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A-648-86
La Reine (appelante)
c.
Raymond Morrissey (intimé)
RÉPERTORIE: MORRISSEY C. CANADA (C.A.)
Cour d'appel, juges Mahoney, MacGuigan et Des- jardins—Toronto, 16 et 17 novembre; Ottawa, 21 décembre 1988.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Entreprise agricole Le contribuable travaille à temps partiel comme ingénieur à bord de navires Il exploite aussi une entreprise de naissage, aidé de sa famille Les pertes agricoles présu- mées à l'égard de trois années sont limitées à 5 000 $ en vertu de l'art. 31(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, bien que les pertes soient de beaucoup supérieures Le juge de première instance a conclu que l'agriculture était la «source principale de revenu» de l'intimé Il s'agit de savoir si le revenu du contribuable provient principalement de l'agriculture ou d'une combinaison de l'agriculture et d'une autre source Les facteurs considérés dans l'arrêt Moldowan (le temps consacré, les capitaux engagés et la rentabilité présente et future) doi- vent-ils s'interpréter de façon disjonctive ou de concert?
Il s'agit d'un appel d'un jugement de première instance qui concluait que l'agriculture constituait une source principale du revenu de l'intimé. Le contribuable était employé, six à sept mois par année, comme ingénieur en chef à bord d'un navire marchand naviguant sur les Grands Lacs. Il exploitait aussi une entreprise de naissage, aidé considérablement par sa famille. En 1977, 1978 et 1979, ses pertes ont été limitées à 5 000 $ en vertu du paragraphe 31(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, bien que ses pertes réelles aient été beaucoup plus élevées. Le paragraphe 31(1) s'applique lorsque le revenu du contribuable ne provient principalement ni de l'agriculture ni d'une combi- naison de l'agriculture et de quelque autre source. Le contri- buable a soutenu que le critère énoncé dans l'arrêt Moldowan c. La Reine (le temps consacré, les capitaux engagés et la rentabi- lité présente et future) devraient s'interpréter de façon disjonc- tive, comme l'a fait le juge de première instance qui a conclu que l'agriculture constituait pour le contribuable une source principale de revenu étant donné qu'en ce qui concerne les deux premiers éléments du critère, l'agriculture a été une préoccupa- tion majeure du contribuable. Le juge de première instance a conclu que la rentabilité n'était qu'un facteur parmi d'autres à considérer. On a aussi fait valoir que le paragraphe 31(1) est devenu un fardeau pour les véritables agriculteurs bien que l'intention première du Parlement ait été d'accorder au gentle- man-farmer un dégrèvement limité.
Arrêt (le juge Desjardins dissidente): l'appel devrait être accueilli.
Le juge Mahoney (avec l'appui du juge MacGuigan): L'arrêt Moldowan n'a pas proposé de dissocier les facteurs pertinents tout à fait de la façon dont l'a fait le juge de première instance. Étant admis que l'intimé avait une expectative raisonnable de profit, il restait à savoir si son entreprise agricole était poten- tiellement une source principale de revenu soit en elle-même,
soit en combinaison avec une autre source. Bien que dans l'étude du paragraphe 31(1), la possibilité plutôt que la réalité soit le mot clé puisque cette disposition ne s'applique qu'en présence d'une perte, la rentabilité réelle au cours d'autres années peut, pendant les années de pertes, témoigner en faveur de la possibilité de profits. D'après la preuve, l'entreprise agricole du contribuable n'a pas été, et n'était pas susceptible de devenir rentable. En l'absence de la rentabilité présente ou future, l'agriculture ne peut constituer une source principale de revenu.
Bien qu'il puisse y avoir lieu à une mesure corrective parce que l'intention originale du Parlement n'est peut-être pas atteinte, le test énoncé dans l'arrêt Moldowan n'est pas suffi- samment élastique pour permettre aux tribunaux d'appliquer cette mesure.
Le juge Desjardins (dissidente): La déclaration dans l'arrêt Moldowan portant que l'on peut vérifier la présence des deux facteurs distinctifs de la principale source de revenu en exami- nant notamment le temps consacré à celle-ci, les capitaux engagés et la rentabilité, indiquait que ces critères étaient donnés à titre d'exemple, sans être exhaustifs. La rentabilité n'était qu'un facteur parmi d'autres qu'il fallait considérer.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi de l'impôt de guerre sur le revenu, 1917, S.C. 1917, chap. 28, art. 3(1)J) (mod. par S.C. 1919, chap. 55, art. 2; S.C. 1919 (2e Sess.), chap. 49, art. 2).
Loi de l'impôt de guerre sur le revenu, S.R.C. 1927, chap. 97, art. 10.
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1948, chap. 52, art. 13 (mod. par S.C. 1951, chap. 51, art. 4).
Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, chap. 248, art. 31(1) (mod. par S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 1 [mod. par S.C. 1973-74, chap. 14, art. 7]).
JURISPRUDENCE
DÉCISION SUIVIE:
Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480.
DISTINCTION FAITE AVEC:
P.E. Graham c. La Reine (1983), 83 DTC 5399; conf. [1985] 2 C.F. 107; 85 DTC 5256 (C.A.).
DOCTRINE
Canada. Débats de la Chambre des communes, vol. V, 4e sess., 21e Lég. le 13 juin 1951, la p. 4161.
