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A-470-86
Robert Thomson (requérant)
c.
La Reine (intimée)
RÉPERTORIÉ: THOMSON C. CANADA
Cour d'appel, juges Hugessen, Stone et Desjar- dins—Ottawa, 2, 3, 4 février et 7 mars 1988.
Renseignement de sécurité Un candidat reçu à un poste de la Fonction publique s'est vu refuser l'habilitation de sécurité de niveau «secret» par le sous-ministre Une plainte a été portée au comité de surveillance des activités de rensei- gnement de sécurité Le comité a recommandé que l'habili- tation de sécurité soit accordée au requérant Le sous- ministre a maintenu son refus Nature des «recommanda- tions» prévues à l'art. 52(2) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité Analyse du régime de la Loi
Les «recommandations» en question n'ont pas un caractère simplement consultatif Une fois la plainte déposée, la question du bien-fondé du refus cesse de relever de l'adminis- trateur général pour tomber sous la juridiction du comité L'administrateur général est obligé de suivre la recommanda- tion du comité La demande est rejetée puisque la décision du sous-ministre de maintenir le refus n'est pas assujettie au contrôle judiciaire prévu à l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
Fonction publique Procédure de sélection Offre d'em- ploi conditionnelle à l'obtention d'une habilitation de sécurité
Le sous-ministre a refusé l'habilitation de sécurité de niveau «secret» sur le fondement d'une appréciation du Service canadien du renseignement de sécurité L'enquête a révélé que le requérant avait divulgué des renseignements classifiés
Une plainte a été portée auprès du comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité Ce dernier a recommandé que l'habilitation de sécurité demandée soit accordée Le sous-ministre a maintenu le refus Le sous-ministre a le devoir d'agir conformément à la recomman- dation du comité Le dépôt de la plainte sous le régime de la Loi annule tout pouvoir discrétionnaire pouvant encore être détenu par le sous-ministre en vertu de la directive du Cabinet 35 relativement à l'appréciation de la fiabilité d'un fonc- tionnaire La décision du sous-ministre de maintenir le refus n'est toutefois pas assujettie au contrôle judiciaire prévu à l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
Compétence de la Cour fédérale Division d'appel Renseignement de sécurité Le sous-ministre a refusé une habilitation de sécurité dans le cadre d'une offre d'un emploi de la Fonction publique Une plainte a été portée auprès du comité de surveillance des activités de renseignement de sécu- rité Le comité a recommandé que l'habilitation de sécurité soit accordée La décision du sous-ministre de maintenir ce refus n'est pas assujettie au contrôle judiciaire prévu à l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale Il suffit d'un acte de nature administrative, non une décision soumise à un proces- sus judiciaire ou quasi judiciaire, pour mettre en oeuvre la recommandation du comité Le redressement approprié est le bref de mandamus Le devoir du sous-ministre découle de
la recommandation obligatoire formulée en conformité avec la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité.
Interprétation des lois Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité L'administrateur général a refusé de suivre la recommandation du comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité voulant que l'habilita- tion de sécurité relative à un emploi de la Fonction publique soit accordée Nature des «recommandations» du comité prévues à l'art. 52(2) de la Loi Ce mot doit être interprété en tenant compte de l'ensemble du régime auquel est soumise une enquête relative à une «plainte» visée à l'art. 42 de la Loi Admissibilité de l'histoire législative aux fins de déterminer l'intention du Parlement Le caractère détaillé du régime adopté indique que l'intention du Parlement n'était pas de conférer au mot «recommandations» son sens littéral voulant qu'il ait un caractère consultatif Incidence des modifica tions consécutives et corrélatives L'administrateur général a le devoir d'agir conformément à la recommandation du comité.
En 1984, le requérant s'est vu offrir le poste d'agent de planification des projets au sein de la Direction des affaires internationales d'Agriculture Canada à la condition qu'il obtienne une habilitation de sécurité de niveau «secret». Le requérant a informé l'agent chargé de la sécurité à ce ministère qu'il avait démissionné de l'ACDI en 1974 alors qu'il était soupçonné d'être à l'origine de la fuite d'un document classifié. L'agent de sécurité a demandé à la GRC de procéder à une enquête sur place. Avec l'entrée en vigueur de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, la responsabi- lité de l'enquête a été transmise au Service canadien du rensei- gnement de sécurité (SCRS). Le SCRS a recommandé que le requérant n'occupe pas de poste il aurait accès à des biens classifiés dans l'intérêt national. Cette appréciation était fondée sur des renseignements selon lesquels le requérant avait notam- ment révélé le contenu d'un message télex classifié à un député et offert de fournir des renseignements classifiés à des agents de gouvernements étrangers. Sur le fondement de la recommanda- tion du SCRS, le sous-ministre a refusé l'habilitation de sécu- rité demandée. Le requérant a déposé une plainte auprès du comité de surveillance des activités de renseignement de sécu- rité sous le régime de l'article 42 de la Loi. Après avoir fait enquête au sujet de cette plainte, le comité de surveillance a recommandé que le sous-ministre accorde au requérant l'habili- tation de sécurité de niveau «secret». Le sous-ministre a main- tenu son refus malgré la recommandation du comité. Le requé- rant sollicite l'annulation de cette décision du sous-ministre aux termes de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
Le requérant soutient que, considérant l'objet de la Loi et le régime qu'elle a établi, le sous-ministre était obligé de suivre la recommandation du comité : il aurait commis une erreur de droit en refusant l'habilitation de sécurité demandée. L'intimée soutient que cette Cour n'a pas compétence en vertu de l'article 28 au motif que la décision de refuser l'habilitation de sécurité relève de la prérogative royale, dont émane la directive du Cabinet 35 de 1963, qui traitait de «La sécurité dans la Fonction publique du Canada», et que la Loi ne touche aucune- ment le pouvoir du sous-ministre de trancher la question en jeu conformément à la directive.
La première question qui se pose est celle de savoir si le sous-ministre est obligé d'agir conformément à la «recomman- dation» du comité de surveillance. Cette question implique la
détermination du caractère de cette «recommandation». Dans l'affirmative, il doit être décidé si la décision du sous-ministre est assujettie à l'examen prévu à l'article 28.
Arrêt: la demande devrait être rejetée.
Le mot «recommandations» contenu au paragraphe 52(2) de la Loi doit être interprété en tenant compte de l'ensemble du régime auquel est soumise l'enquête relative à une «plainte» présentée par celui qui fait l'objet d'une opposition à engage ment au sein de la Fonction publique par suite du refus d'une habilitation de sécurité. La nature de ce régime indique que le Parlement a eu l'intention d'accorder au plaignant un recours plutôt que la simple possibilité d'exposer sa cause et d'appren- dre les motifs du refus. Cette intention se trouve exprimée dans des déclarations faites devant la Chambre des communes et le comité parlementaire selon lesquelles la Loi projetée accorde- rait «un recours» au plaignant et substituerait à «l'actuel mandat établi par une directive du Cabinet ... un mandat législatif». Certaines des dispositions de la Loi, comme l'obliga- tion d'envoyer à toutes les parties concernées un résumé des informations dont le comité dispose (article 46), la nécessité d'un avis préalable (article 47), la possibilité pour toutes les parties concernées de présenter des éléments de preuve et d'être entendues en personne par l'intermédiaire d'un avocat (para- graphe 48(2)), l'assignation de témoins et la production de pièces (article 50), ainsi que l'étendue de l'accès à des informa- tions de nature délicate accordé au comité de surveillance (article 39), indiquent qu'on a voulu donner au comité toute latitude pour examiner les raisons ayant pu motiver le refus et accorder, le cas échéant, le redressement approprié. Le carac- tère détaillé du régime adopté, y compris l'obligation de rédiger un rapport formel contenant les «conclusions» et les «recomman- dations», indique que le Parlement n'avait pas l'intention que les «recommandations» ne soient que consultatives ou soient faites à titre de simple suggestion. Les tribunaux se sont montrés réticents à interpréter strictement le mot «recomman- dations» lorsqu'une telle interprétation ne concorde pas avec l'économie générale du texte législatif en cause. De plus, les modifications consécutives et corrélatives à la Loi canadienne sur les droits de la personne, à la Loi sur la citoyenneté et à la Loi sur l'immigration de 1976 indiquent que le Parlement n'a pas employé le mot «recommandations» dans son sens littéral; dans tous ces cas, le Parlement a autorisé le comité de surveil lance à prendre des «conclusions» que celui auquel incombe la décision finale est autorisé à «étudier».
La procédure prescrite ne concerne pas la façon dont doit être prise la décision de refuser une habilitation. Elle n'entre en jeu qu'après le dépôt d'une «plainte». C'est à ce stade que la question du bien-fondé d'un refus cesse de relever de l'adminis- trateur général pour tomber sous la juridiction du comité de surveillance, lequel doit agir en conformité avec la procédure établie par la Loi. La Loi donne à l'administrateur général la faculté de défendre sa décision et donne au SCRS la possibilité de défendre l'avis qu'il a donné à l'administrateur général. L'enquête peut ainsi porter sur tous les motifs du refus, y compris toute appréciation subjective de la fiabilité du plaignant.
Il s'ensuit que le refus du sous-ministre était fondé sur une mauvaise interprétation du paragraphe 52(2). Il a eu tort d'exercer un pouvoir discrétionnaire dont il se prétendait encore investi en vertu de la directive du Cabinet 35. L'administra-
teur général n'est pas habilité à «re-prendre» une décision déjà prise, une fois que l'affaire a fait l'objet d'une «plainte» puis d'une «recommandation».
Toutefois, la décision du sous-ministre de refuser l'habilita- tion de sécurité ne relève pas de la compétence conférée à cette Cour par l'article 28. Il suffit d'un acte de nature purement administrative, non une décision soumise à un processus judi- ciaire ou quasi judiciaire, pour mettre en œuvre la recomman- dation du comité. Le redressement qui conviendrait à cet égard serait la délivrance, sous le régime de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, d'un bref de mandamus obligeant à l'exécu- tion d'un devoir imposé par la Loi. Un devoir de cette nature découle en l'espèce de la recommandation obligatoire que le comité de surveillance, à titre d'intermédiaire du Parlement, a dûment formulée en conformité avec la Loi.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U), art. 2b),d).
Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33, art. 36.1(7) (ajouté par S.C. 1984, chap. 21, art. 73).
Loi sur la citoyenneté, S.C. 1974-75-76, chap. 108, art. 17.1(5) (ajouté par S.C. 1984, chap. 21, art. 75).
