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T-249-84
Double-E, Inc. (demanderesse)
c.
Positive Action Tool Western Limited, Douglas H. Shearer, Samuel D. Martin, Donald E. Sable, Donald E. Sable II, John T. Bertagnolli, Ross Macfarland (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: DOUBLE-E, INC. C. POSITIVE ACTION TOOL WESTERN LTD.
Division de première instance, juge Muldoon— Calgary, 7 juin; Ottawa, 14 juin 1988.
Pratique Communications privilégiées Secret profes- sionnel de l'avocat Production d'une copie du dessin d'un dispositif qui, prétend-on, constitue une contrefaçon de brevet Par inadvertance, des notations manuscrites faites par l'avocat dont les avocats des défendeurs avaient retenu les services pour obtenir son avis sur des questions relevant du droit des brevets et des droits d'auteur, ont été incluses La Cour ne doit pas permettre que l'exemption de communication soit perdue par inadvertance Les notations ne sont pas des «faits» objectifs, mais des opinions destinées aux avocats des défendeurs pour qu'ils en tiennent compte en préparant leur
dossier Il ne s'agit pas de «faits» que les défendeurs ont connus avant que leur défense ne soit formulée ou au moment de sa formulation Aucune ordonnance portant exemption de communication ne sera rendue en l'absence d'affidavits confir- mant les allégations de l'avocat.
Pratique Frais et dépens Défendeurs en passe d'obte- nir une ordonnance portant sur la question du secret profes- sionnel de l'avocat Les dépens ne sont pas adjugés aux défendeurs Si leur avocat avait, sans justification, persisté à mettre en doute la probité professionnelle des avocats de la demanderesse pour leur conduite à l'interrogatoire préalable, des dépens punitifs auraient pu être adjugés.
La demanderesse a prié la Cour de se prononcer sur une question reliée au secret professionnel. Les défendeurs ont produit une copie d'un dessin du dispositif qui, prétend la demanderesse, contrefait son brevet. Jointes à l'original du dessin étaient des notations sur des feuillets jaunes autoadhésifs faites par un avocat de Toronto dont les avocats des défendeurs avaient retenu les services pour obtenir son avis sur des ques tions de brevets et de droits d'auteur. Par inadvertance, on a omis d'enlever ces feuillets quand le dessin a été photocopié. Les défendeurs ont invoqué l'exemption de communication à l'égard de certaines de ces notations, mais n'ont pas déposé d'affidavit exposant les faits sur lesquels se fondait la demande d'exemption de communication.
Jugement: les défendeurs n'étaient pas obligés de laisser les feuillets jaunes autoadhésifs sur le dessin à photocopier. Toute- fois, aucune ordonnance accordant l'exemption de communica tion réclamée ne sera rendue tant que n'auront pas été produits des affidavits confirmant les allégations faites par l'avocat à l'audience.
Certains arrêts britanniques établissent qu'une preuve, peu importe la manière dont elle a pu être obtenue, est admissible si elle est pertinente, nonobstant le secret professionnel de l'avo- cat. Cette notion a été repoussée par la Charte, même si ce document n'a pas d'application précise en l'espèce. Ayant, au moyen de l'interrogatoire préalable, presque éliminé les guets- apens à l'étape du procès, les tribunaux ne doivent pas permet- tre que l'exemption de communication soit perdue par inadvertance.
De plus, on ne pouvait se servir des notations manuscrites figurant sur les feuillets autoadhésifs pour poser des questions à l'interrogatoire préalable, car ces notations ne sont pas des «faits» objectifs que les défendeurs ont connus avant que leur défense ne soit formulée ou au moment de sa formulation. Elles sont des opinions exprimées par l'avocat de Toronto pour que les avocats des défendeurs en tiennent compte en préparant leur dossier.
Avant de présenter une demande d'ordonnance en vertu de la Règle 324, les défendeurs doivent produire des affidavits indi- quant la preuve qui fonde leur réclamation d'une exemption de communication.
