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T-4178-78
Joseph Apsassin, chef de la bande indienne de la rivière Blueberry, et Jerry Attachie, chef de la bande indienne de la rivière Doig, en leur nom et en celui de tous les autres membres de la bande indienne de la rivière Doig, de la bande indienne de la rivière Blueberry et de tous les descendants encore vivants de la bande indienne des Castors (demandeurs)
c.
Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représen- tée par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien et le Directeur des terres destinées aux anciens combattants (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: APSASSIN c. CANADA (MINISTÈRE DES AFFAI- RES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN)
Division de première instance, juge Addy—Van- couver, 12 au 15, 20 au 22, 26 au 30 janvier, 2 au 6, 9 au 13, 16 au 19, 23 au 27 février, 9 au 12, 23 au 27 mars; Ottawa, 4 novembre 1987.
Peuples autochtones Terres Titre juridique sur une ancienne réserve indienne et les droits miniers y afférents Conséquence de la cession des droits miniers et validité de la cession subséquente de la réserve Les Indiens ont-ils donné un consentement libre et éclairé Formalités Nature du droit des Indiens sur les terres de la réserve Nature des liens de fiduciaire entre la Couronne et les Indiens et des obligations de la Couronne à cet égard Validité de la cession des terres de la réserve par le ministère des Affaires indiennes au Directeur des terres destinées aux anciens com- battants Inclusion des droits miniers dans le transfert Violation des obligations fiduciaires par le Ministère à l'égard du prix de vente Le Directeur n'a ni l'obligation ni le pouvoir de rétrocéder les terres ou les droits miniers aux Indiens En vertu du traité original portant sur la mise de côté de la réserve, les Indiens n'ont pas droit, après la cession, au même nombre d'acres de terres de réserve.
Droit constitutionnel Charte des droits Vie, liberté et sécurité La Charte ne peut être invoquée pour contester l'art. 8 de la Limitations Act de la C.-B. parce qu'elle ne s'applique pas aux droits ni aux dommages-intérêts relatifs à l'aliénation de biens (cession et transfert de terres de réserve indienne) Non-rétroactivité de la Charte L'art. 7 porte sur le bien-être physique de la personne et ne comprend pas la protection des biens Un délai de prescription applicable à tous les résidents de la province ne contrevient pas aux princi- pes de justice fondamentale.
Droit constitutionnel -- Charte des droits Droits à l'égalité L'art. 8 de la Limitations Act de la C.-B. empêche la contestation de la validité de la cession et du transfert des terres des réserves indiennes L'art. 8 ne contrevient pas à l'art. 15 de la Charte qui garantit à chacun un traitement semblable dans des circonstances semblables et non un traite-
ment identique pour tous, quelles que soient les circonstances
L'art. 15 n'exige pas des lois identiques dans chaque province, car il ne doit pas avoir pour effet de détruire le fédéralisme.
Déclaration des droits Égalité devant la loi L'art. 8 de la Limitations Act de la C.-B. ne contrevient pas à l'art. lb) de la Déclaration des droits La Déclaration des droits n'oblige pas le Parlement à adopter des lois uniformes dans tout le pays Les différences, d'une province à l'autre, quant aux délais de prescription ne constituent pas de la discrimination.
Déclaration des droits Application régulière de la loi Les dispositions portant prescription qui sont d'application générale, comme dans la Limitations Act de la C.-B., ne constituent pas une violation de l'application régulière de la loi
Une disposition portant prescription finale ne prive pas du droit d'intenter un procès ni du droit d'accès aux tribunaux Elle impose simplement un délai dans lequel l'action doit être intentée.
Pratique Prescription En vertu de l'art. 38 de la Loi sur la Cour fédérale, les lois de la Colombie-Britannique en matière de prescription sont applicables Action intentée après l'expiration de la prescription finale de 30 ans Les dispositions de la loi portant prescription ont préséance sur les autres lois.
