirer une analogie de la conversion d'un texte en code morse. Si une personne se met à convertir un texte en une série de points et de traits selon le code morse, il serait possible d'alléguer que la notation qui en résulte consiste en réalité en des instructions adressées au télégraphiste sur la façon de transmettre le message. Mais, à mon avis, le message écrit en code morse conserve toujours le caractère de l'oeuvre originale. Il ne s'agit pas d'une œuvre littéraire différente. De même, on pourrait décrire un texte écrit en sténographie comme une description des sons du texte si celui-ci était lu à haute voix (puisque la sténographie est fondée sur la phonétique); mais cela n'en ferait pas une œuvre littéraire différente de la version manuscrite.
Je suis d'accord avec le juge de première instance pour dire que la conversion d'un texte en code morse ou en sténographie ne produit pas une oeuvre littéraire distincte et que. le texte ainsi converti conserve le caractère de l'eeuvre originale. Une telle conclusion n'implique toutefois pas que la conversion ainsi faite soit une traduction pour les fins de la Loi. Une personne connaissant le code morse ou le système sténographique utilisé qui lirait à voix haute la version résultant de la conversion réciterait le texte original mot à mot. J'estime qu'une telle conversion ne constitue pas une traduction au sens de la Loi sur le droit d'auteur. Il s'agit plutôt d'une reproduction de l'original, et le droit à l'établissement d'une telle reproduction appartenait, lui aussi, en exclusivité au titulaire du droit d'auteur protégeant l'original.
Le succès de cette opposition des appelants n'aide cependant pas leur cause.
3. LES MICROPLAQUETTES NE CONSTITUENT PAS DES REPRODUCTIONS
L'argument en l'espèce veut que les programmes inscrits sur les microplaquettes d'ordinateur ne soient aucunement des reproductions d'une oeuvre littéraire dans laquelle subsisterait le droit d'au- teur des intimées et que, subsidiairement, même si ceux-ci constituaient des reproductions au sens ordinaire, ils ne constitueraient pas des reproduc tions selon le contexte de la Loi sur le droit d'auteur puisqu'ils ne se présentent pas sous une forme lisible par l'homme. L'argument fondamen- tal qui nous est soumis semble s'appuyer en grande partie sur les jugements rendus par la majorité de la High Court of Australia dans l'affaire Compu ter Edge Pty Ltd y Apple Computer Inc (1986), 65 ALR 33, une décision qui a été publiée une fois rendu le jugement porté en appel. Mon collègue le juge MacGuigan, dans ses motifs de jugement en l'espèce, a distingué les faits en cause dans cet arrêt de ceux de la présente affaire et je souscris entièrement à l'opinion qu'il a émise sur ce point. Bien que je ne sois pas d'accord pour dire que les programmes inscrits sur les microplaquettes ROM peuvent être considérés comme des traductions au sens de la Loi sur le droit d'auteur, ils peuvent être considérés comme des reproductions des pro grammes originaux et, s'ils le sont, le résultat est le même: le droit exclusif de reproduire ces program mes, comme le droit de les traduire, appartenait aux intimées.
Il est clair que le juge de première instance s'est fondée en l'espèce sur la prémisse voulant que la reproduction à l'égard de laquelle un droit d'au- teur était réclamé et une violation alléguée était constituée de l'ensemble des circuits statiques des microplaquettes, non de la suite dynamique des impulsions électriques dictées ou permises par cet ensemble de circuits. Cette manière d'aborder la question me semble trouver un appui logique dans les motifs prononcés en l'espèce par mon collègue le juge MacGuigan, qui souligne, relativement à un contexte différent il est vrai, que les program mes originaux qui avaient fait l'objet d'un droit d'auteur étaient, «si l'on peut dire, des oeuvres à l'état statique, non des programmes en exploita tion» et que «l'activité se déroulant dans un ordina- teur en exploitation part de 1'[unité centrale de traitement], non des microplaquettes de mémoire, et [qu']on ne peut percevoir le fonctionnement de 1'UCT en examinant ces dernières». Je crois que le juge de première instance a eu raison d'aborder cette question comme elle l'a fait et, avec défé- rence, je suis d'avis que la distinction ainsi établie a des conséquences juridiques. Bien que n'ayant pas à analyser cette question plus avant, j'observe- rais que, eût-il été conclu que l'objet du droit d'auteur allégué s'étendait à la série dynamique d'impulsions électriques, la question de savoir si le droit d'auteur n'était réclamé qu'à l'égard de la «recette» ou visait la «tourte au lapin» elle-même pourrait se poser très concrètement.
L'article 3 de la Loi sur le droit d'auteur accorde au titulaire du droit d'auteur « ... le droit exclusif ... de reproduire une œuvre ... sous une forme matérielle quelconque». Le juge de première instance a examiné la jurisprudence pertinente ainsi que l'historique de telles dispositions législati- ves aux pages 190 et suivantes C.F.; 27 et suivan- tes C.P.R. de ses motifs. Il ne m'apparaît pas utile de le faire à mon tour. Qu'il me suffise de dire qu'elle a discuté de la décision rendue dans l'af- faire Boosey v. Whight, [1899] 1 Ch. 836, confir- mée par [1900] 1 Ch. 122 (C.A.), qui a conclu que les rouleaux perforés pour pianos ne pouvaient être considérés comme des copies contrefaites des feuil- les de musique dont ils étaient tirés selon la loi impériale sur le droit d'auteur en vigueur à l'épo- que et les modifications apportées par la Loi impé- riale de 1911 [Copyright Act, 1911, 1 & 2 Geo. V,
chap. 46 (R.-U.)], dont le libellé, à toutes fins pratiques, est reproduit tel quel aux articles 3 et 4 de la Loi canadienne actuelle. Je souscris entière- ment à sa conclusion tirée aux pages 193 C.F.; 29 C.P.R. selon laquelle:
...les premiers mots du paragraphe 1(2), devenu l'article 3 de la Loi, ont été rédigés intentionnellement de façon assez géné- rale pour comprendre les technologies nouvelles qui n'avaient pas encore été conçues au moment de l'adoption de la Loi.
et à sa conclusion tirée aux pages 194 C.F.; 30 C.P.R. selon laquelle:
... le programme des demanderesses, inscrit sur une micropla- quette ROM, est nettement visé par les premiers mots de l'article 3 de la Loi. Il s'agit véritablement de la production ou de la reproduction de l'ceuvre sous une forme matérielle ...
Rien dans la Loi n'exige expressément qu'une reproduction prenne une forme lisible par l'homme pour être protégée par un droit d'auteur ou pour porter atteinte à un droit d'auteur. La question, dans la mesure elle a été soulevée dans la jurisprudence postérieure à l'entrée en vigueur de la loi impériale de 1911, semble avoir été tranchée dans un contexte relatif à la preuve. Comme le juge de première instance, je suis très impressionné par l'observation faite par le vice-chancelier Megarry dans l'affaire Thrustcode Ltd. v. W.W. Computing Ltd., [1983] F.S.R. 502 (Ch.D.), à la page 505:
[TRADUCTION] Dans le cas des ordinateurs, comme pour bien d'autres choses, il faut comparer la chose apparemment copiée et celle qui est censée avoir été contrefaite. Si ces deux choses sont invisibles, elles doivent normalement être reproduites sous une forme visible ou perceptible de quelque façon, avant que l'on puisse déterminer si l'une d'elles est contrefaite.
En résumé, j'estime que les programmes machine Autostart ROM et Applesoft des intimées qui se trouvaient inscrits sur leurs microplaquettes ROM constituaient des reproductions des pro grammes machine écrits en langage d'assemblage dans lesquels il est reconnu que leur droit d'auteur a subsisté. Les appelants ont copié ces reproduc tions et ainsi porté atteinte au droit d'auteur des intimées protégeant les programmes en cause.
4. LES MICROPLAQUETTES, DES ORGANES PORTANT ATTEINTE AU DROIT D'AUTEUR
Le juge de première instance a conclu aux pages 198 C.F.; 34 C.P.R.:
En outre, j'accorde un certain fondement à l'argument selon lequel, peu importe l'interprétation donnée aux premiers mots de l'article 3, la microplaquette ROM est visée par l'alinéa
3(1)d), en tant qu'organe au moyen duquel l'oeuvre peut être débitée. Comme nous l'avons déjà affirmé, le programme peut être exécuté sur l'écran du moniteur ou sur une impression destinée aux êtres humains. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de déterminer si le fait de «débiter» le programme à I'UCT répond aux exigences de l'alinéa 3(1)d).
Avec déférence, il m'est impossible de voir dans l'extrait qui précède la conclusion qu'il n'était pas nécessaire de trancher la question de savoir si les microplaquettes ROM étaient visées par l'alinéa 3(1)d). J'y vois plutôt la conclusion que ces micro- plaquettes étaient bel et bien visées par cet alinéa, puisque les programmes inscrits sur celles-ci peu- vent êtres débités au moyen d'une impression ou par affichage; la seule question non encore réglée serait celle de savoir si le fait que l'ceuvre soit débitée à l'UCT suffisait à les faire entrer dans le champ de cet alinéa. Ceci étant dit, considérant la décision que je propose relativement au troisième motif de contestation, je suis d'accord avec mon collègue MacGuigan pour dire qu'il n'est pas nécessaire de trancher cette question.
