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A-49-81
La Reine (appelante) (défenderesse)
c.
Antoine Guertin Ltée (intimée) (demanderesse)
RÉPERTORIE: ANTOINE GUERTIN LIÉE c. CANADA
Cour d'appel, juges Pratte, Marceau et Lacom- be—Montréal, 14 septembre; Ottawa, 5 novembre 1987.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Déductions Dépenses engagées à l'occasion d'un emprunt utilisé en vue de tirer un revenu d'une entreprise Police d'assurance vie- entière donnée en garantie de l'emprunt La partie des primes de police d'assurance vie-entière équivalant aux primes d'une police d'assurance-vie temporaire ne constitue pas une déduction permise.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Déductions Les bonis payés par une société à ses employés et immédiate- ment transférés à une fondation constituent-ils une donation de la part des employés ou une donation déguisée faite par la société à la fondation?
En 1969, l'intimée était tenue de contracter des polices d'assurance sur la vie de deux de ses administrateurs en garan- tie d'un emprunt de 300 000 $ consenti par la Banque d'Expan- sion Industrielle. Deux des polices étaient des polices vie-entière avec valeur de rachat et option de dividende, et une d'entre elles était une police temporaire. Le juge de première instance a statué que, pour les années 1970, 1971 et 1972, l'intimée était en droit de déduire, à titre de dépenses relatives aux polices vie-entière, une somme équivalant aux primes annuelles d'une assurance-vie temporaire.
En 1972, la société a également déduit la somme de 39 155 $ qu'elle aurait payée à ses employés à titre de bonis annuels mais qui a immédiatement été transférée, au moyen de l'endosse- ment par les employés de leurs chèques de bonis, à une fonda- tion de charité créée par le président de l'intimée. Le juge de première instance a conclu qu'il n'y avait aucune simulation, et que cette déduction ne réduirait pas indûment ou de façon factice le revenu de la société contrairement au paragraphe 245(1) de la Loi.
Arrêt: L'appel devrait être accueilli en ce qui concerne la déduction d'une partie des primes d'assurance, mais il devrait être rejeté pour ce qui est du paiement de bonis aux employés.
Le juge Marceau: La décision rendue par la Cour de l'Échi- quier en 1964 dans l'affaire Equitable Acceptance Corp. devrait être appliquée. Dans celle-ci, la déduction des primes de polices d'assurance vie-entière avec valeur de rachat contrac- tées sur la vie du président d'une société n'a pas été autorisée. Il semblerait que le raisonnement adopté dans cette décision, selon lequel il y avait eu acquisition d'un actif immobilisé, et qu'il ne s'agissait pas d'une dépense engagée à l'occasion d'un emprunt au sens de la Loi, devrait s'appliquer tant à une assurance temporaire qu'à une assurance vie-entière. Cette décision devrait être entendue dans le sens que pour pouvoir parler d'une dépense faite à l'occasion de l'emprunt, il faut qu'il s'agisse d'un déboursé qui n'a pas de contre-partie autre que
l'emprunt; il doit s'agir d'un déboursé d'où résulte un appau- vrissement dans le patrimoine de l'emprunteur. Il n'y a pas appauvrissement dans le patrimoine lorsqu'on obtient une valeur équivalente, sous forme d'assurance, par le paiement d'une prime. Toutefois, même si le raisonnement adopté dans l'affaire Equitable Acceptance Corp. ne s'applique pas à l'assu- rance temporaire, la déduction en l'espèce ne devrait pas être accordée puisque la société a contracté non pas une assurance temporaire mais une assurance permanente. Il est de règle bien établie que, en matière fiscale, ce qui doit être considéré c'est ce qui a été fait et non ce qui aurait pu être fait.