Pratique Preuve Commission rogatoire Enregistre- ment magnétoscopique Recommandations sur la façon de filmer les témoins, de visionner les vidéocassettes, d'employer le son Recommandation portant que la Cour étudie la possibilité d'enregistrer les témoignages aux audiences sur vidéocassette Caractère inadéquat des notes de transcrip tion.
Pratique Preuve Commission rogatoire Interprètes
L'interprète devrait traduire les questions et les réponses mot à mot et non seulement l'essentiel de la conversation tenue avec le témoin Les audiences en commission rogatoire devraient être tenues en présence de juristes compétents et expérimentés, comme un juge ou un protonotaire, qui connais- sent les règles de preuve et de procédure.
La réserve indienne 172 (R.I. 172), comprenant 18 168 acres, a été mise de côté pour les bandes demanderesses en 1916, en vertu du Traité 8 dont les parties reconnaissent la validité. En 1940, les bandes demanderesses ont cédé les droits miniers afférents à la R.I. 172, aux fins de location, au minis- tère des Affaires indiennes (M.A.I.). La validité de cette cession n'est pas contestée. En 1945, toute la réserve a été cédée au M.A.I. En 1948, le M.A.I. a transféré la R.I. 172 au Directeur des terres destinées aux anciens combattants pour la somme de 70 000 $ et le Directeur a par la suite aliéné des parties de ces terres, y compris les droits miniers y afférents, à des anciens combattants et à d'autres personnes. En 1976, on a trouvé une quantité considérable de pétrole sur la R.I. 172. L'action concerne principalement le titre juridique sur la R.I. 172 et les droits miniers afférents à ces terres.
Les demandeurs allèguent que (1) entre 1916 et 1945, la défenderesse s'est rendue coupable de plusieurs actes et omis sions équivalant à de la négligence et elle a violé ses obligations fiduciaires envers les demandeurs en permettant l'utilisation non autorisée de terres et la réglementation inadéquate par la province; (2) la cession effectuée en 1945 était nulle ou annula-
ble; (3) la défenderesse s'est rendue coupable de fraude en obtenant le consentement des bandes indiennes à la cession effectuée en 1945; (4) l'acceptation par la défenderesse de la cession effectuée en 1945 était nulle parce qu'elle ne respectait pas l'article 51 de la Loi sur les Indiens; (5) le transfert effectué en 1948 au Directeur ne respectait pas l'article 54 de la Loi sur les Indiens; (6) le transfert de 1948 était nul en ce qui concerne les droits miniers parce que la bande indienne n'avait jamais cédé ces droits pour qu'ils soient vendus et que la cession ne respectait pas les exigences de l'article 54 de la Loi sur les Indiens et de l'article 41 de la Loi des terres fédérales; (7) en transférant ces terres en 1948 au Directeur, la défende- resse s'est rendue coupable de plusieurs violations à ses obliga tions fiduciaires et a en outre agi frauduleusement; (8) depuis 1948, la défenderesse et le Directeur ont tous les deux violé les obligations fiduciaires auxquelles ils étaient tenus et ont agi frauduleusement en ce qui concerne les droits miniers; et (9) tous les transferts de droits miniers au Directeur effectués depuis 1952 sont nuls parce qu'ils ne respectaient pas les exigences de la Loi sur les Indiens.
Les demandeurs sollicitent un jugement déclarant que la cession de 1945 et le transfert de 1948 sont nuls en ce qui concerne l'ensemble de la R.I. 172 ou, du moins, qu'ils sont nuls en ce qui a trait aux droits miniers. Ils demandent en outre un jugement déclarant qu'ils continuent à avoir droit, en vertu du Traité 8, à la même superficie de réserve que celle qui avait été mise de côté pour eux à l'origine.
La défenderesse a plaidé que l'action était prescrite. En réponse, les demandeurs ont fait valoir que la prescription ne pouvait courir contre eux à cause de la fraude continue de la défenderesse à leur égard et des violations de ses obligations fiduciaires. Ils ont également contesté la validité des articles 8 et 9 de la Limitations Act de la C.-B., en vertu de la Charte des droits et de la Déclaration des droits.
