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A-1666-83
Aleksandar Glisic (appelant)
c.
La Reine (intimée)
RÉPERTORIÉ: GLISIC C. CANADA
Cour d'appel, juges Urie, Mahoney et Stone— Toronto, 11 septembre; Ottawa, 1 er octobre 1987.
Pratique Plaidoiries Biens saisis et confisqués parce qu'ils avaient été introduits au Canada en contrebande ou clandestinement, contrairement à la Loi sur les douanes Il a été invoqué dans la défense des dispositions particulières, notamment l'art. 192 portant sur la contrebande À l'ins- truction, après la clôture des plaidoiries, la Couronne a fait valoir que, compte tenu des faits, l'affaire relevait des art. 18 et 180 de la Loi Ni l'un ni l'autre de ces articles n'avaient été invoqués dans ses plaidoiries Les règles de procédure visent à assurer la bonne administration de la justice et à protéger les plaideurs La Couronne ne saurait s'appuyer sur des dispositions qui n'avaient pas expressément été invo- quées sans avoir préalablement modifié la plaidoirie.
Douanes et accise Loi sur les douanes Allégation que la saisie et la confiscation de biens étaient légales parce que ceux-ci avaient été introduits au Canada en contrebande ou clandestinement, contrairement à la Loi Il a été invoqué des dispositions particulières, notamment l'art. 192 portant sur la contrebande À l'instruction, après la clôture des plaidoiries, la Couronne a fait valoir que, compte tenu des faits, l'affaire relevait des art. 18 et 180 de la Loi Ni l'un ni l'autre de ces articles n'avaient été invoqués dans ses plaidoiries Il n'est pas loisible à la Couronne d'invoquer un nouveau moyen de défense.
Appel est interjeté du jugement par lequel la Division de première instance a rejeté l'action intentée par l'appelant pour recouvrer les bijoux qui avaient été saisis et confisqués par la douane. La défense a invoqué un seul motif, savoir que les biens avaient légalement été saisis et confisqués parce qu'ils avaient été introduits au Canada en contrebande ou clandestinement, contrairement à la Loi sur les douanes. L'intimée a invoqué des dispositions particulières de la Loi, notamment l'article 192 qui porte sur la contrebande de marchandises. Toutefois, à l'ins- truction, après que les deux parties eurent clôturé leurs plaidoi- ries, l'intimée a fait valoir devant le juge que, compte tenu de la preuve, l'affaire relevait des articles 18 et 180 de la Loi et que la saisie et la confiscation étaient légales lors même qu'on rejetterait l'idée qu'ils avaient été introduits au Canada en - contrebande. Ces dispositions n'avaient pas été invoquées dans ses plaidoiries. Le juge de première instance a accepté le témoignage de l'appelant lorsque celui-ci a affirmé qu'il n'avait pas déclaré les biens à ses retours au pays, et il a conclu que, dans ces circonstances, les bijoux avaient légalement été confis- qués sous le régime du paragraphe 180(1). La question se pose de savoir s'il était loisible à l'intimée de s'appuyer sur des dispositions législatives qui n'avaient pas été invoquées dans ses plaidoiries.
Arrêt (le juge Mahoney étant dissident): l'appel devrait être accueilli.
Le juge Stone: Il s'agit d'une action à laquelle les règles habituelles de procédure s'appliquent. Ces règles visent à assu- rer la bonne administration de la justice et à protéger les plaideurs. C'est faire échec à cette fin que de prendre au dépourvu un demandeur en invoquant à la dernière minute du procès un moyen qui n'a pas expressément été invoqué. La Règle 409b), qui prévoit qu'une partie doit plaider spécifique- ment une question qui, si elle n'est pas spécifiquement plaidée, pourrait prendre la partie opposée par surprise, a été conçue pour éviter une telle situation. Le demandeur ne devrait pas avoir à deviner quelles dispositions, à part celles expressément invoquées, peuvent être citées par la défense à l'instruction. Il n'était pas loisible à l'intimée, sans avoir préalablement modifié la plaidoirie, d'invoquer à titre subsidiaire les articles 18 et 180 de la Loi.
Le juge Urie: On ne saurait tolérer une tactique de surprise du genre en question sans protéger les droits de l'autre partie, particulièrement dans une action découlant de la saisie des biens de la partie qui conteste cette mesure. Que l'appelant ait ou non la chance de repousser avec succès la nouvelle allégation n'est pas pertinent. Ce qui est pertinent, c'est qu'on doit agir équitablement à son égard.
