T-52-88
Harvinder Singh Sethi (requérant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration et Pro-
cureur général du Canada (intimés) *
RÉPERTORIÉ: SETHI C. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET
DE L'IMMIGRATION)
Division de première instance, juge Reed—Winni-
peg, 1" mars; Ottawa, 8 mars 1988.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative — Prohibition
— La loi à l'étude aurait pour effet de révoquer les membres
de la Commission d'appel de l'immigration, dont certains
seraient nommés à la nouvelle Commission — Opposition du
gouvernement à la revendication du statut de réfugié du requé-
rant — La situation entraîne-t-elle une crainte raisonnable de
partialité? — Aucune allégation de partialité réelle — L'affir-
mation que les tribunaux ne se préoccupent pas de l'évolution
des projets de loi n'est pas pertinente puisque c'est l'existence
même du projet de loi qui donne lieu à la crainte de partialité
— L'événement à la source de la crainte est-il trop éloigné
pour appuyer celle-ci? — Le projet de loi a franchi suffisam-
ment d'étapes du processus législatif pour conclure qu'il ne
l'est pas — Fondements de l'indépendance d'un décideur —
Une indépendance objective et une perception d'indépendance
sont nécessaires — L'indépendance et l'impartialité sont deux
concepts distincts bien qu'ils se recoupent — Critère applicable
à l'existence d'une crainte raisonnable de partialité — Le
critère dépend de la nature du tribunal ou des droits qui font
l'objet de la décision — Norme très élevée dans les décisions
portant sur le statut de réfugié — La sécurité de la personne
est en jeu Les commissaires actuels ont des motifs de croire
que leur avenir financier est entre les mains du gouvernement
— Bref de prohibition accordé.
Immigration — Commission d'appel de l'immigration
Requête pour interdire à la Commission d'examiner la reven-
dication du statut de réfugié tant que le gouvernement a
l'intention de révoquer les commissaires en vertu du projet de
loi C-55 Le projet de loi C-55 prévoit la révocation des
commissaires actuels et la nomination de certains à la nouvelle
Commission — Critère du doute raisonnable de partialité —
Sécurité financière des commissaires menacée — Parce qu'il
*Note de l'arrêtiste: Le juge Mahoney a infirmé cette déci-
sion en appel (les juges Heald et Urie ont souscrit à ses
motifs), A-493-88, le 20 juin 1988. La Cour d'appel a exprimé
l'avis que le juge de première instance avait commis une erreur
en considérant que l'étape franchie par le projet de loi C-55
dans le cadre du processus parlementaire était pertinente. Elle
a conclu qu'aucune personne renseignée et sensée, examinant la
situation de l'extérieur, ne pourrait croire qu'il serait plus
probable que la Commission rende une décision qui ne serait
pas équitable à l'égard des requérants en raison de l'intention
du gouvernement exprimée dans le projet de loi C-55. La
décision de la Cour d'appel sera publiée dans les meilleurs
délais.
appartient au gouvernement de décider quels membres de la
Commission actuelle seront nommés à la nouvelle Commission
et que c'est le gouvernement qui conteste la revendication du
statut de réfugié, il y a crainte que les membres agiront en
faveur du gouvernement.
Le requérant cherche à obtenir une ordonnance interdisant à
la Commission d'appel de l'immigration d'examiner sa revendi-
cation du statut de réfugié tant et aussi longtemps que le
gouvernement a l'intention de révoquer les commissaires tel que
le prévoit le projet de loi C-55. Le projet de loi C-55, adopté
par la Chambre des communes le 21 octobre 1987, crée une
nouvelle Commission pour les questions d'immigration et pré-
voit que certains des membres actuels de la Commission devien-
dront des membres à part entière de la nouvelle Commission.
Le requérant prétend que cette situation entraîne une crainte
raisonnable de partialité, une crainte que les commissaires
actuels auront tendance à agir en faveur du gouvernement qui
s'oppose à la revendication du statut de réfugié du requérant.
On prétend que les principes de justice naturelle et que les
exigences de l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des
droits et de l'article 7 de la Charte exigent que les droits d'une
personne soient déterminés par un décideur indépendant.
Jugement: la demande devrait être accueillie.
La prétention de l'intimé qu'il ne peut y avoir crainte raison-
nable de partialité parce que le projet de loi C-55 n'a pas force
de loi est sans fondement. Le projet de loi C-55 a franchi
suffisamment d'étapes du processus législatif pour qu'il ne soit
pas trop hypothétique de conclure qu'il peut donner ouverture à
une crainte de partialité si cette conclusion se fonde aussi sur
d'autres motifs.
Comme le soulignait le juge Le Dain dans l'arrêt Valente c.