Jugement: l'action est rejetée.
A—Enregistrement magnétoscopique des dépositions faites devant une commission rogatoire. Les dépositions enregistrées par sept témoins ont être révisées pour en vérifier l'exacti- tude parce qu'elles n'avaient pas été obtenues de façon adé- quate; dans chaque cas, les avocats indiquaient à l'interprète la nature des renseignements qu'ils souhaitaient obtenir du témoin et l'interprète rapportait en quelques mots ce qu'il considérait l'essentiel de sa conversation avec le témoin. La caméra devrait être installée de manière à prendre le visage du témoin en gros plan et de face. Elle devrait également enregistrer le son. A l'instruction, l'écran de télévision devrait être placé en face du juge. Lorsque c'est possible, le témoignage par commission rogatoire devrait être reçu par un juriste compétent et expéri- menté. Il vaudrait peut-être la peine d'examiner la possibilité de prévoir dans les Règles de la Cour, à titre de complément au service ordinaire de transcription, l'enregistrement magnétosco- pique de témoignages au cours de certains procès. Les trans criptions de témoignages sont parfois trompeuses et des progrès techniques considérables ont été réalisés récemment dans le domaine de l'enregistrement, image et son, sur ruban magnétoscopique.
B—Nature du titre, du rapport et de l'obligation. Il fallait établir, dès le début, qu'il était presque indubitable que, dans les années 1940, les bandes demanderesses n'avaient pas les
compétences nécessaires pour s'occuper de planification finan- cière ou de l'établissement d'un budget ni, en général, d'admi- nistrer financièrement leurs affaires.
Il est entendu que le droit des Indiens sur des biens immobi- liers n'est pas un droit de propriété reconnu par la loi mais simplement un [TRADUCTION] «droit personnel, de la nature d'un usufruit». Le droit des Indiens est inaliénable, sauf dans le cas d'une cession et il impose par sa nature à la Couronne une obligation d'equity, exécutoire en justice, d'utiliser ces terres au profit des Indiens. Cette obligation est soumise à des principes très semblables à ceux qui régissent le droit des fiducies, en ce qui concerne notamment le montant des dommages-intérêts en cas de manquement. La Couronne n'est tenue par aucune obligation ou rapport fiduciaire spécial en ce qui concerne les terres des réserves avant qu'elles ne soient cédées et une fois que les terres cédées ont été transférées. Sauf certaines restric tions prévues dans la Loi sur les Indiens, les Indiens ne doivent pas être légalement traités comme s'ils étaient incapables d'exercer pleinement leurs droits. Toutefois, lorsque des con- seils sont demandés ou qu'ils sont offerts, la Couronne est tenue de faire preuve d'une prudence raisonnable. Cette obligation dépendra du degré de connaissance ou de subtilité dont font preuve les Indiens. Et lorsqu'il existe un véritable rapport fiduciaire, comme c'est le cas en l'espèce par suite de la cession de '1945, la Couronne doit faire preuve du même degré de prudence et de diligence que lorsqu'il s'agit d'une véritable fiducie.
La partie des motifs portant sur la preuve afférente aux droits miniers a été résumée dans la note de l'arrêtiste. D'après cette preuve, la Couronne n'a pas manqué à ses obligations fiduciaires envers les demandeurs. On ne pouvait raisonnable- ment s'attendre à ce que les fonctionnaires, préposés ou manda- taires de la Couronne prévoient, en 1948 ou avant, que les droits miniers éventuels afférents à la R.I. 172 auraient une valeur réelle ou qu'il y aurait un avantage raisonnablement prévisible à conserver ces droits.