C'est en se fondant sur le témoignage rendu par le président de l'intimée que le juge de première instance a conclu que la somme de 39 155 $ avait été bel et bien payée aux employés sous forme de bonis, bien qu'ils eussent convenu avec le prési- dent de l'époque que l'argent serait versé à sa fondation. Selon le juge, il n'y avait aucune simulation. Certes, on aurait pu apprécier ce témoignage de façon plus critique, mais on ne saurait dire que le juge a commis une erreur manifeste en y ajoutant foi. On ne peut dire non plus qu'il s'est trompé en décidant comme il l'a fait. Dès lors que l'on admet que le montant des bonis était fixé de la façon décrite par le président de l'intimée, on ne peut conclure qu'une partie de ces bonis représentait une donation déguisée faite par l'intimée à la fondation.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 18(1)b), 20(1)e)(ii), 110(1)a), 245(1).
Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, chap. 148, art. 11(1)cb)(ii) (ajouté par S.C. 1955, chap. 54, art. 1(1)), 12(1)b).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Equitable Acceptance Corp. Ltd. v. Minister of National Revenue, [1964] R.C.É. 859; 64 DTC 5045; Bronfman Trust c. La Reine, [1987] 1 R.C.S. 32.
DECISION CITÉE:
Côté-Reco Inc. v. Minister of National Revenue (1979), 80 DTC 1012 (C.R.I.).
AVOCATS:
Roger Roy pour l'appelante (défenderesse). Claude Desaulniers pour l'intimée (demande- resse).
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour l'appelante (défenderesse).
Stikeman, Elliott, Tamaki, Mercier & Robb,
Montréal, pour l'intimée (demanderesse).
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE MARCEAU: Cet appel, porté au nom de Sa Majesté, s'en prend à un jugement de première instance [[1981] 2 C.F. 532] qui a annulé les cotisations émises par le ministre du Revenu natio nal à l'endroit de la compagnie-intimée pour les années d'imposition 1970, 1971 et 1972. Il soulève deux questions qui sont toutes deux de même nature, car il s'agit de savoir, dans chaque cas, si une certaine dépense inscrite au bilan de la compa- gnie était déductible pour le calcul de son revenu imposable, mais qui n'ont autrement rien de commun et ne couvrent d'ailleurs pas les mêmes années. L'appel a ainsi deux volets qu'on ne peut traiter qu'indépendamment l'un de l'autre.
I
Dans son premier volet, l'appel porte sur les trois années et la dépense dont la déductibilité est en cause avait pour objet le paiement de primes d'assurance-vie. Les faits sont simples. En 1969, la compagnie-intimée—une compagnie familiale qué- bécoise qui s'occupe de fabrication de moulées et d'élevage de dindons, à St-Pie, un village près de Montréal—emprunta une somme de 300 000 $ de la Banque d'Expansion Industrielle pour l'acquisi- tion d'un terrain et l'érection de bâtiments devant servir à étendre ses opérations. Parmi les multiples garanties exigées par la Banque, se trouvait la suivante:
Le transport d'un montant d'assurances sur la vie de Messieurs Jacques Guertin ($200,000.00) et Emile Cordeau ($100,000.00); ces assurances étant soit détenues par la compa- gnie et payables à cette dernière ou détenues par Messieurs Guertin et Cordeau et payables à leur succession ou à la compagnie.
Pour satisfaire à l'exigence, la compagnie se pro- cura deux polices d'assurance de 100 000 $ sur la vie de Jacques Guertin, qui était son président, et elle les transporta à la Banque. Il s'agissait de polices vie-entière avec valeur de rachat et option de dividende et les primes annuelles s'élevaient à la somme totale de 4 022 $, soit 2 011 $ pour cha- cune. Se prévalant de cette opération, la compa- gnie, dans le calcul de son revenu imposable pour chacune des trois années suivantes, inscrivit parmi ses dépenses un montant de 1 090 $ représentant ce qu'elle estimait être les primes annuelles qu'elle aurait payées si au lieu de polices vie-entière, elle
n'avait obtenu que des polices temporaires, comme elle l'avait d'ailleurs fait pour satisfaire à la demande de la Banque relativement au dénommé Cordeau. Le ministre contesta cette façon de pro- céder mais le juge de première instance lui donna tort, et le sous-procureur général, au nom de Sa Majesté, soutient que le savant juge s'est trompé.