La Reine et autres, [1985] 2 R.C.S. 673, bien que le concept
d'indépendance recoupe celui de l'absence de crainte de partia-
lité, il s'agit de deux concepts distincts. Il faut donc établir quel
critère utiliser pour déterminer s'il existe une crainte raisonna-
ble de partialité: faut-il démontrer l'existence d'une «probabilité
réelle de partialité» ou s'il suffit d'établir l'existence d'un «doute
raisonnable de partialité»? Le critère variera en fonction de la
nature du tribunal ou des droits qui font l'objet de la décision.
Dans l'arrêt Singh, la Cour suprême du Canada a établi
clairement que dans les décisons portant sur le statut de réfugié
une norme d'équité très élevée est requise. En l'espèce, les
droits adjugés par la Commission d'appel de l'Immigration ont
trait à la sécurité de la personne. Compte tenu du fait qu'une
norme très élevée doit être respectée en l'espèce, il est néces-
saire d'appliquer le critère du doute raisonnable de partialité
établi par le juge Rand dans l'arrêt Szilard v. Szasz, [1955]
R.C.S. 3 et réitéré par le juge en chef Laskin dans l'arrêt
Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national
de l'énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369. Comme l'affirmait
le juge en chef Laskin dans l'arrêt Office national de l'énergie,
ce critère «se fonde sur la préoccupation constante qu'il ne faut
pas que le public puisse douter de l'impartialité des organismes
ayant un pouvoir décisionnel».
Il faut répondre par l'affirmative à la question de savoir si les
faits sont tels qu'une personne raisonnablement bien informée
puisse raisonnablement craindre que les commissaires soient
susceptibles d'essayer de plaire au gouvernement en favorisant
sa position au détriment de celle du requérant. En l'espèce la
durée des mandats des commissaires est variable. Ils ont
accepté leur nomination sur cette base et établi leur planifica-
tion financière en conséquence. Le projet de loi C-55 a pour
effet de miner cette sécurité financière en proposant de révo-
quer tous les membres tout en laissant ouverte la possibilité que
certains d'entre eux soient nommés de nouveau à temps plein.
Compte tenu du fait que c'est le gouvernement qui fera cette
sélection à même les actuels commissaires et que c'est le
gouvernement qui conteste la revendication du requérant
devant la Commission, il existe une crainte raisonnable de
partialité.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 7, 8, 11d).
Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appen-
dice III, art. 2e).
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52,
art. 59(2) (mod. par S.C. 1986, chap. 13, art. I ), 60.
Projet de loi C-55, Loi modifiant la loi sur l'immigration
de 1976 et d'autres lois en conséquence, 2e sess., 33e
Lég., 1986-87, art. 18, 38(1),(2),(3),(4),(7).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Committee for Justice and Liberty et autres c. Office
national de l'énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369;
Szilard v. Szasz, [1955] R.C.S. 3.
DÉCISIONS EXAMINÉES
Iscar Ltd c. Karl Hertel GmbH, T-2332-85, juge en chef
adjoint Jerome, ordonnance en date du 29-1-88, C.F. 1"
inst., encore inédit; Valente c. La Reine et autres, [1985]
2 R.C.S. 673.
DÉCISION CITÉE:
Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion, [1985] 1 R.C.S. 177.
DOCTRINE
Shetreet, S. and Deschênes, J., eds. Judicial Indepen
dence: The Contemporary Debate. Dordrecht, The
Netherlands, Martinus Nijhoff Publishers, 1985.
De Smith's Judicial Review of Administrative Action.
4th ed. by J. M. Evans. London: Stevens & Sons
Limited, 1980.
AVOCATS:
David Matas, pour le requérant.
Brian H. Hay pour l'intimé, le ministre de
l'Emploi et de l'Immigration.
PROCUREURS:
David Matas, Winnipeg, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé, le ministre de l'Emploi et de
l'Immigration.
Celui suit est la version française des motifs de
l'ordonnance rendus par
LE JUGE REED: Le requérant demande une
ordonnance interdisant à la Commission d'appel de
l'immigration de statuer sur sa revendication du
statut de réfugié au sens de la Convention. Il
demande que cette ordonnance soit valide tant et
aussi longtemps que le gouvernement a l'intention
de révoquer les commissaires conformément aux
modalités établies dans le projet de loi C-55, Loi
modifiant la Loi sur l'immigration de 1976 et
d'autres lois en conséquence, 2 e sess., 33e Lég.,
1986-87 (adopté par la Chambre des communes le
21 octobre 1987), au moment de l'entrée en
vigueur de la Loi.