Canada. Débats de la Chambre des communes, vol. III, 6e sess., 21e Lég. le 27 mai 1952, aux pp. 2626 et ss.
AVOCATS:
Ian S. MacGregor et Susan L. Van Der Hout pour l'appelante.
William I. Innes pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelante.
Stikeman, Elliott, Toronto, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: Cet appel porte sur l'appli- cation du paragraphe 31(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, chap. 63 (mod. par S.C. 1973-74, chap. 14, art. 7)] au revenu de l'intimé à l'égard des années d'imposition 1977, 1978 et 1979. La question est de savoir si au cours de ces années, son revenu provenait «principale- ment» d'une combinaison de l'agriculture et de son emploi en qualité d'ingénieur en chef à bord d'un navire marchand naviguant sur les Grands Lacs. La Loi prévoit ce qui suit:
31. (1) Lorsque le revenu d'un contribuable, pour une année d'imposition, ne provient principalement ni de l'agriculture ni d'une combinaison de l'agriculture et de quelque autre source, aux fins des articles 3 et 1l1, ses pertes, si pertes il y a, pour l'année, provenant de toutes les entreprises agricoles exploitées par lui, sont réputées être le total formé ...
Cette disposition est suivie d'une formule qui n'a pas à être reproduite. Il suffit de dire qu'appliquée aux pertes agricoles réelles du contribuable, ses pertes agricoles étaient réputées s'élever à 5 000 $ pour chacune des années concernées.
On ne m'a pas persuadé que le juge de première instance [(1986), 6 F.T.R. 227 (C.F. ire inst.)] ait commis une erreur à l'égard d'aucune de ses con clusions de fait. Elles sont toutes appuyées par des aveux ou par la preuve.
L'intimé a été élevé sur une ferme. Son épouse était aussi issue d'une famille d'agriculteurs. L'in- timé a recherché une autre occupation en attei- gnant l'âge adulte, et il a travaillé à bord de navires sur les Grands Lacs depuis 1948. En 1967, lui et son épouse ont donné leur maison à St. Catherines à titre de versement initial sur une ferme de 178 acres à Wainfleet, sur laquelle ils vivent depuis. Ils ont loué les terres à un autre fermier en 1968. Depuis 1969, ils ont exploité leur propre entreprise de naissage, en élevant des vaches, en vendant des veaux, en utilisant leurs terres comme pâturage et en y cultivant du four- rage. En 1965, l'intimé avait été promu ingénieur en chef. Il travaille normalement six ou sept mois
par année sur les bateaux et passe le reste de son temps à travailler sur sa ferme. Son travail sur les navires commence au début d'avril et prend fin en décembre. L'intimé peut toutefois prendre congé, la plupart du temps sans solde, lorsqu'il lui faut travailler sur la ferme. La période de vêlage sur- vient avant l'ouverture de la saison de navigation au printemps. Son épouse travaille fort, particuliè- rement pendant son absence. Ses enfants, dont l'aîné avait 13 ans en 1977, aident aussi. L'intimé a suivi des cours reliés à son travail d'agriculteur à l'université de Guelph et, au moment du procès, il était depuis environ cinq ans l'un des directeurs de la Canadian Cattlemen's Association.
Voici les chiffres pertinents pour les années en litige:
1977 1978 d979
Revenus d'emploi 39 169,20 $ 43 618,00 $ 46 889,06 $ Revenus agricoles
bruts 6 281,93 6 272,59 6 5.41,60
Dépenses agricoles 30 371,05 36 048,76 41 108,35
Pertes agricoles (22 726,66) (27 427,28) (32 108,27)
Avant 1975, l'intimé n'a réclamé et été autorisé à déduire de ses revenus que les pertes agricoles restreintes reconnues au contribuable dont, la prin- cipale source de revenu ne provient ni de l'agricul- ture ni d'une combinaison de l'agriculture et de quelque autre source. Pour les années d'imposition 1975 et 1976, il a réclamé et obtenu de déduire du revenu tiré de son emploi le montant intégral de ses pertes agricoles.
L'appelante a reconnu que l'entreprise agricole était exploitée dans une expectative raisonnable de profit. Le juge de première instance a statué ainsi [aux pages 230 et 231 ] :
Il est difficile de qualifier les pertes agricoles qu'a subies le demandeur au cours des années en question de pertes temporai- res, accidentelles ou totalement imprévisibles. Il est vrai qu'il a été malchanceux et que certains de ses animaux ont été victi- mes de la rage en 1976 et de la diarrhée en 1978. Pourtant, les pertes qu'il a subies au cours de ces années-là ne semblent pas être beaucoup plus lourdes que celles des autres années. Le demandeur affirme également que le prix de la viande était à la baisse vers la fin de cette période, mais comme l'avocate de la défenderesse l'a fait remarquer, même si le prix de la viande avait quadruplé, l'entreprise du demandeur ne serait pas pour autant devenue rentable.
