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T-182-88
Teal Cedar Products (1977) Ltd. (demanderesse) c.
La Reine, Procureur général du Canada, Secré- taire d'État aux Affaires extérieures, Ministre du Commerce extérieur, Ministre du Revenu national (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: TEAL CEDAR PRODUCTS (1977) LTD. C. CANADA
Division de première instance, juge Muldoon— Vancouver, 15 mars; Ottawa, 12 avril 1988.
Contrôle judiciaire Recours en equity Injonctions Modification de la Liste de marchandises d'exportation con- trôlée entraînant la fermeture d'une entreprise de fabrication de produits forestiers Demande d'injonction interlocutoire
Gouverneur en conseil apparemment induit en erreur au sujet des répercussions sur les emplois par les renseignements contenus dans le résumé de l'étude d'impact de la réglementa- tion Effet sur l'emploi contraire à l'objectif des modifica tions et à la législation d'habilitation La question de savoir si la prise du décret est ultra vires est une question sérieuse à juger Application des critères de l'affaire Metropolitan Stores pour les injonctions interlocutoires dans des affaires constitutionnelles.
Commerce extérieur Courte planchette de cèdre Pro- duit auparavant exporté aux États-Unis sans licence par la demanderesse Gouverneur en conseil modifiant la Liste de marchandises d'exportation contrôlée Demanderesse a fermer son établissement, perte de 150 emplois La régle- mentation serait ultra vires car le gouverneur en conseil a été induit en erreur par le résumé de l'étude d'impact de la réglementation Injonction interlocutoire est accordée.
En février 1988, le gouverneur en conseil a apporté une modification à la Liste de marchandises d'exportation contrôlée en vertu de la Loi sur les licences d'exportation et d'importa- tion pour viser les planches de même que les blocs et billons de cèdre rouge, obligeant de ce fait la demanderesse à obtenir une licence d'exportation pour son produit, de courtes planchettes de cèdre. Cette réglementation a entraîné la fermeture de l'établissement de la demanderesse et la perte de plus de cent cinquante emplois.
Il s'agit d'une demande d'injonction interlocutoire suspen- dant la mise en oeuvre de la réglementation à l'égard de la demanderesse en attendant l'issue d'une action intentée en vue d'obtenir un jugement déclaratoire, une injonction et des dommages-intérêts.
La demanderesse a soutenu que le résumé de l'étude d'im- pact de la réglementation concernant l'objet et l'effet du règle- ment proposé a induit en erreur le gouverneur en conseil au sujet des répercussions dévastatrices de la réglementation sur les emplois dans son entreprise, et comme l'alinéa 3a.I) de la Loi—en vertu duquel la réglementation a été adoptée—visait à préserver des emplois au Canada, l'adoption du règlement excédait les pouvoirs du gouverneur en conseil.
Les défendeurs ont prétendu que, sans égard au résumé de l'étude d'impact qui ne fait pas partie du texte officiel, le règlement est l'expression légale d'une politique gouvernemen- tale et il constitue un acte légitime de gouvernement. De plus, on a soutenu que la demanderesse n'avait pas le droit de faire appel à la Cour pour suspendre l'application de la réglementation.
Jugement: la demande devrait être accueillie.
La question de savoir si le gouverneur en conseil a respecté les conditions préalables à l'exercice d'un pouvoir—ce corps constitué a-t-il en l'espèce négligé de respecter les dispositions de l'alinéa 3a.1) en tenant compte d'informations trompeuses— est soumise à un contrôle judiciaire, et les défendeurs, à l'excep- tion de Sa Majesté la Reine, peuvent faire l'objet d'une injonc- tion interlocutoire, à la condition qu'il y ait une question sérieuse à juger. Le fait que la modification reposait sur l'alinéa 3c) de la Loi appellait un commentaire. Cette disposition visait à maintenir un approvisionnement d'articles suffisant aux «besoins de la défense ou autres». Si le mot «autres» devait être interprété comme un terme générique par rapport à l'expression «besoins de la défense», pourquoi n'y avait-il aucune preuve de besoins liés à la défense? Dans ces circonstances, la question de savoir si le règlement était ultra vires était une question sérieuse devant être résolue au procès. Il est toujours difficile de décider si la base d'un règlement est une question de compé- tence ou d'élaboration des objectifs, mais il appartient au juge de première instance de statuer sur ce point.
Les critères pertinents pour les injonctions interlocutoires ont été tirés de l'arrêt Manitoba ( Procureur général) c. Metropoli tan Stores Ltd., [ 1987] 1 R.C.S. 110, qui portait sur la validité constitutionnelle de dispositions législatives: question sérieuse à juger, préjudice irréparable, prépondérance des inconvénients. Il y avait une question sérieuse à juger, quoique si l'on tient compte du pouvoir discrétionnaire pratiquement absolu conféré au gouverneur en conseil, le résultat aurait été différent si le critère applicable avait été d'établir une apparence de droit suffisante. La demanderesse subirait un préjudice irréparable en devant fermer son établissement. Il n'y aurait aucun incon- vénient grave pour le gouvernement. Au surplus, comme l'af- faire est un «cas d'exemption», plutôt qu'un «cas de suspension», elle ne vise pas l'ensemble d'une catégorie de fabriquants de produits forestiers. 11 faut tenir compte de l'intérêt public pour apprécier la prépondérance des inconvénients lorsqu'une injonc- tion interlocutoire est demandée dans une affaire constitution- nelle. D'une part, le refus d'accorder l'injonction s'annonce catastrophique pour l'entreprise de la demanderesse et ses employés. D'autre part, le fait de soustraire temporairement la demanderesse à l'application du règlement causerait un tort négligeable au gouvernement et au grand public. Et bien qu'aucune preuve de mauvaise foi n'ait été rapportée, on peut voir que les défendeurs ont poursuivi et piégé la demanderesse en se servant de leur pouvoir réglementaire.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Liste de marchandises d'exportation contrôlée, C.R.C., chap. 601, art. 2003 (ajouté par DORS/86-710; DORS/88-140).
Loi sur les licences d'exportation et d'importation, S.R.C. 1970, chap. E-17, art. 3 (mod. par S.C. 1974, chap. 9, art. I; 1987, chap. 15, art. 26), 6.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735; 115 D.L.R. (3d) 1; Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [ 1987] 1 R.C.S. 110; American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396; [1975] 1 All E.R. 504 (H.L.); Bhatnager c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'immigration), [1988] 1 C.F. 171 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Thorne's Hardware Ltd. et autres c. La Reine et autre, [1983] 1 R.C.S. 106.
DÉCISIONS CITÉES:
Morgentaler et al. v. Ackroyd et al. (1983), 42 O.R. (2d) 659 (H.C.); MacMillan Bloedel Ltd. v. Min. of Forests of B.C. (1984), 51 B.C.L.R. 105 (C.A.); CKOY Ltd. c. Sa Majesté La Reine sur la dénonciation de Lorne Mahoney, [1979] I R.C.S. 2; (1978), 90 D.L.R. (3d) 1; In re Public Utilities Act (Milk Board); In re Crowley (Avalon Dairy Ltd.) (1954), 12 W.W.R. (N.S.) 626 (C.S.C.-B.); K. J. Preiswerck Ltd. v. Los Angeles-Seattle Motor Express Inc. (1957), 22 W.W.R. 93 (C.S.C.-B.); Pacific Salmon Industries Inc. c. La Reine, [1985] I C.F. 504 (1" Inst.); Baird c. La Reine du chef du Canada, [1984] 2 C.F. 160; (1983), 148 D.L.R. (3d) 1 (C.A.); Procureur général du Canada c. Fishing Vessel Owners' Association of B.C., [1985] I C.F. 791 (C.A.); Procureur général du Canada c. Gould, [1984] 1 C.F. 1133 (C.A.); Aerlinte Eireann Teoranta c. Canada, [1987] 3 C.F. 383 (I' inst.); C.E. Jamieson & Co. (Dominion) c. Canada (Procureur général), [1988] 1 C.F. 590; (1987), 12 F.T.R. 167 (l' inst.).