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2» Supp.), chap. 10, art. 2, 18.
Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970, chap. F-10, art. 5(1)e), 7(7).
Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10, art. 36.3(1) (ajouté par S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, art. 4).
Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-32, art. 5a), 6(1), 8.
Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, S.C. 1984, chap. 21, art. 2, 13(1), 29, 30(2)a), 34, 37, 38c)(i), 39(1),(2),(3), 42, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 52, 73, 74, 75, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85.
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 39(8)a) (ajouté par S.C. 1984, chap. 21, art. 80), 82.1(6)a) (ajouté, idem, art. 84).
Règlement sur les enquêtes sécuritaires dans la Fonction publique, DORS/75-196.
Règles de procédure du comité de surveillance des acti- vités de renseignement de sécurité à l'égard des fonc- tions exercées en vertu de l'alinéa 38c) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, 9 mars 1985, Règles 1, 17 29.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Reg. v. Barnet London Borough Council, Ex parte Nilish Shah, [1983] 2 W.L.R. 16 (H.L.); Carrington v. Therm-A-Stor Ltd., [1983] 1 W.L.R. 138 (C.A.); Lor- Wes Contracting Ltd. c. La Reine, [1986] 1 C.F. 346 (C.A.); Christ's Hospital Governors, Rex v. Ex parte Dunn, [ 1917] 1 K.B. 19; Myer Queenstown Garden Plaza
Pty. Ltd. and Myer Shopping Centres Pty. Ltd. v. Corpo ration of the City of Port Adelaide and the Attorney - General (1975), 11 S.A.S.R. 504 (S.C.).
DÉCISION CITÉE:
Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la per- sonne), [1987] 1 R.C.S. 1114.
DOCTRINE
Canada, Commission d'enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada, Deuxième rapport: La liberté et la sécurité devant la loi, vol. 2, août 1981, Ottawa: ministre des Approvisionnements et Services, 1981.
Canada, Chambre des communes, Comité permanent de la Justice et des questions juridiques, Témoignages,
fascicule 15 (17 avril 1984), la p. 6 et fascicule 28, la p. 58.
Canada, Débats de la Chambre des communes, vol. 23, P' session, 32' Parl. 32 Eliz. II, 1983, la p. 26073.
Canada, Débats de la Chambre des communes, vol. II, 2' session, 32' Parl. 33 Eliz. II, 1984, aux p. 1272, 1273, 1275.
Driedger, E. A. Construction of Statutes, 2nd ed. Toronto: Butterworths, 1983.
AVOCATS:
David J. Jewitt et Sean McGee pour le requérant.
L. P. Chambers, c.r. et Yves Joly pour l'intimée.
Simon Noël pour le comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité.
PROCUREURS:
Nelligan/Power, Ottawa, pour le requérant. Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.
Noel, Décary, Aubry & Associés, Hull (Québec), pour le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STONE: Le requérant a présenté cette demande en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10] afin d'obtenir l'examen et l'annulation d'une déci- sion du sous-ministre de l'Agriculture, en date du 4 juin 1986, lui refusant l'habilitation de sécurité aux fins de son engagement à titre d'agent de planification des projets au sein de la Direction des
affaires internationales d'Agriculture Canada. La présente Cour a reconnu au comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, consti- tué en vertu de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, S.C. 1984, chap. 21 (ci-après la Loi), la qualité pour participer au débat sur les points touchant sa compétence et sa procédure. Je le désignerai ci-après sous le nom d'«intervenant».
HISTORIQUE
Perspective d'emploi
Voyons d'abord quelles sont les circonstances à l'origine de la décision que nous devons examiner en l'espèce. Après avoir été reçu comme candidat, au mois de juin 1984, au poste susmentionné, le requérant recevait d'Agriculture Canada, par lettre datée du 25 juin, une offre d'emploi assortie de certaines conditions, dont la suivante:
[TRADUCTION] En raison du caractère confidentiel des fonc- tions que vous aurez à remplir dans ce poste, une habilitation de sécurité de niveau SECRET est exigée. Votre date d'entrée en fonction, fixée au 1°' octobre 1984, ne vous sera donc confirmée qu'après réception de cette habilitation de sécurité. [Dossier, page 6.]
Enquête de sécurité
Pour se conformer à cette exigence, Agriculture Canada a donc ouvert une enquête de sécurité. Le requérant a prêté son concours en remplissant une «Fiche d'antécédents personnels», en date du 25 juin 1984, sur laquelle sont consignés des rensei- gnements personnels, y compris le détail de ses emplois au cours des dix années précédentes. À la question 12 de la fiche, il est demandé:
[TRADUCTION] 12. Avez-vous déjà été renvoyé ou vous a t-on déjà demandé de démissionner d'un poste?
Il fallait répondre à cette question par «oui» ou par «non», en fournissant les explications nécessaires dans le premier cas. Le requérant a répondu par l'affirmative, en ajoutant les mots: [TRADUCTION] «ACDI, janvier 1974». Le même jour, M. D. H. O'Grady, agent chargé de la sécurité à Agriculture Canada, a renvoyé l'affaire à la Gendarmerie royale pour qu'il soit procédé à une «vérification de dossier» au niveau «SECRET» (Dossier, page 163).
Le même jour ou le lendemain, le requérant est allé voir M. O'Grady pour lui demander s'il pou- vait modifier sa réponse à la question 12. Ainsi que
ce dernier l'a déclaré lors de son témoignage devant l'intervenant, [TRADUCTION] «M. Thomson est entré et il m'a expliqué qu'il voulait ajouter quelque chose à cette question particulière, ou en d'autres termes y apporter un changement; il m'a raconté qu'en 1974, il avait eu, faute d'une meil- leure expression, un problème avec l'ACDI et qu'on lui avait alors demandé sa démission» (Dossier, page 49). M. O'Grady a poursuivi en affirmant: [TRADUCTION] «[le requérant] m'a expliqué avec beaucoup de franchise ce qui s'était passé exacte- ment avec l'ACDI à cette époque; je ne veux pas lui mettre les mots dans la bouche, mais il me semble qu'il m'a dit qu'il avait été soupçonné d'être à l'origine de la fuite d'un document alors qu'il était au service de cette agence, accusation qu'il a niée mais à la suite de laquelle il a sans plus tarder présenté sa démission pour éviter tout problème à sa famille» (Dossier, pages 49-50). Le requérant a alors étoffé sa réponse à la question 12 en ajoutant les mots: [TRADUCTION] «Pour plus de détails, prière de me contacter à», suivis de deux numéros de téléphone. A la suite de quoi, M. O'Grady a communiqué à nouveau avec la Gendarmerie royale du Canada, afin qu'elle procède à une enquête sur place au niveau «TRÈS SECRET», plutôt qu'à une simple vérification de dossier. M. O'Grady a reconnu, dans son témoignage devant l'intervenant, avoir fait erreur quant au niveau exigé mais il a fait valoir que cela n'avait en rien changé [TRADUCTION] «la portée de l'enquête» (Dossier, page 52) puisque, a-t-il expliqué, c'est en fonction de [TRADUCTION] «d'importance du docu ment à protéger» qu'on décide de faire une vérifi- cation au niveau «SECRET» ou «TRÈS SECRET» (Dossier, page 55).
À la demande d'Agriculture Canada, le requé- rant s'est présenté au travail le 1" octobre 1984, nonobstant le fait que l'enquête de sécurité n'était pas encore terminée. Il a toutefois été renvoyé chez lui le 16 octobre suivant, avec instruction de ne pas revenir avant que la question de la sécurité ne soit réglée.
Avec l'entrée en vigueur de la Loi, c'est le Service canadien du renseignement de sécurité (le «SCRS»), constitué en vertu de la Partie I de cette Loi, ci-après désigné le «Service», qui a pris la responsabilité de l'enquête sur place. A cette fin, deux représentants du SCRS ont convoqué le
requérant à une entrevue de filtrage de sécurité le 11 janvier 1985, en présence de M. O'Grady.
Refus de l'habilitation de sécurité
Le 26 mars 1985, Agriculture Canada a reçu du SCRS un rapport recommandant que le requérant n'occupe pas de poste il aurait accès à des biens classifiés dans l'intérêt national (Dossier, page 16). Au cours de cette même journée, trois fonctionnai- res d'Agriculture Canada, dont M. O'Grady, se sont réunis afin de [TRADUCTION] «discuter des options dont disposait le ministère pour résoudre cette affaire» et ils en sont venus à la conclusion que le seul choix possible était de refuser l'habilita- tion de sécurité (Dossier, page 16). Toutefois, avant de prendre formellement la décision, le sous- ministre a transmis le rapport du SCRS au Secré- taire adjoint du Cabinet (sécurité et renseigne- ment) conformément au paragraphe 14 de la directive du Cabinet 35, afin d'obtenir ses com- mentaires (Dossier, page 16). Peu de temps après, il reçut du Bureau du Conseil privé un télex à l'appui de la décision de refuser l'habilitation. Le sous-ministre en avisa donc le requérant, par lettre datée du 23 avril 1985, en ces termes:
[TRADUCTION] À la suite d'une enquête menée par le Service canadien du renseignement de sécurité, je vous avise par la présente que l'habilitation de sécurité exigée par notre minis- tère vous a été refusée. En conséquence, notre offre d'emploi du 25 juin 1984, conditionnelle à l'obtention de cette habilitation, est maintenant révoquée.
En vertu de l'article 42 de la Loi sur Service canadien du renseignement de sécurité, Statuts du Canada 1984, chapitre 21, vous avez toutefois le droit de porter plainte dans les trente (30) jours de la réception de cette lettre en vous adressant au comité de surveillance des activités de renseignement de sécu- rité, Bureau du Conseil privé. [Dossier, page 21.]
Plainte
À la suite de ce refus, le requérant s'est prévalu des dispositions de l'article 42 de la Loi et a déposé une «plainte» auprès de l'intervenant qui en a avisé le sous-ministre. Pour bien saisir la portée de cette procédure, il nous faut examiner la Loi de plus près.
RÉGIME DE LA LOI
La Partie I de la Loi sanctionnée le 28 juin 1984 prévoit la constitution du SCRS, la nomination de
son directeur, de même que sa gestion et ses fonctions. L'article 2 définit ainsi l'«évaluation de sécurité»:
2. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.
«évaluation de sécurité» Évaluation de la loyauté d'un individu envers le Canada et, à cet égard, de sa fiabilité.