CONCLUSION
Conformément au sous-alinéa 52b)(1) de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10], je modifierais les jugements prononcés par la Division de première instance en limitant à Apple Computer, Inc. les redressements accordés et je rejetterais par ailleurs les appels avec dépens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN: Les appelants ont, pour employer une expression du langage courant, piraté deux programmes machines utilisés par les intimées dans leur ordinateur Apple II+. Il est avéré que les programmes en question, lorsque écrits, comme ils l'étaient à l'origine, à l'aide de lettres, de symboles et de chiffres connus sous le nom de code d'assemblage 6502, étaient des oeuvres littéraires originales protégées par le droit d'auteur, et il est avéré que le droit d'auteur dans ces oeuvres appartient à l'intimée Apple Computer, Inc. Les appelants n'ont cependant pas copié les programmes écrits en code d'assemblage. Ils n'ont copié aucun écrit. Ce qu'ils ont fait, c'est repro- duire, apparemment par des moyens mécaniques, l'ensemble des circuits électriques d'une micropla-
guette de silicium dans laquelle, par la magie de l'ordinatique, les programmes se trouvent inscrits. La question en litige est celle de savoir si les appelants ont violé le droit d'auteur des intimées sur les programmes du code d'assemblage.
Le juge Reed, de la Division de première ins tance, a répondu à cette question par l'affirmative. Ses motifs de jugement étudient cette question de façon à la fois complète et approfondie. Je souscris de façon générale aux conclusions du juge de première instance, mais tout en reconnaissant l'érudition dont ses motifs font montre, j'arrive à de telles conclusions au terme d'un cheminement quelque peu différent du sien.
La difficulté principale que j'ai rencontrée en l'espèce procède du caractère anthropomorphique de presque tout ce qui est pensé, dit ou écrit au sujet des ordinateurs. Des mots tels «langage», «mémoire», «comprendre», «instruction», «lire», «écrire», «directive» et bien d'autres comme ceux-ci sont constamment utilisés. Ce sont des mots qui, selon leur sens premier, s'appliquent à des êtres cognitifs. Les ordinateurs ne sont point cognitifs. Les métaphores et analogies que nous utilisons pour décrire leurs différentes fonctions ne demeu- rent que des métaphores et des analogies.
Un ordinateur est un système hautement com- plexe de circuits électriques miniaturisés et inter connectés. Le génie particulier de cette invention tient au fait qu'un circuit électrique ne pouvant être qu'«allumé» ou «éteint», et une correspondance pouvant être établie entre ces deux états et les chiffres 0 et 1 de la notation binaire, toute fonction mathématique et tout code susceptibles d'être énoncés suivant un mode binaire peuvent être exé- cutés ou appliqués et mis en mémoire. La seule limite rencontrée, celle du nombre des circuits distincts qui peuvent être connectés les uns aux autres et logés à l'intérieur de la machine, est physique.
En conséquence, un programme machine, quelle que soit sa forme originale et quel que soit son objet, doit en dernière analyse pouvoir être réduit à un code capable d'être énoncé suivant une notation binaire. En termes simples, la personne assise devant le clavier d'un ordinateur qui appuie sur la lettre «a» ne déclenche pas mécaniquement (avec ou sans l'aide de l'électricité) le mouvement d'une
tige à caractère; cette personne relie plutôt entre eux une série de circuits électriques dont l'état correspond au chiffre de la notation binaire auquel a été attribuée arbitrairement la lettre «a» lesquels circuits, à leur tour, produiront ultimement l'affi- chage de la lettre «a» sur l'écran de contrôle ou l'impression de cette lettre.
Les programmes dont il est question en l'espèce, respectivement appelés Autostart ROM et Apple- soft, sont désignés sous le nom de programmes du système d'exploitation. Leur rôle consiste en grande partie à contrôler et à gérer les opérations internes de l'ordinateur lui-même. Ceci explique l'intérêt des appelants à les copier précisément. Il existe un nombre virtuellement illimité de maniè- res dont les ordinateurs des appelants comme ceux des intimées peuvent être programmés pour exécu- ter les fonctions faisant l'objet des programmes dont il est question en l'espèce. L'acheteur des ordinateurs des appelants ne sera cependant en mesure d'employer la plupart des nombreux logi- ciels disponibles qui ont été spécifiquement conçus pour être utilisés avec les machines des intimées que si les programmes du système d'exploitation de l'ordinateur acheté sont identiques en substance à ceux des appelants.
Ainsi que je l'ai déjà indiqué, les deux program mes ont initialement été écrits en code d'assem- blage. Normalement, un tel code, parce qu'il uti lise des éléments mnémotechniques, entretient des liens perceptibles avec le langage ordinaire. Pour prendre un exemple donné par le juge de première instance, l'indication LDY du code d'assemblage signifie «load index y with memory» (charger le registre d'index y avec la mémoire). Les program mes écrits en code d'assemblage ont alors été transposés en code machine. Ce dernier étant un code que la machine peut «lire», il doit, comme nous l'avons déjà expliqué, être exprimé en nota tion binaire.
La conversion de la description en langage ordi- naire de la fonction en langage de code d'assem- blage et la conversion effectuée à partir de ce dernier langage en code machine constituent des fonctions purement arbitraires, tenant beaucoup de la conversion de l'alphabet en code morse: une clé de code est appliquée à la source pour produire une version codée.
Par contre une conversion supplémentaire est souvent effectuée pour des fins de commodité: le code machine écrit selon la notation binaire est transposé en notation hexadécimale (fondée sur le chiffre 16). Cette conversion d'un système de nota tion à un autre est purement arithmétique. Elle est seulement effectuée parce qu'il est plus facile et moins fastidieux aux humains de lire et d'écrire en notation hexadécimale. C'est toutefois sous leur forme binaire que les programmes ont été et se trouvent transformés en une série de circuits élec- triques allumés et éteints inscrits sur une micropla- quette de silicium. La question peut donc être reformulée comme étant celle de savoir si les appe- lants, en copiant les microplaquettes de l'intimée, ont violé le droit d'auteur protégeant les deux programmes visés.
Le droit d'auteur est un droit accordé par une loi. Il existe seulement en vertu de la Loi sur le droit d'auteur'. Comme l'a déclaré le juge Estey au nom de la Cour dans l'arrêt Compo Company Ltd. c. Blue Crest Music Inc. et autres, [1980] 1 R.C.S. 357, aux pages 372 et 373:
... le droit d'auteur n'est pas régi par les principes de la responsabilité délictuelle ni par le droit de propriété mais par un texte législatif. Il ne va pas à l'encontre des droits existants en matière de propriété et de conduite et il ne relève pas des droits et obligations existant autrefois en common law. La loi concernant le droit d'auteur crée simplement des droits et obligations selon certaines conditions et circonstances établies dans le texte législatif.
Les droits du titulaire d'un droit d'auteur se trouvent exposés de façon succincte au paragraphe 3(1) de la Loi sur le droit d'auteur.
3. (1) Pour les fins de la présente loi, le «droit d'auteur» désigne le droit exclusif de produire ou de reproduire une oeuvre, ou une partie importante de celle-ci, sous une forme matérielle quelconque, d'exécuter ou de représenter ou, s'il s'agit d'une conférence, de débiter, en public, et si ('oeuvre n'est pas publiée, de publier l'ceuvre ou une partie importante de celle-ci; ce droit comprend, en outre, le droit exclusif
a) de produire, reproduire, représenter ou publier une tra- duction de l'ceuvre;
b) s'il s'agit d'une oeuvre dramatique, de la transformer en un roman ou en une autre oeuvre non dramatique;
c) s'il s'agit d'un roman ou d'une autre oeuvre non dramati- que, ou d'une oeuvre artistique, de transformer cette oeuvre en une oeuvre dramatique, par voie de représentation publi- que ou autrement;
d) s'il s'agit d'une oeuvre littéraire, dramatique ou musicale, de confectionner toute empreinte, tout rouleau perforé, film
' S.R.C. 1970, chap. C-30.
cinématographique ou autres organes quelconques, à l'aide desquels l'oeuvre pourra être exécutée ou représentée ou débitée mécaniquement;
e) s'il s'agit d'une oeuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique, de reproduire, d'adapter et de présenter publique- ment l'ouvrage par cinématographie, si l'auteur a donné un caractère original à son ouvrage. Si ce caractère original fait défaut, la production cinématographique jouit de la protec tion accordée aux oeuvres photographiques;
J) s'il s'agit d'une oeuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique, de transmettre cette oeuvre au moyen de la radiophonie;
le droit d'auteur comprend aussi le droit exclusif d'autoriser les actes mentionnés ci-dessus.
Le juge de première instance a découvert dans le texte qui précède différentes voies subsidiaires con- duisant à sa conclusion que les microplaquettes des appelants portaient atteinte au droit d'auteur des intimées sur les programmes du code d'assem- blage. Toutes ces voies me posent, à des degrés différents, des difficultés.
En premier lieu, je ne puis accepter, comme semble l'avoir fait le juge de première instance, que les microplaquettes des appelants constituaient une «traduction» des programmes des intimées, et contrevenaient à l'alinéa 3(1)a). Selon moi, le terme «traduction» y est utilisé dans son sens pre mier, qui est celui de la transposition dans une langue de quelque chose énoncé dans une autre langue. Accorder à ce mot sa signification plus étendue de l'expression de quelque chose à l'aide d'un support ou au moyen d'un mode de représen- tation différents me semble contredire le principe fondamental que le droit d'auteur protège non pas l'idée exprimée mais la forme de son expression. Ce principe trouve à son tour une application dans la règle bien connue qu'une traduction constitue elle-même une oeuvre littéraire originale protégée par le droit d'auteur et ce, peu importe que l'oeuvre traduite soit, pour sa part, protégée ou non par le droit d'auteur. La transposition d'une oeuvre litté- raire dans un code, par exemple le morse ou le braille, doit, à mon avis, être qualifiée de repro duction, non de traduction, de l'oeuvre transposée. En fait, les programmes des intimées se trouvant exprimés selon un code à l'origine, je ne vois pas ce qui nous justifierait de quelque manière de parler de traduction en ce qui les concerne. Le fait que le code machine et le code d'assemblage soient tous deux appelés «langages» ne constitue qu'une illus tration de plus de l'anthropomorphisme dont j'ai fait état au début des présents motifs.
