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T-1861-87
Industrial Milk Producers Association, Clearview Dairy Farm Inc., Birchwood Dairy Farm Ltd., Gus deGroot, Ton deGroot et John Verdonk (demandeurs)
c.
Milk Board, Fraser Valley Milk Producers Co -Operative Association, Commission cana- dienne du lait, E. D. Daum, G. G. Thorpe, R. Feenstra et J. L. Gilbert (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: INDUSTRIAL MILK PRODUCERS ASSN. C. COLOMBIE-BRITANNIQUE (MILK BOARD)
Division de première instance, juge Reed —Van- couver, 3 décembre 1987; Ottawa, 8 janvier 1988.
Coalitions Requête en radiation de la déclaration pour le motif que celle-ci ne révèle aucune cause raisonnable d'action Les demandeurs allèguent que les défendeurs leur ont causé un préjudice en agissant à l'encontre de la Partie V de la Loi sur la concurrence, donnant ainsi ouverture à une cause d'ac- tion civile La Commission canadienne du lait attribue aux provinces des contingents pour la production du lait de trans formation La Commission provinciale du lait distribue des contingents aux producteurs laitiers Les demandeurs se plaignent de l'établissement du système de contingentement, de l'insuffisance des contingents de la Colombie-Britannique et du fait que des contingents ne leur sont pas attribués Requête accueillie Le «moyen de défense utilisé par l'in- dustrie réglementée» exempte de la Loi sur la concurrence les activités prescrites ou autorisées par la loi Activités autori- sées par la loi Ce moyen de défense continue de s'appliquer à une «nouvelle» cause d'action civile sous le régime de l'art. 31.1 Lorsque l'office provincial de commercialisation agit dans les limites de son mandat légal, il est «présumé» agir dans l'intérêt du public La question de savoir si la loi exige spécifiquement ou non que le Milk Board ou la Commission canadienne agissent dans l'intérêt du public n'est pas perti- nente Examen de l'effet de l'art. 33 de la Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme.
Agriculture Offices provinciaux de commercialisation Le moyen de défense utilisé par l'industrie réglementée dis pense de la Loi sur la concurrence les activités prescrites ou autorisées par la loi Les demandeurs se plaignent de l'établissement du système de contingentement, du nombre de contingents de la Colombie-Britannique et de la distribution des contingents Ces activités sont autorisées par la loi Examen de l'effet de l'art. 33 de la Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme.
Il s'agit de requêtes en radiation de la déclaration pour le motif qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action. Les demandeurs ont prétendu que les défendeurs leur ont causé un préjudice en agissant à l'encontre de l'article 31.1 de la Loi sur la concurrence. Cet article accorde une cause d'action civile à quiconque subit un préjudice par suite d'un comportement allant à l'encontre d'une disposition de la Partie V. Les défen-
deurs soutiennent que même si leurs activités violaient l'article 32 de la Partie V, ces activités étaient expressément sanction- nées par la législation fédérale et provinciale et qu'elles étaient en conséquence soustraites à l'application de l'article 32. Le défendeur Milk Board a été créé par une loi provinciale qui l'autorise expressément à réglementer la production et la com mercialisation du lait, ce qui inclut la fixation des prix payés aux producteurs de lait. La Commission canadienne du lait, qui a été créée par une loi fédérale organise un système de verse- ment de subsides fédéraux relativement au lait de transforma tion (qui sert à fabriquer d'autres produits laitiers). Un contin gent a été attribué à chaque province pour la production du lait de transformation en vertu du Plan national de commercialisa tion du lait. La Colombie-Britannique s'est vue accorder une quote part de 3,7 % du marché national, ce que les demandeurs estiment tout à fait insuffisant. L'Office provincial du lait a réparti cette quote part entre les producteurs laitiers de la province. Bien que la Colombie-Britannique se soit retirée du Plan national de commercialisation du lait pendant une période de deux ans antérieure à 1984, les demandeurs ont produit et commercialisé du lait de transformation, en vendant directe- ment leur produit aux fabriques de fromage. Lorsque la Colom- bie-Britannique s'est jointe de nouveau au Plan, les producteurs laitiers ont une fois de plus obtenir un contingent pour vendre du lait de transformation. Les contingents du lait de transformation sont alloués aux fermiers qui détiennent déjà des contingents de lait de consommation (c'est-à-dire le lait qui est vendu comme lait frais pour fins de consommation), ce qui oblige ainsi les demandeurs à acheter les contingents actuels de lait de consommation à des prix exhorbitants.
Les demandeurs allèguent que ce système vise à éliminer toute concurrence dans l'industrie laitière au détriment de ceux qui voudraient concurrencer les détenteurs actuels de contin gents de lait de consommation et au détriment des consomma- teurs. Il est également allégué que ce système vise à empêcher la croissance de nouvelles industries de transformation de pro- duits laitiers en Colombie-Britannique.
Jugement: les requêtes doivent être accordées.
La jurisprudence qui s'est développée au regard des articles antérieurs à l'article 32 de la Loi sur la concurrence a créé «un moyen de défense utilisé par l'industrie réglementée». Les tribu- naux ont statué que les offices provinciaux de commercialisa tion ne commettent pas une infraction sous le régime de l'article 32 lorsqu'ils exercent les pouvoirs qui leur sont conférés par une loi provinciale ou fédérale. Ils ont souligné que les plans provinciaux sont censés être établis dans l'intérêt public et que ce ne pouvait être un crime contre l'État que de faire quelque chose autorisé par la législature. Le fait que les demandeurs ont intenté une «nouvelle» poursuite civile fondée sur l'article 31.1 ne les soustrait pas à l'application du moyen de défense utilisé par l'industrie réglementée. Pour établir une cause d'action civile sous le régime de l'article 31.1, il faut prouver les mêmes éléments que ceux qui sont exigés par l'article 32.
Quant à l'argument selon lequel le moyen de défense utilisé par l'industrie réglementée ne s'applique que lorsque l'activité exercée est dans l'intérêt du public et l'activité du Milk Board n'est pas dans l'intérêt public, les tribunaux ne peuvent réviser les décisions d'un office provincial de commercialisation afin de déterminer si celui-ci agit dans l'intérêt public. Lorsqu'un office agit dans les limites de son mandat légal, il est présumé agir dans l'intérêt public.
Le principal argument à l'encontre de la position des deman- deurs est que la Cour suprême du Canada a examiné l'article 32 dans l'arrêt Jabour et a statué que cet article ne s'applique pas à une mesure prise par la Law Society en conformité avec la compétence législative qui lui était conférée par une loi provinciale valide. La présente affaire est visée plus clairement par le moyen de défense utilisé par l'industrie réglementée que ne l'est l'affaire Jabour. Le Milk Board est autorisé à nommer un comité composé de producteurs et chargé de le conseiller. En implantant un système d'allocation, le Board exerce la compé- tence qui lui est spécifiquement accordée. Dans l'arrêt Jabour, les Benchers n'avaient que le mandat général d'établir des normes pour la profession. Ils n'avaient pas le pouvoir spécifi- que de réglementer la publicité.