Le demandeur a démontré que, pour une raison ou pour une autre, son entreprise agricole n'a pas été rentable et ne le deviendra probablement pas, du moins s'il l'exploite au niveau il semble être capable de l'exploiter, eu égard au temps et
aux capitaux dont ils dispose. À l'interrogatoire préalable, le représentant du Ministre n'a toutefois pas nié que l'entreprise pouvait devenir rentable si on y investissait davantage de temps et d'argent. Il ne me sera donc pas nécessaire de me pencher sur cette question. Il n'en reste pas moins que l'entreprise était loin d'être rentable pendant les années en cause et que rien dans les événements survenus avant ou depuis cette période ne peut laisser croire que ces années constituaient une exception. En outre, il est difficile de qualifier de «frais de démarrage» bon nombre des dépenses engagées, compte tenu du fait qu'elles l'ont été pendant la période de 8 à 10 ans qui a suivi le lancement de l'entreprise agricole.
L'intimé a fait valoir de sérieux arguments fondés sur la politique gouvernementale. Je vais m'efforcer de leur rendre justice. Pour bien les comprendre, il est nécessaire de connaître l'histori- que de la loi.
Depuis ses débuts en 1917, la législation fiscale de notre gouvernement fédéral a interdit au contri- buable de déduire du revenu provenant de son industrie ou affaire principale, son commerce, sa profession ou sa vocation les pertes subies dans des opérations n'ayant avec eux aucun rapport. Voir à ce sujet la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu, 1917, S.C. 1917, chap. 28, alinéa 3(1)f) modifié par les S.C. de 1919, chap. 55, article 2 et les S.C. de 1919 (2 e Session) chap. 49, article 2. Une interdiction au même effet a été reprise à l'article 10 de la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu, S.R.C. de 1927, chap. 97, et en 1948, cette inter diction était formulée comme suit dans les S.C. de 1948, chap. 52 [Loi de l'impôt sur le revenu]:
13. (1) Le revenu d'une personne pour une année d'imposi- tion est censé ne pas être inférieur à son revenu pour l'année provenant de sa source principale de revenu.
(2) Le Ministre peut déterminer quelle source de revenu ou quelles sources de revenu réunies constituent la principale source de revenu d'un contribuable pour l'application du pré- sent article.
Une modification rétroactive en 1949 et édictée dans les S.C. de 1951, chap. 51, paragraphe 4(1), ajoutait le paragraphe (3) à l'article 13. Celui-ci permettait au contribuable de déduire du revenu provenant de sa principale source de revenu la moitié des pertes en espèces provenant de son exploitation agricole jusqu'à concurrence de 5 000 $. Puis, à compter de 1952, la restriction imposée par le paragraphe 31(1) a été édictée [Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, chap. 148] et l'interdiction générale faite au contribuable de déduire du revenu provenant de sa source princi- pale de revenu des pertes commerciales qui n'y sont pas reliées a été abrogée.
Si l'on étudie les dispositions de la loi fiscale au cours des ans, on constate la situation suivante:
a. Avant 1949, le contribuable ne pouvait défal- quer du revenu provenant de sa principale source de revenu des pertes commerciales sans rapport avec celle-ci, y compris des pertes agricoles.
b. En 1949, 1950 et 1951, le contribuable ne pouvait défalquer du revenu provenant de sa principale source de revenu des pertes commer- ciales qui n'y étaient pas reliées sauf 50 % de ses pertes agricoles, jusqu'à concurrence de 5 000 $.
c. Depuis 1951, le contribuable peut défalquer du revenu provenant de sa principale source de revenu un montant illimité des pertes attribua- bles à d'autres entreprises, à l'exception des pertes agricoles, qui se limitent à 5 000 $.
De fait, sans être sanctionnée par la législation, la politique administrative du ministère du Revenu national avant 1949 avait été de permettre au contribuable de déduire du revenu provenant de sa principale source de revenu 50 % de ses pertes agricoles en espèces. L'honorable Douglas Abbott, qui était ministre des Finances à l'époque, a décrit cette pratique à la Chambre des communes lors- qu'il a proposé la modification de 1951.
[Clet article est destiné à soulager, dans une certaine mesure, ceux qu'on appelle familièrement les «gentlemen farmers», dont la profession principale n'est pas l'agriculture. On confirme par une habitude vieille déjà de plusieurs années, au cours desquelles la division de l'impôt sur le revenu autorisait la déduction de la moitié des pertes en espèces subies du fait de ce genre d'exploitation agricole. Comme il s'agissait d'un revenu supplémentaire, seules étaient déductibles les pertes en espèces; la dépréciation ne l'était pas. On avait ainsi pris une habitude qui n'était peut-être pas tout à fait conforme à la loi. De toutes parts on nous a fait observer qu'il y aurait lieu de maintenir la pratique en vigueur depuis des années, et qui remonte, je crois, au début des années 20. On a jugé qu'il ne conviendrait pas d'autoriser ces déductions sans établir de limite, parce qu'on pourrait exploiter des fermes de grande classe et subir des pertes considérables du fait de l'élevage de chevaux de race et autres choses semblables. Il ne serait probablement pas juste d'autoriser la déduction illimitée de ces pertes et c'est pour cette raison qu'on a inséré la présente disposition qui fixe la limite à $5,000. Il en résulte donc que du point de vue du revenu net en espèces, sans accorder quoi que ce soit pour la dépréciation, une personne qui subit une perte de $10,000 en espèces devra subir la perte de $5,000 elle-même et pourra déduire l'autre $5,000 de son autre revenu. Comme l'honorable député, je reconnais que ce genre d'exploitation agricole a été avantageux pour plusieurs régions de notre pays et nous avons reçu des observations d'associations agricoles
nous demandant de maintenir la pratique suivie par le passé. C'est pour cette raison que nous avons présenté cet amendement.