En second lieu, le juge de première instance semble favorable à l'argument voulant que les microplaquettes des appelants constituent des organes à l'aide desquels l'ceuvre pourra être exé- cutée ou représentée ou débitée mécaniquement au sens de l'alinéa 3(1)d). encore, je ne puis souscrire à sa façon de voir. L'ceuvre protégée par le droit d'auteur, la version en code d'assemblage des programmes, est une oeuvre littéraire. Les termes «représentation» ou «exécution>» ou «audi- tion» se trouvent définis à l'article 2 de la Loi comme désignant:
2....
«représentation» ou «exécution» ou «audition» désigne toute reproduction sonore d'une oeuvre, ou toute représentation visuelle de l'action dramatique qui est tracée dans une oeuvre, y compris la représentation à l'aide de quelque instrument mécanique ou par transmission radiophonique.
Rien n'indique que les programmes en cause puis- sent faire l'objet d'une reproduction sonore ou contiennent une action dramatique; en fait, le con- traire semble presque aller de soi. Concernant la possibilité que les microplaquettes puissent être dites capables de «débit» des programmes, le juge de première instance, avec raison, ne s'est pas considérée obligée de conclure en se fondant sur la définition non exclusive du terme «débit» figurant à l'article 2 2 que seule une conférence pouvait faire l'objet d'un «débit». Dans le contexte de l'alinéa 3(1)d), toutefois, comme dans celui de la défini- tion du terme «débit», je ne puis que conclure que le terme «débitée» vise uniquement une communi cation établie par des moyens faisant appel à l'ouïe. Donner au terme «delivery» («débit») de la version anglaise son sens plus courant, celui d'une remise, conduirait à la conclusion quelque peu étonnante que le chariot (un «organe») à l'aide duquel me sont remis les livres de la bibliothèque ne pourrait être fabriqué que par le titulaire du droit d'auteur protégeant ces livres.
Finalement, et il est juste de dire que tel était le principal fondement de sa décision, le juge de première instance a conclu que les microplaquettes sur lesquelles étaient inscrits les programmes étaient des reproductions des programmes de code d'assemblage protégés par le droit d'auteur des intimées. Cette partie de son jugement, selon mon interprétation, me semble reposer principalement
2 «débit», se rapportant à une conférence, comprend le débit à l'aide d'un instrument mécanique quelconque.
sur l'interprétation des termes «sous une forme matérielle quelconque» figurant au début du para- graphe 3(1). Je suis d'accord pour dire que les microplaquettes des appelants constituent de telles reproductions mais je considère nécessaire d'expli- quer quelque peu le cheminement selon lequel j'en arrive à cette conclusion.
Il semblerait de prime abord évident que l'acti- vité consistant à produire ou à reproduire une oeuvre a nécessairement pour résultat une autre oeuvre. Selon l'article 4 de la Loi, le droit d'auteur ne peut exister que sur des oeuvres littéraires, dramatiques, musicales ou artistiques. Les pro grammes des intimées en code d'assemblage ne pourraient appartenir qu'à la catégorie des oeuvres littéraires, et il est effectivement avéré que ceux-ci constituent de telles oeuvres.
La seule caractéristique distinctive de l'ceuvre littéraire n'est pas sa qualité littéraire ou artistique mais simplement le fait qu'elle est écrite ou impri- mée. Dès 1916, moins de cinq ans après l'adoption de la Copyright Act, 1911 du Royaume-Uni, sur laquelle notre propre loi a été calquée, il a été dit dans l'affaire University of London Press v. Uni versity Tutorial Press, [ 1916] 2 Ch. 601:
[TRADUCTION] Quoique la loi ne définisse pas ce qu'est une oeuvre littéraire, l'art. 35 [au Canada, l'art. 2] dit ce que cela inclut; la définition n'est pas tout à fait exhaustive mais l'article a été conçu pour montrer ce qui, entre autres choses, doit être inclus dans la description d'une «oeuvre littéraire»: «les cartes, diagrammes, plans, tables et compilations sont assimilées à des `oeuvres littéraires'». Il peut être difficile de définir ce qu'est une «oeuvre littéraire» aux termes de cette loi, mais il semble clair que cela ne se limite pas à une «oeuvre littéraire» dans le sens l'on entend, par exemple, les romans de Meredith ou les écrits de Robert Louis Stevenson. Lorsqu'on dit de ces écrits que ce sont des oeuvres littéraires, on pense à leur qualité, à leur style et au poli littéraire qui en ressort. La loi de 1842, qui protégeait les «livres», protégeait par un droit d'auteur plusieurs écrits qui n'avaient aucune prétention littéraire, ainsi: une liste de contrats de vente enregistrés, une nomenclature de chiens courants et des saisons de chasse, des catalogues commerciaux; et je ne vois aucune raison de conclure qu'ont ait voulu, dans la présente loi, restreindre les droits des auteurs. À mon avis, l'expression «oeuvre littéraire» s'entend d'ouvrages écrits ou imprimés, indépendamment de leur qualité ou de leur style. Le terme «littéraire» semble être utilisé un peu comme le terme «littérature», lorsqu'on parle de littérature politique ou électo- rale en parlant d'un écrit ou d'un imprimé. Les copies d'examen sont, à mon avis, des «oeuvres littéraires» aux termes de la présente loi. (Le juge Peterson, à la page 608.) Cette déclara- tion a été approuvée par la Chambre des lords dans l'arrêt Ladbroke (Football) Ltd. v. William Hill (Football) Ltd., [1964] 1 W.L.R. 273.
Il me semble découler des propos qui précèdent que le résultat de l'activité consistant à produire ou à reproduire une oeuvre littéraire est nécessaire- ment une oeuvre littéraire, c'est-à-dire un ouvrage imprimé ou écrit.
Le problème soulevé par ce point en l'espèce est évident. Le droit d'auteur des intimées porte sur la version en code d'assemblage des programmes. Il est clair que cette version est un ouvrage imprimé ou écrit. Lorsque le programme se trouve reproduit en notation binaire ou hexadécimale, cette version constituée de chiffres et de lettres est également imprimée ou écrite et, en conséquence, est une oeuvre littéraire. Toutefois, lorsque la version en code binaire est transposée dans les circuits électri- ques ouverts et fermés d'une microplaquette de silicium, cette dernière ne peut être considérée comme une oeuvre littéraire puisqu'elle ne com- porte rien qui soit imprimé ou écrit.
Cela signifie-t-il que la reproduction de la microplaquette dans laquelle sont inscrits des pro grammes ne porte pas atteinte au droit d'auteur? Je ne le crois pas. Nous avons déjà vu que la loi définit le droit d'auteur comme désignant, entre autres, le droit exclusif de produire ou de repro- duire une oeuvre sous une forme matérielle quel- conque. J'estime qu'il est possible d'interpréter ces termes de manière à leur faire comprendre par déduction nécessaire le droit exclusif de produire le support sur lequel cette oeuvre sera reproduite ou, pour exprimer les choses autrement, le droit exclu- sif de produire tout ce qui peut être utilisé ou être destiné à être utilisé dans la reproduction de l'oeu- vre visée. J'estime qu'une telle interprétation non seulement est possible mais s'impose lorsque les termes introductifs du paragraphe 3(1) se trouvent replacés dans le contexte de l'ensemble de ce para- graphe et des autres articles de la Loi sur le droit d'auteur.
L'article 21 de la Loi m'apparaît particulière- ment révélateur à cet égard:
21. Tous les exemplaires contrefaits d'une œuvre protégée, ou d'une partie importante de celle-ci, de même que toutes les planches qui ont servi ou sont destinées à servir à la confection d'exemplaires contrefaits, sont considérés comme étant la pro- priété du titulaire du droit d'auteur; en conséquence, celui-ci peut engager toute procédure en recouvrement de possession ou concernant l'usurpation du droit de propriété.
Ainsi le titulaire du droit d'auteur n'est-il pas seulement considéré comme le propriétaire de tous les exemplaires portant atteinte à ce droit mais encore de toutes les planches ayant servi ou étant destinées à servir à leur confection. À titre de propriétaire, il se voit conférer le droit d'engager des procédures en recouvrement de leur possession ou de présenter une demande relativement à leur usurpation de son droit de propriété. La seule justification théorique possible de cette disposition doit être que la fabrication de telles planches, comme la confection des exemplaires contrefaits eux-mêmes, est une activité ne pouvant être exer- cée que par le titulaire du droit d'auteur.
La définition du terme «planche» figurant à l'article 2 est également utile:
2....
«planche» comprend toute planche stéréotypée ou autre, pierre, moule, matrice, cliché, transposition ou épreuve négative servant ou destinée à servir à l'impression ou à la reproduc tion d'exemplaires d'une oeuvre, ainsi que toute matrice ou autre pièce à l'aide de laquelle des empreintes, rouleaux perforés ou autres organes utilisés pour la reproduction sonore de l'oeuvre sont confectionnés ou destinés à l'être.
Le juge de première instance a conclu sur les faits que la microplaquette des appelants pouvait servir à produire une version hexadécimale des programmes des intimées sur l'écran ou dans l'im- primante d'un ordinateur. Que les microplaquettes soient visées ou non par la définition très étendue du terme «planche», cette définition elle-même ren- force l'argument voulant que le droit exclusif de produire ou de reproduire une oeuvre comprenne le droit exclusif de produire le support de cette reproduction.
Référence peut également être faite à l'article 10 de la Loi:
10. À l'égard des empreintes, rouleaux perforés et autres organes au moyen desquels des sons peuvent être reproduits mécaniquement, le droit d'auteur dure cinquante ans à compter de la confection de la planche originale dont l'organe est tiré directement ou indirectement; la personne qui était le proprié- taire de cette planche originale au moment cette dernière a été faite est réputée l'auteur de cet organe et lorsque le propriétaire est une corporation constituée, celle-ci est censée, pour les fins de la présente loi, résider dans les royaumes et territoires de Sa Majesté, si elle y a fondé un établissement commercial.