Les prétentions du procureur du requérant se
résument brièvement comme suit. Les commissai-
res de la Commission d'appel de l'immigration ont
été initialement nommés à titre inamovible pour
un mandat déterminé'. Au moment de l'entrée en
vigueur du projet de loi C-55, l'actuelle Commis
sion d'appel de l'immigration cessera d'exister. Le
projet de loi C-55 crée une nouvelle Commission
chargée d'adjuger les questions relatives à l'immi-
gration, qui sera dénommée Commission de l'im-
migration et du statut de réfugié (voir l'article 18
du projet de loi C-55). Les commissaires de l'ac-
tuelle Commission ne deviendront pas automati-
quement membres de la nouvelle. Le paragraphe
38(1) du projet de loi C-55 édicte ce qui suit :
' Le paragraphe 59(2) et l'article 60 de la Loi sur l'immigra-
tion de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, se lisaient comme suit :
59....
(2) La Commission est composée de sept à dix-huit com-
missaires nommés par le gouverneur en conseil.
60. (1) Sous réserve des paragraphes (3) et (5), les com-
missaires sont nommés à titre inamovible pour un mandat
maximal de dix ans. Ils peuvent cependant faire l'objet d'une
révocation motivée, de la part du gouverneur en conseil.
(2) Le mandat des commissaires est renouvelable.
(Suite à la page suivante)
38. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent arti
cle, les anciens commissaires et les membres de l'ancien comité
cessent leurs fonctions à la date de référence.
Le projet de loi prévoit un certain maintien des
pouvoirs à l'égard des demandes en instance. Les
paragraphes 38(2) et (3) se lisent comme suit:
38....
(2) Les anciens commissaires conservent leurs pouvoirs de
connaître des demandes de réexamen et des appels en instance
mentionnés à l'article 48. [Il n'est pas necéssaire de se reporter
au texte de l'article 48.]
(3) Les anciens commissaires exécutent leurs travaux sous
l'autorité du président.
Cependant, le projet de loi prévoit qu'une partie,
mais non la totalité, des commissaires actuels
deviendront membres à part entière de la nouvelle
Commission. Voici le texte du paragraphe 38(4):
38....
(4) Les anciens commissaires, sauf s'ils sont nommés à la
section du statut ou à la section d'appel, reçoivent, pour leurs
services, les honoraires fixés par le gouverneur en conseil pour
les membres à temps partiel de la section du statut. [C'est moi
qui souligne.]
(Suite de la page précédente)
(3) La limite d'âge pour exercer les fonctions de commis-
saire est fixée à soixante-dix ans.
(4) Quiconque a atteint l'âge de soixante-cinq ans ne peut
être nommé commissaire.
(5) A l'entrée en vigueur de la présente loi, les membres
permanents de la Commission d'appel de l'immigration éta-
blie par l'article 3 de la Loi sur la Commission d'appel de
l'immigration, abrogée par le paragraphe 128(1) de la pré-
sente loi, sont maintenus en fonctions en qualité de commis-
saires à titre inamovible. Ils peuvent cependant faire l'objet
d'une révocation motivée, de la part du gouverneur en
conseil.
Ces dispositions ont été quelque peu modifiées en 1986 (S.C.
1986, chap. 13) la suite de la décision de la Cour suprême
dans l'arrêt Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de
l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177:
1. Le paragraphe 59(2) de la Loi sur l'immigration de
1976 est abrogé et remplacé par ce qui suit:
u(2) La Commission est composée de sept à cinquante
commissaires nommés par le gouverneur en conseil.
(3) Par dérogation aux paragraphes 60(1) et (2) et sous
réserve du paragraphe (4), les mandats supérieurs à deux
ans sont limités à dix-huit et tout mandat maximal de deux
ans n'est renouvelable qu'une fois.
(4) Un commissaire nommé pour un mandat maximal
de deux ans peut être nommé pour un ou plusieurs autres
mandats supérieurs à deux ans s'il y a moins de dix-huit
commissaires ayant des mandats de cette dernière durée.»
Pour sa part, le paragraphe 38(7) édicte ce qui
suit:
38....
(7) Sauf dérogation par décret du gouverneur en conseil, ni
la cessation de fonctions prévue au présent article ni la suppres
sion du poste correspondant n'entraînent pour les anciens com-
missaires ou les membres de l'ancien comité le versement d'une
réparation, sous quelque forme que ce soit, par Sa Majesté ou
ses préposés ou mandataires.
Le procureur du requérant soutient que c'est le
gouvernement qui s'oppose à la revendication du
statut de réfugié de son client, tout en étant sur le
point de «congédier» tous les commissaires actuels
et de choisir une partie de ceux-ci, mais non la
totalité, comme membres de la nouvelle Commis
sion. Selon lui, cette situation entraîne une crainte
raisonnable de partialité, c'est-à-dire une crainte
que les commissaires actuels aient tendance à
prendre une décision favorable au gouvernement.
Je tiens d'abord à souligner qu'il n'y a en l'es-
pèce aucune allégation de partialité réelle. Le pro-
cureur soutient uniquement qu'il existe une crainte
raisonnable de partialité. Il est bien établi en droit
que l'existence ou la non-existence d'une partialité
réelle n'est d'aucune pertinence pour la question
qui nous occupe.