Débats de la Chambre des communes, vol. V, 4e sess., 21e Lég. le 13 juin 1951, à la p. 4161.
M. Abbott était encore ministre des Finances lorsque le Parlement s'est occupé des modifications de 1952.
M. Macdonnell (Greenwood): Le ministre nous expliquera- t-il ces négations que je ne comprends pas très bien.
L'hon. M. Abbott: Cet article, le député se le rappelle, avait trait à la principale source de revenu. L'article 13 (1), présenté l'an dernier, avait pour objet de parer à une échappatoire à l'égard de ce que j'appellerais, à défaut d'une meilleure dési- gnation, le cultivateur amateur ...
M. Fleming: Le gentleman-farmer.
L'hon. M. Abbott: Mettons le gentleman-farmer. La disposi tion avait pour objet de limiter la déduction qu'un gentleman- farmer peut effectuer, aux fins de l'impôt, sur un autre revenu par suite d'une perte essuyée au titre de son exploitation agricole. On a cru qu'il n'était plus nécessaire de maintenir la définition de la principale source de revenu telle que la renfer- mait l'article primitif.
M. Macdonnell (Greenwood): Oui. Mais le ministre peut-il m'expliquer ces deux mots. L'article se lit en partie ainsi qu'il suit:
Lorsque le revenu d'un contribuable pour une année d'im-
position ne provient principalement ni de l'agriculture ...
Cela, je crois le comprendre. Puis, le texte poursuit en disant «ni d'une combinaison de l'agriculture et de quelque autre source». S'agit-il d'une source unique? En effet, le texte conti nue de la façon suivante:
... son revenu pour l'année est considéré comme n'étant pas inférieur à son revenu obtenu de toutes sources autres que l'agriculture ...
L'hon. M. Abbott: Cela prête peut-être un peu à confusion. Mais presque invariablement, ces gentlemen-farmers ne tirent jamais de profit de leurs fermes. Il y perdent toujours; et ils déduisent cette perte du revenu qu'ils obtiennent d'autres sour ces, comme les traitements ou les placements. L'article, tel qu'il a été présenté l'année dernière, tendait évidemment à limiter ces déductions au plus petit des deux chiffres mentionnés.
M. Graydon: Ils font de l'argent en ville et le perdent à la campagne ...
M. Knowles: Le ministre m'expliquera-t-il les effets réels de l'article 4? Le passage imprimé ici est-il, pour la meilleure partie, ce qu'on conserve de l'article 13?
L'hon. M. Abbott: Oui.
M. Knowles: En somme nous rayons ici les anciens paragra- phes 4 et 2? Ces paragraphes précisaient que le revenu d'un particulier pour une année quelconque sera censé n'être pas inférieur au revenu qu'il a tiré de sa source principale de revenu?
L'hon. M. Abbott: Ce n'est plus nécessaire. Je croyais que je l'avais expliqué il y a un instant. Si on est à la fois épicier et
pharmacien on peut défalquer la perte de l'épicerie du bénéfice de la pharmacie. Le seul cas ce soit interdit est celui des gentlemen-farmers qui ne peuvent avoir que des pertes limitées. Par conséquent, le besoin ne se fait plus sentir d'un article aux termes duquel le revenu du contribuable pour l'année financière sera considéré comme ne pouvant être inférieur au revenu qu'il retire de sa source principale de revenu.
M. Knowles: N'y a-t-il donc pas de gentlemen épiciers ou de gentlemen pharmaciens?
Débats de la Chambre des communes, vol. III, 6' sess., 21' Lég., le 27 mai 1952, aux pp. 2626 et ss.
On a soutenu que l'intimé n'est pas le gentle- man-farmer auquel songeait le Parlement en édic- tant ce qui est aujourd'hui le paragraphe 31(1) et en abrogeant l'interdiction faite au contribuable de déduire du revenu tiré de sa principale source de revenu des pertes attribuables à d'autres entrepri- ses. L'intimé soutient que ce qui était censé être une concession restreinte à l'endroit des gentle- men-farmers est devenu un réel fardeau pour les véritables agriculteurs. Il veut savoir sur quoi se fonde la politique qui fait une distinction injuste à son égard, quand on reconnaît qu'il exploite une entreprise agricole, alors qu'il ne serait pas victime d'une telle discrimination s'il exerçait n'importe quel autre métier? Pourquoi l'agriculture est-elle la seule activité entrepreneuriale traitée de la sorte bien qu'elle soit exercée à titre d'entreprise et non comme un simple passe-temps, alors que but déclaré de la loi était de viser ceux qui se consa- crent à un passe-temps, et eux seuls?
La limite de 5 000 $ est restée inchangée depuis que la disposition a été édictée. Aucune preuve n'a été soumise à l'égard du pouvoir d'achat relatif du dollar au cours des années. On peut se demander si la limite imposée aurait eu un impact réel sur un ingénieur mécanicien de marine salarié ayant une ferme en 1951, et si ce montant, eût-il été indexé, aurait produit quelque effet sur l'intimé pendant les années en cause. Il se peut que l'absence de rajustements périodiques à la hausse ait, en prati- que, rendu la restriction applicable à des contri- buables dont les éventails salariaux relatifs n'étaient pas initialement visés par le Parlement.