Ainsi la durée de validité d'un droit d'auteur protégeant un organe court-elle à compter de la confection de la «planche originale» et l'auteur d'une telle planche est-il réputé l'auteur de l'or-
gane protégé par le droit d'auteur. Ici encore, la seule justification théorique de cette disposition est que la confection de la planche originale (qui, peut-on noter, est distinguée de l'organe lui-même) est une activité que seul peut exercer le titulaire du droit d'auteur, si un tel droit existe, dans l'oeuvre qui peut être représentée, exécutée, jouée et débi- tée mécaniquement par l'organe en cause. Ce point a été établi clairement dans l'arrêt Compo Com pany Ltd. c. Blue Crest Music Inc. et autres, précité, l'appelante Compo avait confectionné des disques en utilisant une matrice fournie par Canusa et que cette dernière avait, elle-même, fait confectionner sans autorisation du titulaire du droit d'auteur sur l'ceuvre musicale en question. Le juge Estey a dit, à la page 374:
Ainsi, en fabriquant ou en faisant fabriquer par un autre la matrice à l'aide de laquelle le moule puis le disque ont été faits, Canusa aurait pu, si elle avait été autorisée par le titulaire du droit d'auteur sur ]'oeuvre musicale, devenir titulaire du droit d'auteur sur le disque. Mais elle a procédé à l'enregistrement de l'ceuvre musicale sans autorisation. Que le titulaire du droit d'auteur sur l'oeuvre musicale ait ou non accordé une licence autorisant l'enregistrement de ]'oeuvre, il est évident que ce n'est pas parce qu'elle a effectivement produit les disques, par pressage de la matrice en acétate (qui, en l'espèce, correspond à la planche ou matrice décrite aux art. 10 et 2 de la Loi) que Compo a juridiquement acquis un droit d'auteur sur le disque. Dans un tel cas, si l'enregistrement avait été autorisé, c'est le propriétaire de la matrice au moment elle a été faite, en l'occurrence Canusa, qui serait titulaire du droit d'auteur sur le disque. [Les soulignements sont ajoutés.]
Le texte de l'alinéa 17(2)6) de la Loi m'est également de quelque utilité:
17....
(2) Ne constituent aucune violation du droit d'auteur;
b) l'utilisation, par l'auteur d'une oeuvre artistique, lequel ne possède pas le droit d'auteur sur cette œuvre, des moules, moulages, esquisses, plans, modèles ou études qu'il a faits en vue de la création de cette oeuvre, à la condition de ne pas en répéter ou imiter par les grandes lignes.
Cet alinéa, comme tant d'autres dispositions de cette Loi, semble être un texte ad hoc conçu pour régler un problème particulier perçu par le législa- teur. Cette disposition ne peut cependant se justi- fier que si l'on adopte le point de vue que, sauf dans les situations visées par les termes établissant l'exception, les moyens de reproduction d'une oeuvre appartiennent exclusivement au titulaire du droit d'auteur sur cette oeuvre et ne peuvent être utilisés que par celui-ci.
Finalement, je fais référence à cet égard aux derniers mots du paragraphe 3(1) à la suite de l'énumération figurant dans les alinéas a) à f). Il ressort clairement de ces mots que seul le titulaire d'un droit d'auteur peut autoriser les actes énumé- rés dans ce paragraphe. Quiconque fabrique ou vend au public une chose conçue pour reproduire une oeuvre protégée par un droit d'auteur ou desti née à cette fin autorise implicitement l'acheteur à effectuer une telle reproduction. En l'espèce, comme l'a conclu le juge de première instance, les microplaquettes ROM utilisées dans l'ordinateur des appelants pouvaient servir à reproduire les programmes des intimées dans leur version écrite en code hexadécimal; dans ces circonstances, même si, contrairement à ce que j'ai suggéré, le moyen utilisé pour la reproduction ne constitue pas par lui-même une reproduction au sens du para- graphe 3(1), l'autorisation implicite visant la reproduction porte atteinte au droit d'auteur.
Je déciderais de l'appel ainsi que le propose M. le juge Mahoney.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN: Les présentes affaires, qui ont été débattues ensemble, concernent le droit d'auteur sur des programmes machine inscrits sur des microplaquettes de silicium.
Il est avéré que les intimées sont titulaires d'un droit d'auteur enregistré sur deux programmes, Autostart ROM (enregistrement 319465) et Applesoft (enregistrement 319468), qui ont été enregistrés le 8 octobre 1982, et que ces program mes, tels qu'ils se trouvent enregistrés, constituent des oeuvres littéraires susceptibles d'être protégées par le droit d'auteur. Il est également avéré que les appelants ont copié les deux programmes en cause. L'on soutient toutefois que de tels programmes, lorsqu'ils se trouvent inscrits sur des microplaquet- tes de silicium, ne peuvent faire l'objet d'un droit d'auteur. La question en litige est donc celle de savoir s'il existe un droit d'auteur sur des program mes machine se présentant d'une telle manière.
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Un ordinateur est un système complexe de circuits électriques intégrés et interconnectés. Il se com-
pose d'une plaquette dans laquelle ont été insérés ou soudés un certain nombre de composants élec- troniques communiquant entre eux au moyen de traces (appelées [TRADUCTION] «bus» Ou [TRA- DUCTION] «fils») gravées dans la plaquette. Les principaux composants électroniques du système sont les unités d'entrée/sortie, le microprocesseur ou unité centrale de traitement (UCT) et la mémoire.
La mémoire d'un ordinateur a aujourd'hui habi- tuellement pour support les microplaquettes de mémoire, des petites plaquettes de silicium d'envi- ron un quart de pouce carré chacune. La mémoire de type ROM («read only memory», [TRADUC- TION] «mémoire morte»), dont il est question dans les présentes affaires, ayant été gravée de façon permanente au moyen de circuits électriques, est structurée en permanence pour appliquer un pro gramme particulier, qui peut ensuite être lu (par opposition à la RAM ou mémoire vive, qui est effacée lorsque le courant est coupé). Les circuits de la mémoire morte sont constitués de transistors interconnectés qui ont été construits à même le silicium et incorporés à celui-ci. L'oeil humain ne peut en discerner la forme qu'avec l'aide d'un microscope électronique. Comme l'électricité ne connaît que deux états, [TRADUCTION] «allumé» et [TRADUCTION] «éteint», les transistors sont utilisés comme interrupteurs relativement à ces deux états. (Tous les circuits d'ordinateur remplissent en fait des fonctions arithmétiques et logiques fondées uniquement sur l'arithmétique binaire et l'algèbre booléenne.)
L'ensemble des circuits des ordinateurs se trou- vant ainsi limité, les programmes, pour pouvoir être utilisés par les ordinateurs, doivent être écrits sous la forme de la notation binaire (en utilisant les deux chiffres «1» et «0»), ou sous quelque forme dérivée de cette notation, telle la notation hexadé- cimale (qui utilise les chiffres «0 à ainsi que les lettres «A à F»).
Les programmes dont il est question dans les présentes affaires ont été écrits en langage d'as- semblage pour être inscrits sur des microplaquettes destinées à être intégrées à l'ordinateur Apple II+ des intimées comme instructions d'exploitation. Ces codes d'assemblage ont été enregistrés pour les fins du droit d'auteur par référence à leurs titres le 8 octobre 1982.
Les codes d'assemblage peuvent être qualifiés de langage de niveau intermédiaire. Un langage plus évolué aurait correspondu aux mathématiques ou à l'anglais ordinaire. Pour pouvoir être inscrit sur une microplaquette, toutefois, le langage d'assem- blage devait être transposé dans un langage de niveau encore moins élevé, le langage machine ou code machine (en l'espèce, la notation hexadéci- male).
Les programmes, tels qu'ils ont été enregistrés pour les fins du droit d'auteur, étaient particuliers à la machine, c'est-à-dire étaient écrits en langage d'assemblage 6502 pour être utilisés sur une UCT 6502, qui est constituée également d'une micropla- quette de silicium. (Chacun des types d'UCT offerts commercialement, et il y en a une douzaine ou plus, comporte un ensemble de circuits diffé- rents, ce qui fait que les codes auxquels réagissent ces différents types d'UCT sont tous distincts.) Les programmes Autostart ROM et Applesoft sont tous deux des programmes du système d'exploita- tion, le premier consistant en des procédures de lancement et le second en des procédures permet- tant à l'utilisateur de communiquer avec l'ordina- teur dans un langage évolué ou facile à lire.
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La Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, chap. 30 («la Loi») prévoit à son paragraphe 4(1) que «Sous réserve de la présente loi, le droit d'auteur existe au Canada ... sur toute oeuvre originale littéraire, dramatique, musicale ou artistique ...» Les dispositions de la Loi qui se trouvent principa- lement visées sont celles du paragraphe 3(1), qui est ainsi libellé:
3. (1) Pour les fins de la présente loi, le adroit d'auteur» désigne le droit exclusif de produire ou de reproduire une oeuvre, ou une partie importante de celle-ci, sous une forme matérielle quelconque, d'exécuter ou de représenter ou, s'il s'agit d'une conférence, de débiter, en public, et si l'oeuvre n'est pas publiée, de publier l'oeuvre ou une partie importante de celle-ci; ce droit comprend, en outre, le droit exclusif
a) de produire, reproduire, représenter ou publier une tra- duction de ]'oeuvre;
d) s'il s'agit d'une oeuvre littéraire, dramatique ou musicale, de confectionner toute empreinte, tout rouleau perforé, film cinématographique ou autres organes quelconques, à l'aide desquels l'oeuvre pourra être exécutée ou représentée ou débitée mécaniquement;
Dans une décision admirablement bien cons- truite rapportée à [1987] 1 C.F. 173; 10 C.P.R. (3d) 1, madame le juge Reed a conclu lors du procès que les programmes machines codés des intimées étaient protégés par le droit d'auteur. Elle a énoncé le point en litige de la manière suivante aux pages 180 C.F.; 19 et 20 C.P.R.:
Le point en litige se résume à la question suivante: un programme informatique qui provient d'un texte écrit, dans le sens normal et habituel de ces termes, mais qui a une dimension qui n'est pas traditionnellement liée à ces textes, continue-t-il d'être protégé par le droit d'auteur lorsqu'il est converti en sa version code électrique ou, de façon plus précise en l'espèce, lorsqu'il est inscrit dans un dispositif conçu pour fournir une réplique de ce code.