Le juge Mahoney (dissident): Les plaidoiries étaient accepta- bles. L'appelant a prétendu que les bijoux avaient légalement été introduits au Canada. Toutefois, il ne s'est pas acquitté de l'obligation de prouver son allégation. L'intimée a exactement invoqué le motif pour lequel elle a effectué la saisie et la confiscation. Le juge de première instance n'a pas donné effet à une défense qui n'avait pas été équitablement soulevée; il a simplement décidé que l'appelant ne s'était pas acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chap. C-40, art. 18, 161(1), 165, 166(1), 180, 192(1),(3).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 409b).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
In re Robinson's Settlement, Gant v. Hobbs, [ 1912] 1 Ch. 717 (C.A.); La Reine c. Transworld Shipping Ltd., [1976] 1 C.F. 159; (1977), 12 N.R. 129 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
The King v. Bureau, [1949] R.C.S. 367.
DÉCISION CITÉE:
James v. Smith, [1891] 1 Ch. 384. A COMPARU:
Aleksandar Glisic pour son propre compte.
AVOCAT:
Michael Duffy pour l'intimée. PROCUREUR:
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.
Appelant pour son propre compte: Aleksandar Glisic, Toronto.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE: J'ai pris connaissance des motifs de jugement de mes deux collègues. Je suis d'ac- cord avec ceux rédigés par mon collègue le juge Stone, et je voudrais simplement ajouter ce qui suit.
L'une des raisons pour lesquelles une action doit comporter des plaidoiries et un interrogatoire des parties, c'est qu'il faut éviter que les allégations prennent l'une des parties par surprise. Ainsi que le juge Stone l'a si clairement exposé, il ressort de la teneur complète tant des négociations entre l'appelant et les agents de douane que des plaidoi- ries échangées par les parties que l'intimée, pour saisir les biens litigieux, s'est exclusivement appuyée sur l'allégation que l'appelant les avait introduits au Canada en contrebande ou clandesti- nement—allégation que ce dernier a rejetée avec vigueur. Les agents en cause ont rejeté l'idée d'un renvoi devant la Division de première instance de cette Cour, ce qui a obligé l'appelant à intenter la présente action pour se faire entendre par la Cour. Au procès, lorsque, semble-t-il, l'avocat de l'inti- mée a senti qu'il ne pouvait plus justifier la pre- mière allégation, il a invoqué un autre moyen sans avoir demandé ni obtenu l'autorisation de modifier les plaidoiries de sa cliente, et sans solliciter l'ajournement de l'affaire pour permettre à l'appe- lant de préparer sa défense à l'égard de la nouvelle allégation ou pour l'aider de quelque façon que ce soit à répondre au nouveau moyen invoqué contre lui. Si l'appelant avait retenu les services d'un avocat compétent, au lieu de s'occuper lui-même de l'affaire, l'une ou l'autre des mesures susmen- tionnées auraient indubitablement été demandées au juge de première instance.
J'estime qu'on ne saurait tolérer une tactique de surprise de ce genre sans protéger les droits de
l'autre partie, particulièrement dans une action découlant de la saisie des biens de la partie qui conteste cette mesure. Que l'appelant ait ou non la chance de repousser avec succès la nouvelle alléga- tion n'est pas pertinent. Ce qui est pertinent, c'est qu'on doit agir équitablement à son égard. Cela étant, le jugement frappé d'appel doit être infirmé. Je suis d'avis de statuer sur l'affaire de la manière proposée par le juge Stone.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY (dissident): Appel est interjeté du jugement par lequel la Division de première instance [[1984] 1 C.F. 797] a rejeté avec dépens l'action que l'appelant a intentée pour recouvrer trois bijoux, évalués à 5 000 $, qui avaient été saisis et confisqués lors de son retour des vacances qu'il avait passées au Brésil en avril 1980. La saisie reposait sur l'allégation que les bijoux avaient été introduits au Canada en contre- bande ou clandestinement, contrairement au para- graphe 192(3) de l'ancienne Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chap. C-40, modifiée.