C—Traité 8. En 1950, après la cession et l'aliénation de la R.I. 172 dont la superficie était de 18 168 acres, les deman- deurs ont obtenu trois nouvelles réserves couvrant quelque 6 194 acres. Ils prétendent avoir droit, en vertu du Traité, à la différence, soit une superficie de 11 974 acres. Même la plus libérale des interprétations nous amène inévitablement à con- clure que, une fois que la Couronne a mis de côté à titre de réserve l'étendue de terre requise, elle a rempli l'obligation que lui impose le Traité en ce qui concerne les terres de la réserve. Il ne subsiste aucun droit permettant à la bande indienne de recevoir, après la cession et l'aliénation de la réserve, d'autres terres dont la superficie égale celle de la réserve initialement mise à part conformément au Traité.
D—Cessions de 1940 et de 1945. Quant à savoir si la cession de 1945 comprenait les droits miniers cédés en 1940, il faut se souvenir, comme en l'espèce, que lorsque la description d'un bien cédé ne comporte aucune restriction ni réserve, l'ensemble du bien mentionné, qu'il s'agisse d'un bien réel ou personnel, et tous les droits afférents, qu'il s'agisse de droits légaux, en equity ou usufruitier, sont présumés faire partie de la cession.
La cession de 1940 n'a pas séparé les droits miniers des autres droits que les Indiens possédaient relativement à la R.I. 172. La cession de 1940 n'était pas celle «d'une partie de»
réserve telle que prévue à l'alinéa 2e) de la Loi sur les Indiens, mais plutôt d'un droit sur une partie de l'ensemble de la réserve. Les droits miniers ne pouvaient donc pas être considé- rés comme des «terres indiennes» qui ne pouvaient être cédées, et la cession de 1940, prévoyant une fiducie limitée à la location, ne s'opposait pas à ce que les droits miniers fassent l'objet de tout autre genre d'aliénation, sauf de location, même avec le consentement des deux parties.
E—Violations des obligations de fiduciaire entre 1916 et 1945. Quant aux actes de négligence et à la violation non frauduleuse des obligations de fiduciaire qui, selon les deman- deurs, se seraient produits entre 1916 et 1945, il n'existe aucune obligation légale en vertu de laquelle le Ministère est tenu de surveiller activement les réserves indiennes ni d'intervenir pour annuler une loi provinciale légitime d'application générale, pour la simple raison qu'elle touche également les droits des Indiens. De plus, les réclamations sont prescrites.
F—La cession de 1945. La décision d'accepter la cession relève davantage du domaine de «l'exécution» que de celui de la «politique administrative» et, à ce titre, elle peut faire l'objet d'un contrôle.
D'après la preuve disponible, les membres de la bande ont donné librement leur consentement éclairé au projet de cession de la R.I. 172, en septembre 1945. Aucune preuve n'a été produite pour établir que l'assemblée n'a pas été convoquée conformément au paragraphe 51(1) de la Loi. Par application du paragraphe 31(1) de la Loi d'interprétation, l'assemblée a été tenue devant une personne dûment autorisée conformément au paragraphe 51(1) de la Loi.
Puisque les dispositions du paragraphe 51(3) de la Loi sont simplement supplétives et non impératives, l'inobservation des formalités prescrites, si la preuve en avait été faite, n'aurait pas invalidé la cession elle-même.
G—Transfert des terres au Directeur des terres destinées aux anciens combattants effectué en 1948. L'argument des deman- deurs qui prétendent que, puisque le document ne mentionne pas les droits miniers, il n'a pas pour effet de les transférer, ne peut être soutenu en droit: à moins qu'un droit ne soit expressé- ment retenu, une cession absolue des terres comprend tous les droits sauf ceux afférents aux métaux précieux.
Même s'il n'y a pas de preuve de fraude au moment de la cession de 1948, la Couronne a manqué à ses obligations de fiduciaire parce qu'elle ne s'est pas acquittée du fardeau d'éta- blir qu'un prix pleinement équitable avait été obtenu en mars 1948. Toutefois, cette réclamation est prescrite.