L'argument des défendeurs selon lequel la protection du droit d'auteur ne s'étend pas à cette forme comporte plusieurs facet- tes: (1) la version du programme en code hexadécimal n'est pas une traduction de la version en code source; (2) puisqu'il y a une relation univoque entre le programme en code source et son inscription dans la microplaquette, il y a fusion de l'idée et de l'expression de l'idée, fusion que le droit d'auteur ne couvre pas; (3) le libellé de la Loi sur le droit d'auteur [S.R.C. 1970, chap. C-30] ne couvre pas les programmes informatiques sous leur forme gravée sur microplaquettes; (4) il existe des principes impérieux de politique appuyant le refus d'étendre la protection du droit d'auteur en l'espèce, notamment en raison des restric tions possibles au commerce et d'un chevauchement possible avec la loi sur les brevets.
Elle s'est alors appliquée à traiter à la suite de chacun des arguments des défendeurs (appelants). Elle a conclu, en ce qui concerne l'argument relatif à la traduction, aux pages 181 et 182 C.F.; 20 et 21 C.P.R.:
Cet argument ne me convainc pas. En premier lieu, je constate que le terme anglais «translation» est défini comme suit dans The Concise Oxford Dictionary (6» éd., 1976):
[TRADUCTION] Exprime le sens (d'un mot, d'une phrase, d'un discours, d'un livre, d'un poème, ...) dans une autre langue, ou dans une autre forme de représentation ... [C'est moi qui souligne.]
La conversion d'un code à un autre est manifestement visée par cette définition.
On peut tirer une analogie de la conversion d'un texte en code morse. Si une personne se met à convertir un texte en une série de points et de traits selon le code morse, il serait possible d'alléguer que la notation qui en résulte consiste en réalité en des instructions adressées au télégraphiste sur la façon de transmettre le message. Mais, à mon avis, le message écrit en code morse conserve toujours le caractère de l'oeuvre originale. Il ne s'agit pas d'une oeuvre littéraire différente. De même, on pourrait décrire un texte écrit en sténographie comme une description des sons du texte si celui-ci était lu à haute voix (puisque la sténographie est fondée sur la phonétique); mais cela n'en ferait pas une œuvre littéraire différente de la version manuscrite.
À mon avis, la conversion d'une oeuvre en code, ou la conversion en un autre code d'une oeuvre écrite à l'origine dans un premier code constitue une traduction pour les fins de la Loi. De plus, comme nous l'avons souligné plus haut, le pro- grammeur qui crée un programme ne pense pas aux spécifica- tions de la microplaquette de mémoire morte (ROM) lorsqu'il écrit la version en code d'assemblage, ni au moment la notation en code hexadécimal est préparée. Le programmeur ne se préoccupe aucunement du support qui sera choisi pour contenir le programme. Par conséquent, il m'est difficile d'ac- cepter l'argument de l'avocat des défendeurs selon lequel la forme hexadécimale du programme constitue une oeuvre litté- raire différente et non une traduction de l'original.
Quand à l'argument selon lequel le droit d'au- teur ne s'étendrait pas aux programmes machine parce que celui-ci protège l'expression d'une idée plutôt que l'idée elle-même, et un programme machine inscrit sur une plaquette ROM serait la fusion de ces deux choses, elle a conclu aux pages 185 190 C.F; 23 à 27 C.P.R.:
Le programme, tel qu'il a été écrit originalement, peut être protégé par le droit d'auteur. En fait, il y a eu copie—le code qu'on peut lire à partir des microplaquettes des défendeurs est le même que celui qu'on peut lire sur les microplaquettes des demanderesses ... Le programme informatique, une fois écrit, est nettement une oeuvre littéraire. De plus, son inscription sur une microplaquette de silicium conserve la forme d'expression de l'oeuvre originale. Le programme, dans sa version code source, peut être extrait (lu) par un processus de traduction(s) à partir de la microplaquette ROM.
L'avocat prétend qu'en reproduisant ROM, les défendeurs ne font pas plus que suivre la recette prescrite dans le programme, c'est-à-dire qu'ils ont simplement fait la tourte au lapin de Mme Beeton. À mon avis, il serait plus exact de dire qu'ils ont copié le livre de recettes.
Que dire donc de l'argument de l'avocat selon lequel un programme informatique présente une fusion de l'idée et de l'expression de cette idée et par conséquent ne peut être protégé par le droit d'auteur? Il m'est très difficile d'accepter cet argument pour plusieurs raisons. Premièrement, si cet argu ment est valable, il est difficile de comprendre pourquoi il a été admis que la version code d'assemblage du programme peut être protégée par le droit d'auteur. S'il y a fusion de l'idée et de l'expression, alors elle doit sûrement exister non seulement dans la version code machine du programme mais également dans la version écrite du code d'assemblage. Deuxièmement, la portée précise du principe (s'il existe) selon lequel en cas de fusion de l'idée et de son expression, la protection du droit d'auteur ne s'applique pas, n'est pas du tout claire. Troisièmement, la preuve qu'il existe une multitude de formes d'expression pour écrire un programme donné me semble démontrer qu'il n'y a pas de fusion de l'idée et de l'expression de cette idée en ce qui concerne les programmes en cause.
Les exemples donnés à l'appui de l'application du principe de fusion sont des formules telles que E = mc 2 , le théorème de Pythagore, ou diverses preuves algébriques. Il se peut que ces
exemples démontrent simplement que l'idée particulière qui est exprimée est en vérité un renseignement sur le monde extérieur (en reconnaissant que E = mc 2 est en effet une hypothèse) et que les renseignements basés sur des faits sont quelque chose que le droit d'auteur ne protège pas. À mon avis, il y a analogie, par exemple, entre une déclaration comme «le premier ministre du Canada a rencontré le président des États-Unis le 17 mars» et «le carré de l'hypoténuse dans un triangle rectangle est égal à la somme des carrés des deux autres côtés». Aucune de ces phrases en tant que telle, extraites d'un texte elles peuvent figurer, ne pourrait être protégée par le droit d'auteur. L'exem- ple des preuves algébriques conduit, il me semble, à une discussion quasi philosophique sur la nature de la pensée intel- lectuelle. C'est une discussion qu'une cour, d'instance supé- rieure à la présente, peut juger nécessaire mais que je trouve suffisante en elle-même en constatant qu'un programme infor- matique n'est semblable à aucun des exemples cités. Il ne s'agit pas d'une déclaration qui rend compte d'un fait. Ce n'est pas comparable à une preuve algébrique. C'est une création au même titre qu'un manuel. Bien que le droit d'auteur n'empêche pas une personne de faire la tourte au lapin de M"'° Beeton (en fait, c'est pour inviter les gens à la faire que le livre intitulé Mrs. Beeton's Book of Household Management a été publié), il empêche la personne de copier le livre lui-même. L'ordre dans lequel les recettes sont données, la forme et l'expression de ces dernières sont à proprement parler l'objet du droit d'auteur. Cet ordre, cette forme, ce modèle d'expression du programme des demanderesses se trouvent dans ROM et ils sont copiés lorsque les défendeurs copient ROM.
Une autre application du principe de fusion a prévalu aux États-Unis et il convient de l'examiner. Cette application semble avoir pris son origine dans l'affaire Baker v. Selden, 101 U.S. 99 (1879), citée dans plusieurs décisions rendues au »commonwealth» mais sans cependant retenir la portée globale de l'affaire Baker v. Selden. Celle-ci portait sur le droit d'au- teur revendiqué à l'égard d'un livre qui décrivait un nouveau système de comptabilité et en particulier de nouvelles formules de comptabilité (consistant en certaines lignes et titres souli- gnés). La Cour a statué que l'emploi du livre par le défendeur et la mise au point de formules propres à lui ne portaient pas atteinte au droit d'auteur du demandeur, c'est-à-dire qu'il n'y avait pas de plagiat substantiel. Mais la Cour est allée plus loin en faisant une distinction entre les œuvres de science ou d'instruction et les autres types d'oeuvres. Elle a affirmé ce qui suit: lorsque la technique utile ne peut être employée qu'en utilisant les formules ou les schémas qui ont servi à l'expliquer, ces derniers ne sont pas protégés par le droit d'auteur.
La Cour a donc établi un principe bien plus large que ne l'imposait le contexte; elle a affirmé que les formules dans le livre n'étaient pas protégées par le droit d'auteur.
Il me semble que cette évolution de la loi sur le droit d'auteur n'a pas été suivie au Canada. En effet, le rejet de cette évolution semble implicite dans la décision rendue par la Cour d'appel dans l'affaire Bulman Group (The) Ltd. c. Alpha One -Write Systems B.C. Ltd. et autre (1981), 54 C.P.R. (2d) 179, et dans la décision subséquente de la Division de première instance Bulman Group Ltd. (The) c. «One Write» Accounting Systems Ltd., [1982] 2 C.F. 327; 62 C.P.R. (2d) 149. Dans ces deux affaires, il était question de la possibilité de protéger des formules comptables par le droit d'auteur. La revendication du
droit d'auteur pour de telles formules avait été rejetée par la Division de première instance à la suite d'une demande d'in- jonction interlocutoire. La Cour d'appel a infirmé cette décision en indiquant que l'affaire était très contestable. À la suite de l'instruction, il a été statué qu'il y avait droit d'auteur (il n'y eut pas d'appel à la suite de cette décision).
