T-1583-84
Control Data Canada Ltd. (demanderesse)
c.
Senstar Corporation (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: CONTROL DATA CANADA LTD. C. SENSTAR CORP.
Division de première instance, protonotaire-chef
adjoint Giles—Toronto, 11 avril et 6 mai 1988.
Pratique — Communication de documents et interrogatoire
préalable — Ordonnance de confidentialité — Requête en
ordonnance autorisant la communication de renseignements à
un avocat américain en vue d'une action visant à faire tripler
les dommages-intérêts, qu'on envisageait d'intenter en vertu
d'une loi américaine — Applicabilité de la décision anglaise
Harman à l'interrogatoire préalable en Cour fédérale — La
communication de renseignements fournis au cours de l'inter-
rogatoire préalable afin qu'on puisse s'en servir pour fonder
une action de caractère pénal découragerait la fourniture de
renseignements à l'interrogatoire préalable et nuirait à l'admi-
nistration de la justice — Requête rejetée.
Il s'agit d'une requête tendant à l'obtention d'une ordonnance
permettant que soient communiqués à un avocat américain des
renseignements faisant l'objet d'une ordonnance de confidentia-
lité et aussi des renseignements fournis au cours de l'interroga-
toire préalable qui échappent à l'ordonnance de confidentialité,
mais qui seraient assujettis à l'engagement implicite mentionné
dans Home Office v Harman, [1982] 1 All ER 532 (H.L.), ou
qui relèveraient de l'obligation générale dont il est question
dans Kyuquot Logging Ltd. v. B.C. Forest Prod. Ltd. (1986), 5
B.C.L.R. (2d) 1 (C.A.). L'avis d'avocats américains a été
demandé relativement à l'opportunité d'engager une action en
vertu de la loi américaine, action qui, si elle était accueillie,
aurait pour conséquence que les dommages-intérêts seraient
triplés.
Jugement: la requête est rejetée.
La règle de common law selon laquelle un témoin ne peut
être contraint à faire une déposition susceptible de l'incriminer
s'applique également à l'incrimination de l'organisme auquel il
appartient. Cette exemption a été modifiée par les lois en
matière de preuve, qui exigent que de telles dépositions soient
faites, mais qui interdisent qu'on s'en serve dans un autre litige.
L'engagement implicite ou l'obligation générale prévus dans
certaines décisions offrent une protection à l'extérieur du res-
sort de la cour, sans qu'il soit besoin que le témoin la réclame.
La divulgation de renseignements fournis au cours de l'interro-
gatoire préalable afin qu'on puisse s'en servir pour fonder une
action de caractère pénal aurait tendance à empêcher la com
munication volontaire de renseignements dans le cadre d'un
interrogatoire préalable, ce qui nuirait à l'administration de la
justice en Cour fédérale.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Home Office v Harman, [1982] 1 All ER 532 (H.L.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Kyuquot Logging Ltd. v. B.C. Forest Prod. Ltd. (1986), 5
B.C.L.R. (2d) 1 (C.A.); Halliburton Co. et autre c.
Northstar Drillstem Ltd. et autre (1982), 65 C.P.R. (2d)
122 (C.F. 1'e inst.); Riddick y Thames Board Mills Ltd,
[1977] 3 All ER 677 (C.A.); Lac Minerals Ltd. v. New
Cinch Uranium Ltd. (1985), 48 C.P.C. 199 (H.C. Ont.);
(1985), 2 C.P.C. (2d) 76 (H.C. Ont.).
DÉCISIONS CITÉES:
Re Donald and Law Society of British Columbia (1983),
2 D.L.R. (4th) 385 (C.A.C.-B.); Johnson v. Law Society
of Alberta (1986), 66 A.R. 345 (B.R.); Johnstone v. Law
Soc. of B.C. (1987), 15 B.C.L.R. (2d) 1 (C.A.); Charles
v. Royal Bank of Canada et al.; Canadian Imperial Bank
of Commerce et al., Third Parties (1987), 60 O.R. (2d)
537 (C.S. Ont.).
AVOCATS:
Ronald E. Dimock pour la demanderesse.