AVOCATS:
J. Gary Fitzpatrick pour la demanderesse. W. B. Scarth, c.r. pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Davis & Company, Vancouver, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MULDOON: La société demanderesse, de Colombie-Britannique, a engagé des poursuites contre les défendeurs en vue d'obtenir des juge- ments déclaratoires, un redressement par voie d'in- jonction provisoire, interlocutoire et définitive, des dommages-intérêts, ainsi que la condamnation des
défendeurs aux dépens. La présente instance porte sur l'injonction interlocutoire.
La demanderesse a intenté la présente action le 3 février 1988, mais en raison de la modification apportée par le gouverneur en conseil le 22 février
1988 la Liste de marchandises d'exportation contrôlée [C.R.C., chap. 601 (mod. par DORS/88- 140)], en vertu de la Loi sur les licences d'expor- tation et d'importation, S.R.C. 1970, chap. E-17, modifiée, la demanderesse a réviser sa déclara- tion déposée le l er mars 1988.
Il s'agit d'une triste affaire. L'adoption de la réglementation a entraîné la fermeture d'une entreprise canadienne de produits forestiers, par ailleurs viable, et la perte concomitante de plus de cent cinquante emplois. Ce résultat malheureux a amené la demanderesse à intenter la présente action. La société fabrique un produit qu'on dési- gne par l'expression courtes planchettes de cèdre. Jusqu'en janvier 1988, elle en exportait, sans licence, aux États-Unis, comme l'indique le para- graphe 3 de sa déclaration.
En application de l'article 3 [mod. par S.C. 1974, chap. 9, art. 1; 1987, chap. 15, art. 26] de la Loi:
3. Le gouverneur en conseil peut établir une liste de mar- chandises, appelée «liste de marchandises d'exportation contrô- lée'', comprenant tout article dont, à son avis, il est nécessaire de contrôler l'exportation pour l'une quelconque des fins sui- vantes, savoir:
a. I) s'assurer que toute mesure prise pour favoriser le traite- ment supplémentaire au Canada d'une ressource naturelle qui y est produite ne devienne pas inopérante du fait de l'exportation sans restriction de cette ressource naturelle;
a.2) limiter les exportations de matières premières ou trans- formées d'origine canadienne, ou en conserver le contrôle, lorsqu'il y a surproduction et chute des cours et qu'il ne s'agit pas d'un produit agricole;
b) mettre en oeuvre un arrangement ou un engagement intergouvernemental; ou
c) s'assurer d'un approvisionnement et d'une distribution de cet article au Canada suffisant aux besoins de la défense ou autres.
L'article 6 dispose que le gouverneur en conseil peut révoquer, modifier, changer ou rétablir ces listes.
La demanderesse soutient que le 26 juin 1986, la liste a été modifiée [DORS/86-710] par l'adjonc- tion des «Blocs et billons de cèdre rouge» à la Liste de marchandises d'exportation contrôlée. Des ins tructions sur la façon d'obtenir une licence d'ex- portation pour les «blocs et billons de cèdre rouge» ont été diffusées. Selon la demanderesse, un «billon»» est un tronçon ou une section biseautée, à l'état brut, venant du fendage d'une courte grume de cèdre, la longueur de ladite grume étant habi- tuellement de l'ordre de 1,33 m. Le débitage des grumes en billons se fait parfois sur les lieux d'abattage, après quoi ces billons vont à la scierie pour la transformation en produits marchands. Un billon peut être tronçonné par la moitié (sinon en trois parties pour l'obtention de sections biseautées de 44 cm), les «blocs» dérivés de ces opérations étant les produits bruts qui seront taillés et trans formés en articles marchands qui feront l'objet d'une ouvraison plus poussée.
La demanderesse fabriquait de courtes planchet- tes de cèdre. Il ne s'agit pas ici d'un simple subter fuge langagier, une courte planchette de cèdre étant, comme telle, un produit fini machine, taillé non seulement à la longueur voulue, ainsi qu'aux deux faces et aux deux rives, mais également séché au four. Ce produit n'a rien de commun avec une section de tronc en biseau, débité pour faciliter sa manutention, comme il en va des billons et des blocs. La portée des termes et procédés susmen- tionnés a été précisée, de façon claire et abon- dante, par une démonstration, enregistrée sur ruban magnétoscopique, des procédés de fabrica tion de ces planchettes et bardeaux de cèdre pour faire ressortir les différences entre les billons, les blocs et les courtes planchettes. Ce ruban constitue la pièce «C» jointe à l'affidavit de M. Thomas Darcy Jones, président de la demanderesse. Il ne fait pas de doute que les courtes planchettes de cèdre n'étaient visées, ni par la forme ni par le fond, par les modifications apportées en juin 1986 à la Liste de marchandises d'exportation contrô- lée.
En janvier 1988, la demanderesse a pourtant été informée officiellement du fait que l'exportation des courtes planchettes de cèdre aux États-Unis serait désormais subordonnée à l'obtention d'une licence d'exportation. Après avoir reçu significa tion de la première déclaration de la demande-
resse, déposée le 3 février 1988 et accompagnée d'une demande d'injonction similaire à la présente, les défendeurs étaient toutefois revenus sur leur décision d'exiger une licence qu'ils ont refusé de délivrer, autorisant ainsi à nouveau l'exportation des courtes planchettes de cèdre.
Cependant, les planchettes de cèdre n'ont pas été exportées librement longtemps. La pièce «A» jointe à l'affidavit déposé par Mme Joan Edith Mulholland est une copie du décret C.P. 1988-288 [DORS/88-140] et de son annexe, pris le 22 février 1988. Le décret est conçu comme suit:
Attendu que le gouverneur en conseil est d'avis qu'il est nécessaire de contrôler l'exportation de blocs, billons, ébauches, planches et tout autre matériau ou produit de cèdre rouge propres à être utilisés pour la fabrication de bardeaux ordinai- res ou de bardeaux de fente, afin de s'assurer:
a) que toute mesure prise pour favoriser le traitement sup- plémentaire au Canada du cèdre rouge qui y est produit ne devienne pas inopérante du fait de son exportation sans restriction,
b) que l'approvisionnement et la distribution de ces maté- riaux et produits de cèdre rouge soient suffisants pour la fabrication de bardeaux ordinaires et de bardeaux de fente au Canada,
À ces causes, sur avis conforme du secrétaire d'État aux Affaires extérieures et en vertu des alinéas 3a.1) et c) et de l'article 6 de la Loi sur les licences d'exportation et d'importa- tion, il plaît à Son Excellence le Gouverneur général en conseil de modifier, conformément à l'annexe ci-après, la Liste de marchandises d'exportation contrôlée, C.R.C., ch. 601.