En tout état de cause, je ne suis pas convaincu qu'il existe une fusion de l'idée et de l'expression de cette idée dans un programme informatique. Le fait qu'un programme peut être écrit sous une variété de formes, que le même programmeur n'écrirait pas le programme de la même façon deux fois de suite, que le support pour inscrire ce programme n'est pas d'une grande importance pour le programmeur, tout cela indique que pour les programmes informatiques, on ne peut faire exception à la protection du droit d'auteur en invoquant le principe de fusion (s'il existe).
Au sujet de l'argument fondé sur la loi, elle a conclu aux pages 194 198 C.F.; 30 34 C.P.R.:
À mon avis, le programme des demanderesses, inscrit sur une microplaquette ROM, est nettement visé par les premiers mots de l'article 3 de la Loi. Il s'agit véritablement de la production ou de la reproduction de l'ceeuvre sous une forme matérielle, tout comme un disque ou une cassette est la production ou la reproduction d'une ouvre sous une forme matérielle. (Je n'ou- blie pas qu'un article distinct de la Loi porte sur le droit d'auteur protégeant les disques.)
J'estime que le critère de la «lisibilité» ou de la «perception visuelle» relevé dans la jurisprudence signifie simplement qu'il doit y avoir une façon de comparer visuellement l'oeuvre appa- remment protégée par le droit d'auteur et l'ouvre qui est censée la contrefaire, afin de déterminer s'il y a eu plagiat. Puisque les programmes peuvent être «lus» à partir de la microplaquette ROM et ensuite comparés aux autres, ce critère est donc présent en l'espèce. Je partage à cet égard l'opinion exprimée par le juge Megarry dans Thrustcode Ltd. v. W.W. Computing Ltd., [1983] F.S.R. 502 (Ch.D.), à la page 505:
[TRADUCTION] Dans le cas des ordinateurs, comme pour bien d'autres choses, il faut comparer la chose apparemment copiée et celle qui est censée avoir été contrefaite. Si ces deux choses sont invisibles, elles doivent normalement être repro- duites sous une forme visible ou perceptible de quelque façon, avant que l'on puisse déterminer si l'une d'elles est contrefaite.
Normalement ... il faudra avoir recours à des impressions ou à une autre preuve documentaire du programme apparem- ment copié et du programme qui est censé avoir été contre- fait, ou de parties suffisantes de chacun.
Si je comprends bien les arguments des défendeurs, leur avocat prétend que même s'il n'est pas nécessaire que la reproduction elle-même puisse être lue par un être humain, l'objet ultime de la reproduction doit être de communiquer l'oeuvre au public. Le disque ou la cassette produit, à l'aide d'une machine, des sons destinés à l'oreille humaine, tandis que la principale fonction de la microplaquette ROM n'est pas la communication de données aux humains. Comme nous l'avons déjà affirmé, elle peut être utilisée à cette fin et dans certains cas, elle l'est effectivement, mais ce n'est pas le principal but visé.
À mon avis, l'article 3 lui-même répond aux arguments de l'avocat fondés sur les circonstances entourant l'adoption de la Loi et sur le texte précis des articles en question. L'article 3 prévoit que «"le droit d'auteur" désigne le droit exclusif de produire ou de reproduire une oeuvre ... sous une forme matérielle quelconque». J'estime que cela vise expressément le programme inscrit sur la microplaquette ROM. Il n'y a rien dans l'article 3 de la Loi sur le droit d'auteur qui permette de tirer une conclusion différente.
Je trouve l'argument basé sur l'alinéa 3(1)d) peu convain- cant. C'est une lame à double tranchant. On peut tout aussi bien se demander pourquoi les premiers mots de l'article 3 ont été rédigés de façon aussi générale si le Parlement avait l'inten- tion de ne viser que les enregistrements ou les organes produi- sant des sons ou permettant la communication aux êtres humains. Les renvois aux définitions ne sont pas convaincants. Ces dernières ne servent qu'à définir un aspect particulier de la façon dont les conférences sont débitées; il n'y a aucune défini- tion globale de ce dernier mot. La définition de «représentation» n'est pas pertinente puisque personne n'a suggéré qu'elle s'ap- pliquait en l'espèce. De plus, j'ai de la difficulté à comprendre la distinction que fait l'avocat entre les programmes produisant quelque chose qui apparaît à l'écran et les autres (notamment ROM). Lorsque «quelque chose» apparaît à l'écran, il ne s'agit pas du programme (c'est-à-dire que ce n'est pas l'original ou une version hexadécimale de celui-ci). Le programme demeure invisible à moins d'être décomposé par un procédé de traduc- tion semblable à celui utilisé pour «lire» ROM.
Concernant le quatrième argument, elle a conclu qu'aucun motif de politique ne l'obligeait à refuser d'étendre la protection du droit d'auteur à l'espèce, aux pages 200 et 201 C.F.; 35 et 36 C.P.R.:
Quant au premier argument, la Loi sur le droit d'auteur a toujours eu pour but de créer un certain monopole. Elle ne contient aucune distinction relative à l'objectif visé par ]'oeuvre créée, que ce soit le divertissement, l'enseignement ou autre. À mon avis, la Loi avait deux buts: encourager la publication d'oeuvres, pour «l'avancement de la science», et protéger et récompenser les efforts intellectuels des auteurs, pendant un certain temps. Un livre est un article offert sur le marché, tout comme le sont une carte ou un tableau. L'interprétation faite par les défendeurs, selon laquelle la Loi ne visait pas à influen- cer les pratiques commerciales, est inexacte et donne à la Loi un sens différent de celui qui ressort de son libellé.
Pour ce qui est du second argument, après lecture de la doctrine et de la jurisprudence citées par l'avocat je conclus que les programmes informatiques ne sont pas brevetables en soi mais qu'un appareil ou un procédé qui répond aux normes de nouveauté et de non-évidence prévues par la Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, chap. P-4, ne sera pas exclu de la protection des brevets du simple fait qu'un ordinateur est employé pour l'exploitation de l'appareil ou l'application du procédé. De plus, je ne pense pas que le chevauchement de différentes lois soit si inhatibuel (voir le domaine de la responsabilité délictuelle et contractuelle). Je ne crois pas non plus que les tribunaux soient
tenus de rendre des décisions qui permettent d'éviter de tels chevauchements. En outre, je remarque qu'en l'espèce, il ne s'agit pas d'un programme à des fins spécifiques mais bien de l'exploitation d'un ordinateur à des fins générales. Je dois toutefois avouer que pour l'instant, je ne vois pas le besoin de faire la distinction entre les deux. Je souligne que dans l'affaire Thrustcode (précitée, à la page 194), le juge Megarry n'a pas jugé bon de faire pareille distinction.
Finalement, elle s'est référée à la fois à la tendance jurisprudentielle étrangère et à la ten- dance canadienne à étendre la protection du droit d'auteur dans de tels cas, aux pages 203 C.F.; 38 C.P.R.:
Dans plusieurs ressorts les règles du droit d'auteur ne diffèrent pas tellement des nôtres, un nombre croissant de décisions tendent à affirmer que les programmes informatiques, sous forme de code machine, sont protégés par le droit d'auteur applicable dans ce ressort (Sega Enterprises Limited v. Richards and Another, [1983] F.S.R. 73 (Ch.D.); Thrustcode Ltd. v. W.W. Computing Ltd., précitée, aux p. 194 C.F.; 41 C.P.R.; Northern Office Microcomputers (Pty) Ltd. v. Rosens- tein, [1982] F.S.R. 124 (S.C. Afr. du Sud); Apple Computer Inc v Computer Edge Pty Ltd. [(1984), 53 A.L.R. 225 (C.F.)].). Cette nouvelle tendance est non seulement populaire à l'étranger mais aussi au pays (Apple Computer Inc. v. Computermat Inc. (1983), 1 C.I.P.R. 1 (H.C. Ont.); Apple Computer Inc. c. Minitronics of Canada Ltd. et autres (1985), 7 C.P.R. (3d) 104 (C.F. i" inst.), confirmée à (1985), 8 C.P.R. (3d) 431 (C.A.F.); Société (La) d'Informatique R.D.G. Inc. c. Dynabec Ltée et al. (1984), 6 C.P.R. (3d) 299 (C.S. Qué.); F & I Retail Systems Ltd. v. Thermo Guard Automotive Products Canada Ltd. et al. (décision non publiée de la Cour suprême de l'Ontario, rendue le 26 juin 1984); Logo Computer Systems Inc. c. 115778 Canada Inc. et al. (décision non publiée rendue par la Cour supérieure du Québec, le 25 octobre 1983); Nin- tendo of America, Inc. c. Coinex Video Games Inc., [1983] 2 C.F. 189 (C.A.), qui traite de la question de façon accessoire; Spacefile Ltd. v. Smart Computing Systems Ltd. et al. (1983), 75 C.P.R. (2d) 281 (H.C. Ont.).)
Le juge de première instance a très justement analysé la tendance ayant prévalu jusque-là en jurisprudence et, n'eût été de la décision de la High Court of Australia dans l'affaire Computer Edge Pty Ltd y Apple Computer Inc (1986), 65 ALR 33, qui a été publiée au cours de la semaine qui a suivi la décision du juge de première ins tance, il n'aurait peut-être pas été nécessaire pour cette Cour d'ajouter quoi que ce soit à ses motifs de jugement. Toutefois, dans l'arrêt Computer Edge, la Cour australienne a, dans une affaire identique, conclu à trois contre deux qu'aucune atteinte n'avait été portée au droit d'auteur. Les appelants, dans la plaidoirie qu'ils ont présentée devant cette Cour, se sont appuyés fortement sur les trois jugements rendus par les juges de la
majorité dans cette affaire, en particulier sur les motifs prononcés par le juge Deane.