Le juge de première instance a accepté le témoi- gnage de l'appelant lorsque celui-ci a affirmé que les bijoux saisis lui appartenaient quand il a immi- gré au Canada en 1967, qu'il les avait apportés au Canada avec lui mais ne les avait pas déclarés comme l'exigeait l'article 18, parce qu'il ne savait pas, et qu'on ne lui avait pas dit, qu'il était tenu de le faire, et qu'il ne les avait pas déclarés à ses nombreux retours subséquents après les avoir apportés dans ses voyages à l'étranger. Le juge de première instance a conclu que, dans ces circons- tances, les bijoux avaient légalement été confisqués sous le régime du paragraphe 180(1).
18.... toute personne arrivant au Canada ... doit
b) ... faire connaître par écrit ... tous les effets dont elle a
la charge ou garde ...
180. (1) Lorsque la personne ayant la charge ou garde de quelque article mentionné à l'alinéa 18b) a omis de se confor- mer à l'une des exigences de l'article 18, tous les articles mentionnés à l'alinéa b) susdit et dont ladite personne a la charge ou garde, sont acquis légalement et peuvent être saisis et traités en conséquence.
Ni l'article 18 ni l'article 180 de la Loi n'ont été plaidés. La Cour a donc statué que les biens avaient légalement été saisis et confisqués, mais pour des motifs autres que ceux donnés lors de leur saisie et de leur confiscation et plaidés par l'intimée.
À mon humble avis, les plaidoiries, particulière- ment la défense, étaient acceptables. L'appelant a prétendu que les bijoux avaient légalement été introduits au Canada. Il lui appartenait de le prouver, mais il ne l'a pas fait. Au contraire, par son propre témoignage, il a prouvé qu'ils ne l'avaient pas été. L'intimée a exactement invoqué le motif pour lequel les biens avaient réellement été saisis et confisqués. Je ne vois pas comment elle aurait pu plaider différemment. En bref, selon mon interprétation de l'affaire, le juge de première instance n'a pas donné effet à une défense qui n'avait pas équitablement été soulevée; il a simple- ment décidé que l'appelant ne s'était pas acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait.
Je rejetterais le présent appel avec dépens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STONE: J'ai conclu que le présent appel devrait être accueilli. Cela étant, il ne m'est pas possible de souscrire à la conclusion tirée par le juge Mahoney dont le projet de motifs de juge- ment a été porté à ma connaissance.
L'appelant allègue ce qui suit dans sa déclara- tion manuscrite. Je vais citer ces allégations tex- tuellement, car leur intention est claire. Il appert que l'anglais n'est pas la langue maternelle de l'appelant. Les paragraphes 2 à 10 sont ainsi conçus:
[TRADUCTION] 2. À toutes les époques en cause, le demandeur possédait et était en droit de posséder les bijoux suivants (ci-après collectivement appelés les «bijoux»), à savoir:
a) 1 bracelet en or
b) 1 bague en or (7 diamants)
c) 1 bague en or (1 émer. 16 diamants)
3. En mars et en avril 1980, le demandeur a passé ses vacances au Brésil. Comme d'habitude, il a apporté ses bijoux avec lui.
4. Le 7 avril 1980, le demandeur a quitté le Brésil pour retourner au Canada, et il est arrivé à l'aéroport international de Toronto.
5. À ce moment, les agents de douane ont saisi les bijoux susmentionnés et les autres bijoux du demandeur.
6. Le demandeur a reçu des agents de douane un relevé des biens saisis en date du 7 avril 1980, auquel on a plus tard attribué le numéro de dossier 44947/497-1-1430.
7. Par lettre en date du lei mai 1980, le demandeur a donné à la défenderesse un avis de réclamation, et il a par la suite donné plusieurs avis portant que les bijoux en question avaient légale- ment été introduits au pays il y a longtemps.
8. Le demandeur a reçu du ministre une décision que ce dernier a rendue le 4 juin 1981 en vertu de l'article 163 de la Loi sur les douanes, et qui disait que certains de ses bijoux avaient été retenus par Revenu Canada, Douanes et Accise.
9. Par lettre en date du 27 juin 1981, le demandeur a informé la défenderesse que la décision ne serait pas acceptable, et il a demandé que l'affaire soit déférée à la Cour fédérale du Canada, Division de première instance, conformément à l'arti- cle 165 de la Loi sur les douanes.
10. Par lettre en date du 13 août 1981, le ministre a avisé le demandeur que l'affaire ne serait pas déférée à la Cour fédérale du Canada, Division de première instance.