ANNEXE
I. L'article 2003' de la Liste de marchandises d'exportation contrôlée est abrogé et remplacé par ce qui suit:
«2003. Blocs, billons, ébauches, planches et tout autre matériau ou produit de cèdre rouge propres à être utilisés pour la fabrication de bardeaux ordinaires ou de bardeaux de fente.
(Toutes destinations, y compris les États-Unis)»
Un résumé de l'étude d'impact de la réglementa- tion est joint au décret et à son annexe. Il ne fait pas partie du Règlement, mais il fournit au minis- tre qui propose la mesure, si ce n'est aux membres du Cabinet qui ont pris le décret C.P. 1988-288, des renseignements sur l'objet et l'effet du règle- ment proposé. La déposante, Mme Mulholland, a communiqué par interurbain avec un fonctionnaire (nommé) de la Direction du contrôle des exporta- tions, ministère des Affaires extérieures, à Ottawa, en vue d'obtenir le nom de l'auteur du résumé. Il
' DORS/86-710, Gazette du Canada Partie II, 1986, p. 2862.
lui a répondu [TRADUCTION] «que le résumé avait été rédigé par la Direction des affaires réglemen- taires, Bureau de Privatisation et affaires régle- mentaires».
Voici les passages pertinents de ce résumé qui faisait partie de l'ensemble des renseignements communiqués au Cabinet et au grand public:
(Ce résumé ne fait pas partie du règlement.)
Description
Les biens pour lesquels un permis d'exportation est requis, pour des raisons de sécurité nationale ou de politique intérieure, sont inscrits dans la Liste de marchandises d'exportation con- trôlée (LMEC). En juin 1986, les États-Unis imposaient un droit à l'importation de 35 % sur les bardeaux de fente et les bardeaux. Le gouvernement du Canada a réagi en plaçant sur la liste en question les blocs et billons de cèdre rouge qui peuvent être transformés en bardeaux et bardeaux de fente, afin d'en empêcher l'exportation aux États-Unis. Cette mesure était destinée à empêcher la perte d'emplois au Canada dans l'industrie de fabrication de bardeaux de fente et de bardeaux.
Certaines entreprises canadiennes usent d'une échappatoire dans la LMEC pour exporter des ébauches de cèdre rouge. En effet, ce produit qui sert à fabriquer des bardeaux ou des bardeaux de fente ne figure pas dans la liste.
La mesure modifiera la LMEC en y ajoutant les ébauches, planches et autres matériaux ou produits de cèdre rouge pou- vant servir à fabriquer des bardeaux de fente et des bardeaux, conformément à l'objet initial du règlement. Le fait de contrô- ler l'exportation de ces produits depuis le Canada va dans le même sens que les programmes des gouvernements du Canada et de la Colombie-Britannique destinés à promouvoir la trans formation des matériaux de cèdre rouge en bardeaux et bar- deaux de fente au Canada même. Cette mesure est prise en vertu de la Loi sur les licences d'exportation et d'importation. Autres mesures envisagées
La Loi sur les licences d'exportation et d'importation est le seul mécanisme de contrôle des exportations de bois et de produits de bois depuis le Canada. Le fait de ne pas modifier le règlement actuel aurait des conséquences néfastes à long terme pour l'industrie canadienne de fabrication de bardeaux de fente et de bardeaux.
Conformité à la Politique de réglementation et au Code d'équité
Puisqu'il était impossible de prévoir cette situation, aucun avis préalable de modification n'a été donné dans le plan de réglementation de 1988. Cette mesure est conforme à la politi- que qui plaçait les blocs et les billons de cèdre rouge sur la Liste de marchandises d'exportation contrôlée le 26 juin 1986.
Répercussions prévisibles
Selon le bureau du MEIR à Vancouver, les installations de fabrication de bardeaux de fente et de bardeaux, à partir du cèdre rouge canadien exporté, qui seraient établies aux États- Unis en raison de l'échappatoire actuelle feraient perdre de 10 à 20 % des 12 000 emplois qui existent au Canada dans cette industrie. Ces emplois et les installations américaines nouvelle-
ment établies pourraient être difficilement retransférables au Canada lorsque le droit de 35 % sur les bardeaux de fente et bardeaux sera finalement supprimé. Étant donné la modifica tion à la Liste de marchandises d'exportation contrôlée, tous les matériaux de cèdre rouge semi -transformés nécessiteront une licence d'exportation, qui serait normalement refusée pour les raisons susmentionnées.
Paperasserie et incidences sur les petites entreprises
Cette modification à la LMEC n'entraînera dans les faits aucun changement sur les plans de la paperasserie et des incidences sur les petites entreprises parce qu'elle respectera l'objet initial de la loi.
Consultation
Le bureau du MEIR à Vancouver est pour une modification à la LMEC. Il estime que si aucune modification n'est appor- tée, le nombre d'emplois dans l'industrie diminuera, les prix des bardeaux de fente et des bardeaux s'effondreront tandis que ceux des produits bruts canadiens augmenteront, et des petites entreprises seront obligées de fermer. Le gouvernement de la Colombie-Britannique appuie la modification.
Mécanismes d'observance à prévoir
Le sous-alinéa 3a. I), et l'alinéa 3c) et l'article 6 de la Loi sur les licences d'exportation et d'importation prévoient l'inclusion de ces produits dans la Liste de marchandises d'exportation contrôlée. L'article 19 de la Loi prévoit des sanctions.
Pour de plus amples informations contacter:
[nom], Directeur
Direction du contrôle des exportations
Direction générale des relations commerciales spéciales
Ministère des Affaires extérieures
... Ottawa ...
Qui qu'elle soit, la personne qui a fait la recher- che et préparé le résumé de l'étude d'impact n'a manifestement pas consulté cette compagnie cana- dienne privée viable qu'était alors la demande- resse, ou elle ne se souciait guère de l'effet de la réglementation sur l'entreprise ou sur ses employés. Pour appuyer cette affirmation, sinon pour en rapporter la preuve irréfutable, il suffit d'examiner les affidavits et les pièces jointes qui ont été produits pendant l'instance. La pièce «Cu jointe à l'affidavit déposé par M. Jones le 12 janvier 1988, est une démonstration remarquable.
Au visionnement de la bande magnétoscopique, on constate que la scie principale qui, en une passe initiale, taille une première tranche à même le bloc de cèdre pour produire une planche non ouvrée, se prête à une remise au point rapide et facile pour donner non pas une planche à rives parallèles, non ouvrée, mais plutôt un bardeau à faces convergen- tes, en forme de coin et non ouvré. S'il est vrai que cette dernière solution, à la comparer au processus visionné, n'écourte pas considérablement le proces-
sus de production, il semblerait qu'au lieu de s'en tenir à une courte planche, il aurait suffi de scier cette dernière diagonalement, du haut en bas de son épaisseur, pour en faire deux bardeaux biseau- tés. En superposition, le talon de l'un couvrant l'extrémité mince de l'autre, les deux feraient une planche, déduction faite du bois enlevé par sciage, des deux faces complémentaires, soit l'équivalent de l'épaisseur de la lame de scie.