Deuxièmement, on n'a nullement prétendu que
le requérant devrait «échapper» à la prise d'une
décision sur son statut. On prétend uniquement
que cette décision devrait être prise soit après
l'adoption du projet de loi C-55, par la nouvelle
Commission, ou, si le gouvernement annonce qu'il
n'a pas l'intention de révoquer les commissaires
actuels comme l'envisage le projet de loi C-55, par
la Commission actuelle.
Troisièmement, une décision favorable au requé-
rant n'aura aucun effet sur les autres décisions
prises par la Commission d'appel de l'immigration
depuis le dépôt en du projet de loi C-55. Les
requérants visés par ces décisions ne se sont pas
opposés à la compétence de la Commission; en
conséquence, ils seraient réputés avoir renoncé à
toute objection à la compétence de la Commission
fondée sur les motifs exposés par le présent
requérant.
Le procureur de l'intimé soutient qu'il ne saurait
y avoir de crainte raisonnable de partialité, parce
que le projet de loi C-55 n'est qu'un projet qui n'a
pas encore force de loi. Il prétend que traditionnel-
lement, les tribunaux ne se préoccupent pas des
projets de loi, parce qu'il n'est jamais certain qu'ils
entreront en vigueur. Il soutient en outre qu'il est
impossible de déterminer à quel moment la crainte
de partialité prendra forme: au moment de l'adop-
tion du projet de loi par la Chambre des commu
nes, au moment de sa présentation à la Chambre,
pendant la rédaction du projet de loi ou au cours
des discussions en matière de politique qui précè-
dent la rédaction.
Dans le contexte de la présente affaire, j'estime
qu'aucune de ces prétentions n'est convaincante. Il
est vrai que traditionnellement, les tribunaux ne se
préoccupent pas des projets de loi à l'étude, mais
c'est habituellement lorsqu'on soulève des ques
tions d'interprétation relatives à une loi en vigueur.
Le même phénomène se produit lorsqu'on
demande à un tribunal de trancher un litige en
présumant qu'un projet de loi donné sera adopté.
Je ne puis m'empêcher de citer certaines remar-
ques récentes du juge en chef adjoint à cet égard:
Deuxièmement, le principal motif avancé pour obtenir la
suspension est qu'un projet de loi actuellement à l'étude par le
législateur fédéral rendra caduque la cause d'action des deman-
deresses et ce, de façon rétroactive. On me demande de con-
clure que cette situation pour le moins particulière favorise plus
une suspension des procédures que des instances parallèles. Je
ne suis pas de cet avis. Dans mon esprit, rien n'est plus
imprévisible que l'évolution d'un projet de loi devant le Parle-
ment. En fait, la seule certitude que nous avons en matière
parlementaire, c'est que rien n'est certain. L'éventualité omni-
présente d'une crise qui entraîne des élections, ou d'élections
générales en l'absence de toute crise, sans parler de l'hostilité
possible du Sénat, ne sont que des exemples des réalités fonda-
mentales qui rendent impossible de prédire si un projet de loi
sera adopté, et encore moins à quelle date il le sera.
Ces remarques se trouvent dans la décision Iscar
Ltd. c. Karl Hertel GmbH, C.F. lie inst., le 29
janvier 1988, le juge en chef adjoint Jerome,
encore inédite (T-2332-85). Cependant, dans la
présente affaire, la prétention relative à la crainte
de partialité se fonde sur le fait que le projet de loi
C-55 n'a pas encore été adopté. S'il l'avait été, la
création de la nouvelle Commission serait un fait
accompli; il serait impossible de prétendre qu'une
crainte raisonnable de partialité existe (à moins
qu'elle ne soit fondée sur d'autres motifs). Je ne
crois pas que l'affirmation selon laquelle les tribu-
naux ne se préoccupent en général pas de l'évolu-
tion des projets de loi devant les législatures soit
pertinente en l'espèce. C'est l'existence même du
projet de loi C-55 qui donne lieu à la crainte de
partialité.