Bien que les défendeurs soient en passe d'obtenir gain de cause sur la question de l'exemption de communication, les dépens ne leur seront pas accordés. Si l'avocat des défendeurs avait, sans justification, persisté à mettre en doute la probité professionnelle des avocats de la demanderesse, des dépens punitifs auraient pu être adjugés. Les avocats de la demande- resse ont agi honorablement en demandant à la Cour des directives concernant ce qu'il est permis de faire à l'interroga- toire préalable.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Alberta Evidence Act, R.S.A. 1980, chap. A-21, art. 23(1).
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 1 l (R.-U.). Evidence Act, R.S.B C. 1979, chap. 116, art. 13.
Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10, art. 10(1), 37.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 324.
JURISPRUDENCE
DECISION NON SUIVIE:
Rolka, Richard C. W. v. Minister of National Revenue, [1963] R.C.E. 138.
DECISIONS APPLIQUÉES:
Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821; Kulchar v. Marsh and Beukert, [1950] 1 W.W.R. 272 (B.R. Sask.); Susan Hosiery Ltd. v. Minister of National Revenue, [1969] 2 R.C.E. 27.
DÉCISIONS ÉCARTÉES:
Pfeil v. Zink (1984), 60 B.C.L.R. 32 (C.S.C.-B.); Cal - craft v. Guest, [1898] 1 Q.B. 759; [1895-9] All E.R. Rep. 346 (C.A.); Kuruma v. The Queen, [1955] A.C. 197 (P.C.); Cansulex Ltd. v. Vancouver Wharves Ltd. (1976), 68 D.L.R. (3d) 565 (C.S.C.-B.).
DOCTRINE
Cross, Sir Rupert and Tapper, Colin, Cross on Evidence, 6th ed. London: Butterworths, 1985.
Sopinka, John and Lederman, Sidney N. The Law of Evidence in Civil Cases, Toronto: Butterworths, 1974.
AVOCATS:
Patrick J. McGovern pour la demanderesse.
T. Thomas Mudry et Michael B. Niven pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Parlee McLaws, Calgary, pour la demande- resse.
McCaffery & Company, Calgary, pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MULDOON: Dans le cadre d'une de ces déprimantes requêtes visant à obtenir que les défendeurs en l'espèce, qui ne faisaient pas dili gence, soient obligés de fournir des réponses à une multitude de questions, la demanderesse a en outre prié la Cour de se prononcer sur la question de savoir s'il y avait exemption de communication dans le cas de certains écrits figurant sur une copie, qui a été produite en preuve, du dessin du dispositif même à l'égard duquel la demanderesse affirme qu'il y a eu contrefaçon de brevet. Les requêtes ont été entendues à Calgary (Alberta) le 7 juin 1988.
Comme la requête a été pour l'essentiel accueil- lie dans ses différentes branches, l'avocat de la demanderesse a été chargé de la rédaction du texte d'une ordonnance portant obligation d'exécuter les nombreuses conclusions que la Cour a exprimées, et qui ont été débattues, à l'audience. Point n'est donc besoin de traiter ici de ces choses-là ni des dépens déjà adjugés. Il n'y a qu'à trancher la question de l'exemption de communication, sur laquelle ont porté les arguments des avocats des parties au litige.
Les avocats des parties ont échangé des copies de documents destinés à être produits en preuve. En ce qui concerne la pièce D-1 consistant en det dessins du dispositif faisant l'objet du brevet dont la contrefaçon est à l'origine du présent litige, il convient de faire remarquer que certaines nota tions se trouvent sur les photocopies envoyées par les avocats des défendeurs aux avocats de la demanderesse. Les avocats des défendeurs désirent maintenant invoquer l'exemption de communica tion relativement à quelques-unes des notations susmentionnées. Pour faciliter à la Cour la com- préhension de l'affaire, l'avocat de la demande- resse a joint à ses conclusions écrites les pages 15C à 152 et les pages 156 158 de la transcription de l'interrogatoire préalable de John Thomas Berta- gnolli.