La question de savoir si la loi exige spécifiquement ou non que le Milk Board ou la Commission canadienne du lait agissent dans l'intérêt public n'est pas pertinente puisque les mesures prises en conformité avec une disposition réglementaire fédérale ou provinciale sont censées être dans l'intérêt public. Quoi qu'il en soit, le préambule du Plan national de commer cialisation du lait fait mention des intérêts des consommateurs et des producteurs. Les demandeurs ont également cherché à établir une distinction avec l'arrêt Jabour pour, le motif que d'autres modifications (articles 1.1 et 2.1) ont été apportées depuis lors à la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions. Ces modifications n'ont pas changé radicalement les articles 31.1 ou 32. Si le Parlement entendait que l'article 32 s'applique aux entités telles les offices provinciaux du lait à l'égard du genre d'activités dont se plaignent les demandeurs, il aurait été beaucoup plus spécifique. Cette conclusion est renforcée par le fait que les projets de loi antérieurs visant à assujettir les industries réglementées, sauf certaines exceptions, à la loi sur les coalitions n'ont pas été adoptés. Bien que l'article 1.1 énonce les objectifs généraux de la loi, il n'écarte pas' le «moyen de défense utilisé par l'industrie réglementée» et n'infirme pas l'arrêt Jabour. L'article 2.1 s'applique aux «activités commer- ciales». L'activité rapprochée n'est pas commerciale. L'attitude anticoncurrentielle dont on se plaint relève du mandat explicite du Milk Board.
L'article 33 de la Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme qui soustrait certains offices de commer cialisation des produits de ferme à l'application de la Loi sur la concurrence n'était pas censé enlever à tous les organismes qu'il ne couvrait pas la protection du moyen de défense des indus tries réglementées.
Ce ne sont pas toutes les activités exercées par des particu- liers dans une industrie réglementée qui sont exemptées de la Loi sur la concurrence mais simplement les activités qui sont prescrites ou autorisées par la loi. Les demandeurs étaient mécontents des activités réglementaires plutôt que commercia- les. Il n'est pas allégué dans la déclaration que les défendeurs avaient excédé la compétence qui leur était conférée mais on a fait mention d'activités non prescrites par la loi. Il n'y a aucune cause d'action car pour qu'une activité soit exemptée, il faut seulement qu'elle soit autorisée par une telle loi.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de /982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 2d), 6(2)b), 7, 15(1).
Décret relatif au lait de la Colombie-Britannique, C.R.C., chap. 143 (mod. par DORS/78-758).
Loi sur la Commission canadienne du lait, S.R.C. 1970, chap. C-7, art. 8.
Loi sur la concurrence, S.R.C. 1970, chap. C-23 (mod. par S.C. 1986, chap. 26, art. 19), art. 1.1 (édicté, idem, art. 19), 2.1 (édicté, idem, art. 21), 31.1 (édicté par S.C. 1974-75-76, chap. 76, art. 12), 32 (mod., idem, art. 14).
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10.
Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme, S.C. 1970-71-72, chap. 65, art. 17, 33.
Loi sur l'organisation du marché des produits agricoles, S.R.C. 1970, chap. A-7, art. 2.
Milk Industry Act, R.S.B.C. 1979, chap. 258, art. 39 (mod. par S.B.C. 1984, chap. 25, art. 24; 1985, chap. 51, art. 50).
Projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi relative aux
enquêtes sur les coalitions . , 3' Sess., 30' Lég., 1977. Projet de loi C-42, Loi modifiant la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions ... , 2' Sess., 30' Lég., 1976-77, art. 4.5.
Projet de loi C-256, Loi encourageant la concurrence ... , 3' Sess., 28' Lég., 1970-71, art. 92.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 419.
JURISPRUDENCE DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Procureur général du Canada et autres c. Law Society of British Columbia et autre, [1982] 2 R.C.S. 307; Opera tion Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441; Pacific Fishermen's Defence Alliance c. Canada, [1988] 1 C.F. 498 (C.A.); Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada, [1980] 2 R.C.S. 735.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Milk Bd. v. Clearview Dairy Farm Inc. (1986), 69 B.C.L.R. 220 (C.S.); confirmé par (1987), 12 B.C.L.R. (2d) 116 (C.A.); Milk Bd. v. Birchwood Dairy Farm Ltd. (1986), 1 B.C.L.R. (2d) 210 (C.A.); Belden Farms Ld. v. Milk Bd. (1987), 14 B.C.L.R. (2d) 60 (C.S.).
DÉCISIONS MENTIONNÉES:
R. v. Chung Chuck, [1929] 1 W.W.R. 394 (C.A.C.-B.); R. v. Simoneau, [1936] 1 D.L.R. 143 (C. Sess. Qué.); R. v. Cherry, [1938] 1 W.W.R. 12 (C.A. Sask.); Ontario Boys' Wear Ltd. et al. v. The Advisory Committee and the Attorney -General for Ontario, [1944] R.C.S. 349; Reference Re Farm Products Marketing Act, The, R.S.O. 1950, Chapter 131, as amended, [1957] 1 R.C.S. 198; Procureur général du Canada c. Québec Ready Mix Inc., [1985] 2 C.F. 40 (C.A.) (sub nom. Pilote Ready Mix Inc. et al. c. Rocois Construction Inc.) (1985), 8 C.P.R. (3d) 145.
DOCTRINE
Skeoch, Dr. Lawrence A. & McDonald, Bruce C. Évolu- tion dynamique et responsabilité dans une économie de marché au Canada, Ministère des Approvisionnements et Services Canada, 1976.
AVOCATS:
Christopher Harvey pour les demandeurs. Bruce F. Fraser pour le défendeur Milk Board.
Russell W. Lusk pour la défenderesse Fraser Valley Milk Producers Co -Operative Associa tion.
W. B. Scarth, c.r. pour la défenderesse Com mission canadienne du lait.
PROCUREURS:
Russell & DuMoulin, Vancouver, pour les demandeurs.
Richards Buell Sutton, Vancouver, pour le défendeur Milk Board.
Ladner Downs, Burnaby, (Colombie-Britanni- que) pour la défenderesse Fraser Valley Milk Producers Co -Operative Association.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse Commission canadienne du lait.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE REED: Les motifs prononcés en l'espèce s'appliquent à trois requêtes: une adressée par le défendeur Milk Board, une autre par la défende- resse Fraser Valley Milk Producers Co -Operative Association et une autre par la défenderesse Com mission canadienne du lait. Elles tendent toutes à obtenir la radiation de la déclaration des deman- deurs (conformément à la Règle 419 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 6631) pour le motif que ladite déclaration ne révèle aucune cause rai- sonnable d'action. Subsidiairement, elles cherchent à faire radier certaines parties de la déclaration pour plusieurs motifs dont je parlerai plus loin.
Les demandeurs prétendent essentiellement que les défendeurs leur ont causé un préjudice en agissant à l'encontre de l'article 31.1 de la Loi sur la concurrence, c'est-à-dire la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23, modifiée par S.C. 1974-75-76, chap. 76, art. 12 et S.C. 1986, chap. 26, art. 19:
31.1 (1) Toute personne qui a subi une perte ou un préju- dice par suite
a) d'un comportement allant à l'encontre d'une disposition de la Partie V ...
peut, devant toute cour compétente, réclamer et recouvrer de la personne qui a eu un tel comportement ... une somme égale au montant de la perte ou du préjudice qu'elle est reconnue avoir subis ...
(3) La Cour fédérale du Canada a compétence aux fins d'une action prévue au paragraphe (1).
Le comportement prohibé par la Partie V (parti- culièrement l'article 32 [mod. par S.C. 1974- 75-76, chap. 76, art. 14]) est celui d'une personne qui:
32. (1) ... complote, se coalise, se concerte ou s'entend avec une autre
a) pour limiter indûment les facilités de transport, de pro duction, de fabrication, de fourniture, d'emmagasinage ou de négoce d'un produit quelconque;
b) pour empêcher, limiter ou diminuer, indûment, la fabrica tion ou production d'un produit ou pour en élever déraisonna- blement le prix;
c) pour empêcher ou diminuer, indûment, la concurrence dans la production, la fabrication, l'achat, le troc, la vente, l'entreposage, la location, le transport ou la fourniture d'un produit, ou dans le prix d'assurances sur les personnes ou les biens; ou
d) pour restreindre ou compromettre, indûment de quelque autre façon, la concurrence.