Parmi les fonctions qui lui sont assignées, le SCRS fournit des évaluations de sécurité conformément au paragraphe 13(1):
13. (1) Le Service peut fournir des évaluations aux ministè- res du gouvernement du Canada.
La Partie III de la Loi traite de la SURVEIL LANCE, apparemment dans deux sens différents. En premier lieu, en vertu de l'alinéa 30(2)a), un fonctionnaire appelé «inspecteur général» est habi- lité à s'assurer de l'observation par le SCRS de ses règles générales en matière opérationnelle, surveil- ler ses activités opérationnelles et présenter les certificats requis. En second lieu, d'autres disposi tions traitent des fonctions de l'intervenant dont la constitution et la composition sont prévues à l'arti- cle 34:
34. (1) Est constitué le comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, composé du président et de deux à quatre autres membres, tous nommés par le gouverneur en conseil parmi les membres du Conseil privé de la Reine pour le Canada qui ne font partie ni du Sénat ni de la Chambre des communes. Cette nomination est précédée de consultations entre le premier ministre du Canada, le chef de l'opposition à la Chambre des communes et le chef de chacun des partis qui y disposent d'au moins douze députés.
(2) Les membres du comité de surveillance sont nommés à titre inamovible pour une durée maximale de cinq ans.
(3) Le mandat des membres du comité de surveillance est renouvelable pour une durée maximale identique.
(4) Les membres du comité de surveillance ont le droit de recevoir, pour chaque jour qu'ils exercent les fonctions qui leur sont conférées en vertu de la présente loi, la rémunération que fixe le gouverneur en conseil et sont indemnisés des frais de déplacement et de séjour entraînés par l'exercice de ces fonctions.
En vertu de l'article 37, les membres de l'interve- nant doivent prêter «le serment de secret» selon la
formule figurant à l'annexe'.
Au sous-alinéa 38c)(i), l'intervenant se voit con- fier la responsabilité de faire enquête sur les plain- tes comme celle qu'a portée le requérant:
38. Le comité de surveillance a les fonctions suivantes:
c) faire enquête sur:
(i) les plaintes qu'il reçoit en vertu des articles 41 et 42 de la présente loi,
En vertu du paragraphe 39(1), l'intervenant dis pose d'un large pouvoir de déterminer sa propre procédure et, en vertu du paragraphe 39(2), il peut avoir accès à des renseignements névralgiques:
39....
(2) Par dérogation à toute autre loi fédérale ou toute immu- nité reconnue par le droit de la preuve, mais sous réserve du paragraphe (3), le comité de surveillance:
a) est autorisé à avoir accès aux informations qui se ratta- chent à l'exercice de ses fonctions et qui relèvent du Service ou de l'inspecteur général et à recevoir de l'inspecteur géné- ral, du directeur et des employés les informations, rapports et explications dont il juge avoir besoin dans cet exercice;
b) au cours des enquêtes visées à l'alinéa 38c), est autorisé à avoir accès aux informations qui se rapportent à ces enquêtes et qui relèvent de l'administrateur général concerné.
(3) À l'exception des renseignements confidentiels du Con- seil privé de la Reine pour le Canada visés par le paragraphe 36.3(1) de la Loi sur la preuve au Canada, aucune des infor- mations visées au paragraphe (2) ne peut, pour quelque motifs que ce soit, être refusée au comité.
Les articles 41 46 de la Loi portent sur les
«Plaintes». Les articles 42, 45 et 46 sont particuliè- rement pertinents:
42. (1) Les individus qui font l'objet d'une décision de renvoi, de rétrogradation, de mutation ou d'opposition à enga gement, avancement ou mutation prise par un administrateur général pour la seule raison du refus d'une habilitation de sécurité que le gouvernement du Canada exige doivent être avisés du refus par l'administrateur général; celui-ci envoie l'avis dans les dix jours suivant la prise de la décision.
(2) Dans le cas où, pour la seule raison du refus d'une habilitation de sécurité que le gouvernement du Canada exige à l'égard d'un individu, celui-ci ou une autre personne fait l'objet d'une décision d'opposition à un contrat de fourniture de biens ou de services à ce gouvernement, l'administrateur général
' Je, , jure que, sauf autorisation régulièrement
donnée, je ne révélerai rien de ce qui sera parvenu à ma connaissance dans l'exercice de mes fonctions pour le compte ou sous la direction du Service canadien du renseignement de sécurité ou en raison des charges ou de l'emploi que je détiens sous le régime de la Loi sur le Service canadien du renseigne- ment de sécurité. Ainsi Dieu me soit en aide.
concerné envoie dans les dix jours suivant la prise de la décision un avis informant l'individu, et s'il y a lieu l'autre personne, du refus.
(3) Le comité de surveillance reçoit les plaintes et fait enquête sur les plaintes présentées par:
a) les individus visés au paragraphe (1) à qui une habilita- tion de sécurité est refusée;
b) les personnes qui ont fait l'objet d'une décision d'opposi- tion à un contrat de fourniture de biens ou de services a été refusé pour la seule raison du refus d'une habilitation de sécurité à ces personnes ou à quiconque.
(4) Les plaintes visées au paragraphe (3) sont à présenter dans les trente jours suivant la réception de l'avis mentionné aux paragraphes (1) ou (2) ou dans le délai supérieur accordé par le comité de surveillance.
45. Les plaintes visées à la présente partie sont à présenter par écrit au comité de surveillance, sauf autorisation contraire de celui-ci.
46. Afin de permettre au plaignant d'être informé de la façon la plus complète possible des circonstances qui ont donné lieu au refus d'une habilitation de sécurité, le comité de surveil lance lui envoie, dans les plus brefs délais possible après réception d'une plainte présentée en vertu de l'article 42, un résumé des informations dont il dispose à ce sujet; il envoie un exemplaire du résumé au directeur et à l'administrateur général concerné.
La définition d'eadministrateur général» qui se trouve à l'article 29 de la Loi comprend manifeste- ment le sous-ministre.
Les articles 47 50 établissent la procédure à suivre dans les enquêtes sur les plaintes, ainsi que les attributions de l'intervenant à cet égard:
47. Le comité de surveillance, avant de procéder aux enquê- tes visées à l'alinéa 38c), autres que celles faites en vertu de l'article 41, avise le directeur et, s'il y a lieu, l'administrateur général concerné de son intention d'enquêter et leur fait connaî- tre l'objet de la plainte.
48. (1) Les enquêtes sur les plaintes présentées en vertu de la présente partie sont tenues en secret.
(2) Au cours d'une enquête relative à une plainte présentée en vertu de la présente partie, le plaignant, le directeur et l'administrateur général concerné doivent avoir la possibilité de présenter des observations et des éléments de preuve au comité de surveillance ainsi que d'être entendu en personne ou par l'intermédiaire d'un avocat; toutefois nul n'a le droit absolu d'être présent lorsqu'une autre personne présente des observa tions au comité, ni d'en recevoir communication ou de faire des commentaires à leur sujet.
49. Au cours d'une enquête relative à une plainte présentée en vertu de la présente partie, le comité de surveillance demande, si cela est opportun, à la Commission canadienne des droits de la personne de lui donner son avis ou ses commentai- res sur la plainte.
50. Le comité de surveillance a, dans ses enquêtes sur le: plaintes présentées en vertu de la présente partie, le pouvoir:
a) d'assigner et de contraindre des témoins à comparaître devant lui, à déposer verbalement ou par écrit sous serment et à produire les pièces qu'il juge indispensables pour ins• truire et examiner à fond les plaintes, de la même façon et dans la même mesure qu'une cour supérieure d'archives;
b) de faire prêter serment;
c) de recevoir des éléments de preuve ou des informations par déclaration verbale ou écrite sous serment ou par tout autre moyen qu'il estime indiqué, indépendamment de leur recevabilité devant les tribunaux.
Enfin, conformément à l'article 52 de la Loi, l'intervenant doit établir un rapport à l'issue de son enquête:
52. (1) Le comité de surveillance:
a) à l'issue d'une enquête sur une plainte présentée en vertu de l'article 41, envoie au ministre et au directeur un rapport contenant ses conclusions et les recommandations qu'il juge indiquées;
b) en même temps ou plus tard, fait parvenir au plaignant les conclusions de son enquête; s'il le juge à propos, il peut y joindre tout ou partie des recommandations mentionnées à l'alinéa a).
(2) À l'issue d'une enquête sur une plainte présentée en vertu de l'article 42, le comité de surveillance envoie au minis- tre, au directeur, à l'administrateur général concerné et au plaignant un rapport des recommandations qu'il juge indiquées et des conclusions qu'il juge à propos de communiquer au plaignant.
La Partie V de la Loi renferme des dispositions transitoires ainsi que des modificationp consécuti- ves et corrélatives à certaines autres lois, dont la Loi canadienne sur les droits de la personne [S.C. 1976-77, chap. 33], la Loi sur la citoyenneté [S.C. 1974-75-76, chap. 108] et la Loi sur l'immigration de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52], par application respectivement des articles 73-74, 75 et 79 85.
ENQUÊTE MENÉE PAR L'INTERVENANT
Peu après réception de la «plainte», l'intervenant a pris les dispositions nécessaires à la tenue d'une enquête. À cette fin, il a appelé l'attention du
sous-ministre sur ses Règles de procédure 2 , l'avi- sant de son [TRADUCTION] «droit de présenter des observations ... soit par écrit soit oralement à l'audience» (Dossier, page 39). Il lui a également demandé des informations en vue du résumé devant être envoyé au requérant, conformément à l'article 46. Voici le texte intégral de ce résumé intitulé [TRADUCTION] «Résumé des circonstances qui ont donné lieu au refus d'une habilitation de sécurité à Robert Thomson par l'administrateur général d'Agriculture Canada»:
[TRADUCTION] Vérification faite, le comité de surveillance a pu établir qu'à l'issue de son enquête, y compris une entrevue avec vous, le SORS a fourni à Agriculture Canada une évalua- tion de sécurité recommandant que l'habilitation de sécurité vous soit refusée, en raison notamment des informations suivantes:
il est possible que vous ayez dévoilé le contenu classifié d'un message de l'ambassadeur du Canada à Santiago au ministère des Affaires extérieures à Ottawa, en 1973;
vous avez dévoilé le contenu d'un télex classifié à un député du Parlement, en 1973, en niant d'abord connaître ledit député;
vous avez refusé de nommer la personne avec laquelle vous avez déclaré avoir discuté du contenu dudit télex classifiée (dont la fausseté a par la suite été établie);
de votre propre aveu, vous avez transmis clandestinement des lettres à un destinataire en Guyane;
vous avez, clandestinement, maintenu des contacts avec des fonctionnaires et agents de gouvernements étrangers à qui vous avez proposé, au moins à une occasion, de fournir des rensei- gnements classifiés.