Quand l'avocat des défendeurs a fourni à la Cour et à l'avocat de la demanderesse le dessin photocopié par les défendeurs, la nature des récla- mations d'exemption de communication est deve- nue bien évidente. Les écrits à l'égard duquel on invoque l'exemption figurent sur du papier jaune muni d'une bande adhésive le long d'un bord. Appelés parfois «removable self-stick notes» ou «feuillets autoadhésifs amovibles» comme, par exemple, dans le cas du Post -it TM/Notocollant Mc de 3M, ces feuillets ont été décrits avec justesse par l'avocat des défendeurs comme des [TRADUC. T10N] «collants jaunes». C'était sur ce type de feuillets amovibles adhésifs que se trouvaient le` notations en question au moment le dessin, sur lequel étaient collés plusieurs de ces feuillets, a été photocopié pour les avocats de la demanderesse.
Dans des observations écrites sur cette question. l'avocat des défendeurs a donné de l'extension au concept de notations écrites en affirmant:
[TRADUCTION] En ce qui concerne la pièce D.1, les défendeur: soulèvent l'exemption de communication à l'égard de toutes les notations manuscrites figurant sur la copie de ce document qui a été envoyée aux avocats de la demanderesse. Comme l'a dit l'avocat des défendeurs au cours des interrogatoires préalables, la totalité des notations manuscrites sur ce document avait ét faite par Me Sheldon Burshtein qui, à l'époque en question. exerçait en tant qu'avocat à Toronto avec le cabinet Hayhurst Dale and Deeth, avocats. À l'heure actuelle Me Burshtein exerce avec le cabinet torontois Blake, Cassels and Graydon et on a retenu ses services en tant qu'avocat-conseil spécial pour les défendeurs afin qu'il leur fournisse des avis et des instruc tions dans le domaine du droit des brevets et des droits d'au- teur. Quand Me Burshtein a examiné les dessins des défendeurs. y compris la pièce D.1, peu après le commencement du présenl
litige, il agissait en qualité d'avocat et les avis que renfermaient ses notations manuscrites étaient destinés au cabinet McCaf- fery & Company de Calgary, les avocats des défendeurs. Il est impossible que Me Burshtein ait agi en d'autre qualité que celle d'avocat parce que ce n'est que cette année (1988) qu'il est devenu agent de brevets. Les services de M' Burshtein n'ont pas été retenus directement par les défendeurs; c'est plutôt par l'intermédiaire de McCaffery & Company, les avocats des défendeurs à Calgary, que le contact a été établi avec M' Burshtein.
Les défendeurs n'ont renoncé ni à l'exemption de communica tion dont bénéficient les notations manuscrites figurant sur la pièce D.1 ni à celle qui se rattache à d'autres notations manus- crites de M' Burshtein se trouvant sur d'autres pièces.
Il est très bien de relater les faits exposés ci-des- sus en tant qu'officier de la Cour, mais, jusqu'à présent, l'avocat n'a produit aucun affidavit ni aucune affirmation solennelle de Me Burshtein et d'un membre du cabinet d'avocats représentant les défendeurs afin d'établir les faits. Or, on peut difficilement invoquer l'exemption de communica tion sans au moins que les personnes qui sont au courant des faits ne prêtent serment ou ne fassent des affirmations solennelles.
L'avocat de la demanderesse, qui a cherché à faire régler ce point, a commencé par citer l'arrêt Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821, de la Cour suprême du Canada. Le juge Dickson, main- tenant Juge en chef du Canada, a parlé au nom de huit des neuf juges dans les motifs de jugement qu'il a rédigés et dont l'avocat de la demanderesse a cité les extraits suivants tirés des pages 829 et 837:
... le privilège ne se rattache pas à toute la correspondance échangée entre un avocat et son client, car seules sont protégées les communications en vertu desquelles le client consulte son avocat à titre professionnel ou en vertu desquelles ce dernier lui donne un avis.
À défaut du lien avec la preuve, actuellement exigé en droit. l'appelant ne peut invoquer le privilège.
Comme le souligne le juge Addy, le privilège ne peut être invoqué que pour chaque document pris individuellement, et chacun doit répondre aux critères du privilège: (i) une commu nication entre un avocat et son client; (ii) qui comporte une consultation ou un avis juridiques; et (iii) que les parties considèrent de nature confidentielle.
Ces principes sont sans doute tout à fait corrects et s'appliquent en l'espèce à l'exemption de commu nication réclamée par les défendeurs. Dans l'af- faire Solosky on a ouvert pour des raisons de sécurité des lettres échangées par un détenu dans
un pénitencier et un avocat. Les faits de cette affaire n'ont rien d'instructif en ce qui concerne le présent litige.