L'article 32 fait d'une telle conduite un acte criminel.
Les défendeurs ne discutent pas, à ce stade des procédures, la question de savoir si leurs activités contreviennent ou non à l'article 32 de la Partie V de la Loi. Ils soutiennent toutefois que même si c'était le cas, lesdites activités sont expressément sanctionnées par les législations fédérale et provin- ciale et qu'elles sont en conséquence soustraites à l'application de l'article 32.
Le défendeur Milk Board a été constituée en vertu de la Milk Industry Act de la Colombie-Bri- tannique, R.S.B.C. 1979, chap. 258. Elle est habi- litée par l'article 39 [mod. par S.B.C. 1984, chap. 25, art. 24; 1985, chap. 51, art. 50] de la Loi à prendre des ordonnances relativement à la produc tion et la commercialisation du lait. Dans la liste des pouvoirs spécifiques qui lui sont conférés par l'article 39, elle peut prendre des ordonnances:
[TRADUCTION] 39. (1) ...
h) fixant la valeur minimum que les laitiers devront verser aux producteurs pour le lait vendu sur le marché de consom- mation, valeur qui sera établie selon la formule prévue plus loin dans cette Loi;
i) déterminant la valeur minimum que les laitiers devront verser aux producteurs pour le lait utilisé dans la fabrication des produits laitiers;
j) fixant le prix qui devra être payé à tous les producteurs pour le lait qu'ils commercialisent et qui est réservé au marché de consommation, lequel prix sera unifié, compte tenu de la quantité de lait vendue sur le marché de consom- mation et des surplus de lait réservé audit marché et qui devront être écoulés sur le marché du lait de transformation et compte tenu des valeurs applicables à ces quantités selon les alinéas h) et i) respectivement;
k) répartissant entre tous les producteurs de lait de consom- mation la quantité de lait vendue sur ce marché et fixant le prix du lait réservé au marché de consommation de façon que chaque producteur recoive
i) la valeur du lait de consommation telle qu'elle est déterminée à l'alinéa h) en proportion de tout le lait de consommation qu'il a commercialisé, laquelle est égale à la portion des ventes de lait de consommation sur tout le lait reçu par les laitiers licenciés dans chaque aire de produc tion; et
ii) la valeur telle qu'elle est déterminée au sous-alinéa i) pour le reste du lait réservé au marché de consommation et qu'il a commercialisé comme tel; et prévoyant la réparti- tion de toutes les sommes provenant du lait réservé au marché de consommation en conséquence;
I) ordonnant que toutes les sommes provenant du lait de consommation produit par tous les producteurs dans chaque aire de production et vendu sur les deux marchés soient réparties entre tous les producteurs de façon que chacun reçoive sa part des revenus en proportion de la quantité de lait de consommation qu'il a fournie;
s) instaurant des contingents pour la commercialisation du lait, qui réglementent la quantité de lait qu'un producteur peut commercialiser sous forme de lait de consommation ou de lait de transformation pour une période spécifiée par la commission, autorisant des changements de contingents et prescrivant les modalités suivant lesquelles les contingents peuvent être attribués conservés, transférés ou annulés;
t) établissant ou désignant un organisme auquel ou par l'entremise duquel tout le lait réservé au marché de consom- mation sera ou pourra être livré ou vendu;
u) interdisant à toute personne de produire ou de commer- cialiser le lait de toute catégorie à moins qu'elle ne détienne un contingent de lait;
Le lait commercialisé comme lait de consomma- tion est le lait frais qui sera consommé sous cette forme. Le [TRADUCTION] «marché du lait de fabrication» est le lait qui entre dans la préparation
de produits tels le fromage, le beurre, le yaourt. On l'appelle également le [TRADUCTION] «marché du lait de transformation» ou «marché de transformation».
La compétence du Milk Board, qui lui est confé- rée par sa loi constitutive provinciale, s'étend à la réglementation du lait produit et commercialisé dans la province. Mais, il est aussi habilité à réglementer la production du lait pour les marchés interprovinciaux et d'exportation, compétence qui lui a été attribuée par voie de délégation par la loi fédérale: Loi sur l'organisation du marché des produits agricoles, S.R.C. 1970, chap. A-7, art. 2; Décret relatif au lait de la Colombie-Britannique, C.P. 1973-2911 (C.R.C. 1978, chap. 143) et DORS/78-758; ainsi que les décrets pris en vertu de la Milk Industry Act, R.S.B.C. 1979, chap. 258: B.C. Reg. and Orders in Council 621/74 (B.C. Reg. 99/74); 3530/75 (B.C. Reg.743/75); 479/83 (B.C. Reg.12 4 / 8 3) et 194 9 / 8 4 (1984).
La défenderesse la Commission canadienne du lait a été créée par la Loi sur la Commission canadienne du lait, S.R.C. 1970, chap. C-7. Les objets de la Commission sont énoncés à l'article 8 de la Loi:
8.... offrir aux producteurs efficaces de lait et de crème l'occasion d'obtenir une juste rétribution de leur travail et de leur investissement et d'assurer aux consommateurs de produits laitiers un approvisionnement continu et suffisant de produits laitiers de bonne qualité.
La Commission organise un système de versement de subsides fédéraux relativement au lait de trans formation. Elle achète également le lait produit qui excède les contingents fixés pour en disposer sur les marchés d'exportation. Elle perçoit des droits des producteurs qui surproduisent.
Les contingents attribués à chaque province pour la production du lait de transformation sont établis en vertu du Plan national de commerciali sation du lait. Il s'agit d'une entente fédérale-pro- vinciale selon laquelle la part octroyée à la Colom- bie-Britannique est fixée à 3,7 % du marché
national pour le lait de transformation'. Les demandeurs se plaignent que cette attribution est totalement inadéquate puisque la population de la Colombie-Britannique dépasse largement 3,7 % de la population du pays. Ils affirment que cette quote-part restreinte vise à protéger les fabricants actuels de fromage et de beurre des provinces centrales du Canada aux dépens du développement de l'industrie locale de la Colombie-Britannique.
Le Plan national de commercialisation du lait est géré par le Comité canadien de gestion des approvisionnements de lait. Les demandeurs allè- guent dans leur déclaration que ce Comité exerce le pouvoir réel de décider, sous réserve de l'appro- bation du Milk Board, quelle part de la production nationale sera attribuée à la Colombie-Britannique en vertu du Plan national. Le président du Comité est désigné par la Commission canadienne du lait. Ainsi, affirme-t-on, la part d'une province du con- tingentement total disponible est fixée par le Plan national de commercialisation du lait; cette part est ensuite distribuée parmi les producteurs laitiers de la province, par les organismes provinciaux; pour la Colombie-Britannique, il s'agit du défen- deur en l'espèce, le Milk Board.