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Chacun des quatre juges de la High Court austra- lienne qui a jugé cette question a conclu que les programmes sources ou programmes d'assemblage pouvaient bénéficier de la protection du droit d'au- teur. Ce point est reconnu par les appelants dans les présentes affaires.
Le juge en chef Gibbs et le juge Brennan de la majorité ont tous deux conclu que, selon la Copy right Act, 1968 (Cth), 63 australienne, les programmes objets inscrits dans les ROM, comme les programmes sources, devaient être des oeuvres littéraires et que, n'étant pas [TRADUCTION] «pré- sentés par écrit», ils ne remplissaient pas cette condition. Le juge Deane s'est dit d'accord avec ce point de vue relativement aux programmes objets. Les juges Mason et Wilson, dans leurs opinions dissidentes, ont été d'accord pour dire que les programmes objets devaient eux-mêmes être des oeuvres littéraires mais se sont dit en désaccord avec l'opinion voulant que ces programmes doivent être présentés par écrit.
Cette Cour doit certainement considérer comme définitive l'interprétation de la Loi australienne de 1968, qui suit la Loi anglaise de 1956 [Copyright Act, 1956, 4 & 5 Eliz. II, chap. 74 (R.-U.)], par la plus haute Cour de ce pays; cela ne veut cependant pas dire que la Loi canadienne, qui, elle, s'inspire plutôt de la Loi anglaise de 1911, devrait être interprétée de la même manière. La Loi austra- lienne diffère de la nôtre en établissant un ensem ble fragmenté de droits reliés au droit d'auteur plutôt qu'en procédant au moyen d'une déclaration unique et complète.
Toutefois, j'estime que le principal élément dis- tinguant les affaires en l'espèce de l'affaire Com puter Edge est exprimé dans l'observation suivante des juges Mason et Wilson, à la page 45:
[TRADUCTION] La question de savoir si le programme objet est véritablement constitué de la série d'impulsions électriques emmagasinées dans les ROM ou plutôt de la description écrite en notation binaire ou hexadécimale n'est pas très claire. Toutefois, la présente affaire a été instruite en tenant pour établie la première de ces hypothèses plutôt que la seconde
. Nous avons l'intention de trancher la présente affaire sur ce fondement puisque, devant cette Cour, aucun point n'a été soulevé à cet égard. [Les soulignements sont ajoutés.]
Il est vrai que le juge en chef Gibbs applique sa conclusion que les programmes objets n'étaient pas des oeuvres littéraires à la fois à la série dynamique d'impulsions électriques et au réseau statique des circuits. Le juge Brennan semble cependant abor- der cette question uniquement en fonction d'un ordinateur en exploitation. Il dit, par exemple, aux pages 54 et 55:
[TRADUCTION] Les charges électriques constitutives des pro grammes objets ne peuvent être vues ou touchées ou entendues ou, si elles le peuvent, elles ne communiquent point les lettres de l'oeuvre littéraire originale, les programmes sources. Ces charges électriques, d'ailleurs, ne communiquent pas non plus les lettres ou les chiffres par lesquels un programme objet peut être représenté ... Le langage d'assemblage 6502 n'est pas un langage mais un code. Même si ce code était considéré comme pouvant faire l'objet d'une «traduction» dans un autre langage, il n'a pas été ainsi traduit: il est clair que les charges électriques constituant les programmes objets ne forment point un langage. Qualifier de telles charges électriques—sans doute assez utile- ment, dans le contexte de l'ordinatique—de «langage lisible par une machine» équivaut à confondre métaphore et réalité. La machine ne saisit aucunement la pensée, que le langage a pour objet essentiel de transmettre; et le fait qu'un microprocesseur soit activé par une séquence de charges électriques de façon prévisible n'implique pas qu'il ait compris ou exécuté un ordre quelconque.
Le point de vue du juge Deane est encore plus radical. Il a dit, à la page 60:
[TRADUCTION] La programmation d'une mémoire morte (ROM) s'effectue électriquement. Cette programmation ayant un caractère fonctionnel et n'étant point perceptible à l'oeil nu, c'est par l'étude du fonctionnement électrique effectif et non par l'observation visuelle que l'on pourra vérifier la program- mation d'une ROM.
Il a ajouté, à la page 63:
[TRADUCTION] Le réarrangement des électrons dans une ROM programmée n'est pas visible à l'oeil nu. La ROM programmée peut, dans un ordinateur en exploitation, servir de commutateur permettant la confection d'une sortie imprimée ou l'affichage visuel de ce qu'il serait préférable de qualifier d'oceuvre litté- raire» pour les fins de l'espèce. Toutefois, considéré isolément, indépendamment de l'ampleur de la portée donnée à cette expression, l'arrangement (ou la série) des électrons ou des charges électriques dans la microplaquette de silicium ne cons- titue pas une «oeuvre littéraire». Il ne se présente pas par écrit. Il ne prend pas la forme d'un langage compréhensible. Il ne peut être lu. Il ne peut être vu. Il n'est pas non plus conçu ou produit pour être lu ou pour être vu. Il s'agit—et tel est l'objet pour lequel il a été conçu et produit—d'un attribut d'une pièce en fonctionnement d'une machine en exploitation.
C'est relativement à l'affichage visuel ou à l'im- primé que les réseaux de circuits statiques conte- nus dans les microplaquettes peuvent produire que les juges Brennan et Deane sont venus le plus près de considérer ces réseaux comme un langage. Le
juge Deane a qualifié d'[TRADucTION] «inversion au plan logique» la page 63) la prétention selon laquelle un tel produit pouvait être une traduction ou une reproduction bénéficiant de la protection du droit d'auteur.
Le point de vue adopté par le juge Deane me semble plus radical parce qu'il refuse de considérer les microplaquettes programmées comme autre chose qu' [TRADUCTION] «un attribut d'une pièce en fonctionnement d'une machine en exploitation». Pour lui, [TRADUCTION] «c'est par l'étude du fonc- tionnement électrique effectif ... que l'on pourra vérifier la programmation d'une ROM». Il n'est donc point possible d'examiner un tel objet à l'état statique: seul son aspect dynamique, celui d'une machine en exploitation, peut être considéré.
Les appelants ont accepté ce point de vue et l'ont développé. Il est avéré que les programmes machine peuvent être catégorisés selon leur fonc- tion comme étant soit des programmes d'applica- tion soit des programmes du système d'exploita- tion. Les programmes d'application sont conçus pour exécuter une tâche particulière au profit de l'utilisateur, par exemple effectuer le traitement de texte, balancer les livres ou jouer un jeu, tandis que les programmes du système d'exploitation ont pour objet de gérer l'exécution des fonctions inter nes de l'ordinateur ou de faciliter l'emploi des programmes d'application. Il est également avéré que les deux programmes machine visés dans les affaires en l'espèce sont des programmes du sys- tème d'exploitation.
La prétention ultime des appelants voulait qu'in- dépendamment du droit régissant les programmes d'application, les programmes des systèmes d'ex- ploitation, constituant entièrement une procédure ou une méthode d'exploitation, ne puissent être protégés par un droit d'auteur.
* * *
J'estime qu'il n'est point nécessaire pour cette Cour de décider si, considérées sous un aspect dynamique ou selon la procédure dont elles assu- rent l'application, les microplaquettes ROM sont protégées par le droit d'auteur. Pour les fins des affaires en l'espèce, il est uniquement nécessaire de noter que le point de vue qui précède est incompa tible avec les conclusions du juge de première instance, qui n'ont pas été contestées avec succès.
Les témoignages des témoins des intimées, qui ont été acceptés par le juge de première instance, voulaient que les programmes en question soient, en permanence, inscrits sur des microplaquettes, qui constituent des organes de stockage permanent intégrés à l'ordinateur Apple II+. Le doyen J. W. Graham s'est exprimé de la manière suivante à ce sujet dans son affidavit, Dossier d'appel, appen- dice commune I, pages 171 et 172:
[TRADUCTION] (a) Je connais bien l'ordinateur Apple I1+, pour l'avoir utilisé et étudié depuis des années. Les programmes APPLESOFT et AUTOSTART ROM sont contenus dans six microplaquettes ROM entrant dans des bornes femelles situées dans le «fond de panier» (plaquette à circuit imprimé) de l'ordinateur Apple II+. Les microplaquettes ROM sont des appareils de stockage permanents conçus pour être branchés sur les plaquettes à circuits imprimés qui se trouvent à l'intérieur des ordinateurs. Ces appareils sont génériques au sens ils se trouvent «à l'état brut» au terme de leur fabrication. À l'état brut, la microplaquette comporte un ensemble de circuits connus sous le nom de décodeurs, circuits qui ont été conçus pour localiser les zones de mémoire qui s'y trouvent situées et livrer leur contenu au microprocesseur. Le fabricant de la ROM inscrit les programmes machines de son client dans la zone mémoire des ROM. Il n'est pas nécessaire, pour les fins du présent affidavit, :de traiter de la technologie utilisée dans la fabrication des ROM. À ce point-ci, il est seulement important de dire que les ROM, comme leur nom l'indique (mémoires mortes), sont des microplaquettes spécialisées, qui ont été conçues pour servir de supports de stockage pour des program mes ou des données. Elles sont permanentes au sens tous les programmes et toutes les données s'y trouvant inscrits y demeu- rent que le courant soit allumé ou éteint. Les programmes et les données qui s'y trouvent inscrits peuvent être lus par les ordina- teurs et leur contenu peut être affiché ou imprimé dans diffé- rentes langues et dans différents langages par l'ordinateur. Ils peuvent également être lus à l'aide d'un microscope. Il existe de nombreux autres dispositifs permanents de stockage servant souvent de supports à des programmes machines. Certains de ceux-ci sont conçus de manière à être placés dans l'ordinateur lui-même (où ils se trouvent branchés sur la plaquette à circuit imprimé) tandis que d'autres sont conçus pour être placés sur un support externe pouvant être mis en mémoire par l'ordina- teur. Dans l'ordinateur Apple II+, ces programmes, toutefois, sont inscrits dans six microplaquettes ROM branchées dans le fond de panier.