L'avocat de la demanderesse a cité en outre une décision de la Cour suprême de la Colombie-Bri- tannique, à savoir Pfeil v. Zink (1984), 60 B.C.L.R. 32, dont le sommaire est ainsi conçu la page 32]:
[TRADUCTION] Par inadvertance l'ancien avocat du deman- deur a fourni à l'avocat de la défenderesse des copies de notes prises par lui au cours d'une entrevue avec le demandeur. L'avocat de la défenderesse a cherché en vertu de l'art. 13 ou de l'art. 14 de l'Evidence Act à contre-interroger le demandeur relativement aux communications contenues dans les docu ments en question. Invoquant le secret professionnel de l'avocat, le demandeur s'est opposé à ce contre-interrogatoire.
Arrêt—Une ordonnance est rendue en conséquence.
Si une tierce personne entre, soit ouvertement, soit secrète- ment, en possession de documents qui sans cela auraient fait l'objet d'une exemption de communication, ils ne bénéficient plus de cette exemption. On attache à la politique voulant que tous les faits soient révélés au procès plus d'importance qu'on n'en accorde à une mesure visant à assurer une franchise totale dans les communications entre un avocat et son client, si souhaitable que cela puisse être.
L'avocat des défendeurs rejette la décision Pfeil en disant qu'elle [TRADUCTION] «provient d'un tribu nal d'instance inférieure d'une autre province qui n'a été suivie dans aucune affaire subséquente». Or, on ne saurait guère qualifier de «tribunal d'instance inférieure» la Cour supérieure de la Colombie-Britannique. Elle constitue un degré de juridiction qui n'est certainement pas inférieur (ni «supérieur») à la Division de première instance de la Cour fédérale. L'avocat se montre en fait par trop cavalier dans sa tentative de faire écarter la décision Pfeil.
Cette Cour doit d'abord et avant tout tenir compte des lois du Canada, dont la Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10 et modifications, n'est pas la moindre en l'espèce. Cette Loi prévoit ce qui suit:
37. Dans toutes les procédures qui relèvent de l'autorité législative du Parlement du Canada, les lois sur la preuve qui sont en vigueur dans la province ces procédures sont exer- cées, y compris les lois relatives à la preuve de la signification d'un mandat, d'une sommation, d'une assignation ou d'une autre pièce s'appliquent à ces procédures, sauf la présente loi et les autres lois du Parlement du Canada.
Il faut donc essayer de déterminer s'il existe un lien quelconque entre la présente affaire, la loi
précitée, l'Alberta Evidence Act, R.S.A. 1980, chap. A-21, et peut-être même la décision Pfeil.
Dans l'affaire Pfeil, le juge s'est référé à l'Evi- dence Act, R.S.B.C. 1979, chap. 116, et en parti- culier à son article 13. Or, la disposition liminaire de cet article est exactement la même que celle du paragraphe 23(1) de l'Alberta Evidence Act et le sens de son texte presque identique à celui du paragraphe 10(1) de la Loi sur la preuve au Canada. Le paragraphe 23(1) de la loi albertaine porte:
[TRADUCTION] 23(1) Un témoin peut être contre-interrogé au sujet de déclarations antérieures qu'il a faites par écrit ou qui ont été consignées par écrit relativement à l'affaire en litige, sans que l'écrit lui soit exhibé.
L'article analogue de la loi fédérale contient à titre de précision l'expression alors de tout procès». Maintenant, les dispositions susmentionnées ser- vent à régler un aspect de la présente affaire. En effet, l'interrogatoire préalable se fait en vue du procès, mais il ne constitue pas ce procès et, point plus important peut-être, l'interrogatoire préalable n'est pas du tout un contre-interrogatoire. De plus, la demanderesse en l'espèce ne peut soumettre à un interrogatoire préalable l'auteur des notations figurant sur la copie de la pièce D-1 puisqu'il s'agit apparemment d'un avocat de Toronto.