La défenderesse Fraser Valley Milk Producers Co -Operative Association est, comme son nom l'indique, une coopérative composée de plusieurs producteurs laitiers de la Colombie-Britannique. (Elle a été familièrement appelée Dairyland par l'avocat des demandeurs) Cette coopérative est réglementée par le Milk Board; elle fournit environ 75 % du volume du lait de consommation dans la province. Elle désigne les membres du Market Share Advisory Committee du Milk Board, lequel comité, selon la déclaration des demandeurs, excerce le pouvoir réel de décision du Milk Board pour ce qui est de fixer et de répartir les contin gents. Toujours selon la déclaration, seuls les pro- ducteurs de lait de consommation sont autorisés à siéger au sein du Market Share Advisory Commit tee. Ni les producteurs de lait de transformation ni les consommateurs ne sont représentés. Je prends
' Je remarque qu'alors que plusieurs faits exposés dans les présents motifs sont présentés sous forme de narration, ils sont tirés de la déclaration des demandeurs, comme il se doit pour les besoins des requêtes en cause. Comme tels, ces faits ne sont pas prouvés.
acte de l'alinéa 39(1)z) de la Milk Industry Act qui habilite le Milk Board à rendre des ordonnances:
[TRADUCTION] 39. (1) ...
z) nommant des comités consultatifs formés de producteurs, de consommateurs, de laitiers et d'autres catégories de per- sonnes que l'office juge utiles pour agir comme conseillers et l'assister dans l'exercice des fonctions qui lui sont conférées par la présente loi, et autorisant l'office à payer les dépenses de ces comités;
Pendant une période de deux ans antérieure à novembre 1984, la Colombie-Britannique s'est retirée du Plan national de commercialisation du lait et aucun subside fédéral n'a vraisemblable- ment été versé aux producteurs de lait de transfor mation de la province pendant ce temps. Durant ces années, les demandeurs ont commencé à pro- duire et à commercialiser du lait sur le marché de transformation. Ils en ont vendu directement à une ou plusieurs fabriques de fromage. (Leur avocat a appellé cette activité «l'industrie du cottage».) En 1984, la Colombie-Britannique s'est ralliée au Plan national de commercialisation du lait. Il est alors redevenu nécessaire pour les producteurs laitiers de la province d'obtenir un contingent afin de pouvoir vendre du lait de transformation. Le Milk Board a refusé des contingents aux demandeurs, n'en allouant qu'aux fermiers qui détenaient déjà des contingents de lait de consommation (ce qu'on appelle le système intégré de commercialisation et d'allocation). A la demande du Milk Board, des injonctions ont été accordées, empêchant les demandeurs de continuer la commercialisation de leur lait.
Pour commercialiser leur lait, les demandeurs doivent désormais acheter des contingents de lait de consommation des producteurs laitiers qui détiennent déjà de tels contingents. (Il existe éga- lement un système d'entrée très restreint qui, si je comprends bien, n'est pas une façon pratique pour les demandeurs d'être autorisés à continuer leur production). Le coût d'achat des contingents actuels de lait de consommation est d'environ 1 750 000 $ (1,75 million de dollars) pour un trou- peau de 100 vaches. Les demandeurs se plaignent que ce système les oblige à acheter des contingents de lait de consommation à un prix exhorbitant, qu'ils ne peuvent payer, alors qu'ils ne désirent qu'approvisionner en lait le marché de transforma tion.
Les demandeurs allèguent que les défendeurs ont élaboré et implanté ce système dans le but d'éliminer toute concurrence dans l'industrie lai- tière et pour faire grimper les prix au profit des détenteurs actuels de contingents. On dit que cette situation nuit à ceux qui voudraient concurrencer les détenteurs actuels de contingents de lait de consommation et cause également un préjudice aux consommateurs. Dans leur déclaration, les demandeurs indiquent par surcroît qu'ils ne peu- vent livrer leurs produits à l'extérieur de la Colom- bie-Britannique (par exemple en Alberta). De plus, tel qu'il a été indiqué plus haut, ils allèguent que ce système vise à empêcher la croissance de nouvelles industries de transformation de produits laitiers en Colombie-Britannique.
Cette situation de fait a déjà été l'objet d'autres litiges: Milk Bd. v. Clearview Dairy Farm Inc. (1986), 69 B.C.L.R. 220 (C.S.); confirmé par (1987), 12 B.C.L.R. (2d) 116 (C.A.); Milk Bd. v. Birchwood Dairy Farm Ltd. (1986), 1 B.C.L.R. (2d) 210 (C.A.); Belden Farms Ltd. v. Milk Bd. (1987), 14 B.C.L.R. (2d) 60 (C.S.).
Dans l'arrêt Clearview, on a attaqué les mesures prises par le Milk Board pour le motif qu'elles enfreignaient la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi consti- tutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] et qu'elles étaient donc inconstitutionnelles. Cette attaque était fondée sur l'alinéa 2d), parce que ces mesures constituent un empiètement sur le droit à la liberté d'association des producteurs de lait de transfor mation et des fabricants de fromage, sur l'alinéa 6(2)b), parce qu'elles constituent une atteinte au «droit de gagner leur vie», sur l'article 7, parce qu'elles constituent une violation du droit «à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne», et sur le paragraphe 15(1), parce qu'elles constituent un empiètement sur le droit des producteurs de ne pas être victimes de discrimination et d'être traités de façon équitable devant la loi. Cette contestation a été infructueuse. Il est intéressant de noter que, lorsqu'il a rendu sa décision il y a presque deux ans, M. le juge Toy, a émis la page 254] une opinion incidente:
[TRADUCTION] À titre de juge et vu ma nature, je ne dis généralement rien de plus que ce qui est nécessaire, et je n'ai
pas le droit de faire autrement. Toutefois, dans cette affaire, j'ai perçu au cours de l'audience un vif intérêt pour la régle- mentation de l'industrie laitière ...
Si le Milk Board n'offre pas de solution à certains problèmes économiques actuels, il me semble inévitable que les processus politiques et législatifs devront être remis en branle.
Dans l'arrêt Birchwood, les mesures prises par le Milk Board ont été contestées pour le motif que ce dernier avait outrepassé la compétence qui lui avait été déléguée par la loi et que, de toute façon, l'imposition de droits aux producteurs laitiers était inconstitutionnelle car elle ne relevait pas de la compétence provinciale (la contestation dans l'af- faire Birchwood portait précisément sur l'imposi- tion de droits par le Milk Board). Cette attaque a échouée.
Dans l'arrêt Belden, le système de fixation des prix du Milk Board et de la Commission cana- dienne du lait a été contesté pour le motif qu'il n'offrait pas aux demandeurs la possibilité de rece- voir une juste rétribution pour leur travail. Cette contestation n'a pas réussi. On a jugé que la Milk Industry Act et la Loi sur l'organisation du marché des produits agricoles n'imposaient ni au Milk Board ni à la Commission canadienne du lait le devoir d'assurer une répartition égale, parmi tous les producteurs, des sommes obtenues de la vente du lait de transformation. Et que la Milk Industry Act et la Loi sur la Commission cana- dienne du lait n'imposaient pas non plus l'obliga- tion de donner à tous les producteurs la chance de recevoir une juste rétribution.
Comme je l'ai déjà mentionné, on conteste en l'espèce les activités des défendeurs pour le motif qu'elles sont contraires à l'article 31.1 de la Loi sur la concurrence. L'avocat des demandeurs affirme que la contestation en l'espèce, fondée sur cet article est due au fait qu'il s'agit d'une nouvelle disposition législative (paragraphe 35 de la décla- ration), mais il faut se rappeler que les articles 31.1 et 32 de la Loi sur la concurrence ne sont pas du droit nouveau. Ces articles ont été promulgués dans leur forme actuelle en décembre 1975, lors- que la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions a été modifiée avec effet rétroactif à cette date: voir S.C. 1974-75-76, chap. 76. Qui plus est, un article essentiellement similaire à l'article 32 exis-
tait avant cette époque, tout au moins relativement aux articles de commerce par opposition aux servi ces: Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23, art. 32 et ceux qui l'ont précédé.