G. A. Piasetzki pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Sim, Hughes, Dimock, Toronto, pour la
demanderesse.
Rogers, Bereskin & Parr, Toronto, pour la
défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE PROTONOTAIRE-CHEF ADJOINT GILES: La
défenderesse a présenté une requête tendant à
l'obtention d'une ordonnance permettant que
soient communiqués à l'avocat de la demanderesse
aux États-Unis des renseignements faisant l'objet
d'une ordonnance de confidentialité en l'espèce et
aussi des renseignements qui ont été fournis au
cours de l'interrogatoire préalable en l'espèce et
qui échappent à l'ordonnance de confidentialité,
mais qui seraient assujettis à l'engagement impli-
cite à l'existence duquel on a conclu dans la déci-
sion Home Office v Harman, [1982] 1 All ER 532
(H.L.) ou qui relèveraient de l'obligation générale
dont parle le juge Esson de la Cour d'appel dans
les motifs qu'il a rédigés dans l'arrêt Kyuquot
Logging Ltd. v. B.C. Forest Prod. Ltd. (1986), 5
B.C.L.R. (2d) 1 (C.A.) (obligation qui n'a pas été
reconnue par les autres juges siégeant dans cette
affaire-là).
Les débats relatifs à la requête ont porté princi-
palement sur la question de l'applicabilité de la
décision Harman aux interrogatoires préalables en
Cour fédérale.
Comme l'a fait remarquer le juge Anderson de
la Cour d'appel dans l'arrêt Kyuquot: [TRADUC-
TION] «L'absence de litiges sur cette question indi-
que que l'usage abusif de l'interrogatoire préalable
ne constitue pas un problème majeur». Au cours
des dernières années, on a assisté à un élargisse-
ment de la portée des interrogatoires préalables
permis dans les ressorts canadiens, ce qui explique
peut-être en partie le fait que jusqu'à dernièrement
cette Cour n'a pas été saisie de litiges dans ce
domaine et, encore là, seule la décision Hallibur-
ton Co. et autre c. Northstar Drillstem Ltd. et
autre (1982), 65 C.P.R. (2d) 122 (C.F. Pe inst.),
du juge Walsh, paraît avoir été publiée. Dans cette
affaire, on avait rendu une ordonnance de confi-
dentialité qui visait notamment les renseignements
désignés confidentiels produits autrement que dans
le cadre de l'interrogatoire préalable. Bien qu'il se
soit référé à l'arrêt Riddick y Thames Board Mills
Ltd, [1977] 3 All ER 677 (C.A.), dans lequel le
maître des rôles lord Denning a constaté l'exis-
tence d'un engagement implicite, le juge Walsh n'a
pas conclu expressément qu'il y avait un engage
ment implicite qui s'appliquait aux renseignements
obtenus à l'étape de l'interrogatoire préalable.
Tout en refusant de modifier l'ordonnance de con-
fidentialité dans la mesure où elle visait des rensei-
gnements produits au cours de l'interrogatoire
préalable, il l'a cependant modifiée de façon à
permettre la communication d'autres renseigne-
ments confidentiels à des avocats albertains afin
qu'ils puissent donner des conseils relativement à
une action qu'on envisageait d'introduire en
Alberta, mais ils ne pouvaient pas s'en servir
comme preuve dans une telle action.
Il se peut donc que ce ne soit que d'une manière
incidente que le juge Addy a parlé de l'arrêt
Riddick. Quoi qu'il en soit, j'estime que le principe
qui est posé dans cet arrêt-là et dont parle le juge
Addy, s'applique en l'espèce. Je signale en outre
qu'il paraît se dégager de la décision Lac Minerals
Ltd. v. New Cinch Uranium Ltd. (1985), 48
C.P.C. 199 (H.C. Ont.) et (1985), 2 C.P.C. (2d)
76 (H.C. Ont.), que l'engagement implicite ou une
variante de celui-ci fait partie du droit de
l'Ontario.