Dans sa défense, le sous-procureur général du Canada allègue ce qui suit:
[TRADUCTION] 1. Il admet les allégations de fait contenues aux paragraphes un, neuf et dix de la déclaration et, sauf ce qui a expressément été admis dans la défense, il rejette toute autre allégation de fait figurant dans la déclaration.
2. En réponse au paragraphe deux de la déclaration, il rejette expressément les allégations de fait contenues dans ce paragra- phe, et il soutient que le demandeur doit en rapporter la preuve stricte.
3. Il n'a nullement connaissance des faits allégués au paragra- phe trois de la déclaration.
4. Pour ce qui est du paragraphe quatre de la déclaration, il reconnaît que le 7 avril 1980, le demandeur a quitté le Brésil pour arriver au Canada via la ville de New York (États-Unis d'Amérique).
5. En réponse aux paragraphes deux et cinq de la déclaration, et en réponse à l'ensemble de celle-ci, il déclare que, le 7 avril 1980, des agents de douane ont fait procéder à la fouille du demandeur et de ses affaires. Il dit en outre que, à la suite de cette fouille, les biens décrits dans le relevé des biens saisis ont été saisis parce qu'étant susceptibles d'être confisqués pour le motif qu'ils avaient été introduits au Canada en contrebande ou clandestinement, contrairement à la Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chapitre C-40, modifiée. Une copie du relevé des biens saisis porte la mention annexe A de l'exposé des détails joint à la défense.
6. Il admet les allégations de fait contenues au paragraphe six de la déclaration. Pour plus de certitude, il déclare toutefois que les biens mentionnés dans le relevé des biens saisis ont fait l'objet du numéro de la saisie 497-1-1430. Le ministère du Revenu national, Douanes et Accise, a utilisé le numéro 44947/497-1-1430 comme son numéro de dossier sur la corres- pondance et la documentation.
7. En ce qui a trait au paragraphe sept de la déclaration, il reconnaît que le demandeur a, par lettre en date du 1°" mai 1980, donné avis de son intention de réclamer les biens men-
tionnés dans le relevé des biens saisis. Au sujet des autres allégations contenues au paragraphe sept, il soutient que la correspondance du demandeur parle d'elle-même, et il n'admet pas les conclusions tirées par le demandeur dans ce paragraphe.
8. En réponse au paragraphe huit de la déclaration, il reconnaît qu'une décision ministérielle a été rendue le 4 juin 1981 en application de l'article 163 de la Loi sur les douanes. D'après lui, la décision est claire. Une copie de la décision ministérielle porte la mention annexe B de l'exposé des détails joint à la défense.
12. En réponse à l'ensemble de la déclaration, il invoque la Loi sur les douanes, particulièrement les articles 133, 143, 160 à 163, 185 et 192.
Au moment les biens ont été saisis le 7 avril 1980, l'agent saisissant a délivré à l'appelant un «Reçu de la saisie» selon lequel le motif de la saisie était le suivant:
[TRADUCTION] Les articles ont été introduits au Canada en contrebande ou clandestinement.
Plus tard, le sous-ministre du Revenu national a, par lettre en date du 11 juin 1980, informé l'appe- lant de ce qui suit:
[TRADUCTION] Nous accusons réception de votre lettre concer- nant la saisie susmentionnée, qui a eu lieu au port de Toronto (Ontario) le 7 avril 1980, des biens suivants:
2 bracelets
6 bagues
1 chaîne
1 chaîne et pendant
Les biens susmentionnés ou le dépôt reçu à la place de ceux-ci sont susceptibles d'être confisqués sous le régime de la Loi sur les douanes pour le(s) motif(s) suivant(s): ces articles ont été introduits au Canada en contrebande ou clandestinement.
Cet avis a été donné en vertu du paragraphe 161(1) de la Loi qui autorisait le sous-ministre à aviser un propriétaire ou un réclamant de différen- tes questions, notamment «des motifs de cette saisie» de biens.