Ces articles antérieurs ont créé dans la jurispru dence ce qu'on appelle [TRADUCTION] «un moyen de défense utilisé par l'industrie réglementée»: R v. Chung Chuck, [1929] I W.W.R. 394 (C.A.C.-B.); R. v. Simoneau, [1936] 1 D.L.R. 143 (C. Sess. Qué.); R. v. Cherry, [1938] 1 W.W.R. 12 (C.A. Sask.); Ontario Boys' Wear Ltd. et al. v. The Advisory Committee and the Attorney -General for Ontario, [1944] R.C.S. 349; Reference Re Farm Products Marketing Act, The, R.S.O. 1950, Chapter 131, as amended, [1957] 1 R.C.S. 198. Il a été décidé dans ces arrêts que les offices provin- ciaux de commercialisation ne peuvent commettre une infraction sous le régime de l'article 32 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, lors- qu'ils exercent les pouvoirs qui leur sont conférés par une loi provinciale ou fédérale. Cette jurispru dence s'est développée non par à la suite d'accusa- tions portées aux termes des lois sur les coalitions mais plutôt lorsqu'on a voulu contester la constitu- tionnalité des offices de commercialisation eux- mêmes. Dans ce contexte, on soutenait que la législation fédérale sur les coalitions, qui exige une attitude compétitive, occupait le champ et qu'en conséquence, elle avait préséance sur la législation provinciale en matière de commercialisation qui réprimait ce comportement. Quoi qu'il en soit, le raisonnement qui s'ensuivit est résumé dans l'arrêt Farm Products Marketing Reference. M. le juge Rand écrivait, à la page 219:
[TRADUCTION] [On] a soutenu que la réglementation entrait en conflit avec les dispositions de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions et l'art. 411 du Code criminel, mais je ne puis souscrire à cette prétention. La loi provinciale envisage une réglementation coercitive qui tient compte à la fois des intérêts publics et privés. Les dispositions de la Loi relative aux enquê- tes sur les coalitions et celles du Code criminel envisagent les accords et les coalitions volontaires que des particuliers con- cluent au détriment de l'intérêt public et qui violent les inter- dictions que comportent ces textes de loi.
M. le juge Locke reprenait à la page 239:
[TRADUCTION] À mon avis, il est impossible de déclarer que, dans le cadre des dispositions du sous-al. (vi) de l'al. a) de l'art. 2 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, le plan «est de nature à fonctionner au détriment ou à l'encontre des intérêts du public, soit des consommateurs, soit des producteurs ou autres,. Il s'agit, au contraire, d'un plan dont la mise en
oeuvre est censée être dans l'intérêt du public. En outre, l'in- fraction que l'art. 2 définit et qui expose une personne aux sanctions prévues à l'art. 32 est un acte criminel. Selon moi, l'accomplissement d'un acte que la Législature a le pouvoir d'accomplir et qu'elle a autorisé ne peut constituer un acte criminel. [C'est moi qui souligne.]
Il est clair que l'idée que des individus puissent être coupables d'une infraction criminelle alors qu'ils agissent en conformité avec les directives d'une législature n'allait pas être facilement accep- tée par les tribunaux. L'avocat des demandeurs prétend que telle était l'attitude sous l'ancienne législation mais que la situation a changé par suite de l'emphase mise sur les redressements décrimi- nalisés dans la nouvelle Loi sur la concurrence. Qui plus est, il affirme que le [TRADUCTION] «moyen de défense utilisé par l'industrie réglemen- tée» n'est recevable que lorsque ladite industrie se lance dans une activité d'intérêt public, ce qui n'est manifestement pas le cas du Milk Board en l'espèce.
Il est vrai que les demandeurs ont intenté une poursuite civile fondée sur l'article 31.1' de la Loi sur la concurrence mais à mon avis, cela ne suffit pas à soustraire lesdits demandeurs à l'application de la jurisprudence établie. Pour engager une poursuite civile sous le régime de l'article 31.1, il faudra prouver les mêmes éléments que ceux qui sont exigés par l'article 32. La situation de fait sur laquelle une action intentée en vertu de l'article 31.1 est fondée constituera aussi une infraction criminelle sous le régime de l'article 32. Je ne peux donc pas voir comment la «décriminalisation» des redressements par l'article 31.1 de la Loi sur la concurrence peut permettre aux demandeurs de prétendre que la jurisprudence établie ne leur est pas applicable.
Quant à l'argument selon lequel la jurisprudence établie ne s'applique que lorsqu'un organisme de réglementation agit dans l'intérêt du public, je ne crois pas, en interprétant les précédents, que les tribunaux aient reçu le mandat de réviser les déci- sions d'un office provincial de commercialisation afin de déterminer si, dans les faits, il agit dans l'intérêt du public. À mon avis, la jurisprudence
2 La constitutionnalité de cet article a été établie par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Procureur général du Canada c. Québec Ready Mix Inc., [1985] 2 C.F. 40 (sub nom. Pilote Ready Mix Inc. et al. c. Rocois Construction Inc.) (1985) 8 C.P.R. (3d) 145.
révèle plutôt que lorsqu'un tel office agit dans les limites de son mandat légal, il est présumé agir dans l'intérêt du public. Est-ce le cas? C'est une question à être tranchée non par les tribunaux mais par les membres des législatures fédérale et provinciales qui ont conféré aux offices la compé- tence voulue.
Le principal argument à l'encontre de la position des demandeurs est toutefois le fait que le nouvel article 32 (adopté en décembre 1975) a fait l'objet d'une décision récente de la Cour suprême Procu- reur général du Canada et autres c. Law Society of British Columbia et autre, [1982] 2 R.C.S. 307 (l'arrêt Jabour). Le jugement porte qu'un règle- ment pris par la Law Society of British Columbia, interdisant aux avocats de faire de la publicité ne peut être qualifié de pratique restrictive de com merce qui va à l'encontre de l'article 32. Parlant au nom de la Cour, M. le juge Estey, a écrit:
à la page 344:
En 1975, le Parlement, par l'adoption du chap. 76 des Statuts du Canada, 1974-75-76, a apporté toute une série de modifications ...
à la page 347:
Le rapport entre les lois de réglementation provinciales et la loi fédérale est une question souvent débattue devant les cours
et aux pages 354-356:
Dans ces arrêts, les cours ont affirmé, chacune à sa manière, que l'observation des dispositions d'une loi provinciale valide- ment adoptée peut difficilement être contraire à l'intérêt public
Pour ce qui est de la présente espèce et des actes accomplis par les Benchers sous le régime de la Legal Professions Act, précitée, la question qui se pose est de savoir si ces actes peuvent constituer une infraction à la partie V de la L.R.E.C., et plus précisément à son par. 32(1). Les mots essentiels qui se trouvent vers le début de l'art. 32, sont les suivants: « ... toute personne qui complote, se coalise, se concerte ou s'entend avec une autre». Ces mots sont de portée assez large pour compren- dre tous les Benchers collectivement ou individuellement ou l'Association en tant que personne morale et un seul ou plu- sieurs des Benchers ou des administrateurs dont celle-ci est dotée par la loi, ou même toute personne avec qui l'Association peut avoir agi conjointement. Il s'ensuit que si deux de ces personnes, physiques ou morales, concluaient volontairement un accord interdit par la L.R.E.C., il y aurait infraction et, si la perpétration d'une infraction était soupçonnée, on pourrait très bien ordonner une enquête en vertu de l'art. 48. Ce qui s'est produit en l'espèce est toutefois différent tant sur le plan des faits que sur celui du droit. Comme l'a dit le juge Rand dans le Renvoi relatif à The Farm Products Marketing Act, précité, aux pp. 219 et 220, la loi provinciale est «coercitive» dans son
application aux membres du groupe soumis à la réglementation de la province, tandis que la loi fédérale vise «les accords et les coalitions volontaires». En l'espèce, l'»accord» consiste apparem- ment en la décision du comité de discipline que l'appelant Jabour, en faisant la publicité en question, a commis une faute professionnelle. On prétend qu'en se concertant ainsi, non seulement les Benchers ont fait ce que permet la loi, incontesta- blement valide, qui leur confère leurs pouvoirs, mais ils se sont acquittés en fait des obligations que leur impose cette loi. J'ai déjà mentionné le Manuel d'éthique professionnelle. La régle- mentation qu'il contient ne se fonde sur aucune loi ni sur aucun règlement. Les Benchers n'ont pas promulgué de règlement ayant trait à la publicité. Comme il se dégage du dossier conjoint en l'espèce, c'est au moyen d'une décision disciplinaire qu'on a réglementé la conduite en question.