Après le visionnement de la bande, la Cour a fait remarquer qu'il semblait y avoir une contra diction entre d'une part, la présentation et d'autre part, les affidavits déposés par M. Jones (paragra- phe 8) et M. Frank William White (paragraphe 11) dans lesquels il est affirmé que [TRADUCTION] «la production de courtes planchettes de cèdre n'exige pas moins de travail que celle des bar- deaux». Cette observation repose sur le fait que M. Jones, qui jouait le rôle du scieur dans la présenta- tion vidéo, a exécuté le même ébouttage sur le bardeau et sur la planchette. Donc, en l'absence d'erreur et de défauts dans le bois, comme il y a deux fois moins de planchettes que de bardeaux, il semble que la production des planchettes nécessite- rait en définitive deux fois moins de scieurs que la production des bardeaux pour une quantité donnée de blocs de cèdre.
Les deux déposants, MM. Jones et White, ont obtenu l'autorisation, avec le consentement de l'avocat des défendeurs, de produire chacun un [TRADUCTION] «deuxième affidavit complémen- taire», fait sous serment le 15 mars 1988, en vue de dissiper cette contradiction apparente. Voici les passages pertinents du deuxième affidavit complé- mentaire de M. Jones:
[TRADUCTION] 4. Dans la démonstration enregistrée sur bande magnétoscopique, pièce C, jointe à mon affidavit du 12 janvier 1988, j'ai débité de courtes planchettes et des bardeaux de cèdre. J'ai également déclaré dans ce document que la produc tion de courtes planchettes de cèdre n'exigeait pas moins de travail que celle de bardeaux. On m'a fait remarquer que, dans la présentation vidéo, je sciais un seul bardeau à la fois. Voici ce que j'ai à dire en réponse à ces observations:
a) Je suis président de la compagnie et je n'ai pas fait fonctionner une scie depuis quelques années.
b) Un scieur de métier coupe deux bardeaux à la fois, dans 90 % à 95 % des cas. Cette opération est possible parce que les bardeaux sont plus minces que les planchettes. Deux bardeaux ont à peu près la même largeur qu'une courte planchette de cèdre. Je souligne aussi que le chariot se déplace plus vite lorsque des bardeaux sont sciés. Le mouvement est plus lent lorsqu'il s'agit de
débiter des planchettes parce que celles-ci sont plus épaisses et qu'un déplacement trop rapide brûlerait la planchette et ferait dévier la scie.
c) Le scieur a tout intérêt à scier deux bardeaux en même temps. Il est rémunéré à un taux garanti de $127 par jour, mais il est aussi payé à la pièce. Un bon scieur recevra d'ordinaire un salaire moyen de $175 par jour et il peut gagner plus de $200.
d) La cadence d'un bon scieur est également déterminée par la scie qui coupe habituellement deux pièces de bois pendant que le scieur rogne les deux autres ensemble.
Donc, à la lumière des explications et des faits fournis dans les dépositions faites sous serment par les deux personnes apparemment les plus compé- tentes, il semble que la présentationn vidéo ne con- tredise pas vraiment les affirmations faites sous serment et voulant que [TRADUCTION] «la produc tion de courtes planchettes de cèdre n'exige pas moins de travail que celle de bardeaux». En ce qui concerne ces affirmations dont l'exactitude peut être démontrée, il semble que l'auteur du Résumé de l'étude d'impact de la réglementation n'ait pas tenu compte de l'état critique de la demanderesse, de celui d'autres entreprises placées dans des con ditions semblables, ni de leurs employés.
Pour faire rejeter la demande d'injonction pré- sentée par la demanderesse, les défendeurs ont produit l'affidavit de M. Eugene W. Smith, fonc- tionnaire fédéral occupant depuis 1983 le poste d'agent principal de développement industriel au ministère de l'Expansion industrielle régionale (MEIR) à Vancouver (l'organisme qui est men- tionné dans le Résumé de l'étude d'impact de la réglementation). Le déposant déclare que depuis 1951, date à laquelle il a obtenu un diplôme en foresterie de l'U.B.C., [TRADUCTION] «il a tra- vaillé continuellement [...] dans l'industrie fores- tière en Colombie-Britannique et dans l'État de Washington, [...] États-Unis [...], dans la com mercialisation et la fabrication de produits fores- tiers, et notamment des bardeaux de fente et des bardeaux [...1». L'une de ses tâches consiste à [TRADUCTION] «promouvoir le commerce [...] et le développement de l'industrie forestière en Colombie-Britannique», en sa qualité de [TRADUC- TION] «"principal agent de liaison" entre le minis- tère et les représentants de l'industrie forestière [...] pour ce qui concerne la promotion des activi- tés industrielles de cette industrie». Le déposant a lu l'affidavit de M. Jones, daté du 12 janvier 1988, et il a visionné le ruban magnétoscopique, qui constitue la pièce C jointe à cet affidavit.
Plus on lit l'affidavit de M. Smith, plus on se demande si c'est l'expression d'un message clair et simple qui est fautive ou si c'est le discours, pré- senté de façon habile, qui est confus et contradic- toire. Il affirme, par exemple, que l'imposition par les États-Unis d'un droit à l'importation de 35 % sur les bardeaux de fente et les bardeaux fabriqués au Canada visait à faire en sorte que les produits bruts nécessaires à leur fabrication valent plus cher aux États-Unis qu'au Canada. Cette affirma tion semble embrouiller le débat, tout comme le reste du paragraphe 4 de son affidavit. Le fait est que, dans ce cas-ci, la demanderesse n'exporte pas le produit brut, les billons et les blocs, aux États- Unis, elle les utilise au Canada pour fabriquer des produits manufacturés, de courtes planchettes de cèdre, qu'elle exportait librement aux États-Unis avant l'intervention des défendeurs.
M. Smith déclare en outre que, par suite de discussions avec les représentants de l'industrie forestière au sujet de la suffisance de l'approvision- nement de cèdre propre à la fabrication des bar- deaux de fente et des bardeaux, il croit sincère- ment que [TRADUCTION] «l'approvisionnement en cèdre à l'heure actuelle est insuffisant pour satis- faire à la demande de l'industrie pour ce produit». Il ne dévoile pas la source de ses renseignements, et de ce fait, aucun poids ne peut être accordé à son affirmation. Celle-ci est carrément contredite, de manière générale, par l'affidavit complémen- taire fait sous serment le 29 février 1988 et déposé par M. Jones le 29 février 1988 et par celui de M. White, fait sous serment le 10 mars 1988. Elle est contredite, de manière particulière, en ce qui con- cerne la demanderesse dans l'affidavit versé au dossier et fait sous serment le 10 mars 1988 par Michael Neil Dorais. Toujours au sujet de [TRA- DUCTION] «l'exportation libre de produits bruts», M. Smith fait une autre sombre prédiction au paragraphe 6 de son affidavit à propos de l'impos- sibilité de satisfaire à la demande au Canada. M. Smith déclare sous serment que, devant l'insuffi- sance de l'approvisionnement en cèdre pour satis- faire à la demande de l'industrie, évoquée ci-des- sus, le gouvernement du Canada va de l'avant avec un programme de développement quinquennal visant à faire augmenter la demande pour les produits de cèdre rouge, aux Etats-Unis, c'est-à- dire pour les bardeaux de fente et les bardeaux.
Selon la déposition de M. Smith, [TRADUC- TION] «l'un des objectifs précis dudit programme est de favoriser une transformation accrue des produits de cèdre rouge en bardeaux de fente et en bardeaux»—pas en courtes planchettes, à l'éviden- ce—«fabriqués au Canada, ce qui aurait pour effet de créer ou de récupérer environ 1 400 emplois directs dans l'industrie de la fabrication en Colombie-Britannique».