Étant donné ces faits, l'allégation de l'intimée au paragraphe 5 de sa défense s'explique facilement. En réponse à l'ensemble de la déclaration, il y est allégué que les biens avaient été saisis «parce qu'é- tant susceptibles d'être confisqués pour le motif qu'ils avaient été introduits au Canada en contre- bande ou clandestinement, contrairement à la Loi sur les douanes, S.R.C. 1970, chapitre C-40, modi- fiée». Au paragraphe 12 de la défense, l'intimée s'appuie particulièrement sur l'article 192 dont une partie est ainsi rédigée:
192. (1) Si quelqu'un
a) passe en contrebande ou introduit clandestinement au Canada des marchandises, sujettes à des droits, d'une valeur imposable inférieure à deux cents dollars;
b) dresse, ou passe ou tente de passer par la douane, une facture fausse, forgée ou frauduleuse de marchandises de quelque valeur que ce soit; ou
c) tente, de quelque manière de frauder le revenu en évitant de payer les droits ou quelque partie des droits sur des marchandises de quelque valeur que ce soit;
ces marchandises, si elles sont trouvées, sont saisies et confis- quées, ou, si elles ne sont pas trouvées, mais que la valeur en ait été constatée, la personne ainsi coupable doit remettre la valeur établie de ces marchandises, cette remise devant être faite sans faculté de recouvrement dans le cas de contraventions prévues à l'alinéa a).
(3) Quiconque passe en contrebande ou introduit clandesti- nement au Canada des marchandises frappées de droits, d'une valeur imposable de plus de deux cents dollars, est coupable d'un acte criminel et passible, sur déclaration de culpabilité, en sus de toute autre peine à laquelle il est assujetti pour une infraction de cette nature, d'une amende d'au plus mille dollars et d'au moins deux cents dollars, ou d'un emprisonnement d'au plus quatre ans et d'au moins un an, ou à la fois de l'amende et de l'emprisonnement, et ces marchandises, si elles sont trouvées, sont saisies et confisquées sans faculté de recouvrement, ou, si elles ne sont pas trouvées, mais que la valeur en ait été constatée, la personne ainsi coupable doit remettre la valeur établie de ces marchandises sans qu'il lui soit possible de la recouvrer.
C'est sur la base du litige ainsi déterminé dans les plaidoiries que l'affaire est passée à l'instruc- tion. Le redressement sollicité consiste dans la remise des marchandises saisies et confisquées. La défense a expressément invoqué un seul motif, savoir que les biens avaient légalement été saisis et confisqués parce qu'ils avaient été introduits au Canada en contrebande ou clandestinement. Elle n'a donné aucune autre justification de la saisie et de la confiscation. La transcription du procès laisse bien voir que selon l'appelant, le litige était lié à l'article 192, car il a à maintes reprises fait men tion de contrebande (voir p. ex. les pages 11 et 66 de la transcription). Le dialogue suivant entre l'appelant et le juge de première instance, qui se trouve à la page 25 de la transcription, illustre davantage ce point:
[TRADUCTION] LE JUGE: Y a-t-il quelque chose que vous voulez ajouter maintenant?
LE DÉPOSANT: Peut-être, et je ne sais pas s'il convient de le faire maintenant. Je pourrais aborder la question de la défense si c'est bien le moment.
LE JUGE: J'estime que c'est plus précisément une question à discuter au débat, à moins qu'il n'y ait quelques faits articulés dans la défense que vous voulez rejeter sous serment?
LE DÉPOSANT: En ce qui me concerne, rien de ces déclara- tions—c'est du langage juridique, vous savez. Je ne considère pas que ces déclarations démontrent la justification de la saisie des biens. Ils ont le droit de retenir les biens, mais je crois disposer de renseignements permettant de prouver que je n'ai pas passé en contrebande ces articles dans ce pays ... [C'est moi qui souligne.]
C'est à un stade très avancé de l'instruction elle-même, après que les deux parties eurent clô- turé leurs plaidoiries, que l'intimée a fait valoir devant le juge de première instance que, compte tenu de la preuve, l'affaire relevait des articles 18 et 180 de la Loi', et que, en conséquence, la saisie et la confiscation des biens étaient légales, lors même qu'on rejetterait l'idée qu'ils avaient été introduits au Canada en contrebande ou clandesti- nement. On ne connaît pas la réponse exacte, si réponse il y a eu, que l'appelant peut avoir donnée à cet argument qui n'avait aucun fondement dans la plaidoirie de l'intimée. Il ne s'est pas fait repré- senter par avocat.