Le Directeur des terres destinées aux anciens combattants ne détenait pas les terres en fiducie pour les Indiens. Aucune disposition de la Loi ne prévoit cette fiducie. Les minéraux n'étaient pas non plus réservés dans toutes les ventes, comme le prévoyaient les lois antérieures. De plus, la Loi prévoit que le Directeur peut détenir et transférer des biens aux seules fins de la Loi. Il ne peut absolument pas, sans le consentement de l'ancien combattant concerné, rétrocéder des terres ou des droits miniers à la Couronne, au profit d'Indiens, ou à tout autre personne.
H—Manquements imputés depuis 1948. Même si la défende- resse n'a pas obtenu les droits miniers sur les terres de rempla- cement, il n'est pas démontré qu'elle s'était engagée à le faire ni qu'elle en avait l'obligation. Il n'y avait pas non plus d'obliga-
tion ou de promesse d'obtenir des terres d'une même superficie que celle de la R.I. 172.
I—Prescription. En application de l'article 38 de la Loi sur la Cour fédérale, la loi applicable en l'espèce est la Limitations Act de la Colombie-Britannique. La déclaration a été déposée en septembre 1978, cinq mois et demi après l'expiration de la prescription de trente ans à compter de la date à laquelle la cause d'action a pris naissance, c'est-à-dire en mars 1948. Aucun autre texte législatif ne peut avoir priorité sur cette prescription.
La validité de l'article 8 de la Limitations Act ne peut être contestée en vertu de l'article 7 de la Charte. Cette dernière n'est pas applicable puisqu'elle concerne la protection de la personne et des droits et libertés personnels, et elle ne vise pas à garantir les droits ni les dommages-intérêts relatifs à l'aliéna- tion des biens. De plus, la Charte, d'une manière générale, ne s'applique pas rétroactivement. Et une période de prescription de ce genre, applicable à tous les résidents de la province, ne contrevient pas aux principes de la justice fondamentale.
La règle de la non-rétroactivité s'applique également à l'arti- cle 15 de la Charte. Elle ne prévoit pas un traitement identique pour tous, quelles que soient les circonstances. Il n'est pas discriminatoire d'assujettir la Couronne aux dispositions por- tant prescription de la législation provinciale comme tout simple citoyen de la province. En ce qui concerne le droit civil, l'article 15 n'oblige pas chaque province à adopter les mêmes lois, ce qui équivaudrait à nier le fédéralisme et à détruire le système fédéral lui-même.
L'article 8 de la Limitations Act ne contrevient pas non plus à l'alinéa lb) de la Déclaration des droits. À l'instar de la Charte, la Déclaration des droits n'oblige pas le Parlement à adopter des lois uniformes dans tout le pays. Dans un arrêt récent, il a été conclu que, même lorsque le litige est de compétence fédérale, le droit de la province dans laquelle le litige a pris naissance et est jugé doit s'appliquer de façon exclusive afin de déterminer les droits des plaideurs, si le droit fédéral ne prévoit rien à cet égard. Et il n'y a pas plus de discrimination à l'encontre de l'alinéa 1 b) de la Déclaration des droits qu'en vertu des articles 7 ou 15 de la Charte.
L'article 8 de la Limitations Act n'est pas incompatible avec l'alinéa la) de la Déclaration des droits qui porte sur l'applica- tion régulière de la loi. Une prescription finale ne prive pas les demandeurs du droit d'intenter un procès ni du droit d'accès aux tribunaux. Elle impose simplement le délai dans lequel l'action doit être intentée. L'action intentée pour insuffisance du prix de vente demandé au Directeur, en 1948, est donc prescrite en vertu des articles 8 et 9 de la Limitations Act de la Colombie-Britannique.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7, 8, 15.
Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appen- dice III, art. la),b), 2.
Laws Declaratory Act, R.S.B.C. 1948, chap. 179, art. 2(11).
Limitations Act, S.B.C. 1975, chap. 37.
Limitations Act, R.S.B.C. 1960, chap. 370.