Les deux derniers paragraphes de l'affidavit de M. Smith, déposé au nom des défendeurs, méritent d'être cités intégralement, même si ceux-ci ne sont pas fondés sur des faits mais sur son opinion:
[TRADUCTION] 8. Selon moi, l'effet du programme de dévelop- pement du marché sera neutralisé si l'exportation des planchet- tes de cèdre rouge n'est pas restreinte parce qu'on n'aura plus besoin d'empaqueteurs de bardeaux qualifiés en Colombie-Bri- tannique et que la production de planchettes de cèdre pour l'exportation nécessitera moins de travail que la production de bardeaux. Cette diminution du nombre de travailleurs est attri- buable à la réduction, par mesure de sécurité, de la vitesse de fonctionnement des scies mécaniques à bardeaux. Deux bar- deaux destinés à être exportés aux États-Unis peuvent être fabriqués sous la forme d'une courte planchette pour la somme de travail nécessaire à la fabrication d'un seul bardeau. La productivité des scies mécaniques à bardeaux double presque lorsque de courtes planchettes sont exportées. À mon avis, jusqu'à 20 % des emplois dans l'industrie seraient perdus en Colombie-Britannique en raison du transfert aux Etats-Unis des opérations de second sciage et d'empaquetage si l'exporta- tion libre de courtes planchettes de cèdre était autorisée.
9. Selon moi, l'exportation libre de courtes planchettes de cèdre aux États-Unis forcera bon nombre de petits entrepreneurs dans l'industrie des bardeaux de fente et des bardeaux à fermer, ce qui pourrait entraîner un transfert permanent des opérations de second sciage et d'empaquetage aux Etats-Unis.
Les paragraphes précités, qui entrent enfin dans le vif du débat, sont en contradiction directe avec les preuves produites par la demanderesse, et notamment avec l'enregistrement magnétoscopi- que. Il convient de souligner qu'aucune des déposi- tions des deux parties n'a été vérifiée par le contre- interrogatoire des déposants respectifs avant l'au- dition de la requête de la demanderesse. La contra diction flagrante susmentionnée fait justement partie de la question à résoudre au procès. Le juge devra s'acquitter de la difficile mission de trancher des pronostics incompatibles sur l'emploi et l'éco- nomie et d'en tirer des conclusions de fait, si les parties n'améliorent pas la qualité de leurs élé- ments de preuve respectifs (sans nécessairement en augmenter le nombre).
Une autre question appelle un commentaire. D'après le texte même du décret C.P. 1988-288, celui-ci repose en partie sur l'alinéa 3c) de la Loi sur les licences d'exportation et d'importation. Il convient plus particulièrement d'examiner la dis position qui vise à maintenir au Canada- un appro- visionnement d'articles suffisant aux besoins de la défense ou autres. Si le mot «autres» doit être interprété comme un terme générique par rapport à l'expression «besoins de la défense», si on doit comprendre qu'il s'agit d'autres besoins liés à l'ap- provisionnement du type de matériel et d'autres articles dont l'exportation est susceptible d'être interdite en vertu de l'alinéa 3a), ou liés à un état de guerre ou à une autre situation d'urgence natio- nale, on se demande pourquoi l'exportation de courtes planchettes de cèdre est interdite à l'heure actuelle. Ni le Résumé de l'étude d'impact de la réglementation, ni l'affidavit de M. Smith ne font état de prétendus besoins liés à la défense natio- nale. S'agissant du premier document, on se demande alors si le gouverneur en conseil a été induit en erreur en formulant le décret ou si l'alinéa 3c) a été mentionné à dessein, pour faire bonne mesure.
Il convient aussi de remarquer que les affirma tions faites sous serment le 11 mars 1988, dans l'affidavit de l'avocat de la demanderesse, M. Robert Edward Marriott, visent à mettre quelque peu en doute la déclaration faite dans le Résumé de l'étude d'impact de la réglementation selon laquelle «Le gouvernement de la Colombie-Britan- nique appuie la modification.» D'après l'affidavit, M. Marriott a fait des vérifications auprès du British Columbia Timber Export Advisory Com mittee qu'on penserait au fait de la position du gouvernement, sans avoir pu obtenir de réponse positive. Il a également écrit à Ottawa au fonction- naire désigné dans le Résumé de l'étude d'impact de la réglementation, sans succès. On se demande pourquoi il n'a pas communiqué directement avec a) le bureau du premier ministre, b) le ministre concerné du gouvernement de la Colombie-Britan- nique, c) le greffier du Conseil ou d) avec toutes les personnes précitées. Si la question s'avérait pertinente, des renseignements précis à ce sujet seraient peut-être rapportés en preuve au procès. Il est loin d'être certain que le gouverneur en conseil ait été induit en erreur à propos de cette revendica- tion d'appui pour la modification.
La déclaration relative au pronostic d'emploi peut avoir été trompeuse, elle aussi, mais cette question doit être tranchée au procès, encore que cette tâche puisse s'avérer difficile selon la qualité de la preuve.
La présente instance met nettement en juxtapo sition d'une part, les droits et les obligations du gouverneur en conseil en matière de formulation des politiques, qui ne doivent être fondées ni sur le caprice ni sur la malveillance, pour ce qu'il estime être le plus grand bien commun, même si la mise en oeuvre de la politique devait nuire à des intérêts particuliers comme la demanderesse, et d'autre part, l'intérêt de la demanderesse qui consiste à gérer une entreprise commerciale, par ailleurs légi- time, dont l'un des aspects, et non le moindre, est l'emploi rémunérateur d'environ cent cinquante travailleurs.
En résumé, la demanderesse soutient que le gouverneur en conseil a été induit en erreur au sujet des répercussions dévastatrices de la régle- mentation sur les emplois de son entreprise, et comme l'alinéa 3a.1) de la Loi vise à préserver des emplois au Canada, la prise du décret C.P. 1988- 288 excédait les pouvoirs du gouverneur en conseil. Elle revendique le droit de faire appel à la cour pour interdire au gouvernement de mettre en application l'article 2003 contesté de la Liste de marchandises d'exportation contrôlée jusqu'à la résolution du présent litige.
En bref, l'avocat des défendeurs soutient que, sans égard au résumé de l'étude d'impact qui ne fait pas partie du texte officiel, le décret C.P. 1988-288 est l'expression légale d'une politique gouvernementale et il constitue un acte légitime de gouvernement, tout à fait compatible avec les pou- voirs législatifs conférés au gouverneur en conseil. La demanderesse n'a pas le droit de faire appel à la Cour pour suspendre la mise en oeuvre de la réglementation à son égard, en attendant l'issue du présent litige.
Une volumineuse jurisprudence a été citée par les deux parties.
À tout le moins depuis la décision de la Cour suprême dans l'affaire Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735; 115 D.L.R. (3d) 1, si ce n'est bien avant, il n'est pas impensable qu'une décision
du gouverneur en conseil puisse être et soit sou- mise à un contrôle judiciaire. Le juge Estey, qui a rendu le jugement de la Cour suprême, déclare aux pages 748 R.C.S.; 11 D.L.R.:
Il faut dire tout de suite que la simple attribution par la loi d'un pouvoir au gouverneur en conseil ne signifie pas que son exercice échappe à toute révision. Si ce corps constitué n'a pas respecté une condition préalable à l'exercice de ce pouvoir, la cour peut déclarer ce prétendu exercice nul.