Comme je l'ai mentionné, le procureur de l'in-
timé soutient que si l'on accorde de l'importance à
l'existence du projet de loi C-55, il devient impossi
ble de savoir à quelle étape du processus législatif
cette crainte prend naissance (au cours de l'élabo-
ration de la politique qui sous-tend la loi, au
moment de sa rédaction, etc.). Il n'est pas néces-
saire à mon avis d'aborder le problème en ces
termes. Il s'agit plutôt de déterminer si, en l'es-
pèce, l'événement que l'on prétend être à la source
d'une crainte de partialité est trop éloigné pour
étayer cette prétention. À mon avis, dans notre
système de gouvernement, dès qu'un projet de loi a
été adopté par la Chambre des communes, on peut
raisonnablement croire qu'il deviendra loi. Bien
sûr, cela n'est jamais tout à fait certain. Le Sénat
peut proposer des modifications qui seront incorpo-
rées à la loi. Le projet de loi peut rester en plan au
feuilleton. Il peut être adopté par la Chambre des
communes et le Sénat et signé par le gouverneur
général, mais ne jamais entrer en vigueur par
proclamation. Néanmoins, aux fins de la présente
affaire, je suis d'avis que le projet de loi a franchi
suffisamment d'étapes du processus législatif pour
qu'il ne soit pas trop hypothétique de conclure qu'il
peut donner ouverture à une crainte de partialité,
si cette conclusion se fonde aussi sur d'autres
motifs.
Je passe maintenant au coeur des prétentions du
procureur du requérant. Il soutient que les princi-
pes fondamentaux de justice naturelle (en common
law), ainsi que les exigences de l'alinéa 2e) de la
Déclaration canadienne des droits [S.R.C. 1970,
Appendice III] 2 et celles de la justice fondamen-
tale prévue à l'article 7 de la Charte canadienne
z 2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement du
Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonob-
stant la Déclaration canadienne des droits, doit s'interpréter et
s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou
enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus et
déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la
diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du
Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme
e) privant une personne du droit à une audition impartiale de
sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la
définition de ses droits et obligations;
des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la
Loi constitutionelle de 1982, annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)], 3
exigent que les droits d'une personne soient déter-
minés par un décideur indépendant. Comme je l'ai
mentionné, ces exigences impliquent l'absence de
tout fait qui permette de conclure à l'existence
d'une crainte raisonnable de partialité. Le procu-
reur souligne que deux des conditions essentielles
de l'indépendance d'un décideur sont (1) l'inamo-
vibilité et (2) la sécurité financière. Me Matas,
procureur du requérant, a cité les déclarations de
trois organismes internationaux qu'il estime perti-
nentes en l'espèce.
Lors d'une conférence tenue à Delhi le 22 octo-
bre 1982, l'Association internationale du barreau a
approuvé à l'unanimité des normes (rédigées sous
forme de propositions par le Comité sur l'adminis-
tration de la justice de l'Association) relatives à
l'administration de la justice. L'une de ces normes
se lit comme suit :
[TRADUCTION] 20b) Lorsqu'une loi abolit des tribunaux, les
juges qui en faisaient partie ne sont pas affectés, sauf leur
nomination à un autre tribunal de même niveau de compétence.
Lors d'un séminaire tenu à Tokyo les 17 et 18
juillet 1982, l'Association juridique de l'Asie et du
Pacifique occidental (Lawasia) a publié un rapport
sur l'indépendance du pouvoir judiciaire. Voici le
texte d'un des principes et conclusions formulés
dans ce rapport:
[TRADUCTION] ll.(d)(iii) L'abolition du tribunal dont un
juge est membre ne doit pas servir de motif ou d'occasion pour
la destitution de ce juge.
Le recueil d'exposés et d'allocutions publié par
Shetreet et Deschênes, intitulé Judicial Indepen
dence: The Contemporary Debate, contient à la
page 469 le texte de la «Déclaration Universelle
sur l'Indépendance de la Justice», adoptée à Mont-
réal le 10 juin 1983. Cette Déclaration contient le
paragraphe suivant:
2.39 Les juges ne sont pas affectés par l'abolition de la cour à
laquelle ils appartiennent, sauf leur nomination à une autre
cour de même niveau de compétence.
Le procureur du requérant a également cité la
décision de la Cour suprême dans l'affaire Valente
c. La Reine et autres, [1985] 2 R.C.S. 673. Dans
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor-
mité avec les principes de justice fondamentale.
cette affaire, un juge de la Cour provinciale avait
décliné compétence à l'égard d'une instance portée
devant lui, au motif qu'il n'était pas un tribunal
indépendant au sens de l'alinéa 11d) de la Charte
canadienne des droits et libertés 4 . Son absence
d'indépendance était fondée sur plusieurs motifs,
dont les suivants: certains juges de la cour provin-
ciale étaient nommés à titre amovible (ceux qui
avaient atteint l'âge de la retraite); c'était l'exécu-
tif, et non le pouvoir législatif, qui fixait le traite-
ment des juges; leur traitement et leur pension ne
constituaient pas une charge grevant le Fonds du
revenu consolidé; leur traitement dépendait d'une
affectation annuelle de crédit; les juges bénéfi-
ciaient d'avantages sociaux analogues à ceux d'un
fonctionnaire (congé de maladie, assurance soins
dentaires, assurance vie et accidents, etc.) et ils
pouvaient être révoqués après enquête, mais sans
vote de l'assemblée législative. Il est inutile d'énu-
mérer toutes les allégations soulevées à l'encontre
de l'indépendance des juges de la cour provinciale.