Après avoir pris connaissance des informations ci-dessus, l'ad- ministrateur général a jugé que votre fiabilité n'était pas suffi- sante pour vous confier des renseignements classifiés. En consé- quence, l'habilitation de sécurité vous a été refusée. [Dossier, page 40.]
AUDIENCE TENUE PAR L'INTERVENANT
Commencée le 13 août 1985, l'audience qu'a tenue l'intervenant s'est poursuivie le 9 octobre pour se terminer le 7 novembre de la même année.
2 Les Règles de procédure du comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité à l'égard des fonctions exercées en vertu de l'alinéa 38c) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité ont été adoptées par l'intervenant le 9 mars 1985. Selon l'article 1 de ces Règles, le terme «partie» désigne, entre autres, le plaignant aux termes de l'article 42 de la Loi, de même que le directeur et l'administra- teur général concerné. Les articles 17 29 des Règles établis- sent une procédure détaillée quant au traitement des plaintes présentées en vertu de l'article 42. Il semble que ces dispositions visent à offrir toutes les garanties procédurales mentionnées dans la Loi à chacune des parties concernées par une telle enquête et à s'assurer que le rapport exigé au paragraphe 52(2) soit correctement établi.
À part une transcription partielle du témoignage de M. O'Grady (mentionnée ci-dessus), la seule source d'information sur ce qui a été révélé à l'audience se trouve dans le rapport daté du 9 avril 1986 que l'intervenant a soumis au sous-ministre par lettre datée du même jour (Dossier, pages 81-97), conformément au paragraphe 52(2) de la Loi.
D'après ce rapport, l'intervenant se composait de deux membres, le requérant était présent avec son avocat tandis qu'Agriculture Canada et l'inter- venant étaient chacun représentés par leur avocat. Voici l'«Introduction» du rapport:
[TRADUCTION] L'intimé, sous-ministre d'Agriculture Canada, était représenté par M. Patrick O'Grady, agent du ministère chargé de la sécurité. Celui-ci a témoigné que le sous-ministre avait pris la décision de refuser au plaignant l'habilitation de sécurité, en se fondant uniquement sur le rapport et les recom- mandations du SCRS qui a enquêté sur M. Thomson.
C'est pourquoi, lors de la partie orale de l'enquête du comité, l'intimé était représenté par l'avocat du SCRS, le témoignage à l'appui de la décision de refuser à M. Thomson l'habilitation de sécurité provenant exclusivement du SCRS. [Dossier, page 83.)
L'intervenant poursuit en précisant l'étendue de son enquête:
[TRADUCTION] Au cours de l'enquête, qui a nécessité trois jours d'audience, nous avons examiné les faits et les allégations énoncés ci-après, tant à la lumière des «menaces envers la sécurité du Canada» définies à l'article 2 de la Loi, qu'en regard des notions de «loyauté» et de «fiabilité» également mentionnées dans la Loi. [Dossier, page 85.]
Les reproches adressés au requérant et dont la liste figure au résumé préparé conformément à l'article 46 sont classés plus loin sous différentes rubriques: «divulgations de télex», «malhonnêteté», «renseignements relatifs à l'ACDI», «communica- tions clandestines», «Grenade», «rencontre clandes tine» et finalement «contacts clandestins». À la fin de chacune de ces rubriques, le comité formule ses commentaires sur le bien-fondé des allégations, compte tenu de la preuve soumise. Ses seules observations défavorables envers le requérant figu- rent sous les rubriques «divulgations de télex» et «malhonnêteté». Dans le premier cas, il ressort de la preuve que deux télex, un vrai et un faux, émanant de l'ambassadeur du Canada à Santiago, au Chili, ont été dévoilés à un député. L'interve- nant en tire la conclusion suivante (Dossier, page 86):
[TRADUCTION] Nous estimons que M. Thomson a mal agi en 1973. Cependant, ces faits étant survenus il y a douze ans, ils ne permettent pas à eux seuls de justifier qu'une habilitation de sécurité lui soit refusée aujourd'hui.
En ce qui concerne l'allégation de «malhonnêteté», l'intervenant souligne que, lors de l'entrevue de filtrage de sécurité du 11 janvier 1985, le requé- rant a nié avoir dévoilé le vrai télex, tout en reconnaissant qu'il avait dévoilé le «faux» (lequel avait permis son identification comme auteur de la première fuite). Ce n'est qu'après que les enquê- teurs du SCRS l'eurent confronté à cette preuve qu'il a admis sa participation. L'intervenant affirme à cet égard (Dossier, page 88):
[TRADUCTION] Cet aspect de l'enquête soulève des difficultés particulières. Il est normal, évidemment, qu'on s'attende à ce que les employés demandant une habilitation de sécurité répon- dent avec honnêteté aux questions des fonctionnaires chargés de l'enquête. Toutefois, il ne faut peut-être pas se surprendre que les individus qui ont commis certains actes et craignent d'être l'objet de poursuites criminelles hésitent à faire de tels aveux. Quoi qu'il en soit, tout en reconnaissant que M. Thomson a manqué de franchise lors de l'entrevue, nous concluons que, dans les circonstances, ce seul fait ne permet pas de le considé- rer comme un menteur incorrigible.
Vers la fin de son rapport, l'intervenant expose les positions respectives d'Agriculture Canada et du requérant. Selon lui, l'extrait suivant du témoi- gnage de l'un des enquêteurs du SCRS illustre bien le point de vue de l'intimée:
[TRADUCTION] ... Tout ce qui m'intéresse, c'est de savoir si la sympathie qu'il démontre pour certaines causes ou personnes est telle que les intérêts du gouvernement du Canada pourraient être en jeu, advenant le cas ces intérêts iraient à l'encontre de ses convictions profondes. C'est cela qui me préoccupe, non pas ses convictions en soi ... Compte tenu de l'ensemble des circonstances, je ne suis pas convaincu qu'il n'adopterait pas la même conduite si une situation similaire se présentait de nou- veau. S'il considérait que la cause qu'il avait épousée à ce moment précis était plus importante que l'intérêt du gouverne- ment du Canada dans la protection de certains renseignements, je me demande s'il ne referait pas la même chose aujourd'hui. ... j'estime, à propos de toute cette affaire de renseignements, qu'il importe au fond de savoir si les causes qu'il épouse l'emportent, dans son esprit, sur sa loyauté envers le gouverne- ment canadien. [Dossier, page 95.]
Quant à la réponse du requérant, l'intervenant l'expose ainsi:
[TRADUCTION] Je suis plus âgé maintenant, j'ai davantage confiance en moi. Je me sentirais plus en mesure d'affronter ce genre de situation au sein de l'Agence aujourd'hui. A cette époque, je souffrais d'insécurité. J'occupais un poste subalterne. Je croyais que je ne pouvais rien faire. Aujourd'hui, j'exprime- rais mon indignation auprès des niveaux supérieurs du minis- tère, ou même du gouvernement. (Dossier, page 96.)
CONCLUSIONS ET RECOMMANDATION DE L'INTERVENANT
L'intervenant expose ses conclusions et sa recommandation aux pages 15 et 16 de son rapport:
[TRADUCTION] Conclusions
À l'exception d'une seule, les allégations relatives aux activités de M. Thomson depuis 1973 ne sont pas, à notre avis, appuyées par la preuve. L'exception relevée concerne le fait que M. Thomson a manqué de franchise lorsqu'il a été interrogé par l'enquêteur du SCRS en 1985 au sujet de la divulgation de télex sans autorisation en 1973.
Il ne fait aucun doute que, de 1973 aujourd'hui, M. Thomson a rencontré des fonctionnaires et agents de gouvernements des Antilles et d'Amérique latine. Nous croyons toutefois qu'en raison des postes qu'il a occupés pendant cette période, ces rencontres étaient inévitables et qu'elles ne constituaient en rien, selon la preuve, un geste inamical à l'endroit des intérêts du Canada en matière de sécurité. Il n'y a également aucune preuve que M. Thomson ait dévoilé ou cherché à dévoiler des documents classifiés à des personnes non autorisées. En fait, pendant la plus grande partie de la période en cause, il n'aurait pu agir ainsi puisqu'il n'avait pas accès à de tels renseigne- ments. Enfin, nous estimons sans fondement la thèse selon laquelle il aurait «rencontré» des agents de renseignements au terminus d'autobus d'Ottawa.
Il reste que M. Thomson a admis avoir dévoilé sans autorisa- tion, en 1973, des renseignements classifiés, à deux occasions différentes (apparemment). On notera cependant que le desti- nataire n'était pas une puissance étrangère, mais un député canadien. Il s'agissait malgré tout d'un grave abus de confiance et la question qui se pose est la suivante: M. Thomson agirait-il de la même façon à l'avenir si les circonstances l'amenaient encore une fois à s'engager émotivement?
La réponse à cette question est nécessairement tout à fait subjective. Pour notre part, nous croyons que ces incidents survenus il y a environ douze ans, à une époque M. Thomson possédait moins d'expérience et de maturité, ne peuvent à eux seuls justifier la conclusion qu'en pareilles circonstances il agirait, aujourd'hui ou demain, de la même façon: A défaut d'autres preuves, nous ne pouvons partager cet avis.
Nous concluons, par conséquent, qu'il serait improbable que M. Thomson dévoile des renseignements classifiés s'il obtenait une fois de plus un poste lui donnant accès à des renseignements de cette nature.
Recommandation
Nous recommandons que le sous-ministre d'Agriculture Canada accorde à M. Thomson l'habilitation de sécurité au niveau «Secret» de façon à ce qu'il puisse poursuivre sa carrière dans le poste qui lui a été offert en 1984. (Dossier, p. 96-97.)
Cependant, malgré cette recommandation, le sous-ministre a informé le requérant, par lettre datée du 4 juin 1986, [TRADUCTION] «que la décision de refuser l'habilitation de sécurité était maintenue» (Dossier, page 102). Tout indique que,
ce faisant, il considérait ne pas être légalement lié par la recommandation (Dossier, page 98).