Le fait est qu'en l'espèce, les défendeurs, à l'excep- tion de Sa Majesté la Reine, peuvent faire l'objet d'une injonction interlocutoire s'il semble que l'on n'ait pas respecté les dispositions de l'alinéa 3a.1) de la Loi en tenant compte d'informations trom- peuses. C'est une question sérieuse qui doit être résolue au procès. Si la prise du décret est ultra vires des pouvoirs du gouverneur en conseil, dans les circonstances, est-ce aussi une question sérieuse devant être résolue au procès? C'est le cas, en effet.
En revanche, les défendeurs s'appuient sur la décision de la Cour suprême du Canada exprimée par le juge Dickson, maintenant juge en chef du Canada, dans l'affaire Thorne's Hardware Ltd. et autres c. La Reine et autre, [1983] 1 R.C.S. 106. Voici un passage tiré de la page 115:
Je mentionne ces différents éléments de preuve non pas pour examiner les considérations qui ont pu motiver le gouverneur en conseil à prendre le décret, mais pour démontrer que l'extension du port a été une question économique et politique plutôt qu'une question de compétence ou de droit pur. Le gouverneur en conseil a manifestement cru avoir des motifs raisonnables de prendre le décret C.P. 1977-2115 qui étendait les limites du port de Saint-Jean et nous ne pouvons nous enquérir de la validité de ces motifs afin de déterminer la validité du décret. [Texte non souligné dans l'original.]
Bien entendu, la déclaration précitée a été faite dans le cadre d'un appel attaquant la décision rendue à l'issue d'un procès portant sur la question même de savoir si la prise du décret C.P. 1977- 2115 [DORS/77-621] excédait ou non les pouvoirs du gouverneur en conseil. À l'étape actuelle de la requête préliminaire, la Cour ne saurait prétendre statuer de façon définitive sur cette question ultime. En fait, il faudrait être voyant pour prédire à ce stade-ci quelle sera l'issue du litige. Le point litigieux n'est pas résolu dans le cadre des présen- tes procédures.
D'ordinaire, la Cour refuse de prétendre imposer une politique aux décideurs. Voir à ce propos
l'affaire MacMillan Bloedel Ltd. v. Min. of Forests of B.C. (1984), 51 B.C.L.R. 105 (C.A.). L'autorisation d'en appeler de ce jugement a été refusée [ 1984] 1 R.C.S. x. Il arrive parfois, comme en l'instance, qu'il soit difficile d'établir une dis tinction entre le pouvoir d'adopter une réglementa- tion et le pouvoir de décider des objectifs de la réglementation. Il appartiendra au juge de pre- mière instance de statuer sur ce point.
L'avocat de la demanderesse invoque la juris prudence suivante: CKOY Ltd. c. Sa Majesté La Reine sur la dénonciation de Lorne Mahoney, [1979] 1 R.C.S. 2; (1978), 90 D.L.R. (3d) 1; In re Public Utilities Act (Milk Board); In re Crowley (Avalon Dairy Ltd.) (1954), 12 W.W.R. (N.S.) 626 (C.S.C.-B.); American Cyanamid Co. v. Ethi- con Ltd., [1975] A.C. 396; [1975] 1 All E.R. 504 (H.L.); K. J. Preiswerck Ltd. v. Los Angeles- Seattle Motor Express Inc. (1957), 22 W.W.R. 93 (C.S.C.-B.); Pacific Salmon Industries Inc. c. La Reine, [1985] 1 C.F. 504 (1" inst.); et Baird c. La Reine du chef du Canada, [1984] 2 C.F. 160; (1983), 148 D.L.R. (3d) 1 (C.A.). Les défendeurs se sont appuyés sur les affaires suivantes: Thorne's Hardware Ltd. et autres c. La Reine (précitée); Procureur général du Canada c. Fishing Vessel Owners' Association of B.C., [1985] 1 C.F. 791 (C.A.); Procureur général du Canada c. Gould, [1984] 1 C.F. 1133 (C.A.); et Manitoba (Procu- reur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110.
Dans les circonstances, la plus récente affaire, celle qui fait autorité et qui ressemble le plus au cas qui nous occupe est le jugement unanime Metropolitan Stores rédigé par le juge Beetz pour les autres membres de la Cour supreme du Canada. Il s'agissait de savoir s'il fallait suspendre les procédures engagées devant la Manitoba Labour Relations Board en vue d'obtenir l'imposi- tion d'une première convention collective, en atten dant l'issue d'une action visant à déterminer la validité constitutionnelle des dispositions législati- ves permettant l'imposition d'une première conven tion collective. Le juge de la Cour du Banc de la Reine a refusé de suspendre les procédures enga gées devant la Commission, mais la Cour d'appel, jugeant que le litige pouvait être plus long que ne l'avait prévu le juge de la Cour du Banc de la Reine, a décidé à l'unanimité d'exercer son pouvoir
discrétionnaire de prononcer la suspension des pro- cédures engagées devant la Commission.
Les points en litige ayant été formulés, voici comment le juge Beetz présente à la page 121 les raisons qui ont motivé la résolution de deux des quatre questions énoncées:
Les deuxième et quatrième questions se ramènent essentielle- ment au même point: lorsque la constitutionnalité d'une dispo sition législative est contestée, quels sont les principes que doit suivre un juge de la cour supérieure dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire d'ordonner la suspension d'instance en attendant une décision sur la constitutionalité de la disposition attaquée? Cette question se pose non seulement dans les affai- res relevant de la Charte mais aussi dans d'autres affaires constitutionnelles et je me propose d'examiner certaines déci- sions portant sur le partage des pouvoirs entre le Parlement et les législatures ainsi que quelques décisions de droit administra- tif concernant la validité de la législation déléguée. Selon mon interprétation de cette jurisprudence, il n'existe, du point de vue des principes applicables au redressement sous forme d'injonc- tion interlocutoire, aucune différence fondamentale entre ce type d'affaires et celles relevant de la Charte.
Les considérations précitées sont sans nul doute pertinentes en l'espèce. Le juge Beetz les aborde à la page 126 dans le cadre d'un historique bref et fouillé sous la rubrique «Les conditions normales de la suspension d'instance». Il souligne la page 127) que «La suspension d'instance et l'injonction interlocutoire sont des redressements de même nature. moins qu'un texte législatif ne prescrive un critère différent, elles ont suffisamment de traits en commun pour qu'elles soient assujetties aux mêmes règles et c'est avec raison que les tribunaux ont eu tendance à appliquer à la suspen sion interlocutoire d'instance les principes qu'ils suivent dans le cas d'injonctions interlocutoires: [affaires citées].» Les caractéristiques de la pré- sente affaire sont telles qu'elle peut facilement, en toute logique, être rangée parmi les affaires consti- tutionnelles, même si cette affaire ne soulève pas de question relative au partage des compétences entre le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial ni, à première vue, de question relevant de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi consti- tutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)].
Dans la mesure la Cour suprême du Canada dans l'affaire Metropolitan Stores a approuvé le critère la page 128) de l'existence «d'une ques tion sérieuse à juger, par opposition à une réclama- tion futile ou vexatoire» dans «une affaire constitu-
tionnelle [.. .] l'intérêt public est pris en considération dans la détermination de la prépon- dérance des inconvénients», il est évident, d'après les éléments examinés jusqu'ici, que la présente affaire satisfait à ce critère.