L'arrêt Valente est pertinent en l'espèce parce
que la Cour suprême a semblé juger que pour
respecter les critères de l'alinéa 11d) de la Charte
canadienne des droits et libertés, il devait y avoir
non seulement un statut ou un rapport d'indépen-
dance, fondé sur des conditions ou garanties insti-
tutionnelles objectives, par exemple l'inamovibilité,
la sécurité financière, etc., mais aussi une percep
tion d'indépendance du tribunal (voir plus spécia-
lement la page 689 de la décision de la Cour
suprême). Ce deuxième volet du critère exprimé
par la Cour d'appel de l'Ontario découlait du
critère applicable aux affaires portant sur la
crainte de partialité (pages 684 et 685 de l'arrêt de
la Cour suprême). La Cour suprême semble d'avis
qu'il doit y avoir non seulement une indépendance
objective, mais aussi une perception d'indépen-
dance, tout en énonçant par ailleurs en termes
clairs que l'indépendance et l'impartialité sont
deux concepts distincts, quoiqu'ils se recoupent.
Voici ce qu'écrit le juge Le Dain, à la page 685 :
Même s'il existe de toute évidence un rapport étroit entre
l'indépendance et l'impartialité, ce sont néanmoins des valeurs
ou exigences séparées et distinctes. L'impartialité désigne un
état d'esprit ou une attitude du tribunal vis-à-vis des points en
4 11. Tout inculpé a le droit
d) d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupa-
ble, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et
impartial à l'issue d'un procès public et équitable;
litige et des parties dans une instance donnée ... Le terme
«indépendant», à l'al. 11d), reflète ou renferme la valeur consti-
tutionnelle traditionnelle qu'est l'indépendance judiciaire.
Comme tel, il connote non seulement un état d'esprit ou une
attitude dans l'exercice concret des fonctions judiciaires, mais
aussi un statut, une relation avec autrui, particulièrement avec
l'organe exécutif du gouvernement, qui repose sur des condi
tions ou garanties objectives.
Le juge Le Dain passe ensuite à l'analyse des
prétentions relatives à trois caractéristiques dis-
tinctes en cause du statut des juges de la cour
provinciale: l'inamovibilité, la sécurité financière
et le contrôle administratif exercé par le pouvoir
exécutif. Il a jugé que les exigences en matière
d'indépendance prescrites par l'alinéa 11d) de la
Charte ne sont pas les mêmes pour tous les juges et
tous les tribunaux; la norme la plus exigeante, qui
s'applique aux juges de la cour supérieure, ne doit
pas nécessairement être respectée dans tous les cas
(voir les pages 693 et 694 de la décision). À
l'exception de la nomination à titre amovible des
juges ayant dépassé l'âge de la retraite, la Cour
suprême a jugé que les conditions relatives au
rapport institutionnel entre les juges de la cour
provinciale et l'exécutif de la province, dans l'af-
faire Valente, ne constituaient pas une violation de
l'alinéa 11d).
Je remarque que toute la jurisprudence citée par
le procureur du requérant a trait à l'exigence
d'indépendance. Comme je l'ai mentionné, bien
que le concept d'indépendance recoupe celui de
l'absence de crainte de partialité, il s'agit de deux
concepts distincts. En conséquence, il faut d'abord
établir quel critère sert à déterminer s'il existe une
crainte raisonnable de partialité.
Le procureur de l'intimé soutient qu'il faut
appliquer le critère mentionné dans l'arrêt Valente,
à la page 684:
... la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une
personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la
question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet.
Selon les termes de la Cour d'appel [voir [1976] 2 C.F. 20, la
p. 29]. ce critère consiste à se demander «à quelle conclusion en
arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la ques
tion en profondeur, de façon réaliste et pratique» ...
Le procureur prétend qu'en citant ce passage de la
décision du juge de Grandpré dans l'arrêt Com
mittee for Justice and Liberty et autres c. Office
national de l'énergie et autres, [1978] 1 R.C.S.
369, la Cour suprême a décidé que ce critère
s'appliquait tant pour déterminer s'il existe une
crainte de partialité que pour savoir s'il y a une
perception d'indépendance.
Je n'interprète pas de cette façon le fait que le
juge Le Dain ait cité ce passage. Il me semble qu'il
ne fait que résumer les motifs donnés par la Cour
d'appel de l'Ontario. En outre, le critère exposé
par le juge de Grandpré provient de sa dissidence
dans l'affaire Office national de l'énergie.