Il appert que l'arrêt rendu par la Cour d'appel d'Angleterre dans l'affaire Calcraft v. Guest, [1898] 1 Q.B. 759; [1895-9] All E.R. Rep. 346, est considéré comme un précédent faisant autorité. Ce caractère semble lui être prêté sans réserve par Sopinka et Lederman, The Law of Evidence in
Civil Cases (Toronto: Butterworths, 1974), la page 175, dans un passage cité dans la décision Pfeil. Ce dont il est question est la proposition tristement notoire selon laquelle une preuve, peu importe la manière dont elle a pu être obtenue (sauf par voie d'outrage au tribunal), est admissi ble si elle est pertinente, nonobstant toute exemp tion de communication pouvant résulter du secret professionnel de l'avocat. (Bien entendu, les com munications destinées à faciliter la fraude ou un autre crime ne bénéficient d'aucune exemption.) L'arrêt Calcraft forme l'une des bases philosophi- ques principales de ce qui paraît être l'injustice monstrueuse permise par le Comité judiciaire du Conseil privé dans l'arrêt Kuruma v. The Queen, [1955] A.C. 197. Ce lien entre les deux arrêts est
constaté sans la moindre désapprobation dans Cross on Evidence, 6e éd. (London: Butterworths, 1985), la page 432, note 20.
La décision Cansulex Ltd. v. Vancouver Whar ves Ltd. (1976), 68 D.L.R. (3d) 565, de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, quoiqu'elle paraisse du point de vue des faits présenter une analogie avec la présente affaire, repose presque exclusivement sur une jurisprudence en matière de droit criminel qui date d'avant la Charte et qui comprend l'arrêt Kuruma, lequel peut maintenant être considéré comme périmé au Canada. La déci- sion Cansulex a apparemment pour fondement la croyance de l'avocat de la défenderesse qu'on avait produit volontairement le document en cause, ce qui ne semble guère pertinent relativement à l'ad- missibilité ou à l'exemption de communication.
Cette Cour n'est pas disposée à accepter comme fondement jurisprudentiel valable d'une décision de contourner le secret professionnel de l'avocat la proposition incroyablement injuste qui admet n'importe quelle méthode, même illégale, d'obtenir des preuves. Pour cette raison, l'aveuglement judi- ciaire volontaire proposé dans la décision Rolka, Richard C. W. v. Minister of National Revenue, [1963] R.C.É. 138, doit également être considéré comme une notion périmée. Celle-ci a d'ailleurs été repoussée par la Charte [Charte canadienne des droits et libertés qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)], même si ce document n'a pas d'application précise dans les circonstances actuelles. La notion en ques tion ne saurait donc plus être retenue dans la jurisprudence canadienne.
Il ressort toutefois de Cross, à la page 401 et suiv., et de Sopinka et Lederman, à la page 175 et suiv., que le client peut disposer d'un recours en equity ou d'un recours fondé sur le principe de la bonne administration de la justice, recours qui consistent à faire enjoindre à des tiers (c.-à-d. à d'autres que l'avocat ou le client) soit de ne pas se servir des documents exemptés de communication, soit de ne pas violer la confidence qui a été faite. Il existe donc un thème parallèle en common law qui cadre mieux que la notion se dégageant de la jurisprudence anglaise avec ce qui est acceptable en jurisprudence canadienne.
Mieux vaut s'en tenir aux décisions canadiennes relativement bien établies qui traduisent non pas une justice qui s'est rendue aveugle mais plutôt un esprit éveillé et raisonnable. La décision rendue par la Cour du Banc du Roi de la Saskatchewan dans l'affaire Kulchar v. Marsh and Beukert, [1950] 1 W.W.R. 272, et par la Cour de l'Échi- quier du Canada dans l'affaire Susan Hosiery Ltd. v. Minister of National Revenue, [1969] 2 R.C.É. 27, témoignent d'une attitude plus éclairée à l'égard du secret professionnel de l'avocat.