Il faut reconnaître que le résultat serait différent si le critère consistait à établir une apparence de droit suffisante. La demanderesse ne conteste pas le pouvoir du Parlement d'adopter l'article 3 de la Loi, mais il convient quand même de se demander si l'inscription du nouvel article 2003 sur la Liste de marchandises d'exportation contrôlée constitue un exercice légal ou par ailleurs légitime des pou- voirs conférés au gouverneur en conseil. Ce pou- voir discrétionnaire semble général, étendu et pra- tiquement absolu. La modification portant inscription du nouvel article 2003 paraît valide à première vue. C'est la conclusion à laquelle la Cour est arrivée dans des causes récentes similai- res relatives à la contestation de divers règlements: Aerlinte Eireann Teoranta c. Canada, [1987] 3 C.F. 383 (lie inst.); et C.E. Jamieson & Co. (Dominion) c. Canada (Procureur général), [ 1988] 1 C.F. 590; (1987), 12 F.T.R. 167 (lfe inst.). En l'espèce, la demanderesse affirme posséder des élé- ments de preuve et des arguments de droit pour établir que les renseignements erronés qui ont apparemment induit en erreur le gouverneur en conseil et dont on peut démontrer qu'ils sont mal fondés constituent le seul fondement législatif per- mettant l'inscription de l'article 2003 sur la liste, avec les résultats dévastateurs que l'on sait sur l'entreprise de la demanderesse. Les défendeurs ont produit des affidavits pour réfuter cette thèse. Les causes susmentionnées sont des procès. En l'espèce, il s'agit d'une requête tendant à obtenir une injonction interlocutoire qui soulève bel et bien une question sérieuse, mais limitée, devant être tranchée au procès, bien que ne constituant pas une forte apparence de droit. On a donc satisfait au critère, sans plus.
Le deuxième critère consiste à décider si la partie qui cherche à obtenir l'injonction subira, si ce redressement n'est pas accordé, un préjudice irréparable. En matière commerciale, par exemple dans les litiges relatifs à la propriété intellectuelle les parties peuvent se trouver dans des condi tions à peu près similaires sur le plan de la viabi- lité, de la stabilité et des ressources, sans toutefois
qu'aucune ne dispose de ressources illimitées, ce critère du «préjudice irréparable» peut jouer en faveur des deux parties et il peut même être exa- miné sous la rubrique «prépondérance des inconvé- nients». Ce n'est pas le cas en l'espèce. Il est certain qu'en l'espèce, le critère du «préjudice irré- parable» ne fait pas référence à la chute du gouver- nement actuel ni jusqu'ici à une restriction des pouvoirs ou de la continuité du gouvernement fédéral. Comme la présente affaire constitue ce que le juge Beetz a appelé un «cas d'exemption», elle ne vise pas l'ensemble des fabricants de pro- duits forestiers. Dans les circonstances, seule la demanderesse subit carrément un préjudice irrépa- rable, en l'occurence la fermeture de son établisse- ment et la perte concomitante et désastreuse de plus de cent cinquante emplois, en raison de la mise en application du décret portant inscription de l'article contesté sur la Liste de marchandises d'exportation contrôlée et de l'absence de la licence d'exportation nécessaire. Point n'est besoin d'établir de subtiles distinctions en l'espèce. Sans l'ombre d'un doute, la demanderesse a démontré, compte tenu de sa situation critique, qu'elle satis- faisait largement au critère du préjudice irrépara- ble.
Il convient ensuite d'examiner le troisième cri- tère, celui de la prépondérance des inconvénients, à l'instar du juge Beetz dans l'affaire Metropolitan Stores à la page 129. Lorsque, comme dans cette cause et la présente instance, une injonction inter- locutoire est demandée dans une affaire constitu- tionnelle, l'intérêt public est un élément particulier dont il faut tenir compte. A ce propos, le juge Beetz écrit la page 129) que «les tribunaux estiment qu'ils ne doivent pas se limiter à l'applica- tion des critères traditionnels régissant l'octroi ou le refus d'une injonction interlocutoire dans les affaires civiles ordinaires». Reprenant l'opinion de lord Diplock dans l'affaire American Cyanamid, précitée, aux pages 407 A.C.; 510 All E.R., selon laquelle les épineuses questions de droit doivent être tranchées par le juge du procès, le juge Beetz déclare ce qui suit, à la page 130:
American Cyanamid était une affaire civile complexe, mais l'opinion de lord Diplock que je viens de citer doit, pour plusieurs raisons, être suivie à fortiori dans une affaire relevant de la Charte comme dans les autres affaires constitutionnelles il y a contestation de la validité d'une loi.
Premièrement, l'étendue et le sens exact des droits garantis par la Charte sont souvent loins d'être clairs et la procédure
interlocutoire permet rarement à un juge saisi d'une requête de trancher ces questions capitales. Les litiges constitutionnels se prêtent particulièrement mal à la procédure expéditive et infor- melle d'une cour des sessions hebdomadaires les actes de procédure et les arguments écrits sont peu nombreux ou même inexistants et le procureur général du Canada ou de la province peut ne pas avoir encore reçu l'avis qu'exige générale- ment la loi: voir Home Oil Distributors Ltd. v. Attorney -Gene
ra! for British Columbia, [1939] 1 D.L.R. 573, la p. 577; Weisfeld c. R. (1985), 16 C.R.R. 24, et, pour un exemple extrême, Turmel c. Conseil de la radiodiffusion et des télé- communications canadiennes (1985), 16 C.R.R. 9.
Sous la rubrique «Les conséquences de la sus pension d'instance dans les affaires constitution- nelles» la page 133), le juge Beetz écrit encore aux pages 134 et 135:
... la suspension d'instance accordée à la demande des plai- deurs privés ou de l'un d'eux vise normalement un organisme public, un organisme d'application de la loi, une commission administrative, un fonctionnaire public ou un ministre chargé de l'application ou de l'administration de la loi attaquée. La suspension d'instance peut en général avoir deux effets. Elle peut prendre la forme d'une interdiction totale d'appliquer les dispositions attaquées en attendant une décision définitive sur la question de leur validité ou elle peut empêcher l'application des dispositions attaquées dans la mesure elle ne vise que la partie ou les parties qui ont précisément demandé la suspension d'instance. Dans le premier volet de l'alternative, l'application des dispositions attaquées est en pratique temporairement sus- pendue. On peut peut-être appeler les cas qui tombent dans cette catégorie les «cas de suspension». Dans le second volet de l'alternative, le plaideur qui se voit accorder une suspension d'instance bénéficie en réalité d'une exemption de l'application de la loi attaquée, laquelle demeure toutefois opérante à l'égard des tiers. J'appellerai ces cas des «cas d'exemption».
Qu'elles soient ou non finalement jugées constitutionnelles, les lois dont les plaideurs cherchent à obtenir la suspension, ou de l'application desquelles ils demandent d'être exemptés par voie d'injonction interlocutoire, ont été adoptées par des législa- tures démocratiquement élues et visent généralement le bien commun, par exemple: assurer et financer des services publics tels que des services éducatifs ou l'électricité; protéger la santé publique, les ressources naturelles et l'environnement; réprimer toute activité considérée comme criminelle; diriger les activités économiques notamment par l'endiguement de l'inflation et la réglementation des relations du travail, etc. Il semble bien évident qu'une injonction interlocutoire dans la plupart des cas de suspension et, jusqu'à un certain point, comme nous allons le voir plus loin, dans un bon nombre de cas d'exemption, risque de contrecarrer temporairement la poursuite du bien commun.