Je ne suis pas d'avis que les mots que le Parlement a employés au par. 32(I), si on prend celui-ci isolément et qu'on l'inter- prète et l'applique correctement, se rapportent aux mesures prises par l'Association dans l'exercice du pouvoir dont elle est investie par une loi provinciale que j'estime valide.
Je remarque premièrement que les Benchers étaient membres du groupe qu'ils réglementaient (les personnes réglementées, ou leurs représen- tants, ayant établi la règle portant restriction du commerce). Deuxièmement, la compétence accor- dée à la Law Society n'exigeait pas qu'elle empê- che les avocats de faire de la publicité. Les Ben- chers se voyaient plutôt accorder le pouvoir de prendre les règlements qu'ils estimaient être dans l'intérêt du public: la définition de la conduite indigne d'un membre de la Society comprenait [TRADUCTION] «toute affaire, conduite ou chose que les Benchers jugeaient contraire à l'intérêt du public ou de la profession juridique». Le pouvoir accordé était très vague et général.
À mon avis, la cause en l'espèce est visée encore plus clairement par la jurisprudence établie que ne l'est la situation que les tribunaux devaient exami ner dans l'affaire Jabour. Dans le présent cas, le Milk Board peut nommer un comité formé de producteurs et chargé de le conseiller. En implan- tant un système d'allocation, le Board exerce la compétence qui lui a été spécifiquement accordée. Il a le pouvoir exprès de répartir les contingents et d'empêcher la commercialisation du lait par ceux qui n'en détiennent pas. Dans l'arrêt Jabour, les Benchers n'avaient que le mandat général d'établir des normes pour la profession. Ils n'avaient pas le pouvoir spécifique ou explicite d'empêcher ou de réglementer la publicité. En conséquence, on avait encore plus d'arguments qu'en l'espèce pour pré- tendre que les dispositions de la Loi relative aux
enquêtes sur les coalitions (devenue la Loi sur la concurrence) pouvaient s'appliquer.
L'avocat des demandeurs cherche à établir une distinction avec l'arrêt Jabour pour le motif qu'on avait expressément accordé aux Benchers le pou- voir de déterminer ce qui [TRADUCTION] «était contraire au meilleur intérêt du public» alors qu'un pouvoir aussi étendu n'a pas été donné aux défen- deurs en l'espèce. Les défendeurs, le Board et la Commission canadienne du lait, ne sont pas non plus expressément tenus d'agir dans l'intérêt du public. Je ne crois toutefois pas que cette distinc tion soit pertinente. Comme je l'ai fait remarquer, on présume dans la jurisprudence établie que les mesures prises en conformité avec une disposition réglementaire fédérale ou provinciale sont dans l'intérêt du public. La question de savoir si la loi exige spécifiquement ou non que le Milk Board ou la Commission canadienne du lait agissent dans l'intérêt du public n'est donc pas pertinente. À tout évènement, il faut noter que le préambule du Plan national de commercialisation du lait prévoit:
[TRADUCTION] «CONSIDÉRANT QU'il est souhaitable qu'un programme de gestion des approvisionnements pour les produits laitiers transformés soit continué dans l'intérêt à long terme des consommateurs, des producteurs et des transformateurs ...»
De même, les objets de la Commission canadienne du lait, qui sont exposés à la page 470 ci-dessus, consistent à équilibrer les intérêts des consomma- teurs et ceux des producteurs.
L'avocat des demandeurs cherche à établir une distinction avec l'arrêt Jabour pour le motif que d'autres modifications ont été apportées à la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions. Comme je l'ai déjà mentionné, les articles 31.1 et 32 n'ont subi aucun changement radical par suite de ces modifications. Le procureur se fonde sur les arti cles 1.1 et 2.1 de la Loi sur la concurrence ajoutés par S.C. 1986, chap. 26, art. 19 et 21. L'article 1.1 expose les objets de la Loi:
1.1 La présente loi a pour objet de préserver et de favoriser la concurrence au Canada dans le but de stimuler l'adaptabilité et l'efficience de l'économie canadienne, d'améliorer les chances de participation canadienne aux marchés mondiaux tout en tenant simultanément compte du rôle de la concurrence étran- gère au Canada, d'assurer à la petite et à la moyenne entreprise une chance honnête de participer à l'économie canadienne, de même que dans le but d'assurer aux consommateurs des prix compétitifs et un choix dans les produits.
L'article 2.1 traite des corporations de la Cou- ronne fédérale ou d'une province:
2.1 Les corporations mandataires de Sa Majesté du chef du Canada ou d'une province sont, au même titre que si elles n'étaient pas des mandataires de Sa Majesté, liées par la présente loi et sujettes à son application à l'égard des activités commerciales qu'elles exercent en concurrence, réelle ou poten- tielle. avec d'autres personnes.
En considérant l'effet voulu de ces articles, il y a lieu d'examiner un peu l'historique de la législa- tion. En 1971, le processus qui a abouti aux modi fications de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions de 1975 et à la Loi sur la concurrence de 1986 a été mis en branle par le dépôt du projet de loi C-256 [Loi encourageant la concur rence ... , 3e sess., 28e Rég., 1970-71]. Ce projet de loi, appelé la Loi sur la concurrence, comportait une disposition qui exemptait de son application les personnes ayant une ligne de conduite expressé- ment requise ou autorisée par le Parlement du Canada ou une législature provinciale'. Le projet de loi C-256 n'a jamais été adopté. Il a été rem- placé par ce qu'on a appelé les modifications de la phase I (1975) et de la phase II (1986). Après le retrait du projet de loi C-256, et coïncidant avec l'adoption des modifications de la phase I (S.C. 1974-75-76, chap. 76), une étude a été préparée pour le compte du ministre de la Consommation et des Corporations (le Rapport Skeoch/McDonald, Évolution dynamique et responsabilité dans une économie de marché au Canada, publié en 1976). Ce rapport expose aux pages 148 et 149:
'Cette disposition prévoit notamment:
92. (I) Rien dans la présente loi ne s'applique relative- ment à un accord, un arrangement ou une ligne de conduite qui, n'était-ce le présent article, constituerait
a) une violation de l'article 16, ou
b) une discrimination en matière de prix, une pratique restrictive, une fixation de prix rendu ou l'octroi de réduc- tions publicitaires au sens donné à ces expressions aux fins de l'article 37,
lorsqu'une loi du Parlement du Canada ou de la législature d'une province ou un règlement du pouvoir exécutif, un règle- ment administratif municipal ou autre, un arrêté, un décret, une ordonnance, une règle ou tout autre acte établi en applica tion d'une telle loi oblige ou autorise expressément à ce faire les parties à l'accord ou arrangement ou la ou les personnes suivant cette ligne de conduite et qu'il est expressément exigé que cet accord ou arrangement ou cette ligne de conduite soient contrô- lées et réglementés, d'une manière continue, par un office, un conseil, une commission ou un autre organisme public nommé en application d'une loi ou de l'acte établi en application d'une telle loi et qui est chargé de la protection de l'intérêt public.
Nous croyons fermement que des mesures contre des mono- poles œuvrant sous l'égide ou la surveillance du gouvernement sont à tout le moins aussi nécessaires que celles qui s'imposent dans le secteur privé.