QUESTIONS EN LITIGE
Dans son exposé des points d'argument, le requérant allègue que le sous-ministre a commis quatre erreurs de droit. Il n'est pas nécessaire d'en faire ici l'énumération, bien qu'il nous faille en examiner le fondement dans l'analyse des ques tions qui requièrent, à mon avis, l'attention de la présente Cour. En bref, le requérant soutient que d'après le régime établi par la Loi et son objet global, le sous-ministre était tenu d'agir conformé- ment aux conclusions et à la recommandation de l'intervenant, et qu'il a donc erré en droit en refusant l'habilitation de sécurité. Le requérant a fait valoir une cinquième prétention, fondée sur l'atteinte présumée aux libertés d'expression et d'association garanties respectivement aux alinéas 2b) et 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi consti- tutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.U.)], mais il l'a ensuite retirée. Pour sa part, l'intimée a soutenu essen- tiellement que la présente Cour n'avait pas compé- tence en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, au motif que la décision de refuser l'habilitation de sécurité relève de la prérogative royale, dont émane la directive du Cabinet 35, et que la recommandation en litige n'a, en tout état de cause, aucune force obligatoire.
Voici quels sont, à mon avis, les principaux points en litige dans le présent appel:
a) Si la décision de refuser l'habilitation de sécurité relève de l'exercice de la prérogative royale dont émane la directive du Cabinet 35, la présente Cour est-elle compétente, en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, pour examiner cette décision et l'annuler le cas échéant?
b) Le sous-ministre de l'Agriculture est-il tenu de suivre la «recommandation» qu'a formulée l'intervenant dans son rapport et d'accorder l'ha- bilitation de sécurité?
c) Si le sous-ministre est tenu d'accorder l'habi- litation conformément à ladite «recommanda- tion», la présente Cour est-elle compétente, en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour
fédérale, pour examiner et annuler son refus d'entériner cette recommandation, de manière à l'obliger à y donner suite?
EXAMEN DES QUESTIONS EN LITIGE
Compétence
Le paragraphe 28(1) de la Loi sur la Cour fédérale dispose:
28. (1) Nonobstant l'article 18 ou les dispositions de toute autre loi, la Cour d'appel a compétence pour entendre et juger une demande d'examen et d'annulation d'une décision ou ordonnance, autre qu'une décision ou ordonnance de nature administrative qui n'est pas légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire, rendue par un office, une com mission ou un autre tribunal fédéral ou à l'occasion de procédu- res devant un office, une commission ou un autre tribunal fédéral, au motif que l'office, la commission ou le tribunal
a) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou autre- ment excédé ou refusé d'exercer sa compétence;
b) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du dossier; ou
c) a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
Les termes «office, commission ou autre tribunal fédéral» sont définis à l'article 2:
2....
«office, commission ou autre tribunal fédéral» désigne un orga- nisme ou une ou plusieurs personnes ayant, exerçant ou prétendant exercer une compétence ou des pouvoirs conférés par une loi du Parlement du Canada ou sous le régime d'une telle loi, à l'exclusion des organismes de ce genre constitués ou établis par une loi d'une province ou sous le régime d'une telle loi ainsi que des personnes nommées en vertu ou en conformité du droit d'une province ou en vertu de l'article 96 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867;
L'avocat de l'intimée soutient que c'est la préro- gative royale' qui régit le pouvoir de procéder à une nomination au sein du ministère de l'Agricul- ture et d'en stipuler les conditions. Je conviens que ces pouvoirs incluent celui de faire de l'obtention d'une habilitation de sécurité une condition préala-
3 En vertu de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-32, la Commission de la Fonction publi- que peut déléguer aux sous-chefs d'un ministère son pouvoir exclusif de faire des nominations au sein de la Fonction publi- que (voir l'alinéa 5a), le paragraphe 6(1) et l'article 8). Il semble qu'une délégation de cette nature ait été faite au ministère de l'Agriculture. Voir Manuel de dotation en person nel, Vol. 11, Délégation des pouvoirs, etc. (Dossier, p. 140). Voir également l'alinéa 5(1)e) de la Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970, chap. F-10.
ble à l'embauche et que, traditionnellement, la faculté d'accorder ou non l'habilitation demandée relevait de la prérogative royale. L'intimée allègue en outre que cette tradition n'a été d'aucune façon modifiée par la Loi et qu'en particulier, les pou- voirs conférés à l'intervenant à cet égard ne l'ont en rien altérée. Examinons donc de plus près la directive du Cabinet 35 que l'intimée invoque à l'appui de son argumentation.
Cette directive a été adoptée en 1963, mais ses origines remontent bien auparavant'. Intitulée «La sécurité dans la Fonction publique du Canada», elle se divise en trois grandes rubriques, à savoir
«POSITION DE PRINCIPE», «FAÇON DE PROCEDER» et «METHODES». Elle est demeurée confidentielle jusqu'en 1978, date à laquelle elle a été déclassi- fiée et déposée comme pièce au cours des audien ces publiques de la Commission d'enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada (voir le Deuxième rapport, vol. 2, La liberté et la sécurité devant la loi, août 1981, la page 823. L'avocat de l'intimée soutient que les paragraphes suivants sont particulièrement perti- nents à l'espèce:
4 Voici les directives du Cabinet en matière de sécurité relativement aux nominations dans la fonction publique: direc tive du Cabinet 4, 5 mars 1948, directive du Cabinet 4A, 6 avril 1948, directive du Cabinet 24, 16 octobre 1952, directive du Cabinet 29, 21 décembre 1955 et directive du Cabinet 35, 27 décembre 1963. Semblent également perti- nents une brochure du Bureau du Conseil privé, publiée en novembre 1956, et le Règlement sur les enquêtes sécuritaires dans la Fonction publique, pris le 27 mars 1975 [DORS/75- 196] en vertu du paragraphe 7(7) de la Loi sur l'administra- tion financière, S.R.C. 1970, chap. F-10.
Le 18 juin 1986, le Conseil du Trésor faisait connaître une nouvelle «Politique du gouvernement du Canada sur la sécu- rité», qui remplace la politique énoncée dans la brochure de novembre 1956 et la directive du Cabinet 35 concernant le contrôle sécuritaire. Bien que l'intervenant et l'intimée aient tous deux invoqué certains aspects de ce nouveau document à l'appui de leurs prétentions respectives, je ne crois pas qu'il soit très utile, compte tenu du fait que la nouvelle politique a été mise en vigueur subséquemment à l'adoption de la Loi, et certainement aussi de l'interprétation que ses auteurs ont pu donner aux dispositions que la présente Cour doit elle-même interpréter en l'espèce.
POSITION DE PRINCIPE
1. La sécurité dans la Fonction publique du Canada constitue un élément essentiel de la saine administration du personnel, et relève par conséquent de la responsabilité de chaque ministère et organisme. La sécurité des informations classifiées conser vées par un ministère ou un organisme peut être compromise par des personnes qui peuvent être déloyales envers le Canada et son régime de gouvernement, ou par des personnes auxquel- les on ne peut se fier en raison de certains défauts de leur caractère.
5. Si la loyauté est importante, il est également essentiel que l'on puisse avoir confiance en toute personne qui doit avoir accès à des informations classifiées. On peut ne pas avoir confiance en une personne pour un certain nombre d'autres raisons qui n'ont rien à voir avec la loyauté. Pour protéger dans toute la mesure du possible la sécurité de l'État, on ne devrait pas permettre aux personnes décrites au paragraphe 6 ci-après d'avoir accès à des informations classifiées, à moins que, après un examen approfondi des circonstances, y compris la valeur de leurs services, on juge que le risque de les employer serait justifié.
6. Les personnes dont il est question au paragraphe 5 ci-dessus sont les suivantes:
a) toute personne en qui on ne peut avoir confiance, non par suite de sa déloyauté, mais par suite de certaines caractéristiques de sa personnalité qui pourraient l'ame- ner à être indiscrète ou malhonnête, ou la rendre vulné- rable au chantage ou à la contrainte. Ces caractéristi- ques comprennent la cupidité, l'endettement, les aberrations sexuelles, l'alcoolisme, la toxicomanie, le déséquilibre mental ou tout autre trait de caractère qui risque d'ébranler son honnêteté;.
b) toute personne qui, par suite de sa famille ou de rela tions fréquentes avec des personnes tombant dans les catégories décrites aux paragraphes 3a) à e) ci-dessus, serait disposée, sciemment ou inconsciemment, à agir de façon préjudiciable aux intérêts et à la sécurité du Canada. Ce n'est pas à la nature de la relation (fami- liale, matrimoniale ou amicale) qu'il faut attacher le plus d'importance, mais à son intensité et aux circons- tances qui l'entourent; en particulier, il faut porter un jugement sur la confiance qu'on peut lui accorder en fonction du degré de l'influence qu'on pourrait exercer sur une telle personne, mais ce jugement doit être porté avec le plus grand soin; et
c) toute personne qui, tout en étant loyale et digne de confiance, est étroitement attachée par des liens fami- liaux ou des sentiments d'affection à des personnes vivant à l'intérieur des frontières de certains pays étran- gers qui pourraient exercer sur elle des pressions intolé- rables. [C'est moi qui souligne.]
7. En outre, il faut reconnaître la sérieuse menace à la sécurité que comporte le fait d'employer ou de permettre que soient employées des personnes tombant dans les catégories décrites aux paragraphes 3 à 6 ci-dessus:
a) à certains postes, dans des sociétés industrielles et entre- prises associées, qui prennent part à la production ou à l'étude d'un matériel de défense classifié qui doit être protégé pour des raisons de sécurité; ou
b) à des postes, au sein d'organismes gouvernementaux exécutant des travaux dont la nature est essentielle à la sécurité nationale, postes qui, bien qu'ils ne comportent pas normalement l'accès à des informations classifiées, peuvent fournir à leurs titulaires des occasions d'accéder sans autorisation à de telles informations.
8. Pour s'acquitter de leurs responsabilités concernant la protection des secrets du gouvernement du Canada et de ses alliés, les ministères et organismes doivent, en tout premier lieu, obtenir des renseignements suffisants à propos de toute per- sonne qui doit avoir accès à ces secrets, afin de porter un jugement raisonnable sur la question de savoir si cette personne est loyale et digne de confiance. En portant ce jugement d'ordre administratif, il faut toujours se rappeler que, si les intérêts afférents à la sécurité nationale doivent prévaloir lorsqu'il existe un doute raisonnable, la sauvegarde des intérêts de l'individu est aussi essentielle à la préservation de la société que nous visons à protéger. Les renseignements concernant le statut sécuritaire d'un employé seront traités de façon confidentielle. [C'est moi qui souligne.]