Selon moi, il s'agit d'une action à laquelle les règles et principes habituels de procédure s'appli- quent. Comme elle avait, dans sa défense, fait savoir à l'appelant que la saisie et la confiscation reposaient sur l'article 192 de la Loi, il n'était pas loisible à l'intimée, sans avoir préalablement modi- fié la plaidoirie, d'invoquer à titre subsidiaire les articles 18 et 180. Cette façon d'agir, après la
18. Toute personne ayant la charge d'un véhicule, autre qu'une voiture de chemin de fer, arrivant au Canada, comme toute personne arrivant au Canada à pied ou autrement, doit
a) se rendre au bureau de douane le plus rapproché de l'endroit elle est arrivée au Canada, ou au poste du préposé le plus rapproché de cet endroit si ce poste en est plus rapproché qu'un bureau de douane;
b) avant d'en effectuer le déchargement ou d'en disposer de quelque façon, faire connaître par écrit au receveur ou préposé compétent, à ce bureau de douane ou à ce poste, tous les effets dont elle a la charge ou garde ou dans le véhicule, et les garnitures, équipements et accessoires du véhicule, et tous animaux qui le traînent ainsi que leurs harnais et attelages, de même que les quantités et les valeurs des effets, équipements, accessoires, harnais et attelages en question; et
c) sur-le-champ répondre véridiquement à telles questions, relatives aux articles mentionnés dans l'alinéa b), que lui pose le receveur ou préposé compétent et faire à ce sujet une déclaration en bonne forme ainsi que l'exige la loi.
(Suite à la page suivante)
production de la preuve, a placé l'appelant dans une position des plus ingrates. A ce stade avancé, il s'est trouvé devant un motif de défense entière- ment nouveau que l'intimée n'avait pas expressé- ment invoqué dans sa plaidoirie. Certes, le para- graphe 12 de la défense invoque l'ensemble de la loi; mais il prend soin de mentionner certains articles, particulièrement l'article 192. La Loi sur les douanes est une loi longue et complexe pré- voyant des peines sévères selon une variété de circonstances. À mon avis, le demandeur ne devrait pas avoir à deviner quelles dispositions, à part celles expressément invoquées, peuvent être citées par la défense à l'instruction. Il ressort du dossier que l'intimée était, peu après la saisie, au courant de la possibilité de ce moyen de défense (voir p. ex. le dossier d'appel, à la page 23). Si ce moyen avait, de façon appropriée, été invoqué avant le commencement du procès, l'appelant aurait pu préparer sa défense en conséquence, et, s'il le jugeait approprié, retenir les services d'un avocat. D'autre part, s'il avait été soulevé plus tôt au procès lui-même, avant la clôture des plaidoi- ries des parties, sa validité aurait pu être tranchée en temps voulu, et le juge de première instance aurait pu déterminer s'il en résultait un préjudice pour l'appelant. Dans ce cas, on aurait pu discuter
(Suite de la page précédente)
180. (I) Lorsque la personne ayant la charge ou garde de quelque article mentionné à l'alinéa 18b) a omis de se confor- mer à l'une des exigences de l'article 18, tous les articles mentionnés à l'alinéa b) susdit et dont ladite personne a la charge ou garde, sont acquis légalement et peuvent être saisis et traités en conséquence.
(2) Si les articles ainsi confisqués ou l'un d'entre eux ne sont pas trouvés, le propriétaire au moment de l'importation, et l'importateur et toute autre personne qui a eu de quelque façon affaire avec l'importation illégale de ces articles sont passibles d'une amende égale à la valeur des articles; et, que ces articles soient trouvés ou non,
a) si la valeur, pour droits de douane, des articles est au-des- sous de deux cents dollars, ils sont passibles en outre, sur déclaration sommaire de culpabilité devant deux juges de paix, d'une amende d'au moins cinquante dollars et d'au plus deux cents dollars, ou d'un emprisonnement d'au moins un mois et d'au plus un an, ou de l'amende et de l'emprisonne- ment à la fois; et
b) si la valeur, pour droits de douane, des effets est de deux cents dollars ou plus, ils sont coupables d'un acte criminel et passibles, sur déclaration de culpabilité, d'une amende d'au plus mille dollars et d'au moins deux cents dollars, ou d'un emprisonnement d'au plus quatre ans et d'au moins un an, ou à la fois de l'amende et de l'emprisonnement.
des moyens d'écarter le préjudice, notamment de la nécessité d'ajourner le procès pour permettre à l'appelant de répondre au moyen qui n'avait pas auparavant été invoqué.