Dans l'affaire Kulchar, précitée, le passage sui- vant, tiré des motifs du juge Thomson, contient un exposé suffisant des faits et du principe applicable (aux pages 275 et 276):
[TRADUCTION] On prétend cependant que le demandeur éventuel, en exposant dans son affidavit les instructions qu'il dit avoir données à son ancien avocat, a étalé ces choses au grand jour et a renoncé par à l'exemption de communication qui se serait autrement rattachée à l'avis qu'il avait reçu et aux communications échangées par lui et ledit avocat. Je ne suis pas appelé en l'espèce à décider ce qui se serait produit si le demandeur éventuel avait révélé l'avis qu'il avait reçu de son ancien avocat car il n'a pas fait de telle divulgation. Son affidavit ne dit absolument rien à ce sujet. De plus, il n'a divulgué aucune des communications qui avaient eu lieu entre lui et ledit avocat avant qu'il ne charge celui-ci de prendre toute mesure pouvant être nécessaire pour obtenir des dommages- intérêts. La règle de droit applicable dans une affaire de ce genre est énoncée de façon concise par le juge Lamont de la Cour d'appel dans l'arrêt Western Canada Inv't. Co. v. McDiarmid [1922] 1 WWR 257, la page 261:
«Renonciation implique l'abandon d'un droit pouvant être exercé ou le fait de refuser un bénéfice ou un avantage dont le renonciateur aurait joui s'il n'y avait pas eu de renoncia- tion. 40 Cyc. 258; Crump v. McNeill, 14 Alta LR 206, [1919] 1 WWR 52.»
«Pour qu'il y ait renonciation, deux conditions essentielles doivent en règle générale avoir été remplies. Il faut d'abord savoir que le droit ou privilège qu'on abandonne existe et qu'on y a droit. Il doit en outre y avoir une intention manifeste de renoncer à l'exercice de ce droit.»
En l'espèce, rien n'indique que le demandeur éventuel a jamais entendu parler de l'exemption de communication en question ou qu'il en a été au courant et il n'y a certainement aucune preuve établissant qu'il a jamais eu l'intention d'aban- donner un bénéfice ou un avantage lui revenant en raison de cette exemption ou de s'en priver. s'ensuit donc que le demandeur éventuel n'a pas renoncé à l'exemption de commu nication. L'exemption qui s'applique aux communications entre un avocat et son client résulte d'une décision de politique générale prise dans l'intérêt de la justice et il incombe à la Cour de voir à ce que cette exemption ne reste pas lettre morte: Re United States of America v. Mammoth Oil Co. (1925) 56 OLR 635, le juge Hodgins de la Cour d'appel, à la page 646.
À mon avis, l'ancien avocat du demandeur éventuel n'aurait jamais faire les divulgations exposées dans son affidavit.
D'un autre côté, les avocats des défendeurs éventuels n'auraient jamais essayer de se procurer ledit affidavit ou, l'ayant obtenu, de s'en servir à quelque fin que ce soit. Je conclus en conséquence qu'on ne saurait utiliser cet affidavit dans le cadre de la présente demande.
Ayant, grâce aux principes régissant la tenue d'in- terrogatoires préalables complets, presque éliminé les guets-apens à l'étape du procès, les tribunaux ne doivent pas permettre, comme on ne l'a pas permis dans l'affaire Kulchar, que l'exemption de communication soit perdue par inadvertance.
Le président Jackett a rendu la décision Susan Hosiery après avoir passé en revue la jurispru dence, y compris les décisions Calcraft et Rolka. Dans l'affaire Susan Hosiery l'avocat du ministre avait obtenu une copie de certaines notes faisant l'objet d'une exemption de communication, copie qu'un vérificateur du ministère avait faite sans l'autorisation du contribuable et même à son insu. L'avocat du ministre a tenté de soumettre un membre de la direction de la demanderesse à un interrogatoire préalable, mais l'avocat de la demanderesse lui a conseillé de ne pas répondre. Laissant au juge qui présiderait le procès le soin de statuer sur la question de l'utilisation des rensei- gnements volés à ce stade-là, ce qui est exactement ce qu'il convient de faire en l'espèce, le président Jackett a conclu, à la page 42:
[TRADUCTION] À supposer que l'intimé puisse (et il ne faut pas croire que j'exprime des doutes sur ce point) produire des preuves quant aux communications échangées par l'appelante et ses avocats, s'il dispose de telles preuves au moment du procès et que celles-ci se rapportent aux faits essentiels, l'appe- lante n'en a pas moins le droit de se prévaloir de l'exemption de communication et de refuser de divulguer, que ce soit à l'inter- rogatoire préalable, au procès ou à n'importe quel autre stade des procédures, ces communications faites par elle-même ou par ses avocats. Étant donné ma conclusion que, selon la prépondérance des probabilités, la réunion de M. Pal, de M. Wolfe et de Me Goodman, qui a eu lieu le 10 décembre 1964, s'inscrivait dans le cadre du processus par lequel MM. Pal et Wolfe, en tant que représentants de l'appelante, ont obtenu de Me Goodman un avis juridique destiné à l'appelante et compte tenu de ma conclusion que celle-ci est en conséquence exemptée d'avoir à communiquer les notes portant sur ce qui s'est passé à cette réunion, il me semble évident que la même exemption joue lorsqu'il s'agit de répondre à des questions concernant la teneur de ces notes.