La décision qui fait jurisprudence en la matière est celle que le juge Dickson, aujourd'hui juge en chef, a rendue pour la Cour dans l'affaire Moldo- wan c. La Reine, [1978) 1 R.C.S. 480. Les pages pertinentes sont les pages 486 et suivantes, que voici:
Déterminer si une source de revenu est la principale «source» de revenu d'un contribuable suppose un test à la fois relatif et objectif. Ce n'est incontestablement pas une simple question de proportion. Celui qui a exploité une ferme toute sa vie ne cesse pas d'en tirer sa principale source de revenu du simple fait qu'il a inopinément gagné à la loterie. Ce qui distingue la principale «source» de revenu du contribuable, c'est l'expectative raisonna- ble de revenu en provenance des diverses sources, ainsi que ses habitudes et sa façon coutumière de travailler. On peut analy ser ces éléments, notamment à l'égard de chaque source de revenu, en examinant le temps consacré à celle-ci, les capitaux engagés et la rentabilité présente et future. Un changement dans les habitudes ou la façon de travailler d'un contribuable ou dans ses expectatives raisonnables peut indiquer une modifi cation de la principale source de revenu, mais cela demeure une question de fait dans chaque cas.
... la Loi de l'impôt sur le revenu envisage dans son ensem ble trois catégories d'agriculteur:
(1) le contribuable qui peut raisonnablement s'attendre à tirer de l'agriculture la plus grande partie de son revenu ou à ce que ce soit le centre de son travail habituel. Ce contribua- ble, dont l'agriculture est le gagne-pain, est exempté de la limite imposée par le par. 13(1) pour les années il subit des pertes provenant de son exploitation agricole;
(2) le contribuable qui ne considère pas l'agriculture, ou l'agriculture et une source secondaire de revenu, comme son gagne-pain mais pour qui l'exploitation d'une ferme est une entreprise secondaire. Ce contribuable a droit aux déductions prévues au par. 13(1) au titre des pertes provenant d'une exploitation agricole;
(3) le contribuable qui ne considère pas l'agriculture, ou l'agriculture et une source secondaire de revenu, comme son gagne-pain et qui poursuit une activité agricole comme passe-temps. Les pertes de ce contribuable provenant de son exploitation agricole qui ne constitue pas une entreprise, ne sont pas déductibles.
Le paragraphe 13(1) suppose l'existence d'un contribuable qui tire son revenu de l'agriculture et de quelqu'autre source et il renvoie donc à la 1" catégorie. Il vise une personne dont l'agriculture est la préoccupation majeure, tout en tenant compte de ses autres intérêts pécuniaires, comme un revenu provenant d'un investissement, d'un emploi ou d'une entreprise secondaire. L'article prévoit que ces intérêts subsidiaires ne placent pas le contribuable dans la catégorie: le montant déductible pour perte n'est donc pas limité à 5 000 $. Bien que la proportion du revenu provenant de l'agriculture soit perti- nente, elle n'est pas en elle-même décisive. Le test est à la fois relatif et objectif et on peut utiliser les critères indicatifs de la principale «source» de revenu pour discerner s'il s'agit ou non d'un intérêt auxiliaire. Une personne qui a exploité une ferme toute sa vie ne cesse pas d'appartenir à la catégorie unique- ment parce qu'elle reçoit un héritage. D'autre part, une per- sonne qui change de travail et concentre ses forces et ses capitaux dans l'agriculture avec l'espoir d'en tirer son revenu principal ne perd pas son droit de déduire la totalité de ses frais d'établissement.
Il peut sembler que la troisième catégorie désigne ceux que le ministre des Finances a dépeint en 1952 dans les termes suivants:
... presque invariablement, ces gentlemen-farmers ne tirent jamais de profit de leurs fermes. Ils y perdent toujours; et ils déduisent cette perte du revenu qu'ils obtiennent d'autres sour ces, comme les traitements ou les placements. L'article, tel qu'il a été présenté l'année dernière, tendait évidemment à limiter ces déductions au plus petit des deux chiffres mentionnés.
Ceux que le ministre avait à l'esprit quand il a dit que la disposition concernée «tendait évidemment à limiter ces déductions» semblent être ceux que visait la Cour suprême quand elle a dit que «les pertes ... ne sont pas déductibles». Si cela est exact, il me semble donc que la conclusion logique de l'argument de l'intimé est que l'arrêt Moldowan a écarté de l'application du paragraphe 31(1) ceux qui étaient censés en bénéficier d'une façon restreinte.