L'ancienne Loi de l'Impôt sur le revenu et la nouvelle qui l'a remplacée en 1972 sont toutes deux mises en cause étant données les années impliquées, mais les dispositions directement appli- cables sont au même effet dans l'une comme dans l'autre. Pour ce qui est de l'ancienne Loi, S.R.C. 1952, chap. 148, il s'agit du sous-alinéa 11(1)cb)(ii) (ajouté par S.C. 1955, chap. 54, art. 1(1)) et de l'alinéa 12(1)b):
11. (1) Par dérogation aux alinéas a), b) et h) du paragra- phe (1) de l'article 12, les montants suivants peuvent être déduits dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition:
cb) une dépense engagée dans l'année
(ii) à l'occasion d'emprunt d'argent utilisé par le contribua- ble pour gagner un revenu provenant d'une entreprise ou de biens (autre que de l'argent employé par le contribua- ble en vue d'acquérir des biens dont le revenu serait exempté),
12. (1) Dans le calcul du revenu, il n'est opéré aucune déduction à l'égard
b) d'une somme déboursée, d'une perte ou d'un remplace- ment de capital, d'un paiement à compte de capital ou d'une allocation à l'égard de dépréciation, désuétude ou d'épuise- ment, sauf ce qui est expressément permis par la présente Partie,
Dans la Loi actuelle, S.C. 1970-71-72, chap. 63, ce sont l'alinéa 18(1)b) et le sous-alinéa 20(1)e) (ii):
18. (1) Dans le calcul du revenu du contribuable, tiré d'une entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles:
b) une somme déboursée, une perte ou un remplacement de capital, un paiement à titre de capital ou une provision pour amortissement, désuétude ou épuisement, sauf ce qui est expressément permis par la présente Partie;
20. (1) Nonobstant les dispositions des alinéas 18(1)a), b) et h), lors du calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition, peuvent être déduites celles des sommes suivantes qui se rapportent
entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qui peut raisonnablement être considérée comme s'y rapportant:
e) une dépense engagée dans l'année,
(ii) à l'occasion d'un emprunt contracté par le contribua- ble et utilisé en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien (autre que l'argent utilisé par le contribuable pour acquérir un bien dont le revenu serait exonéré d'impôt),
Le sous-procureur général soutient évidemment que la déduction spéciale et dérogatoire permise par les sous-alinéas 11(1)cb)(ii) de l'ancienne Loi et 20(1)e)(ii) de la nouvelle n'était pas applicable parce que le coût d'acquisition des deux polices d'assurance-vie avec valeur de rachat ne consti- tuait pas «une dépense engagée à l'occasion d'un emprunt» (an expense incurred in the course of borrowing money), et il s'appuie, à cet égard, sur l'autorité de la décision rendue par la Cour de l'Échiquier dans Equitable Acceptance Corp. Ltd. v. Minister of National Revenue, [1964] R.C.É. 859; 64 DTC 5045. L'intimée conteste que la décision du juge Cattanach dans cette affaire appuie la prétention du sous-procureur général. Le juge de première instance, d'après elle, a très bien explicité la portée de ce jugement lorsqu'il a écrit la page 534 C.F.]: «le juge Cattanach a décidé que des primes de police d'assurance sur la vie du président de la demanderesse n'étaient pas déduc- tibles précisément parce qu'il s'agissait d'assuran- ces vie-entière ne se limitant pas à la durée de l'emprunt mais à toute la vie de l'assuré, avec valeur de rachat». C'est d'ailleurs précisément pour tenir compte de la décision Equitable Accep tance Corp., explique l'intimée, qu'elle s'est bien gardée de réclamer la prime totale qu'elle avait payée; mais il n'était que normal qu'elle déduise ce qu'elle aurait déboursé si elle n'avait obtenu qu'une police temporaire pour la durée de l'em- prunt. Ce à quoi le sous-procureur général réplique que s'il est vrai que dans l'hypothèse l'assurance contractée n'aurait été que temporaire la déduc- tion de la prime aurait pu être approuvée (comme elle l'avait été dans le cas de la police obtenue sur la vie du dénommé Cordeau), il reste que ce n'est pas ce qui a été fait.