À mon avis, je crois qu'il est juste de qualifier
l'arrêt Office national de l'énergie d'affaire por-
tant sur la question de savoir si, pour déterminer
l'existence d'une crainte raisonnable de partialité,
il faut démontrer l'existence d'une «probabilité
réelle de partialité», ou s'il suffit d'établir l'exis-
tence d'un «doute raisonnable de partialité». Selon
moi, c'est ce deuxième critère que la Cour suprême
a adopté. Voici ce qu'écrit le juge en chef Laskin,
au nom de la majorité, à la page 391 de cette
décision :
Cette Cour en définissant ainsi le critère de la crainte
raisonnable de partialité, comme dans l'arrêt Ghirardosi c. Le
Ministre de la Voirie de la Colombie-Britannique, et aussi
dans l'arrêt Blanchette c. C.I.S. Ltd., (où le juge Pigeon dit aux
pp. 842-843 qu'«une crainte raisonnable que le juge pourrait ne
pas agir d'une façon complètement impartiale est un motif de
récusation») reprenait simplement ce que le juge Rand disait
dans l'arrêt Szilard c. Szasz, aux pp. 6-7, en parlant de
[TRADUCTION] «la probabilité ou la crainte raisonnable de
partialité dans l'appréciation ou le jugement, quelque involon-
taire qu'elle soit». Ce critère se fonde sur la préoccupation
constante qu'il ne faut pas que le public puisse douter de
l'impartialité des organismes ayant un pouvoir décisionnel, et je
considère que cette préoccupation doit se retrouver en l'espèce
puisque l'Office national de l'énergie est tenu de prendre en
considération l'intérêt du public.
Dans son ouvrage Judicial Review of Adminis
trative Action, 4» éd., London: Stevens & Sons
Limited, 1980, de Smith traite de ces deux énoncés
du critère servant à déterminer la crainte raisonna-
ble de partialité, aux pages 262 264:
[TRADUCTION] La «probabilité réelle» de partialité signifie
qu'il y a au moins une possibilité importante de partialité. On a
jugé que le tribunal doit trancher la cause «comme un homme
raisonnable prendrait une décision dans la conduite de ses
propres affaires». Le critère de la probabilité réelle de partia-
lité, qui a été appliqué dans plusieurs arrêts de principe en
matière de législation sur la magistrature et les permis d'alcool,
est fondé sur les appréhensions raisonnables d'un homme rai-
sonnable au courant de tous les faits. Il est assurément souhai-
table que tous les juges soient, comme la femme de César, à
l'abri de tout soupçon; mais il serait irréaliste que les tribunaux
insistent pour que seuls «ceux qui ne peuvent être soupçonnés
d'agir pour des motifs incorrects» soient compétents en common
law pour l'exercice de la magistrature, ou encore qu'ils annu-
lent des décisions en se fondant sur les soupçons des imbéciles
ou d'autres personnes capricieuses et déraisonnables.
Qu'en est-il lorsque le tribunal est convaincu, selon la preuve
qui lui a été présentée, qu'il n'y avait aucune probabilité réelle
de partialité, mais qu'il estime néanmoins qu'un homme raison-
nable, au moment où la décision en cause a été prise, aurait pu
soupçonner que le tribunal fasse preuve de partialité? L'intérêt
public exige-t-il que la décision initiale soit annulée? La juris
prudence n'est pas unanime sur ce sujet. Les tribunaux ont
souvent annulé des décisions en se fondant sur les craintes
raisonnables de la partie lésée, sans avoir conclu qu'il existait
effectivement une probabilité réelle de partialité.
... la tendance actuelle favorise le critère du doute raisonnable,
fondé sur les appréhensions de l'homme raisonnable qui a pris
des mesures raisonnables pour s'informer des faits pertinents.
Les critères fondés sur le «doute raisonnable» s'attachent princi-
palement aux apparences; les critères fondés sur la «probabilité
réelle» mettent l'accent sur la façon dont le tribunal lui-même
évalue les probabilités; mais en pratique, ces critères ont de
nombreux points communs, et dans la vaste majorité des cas,
mèneront au même résultat. Il est peu probable que le fait que
les tribunaux retiennent les deux critères à titre de solution de
rechange entraîne de graves incertitudes, et le maintien d'une
certaine souplesse peut se révéler avantageux.
Dans l'arrêt Szilard [Szilard c. Szasz, [1955]
R.C.S. 3], le juge Rand écrivait ce qui suit au sujet
des arbitres en matière commerciale, à la page 4:
[TRADUCTION] Plus particulièrement, ils doivent être libres de
toute influence qui, dans l'esprit d'une personne ordinaire,
soulèverait un doute raisonnable quant à l'attitude imperson-
nelle à laquelle chaque partie a droit. Ce principe a été exprimé
dans d'innombrables causes ...
Et, aux pages 6 et 7:
[TRADUCTION] C'est la probabilité ou la crainte raisonnable de
partialité dans l'appréciation ou le jugement, quelque involon-
taire qu'elle soit, qui mine la base même de l'arbitrage.