L'intimé ne va évidemment pas jusqu'à ce point dans son argument. Il ne le peut pas, car nous sommes liés par l'arrêt Moldowan. Il affirme plutôt que l'arrêt Moldowan suggère une approche tout à fait conforme à la politique qui sous-tend le paragraphe 31(1), que le juge de première instance a adoptée à bon droit. Cette approche consiste à dissocier les divers critères énoncés par le juge Dickson: le temps consacré, les capitaux engagés et la rentabilité. Le juge de première instance s'est exprimé comme suit [aux pages 231 et 2321:
On remarquera que le juge dit que ce qui distingue la «princi- pale source» de revenu du contribuable, c'est «l'expectative raisonnable de revenu en provenance des diverses sources» ainsi que «ses habitudes et sa façon coutumière de travailler». Il me semble qu'il faut dissocier ces deux facteurs, qu'il faut tenir compte des deux mais qu'aucun ne constitue une exigence absolue. Cela semble être le ton général de l'arrêt, notamment à la page 315 la page 487 du recueil R.C.S.], le juge Dickson définit sa première catégorie d'agriculteurs, en l'occur- rence ceux qui tombent sous le coup de l'exception prévue à ce qui correspond maintenant au paragraphe 31(1). Le juge pré- cise qu'il doit s'agir du contribuable «qui peut raisonnablement s'attendre à tirer de l'agriculture la plus grande partie de son revenu ou à ce que ce soit le centre de son travail habituel» (c'est moi qui souligne). Un peu plus loin, le juge définit cet agriculteur comme celui pour qui «l'agriculture est la préoccu- pation majeure». Ici encore, la rentabilité ne constitue pas une exigence essentielle.
Si l'on s'en tient aux trois facteurs énoncés par le juge Dickson dans la citation précitée, en l'occurrence, le temps consacré, les capitaux engagés et la rentabilité, il semble que le contribuable puisse en l'espèce démontrer qu'il s'est, en ce qui concerne les deux premiers facteurs, engagé à fond de train dans l'agriculture.
Le troisième critère énoncé par le juge Dickson dans le passage précité est évidemment «la rentabilité présente et future». Comme je l'ai déjà dit, s'il ne s'agissait que du seul critère ou du critère le plus important et que ce critère était impératif, je crois alors que le demandeur ne pourrait obtenir gain de cause. Je crois toutefois comprendre qu'il s'agit d'un facteur parmi plusieurs facteurs pertinents.
Le juge de première instance a terminé en disant la page 232]:
... j'estime que je ne dois pas me guider uniquement sur les chances peu élevées que l'entreprise agricole du contribuable lui rapporte des bénéfices pendant les années en question ou dans un avenir prévisible. Ce n'est qu'un des facteurs dont il faut tenir compte. Compte tenu de toutes les circonstances, je suis convaincu qu'en l'espèce, le demandeur était un agriculteur sérieux qui essayait de tirer un profit de son entreprise agricole comme tant d'agriculteurs à temps plein tentent, sans succès, de le faire année après année. Le critère de la «principale source de revenu» n'est pas très judicieux sur le plan économique. Je crois également que le fait que, en l'espèce, les probabilités que le contribuable quitte son emploi et consacre tout son temps à l'agriculture n'étaient pas très élevées n'est pas particulière- ment déterminant. Il faut se rappeler que le paragraphe 31(1) envisage la possibilité que le contribuable tire sa principale source de revenu «de l'agriculture [ou] de l'agriculture [et] d'une combinaison de l'agriculture et quelque autre source». Quelque soit son sens, et il y a encore lieu de la clarifier même après l'arrêt Moldowan, cette expression n'oblige pas le contri- buable à quitter son emploi et à choisir l'agriculture. L'arrêt Moldowan exige simplement que l'agriculture soit «la principale préoccupation» du contribuable et je suis convaincu, suivant toutes les circonstances de l'espèce, que l'agriculture constitue effectivement en l'espèce la principale préoccupation du contribuable.
En toute déférence, je n'estime pas que l'arrêt Moldowan propose de dissocier les facteurs perti- nents tout à fait de la façon dont l'a fait le juge de première instance. La discussion dans l'arrêt Mol- dowan débute comme suit la page 486]:
Déterminer si une source de revenu est la principale «source» de revenu d'un contribuable suppose un test à la fois relatif et objectif. Ce n'est incontestablement pas une simple question de proportion.
L'arrêt Moldowan dit aussi, en parlant de la diffé- rence entre la première et la deuxième catégories, «Bien que la proportion du revenu provenant de l'agriculture soit pertinente, elle n'est pas en elle- même décisive.» Bien que la conclusion que l'agri- culture constitue une principale source de revenu ne soit pas une simple question de proportion, ce n'est pas davantage une conclusion qui peut être tirée abstraction faite de toute proportion.
L'appelante a reconnu que l'intimé s'adonnait à l'agriculture dans une expectative raisonnable de profit. Cela signifie qu'il exploitait une entreprise agricole et établit de façon concluante qu'il ne relevait pas de la troisième catégorie d'agricul- teurs. Cela implique aussi que l'agriculture était une source de revenu possible et nous force à rechercher s'il s'agissait en puissance d'une princi- pale source de revenu soit en elle-même, soit en combinaison avec une autre source. Dans l'étude du paragraphe 31(1), il me semble que la possibi- lité plutôt que la réalité est le mot clé dans tous les cas puisque cette disposition ne s'applique qu'en présence d'une perte au cours d'une année d'impo- sition. Cela ne veut pas dire, naturellement, que la rentabilité réelle au cours d'autres années ne peut, pendant les années de pertes, témoigner en faveur de la possibilité de profits.