Je dois dire d'abord que j'ai peine à comprendre qu'on puisse limiter la portée de la décision rendue
dans Equitable Acceptance Corp. au cas l'assu- rance-vie contractée et transportée serait une assu rance vie-entière. Le raisonnement du juge Catta- nach se trouve à mon avis entièrement contenu dans ce paragraphe de ses motifs [aux pages 865 R.C.É.; 5048 DTC]:
[TRADUCTION] J'estime que le coût de souscription à deux polices d'assurance-vie et du maintien en vigueur de celles-ci par le versement de primes n'est pas une dépense engagée dans l'année à l'occasion d'un emprunt contracté par le contribuable et utilisé en vue de tirer un revenu d'une entreprise. Certes, il est vrai que la souscription à ces deux polices d'assurance-vie et leur transport à Triarch constituaient une condition imposée par celle-ci avant de consentir le prêt à l'appelant; mais, dans les faits, l'appelante a acquis un actif qui pouvait être utilisé et qui a effectivement été utilisé comme un bien donné en garantie nécessaire pour emprunter de l'argent aux fins de son entre- prise. En bref, en souscrivant à ces deux polices d'assurance, l'appelante n'a fait que renforcer sa qualité d'emprunteur digne de confiance au regard du risque qu'il représente.
Ce raisonnement, il me semble, s'applique tout autant au cas d'une assurance temporaire qu'à celui d'une assurance vie-entière. Le droit de l'as- suré en vertu d'un contrat d'assurance-vie tempo- raire constitue un «asset» (actif), au sens le mot est utilisé par le juge Cattanach, soit une valeur utilisable et pouvant procurer un avantage, ou encore un élément d'actif, au même titre que le droit conféré à un assuré par un contrat d'assu- rance-vie «permanente», même si cet asset (actif) est de valeur moindre et que sa transformation en argent ne soit, bien sûr, qu'aléatoire. On a souvent présenté la décision du juge Cattanach comme fondée sur une simple interprétation de l'expres- sion «à l'occasion de» (in the course of) telle qu'elle apparaît dans le texte de la disposition applicable, le juge ayant pensé que la dépense était antérieure à l'emprunt et non «in the course of borrowing» l'occasion d'un emprunt) (Cf. Côté-Reco Inc. v. Minister of National Revenue (1979), 80 DTC 1012 (C.R.I.)). Le raisonnement me semble au contraire impliquer beaucoup plus que cela. Ce que je comprends du raisonnement c'est que pour pouvoir parler strictement et réellement d'une dépense faite à l'occasion de l'emprunt il faut qu'il s'agisse d'un déboursé qui n'a pas de contre-partie en lui-même autre que l'emprunt, ou, dit autre- ment, d'un déboursé d'où résulte un appauvrisse- ment dans le patrimoine de l'emprunteur. Le droit patrimonial que représente une assurance tempo- raire est la transformation à valeur équivalente de la prime déboursée et aucun appauvrissement ne saurait en résulter dans le patrimoine de l'assuré.
Il est vrai que le juge Cattanach, dans ses motifs, poursuit ses remarques en écrivant, dans un paragraphe subséquent à celui que je viens de citer, ce qui suit:
[TRADUCTION] Si l'assuré Emil E. Schlesinger était décédé alors que les polices étaient encore en vigueur et avant que le remboursement de l'emprunt ne soit effectué, l'appelante serait alors en mesure de payer intégralement l'emprunt avec le produit des polices d'assurance, et le montant de l'emprunt reçu par l'appelante formerait une partie de son actif sans aucune inscription comptable correspondante au débit. Encore une fois, si le produit excédait le montant requis pour rembourser l'em- prunt, alors tout excédent serait revenu à l'actif de l'appelante. De plus, lorsque l'emprunt a été remboursé, ainsi qu'il l'a été, rien n'empêchait l'appelante d'en obtenir un autre de la même source ou d'une source différente en vertu des deux polices d'assurance-vie, le cas échéant.