Finalement, en ce qui concerne les questions 175 et 176, de ma conclusion que M. Pal était l'un des représentants de l'appelante chargés d'obtenir un avis juridique il découle que l'appelante jouit d'une exemption de communication, de sorte qu'elle n'a pas à produire une lettre écrite par M. Pal dans le cadre du processus de l'obtention de l'avis susmentionné et n'a pas non plus à témoigner concernant le contenu de cette lettre.
Évidemment, en regard du raisonnement puissant du juge Thomson et du président Jackett et de la sensibilité dont témoigne ce raisonnement, la théo- rie voulant qu'on puisse faire abstraction du secret professionnel de l'avocat en admettant d'une façon aveugle et insouciante tout élément de preuve, peu importe la façon dont il a pu être obtenu, traduit une norme plutôt relâchée.
Il est encore une autre raison pour laquelle les notes écrites sur les feuillets jaunes autocollants qui ont été photocopiés ne devraient pas en prin- cipe être admises à l'étape de l'interrogatoire préa- lable pour qu'on puisse poser aux personnes soumi- ses à l'interrogatoire des questions basées sur ces notes. En donnant passivement leur adhésion à la notion énoncée dans l'arrêt Calcraft, notion qui est repoussée dans les présents motifs, Sopinka et Lederman, dans l'ouvrage précité, affirment aux pages 175 et 176:
[TRADUCTION] Les tribunaux ont néanmoins attaché une plus grande importance à l'intérêt opposé, c'est-à-dire à l'intérêt à ce que tous les faits pertinents soient révélés à la cour, et ils n'ont pas étendu l'exemption de manière à protéger les communica tions qui étaient censées être échangées par un avocat et son client mais qui se sont égarées et qui sont parvenues dans les mains d'un tiers. [Le client peut toutefois bénéficier d'un recours en equity qui consiste à obtenir une injonction empê- chant la tierce personne de divulguer les renseignements confi- dentiels: voir Lord Ashburton v. Pape, [1913] 2 Ch. 469; Butler v. Board of Trade, [1971] Ch. 680.]
Il convient de faire remarquer que la doctrine et la jurisprudence soulignent, à juste titre d'ailleurs, qu'une partie à un litige ne peut pas à l'interroga- toire préalable cacher à la partie adverse des faits dont elle est au courant et qui sont pertinents. Cela est vrai. En effet, la partie adverse a parfaitement droit à ce que lui soient révélés les faits se rappor- tant à la demande ou à la défense, selon le cas, de l'autre partie. Les notes rédigées en l'espèce par l'avocat de Toronto ne sont pas des faits objectifs; il s'agit plutôt des opinions qu'il a exprimées pour que les avocats des défendeurs en tiennent compte en préparant leur dossier. Les notes en question ne sont pas non plus des faits objectifs que les défen- deurs ont même connus avant que leur défense n'ait été formulée ou au moment de sa formula tion. Ils n'avaient évidemment pas le droit de supprimer une partie quelconque du dessin lors- qu'ils l'ont photocopié en vue de sa communica tion. Les défendeurs étaient tenus de révéler et de produire le dessin au complet. Ils n'étaient pour-
tant pas obligés d'y laisser ce qu'on appelle les «collants jaunes» pour que ceux-ci figurent sur la photocopie du dessin qui a été envoyée aux avocats de la demanderesse. Sans aucun doute le dessin lui-même et la photocopie ainsi communiquée sont des faits pertinents. Les notes de l'avocat torontois qui, par inadvertance, n'ont pas été enlevées avant qu'on ne fasse la photocopie sont des observations de cet avocat à l'intention des avocats des défen- deurs; elles ne possèdent cependant pas le carac- tère de faits objectifs. Par conséquent, elles ne constituent pas des faits pertinents et, en réalité, ne sont pas des «faits» du tout. Cela étant, elles bénéficient de l'exemption de communicaiton dont parle le président Jackett dans la décision Susan Hosiery et telle est la décision de cette Cour en l'espèce.