C'est cet arrêt que le juge en chef Laskin a cité
dans l'affaire Office national de l'énergie.
Tout comme la perception d'indépendance, le
critère de la crainte raisonnable de partialité
variera en fonction de la nature du tribunal ou des
droits qui font l'objet de la décision. Ce principe
découle clairement de l'article 7 de la Charte
canadienne des droits et libertés, et c'est celui qui
s'appliquait en fait en vertu de la common law.
Toutefois, l'arrêt Singh établit clairement que
dans les décisions portant sur le statut de réfugié,
on exige une norme très élevée sur l'échelle de
valeurs. Dans les présentes affaires, les droits adju-
gés par la Commission d'appel de l'immigration
ont trait à la sécurité de la personne. Compte tenu
du fait qu'une norme très stricte de justice (justice
fondamentale) ou (justice naturelle) doit être res-
pectée dans la situation qui nous occupe, je dois
maintenant appliquer aux faits de l'espèce le cri-
tère énoncé par le juge Rand dans l'arrêt Szilard
et réitéré par le juge en chef Laskin dans l'arrêt
Office national de l'énergie.
À mon avis, cet exercice m'amène à la conclu
sion qu'il existe en l'espèce une crainte raisonnable
de partialité. La situation des commissaires actuels
est telle qu'ils ont toutes les raisons de croire que
leur avenir financier immédiat est indécis et se
trouve entre les mains du gouvernement. Ce même
gouvernement s'oppose à la revendication du statut
de réfugié du requérant, question que la Commis
sion est appelée à trancher. Je tiens à souligner
qu'il n'est aucunement question de partialité réelle.
Le procureur du requérant a mis l'accent sur le
fait qu'il ne soulevait aucune allégation de cette
nature et aucun élément de preuve ne laisse enten-
dre qu'il y a partialité réelle. Il s'agit de détermi-
ner si les faits sont tels qu'une personne raisonna-
blement bien informée puisse raisonnablement
craindre que les commissaires, dans les circons-
tances actuelles, soient susceptibles d'essayer de
plaire au gouvernement en favorisant sa position
au détriment de la personne qui s'y oppose. Je
crois que cette crainte existe.
Il ne s'agit pas d'un cas où les commissaires ont
été initialement nommés pour un mandat court
(bien que depuis 1985, certains d'entre eux l'aient
étés). Il est vrai que plus le mandat est court, s'il
est renouvelable, plus l'on s'approche d'un vérita-
ble mandat à titre amovible, mais la présente
affaire ne porte pas sur cette question. En l'espèce,
les commissaires ont été nommés pour des man-
dats variables (dont certains d'une durée de 10
ans). Ils ont accepté leur nomination à cette condi
tion et établi leur planification financière en consé-
quence. Le projet de loi C-55 a pour effet de miner
cette planification financière, cette sécurité finan-
cière. En menaçant de «congédier» tous les com-
5 Voir note 1, précitée.
missaires, il porte atteinte à leur sécurité finan-
cière tout en laissant ouverte la possibilité que
certains d'entre eux soient nommés de nouveau à
temps plein. À mon avis, compte tenu du fait que
c'est le gouvernement qui fera cette sélection à
même les actuels commissaires, c'est-à-dire ceux
qui seront nommés de nouveau à temps plein, et
que c'est le gouvernement qui conteste la revendi-
cation du requérant déférée à la Commission, j'ac-
cepte la prétention du requérant selon laquelle il
existe une crainte raisonnable de partialité.
Il me reste à faire quelques remarques à l'égard
de deux questions de procédure. À titre d'objection
préliminaire, le procureur de l'intimé a soutenu
que plusieurs des annexes à l'affidavit du requé-
rant sont irrégulières: certaines contiennent de la
jurisprudence, d'autres traitent de questions dont
le requérant n'a pas personnellement connaissance;
l'affidavit n'énonce pas des faits tenus pour véridi-
ques sur la foi de renseignements. Bien que le
procureur de l'intimé ait demandé que son objec
tion soit notée au dossier, il a également indiqué
qu'il préférait que la requête soit entendue en
fonction des documents déposés, parce qu'il était
plus rapide et commode de le faire. Deuxième-
ment, le procureur de l'intimé a souligné que
même si dans son intitulé de cause, le requérant
avait nommé à la fois le procureur général du
Canada et le ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion à titre d'intimés, il ne comparaissait que pour
le compte de ce dernier.
Pour ces motifs, le requérant obtiendra une
ordonnance interdisant à l'actuelle Commission
d'appel de l'immigration de rendre une décision
sur sa revendication du statut de réfugié au sens de
la Convention tant qu'il existe une crainte raison-
nable de partialité de la façon décrite aux présen-
tes. Le requérant a droit à ses dépens.
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