L'arrêt Moldowan laisse entendre qu'un certain nombre de facteurs peuvent être pris en considéra- tion, mais en l'espèce, trois seulement nous intéres- sent: le temps consacré, les capitaux engagés et la rentabilité. En qualifiant le test de relatif et en soulignant qu'il ne s'agit pas d'une simple question de proportion, l'arrêt Moldowan montre que les trois facteurs doivent être soupesés. Avec défé- rence, il n'exige pas seulement que l'agriculture soit la préoccupation majeure du contribuable en ce qui concerne le temps et les capitaux disponibles.
À mon sens, cette affaire se distingue clairement des faits en cause dans la décision P.E. Graham c. La Reine (1983), 83 DTC 5399; conf. [1985] 2 C.F. 107; 85 DTC 5256 (C.A.). Dans cet arrêt, le juge de première instance a conclu, à la page 5406:
Compte tenu des faits des présents appels, je n'accepte pas la conclusion tirée de la preuve que le demandeur ne pourrait raisonnablement s'attendre à tirer de ses exploitations agricoles «la plus grande partie de son revenu»; et il s'agit très certaine- ment du «centre de son travail habituel».
Bien que cette phrase comporte une double néga- tion, cette Cour y a vu la conclusion, appuyée par la preuve, que l'agriculture était le centre du tra vail habituel du contribuable et qu'il pouvait rai- sonnablement s'attendre à en tirer la plus grande partie de son revenu. Cette conclusion, d'après une majorité de cette Cour, plaçait clairement le con- tribuable au sein de la première catégorie.
Selon une bonne application du test proposé dans l'arrêt Moldowan, lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, on considère improbable la rentabilité de l'entreprise agricole en dépit du temps et des capitaux que le contribuable peut et veut bien lui consacrer, la conclusion à tirer selon le fardeau de la preuve en matière civile doit être que l'agricul- ture n'est pas une source principale de revenu pour l'agriculteur en question. Pour constituer un revenu dans le contexte de la Loi de l'impôt sur le revenu, ce qui est reçu doit être de l'argent ou quelque chose de convertible en argent. Sans ren- tabilité réelle ou possible, l'agriculture ne peut être une source principale du revenu du contribuable même si la concession qu'il s'adonnait à l'agricul- ture avec une expectative raisonnable de profit équivaut à une concession que la preuve peut ne pas confirmer, à savoir que l'agriculture constitue au moins une source de revenu pour le contribua- ble.
J'ai énoncé, justement je l'espère et assez lon- guement sans doute, le fondement de la plaidoirie de l'intimé fondée sur la politique gouvernemen- tale et selon laquelle le test énoncé dans l'arrêt Moldowan devrait être appliqué comme il l'a été par le juge de première instance pour que soit atteint le but recherché par le Parlement. Je n'au- rais pas fait cet énoncé si je n'avais pas été per- suadé que les intentions du gouvernement commu niquées au Parlement en 1951 et en 1952 peuvent en effet ne pas avoir été réalisées. Le Parlement a décidé de faire une distinction entre les gentlemen- farmers et les agriculteurs en fonction de leur source de revenu. Il peut ne pas avoir entendu traiter les contribuables tels que l'intimé comme il avait l'intention de traiter les gentlemen-farmers, ni refuser à ces derniers tout dégrèvement. Il pour- rait y avoir lieu à une mesure corrective, mais on ne m'a toutefois pas convaincu que le test énoncé dans l'arrêt Moldowan est suffisamment élastique pour permettre aux tribunaux d'appliquer cette mesure. Ces derniers doivent interpréter ce qu'a dit le Parlement, ce qui n'est pas nécessairement ce qu'il peut avoir eu l'intention de dire.
J'accueillerais l'appel avec dépens, j'annulerais le jugement de la Section de première instance et je rejetterais l'action de l'intimé avec dépens.
LE JUGE MACGUIGAN: Je souscris à ces motifs.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE DESJARDINS (dissidente): Les motifs de jugement du juge de première instance ne me causent aucun problème, et notamment pas le fait qu'il ait dissocié les caractéristiques de la «princi- pale source de revenu» visée au paragraphe 31(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu comme les expose le juge Dickson pour la Cour dans l'arrêt Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480.
À la page 486 de l'arrêt Moldowan, le juge Dickson [tel était alors son titre] a dit ce qui suit:
Déterminer si une source de revenu est la principale «source» de revenu d'un contribuable suppose un test à la fois relatif et objectif. Ce n'est incontestablement pas une simple question de proportion. Celui qui a exploité une ferme toute sa vie ne cesse pas d'en tirer sa principale source de revenu du simple fait qu'il a inopinément gagné à la loterie. Ce qui distingue la principale «source» de revenu du contribuable, c'est l'expectative raisonna- ble de revenu en provenance des diverses sources, ainsi que ses habitudes et sa façon coutumière de travailler. On peut analy ser ces éléments, notamment à l'égard de chaque source de revenu, en examinant le temps consacré à celle-ci, les capitaux engagés et la rentabilité présente et future. Un changement dans les habitudes ou la façon de travailler d'un contribuable ou dans ses expectatives raisonnables peut indiquer une modifi cation de la principale source de revenu, mais cela demeure une question de fait dans chaque cas. [Soulignements ajoutés.]