Les règles de procédure visent à assurer la bonne administration de la justice et à protéger les plai- deurs. C'est faire échec à cette fin que de prendre au dépourvu, comme en l'espèce, un demandeur en invoquant à la dernière minute du procès un moyen qui n'a pas expressément été plaidé. Il me semble que l'alinéa 409b) des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663] a été conçu de manière à éviter une telle situation. Il exige ce qui suit:
Règle 409. Une partie doit plaider spécifiquement toute ques tion (par exemple l'exécution, la décharge, une loi de prescrip tion, la fraude ou tout fait impliquant une illégalité)
b) qui, si elle n'est pas spécifiquement plaidée, pourrait prendre la partie opposée par surprisez;
Les observations suivantes que le lord juge Buck- ley a faites au sujet de l'effet de la règle anglaise correspondante sont pertinentes. Dans In re Robinson's Settlement, Gant v. Hobbs, [ 1912] 1 Ch. 717 (C.A.), à la page 728, il s'est prononcé en ces termes:
[TRADUCTION] J'estime que, pour des raisons de pratique, de justice et de commodité, la règle a pour conséquence d'exiger de la partie qu'elle dise à son opposant ce qu'elle veut prouver devant la Cour. Si elle ne le fait pas, la Cour tranchera la question de l'une des deux façons suivantes. Elle peut dire que ce moyen ne s'offre pas à la partie, qu'elle ne l'a pas fait valoir et ne sera pas autorisée à l'invoquer; ou bien la Cour peut lui donner l'autorisation de modifier sa plaidoirie en lui permettant de soulever ce moyen et, le cas échéant, elle protégera l'autre partie en remettant l'affaire à plus tard. Il ne s'agit pas d'une règle qui exclut de l'examen par la Cour un point pertinent simplement parce qu'il n'a pas été plaidé. La partie doit s'en remettre à la discrétion de la Cour, qui agira à son égard de la façon qu'elle juge équitable 3 .
L'intimée s'appuie sur l'affaire The King v. Bureau, [1949] R.C.S. 367, mais celle-ci ne m'est
2 Dans La Reine c. Transworld Shipping Ltd., [1976] 1 C.F. 159; (1977), 12 N.R. 129 (C.A.), le juge en chef Jackett, après avoir cité la Règle 409, s'est livré à cette analyse, aux p. 170 C.F.; 142 N.R.:
A mon avis, la justice exige que tout moyen de défense, fondé sur les dispositions spéciales d'une loi, soit plaidé, particuliè- rement s'il est fondé sur des faits précis, pour que la partie adverse puisse prendre connaissance de ces faits et se prépa- rer à produire des preuves s'y rapportant.
3 Comparer James v. Smith, [1891] 1 Ch. 384, la p. 389.
d'aucune utilité. Il y est question de la portée du pouvoir que la Cour tient du paragraphe 166(1) de la Loi lorsqu'une affaire lui est déférée par le ministre en vertu de l'article 165 4 . En l'espèce, il ressort des plaidoiries que la requête en renvoi introduite par l'appelant a expressément été reje- tée, ce qui l'a obligé à intenter lui-même une action ou à se désister. Puisqu'il s'agit d'une action ordinaire devant la Cour, l'intimée n'était pas autorisée, aux dernières minutes du procès, et après la clôture des plaidoiries des parties, à se défendre dans l'action en invoquant un moyen qui diffère entièrement de celui articulé dans la plaidoirie.
En conséquence, je suis d'avis d'accueillir l'appel avec dépens tant devant cette instance que devant la Division de première instance, d'annuler le juge- ment de celle-ci et d'ordonner à l'intimée de remet- tre sur-le-champ à l'appelant les bijoux mentionnés au paragraphe 2 de la déclaration.
° Ces deux dispositions sont ainsi libellées:
165. Si le propriétaire ou réclamant de la chose saisie ou détenue, ou la personne censée avoir encouru l'amende, donne au Ministre, dans les trente jours après que la décision du Ministre lui a été notifiée, avis par écrit que cette décision n'est pas acceptée, le Ministre peut déférer la question à la cour.
166. (1) Lorsque le Ministre a déféré pareille question à la cour, cette dernière entend et examine l'affaire d'après les papiers et témoignages soumis, et d'après toute autre preuve que produit, sur les ordres de la cour, le propriétaire ou réclamant de la chose saisie ou détenue, ou la personne censée avoir encouru l'amende, ou la Couronne, et la cour décide suivant le bien-fondé de l'affaire.
(2) Jugement peut être rendu sur cette décision, et il est exécutoire et exécuté de la même manière que tout autre jugement de la cour.
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