Dans la présente espèce, on dit que, si l'on désire
communiquer à des avocats américains des rensei-
gnements obtenus à l'étape de l'interrogatoire
préalable, c'est pour leur demander des conseils
relativement à l'opportunité d'engager une action
en vertu de la loi américaine, action qui, si elle
était accueillie, aurait pour conséquence que le
montant des dommages-intérêts serait triplé. Or, il
s'agit dans ce cas-là d'une action de caractère
pénal. Cela étant, il faut tenir compte de principes
comme ceux énoncés à l'article 11 de la Charte.
Rappelons qu'il n'y a apparemment pas unani-
mité dans la jurisprudence quant à l'étendue de la
protection accordée et quant à savoir si elle s'appli-
que aussi bien dans le cas d'une action de carac-
tère pénal qu'en matière criminelle (voir Re
Donald and Law Society of British Columbia
(1983), 2 D.L.R. (4th) 385 (C.A.C.-B.); Johnson
v. Law Society of Alberta (1986), 66 A.R. 345
(B.R.); Johnstone v. Law Soc. of B.C. (1987), 15
B.C.L.R. (2d) 1 (C.A.); Charles v. Royal Bank of
Canada et al.; Canadian Imperia! Bank of Corn-
merce et al., Third Parties (1987), 60 O.R. (2d)
537 (C.S. Ont.)).
Je me reporte donc à la vieille règle de common
law selon laquelle un témoin ne pouvait être con-
traint de faire une déposition susceptible de l'incri-
miner. On n'a pas attendu très longtemps pour
étendre la portée de cette règle afin de mettre un
témoin à l'abri de l'obligation d'avoir à donner un
témoignage pouvant incriminer l'organisme auquel
il appartenait. Le privilège dont jouissaient les
témoins à cet égard a été limité ou modifié par les
lois en matière de preuve, qui exigent que de telles
dépositions soient faites mais qui interdisent qu'on
s'en serve dans un autre litige. L'engagement
implicite dont il s'agit dans l'affaire Harman et
l'obligation générale mentionnée par le juge d'ap-
pel Esson accordent essentiellement la même pro
tection que celle des lois en matière de preuve
(protection à laquelle la Cour peut, peut-être, faire
des exceptions), mais ils ont en outre pour effet
d'offrir cette protection à l'extérieur du ressort de
la cour, et ce, sans qu'il soit besoin que le témoin la
réclame.
Je me rends bien compte qu'une conclusion à
l'existence d'un engagement implicite ou d'une
obligation générale aura pour conséquence que la
défenderesse se verra en pratique refuser la possi-
bilité d'obtenir l'avis d'un avocat américain parce
que, comme on l'a fait remarquer dans la jurispru
dence anglaise, il est interdit aussi bien au client
qu'à l'avocat de se servir des renseignements en
question. Toutefois, l'intérêt public dans l'encoura-
gement de la communication volontaire de rensei-
gnements dans le cadre d'interrogatoires préala-
bles doit primer l'intérêt qu'a la défenderesse à se
faciliter la prise d'une décision relativement à l'op-
portunité d'engager une action de nature pénale
aux États-Unis. En l'absence d'un engagement
implicite ou d'une obligation générale, on serait
peu enclin à communiquer des renseignements
volontairement dans le cadre d'un interrogatoire
préalable.
Il a été sous-entendu dans l'arrêt Kyuquot que
la Cour pouvait déroger à l'engagement implicite.
Or, s'il en est vraiment ainsi (point sur lequel je
n'ai pas à statuer, car j'estime qu'il n'y a pas lieu
en l'espèce d'exercer un tel pouvoir discrétionnaire,
à supposer qu'il existe), tout exercice du pouvoir
discrétionnaire qui risquerait d'entraver la commu
nication volontaire de renseignements au cours
d'interrogatoires préalables nuirait à l'administra-
tion de la justice en cette Cour. À mon avis,
divulguer des renseignements confidentiels afin
d'incriminer quelqu'un, c'est-à-dire pour fonder
une action de caractère pénal, aurait tendance à
empêcher la communication volontaire de rensei-
gnements. Par conséquent, la requête sera rejetée.
ORDONNANCE:
La requête est rejetée.
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