FAÇON DE PROCEDER
9. Les méthodes suivantes, au moyen desquelles la présente politique doit être mise en oeuvre, visent à assurer le filtrage le plus minutieux possible, surtout en ce qui concerne les person- nes appelées à avoir accès à des informations classifiées à un niveau élevé. Il continue d'incomber à chaque ministère et organisme du gouvernement de faire en sorte que sa sécurité demeure intacte.
10. Les renseignements concernant les personnes susceptibles d'avoir accès à des informations classifiées doivent, à tout le moins, être obtenus de ces personnes elles-mêmes, des person- nes dont celles-ci se sont recommandées, ainsi qu'au moyen d'enquêtes menées par des organismes d'enquête autorisés. Les ministères et organismes informeront les personnes susceptibles d'avoir accès à des informations classifiées des motifs justifiant l'enquête relative à leurs antécédents, et leur expliqueront les dangers qu'elles encourraient elles-mêmes tout en exposant la sécurité de l'Etat si elles tentaient de dissimuler tout renseigne- ment de nature à influer sur l'ampleur de la confiance pouvant leur être accordée.
11. Les fonctions d'un organisme d'enquête consistent à mener de façon prompte et efficace les enquêtes réclamées par les ministères ou organismes afin de les aider à déterminer si la personne qui fait l'objet de l'enquête est loyale et digne de confiance; et à informer les ministères et organismes des résul- tats de leurs enquêtes au moyen de rapports concrets compor- tant une appréciation minutieuse quant à la sûreté des sources auprès desquelles ils ont obtenu des renseignements.
12. En se fondant sur ces rapports et sur tout autre renseigne- ment pertinent obtenu de la personne intéressée, des personnes dont elle s'est recommandée et de toute autre source de rensei- gnement qui pourra avoir été utilisée, le ministère ou organisme employeur portera un jugement éclairé sur la question de savoir si la personne en cause est loyale et digne de confiance, ainsi que sur l'ampleur de la confiance pouvant lui être accordée en vue de l'exécution sûre et efficace des fonctions à remplir.
13. Si un jugement favorable est porté, le ministère ou l'orga- nisme peut accorder l'habilitation au secret au niveau requis pour l'exécution efficace des fonctions du poste en cause. Si, au
contraire, il existe, de l'avis du sous-ministre du ministère ou du directeur de l'organisme intéressé, un doute raisonnable quant à l'ampleur de la confiance pouvant être accordée au candidat, l'octroi de l'habilitation sera différé jusqu'à ce que le doute soit dissipé à la satisfaction du sous-ministre ou du directeur de l'organisme.
14. Lorsqu'un candidat à un emploi dans la Fonction publique, et non une personne qui est déjà employée, est susceptible d'être nommé à un poste l'obligeant à avoir accès à des informations classifiées, et qu'un doute a surgi quant à l'habilité de cette personne au secret, les mesures suivantes peuvent être prises dans le but de dissiper ce doute:
a) on peut demander à un organisme d'enquête autorisé d'effectuer une nouvelle enquête précise; ou
b) le ministère ou l'organisme peut, en tout temps, deman- der l'avis du Conseil de sécurité interministériel.
METHODES
21. Le filtrage de sécurité des candidats à des postes au sein de la Fonction publique sera effectué par la Commission du service civil, ou par les ministères ou organismes dans le cas des personnes non employées en vertu de la Loi sur le service civil. Lorsque des personnes déjà employées dans un ministère ou organisme devront se voir confier l'accès à des informations classifiées, le filtrage de sécurité sera effectué parle ministère ou organisme en cause.
25. Dans le cadre des politiques et pratiques exposées ci-dessus, l'évaluation et l'habilitation sécuritaires seront établies au moyen des procédés exposés ci-après. Ceux-ci constituent des critères et méthodes de sécurité compatibles avec les services d'enquête actuellement disponibles entre les ministères; ce sont des normes minimales qui ne restreignent aucunement le droit des Forces armées d'effectuer des enquêtes sur les lieux, en utilisant leurs propres moyens, concernant des personnes employées au ministère de la Défense nationale ou pour le compte de ce dernier.
(iv) De qui relève l'octroi des diverses
habilitations au secret Il incombera au sous-chef de tout ministère ou organisme d'accorder ou de refuser une habilitation au secret, et c'est de lui que relèvera en tout temps la responsabilité inhérente à l'accès qu'une personne pourra avoir à des informations clas sifiées Très secret, Secret ou Confidentiel.
Les arguments qu'a formulés l'intimée à l'en- contre de la compétence de la présente Cour en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale peuvent se résumer de la façon suivante:
a) le sous-ministre ne saurait être considéré comme un «office, commission ou autre tribu nal fédéral» exerçant une compétence ou des pouvoirs conférés par une loi du Parlement ou sous le régime d'une telle loi, aux termes de l'article 2, puisqu'en décidant de refuser l'habi-
litation de sécurité, il exerçait en fait des pou- voirs découlant de la prérogative royale dont émane la directive du Cabinet 35;
b) même si l'on convenait que le sous-ministre peut être considéré comme relevant de la caté- gorie «office, commission ou autre tribunal fédéral», sa décision était de nature administra tive et non judiciaire, en ce qu'elle n'était ni soumise à «un processus judiciaire ou quasi judiciaire» ni «légalement» soumise à un tel processus, cette décision devant plutôt être prise, et l'ayant été du reste, dans l'exercice de la prérogative royale dont émane la directive du Cabinet 35.
En dernier lieu, l'intimée soutient, si l'on en venait à la conclusion que la décision du sous- ministre peut faire l'objet d'un examen sous le régime de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, que le sous-ministre n'a pas a) manqué à un principe de justice naturelle ou autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence, b) rendu une décision entachée d'une erreur de droit ni c) fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connais- sance. À l'égard de chacun de ces moyens, l'avocat de l'intimée a une fois de plus invoqué la directive du Cabinet 35, insistant particulièrement sur le fait que c'est le facteur «fiabilité» qui a paru décisif au sous-ministre, comme en témoignent les para- graphes 18 et 19 de son affidavit du 5 septembre 1986:
[TRADUCTION] 18. Dans l'exercice de la responsabilité qui m'est conférée, en vertu du paragraphe 25(iv) de ladite direc tive du Cabinet 35, d'accorder ou de refuser une habilitation au secret dans mon ministère, il m'incombait de prendre une telle décision dans le cas de M. Thomson. Aux termes des paragraphes 5 et 6 de cette directive, il était essentiel que je porte une grande attention, non seulement aux facteurs de loyauté, mais également à la fiabilité de M. Thomson, de même qu'aux aspects de sa personnalité susceptibles d'affaiblir grave- ment la confiance qu'on pouvait lui accorder. Aux termes du paragraphe 12, il m'incombait enfin, en me fondant sur les renseignements obtenus de toutes les sources disponibles, de porter un jugement éclairé sur la question de savoir si M. Thomson était loyal et digne de confiance, ainsi que sur l'am- pleur de la confiance pouvant lui être accordée en vue de l'exécution sûre et efficace des fonctions à remplir.
19. En me fondant sur le rapport du Service canadien du renseignement de sécurité, et même sur les commentaires que formule à son égard ou les explications que fournit le comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité dans son propre rapport, il m'est apparu que, par certains traits de sa
personnalité, M. Thomson n'attachait de valeur à l'honnêteté et à la franchise que dans la mesure cela pouvait servir ou confirmer ses propres intérêts, causes ou convictions; en d'au- tres termes, il m'est apparu qu'il plaçait ceux-ci au-dessus de sa loyauté envers son employeur et envers le Canada; il a ainsi soulevé dans mon esprit un doute raisonnable quant à savoir si l'on pouvait lui confier des renseignements confidentiels et s'il pouvait, en toute confiance, exécuter ses fonctions de façon loyale et efficace au service des intérêts de son employeur et du Canada. [Dossier, pages 122-123.]
Je crois qu'avant de décider si la présente Cour est compétente au sens de la première et de la dernière des questions en litige définies plus haut, nous devrions commencer par répondre à la deuxième question. Si la réponse à cette question est négative, il sera alors nécessaire de statuer sur la compétence de cette Cour pour examiner la décision. Si la réponse est affirmative, il faudra établir si la décision du sous-ministre peut faire l'objet d'un jugement de cette Cour sous, le régime de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
Nature de la recommandation de l'intervenant
Le requérant prétend que le sous-ministre était lié par la recommandation et qu'il devait la mettre en oeuvre. Cette interprétation de l'intention du législateur est également celle de l'intervenant dont les arguments se présentent de façon schéma- tique. Depuis l'entrée en vigueur de la Loi, sou- tient-il, toute décision concernant l'habilitation de sécurité préalable à l'embauche au sein du gouver- nement du Canada relève dorénavant d'un système à trois niveaux. Au premier niveau, il incombe au sous-ministre de décider, seul, de l'octroi ou du refus d'une habilitation, conformément à la direc tive du Cabinet 35. A cette fin, il' peut deman- der au SCRS, en vertu du paragraphe 13(1) de la Loi, de lui fournir une «évaluation de sécurité». La personne à qui on a refusé l'habilitation de sécurité peut porter l'affaire à un deuxième niveau et, par le dépôt d'une «plainte» en vertu de l'article 42, déclencher l'enquête de l'intervenant. Au troisième niveau, l'administrateur général n'a plus qu'à donner effet à la recommandation qu'a formulée l'intervenant à l'issue de son enquête, quelle que soit cette recommandation. On soutient qu'à ce dernier stade, le sous-ministre ne peut plus se fonder sur le motif qu'il avait d'abord invoqué, pour refuser une deuxième fois l'habilitation demandée.
L'avocat de l'intimée donne de la Loi et de son objet une interprétation diamétralement opposée. Selon lui, les nouvelles dispositions ne font qu'ac- corder à toute personne, qu'on refuse d'embaucher faute d'une habilitation de sécurité, la faculté d'ex- poser sa cause devant un comité indépendant et de connaître les motifs du refus de l'habilitation. Aux termes du paragraphe 52(2) de la Loi, soutient-il, il est seulement exigé que l'intervenant «envoie au ministre, au directeur, à l'administrateur général concerné et au plaignant un rapport des recom- mandations qu'il juge indiquées» (le ministre ici désigné est le solliciteur général du Canada). Cette exigence n'empièterait d'aucune façon sur le pou- voir conféré au sous-ministre par la directive du Cabinet 35. En fait, poursuit la partie intimée, il doit en être ainsi particulièrement en matière de «fiabilité» puisque l'appréciation de ce facteur relève précisément du responsable de l'embauche.