Le juge de première instance a observé que la preuve d'experts des appelants portait sur le fonc- tionnement d'un ordinateur sous l'angle du maté riel et a rejeté un tel point de vue aux pages 14 à 17 C.P.R.:
Dans le cadre de cet accent sur l'ordinateur conçu comme une machine électrique, l'avocat des défendeurs m'a invité à définir un programme comme de simples spécifications pour les pièces d'une machine. Je n'accepte pas cette définition. Il est clair que lorsqu'un programmeur écrit un programme, il songe aux instructions à donner à l'ordinateur en termes de déplace- ment de l'information entre certains registres et d'accomplisse-
ment de certaines opérations sur cette information. En ce sens, ce n'est pas se montrer insouciant que de concevoir un pro gramme comme un manuel d'instructions, mais adressé à l'UCT de l'ordinateur plutôt qu'à un autre être humain. Le programmeur qui écrit un programme, comme ceux qui sont en cause, ne pense pas aux niveaux de voltage, aux portes logiques, à la mise en condition des circuits de I'UCT, ou à la nécessité de fournir des spécifications au fabricant de microplaquettes de mémoire morte pour la construction des microplaquettes. En fait, le support sur lequel le programme se retrouvera à la fin (cartes perforées, bandes magnétiques ou microplaquettes de silicium) ne le préoccupe pas. Il pense que l'ordinateur com- porte un certain nombre de registres, qu'il peut accomplir un certain nombre d'opérations limitées, et qu'il peut déplacer l'information entre les emplacements.
Non seulement le programme écrit est-il une sorte de manuel d'instructions, mais il garde encore ce caractère à l'intérieur de l'ordinateur. Il peut être «extrait» de la mémoire morte ou lu chaque fois que cela est nécessaire. Un programme «désassem- bleur» est souvent utilisé à cette fin. Ainsi, la version en code hexadécimal des programmes Autostart ROM et Applesoft peut facilement être affichée à l'écran de contrôle ou reproduite sur papier s'il y a «lecture» directe de celle-ci à partir des microplaquettes respectives. De plus, cette forme hexadécimale du programme peut subséquemment être convertie en sa ver sion en langage d'assemblage du code source original sans grande difficulté. En fait, c'est cette possibilité d'extraire de la mémoire morte (ROM) les programmes qui y figurent qui permet de comparer les programmes gravés dans les mémoires mortes du Microcom, du Mackintosh et de l'Apple II+ en l'espèce—afin de déterminer s'il y a eu copie. (Il faut dire que les microplaquettes des ordinateurs Microcom et Mackintosh ne sont pas techniquement des mémoires mortes (ROM), mais des mémoires mortes programmables et effaçables (EPROM); ce fait n'a cependant aucune pertinence en l'espèce.)
Même si les programmes peuvent être «extraits» de la mémoire morte (ROM), et c'est ce qui arrive occasionnelle- ment lorsque des personnes en font ainsi la lecture afin de diagnostiquer le mauvais fonctionnement d'un ordinateur, il ne s'agit pas de leur fonction première. Comme cela ressort de ce qui a été dit plus haut, les programmes informatiques sont conçus d'abord pour les fins de «communication» avec des ordinateurs. Qui plus est, ils sont utilisés pour porter l'ordina- teur (l'UCT) à accomplir certaines opérations (effectuer des calculs; créer et exploiter une banque de données; faciliter le traitement de textes). Aucune autre forme d'écriture ne se manifeste de cette façon, et il faut effectivement reconnaître que ce pouvoir de déclencher des opérations nous fait sortir des catégories conceptuelles normalement associées à la nature d'un texte écrit.
Dans ses conclusions, citées plus haut, le juge de première instance a adopté le point de vue voulant que la gravure permanente des programmes dans les microplaquettes d'ordinateur constituait une véritable traduction de ces programmes.
Les appelants n'ont pas réussi devant nous à susciter un doute sur le point de vue du juge de
première instance qui a mis l'accent sur le logiciel. En effet, le point de vue selon lequel les micropla- guettes programmées ne constituent que des attri- buts d'une pièce en fonctionnement d'une machine en exploitation semble contraire au sens commun. Les programmes originaux qui ont fait l'objet de l'enregistrement étaient, si l'on peut dire, des oeuvres à l'état statique, non des programmes en exploitation. Lorsqu'une comparaison est faite afin d'établir si les microplaquettes de mémoire sont soit des reproductions soit des traductions des oeuvres originales, il n'est que raisonnable que celles-ci soient, elles aussi, considérées dans leur état statique. De plus, l'activité se déroulant dans un ordinateur en exploitation part de l'UCT, non des microplaquettes de mémoire, et on ne peut percevoir le fonctionnement de l'UCT en exami- nant ces dernières. On peut toutefois, à l'aide d'un microscope électronique, découvrir la configura tion des circuits électriques et, ainsi, lire le code, qui se révélera être, bien que sous une forme matérielle différente, une réplique exacte du code d'assemblage.
Mon point de vue se trouve étayé par le fait que les programmes des appelants qui ont donné lieu aux allégations de violation du droit d'auteur sont eux-mêmes produits et vendus à l'état statique; aussi, est-ce dans cet état qu'ils devraient être mis en comparaison.
Demeure l'argument constituant une variante de l'approche axée sur le procédé utilisé, argument qui a été présenté par les appelants à l'égard des programmes des systèmes d'exploitation. Cette manière d'aborder la question a été examinée par la U.S. Court of Appeals, Third Circuit dans l'arrêt Apple Computer, Inc. v. Franklin Compu ter Corp., 714 F.2d 1240 (1983), une décision récente qui n'a apparemment pas été portée à l'attention du juge de première instance. Certaines des opinions de la Cour ont spécifiquement trait à la loi américaine, mais je crois que la déclaration suivante faite par le juge de circuit Sloviter au nom de la Cour constitue une réponse générale- ment valide à un tel argument la page 1251):
[TRADUCTION] Comme seules les instructions sont protégées, il n'y a pas davantage «procédé» parce que les instructions conte- nues dans un programme du système d'exploitation peuvent être utilisées pour déclencher le fonctionnement de l'ordinateur que ce ne serait le cas si les instructions visées étaient écrites en anglais ordinaire dans un manuel décrivant les étapes nécessai- res à la mise en fonctionnement d'une machine compliquée.
Rien ne justifie donc que la protection conférée par le droit d'auteur aux instructions d'un programme du système d'exploi- tation soit inférieure à celle qui est conférée aux instructions d'un programme d'application.
L'argument de Franklin selon lequel un programme du sys- tème d'exploitation fait partie d'une machine, qui a été accueilli par la Cour de district, met erronément l'accent sur les caracté- ristiques physiques des instructions. Le médium n'est cependant pas le message. Nous avons déjà examiné et rejeté certains aspects de cette prétention dans l'analyse relative au code machine et à la ROM. Le seul fait que le programme du système d'exploitation se trouve gravé sur une ROM ne fait de ce programme ni une machine, ni une pièce de machine ou son équivalent. De plus, comme l'a déclaré un des témoins de Franklin dans son témoignage, un système d'exploitation n'a pas besoin de se trouver en permanence dans la ROM de la machine, mais peut figurer sur un autre support, tel une disquette ou un ruban magnétique, d'où il pourrait être facile- ment transféré dans l'espace de la mémoire intermédiaire de l'ordinateur.
En dernière analyse, il n'existe aucun motif pour lequel les microplaquettes programmées de quel- que catégorie que ce soit devraient être examinées pour les fins du droit d'auteur autrement que dans leur état matériel statique. Ainsi considérées, ces microplaquettes bénéficient toutes de la protection du droit d'auteur soit en qualité de traduction soit en qualité de reproduction exacte du langage d'assemblage.
Les appelants ont soutenu que les microplaquet- tes de mémoire ne peuvent être des traductions parce qu'au sens propre une traduction est tou- jours une interprétation plutôt qu'une copie de chacun des éléments alors que, selon la théorie présentée par les intimées à leur sujet, les ROM constituaient des répliques exactes. (En fait, selon les termes utilisés devant nous par l'avocat des intimées, il s'agissait de versions [TRADUCTION] «code morse écrit en braille» des originaux.)
Il est certainement vrai que, compte tenu de l'ambiguïté normale du langage, les traductions ne sont ordinairement rien de plus que des interpréta- tions des textes originaux. En ce sens, la traduction peut être considérée comme un art plutôt que comme une science. Je suis cependant loin d'être convaincu qu'une version correspondant en tout point à l'original est à un moindre degré une traduction pour autant. Toutefois, je ne crois pas qu'il soit nécessaire pour cette Cour de se pronon- cer de façon définitive sur ce point, les micropla- guettes ROM constituant soit des traductions soit
des reproductions et remplissant les conditions du paragraphe 3(1) dans un cas comme dans l'autre. A tous autres égards, les motifs de décision du juge de première instance devraient être confirmés.
Je ne crois pas que nous devions davantage que ne l'a fait le juge de première instance la page 198) nous prononcer sur l'argument des intimées que les microplaquettes ROM sont visées par l'ali- néa 3(1)d) de la Loi en ce qu'elles constituent des organes à l'aide desquels les œuvres peuvent être débitées.
En conséquence, je déciderais de l'appel ainsi que le propose mon collègue le juge Mahoney.
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