Après avoir cité ce passage, le juge de première instance a ajouté la page 231]:
On remarquera que le juge dit que ce qui distingue la «princi- pale source» de revenu du contribuable, c'est «l'expectative raisonnable de revenu en provenance des diverses sources» ainsi que «ses habitudes et sa façon coutumière de travailler». Il me semble qu'il faut dissocier ces deux facteurs, qu'il faut tenir compte des deux mais qu'aucun ne constitue une exigence absolue. Cela semble être le ton général de l'arrêt, notamment à la page 315 la page 487 du recueil R.C.S.], le juge Dickson définit sa première catégorie d'agriculteurs, en l'occur- rence ceux qui tombent sous le coup de l'exception prévue à ce qui correspond maintenant au paragraphe 31(1). Le juge pré- cise qu'il doit s'agir du contribuable «qui peut raisonnablement s'attendre à tirer de l'agriculture la plus grande partie de son revenu ou à ce que ce soit le centre de son travail habituel» (c'est moi qui souligne). Un peu plus loin, le juge définit cet agriculteur comme celui pour qui «l'agriculture est la préoccu- pation majeure». Ici encore, la rentabilité ne constitue pas une exigence essentielle.
J'estime, tout comme le juge de première ins tance, que le juge Dickson a dit que l'on peut vérifier la présence des deux facteurs distinctifs de la «principale source de revenu» en examinant notamment (soulignements ajoutés) le temps con-
sacré à celle-ci, les capitaux engagés et la rentabi- lité présente et future. Ces critères sont donnés à titre d'exemple, sans être exhaustifs. Ils doivent être soupesés compte tenu de toutes les circons- tances de l'espèce. Aucun n'est absolu. La rentabi- lité n'est qu'un facteur parmi d'autres. Une simple proportion n'est pas une considération décisive.
Pour ce qui est des deux premiers facteurs men- tionnés par le juge Dickson, savoir, le temps consa- cré, les capitaux engagés et la rentabilité, le juge de première instance a tiré la conclusion de fait (dossier d'appel, p. 1132) que le contribuable con- sacrait à sa ferme un temps considérable, s'absen- tant de son autre emploi souvent sans solde, et qu'il y investissait des capitaux relativement consi- dérables. Il a dit [aux pages 231 et 232]:
... il semble que le contribuable puisse en l'espèce démontrer qu'il s'est, en ce qui concerne les deux premiers facteurs, engagé à fond de train dans l'agriculture. Je suis convaincu que le contribuable consacre pratiquement autant de temps à l'agri- culture qu'à son travail sur les bateaux. Le fait qu'il vit sur une ferme lorsqu'il ne travaille pas sur les bateaux, que sa famille y habite et qu'elle contribue de façon appréciable à l'administra- tion de la ferme lorsqu'il est absent, de même que son engage ment personnel évident dans l'agriculture, me convainquent que sa principale préoccupation est l'agriculture. À cet égard, il convient également de remarquer qu'il n'a d'aucune façon modifié sa situation ou ses responsabilités sur les bateaux depuis qu'il s'est lancé dans l'agriculture, ce qui donne à penser qu'il n'a fait aucun effort pour obtenir de l'avancement dans son emploi. En ce qui concerne les capitaux engagés, il semble probable qu'il a investi tout ce dont il disposait. Son avocat a estimé l'argent qu'il avait investi à environ 200 000 $ et je n'écarte pas cette estimation. Sur le plan de l'investissement, il s'agit d'une mise de fonds aussi importante que les millions qu'un millionnaire pourrait investir.
En ce qui concerne la rentabilité, aussi bien réelle que virtuelle, le juge de première instance a dit la page 232]:
... j'estime que je ne dois pas me guider uniquement sur les chances peu élevées que l'entreprise agricole du contribuable lui rapporte des bénéfices pendant les années en question ou dans un avenir prévisible. [Soulignement ajoutés.]
Il a ajouté la page 232]:
Le critère de la «principale source de revenu» n'est pas très judicieux sur le plan économique.
Le contribuable a déclaré ce qui suit:
[TRADUCTION] . .. si je puis nourrir ma famille, instruire ma famille, et être heureux—et je le suis en me consacrant à l'agriculture—si je puis remplir ces obligations, c'est tout ce que je demande. C'est ce que je considère une ferme rentable. Pourvu que je puisse remplir mes obligations. (Transcription, 16 septembre 1986)
Je souscris aux conclusions de fait du juge de première instance que le contribuable en l'espèce n'a choisi de se livrer à l'agriculture ni comme passe-temps ni à titre d'«entreprise secondaire», ce qui le placerait dans la seconde et la troisième catégories d'agriculteurs mentionnées par le juge Dickson aux pages 487 et 488 de l'arrêt Moldo- wan. Sa préoccupation majeure est l'agriculture, bien qu'il ne soit pas actuellement en mesure de quitter son emploi pour consacrer tout son temps à l'agriculture. Le paragraphe 31(1) envisage la pos- sibilité que le revenu d'un contribuable puisse pro- venir principalement «d'une combinaison de l'agri- culture et de quelque autre source». J'estime que c'est la situation en l'espèce.
J'aurais, par conséquent, rejeté l'appel avec dépens.
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