D'une façon plus générale, nous recommandons qu'un orga- nisme réglementé soit considéré comme étant généralement assujetti à la législation sur les coalitions et qu'il en soit exempté seulement lorsque:
(I) la conduite restrictive est imposée par la loi;
(2) la conduite restrictive est sous la surveillance de fonc- tionnaires indépendants, et non des représentants des participants;
(3) la restriction est liée au but visé par la législation et qu'elle constitue le moyen le moins restrictif pour attein- dre le but en question.
En effet, nous recommandons que ces trois dispositions s'ap- pliquent à toutes les formes de contrôle monopolistique autori- sées par le gouvernement. En particulier, nous sommes persua- dés qu'elles sont nécessaires dans le cas des offices de commercialisation dits de «gestion des stocks». En réalité, ces organismes ne sont rien moins que des cartels.
Le rapport poursuivait avec une description des abus pouvant survenir dans un système de contin gents; en voici un extrait [aux pages 150 et 151]:
Un autre type d'abus consiste à laisser augmenter la valeur des quotes-parts, sans fixer de limite. Aux yeux du consomma- teur cela prouve que les rapports de l'industrie sont excessifs. Au niveau des producteurs, des quotes-parts dont la valeur est élevée sont une charge exorbitante pour de jeunes agriculteurs débutants. Compte tenu de la valeur actuelle des quotes-parts en Colombie-Britannique, un jeune producteur qui se lance dans l'industrie laitière pourrait facilement se retrouver avec une dette de $ 75,000 de quotes-parts en moins de temps qu'il n'en faut pour lancer une affaire convenable. Un pays d'hom- mes libres ne saurait être fier d'une chose pareille.
Le projet de loi C-42 [Loi modifiant la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions ... , 2e sess., 30e Lég., 1976-77] a été déposé en mars 1977. Il s'agissait d'un précurseur de ce qui allait éventuellement être les modifications de la phase II. Le projet de loi C-42 contenait une disposition qui semble-t-il, visait à donner suite aux recom- mandations du rapport ci-dessus mentionné. Cette disposition soustrayait à l'application de la loi la ligne de conduite expressément demandée ou auto- risée par un organisme public (fédéral ou provin cial) si les membres dudit organisme n'étaient pas nommés ou élus par ou représentant des personnes dont la ligne de conduite était réglementée et
lorsque l'application de la législation sur la concur rence entravait sérieusement les objectifs fonda- mentaux du mandat de l'autorité en matière de réglementation 4 . Le projet de loi C-42 n'a pas été adopté. Il y a eu, en novembre 1977, une deuxième tentative de faire adopter les modifications de la phase II et le projet de loi C-13 [Loi modifiant la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions ... 3' sess., 30» Lég., 1977] a été déposé. Ce dernier comportait une disposition établissant la portée du [TRADUCTION] «moyen de défense utilisé par l'in- dustrie réglementée», similaire à celle contenue dans le projet de loi C-42. Le projet de loi C-13 n'a jamais été adopté. Les projets de loi C-42 et C-13 renfermaient une disposition comparable à l'article 2.1 actuels.
Il est alors nécessaire d'examiner de façon pré- cise les articles 1.1 et 2.1 des modifications de 1986. La question est de savoir si, à la lumière de la jurisprudence abondante qui a établi [TRADUC- TION] «le moyen de défense utilisé par l'industrie réglementée» et de l'arrêt Jabour rendu en 1982, le Parlement entendait, en adoptant les modifications de 1986, que l'article 32 de la Loi sur la concur rence soit applicable aux entités telles les offices provinciaux du lait à l'égard du genre d'activités
4 4.5 (1) La Partie IV.1 et les articles 32, 32.2, 32.3, 33, 34, 35 et 38 ne s'appliquent pas à une activité réglementée.
»activité réglementée» désigne toute activité répondant aux conditions suivantes:
a) l'activité a été expressément prescrite ou autorisée par une autorité administrative qui n'a pas été élue ni nommée par les personnes, les catégories de personnes y compris leurs représentants, dont elle peut réglementer l'activité,
b) l'autorité administrative visée au paragraphe a) a expressément voulu réglementer l'activité et l'a fait confor- mément à la loi fédérale ou provinciale qui l'a expressé- ment habilitée à cette fin, et
c) l'application de la présente loi, compte tenu des circons- tances, porterait gravement atteinte aux objectifs fonda- mentaux, en matière de réglementation, d'une loi visée à l'alinéa b).
5 La présente Loi lie un mandataire de Sa Majesté du chef du Canada ou d'une province qui est une corporation, à l'égard des activités commerciales que cette corporation exerce en concurrence, avec d'autres personnes, que cette concurrence soit réelle ou potentielle, mais une telle corporation n'est pas ainsi liée à l'égard de ses activités commerciales quand celles-ci sont directement reliées à ses activités régulatrices. [Les souli- gnés indiquent ce qui est différent de l'article 2.1 actuel.]
dont se plaignent les demandeurs en l'espèce. Je ne crois pas. Si telle avait été son intention, je suis d'avis que des dispositions beaucoup plus précises que les articles 1.1 ou 2.1 auraient été ajoutées à cette fin. Le sort réservé aux dispositions précitées des projets de loi C-42 et C-13 renforce cette conclusion, encore que cette conclusion découle principalement du libellé même des deux articles susmentionnés.
La disposition relative à l'objet de la Loi, exposé à l'article 1.1 de la Loi sur la concurrence, n'est pas assez précise pour permettre à l'avocat des demandeurs d'arriver au résultat escompté. Bien que cet article expose l'objet général de la Loi, il ne peut être interprété comme une indication qu'il entend s'écarter de la jurisprudence déjà existante qui a établi le [TRADUCTION] «moyen de défense utilisé par l'industrie réglementée». Il ne peut non plus être interprété comme une volonté de renver- ser les conclusions de l'arrêt Jabour. Le nouvel article 2.1 n'aide pas non plus les demandeurs. Si je comprends bien la déclaration des demandeurs, l'activité dont ils se plaignent n'est pas ce qu'on pourrait qualifier d'activité commerciale. On ne se plaint pas d'une attitude anticoncurrentielle relati- vement à l'achat du lait, que ce soit le lait de consommation ou le lait de transformation (si effectivement une telle activité est couverte par l'article 2.1). L'attitude anticoncurrentielle repro- chée concerne l'établissement de contingents, leur nombre limité et le fait qu'aucun n'ait été accordé aux demandeurs. Selon mon interprétation des lois pertinentes, le mandat du Milk Board porte expressément sur ces activités. Qui plus est, cel- les-ci ne sont pas de nature commerciale.
L'avocat des demandeurs soutient que la Loi sur la concurrence doit s'appliquer aux défendeurs en l'espèce, le Milk Board et la Commission cana- dienne du lait, parce que l'article 33 de la Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme, S.C. 1970-71-72, chap. C-65 soustrait pré- cisément certains offices de commercialisation des produits de ferme (ceux créés conformément à l'article 17 de ladite Loi) à l'application de la Loi sur la concurrence et que la Commission cana- dienne du lait n'est pas exemptée. À mon avis, c'est exagérer la portée de l'article 33. L'insertion de cet article dans la loi de 1972 n'était pas censée enlever à tous les organismes qu'il ne couvrait pas
la protection du moyen de défense des industries réglementées.
Le critère applicable à la radiation d'une décla- ration ne révélant aucune cause raisonnable d'ac- tion est exposé dans l'arrêt Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441 et il a récemment été examiné par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Pacific Fisher- men's Defence Alliance c. Canada, [1988] 1 C.F. 498.
Dans l'arrêt Operation Dismantle, on cite aux pages 449 et 450 le critère tel qu'il a été établi dans l'arrêt Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada, [1980] 2 R.C.S. 735, à la page 740:
... il faut tenir tous les faits allégués dans la déclaration pour avérés. Sur une requête comme celle-ci, un tribunal doit rejeter l'action ou radier une déclaration du demandeur seulement dans les cas évidents et lorsqu'il est convaincu qu'il s'agit d'un cas "au-delà de tout doute" .. .
Dans l'arrêt Pacific Fishermen's Defence Alliance, on reprend, à la page 506, un extrait de l'arrêt Operation Dismantle:
La règle selon laquelle les faits matériels d'une déclaration doivent être considérés comme vrais, lorsqu'il s'agit de détermi- ner si elle révèle une cause raisonnable d'action, n'oblige pas à considérer comme vraies les allégations fondées sur des supposi tions et des conjectures ... On ne fait pas violence à la règle lorsque des allégations, non susceptibles de preuve, ne sont pas considérées comme prouvées. [C'est moi qui souligne.]
L'application de ces critères à la déclaration en l'espèce me porte à conclure que celle-ci ne révèle aucune cause raisonnable d'action. Je retiens l'ar- gument pertinent de l'avocat des demandeurs selon lequel il s'agit d'un moyen de défense utilisé par l'industrie réglementée et non d'une exemption. Il ressort en effet de ces décisions, qu'il s'agit d'une défense fondée sur une conduite réglementée. Il ne suffit pas de désigner une industrie comme une industrie réglementée par une loi fédérale ou pro- vinciale et de conclure ensuite que toutes les activi- tés des individus dans cette industrie sont soustrai- tes à la Loi sur la concurrence. Ce ne sont pas les industries dans leur entier qui sont soustraites à l'application de ladite loi mais uniquement les activités prescrites ou autorisées par la loi fédérale ou provinciale selon le cas. Si des personnes enga gées dans la réglementation d'un marché se servent du pouvoir qui leur est conféré par la loi comme un tremplin (ou un déguisement) pour se lancer dans
des pratiques anticoncurrentielles allant au-delà de ce qui est permis par les lois pertinentes en matière de réglementation, alors ces personnes violent la Loi sur la concurrence. Mais il ressort de la décla- ration que l'essentiel de la réclamation des deman- deurs en l'espèce n'est pas de cette nature. C'est, comme je l'ai déjà mentionné, l'insatisfaction face à la méthode de répartition des contingents, au nombre réduit des contingents accordés à la pro vince et au fait que d'autres producteurs laitiers que les demandeurs ont reçu des contingents de lait de transformation. Ce sont des activités portant sur la réglementation et non des activités commerciales.
Selon moi, l'avocat des demandeurs n'a pas soutenu que les défendeurs avaient excédé la com- pétence qui leur est conférée par la loi pertinente. Certains paragraphes de la déclaration faisaient indirectement des allusions de cette nature (selon le paragraphe 24k), les écritures sont faussement décrites; selon le paragraphe 241), les paiements du lait écrémé condensé sont faussement décrits; selon le paragrape 24m), la détérioration et la perte du lait au cours du transport sont faussement décri- tes), mais dans l'ensemble de la déclaration, ces faits ne sont qu'une façade et ne peuvent être le fondement d'aucune réclamation. Le paragraphe 25 de la déclaration expose:
[TRADUCTION] Le complot, les ententes et arrangements préci- tés sont contraires à l'article 32 de la Loi sur la concurrence, S.R.C. et ne sont exigés par aucune loi en vertu de laquelle le Milk Board tient ses pouvoirs et sont en conséquence contraires à la loi.
Ces allégations ne peuvent toutefois constituer une cause d'action puisque, comme je l'ai fait remar- quer, ce ne sont pas seulement les activités prescri- tes par la loi qui échappent à l'application de la Loi sur la concurrence mais également celles qui sont autorisées par ladite loi. Si j'ai bien compris, l'avocat n'a pas allégué que les mesures dont les demandeurs se plaignent n'étaient pas autorisées, et la déclaration non plus. En appliquant ainsi le critère dégagé dans l'arrêt Operation Dismantle (précité), je dois conclure que la déclaration des demandeurs ne révèle aucune cause raisonnable d'action.
Étant donné cette conclusion, il n'est pas néces- saire de discuter des autres arguments qui furent avancés. Toutefois, afin de faire le tour de la question, je vais en mentionner quelques-uns. On
affirme que certains aspects de la déclaration des demandeurs ressemblent à un communiqué de presse (paragraphe 26) et constituent en consé- quence une manière incorrecte de plaider. Cet argument est bien fondé.
On allègue que cette Cour n'a pas compétence en l'espèce dans la mesure la déclaration est fondée sur un «complot délictueux» plutôt que sur l'article 31.1 de la Loi sur la concurrence. Cet argument est bien fondé. En fait, je ne crois pas que l'avocat des demandeurs conteste cette position.
On affirme que, comme la déclaration men- tionne des événements qui ont eu lieu plus de deux ans avant le dépôt de la déclaration le 4 septembre 1987, ces mentions devraient être radiées. Le para- graphe 31.1(4) de la Loi sur la concurrence prévoit un délai de prescription de deux ans. La date limite est donc le 4 septembre 1985. Le paragra- phe 17 de la déclaration précise qu'avant le début des activités des défendeurs (qui, aux termes du paragraphe 23, ont commencé en 1975), il y avait 650 producteurs de lait de transformation en Colombie-Britannique alors qu'il n'en reste main- tenant que 11. Les paragraphes 24q) et 24r) ainsi que les paragraphes 28, 29 et 30 traitent des événements entourant la nouvelle adhésion de cette province au Plan national en novembre 1984. Le paragraphe 27 souligne l'insolvabilité de l'un des demandeurs en 1983.
Il n'est évidemment pas nécessaire de décider comment la prescription de deux ans s'applique aux conclusions en l'espèce puisque celles-ci seront radiées en entier pour d'autres motifs. Il me semble néanmoins qu'on peut prétendre que l'acti- vité ininterrompue des défendeurs pourrait consti- tuer une violation continue de l'article 31.1. La disposition concernant la prescription n'est certai- nement pas le motif sur lequel je me fonderais pour radier toute mention des événements survenus avant le 4 septembre 1985 sans avoir entendu toute la preuve et l'argumentation.
On soutient que le nom Industrial Milk Produ cers Association devrait être radié de la liste des demandeurs parce qu'il ne s'agit pas d'une associa tion constituée et qu'en conséquence elle ne peut faire l'objet d'une poursuite en justice. Comme le nom de ses membres figure également à titre de
demandeurs, il s'agit d'une critique sans consé- quence sur les conclusions. Les demandeurs s'op- posent à la radiation parce qu'ils veulent que le nom de leur association soit la «figure de proue» de leur réclamation. A mon avis, la position des défendeurs est juste: l'association ne peut être constituée partie au litige. Je ne vois cependant pas pourquoi les demandeurs, qu'il s'agisse d'un parti- culier ou d'une société, ne se déclareraient pas, dans l'intitulé de la cause, membres de l'Industriel Milk Producers Association, si tel est leur désir.
On veut aussi faire radier certains redressements demandés (paragraphes a), b), c) et d) de la demande de redressements) en disant que l'article 31.1 de la Loi sur la concurrence permet à la Cour d'accorder des dommages-intérêts mais ne l'auto- rise pas spécifiquement à prononcer un jugement déclaratoire ou une injonction. On pourrait débat- tre la question de savoir si l'article 31.1 est limita- tif à cet égard ou si, lorsqu'il est lu conjointement avec les Règles de la Cour fédérale et la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970, (2e Supp.), chap. 10], les autres redressements fondés sur l'équity sont également disponibles. Ce n'est pas une question qu'il faudrait être écarter à ce stade en radiant les réclamations.
Pour ces motifs, la déclaration des demandeurs sera radiée car elle ne révèle aucune cause raison- nable d'action.
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