Mais, à mon sens, le juge n'ajoutait rien de plus au raisonnement et ne faisait que mettre en lumière les différents éléments de l'«asset» (actif) que constituaient les polices dont il s'agissait dans le cas qui était devant lui. Je sais que ce paragra- phe (surtout, je suppose, à cause de ce qu'il exprime dans la dernière phrase) semble avoir conduit à une interprétation restrictive de sa déci- sion, interprétation que le ministère a même fait sienne dans son bulletin d'interprétation IT-309R. du 10 janvier 1979. Je me permets néanmoins, avec respect, de contester la légitimité de cette réaction. À mon sens le raisonnement à la base de la décision Equitable Acceptance Corp. s'applique autant à l'assurance temporaire pour la durée de l'emprunt qu'à une assurance devant se maintenir au delà et c'est un raisonnement que je ne saurais réfuter.
Je me suis attardé sur cette question de savoir si une assurance temporaire pourrait mieux rencon- trer qu'une assurance permanente les conditions d'application des sous-alinéas 11(1)cb)(ii) et 20(1)e)(ii) de la Loi parce qu'elle était au centre des préoccupations des parties et à la base de leurs prétentions. Je pense néanmoins que, strictement parlant, dans les circonstances de l'espèce, il ne serait pas nécessaire pour la Cour de prendre parti de façon définitive à son sujet. Car même en supposant qu'une différence de traitement entre assurance permanente et temporaire se justifie, il resterait la réplique du sous-procureur général à l'effet que, de toute façon, ici ce n'est pas une assurance temporaire mais permanente que la compagnie a contractée, et cette réplique me paraît décisive. Encore une fois tout récemment, la
Cour suprême, dans l'arrêt Bronfman Trust c. La Reine, [1987] 1 R.C.S. 32, rappelait le principe selon lequel, en matière fiscale, ce qui doit être considéré c'est ce qui a été fait et non ce qui aurait pu être fait. Voici à ce sujet un passage des notes du juge en chef écrites au nom de la Cour, aux pages 54 et 55:
Avant de terminer, je veux aborder un dernier argument invoqué par l'avocat de la fiducie. On a soutenu et Sa Majesté en a généreusement convenu que la fiducie aurait obtenu une déduction au titre d'intérêts si elle avait vendu des biens en vue de payer les prélèvements sur le capital et avait ensuite emprunté pour remplacer ces biens. Par conséquent, selon ce point de vue, on ne devrait pas refuser à la fiducie une déduction au titre d'intérêts simplement parce qu'elle a obtenu le même résultat sans les formalités d'une vente et d'un rachat de biens. Il suffit pour répondre à cet argument d'invoquer le principe selon lequel les tribunaux doivent tenir compte de ce que le contribuable a réellement fait et non pas de ce qu'il aurait pu faire: Matheson c. La Reine, 74 D.T.C. 6176 (C.F.D.P.I.), le juge Mahoney, à la p. 6179.
L'appel, quant à son premier volet, me semble définitivement bien fondé.
II
Dans son deuxième volet, l'appel ne porte que sur une année d'imposition, l'année 1972. Bien qu'il s'agisse encore là, comme dit ci-haut, d'un cas de dépense refusée, la question soulevée est cette fois beaucoup plus difficile à définir, imbriquée qu'elle est dans une série de faits quelque peu complexes. Vu la conclusion que j'entends retenir cependant, il ne me sera pas nécessaire d'entrer dans les détails. Voici en gros ce dont il s'agit.