J'estime que l'issue de la présente demande repose, en grande partie, sur l'interprétation du terme «recommandation» utilisé au paragraphe 52(2) de la Loi. À mon sens, il ne s'agit pas de simplement retirer ce terme de son contexte légis- latif et de lui donner une signification littérale, à savoir le fait de conseiller ou suggérer à autrui de suivre une ligne de conduite ou de l'y engager. Dans son ouvrage Construction of Statutes, 2e éd. Toronto: Butterworths, 1983, feu le professeur E. A. Driedger a énoncé en ces termes le [TRADUC- TION] «principe moderne» de l'interprétation légis- lative (page 87):
[TRADUCTION] De nos jours, un seul principe ou méthode prévaut pour l'interprétation d'une loi: les mots doivent être interprétés selon le contexte, dans leur acception logique cou- rante en conformité avec l'esprit et l'objet de la loi et l'intention du législateur.
La Cour suprême du Canada a récemment approuvé cet énoncé dans l'arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la per- sonne), [1987] 1 R.C.S. 1114, le juge en chef Dickson, à la page 1134.
Il ne s'ensuit pas que les juges sont libres d'in- terpréter une loi selon leurs propres conceptions politiques, mais comme l'a fait remarquer lord
Scarman, dans l'arrêt Reg. v. Barnet London Borough Council, Ex parte Nilish Shah, [1983] 2 W.L.R. 16 (H.L.), à la page 30:
[TRADUCTION] Ils peuvent, évidemment, adopter la méthode de l'interprétation téléologique s'ils parviennent à découvrir, dans l'ensemble de la loi ou dans les éléments extrinsèques auxquels le droit leur permet de recourir, l'expression du but ou de l'intention politique du législateur.
Ce faisant, je prends note de la mise en garde qu'a formulée Sir John Donaldson, M.R., dans l'arrêt Carrington v. Therm-A-Stor Ltd., [1983] 1 W.L.R. 138 (C.A.) à la page 142:
[TRADUCTION] Cependant, l'idée que le législateur «doit avoir voulu» un certain résultat n'est pas sans risque. S'il n'est tenu compte que de la situation apparente à corriger, le juge n'éprouvera sans doute pas trop de difficulté à se convaincre que le remède que le législateur a voulu apporter est celui-là même qu'il aurait imposé, en eût-il eu la compétence. A vrai dire, il est possible que le législateur n'ait pas eu la même perception de la situation à réformer, qu'il ait choisi un autre remède que celui de la loi ou qu'il n'ait tout simplement pas envisagé cette éventualité. Cela ne signifie pas qu'on doit avoir des oeillères et se confiner à une interprétation littérale, étroite- ment légaliste, mais qu'il faut plutôt s'efforcer de donner effet à l'intention du législateur telle qu'elle ressort des termes de la loi, en appliquant les canons habituels d'interprétation en cas d'ambiguïté ou d'obscurité.
Les avocats du requérant et de l'intervenant soutiennent que, pour découvrir le «désordre» ou le «malaise» que la Loi est censée corriger, il nous faut recourir aux débats de la Chambre des com munes de même qu'à certains témoignages présen- tés en comité parlementaire. Il est vrai que la présente Cour a déjà consulté les débats parlemen- taires dans l'arrêt Lor-Wes Contracting Ltd. c. La Reine, [1986] 1 C.F. 346 (C.A.), le juge Mac- Guigan, à la page 355, s'exprimait ainsi:
Bien que la règle n'ait pas changé et qu'il soit toujours impossi ble d'avoir recours à l'histoire législative pour établir directe- ment l'intention du législateur, la Cour suprême du Canada s'y réfère néanmoins de plus en plus pour des fins connexes, non seulement dans les arrêts constitutionnels (Renvoi: Loi anti- inflation, [1976] 2 R.C.S. 373, Re: Opposition du Québec à une résolution pour modifier la Constitution, [1982] 2 R.C.S. 793), mais également de façon générale en matière d'interpré- tation des lois. Ainsi, dans R. c. Vasil, [1981] 1 R.C.S. 469, la Cour a consulté le Journal des débats et déterminé que le Canada avait adopté non seulement le texte du projet de code criminel de 1879 de la Commission royale britannique mais aussi ses motifs. Actuellement, la règle serait donc que l'on peut se servir du Journal des débats, tout comme du rapport d'une commission d'enquête, pour exposer et étudier le désordre, le malaise ou l'état des choses que visait le législateur: Morguard Properties Ltd., précité, aux pages 498 et 499 R.C.S.; 269 et 270 N.R.
Le projet de loi C-9, à l'origine de la Loi en cause en l'espèce, a été présenté en première lec ture à la Chambre des communes le 18 janvier 1984 par le ministre responsable, le solliciteur général de l'époque, M. Robert Kaplan. Ce projet remplaçait une version antérieure, le projet de loi C-157, soumise au Parlement le 18 mai 1983. Bien que de structure différente, la nouvelle version reprenait, sans changement important, les mêmes dispositions relativement aux «plaintes» et aux attributions de l'intervenant à leur égard. Ces dis positions furent finalement adoptées. Il y a toute- fois un élément majeur de la Loi actuelle qui ne figurait dans aucune des deux versions: le droit du plaignant, du directeur et de l'administrateur général concerné, conformément au paragraphe 48(2), de «présenter ... des éléments de preuve» au comité de surveillance «ainsi que d'être entendu en personne ou par l'intermédiaire d'un avocat».
J'estime que les déclarations faites au cours des débats à la Chambre des communes et en comité parlementaire peuvent nous éclairer dans une cer- taine mesure sur le désordre ou le malaise auquel l'adoption de la Loi devait remédier. Le solliciteur général affirme ainsi que «le projet de loi a ... pour but, dans une large mesure, de présenter une nouvelle gamme de garanties et de contrôles ... pour protéger les droits des Canadiens contre des ingérences indues. 5 » Il ajoute qu'«En passant de l'actuel mandat établi par une directive du Cabinet ... à un mandat législatif qui ne peut être changé qu'ici, nous faisons un grand pas en avant dans la protection des droits des Canadiens. 6 » Le sollici- teur général qualifie également de «grand progrès sur le plan des libertés civiles» la tenue, «pour la première fois'», d'enquêtes sur les plaintes présen- tées à la suite de refus d'habilitation de sécurité. Parlant de la procédure prévue dans le premier projet C-157, il insiste sur le fait qu'elle permettra à ceux à qui on a refusé l'habilitation et l'embau- che de «faire rectifier leur dossier et (d')obtenir que justice soit faite. Dans son intervention en comité parlementaire, il indique qu'en vertu de la
5 Débats de la Chambre des communes, vol. II, 2e sess., 32'
Parl. 33 Eliz. II, 10 février 1984, la p. 1272.
6 lbid., p. 1273.
7 Ibid., p. 1275.
8 Débats de la Chambre des communes, vol. 23, P' sess., 32'
Parl. 32 Eliz. II, 6 juin 1983, la p. 26073.
loi proposée, le plaignant bénéficierait dans ce cas d'«un recours» 9 .
En raison de la présence du mot «recommanda- tions» au paragraphe 52(2) de la Loi, l'avocat de l'intimée allègue que le sous-ministre n'est pas lié en l'espèce par la recommandation qu'a formulée l'intervenant. Il soutient qu'il faut adopter la méthode d'interprétation littérale. Pourtant, les tribunaux se sont montrés réticents à interpréter strictement le mot «recommandation» dans la mesure il n'y a pas concordance avec l'économie générale du texte législatif en cause. C'est la posi tion du juge Darling dans l'arrêt Christ's Hospital Governors, Rex v. Ex parte Dunn, [1917] 1 K.B. 19, la page 23:
[TRADUCTION] Le mot «recommandation» n'y est pas utilisé dans son acception ordinaire, comme lorsqu'on dit: «Je vous recommande de faire ceci et cela» ou quand le médecin s'adresse à son patient en lui disant: «Je vous recommande un changement d'air.» Bien qu'elle adopte la formule de la recom- mandation, cette clause confère en réalité aux organismes en cause le pouvoir de dire: «Nous désignons telle personne et vous devez la nommer assistante sociale; nous ne pouvons pas mettre nous-mêmes cette recommandation en œuvre mais c'est à vous, à titre d'administrateurs de l'établissement, qu'il appartient d'inscrire le nom de cette personne sur la liste.» À mon avis, les rédacteurs de cette clause avaient à l'esprit un mécanisme semblable au congé d'élire qui, sous la forme d'une permission ou d'une invitation, équivaut en fait à un commandement. Ainsi en l'espèce, une «nomination» s'appelle une «recommandation». Le langage utilisé ne pêche pas par excès de précision, mais, je le répète, le mot «recommandation» n'est pas à mon avis employé ici au sens faible, mais au sens d'une véritable nomination.
L'affaire australienne Myer Queenstown Garden Plaza Pty. Ltd. and Myer Shopping Centres Pty. Ltd. v. Corporation of the City of Port Adelaide and the Attorney -General (1975), 11 S.A.S.R. 504 (S.C.) en est une autre illustration. La Cour devait en l'espèce interpréter le mot «recommanda- tion» dans le contexte d'une loi conférant au gou- verneur le pouvoir d'édicter des règlements «sur la recommandation» d'une administration ou d'un conseil municipal. Il était allégué que le gouver- neur pouvait ainsi s'écarter substantiellement de la recommandation reçue. La Cour n'a pas accepté cet argument. Elle a pris en compte le cadre prévu
9 Canada, Chambre des communes, Comité permanent de la Justice et des questions juridiques, Témoignages, Fascicule 15 (17 avril 1984), à la p. 6 et fascicule 28 (24 mai 1984), à la p. 58.
dans la loi pour l'adoption d'une recommandation, notamment l'article 38) le mécanisme permet- tant au public de faire valoir des objections et [TRADUCTION] «d'être entendu en personne ou par l'intermédiaire d'un avocat, d'un solicitor ou d'un mandataire devant l'administration ou le conseil et d'y soulever ces objections». Le juge Wells souligne à cet égard à la page 547:
[TRADUCTION] En faisant ressortir le mécanisme prescrit à l'art. 38, M. Johnston a posé la question suivante: pourquoi le législateur serait-il aller aussi loin pour s'assurer que l'opinion du public sur les règlements proposés soit largement sollicitée et que les règlements soient conformes aux dispositions et objets du plan de développement autorisé, s'il n'était pas exigé davan- tage du gouverneur que l'obligation de ne pas agir sans consul tation du conseil, de ne pas aller directement à l'encontre de ses avis et de n'agir qu'à son instigation? À quoi servirait-il d'invi- ter le public concerné, de prendre en considération ses objec tions et de tenter de s'assurer à l'avance de la conformité des propositions avec le plan de développement autorisé, si une vigilance aussi assidue devait être mise en échec par une interprétation de l'art. 36 qui permettrait au gouverneur de s'écarter substantiellement du projet recommandé? Les règle- ments ne devraient-ils, pas au contraire, être rédigés de façon étroitement conforme à ce projet?