Limitation Act, R.S.B.C. 1979, chap. 236, art. 3(3), 6, 7, 8, 9, 14.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1), art. 91(24).
Loi de 1942 sur les terres destinées aux anciens combat- tants, S.C. 1942-43, chap. 33, art. 3 (mod. par S.C. 1946, chap. 70, art. 1), 5(3).
Loi des Indiens, S.R.C. 1927, chap. 98, art. 2e)j), 4, 35,
36, 50 (mod. par S.C. 1938, chap. 31, art. 1), 51, 54. Loi des terres fédérales, S.C. 1908, chap. 20, art. 41.
Loi d'Établissement de Soldats, 1917, S.C. 1917, chap.
21.
Loi d'établissement de soldats, 1919, S.C. 1919, chap. 71.
Loi d'interprétation, S.R.C. 1927, chap. 1, art. 31(l).
Loi du ministère des Mines et des ressources, S.C. 1936, chap. 33, art. 9(2).
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 38.
Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10, art. 30.
Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, chap. 149, art. 18(1). Loi sur les terres destinées aux anciens combattants,
S.R.C. 1970, chap. V-4, art. 5(1),(3),(4). Proclamation royale, 1763, S.R.C. 1970, Appendice II,
1.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 494(1).
Trustee Act, R.S.B.C. 1948, chap. 345, art. 86(1). Trustee Act, R.S.B.C. 1960, chap. 390, art. 93(1).
JURISPRUDENCE DÉCISION SUIVIE:
Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335, infirmant [1983] 2 C.F. 656; (1982), 143 D.L.R. (3d) 416 (C.A.).
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Kruger c. La Reine, [1986] 1 C.F. 3 (version abrégée); (1985), 58 N.R. 241 (C.A.); The Queen v. George, [1966] R.C.S. 267; Montreal Street Railway Company v. Normandin, [1917] A. C. 170 (C.P.); Melville (City of) c. Procureur général du Canada, [1982] 2 C.F. 3 (lie inst.); Chambre de commerce de Jasper Park c. Gouver- neur général en conseil, [1983] 2 C.F. 98 (C.A.); Attor- ney -General of British Columbia v. Attorney -General of Canada (1889), 14 App. Cas. 295 (C.P.); Reference re Saskatchewan Natural Resources, [1931] R.C.S. 263; The Queen v. Richard L. Reese, [1956] R.C.E. 94; Bera v. Marr (1986), 1 B.C.L.R. (2d) 1 (C.A.); Grabbe v. Grabbe, [1987] 2 W.W.R. 642 (C.A.C.-B.); Davidson v. Davidson Estate, [1987] 2 W.W.R. 657 (C.A.C.-B.); Smith, Kline & French Laboratories Limited c. Procu- reur général du Canada, [1986] 1 C.F. 274 (lie inst.); R. v. Hamilton (1986), 57 O.R. (2d) 412 (C.A.); R. c.
Burnshine, [1975] 1 R.C.S. 693; (1974), 15 C.C.C. (2d) 505; Algonquin Mercantile Corp. c. Dart Industries Canada Ltd., jugement en date du 17 juin 1987, Cour d'appel fédérale, A-692-86.
DISTINCTION FAITE AVEC:
St. Ann's Fishing Club v. The King, [1950] R.C.S. 211; Humphries v. Brogden (1850), 12 Q. B. 739; Algoma Ore Properties Ltd. v. Smith, [1953] 3 D.L.R. 343 (C.A. Ont.); Stoughton v. Leigh (1808), 1 Taunt. 402; 127 E.R. 889 (H.C. Ch.); Ex p. Jackson, [1925] 1 D.L.R. 701 (C.S. Alb., Div. d'appel); Berkheiser v. Berkheiser and Glaister, [1957] R.C.S. 387; Martyn v. Williams (1857), 1 H. & N. 817; 156 E.R. 1430 (Exch.); Earl of Lonsdale v. Lowther, [1900] 2 Ch. 687; Dorset Yacht Co. Ltd. v. