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A-999-87
John Samuel Fedoriuk (requérant) c.
Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada (intimé)
RÉPERTORIÉ: FEDORIUK C. CANADA (COMMISSAIRE DE IA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA)
Cour d'appel, juges Heald, Mahoney et Mar- ceau—Calgary, le 6 octobre; Ottawa, le 21 octobre 1988.
Contrôle judiciaire Demandes d'examen Un officier de la GRC a été déclaré coupable de vol à l'étalage Son licenciement a été recommandé pour cause d'inaptitude L'ordre permanent considère comme un motif d'inaptitude le fait pour le membre d'être impliqué dans la perpétration d'une infraction dont la gravité et les circonstances affecteraient considérablement la bonne exécution de ses fonctions La Commission de licenciement et de rétrogradation a conclu que l'appelant n'avait pas eu l'intention de commettre l'infraction reprochée, et elle a considéré une telle circonstance comme atténuante Le Commissaire a déclaré que le vol ne pouvait faire autrement qu'affecter considérablement la bonne exécu- tion des fonctions L'ordre permanent, qui lie le Commis- saire, exige l'examen des circonstances particulières de l'af- faire La décision confirmant la recommandation de licenciement est annulée.
Fin de non-recevoir Issue estoppel Un officier de la GRC a été reconnu coupable de vol à l'étalage Les procédu- res internes qui ont suivi ont abouti à une recommandation de licenciement L'ordre permanent décrit le motif d'inaptitude en cause comme le fait pour le membre d'être impliqué dans la perpétration d'une infraction dont la gravité et les circons- tances affecteraient considérablement la bonne exécution de ses fonctions La condamnation lie-t-elle un tribunal civil? La doctrine de l'issue estoppel est inapplicable Abus de procédures.
GRC Un officier de la GRC a été déclaré coupable de vol à l'étalage Son congédiement a été recommandé pour inaptitude L'ordre permanent énonçant le motif d'inapti- tude relatif à la perpétration d'une infraction criminelle lie le Commissaire Cet ordre exige un examen des circonstances de l'espèce Le Commissaire a commis une erreur de droit en concluant que le vol affecte la bonne exécution des fonctions du membre dans tous les cas.
Il s'agit d'une demande d'annulation de la décision du Com- missaire confirmant la recommandation que le requérant, un officier de la GRC déclaré coupable de vol à l'étalage, soit congédié. Le congédiement du requérant a été recommandé au motif de son inaptitude. L'ordre permanent AM-53 considère comme un motif d'inaptitude entraînant le congédiement de l'implication du membre dans la perpétration d'une infraction dont la gravité et les circonstances affecteraient considérable- ment la bonne exécution de ses fonctions. Le Commissaire a déclaré au sujet de cette question que le vol commis par un membre qui a fait le serment de faire observer la loi ne peut
faire autrement qu'affecter considérablement la bonne exécu- tion de ses fonctions. Il a également conclu que la Commission de licenciement et de rétrogradation, n'étant pas compétente à entendre une question déjà jugée, n'aurait pas inférer une absence d'intention et considérer une telle circonstance comme atténuante puisque la commission de l'infraction de vol, dont l'intention est un des éléments constitutifs, avait déjà été éta- blie. Les questions en litige sont celles de savoir si le Commis- saire a commis une erreur de droit en n'examinant pas les circonstances particulières de l'espèce et si la doctrine de l'issue estoppel empêche l'examen par les tribunaux civils de l'implica- tion du requérant dans la perpétration d'une infraction.
Arrêt: la demande devrait être accueillie.
Le juge Heald: Le Bulletin AM-53, qui a été promulgué à titre d'ordre permanent, a été conçu pour respecter les règles de la justice naturelle et de l'équité visant la procédure, et il lie le Commissaire intimé. Les termes du Bulletin exigent clairement du Commissaire qu'il examine les circonstances particulières de la perpétration de chacune des infractions visées et qu'il soit convaincu que la gravité de l'infraction fait qu'elle affecte considérablement la bonne exécution des fonctions du membre. Le défaut du Commissaire d'effectuer un tel examen est établi par sa déclaration révélant qu'il croyait que, dans tous les cas, et indépendamment des circonstances de chaque espèce, un manquement d'un membre à la loi réaliserait automatiquement les conditions énoncées dans le Bulletin. Le fait que le Commis- saire n'ait pas mentionné les circonstances atténuantes allé- guées par le requérant devant la Commission de révision corro- bore une telle conclusion.
Il n'est pas nécessaire de statuer sur l'applicabilité de la doctrine de l'issue estoppel puisque celle-ci concerne la ques tion de savoir si une infraction a été commise, une question qui n'était pas soulevée dans le cadre de l'instance.
Le juge Mahoney: Bien qu'aucune question mettant en jeu l'issue estoppel ne soit soulevée, il se pose une véritable ques tion d'abus de procédures. Une déclaration de culpabilité ou un acquittement prononcé à l'égard d'une accusation criminelle doit lier les tribunaux disciplinaires statuant subséquemment sur l'infraction visée parce que de telles décisions sont fondées sur un critère de preuve plus élevé, celui de l'absence de tout doute raisonnable.
Le juge Marceau (motifs concourant quant au résultat): La conclusion prise par la Cour provinciale ne liait pas irrévocable- ment la Commission. Seules les doctrines de l'issue estoppel (fin de non-recevoir) ou de l'abus de procédures auraient pu entraîner un tel résultat, et ni l'une ni l'autre ne s'applique en l'espèce. L'issue estoppel n'était pas applicable puisque ni les parties, ni la question en litige n'étaient identiques. La présente espèce n'en est pas une dans laquelle l'instruction d'une ins tance criminelle aurait lieu après le prononcé d'un verdict d'acquittement, un cas dans lequel l'application de la doctrine de l'issue estoppel est plus facilement acceptée, compte tenu du lien qu'elle entretient avec la garantie contre la double incrimi nation. Lorsque des procédures à caractère civil sont entamées après le prononcé d'une déclaration de culpabilité au criminel, il y a risque d'abus de procédures. Toutefois, aucun abus de procédures n'a eu lieu en l'espèce puisque l'«intention» ne constitue pas un fait matériel pouvant faire l'objet d'une per ception directe mais purement un état d'esprit qui ne peut être inféré que des circonstances externes et dont l'appréciation met en jeu la subjectivité.
Même dans l'hypothèse les conclusions tirées par la Cour provinciale auraient lié la Commission de licenciement et de rétrogradation, cette dernière se serait trouvée assujettie à une obligation d'examiner les circonstances de l'affaire et d'appré- cier leur signification à l'égard de la culpabilité et de la moralité de la personne visée. La Commission n'avait pas à vérifier la validité de la déclaration de culpabilité mais à exercer son propre jugement pour faire la recommandation qu'elle-même aurait considérée appropriée. Bien qu'un acquit- tement aurait interdit au Commissaire d'examiner les faits de l'affaire, une déclaration de culpabilité ne ferait pas intervenir une telle préclusion puisque les principes et l'intérêt public en jeu n'y seraient pas identiques. Les garanties constitutionnelles offertes à une personne accusée d'une infraction criminelle ne doivent pas être contournées par l'introduction de procédures contre cette personne devant un autre tribunal. Cependant, lorsqu'une personne est déclarée coupable d'une infraction cri- minelle, l'intérêt du particulier exige qu'au moins une certaine marge de discrétion soit laissée au tribunal. Le Commissaire a commis une erreur de droit en rejetant les conclusions de fait de la Commission de licenciement et de rétrogradation.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 28.
JURISPRUDENCE DÉCISION APPLIQUÉE:
Hunter v Chief Constable of West Midlands, [1981] 3 All ER 727 (H.L.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Lutes c. Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, [1985] 2 C.F. 326; (1985), 61 N.R. 1 (C.A.); Van Rooy c. M.R.N., [1989] 1 C.F. 489 (C.A.).
DÉCISIONS MENTIONNÉES:
R. c. Riddle, [1980] 1 R.C.S. 380; Re Del Core and Ontario College of Pharmacists (1985), 19 D.L.R. (4th) 68 (C.A. Ont.); Demeter v. British Pacific Life Insurance Co. and two other actions (1983), 150 D.L.R. (3d) 249 (H.C. Ont.).
DOCTRINE
de Smith's Judicial Review of Administrative Action, 4e éd., par J. M. Evans, Londres: Stevens & Sons Limi ted, 1980.
Howard, «Res Judicata in the Criminal Law» (1961) 3 Melbourne U.L. Rev. 101.
AVOCATS:
Keith F. Groves pour le requérant. D. Bruce Logan pour l'intimé.
PROCUREURS:
Black & Company, Calgary, pour le requé- rant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Il s'agit d'une demande fondée sur l'article 28 [Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10] qui sollicite l'examen et l'annulation d'une décision de l'intimé en date du 22 septembre 1987 qui a maintenu une décision d'une Commission de révision rendue le 22 juin 1987 dans laquelle était accueilli un appel interjeté d'une décision d'une Commission de licenciement et de rétrogradation prononcée le 31 mars 1987. Cette décision de la Commission de licenciement et de rétrogradation prescrivait que le requérant soit maintenu dans l'emploi qu'il exerçait pour la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et con serve son grade actuel.
Les faits donnant lieu à la présente instance peuvent être exposés brièvement. Le 6 juin 1986, le requérant, un gendarme spécial de la GRC,, a été déclaré coupable de vol pour avoir subtilisé une bouteille d'eau de cologne évaluée à 10,28 $ qui se trouvait à l'étalage d'un magasin de la ville d'Ed- monton. Le juge Friedman de la Cour provinciale de l'Alberta, qui siégeait dans cette affaire, a accordé au requérant une libération incondition- nelle. Le 24 juillet 1986, le requérant s'est vu signifier un Avis de la GRC faisant part de son intention de recommander son licenciement, et il a demandé que sa cause soit entendue par une Com mission de licenciement et de rétrogradation. La Commission de licenciement et de rétrogradation a tenu une audience de deux jours en novembre 1986 et a prononcé sa décision le 31 mars 1987. Cette Commission a conclu, après avoir examiné tous les éléments de preuve qui lui étaient présentés, que le requérant n'avait pas l'intention de commettre un vol et qu'une telle circonstance modifiait [TRA- DUCTION] «le caractère normalement grave de l'infraction reprochée» (Dossier, à la page 609). La Commission a poursuivi en concluant que [TRA- DUCTION] «compte tenu de cette circonstance, la condamnation du G/S Fedoriuk n'affectera pas considérablement l'exécution de ses fonctions»
(Dossier, à la page 609). Cette conclusion a servi de fondement à la décision de la Commission de licenciement et de rétrogradation susmentionnée d'ordonner que le requérant soit maintenu au grade qu'il occupait alors.
Il a été interjeté appel de cette décision devant une Commission de révision. Cette Commission a accueilli l'appel formé à l'encontre de la décision de la Commission de licenciement et de rétrogra- dation, pour recommander que l'appelant soit ren- voyé de la Gendarmerie. Cette décision a elle- même fait l'objet d'un appel du requérant auprès de l'intimé, qui, dans une décision en date du 22 septembre 1987, s'est dit d'accord avec la décision de la Commission de révision et, en conséquence, a rejeté l'appel du requérant et confirmé la recom- mandation de la Commission de révision que le requérant soit licencié.
Il a été dit que la procédure suivie par la GRC en l'espèce était celle prescrite par le Bulletin d'administration AM-53, qui avait été promulgué par le Commissaire à titre d'ordre permanent. L'ordre permanent AM-53 promulgue un code énonçant exhaustivement les procédures sur le licenciement et la rétrogradation applicables à la Gendarmerie. A mon avis, il est clair que ce code a été conçu pour respecter les règles de justice natu- relle et d'équité visant la procédure, et qu'il lie le Commissaire intimé. Je crois également que le Commissaire, lorsqu'il a promulgué l'ordre perma nent AM-53, avait l'intention de recourir aux moyens d'enquête de la Commission de licencie- ment et de rétrogradation de même qu'aux moyens d'examen de la Commission de révision pour s'ac- quitter de la responsabilité qui lui était assignée concernant le licenciement des membres de la Gendarmerie'.
L'intimé, pour recommander le licenciement du requérant, se serait fondé sur le deuxième motif d'inaptitude du Bulletin AM-53. Ce deuxième motif est ainsi libellé:
Le membre est impliqué dans la perpétration d'une infraction à une loi édictée par le Parlement du Canada ou l'Assemblée législative d'une province, infraction dont la gravité et les circonstances affecteraient considérablement la bonne exécu- tion des fonctions du membre en vertu de la Loi.
' J'ai exprimé une opinion semblable dans l'arrêt Lutes c. Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, [19851 2 C.F. 326, aux p. 340 et 341; (1985), 61 N.R. 1 (C.A.), à la p. 15.
Après avoir conclu que les deux premiers élé- ments du deuxième motif d'inaptitude avaient été établis en l'espèce 2 , l'intimé a fixé son attention sur le troisième et dernier élément du deuxième motif, pour savoir [TRADUCTION] «si la gravité et les circonstances de l'infraction en l'espèce sont telles qu'elles affecteraient considérablement la bonne exécution des fonctions du G/S Fedoriuk.» (Dossier, volume 4, à la page 687.)
Traitant de cette question, l'intimé a dit (Dos- sier, volume 4, aux pages 687 et 688):
[TRADUCTION] 9. La Commission de licenciement et de rétro- gradation, n'étant pas compétente pour entendre la preuve relative à une question déjà jugée, n'était pas libre d'inférer une absence d'intention et de considérer une telle circonstance comme atténuante; la commission de l'infraction de vol, dont l'intention est un des éléments constitutifs, avait déjà été établie.
10. La Commission de révision a considéré à l'unanimité que le vol constitue une infraction grave, en particulier lorsque la personne impliquée est un agent de la paix. Après avoir mûre- ment réfléchi, et non sans regretter qu'un officier possédant les capacités et l'expérience du G/S Fedoriuk doive se trouver dans une telle situation, je suis obligé de dire que le vol commis par un membre qui a fait le serment de faire observer la loi ne peut faire autrement qu'affecter considérablement la bonne exécu- tion des fonctions de ce membre. Ayant à l'esprit ces considéra- tions, je fais mienne la déclaration suivante de la Commission de révision:
Tous admettront que la société impose une norme de con- duite plus élevée aux titulaires d'une charge publique, en particulier les responsables de l'exécution des lois de l'État, qu'au public en général. Une honnêteté, une fiabilité et une intégrité absolues sont de la plus haute importance, et un manquement évident comme celui-ci mine clairement la con- fiance qu'une personne exerçant de telles fonctions peut attendre aussi bien du public qu'elle doit servir que de son service ou de ses collègues. Malheureusement, la confiance du public dans la Gendarmerie dans son ensemble est égale- ment affectée par la preuve du manque d'intégrité d'un de ses membres.
Pour la Gendarmerie, la confiance est une nécessité absolue ... Une perte de crédibilité d'un membre de la Gendarmerie auprès du public et des tribunaux aura pour effet de diminuer son efficacité de façon importante et de le rendre inapte à servir au sein de la Gendarmerie.
11. En l'espèce, je ne puis constater l'existence d'aucune cir- constance atténuante justifiant la commission, intentionnelle, d'un vol par un membre actif de cette Gendarmerie. Je rejette donc l'appel du G/S Fedoriuk et je confirme la recommanda- tion suggérant son licenciement.
2 Ces deux éléments sont: (a) la perpétration d'une infraction à une loi édictée par le Parlement du Canada; et (b) la participation du requérant à la commission de cette infraction.
Les motifs précités de l'intimé sont en date du 22 septembre 1987. Avant qu'ils ne soient pronon- cés, le 8 septembre 1987, l'inspecteur E. P. Craig a adressé une note de service à l'intimé, présumé- ment pour répondre à une demande que lui aurait faite l'intimé. Cette note de service est ainsi libel- lée (Dossier, volume 4, aux pages 681 684):
[TRADUCTION] AU COMMISSAIRE DE L'inspecteur Craig
DATE
87-09-08
OBJET G/S J.S. FEDORIUK
Recommandation de licenciement
RÉSUME
Le 86-02-15, le G/S FEDORIUK a été accusé de vol l'étalage) à la suite d'un incident survenu dans un supermarché à Edmon- ton, en Alberta. Il a été déclaré coupable par la Cour provin- ciale le 86-06-06, mais s'est vu accorder une libération incondi- tionnelle. A la suite de sa condamnation, le commandant de la Division «K» a recommandé son licenciement.
Une Commission de licenciement et de rétrogradation a siégé en novembre 1986 et a rendu le 87-03-31 une décision ordon- nant que le G/S FEDORIUK soit gardé à l'emploi de la Gendarmerie.
Le commandant de la Division «K» a interjeté appel de cette décision et la Commission de révision a accueilli son appel, pour rejeter les conclusions de la Commission de licenciement et de rétrogradation et recommander que le G/S FEDORIUK soit licencié. Cette décision est datée du 87-06-22.
Le G/S FEDORIUK interjette maintenant appel de cette recom- mandation devant vous.
LE PROCÈS
Le 86-06-06, le G/S FEDORIUK a comparu devant la Cour provinciale de l'Alberta pour subir un procès relativement à une accusation de vol à l'étalage. L'actus reus, c'est-à-dire le fait de prendre l'article visé (une bouteille d'eau de cologne) a été admis; la mens rea, l'intention coupable, a été inférée par la Cour sur le fondement du témoignage de l'agent responsable de la prévention des pertes du magasin selon lequel FEDORIUK avait placé cet article dans la poche de son parka et l'avait touché de l'extérieur alors qu'il passait à la caisse. L'accusé, pour sa part, a admis avoir placé la bouteille d'eau de cologne dans sa poche, en prétendant qu'il avait seulement l'intention de la séparer du restant de ses achats. Il a dit qu'il avait décidé de ne pas l'acheter et entendait la remettre à la caissière en sortant.
Malgré la comparution de deux témoins de moralité, la décision finale a simplement confronté deux dépositions pour en préférer une. Le juge n'a pas accepté l'explication donnée par l'accusé et a conclu qu'il était coupable aux termes des accusations por- tées. Toutefois, considérant son âge et l'absence de tout dossier antérieur, une libération inconditionnelle a été accordée.
LA COMMISSION DE LICENCIEMENT ET DE RÉTROGRADATION
La Commission, déclarant qu'elle «n'est pas soumise aux mêmes restrictions que les tribunaux en matière de procédure
et en matière de preuve, et n'est pas obligée d'accepter la conclusion prise lors de l'audience antérieure», a permis au mandataire du G/S FEDORIUK de citer l'agent responsable de la prévention des pertes à la barre des témoins pour réfuter la preuve prima facie de culpabilité découlant de la condamnation prononcée par la cour criminelle. La Commission se disait également prête à suivre un arrêt anglais déclarant que «rien de moins qu'une preuve concluante d'innocence ne pouvait suffire à contrecarrer le poids résultant de la condamnation antérieure».
Finalement, la Commission a conclu qu'à la fois FEDORIUK et sa femme étaient des témoins dignes de foi, tout en s'interro- geant sur «la mémoire changeante» de l'agent responsable de la prévention des pertes. Ainsi la Commission a-t-elle conclu que le G/S FEDORIUK n'avait pas eu l'intention de commettre un vol? Toutefois, consciente de la remarque incidente précitée posant la nécessité du caractère «concluant» de la preuve con- tredisant la déclaration de culpabilité, la Commission n'a pas voulu conclure que la décision du juge de la Cour provinciale était erronée. En conséquence, la Commission a accepté qu'une infraction criminelle avait été commise et que le membre concerné était effectivement impliqué dans sa commission.
Tranchant une question subsidiaire ayant trait à une preuve fondée sur un test effectué au moyen d'un polygraphe auquel s'était soumis le membre, la Commission a refusé d'accorder quelque poids que ce soit à une telle preuve.
Examinant le troisième point, celui de savoir si l'infraction dont le membre avait été déclaré coupable affecterait considérable- ment la bonne exécution de ses fonctions, la Commission a conclu que l'absence d'intention de commettre un vol influait sur la gravité normalement associée à l'infraction concernée: «en l'espèce, l'absence d'intention constitue une circonstance atténuante et les actions du G/S FEDORIUK, n'étant pas enta- chées de turpitude, ne remettent pas en question son intégrité».
LA COMMISSION DE RÉVISION
La Commission de révision, après avoir sollicité une opinion des Services juridiques du ministère de la Justice, a conclu que l'officier de la Commission de licenciement et de rétrogradation avait excédé sa compétence en entendant une preuve ayant trait à une question déjà jugée par une cour de juridiction criminelle compétente.
Ayant conclu que les deux premiers motifs avaient été établis, la Commission de révision a jugé à l'unanimité que le vol est une infraction d'une gravité suffisante pour affecter considéra- blement l'exécution des fonctions. Elle a accueilli l'appel inter- jeté par le commandant divisionnaire et elle a recommandé le licenciement.
Le G/S FEDORIUK interjette à présent appel de cette recom- mandation devant vous.
LE DROIT
Je crois que les précédents jurisprudentiels appuient le pro- noncé d'une décision contenant les dispositions suivantes:
I) la Commission de licenciement et de rétrogradation a commis une erreur de droit en entendant une preuve concernant une question déjà jugée par une cour de juridiction criminelle compétente;
2) ne possédant pas la compétence requise pour ce faire, la Commission de licenciement et de rétrogradation ne pouvait
inférer qu'il y avait absence d'intention et, de ce fait, circons- tance atténuante;
3) la commission d'un vol est un cas évident de manque d'intégrité.
RECOMMANDATIONS/OBSERVATIONS
1. Si vous considérez que les éléments un et deux ont été établis en vous fondant sur les conclusions tirées par la cour de compétence criminelle, votre décision devra dépendre unique- ment de la question de savoir si le troisième élément—selon lequel la gravité et les circonstances de l'infraction devraient affecter considérablement la bonne exécution des fonctions du membre—a également été établi.
2. Aucun élément de preuve particulier n'a été présenté par le commandant de la Division «K» pour établir la présence du troisième élément. En fait, il s'appuie sur la preuve prima facie résultant de la déclaration de culpabilité. D'autre part, outre les témoignages relatifs à la moralité dont il est question plus loin, qui constituent peut-être une telle preuve, la défense n'a pré- senté aucun élément particulier au sujet de l'effet de la conclu sion de culpabilité sur la bonne exécution des fonctions du membre concerné. Il vous échoit donc de rendre une décision de principe statuant sur le troisième élément.
3. Vous voudrez peut-être énoncer des observations précises sur la question de savoir si, à l'avenir, des éléments de preuve devraient être présentés concernant l'effet d'une déclaration de culpabilité sur l'exécution des fonctions. Si chaque espèce doit être jugée selon ses circonstances propres, la présentation de tels éléments de preuve peut devenir nécessaire.
4. Des circonstances atténuantes plaident en faveur du G/S FEDORIUK, notamment ses presque vingt années de service, son dossier criminel vierge, le fait que la nature de ses fonctions rende improbable la nécessité de sa comparution devant un tribunal, ainsi que sa libération inconditionnelle qui, en tout état de cause, empêche tout dossier criminel en ce qui le concerne. Quatre témoins de moralité ont déposé que le G/S FEDORIUK est expérimenté, accomplit très bien son travail et n'avait, avant l'incident en l'espèce, rien fait qui ait pu laisser soupçonner un manque d'intégrité.
Qu'il me soit permis de suggérer qu'en vous enquérant de la présente affaire, vous lisiez attentivement les plaidoiries écrites désignées par les onglets 9 et 10, l'appel qui vous est soumis par le G/S FEDORIUK ainsi que la réponse présentée à l'encontre de cet appel par le commandant de la Division «K». Dans les recommandations qu'elle vous a faites, la Commission de révi- sion n'a pas expressément mentionné les arguments qui ont été présentés de la part de notre membre. Je crois que l'équité exige que vous vous en instruisiez parfaitement.
J'ai apprécié les motifs énoncés par l'intimé à l'égard du troisième et dernier élément du fonde- ment 2 (susmentionné) tout en gardant à l'esprit les conseils précités de l'inspecteur Craig à l'in- timé, et j'ai peu de difficulté à conclure que l'in- timé a commis une erreur susceptible de révision en confirmant la recommandation de licenciement du requérant. Deux motifs m'amènent à prendre cette conclusion. Premièrement, l'intimé a déclaré catégoriquement et sans tergiversation au paragra-
phe 10 de ses motifs (Dossier, à la page 687, passage cité plus haut) que [TRADUCTION] «le vol commis par un membre qui a fait le serment de faire observer la loi ne peut faire autrement qu'af- fecter considérablement la bonne exécution des fonctions de ce membre». Cette déclaration ainsi que d'autres déclarations au même effet figurant au paragraphe 10 établissent clairement que le Commissaire intimé croyait que, dans tous les cas, et indépendamment des circonstances particulières de chaque espèce, un manquement d'un membre à la loi, de façon automatique et à lui seul, réalise- rait les conditions relatives au troisième élément du motif d'inaptitude 2. Avec déférence, je crois qu'une telle interprétation ne s'accorde pas avec les termes clairs et sans équivoque utilisés pour décrire le motif 2 du Bulletin d'administration AM-53. À mon avis, considérant les termes utilisés pour édicter le troisième élément du motif 2, le Commissaire a l'obligation d'examiner les circons- tances particulières de la commission de chacune des infractions visées; et il doit, après un tel examen, être convaincu que la gravité de cette infraction fait qu'elle affecte considérablement la bonne exécution des fonctions du membre. Il m'ap- paraît intéressant que la note de service de Craig précitée mette l'accent sur cet aspect de la ques tion et présente au Commissaire des suggestions qu'il a décliné de suivre dans la décision qu'il a rendue. L'inspecteur Craig, après avoir noté l'omission de la Gendarmerie ou du membre de présenter quelque élément de preuve au sujet du troisième élément, a conclu à l'égard de ce dernier:
11 vous échoit donc de rendre une décision de principe statuant sur le troisième élément. (Dossier, à la page 684.)
L'inspecteur Craig poursuivait en ces termes:
Vous voudrez peut-être énoncer des observations précises sur la question de savoir si, à l'avenir, des éléments de preuve devraient être présentés concernant l'effet d'une déclaration de culpabilité sur l'exécution des fonctions. Si chaque espèce doit "être jugée selon ses circonstances propres, la présentation de tels éléments de preuve peut devenir nécessaire. (Dossier, à la page 684.)
Il est malheureux que le Commissaire n'ait pas suivi ce conseil. Comme il est observé dans l'ou- vrage de Smith's Judicial Review of Administra tive Action: [TRADUCTION] «Un tribunal auquel est conféré un pouvoir discrétionnaire ne doit pas, par l'adoption d'une politique rigide, s'enlever la possibilité d'exercer son pouvoir discrétionnaire
dans des cas particuliers'.» Le Commissaire n'ayant pas pris en considération les circonstances de fait de l'espèce pour décider si le troisième élément du deuxième motif avait été établi dans la présente affaire, je crois qu'il a commis une erreur susceptible de révision qui vicie la décision sur laquelle porte le présent recours.
Le deuxième motif pour lequel je conclurais qu'il y a erreur révisable en l'espèce a trait à la déclaration du Commissaire selon laquelle (Dos- sier, à la page 688):
En l'espèce, je ne puis constater l'existence d'aucune circons- tance atténuante justifiant la commission, intentionnelle, d'un vol par un membre actif de cette Gendarmerie.
Encore une fois, la note de service de Craig et certains des conseils donnés par l'inspecteur Craig au Commissaire nous apparaissent révélateurs. A la page 4 de sa note de service au Commissaire, l'inspecteur a écrit (Dossier, à la page 684):
4. Des circonstances atténuantes plaident en faveur du G/S FEDORIUK, notamment ses presque vingt années de service, son dossier criminel vierge, le fait que la nature de ses fonctions rende improbable la nécessité de sa comparution devant un tribunal, ainsi que sa libération inconditionnelle qui, en tout état de cause, empêche tout dossier criminel en ce qui le concerne. Quatre témoins de moralité ont déposé que le G/S FEDORIUK est expérimenté, accomplit très bien son travail et n'avait, avant l'incident en l'espèce, rien fait qui ait pu laisser soupçonner un manque d'intégrité.
Il a poursuivi en suggérant au Commissaire:
... qu'en vous enquérant de la présente affaire, vous lisiez attentivement les plaidoiries écrites ...
à la fois du requérant et du commandant de la Division «K». L'inspecteur Craig a ajouté (Dossier, A la page 684):
Dans les recommandations qu'elle vous a faites, la Commission de révision n'a pas expressément mentionné les arguments qui ont été présentés de la part de notre membre. Je crois que l'équité exige que vous vous en instruisiez parfaitement.
Le dossier ne révèle pas si, en rendant sa déci- sion, le Commissaire a effectivement suivi le con- seil de l'inspecteur Craig et examiné les arguments présentés par le requérant devant la Commission de révision. Les prétentions qu'il a alors fait valoir étaient détaillées et assez longues (Dossier, de la page 643 à la page 652 inclusivement). Les motifs
3 de Smith's Judicial Review of Administrative Action, 4e éd., par J. M. Evans, Londres: Stevens & Sons Limited, 1980, p.311.
prononcés par le Commissaire ne mentionnent aucunement ces prétentions et arguments. Le seul fait que celui-ci ait omis de traiter de ces préten- tions dans ses motifs n'est pas en soi un facteur décisif permettant de conclure qu'il n'a pas tenu compte de toutes les circonstances de la présente espèce. Toutefois, à mon avis, le fait que le Com- missaire ait choisi de ne pas mentionner les préten- tions très sérieuses et détaillées mises de l'avant par le requérant peut tendre à corroborer qu'il n'a pas pris en considération les circonstances particu- lières de la présente affaire parce qu'il avait déjà décidé, ainsi que nous l'avons dit plus haut, que les circonstances de chaque espèce particulière n'étaient pas pertinentes à la décision qu'il était appelé à rendre.
En conséquence, pour les motifs qui précèdent, je conclus que la décision prise par le Commissaire intimé en l'espèce ne peut être maintenue. Dans les présents motifs, j'ai omis de traiter de l'argumen- tation assez longue qu'a présentée l'avocat de l'in- timé au sujet de la possibilité que s'applique la doctrine de l'issue estoppel (fin de non-recevoir). Comme je conçois la présente affaire, il n'est pas nécessaire que je statue sur l'applicabilité de cette doctrine en l'espèce puisque l'erreur révisable com- mise par le Commissaire avait trait au troisième élément du motif 2. La question de l'issue estoppel est entièrement axée sur la question de savoir si une infraction a été commise par le requérant. Comme, dans la décision que je propose à l'égard de la présente demande, je tiens pour acquis que le Commissaire a eu raison de décider qu'une infraction avait été commise par le membre en cause, la question de l'issue estoppel n'a pas à être tranchée en l'espèce. Pour les raisons que j'ai énoncées dans les présents motifs, le problème que j'éprouve ne concerne pas le premier ou le deuxième, mais le troisième élément du motif d'inaptitude 2.
J'accueillerais donc la demande fondée sur l'ar- ticle 28, j'annulerais la décision rendue par le Commissaire en l'espèce, et je renverrais la ques tion devant ce dernier pour qu'il en décide à nouveau sur un fondement qui ne soit pas incom patible avec les présents motifs de jugement.
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Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: Je souscris au dispositif proposé par le juge Heald à l'égard de la présente demande et je fais miens les motifs qu'il a énoncés. Si j'énonce des motifs distincts de ceux-ci, c'est à seule fin d'expliquer pourquoi l'approche adoptée par M. le juge Marceau ne m'apparaît pas acceptable.
À mon avis, aucune question mettant en jeu l'issue estoppel (fin de non-recevoir) n'est soulevée en l'espèce. Il se pose toutefois une véritable ques tion d'abus de procédures. Le requérant a été dûment déclaré coupable de vol à l'étalage par la Cour provinciale. L'intention était un élément essentiel de cette infraction. M. le juge Marceau ne voit aucune raison pour laquelle la conclusion qu'il y avait intention devrait lier les tribunaux instruisant les instances disciplinaires engagées à la suite de cette déclaration de culpabilité. Avec déférence, je ne suis pas d'accord avec cette façon de voir. Je ne puis, à cet égard, trouver meilleure expression de ma pensée que les propos tenus par lord Diplock dans l'arrêt Hunter v Chief Constable of West Midlands, [1981] 3 All ER 727 (H.L.), à la page 734:
[TRADUCTION] ... une décision tranchant une question parti- culière à l'encontre des prétentions d'un défendeur dans une affaire criminelle ... est prise en appliquant le critère de preuve le plus élevé, celui de l'absence de tout doute raisonnable, et élimine toute possibilité qu'une décision prise dans le cadre d'une instance civile plutôt que criminelle au sujet de la même question puisse ne pas statuer à l'encontre des prétentions de cette personne.
Si nous acceptons, comme nous le devrions, la proposition que l'arrêt Lutes c. Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, [1985] 2 C.F. 326; (1985), 61 N.R. 1 (C.A.), a correctement décidé qu'un verdict d'acquittement, c'est-à-dire une conclusion que tous les éléments de l'infraction criminelle n'ont pas été démontrés au-delà de tout doute raisonnable, était décisif relativement à une instance disciplinaire subséquente dans laquelle le critère de preuve applicable était seulement celui de la prépondérance des probabilités, il me semble qu'à plus forte raison, nous devons accepter qu'une déclaration de culpabilité doit être également décisive.
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Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU: Je suis entièrement d'ac- cord avec M. le juge Heald pour dire que la décision de l'intimé à l'encontre de laquelle est présentée la demande fondée sur l'article 28 en l'espèce ne peut être maintenue, et je n'aurais rien ajouté si l'approche adoptée par mon collègue dans ses motifs de jugement avait emporté mon adhé- sion. J'aborde cependant le litige en l'espèce autre- ment qu'il ne le fait, et mon objection à la validité de la décision contestée est, par certains aspects, plus fondamentale que celle de mon collègue, de sorte que j'éprouve le besoin d'exprimer certaines vues personnelles.
La décision de l'intimé d'accepter la recomman- dation de la Commission de révision et de rejeter celle de la Commission de licenciement et de rétro- gradation a été essentiellement fondée, ainsi que l'expliquent les motifs de mon collègue, sur la conclusion que la Commission de licenciement et de rétrogradation n'était pas légalement habilitée à entendre une preuve portant sur l'implication du requérant dans la commission de l'infraction dont il avait été déclaré coupable par la Cour provin- ciale de l'Alberta. L'acceptation de cette conclu sion ne réglait pas entièrement le litige: un autre aspect de celui-ci restait à trancher qui, ainsi que l'a conclu le juge Heald, semble avoir été négligé par l'intimé. L'examen de cet autre aspect ne devenait cependant nécessaire qu'une fois rejetées les conclusions de fait tirées en première instance, en particulier la conclusion que l'intention n'était pas réellement présente, un rejet pouvant seule- ment s'appuyer, à ce stade, sur le motif que la preuve ayant conduit à ces conclusions était totale- ment inadmissible. L'opinion voulant que la Com mission de licenciement et de rétrogradation fût empêchée d'examiner à nouveau les faits de l'es- pèce était-elle juridiquement fondée? A mon avis, elle ne l'était pas. Je tenterai d'expliquer mon opinion brièvement, même si certains des points en jeu présentent quelque difficulté.
1. Ma première assertion sera que je ne vois aucun motif pour lequel la conclusion préalable tirée par la Cour provinciale à l'égard de l'inten- tion du requérant aurait pu lier irrévocablement la commission appelée à faire la recommandation envisagée par le Bulletin d'administration AM-53.
En effet, seules les doctrines de l'issue estoppel (fin de non-recevoir) ou de 1'[TRADUCTIoN] «abus de procédures» auraient pu entraîner un tel résul- tat, et, à mon avis, ni l'une ni l'autre ne s'appli- quait dans cette affaire.
En ce qui concerne la doctrine de l'issue estop- pel, je ferai simplement référence à la décision récente prononcée par cette Cour dans l'affaire Van Rooy c. M.R.N., [1989] 1 C.F. 489 dans laquelle M. le juge Urie, prononçant les motifs de la Cour, après un examen exhaustif de la jurispru dence, a réaffirmé qu'une objection fondée sur la chose jugée ou l'issue estoppel ne rendra un recours irrecevable que si la question en jeu est la même qui a été tranchée entre les mêmes parties dans une décision judiciaire préalable à caractère définitif. Il est évident que les parties s'opposant devant le tribunal disciplinaire n'étaient pas les mêmes que celles du litige débattu devant la Cour provinciale: la Commission de licenciement et de rétrogradation siège sur l'ordre et pour le compte du Commissaire, qui n'agit pas pour le compte de la Reine mais conformément aux devoirs et pou- voirs qui lui ont été personnellement conférés par le Parlement. La question soumise à la Commis sion de licenciement et de rétrogradation n'était pas non plus la même que celle devant être tran- chée par la Cour provinciale: même si l'élément de l'[TRADucTIoN] «intention de commettre un vol» était considéré de façon isolée, cette question devait être tranchée par la Commission de licen- ciement et de rétrogradation au regard du mandat de cette dernière de s'assurer que le requérant était «impliqué dans la perprétation d'une infraction ... dont la gravité et les circonstances affecteraient considérablement la bonne exécution des fonctions du membre en vertu de la Loi».
Avant tout, l'on ne devrait pas oublier que la présente espèce n'en est pas une dans laquelle l'instruction d'une instance criminelle aurait lieu après le prononcé d'un verdict d'acquittement. Dans un tel cas, l'application de la doctrine de l'issue estoppel, dans les développements qu'elle a connus au-delà des strictes limites de la chose jugée, est plus facilement acceptée, compte tenu des liens qu'entretient cette doctrine avec l'ancien plaidoyer d'autrefois acquit et compte tenu de la garantie contre la double incrimination (voir Howard, «Res Judicata in the Criminal Law»
(1961), 3 M.U.L.R. 101, la page 108 et suivan- tes; voir également les motifs énoncés par le juge Dickson (c'était alors son titre) dans l'arrêt R. c. Riddle, [1980] 1 R.C.S. 380). La présente affaire en est une dans laquelle, après le prononcé d'une déclaration de culpabilité et par un tribunal com- pétent en matière criminelle, de nouvelles procédu- res, ressortissant clairement à la catégorie des procédures à caractère civil (les questions soule- vées ayant trait au statut professionnel et à l'em- ploi), sont engagées: dans de telles circonstances, comme l'a dit récemment la Cour d'appel de l'On- tario dans l'arrêt Re Del Core and Ontario College of Pharmacists (1985), 19 D.L.R. (4th) 68, c'est le danger d'un abus de procédures qui devrait devenir la préoccupation première.
En ce qui a trait à la doctrine de l'«abus de procédures», qu'il nous suffise de souligner que la présente espèce ne concernait aucunement la réou- verture d'une question à seule fin de la débattre à nouveau, comme c'était le cas dans l'affaire Deme- ter v. British Pacific Life Insurance Co. and two other actions (1983), 150 D.L.R. (3d) 249 (H.C. Ont.). Personne non plus ne contestait indirecte- ment la validité, et encore moins l'existence, de la première déclaration de culpabilité, qui devait être, et fut effectivement, acceptée pour ce qu'elle était. Le requérant ne cherchait pas à échapper aux conséquences de cette déclaration de culpabilité, et, quoi qu'il en fût, il s'était vu accorder une libération inconditionnelle. Dans l'instance ins- truite devant la Commission de licenciement et de rétrogradation, toutefois, la carrière et le moyen de subsistance du requérant étaient en jeu. L'intérêt qu'il avait à tenter de contester, d'excuser ou de mitiger certaines des conclusions du juge de la Cour provinciale était on ne peut plus légitime. Je ne vois pas comment l'on pourrait parler d'un abus de procédures, en particulier si l'on prend soin de garder à l'esprit que l'«intention» ne constitue pas un fait matériel pouvant faire l'objet d'une percep tion directe mais purement un état d'esprit qui ne peut qu'être inféré des circonstances externes, une inférence dans laquelle une part importante de subjectivité entre inévitablement en jeu.
2. Ma seconde assertion est que, même dans l'hypothèse les conclusions tirées par le juge de la Cour provinciale au sujet de l'implication du requérant auraient lié la Commission de licencie-
ment et de rétrogradation, cette dernière se serait néanmoins trouvée assujettie à une obligation d'examiner les circonstances de l'affaire et d'ap- précier pour ses propres fins leur signification à l'égard de la culpabilité et de la moralité de la personne visée. La Commission de licenciement et de rétrogradation n'était évidemment pas appelée à vérifier la validité de la déclaration de culpabi- lité: il lui incombait, aux termes de l'ordre perma nent, d'exercer son propre jugement pour faire la recommandation qu'elle-même aurait considérée appropriée.
Je ne fais pas abstraction du jugement rendu par cette Cour dans l'affaire Lutes c. Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, [1985] 2 C.F. 326; (1985), 61 N.R. 1 (C.A.), qui a décidé qu'un verdict d'acquittement prononcé par une cour de compétence criminelle en faveur d'un officier de la GRC accusé d'une infraction criminelle interdisait au Commissaire de réexaminer les faits de l'affaire de façon à vérifier lui-même si, aux fins de l'ordre permanent AM -53, cet officier avait été impliqué dans l'infraction visée. Il me semble toutefois qu'une déclaration de culpabilité ne ferait pas intervenir une telle préclusion puisque les principes et l'intérêt public en jeu n'y seraient pas identi- ques. Selon mon interprétation des motifs pronon- cés dans l'arrêt Lutes, la conclusion de la majorité n'y était pas fondée directement sur la doctrine de l'issue estoppel, mais procédait essentiellement de la proposition qu'une conclusion selon laquelle une personne serait impliquée dans la commission d'une infraction à une loi édictée par le Parlement pourrait seulement être fondée sur une preuve jugée convaincante par une cour compétente en matière criminelle. Il serait, évidemment, inaccep- table que la panoplie des garanties constitutionnel- les offertes à une personne accusée d'une infrac tion criminelle devant une cour de compétence criminelle soit contournée par l'introduction de procédures contre cette personne devant un autre tribunal. Cependant, lorsque les circonstances sont inversées, un tel raisonnement ne tient plus. L'inté- rêt du particulier, que l'on vise à préserver, com- mande une solution différente et exige qu'au moins une certaine marge de discrétion soit laissée au tribunal.
Je suis donc d'avis que le Commissaire s'est mal enquis du droit lorsque, en confirmant la décision
de la Commission de révision, il a rejeté dès le départ les conclusions de fait de la Commission de licenciement et de rétrogradation. L'objection que je soulève à l'égard de la validité de la décision attaquée est donc, comme je l'ai dit, encore plus fondamentale que celle exprimée par mon collègue le juge Heald et, en renvoyant la présente affaire devant le Commissaire pour qu'il l'examine à nou- veau, je demanderais que l'on en tienne compte.
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