À mon avis, le mot «recommandations» contenu au paragraphe 52(2) de la Loi doit être interprété en tenant compte de l'ensemble du régime de la Loi auquel est soumise l'enquête relative à une «plainte» présentée par celui qui fait l'objet d'une opposition à engagement par suite du refus d'une habilitation de sécurité. J'ai été frappé, en la dis- cernant dans certaines caractéristiques de ce régime, par la volonté du législateur d'accorder au plaignant un recours plutôt que la simple possibi- lité d'exposer sa cause et d'apprendre les motifs du refus. Parmi ces caractéristiques, je relève en par- ticulier l'attention apportée aux critères de sélec- tion et de nomination des membres de l'interve- nant, de même qu'à la durée de leur mandat (article 34); leur obligation de prêter le serment de secret (article 37); la nécessité d'une décision défa- vorable comme préalable à l'ouverture d'une enquête (paragraphe 42(1)); l'obligation d'envoyer à toutes les parties concernées «un résumé des informations dont [le comité] dispose ... [a]fin de permettre au plaignant d'être informé de la façon la plus complète possible des circonstances qui ont donné lieu au refus d'une habilitation de sécurité» (article 46); celle d'informer à la fois le directeur et l'administrateur général de la plainte avant de procéder à une enquête (article 47); la possibilité
offerte à toutes les parties concernées de «présenter des observations ... au comité de surveillance ainsi que d'être entendu en personne ou par l'intermé- diaire d'un avocat» (paragraphe 48(2)); les vastes pouvoirs de l'intervenant d'assigner et de contrain- dre les témoins à comparaître devant lui, à déposer sous serment et à produire «les pièces qu'il juge indispensables pour instruire et examiner à fond les plaintes, de la même façon et dans la même mesure qu'une cour supérieure d'archives», son pouvoir de faire prêter serment et de recevoir des éléments de preuve ou des informations par décla- ration verbale ou écrite sous serment ou par tout autre moyen (article 50); l'étendue de son accès aux informations «par dérogation à toute autre loi fédérale ou toute immunité reconnue par le droit de la preuve», et l'interdiction de lui refuser ces informations «pour quelque motifs que ce soit», à l'exception des renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada visés par le paragraphe 36.3(1) de la Loi sur la preuve au Canada [S.R.C. 1970, chap. E-10 (ajouté par S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, art. 4)] (paragraphes 39(2) et (3)).
À mon avis, la nature de ce régime témoigne du désir du législateur de mettre à la disposition du plaignant un mécanisme complet de redressement. Il me semble en effet que le législateur aurait pu se contenter d'un régime beaucoup moins complexe s'il ne s'était agi que de permettre au plaignant d'exposer sa cause devant une tierce partie et d'être informé des raisons du refus de l'habilita- tion. Au contraire, le caractère détaillé du régime adopté, y compris l'obligation de rédiger un rap port formel contenant des «conclusions» et des «recommandations», semblent indiquer que ce der- nier mot n'est pas employé dans son sens littéral. De plus, il ressort des modalités de ce régime, notamment de l'importance accordée à l'avis préa- lable, à l'accès aux renseignements névralgiques, à la possibilité d'être entendu, d'assigner des témoins et de produire des pièces, etc., qu'on a voulu donner à l'intervenant toute latitude pour exami ner les raisons ayant pu motiver le refus et accor- der, le cas échéant, le redressement approprié. Je ne puis trouver, à des pouvoirs aussi étendus, aucune autre explication acceptable. Vu l'impor- tance que le législateur a attachée à cette question et le soin qu'il y a apporté, j'ai du mal à croire que toute «recommandation» puisse n'être que consul-
tative ou faite à titre de simple suggestion. Con- clure autrement reviendrait à dire que le législa- teur a, comme la montagne, accouché d'une souris. Enfin, d'autres dispositions de la Loi semblent indiquer que le mot «recommandations» n'a pas un sens littéral. Par exemple, au chapitre des «modifi- cations consécutives et corrélatives», le paragraphe 36.1(7) de la Loi canadienne sur les droits de la personne [ajouté par S.C. 1984, chap. 21, art. 73], le paragraphe 17.1(5) de la Loi sur la citoyenneté [ajouté, idem, art. 75] ou encore les alinéas 39(8)a) [mod., idem, art. 80] et 82.1(6)a) [ajouté, idem, art. 84] de la Loi sur l'immigration de 1976 renferment des dispositions visant le renvoi devant l'intervenant, pour enquête et rapport conformé- ment à la procédure examinée plus haut, de toute question la sécurité est en cause. Il est significa- tif, à mon sens, que dans aucun de ces cas, il ne soit question de «recommandations» mais seule- ment de «conclusions» que celui auquel incombe la décision finale est autorisé à étudier.
Évidemment, le but de la Loi va bien au-delà de la protection de l'intérêt individuel dans le proces- sus d'obtention d'une habilitation de sécurité. Son but premier est, en effet, de protéger l'intérêt national sur le plan général de la sécurité. Témoi- gne d'ailleurs de cet objectif la procédure de «plaintes» de la Partie III, particulièrement les dispositions concernant la composition et les pou- voirs de l'intervenant, de même que l'exigence du secret, qui vise à ce que l'intérêt national ne soit pas sacrifié. En fait, le texte se veut le reflet d'un juste équilibre entre ces deux intérêts. La procé- dure prescrite ne concerne pas la façon dont doit être prise la décision initiale de refuser une habili- tation; elle n'entre en jeu qu'une fois cette décision rendue et encore seulement après le dépôt d'une «plainte». C'est à ce stade, à mon avis, que la question de juger du bien-fondé d'un refus cesse de relever de l'administrateur général pour tomber sous la juridiction de l'intervenant, lequel doit notamment, en conformité avec la procédure éta- blie par la Loi, donner à l'administrateur général la pleine faculté de défendre sa décision et au SCRS, celle de défendre l'avis qu'il lui a donné. Je suis convaincu que l'enquête peut ainsi porter sur tous les motifs du refus, y compris toute apprécia- tion subjective de la fiabilité du plaignant. D'après
moi, l'administrateur général n'est, par consé- quent, pas habilité à «re-prendre», pour ainsi dire, une décision déjà prise, une fois que l'affaire a fait l'objet d'une «plainte» puis d'une «recommanda- tion».
Parallèlement, il faut convenir que l'existence d'une nouvelle circonstance, inconnue de l'admi- nistrateur général au moment d'un refus qui fait l'objet d'une «plainte», ou encore découverte après enquête, pourrait peut-être lui permettre d'opposer un second refus malgré une recommandation posi tive. Bien que le requérant y ait fait allusion au cours du débat, il ne nous appartient pas de tran- cher cette question. Mais il se pourrait très bien que l'administrateur général puisse refuser une habilitation en se fondant sur le fait nouveau, et que la personne concernée ait alors le droit de présenter une nouvelle «plainte» et de se prévaloir de la protection de la Loi. Si cette conclusion est bien fondée, il s'ensuit qu'une «recommandation» n'a force obligatoire que dans la mesure elle résulte d'une enquête ayant porté sur les motifs de la décision contestée, et non d'un fondement entiè- rement différent que l'administrateur général n'avait pas au départ pris en considération.
Retour à la question de la compétence
Si j'ai raison de croire que le sous-ministre est lié par la recommandation en cause, il faut mainte- nant répondre à la troisième des questions en litige définies plus haut: la présente Cour possède-t-elle en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale la compétence pour examiner et annuler la décision allant à l'encontre de cette recomman- dation? Il est clair que cette décision était fondée sur une mauvaise interprétation du paragraphe 52(2), le sous-ministre se croyant libre d'exercer conformément à la directive du Cabinet 35 un pouvoir discrétionnaire dont il se prétend du reste toujours investi. À mon avis cependant, la décision contestée ne relève pas de la compétence conférée à la présente Cour par l'article 28, parce que cette disposition ne nous autorise pas à accorder le redressement demandé, à savoir l'annulation de la seconde décision et une déclaration portant que le sous-ministre est tenu de suivre la recommanda- tion. Si mon interprétation est exacte, il suffit d'un acte de nature purement administrative, non soumis à un processus judiciaire ou quasi judi-
ciaire, pour mettre en oeuvre la recommandation. Or, c'est la Division de première instance qui a, aux termes de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, compétence exclusive en première ins tance pour accorder certains redressements, y com- pris l'émission d'un bref de certioriari ou de man- damus. Il est bien établi que le recours en certiorari permet de faire annuler la décision d'un fonctionnaire qui a excédé sa compétence et que le mandamus vise à obtenir l'exécution d'un devoir imposé par la loi. D'après mon analyse, un devoir de cette nature découle en l'espèce de la recom- mandation obligatoire que l'intervenant, à titre d'intermédiaire du Parlement, a dûment formulée en conformité avec la Loi. En conséquence, je suis d'avis que la présente Cour ne peut pas invoquer les pouvoirs de rendre jugement qui lui sont dévo- lus par l'article 28 pour examiner tout refus ou toute négligence de suivre une telle recommanda- tion.
JUGEMENT
En résumé,
a) le sous-ministre est tenu d'accorder l'habilita- tion de sécurité, suivant la recommandation de l'intervenant;
b) la présente Cour n'a aucune compétence en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale pour examiner et annuler la décision qu'a prise le sous-ministre, le 4 juin 1986, de refuser cette habilitation.
Je rejetterais la demande.
LE JUGE HUGESSEN: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE DESJARDINS: J'y souscris également.
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