L'assertion de l'avocat des défendeurs que le désir des avocats de la demanderesse de procéder à un interrogatoire préalable relativement aux obser vations de l'avocat torontois constitue en quelque sorte une faute contre la déontologie est tout à fait fausse. Les avocats de la demanderesse sont bien en droit de mener un interrogatoire préalable dans les limites permises. C'est d'ailleurs précisément pour cela qu'ils ont honorablement soulevé la ques tion afin d'obtenir des directives de la Cour. L'avo- cat des défendeurs a judicieusement cessé de faire de telles allégations avant que la Cour n'adjuge des dépens punitifs pour avoir, sans justification, mis en doute la probité professionnelle des avocats de la demanderesse. Bien que les défendeurs soient en passe d'obtenir gain de cause sur la question de l'exemption de communication, la Cour, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire qu'elle détient à cet égard, ne leur accordera pas de dépens.
Les avocats des défendeurs ont omis par inad- vertance d'enlever les feuillets jaunes adhésifs amovibles, mais cette omission peut être réparée aux fins de l'interrogatoire préalable, comme on a demandé à le faire. Hélas pour les défendeurs, leurs avocats n'ont pas apporté la preuve requise pour fonder leur réclamation d'une exemption de communication, omission dont il a déjà été ques tion dans les présents motifs. Les défendeurs doi- vent donc produire des affidavits appuyant ce que leur avocat à allégué à l'audience en l'espèce, à supposer qu'il y ait des déposants consciencieux, y compris l'avocat torontois, qui pourront faire ces
affidavits. Il s'agit d'un oubli grave de la part des défendeurs, par suite duquel il est encore possible que les avocats de la demanderesse trouvent insuf- fisante la preuve des défendeurs.
Aucune ordonnance accordant aux défendeurs l'exemption de communication réclamée en leur nom par leurs avocats ne sera prononcée tant que des affidavits suffisants n'auront pas été produits et signifiés aux avocats de la demanderesse. À ce moment-là, les avocats des défendeurs pourront présenter en vertu de la Règle 324 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] une requête visant à obtenir l'ordonnance demandée. encore il faudra qu'il y ait signification aux avocats de la demanderesse. Ces derniers ne seront pas tenus de donner une réponse dans l'hypothèse les affida vits des défendeurs se révéleraient suffisants.
Les dépens et autres frais des présentes procédu- res ont déjà été adjugés à la demanderesse quelle que soit l'issue de la cause. Cela sera consigné dans l'ordonnance qui devra être rédigée pour assurer l'exécution des conclusions exprimées à l'audience. Il ne sert à rien de mettre d'autres dépens en cause, car les dépens peuvent être adjugés ou refusés selon le cas. Ce sont des points dont les avocats de la demanderesse auront à tenir compte en déterminant le caractère suffisant des affidavits que les avocats des défendeurs sont par les présen- tes autorisés à produire après coup et qu'ils doivent d'ailleurs produire s'ils veulent conserver l'exemp- tion de communication qu'ils invoquent pour les défendeurs.
Les affidavits doivent être établis (en conformité avec les faits véritables, mais soigneusement, sans diluer les renseignements faisant l'objet de l'exemption de communication) et déposés dès que possible afin d'appuyer la requête devant être pré- sentée en vertu de la Règle 324. Il va sans dire que la totalité des dépens des défendeurs dans cette procédure non terminée seront supportés, sinon par les défendeurs, alors, ce qui convient encore mieux, par leurs avocats.
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