En l'espèce, l'appréciation des inconvénients subis par les parties, notamment les conséquences pour l'intérêt public ou le bien commun dans le cas des défendeurs, aboutit à un résultat non équivo- que. Les «inconvénients» subis par la demanderesse représentent un préjudice irréparable dont l'issue s'annonce tout à fait catastrophique pour son
entreprise et ses employés. S'il en allait autrement, la demanderesse serait tenue, indiscutablement, de se soumettre à la loi (réglementation), tout en en contestant la validité. Cependant, la réglementa- tion la force à se retirer des affaires. En revanche, si la demanderesse était temporairement exemptée de l'application de la réglementation portant ins cription de l'article 2003 sur la Liste de marchan- dises d'exportation contrôlée jusqu'à la résolu- tion du litige—le tort causé au gouvernement du Canada et au public qu'il sert serait négligeable et probablement imperceptible. Aucun des défen- deurs n'a prétendu que la reprise de l'exportation des planchettes de cèdre par la seule demanderesse et uniquement jusqu'à ce que soit résolue la ques tion en litige, aurait des effets globaux contraires à l'objectif poursuivi sur l'industrie des produits forestiers, celle des bardeaux de fente et des bar- deaux, l'économie de la Colombie-Britannique ou celle du Canada, ni même qu'elle aurait un effet perceptible. À ce propos, les défendeurs redoutent des répercussions macro-économiques, comme l'in- diquent l'affidavit déposé en leur nom et le Résumé de l'étude d'impact de la réglementation. L'idée que les industries ou les économies susmen- tionnées puissent subir de façon perceptible le contrecoup micro-économique de l'autorisation de l'exportation par la demanderesse de courtes plan- chettes de cèdre ne suscite même pas l'ombre d'une inquiétude.
Dans l'affaire Metropolitan Stores, le juge Beetz a donné l'exemple de tribunaux qui ont maintenu la loi ou la réglementation contestée en vertu d'une théorie reconnue voulant que ces textes sont inévitablement adoptés ou mis en oeuvre dans l'intérêt public, pour le bien commun, parce qu'ils ont été adoptés par des législatures élues démocra- tiquement ou mis en oeuvre par leurs mandataires. Même si cela était vrai, le législateur ou l'autorité qui met en oeuvre les textes législatifs pourraient quand même porter atteinte aux droits des indivi- dus ou des groupes. En outre, en l'espèce, bien qu'aucune preuve de mauvaise foi n'ait été rappor- tée jusqu'ici, on peut voir que les défendeurs ont poursuivi et piégé la demanderesse en se servant de leurs pouvoirs de réglementation. Au début, la demanderesse dirigeait conformément à la loi son entreprise génératrice d'emplois. Puis, un ou plu- sieurs des subordonnés des défendeurs l'ont appa- remment empêchée illégalement d'exporter de
courtes planchettes de cèdre. La demanderesse a alors intenté la présente poursuite. Se rendant sans doute compte ou ayant été informés du fait qu'ils n'avaient pas raison, les défendeurs ont contre- mandé leurs ordres. Dix jours plus tard, et comme pour tenir lieu de déclaration, les défendeurs ont pris un décret portant inscription de l'article 2003 sur la Liste de marchandises d'exportation con- trôlée, ce qui aurait pu, et dans les faits, a mis un terme à l'entreprise génératrice d'emplois. Les défendeurs bénéficiaient de l'avantage merveilleux de pouvoir élaborer et modifier la loi de façon précise pour faire obstacle à l'entreprise de la demanderesse et faire échec aux recours légaux mis en œuvre par suite de leur intervention. Si l'injonction interlocutoire n'était pas accordée, la demanderesse pourrait être privée des ressources nécessaires pour porter sa cause devant les tribunaux.
Si l'intérêt public ou le bien commun a pris un nouveau visage depuis que les défendeurs ont illé- galement fait obstacle à l'exportation par la demanderesse de courtes planchettes de cèdre, le public ne peut pas s'en être rendu compte. Pour l'essentiel, il ne s'agit pas d'une cause dans laquelle un requérant contrevient à la loi existante (comme dans l'exemple donné par le juge Linden dans l'affaire Morgentaler et al. v. Ackroyd et al. (1983), 42 O.R. (2d) 659 (H.C.)) et cherche en même temps à en empêcher l'application. En l'es- pèce, le législateur a adopté une nouvelle loi pour piéger un entrepreneur et employeur respectueux de la loi. La règle de droit impérative, consacrée par la Constitution, ayant fait place ici à une illusion, la demanderesse a uniquement droit au statu quo pour elle et ses employés, jusqu'à ce que les questions sérieuses qu'elle soulève aient été tranchées définitivement.
Il s'agit d'un cas limite, il convient de le recon- naître, car l'exercice du pouvoir politique par le gouvernement fédéral ne doit pas être trop facile- ment mis en échec. Quoiqu'il en soit, il ne fait pas de doute quelle partie doit avoir gain de cause dans la présente demande d'injonction interlocutoire. En sa capacité d'autorité investie du pouvoir délé- gué de faire des règlements, même le gouverneur en conseil, par sa façon de s'acquitter de sa mis sion, en raison des avis sur lesquels il semble se
fonder ou par le fait qu'il semble se prévaloir d'un avantage excessif pour atteindre les objectifs du gouvernement, peut être à l'origine d'une injonc- tion interlocutoire dont le gouvernement fera l'ob- jet jusqu'au jugement définitif. Tel est bien le cas en l'espèce. Il s'agit à n'en pas douter d'un cas d'exemption.
Comment mesurer les dommages dans une affaire relevant du droit public, et non du droit commercial, comme celle-ci? La demanderesse a offert de garantir les défendeurs contre les dom- mages qu'ils pourraient subir par suite de l'obten- tion de l'injonction interlocutoire. Ni les défen- deurs ni le public ne subiront de dommages. Si la demanderesse peut remettre sur pied son entre- prise et rappeler ses employés, tout le monde sera gagnant.
La demanderesse a le droit d'obtenir l'injonction interlocutoire qu'elle demande, pour interdire aux défendeurs, sauf à Sa Majesté, de faire obstacle à l'exportation par la demanderesse de courtes plan- chettes de cèdre jusqu'à ce que l'action qu'elle a intentée soit jugée, ou que la Cour n'ordonne autrement. Afin de maintenir l'injonction dans les limites d'un cas d'exemption, la demanderesse doit être titulaire de la licence d'exportation appro- priée, dont la délivrance par les défendeurs est ordonnée pour la durée du litige.
Sauf si la demanderesse, avec la collaboration des défendeurs, procède avec toute la diligence et la résolution voulues, les défendeurs peuvent, bien entendu, demander péremptoirement la prise d'une ordonnance pour écarter cette injonction. Au besoin, la demanderesse peut, bien sûr, faire exé- cuter l'ordonnance de la Cour dans l'éventualité peu probable de son non-respect. À la lumière de la décision Bhatnager [Bhatnager c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1988] 1 C.F. 171 (C.A.)] rendue récemment, il va sans dire que l'avocat devrait communiquer les termes de l'injonction interlocutoire aux défendeurs.
En accordant à la demanderesse ses frais suivant le sort de la cause, la Cour n'émet pas de critique défavorable sur la conduite de l'avocat des défen- deurs. Sa conduite a été la quintessence du profes- sionalisme chez un adversaire raisonnable et coo- pératif, mais néanmoins efficace.
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