La compagnie-intimée fut mise sur pied par Antoine Guertin, le père de Jacques qui en était le président en 1972. Antoine Guertin avait aussi créé une fondation dont les fonds devaient servir à des fins religieuses. Cette fondation recevait des dons principalement de la compagnie-intimée et de ses employés; elle prêtait les sommes reçues à la compagnie-intimée moyennant paiement d'intérêts et ces intérêts elle les distribuait aux oeuvres missionnaires.
Dans ses déclarations pour fins de calcul de son impôt sur le revenu pour l'année 1972, la compa- gnie fit état d'abord d'un don de 12 400 $ à la fondation, et ensuite du paiement à tous ses employés, sans exception, de bonis annuels impor- tants dont le tiers, soit 39 155 $ sur 111 600 $, n'avait jamais été touché par les employés, ayant
été uniquement attesté par chèques endossés en faveur de la fondation. Le ministre refusa d'ad- mettre aussi bien la déduction du don de 12 400 $ que celle de la partie des bonis acheminée vers la fondation, au motif qu'il s'agissait de déductions qui, si elles étaient permises, réduiraient indûment ou de façon factice le revenu de la compagnie, ce que prohibait le paragraphe 245 (1) de la Loi.
Le premier juge rejeta les prétentions du minis- tre. Son appréciation de la preuve l'avait conduit à la conclusion que la somme de 12 400 $ versée par l'intimée à la fondation représentait un don vérita- ble et que celle de 39 155 $ avait bel et bien été payée aux employés à titre de bonis même si ceux-ci avaient convenu avec Antoine Guertin de la verser à sa fondation. Il n'y avait là, suivant le juge, aucune simulation.
Le procureur de l'appelante ne conteste plus maintenant la réalité du don de 12 400 $. Il pré- tend, cependant, que le juge a eu tort d'admettre la déduction de la somme de 39 155 $. Cette somme, soutient-il n'a pas vraiment été attribuée aux employés à titre de bonis, elle leur a été payée dans le but et à la condition qu'ils la versent à la fondation de sorte qu'il s'agit là, en fait, d'une donation que l'intimée a faite à la fondation par personnes interposées et cette donation ne peut être déduite en sus de celle de 12 400 $ puisque cette dernière somme représente le montant maxi mum déductible aux termes de l'alinéa 110(1)(a) de la Loi.
Cette thèse du procureur de l'appelante repose évidemment sur une supposition de base, celle voulant que cette somme de 39 155 $ n'aurait pas été distribuée aux employés si ceux-ci n'avaient pas préalablement convenu de la verser à la fonda- tion comme Antoine Guertin leur demandait de le faire. Le président de l'intimée, Jacques Guertin, a cependant témoigné en sens contraire et affirmé que le montant du boni de chaque employé était fixé par le bureau de direction sans qu'Antoine Guertin n'intervienne et sans égard au fait que l'employé concerné ait ou non convenu d'un don à la fondation. Il est évident que le premier juge n'aurait pu décider comme il l'a fait s'il n'avait cru cette partie du témoignage de Jacques Guertin. Il me semble après avoir lu et relu la preuve que j'aurais été enclin à apprécier ce témoignage de façon plus critique, mais je ne peux dire que le
juge a commis une erreur manifeste en y ajoutant foi. Cela étant, je ne peux dire, non plus, qu'il s'est trompé en décidant comme il l'a fait. Dès lors, en effet, que l'on admet que le montant des bonis était fixé de la façon décrite par Jacques Guertin, on ne peut conclure qu'une partie de ces bonis représentait une donation déguisée faite par l'inti- mée à la fondation. L'appelante, quant au deuxième volet de la cause, ne saurait ainsi réussir.
Ma conclusion est donc que l'appel devrait être accueilli et les cotisations rétablies en ce qui con- cerne le refus des déductions des montants de 1 090 $ relatifs aux primes d'assurance pour cha- cune des années 1970, 1971 et 1972, mais que quant au paiement des bonis aux employés il devrait être rejeté. Étant donné le succès partagé, je laisserais chaque partie payer ses frais.
LE JUGE PRATTE: Je suis d'accord. LE JUGE LACOMBE: Je suis d'accord.
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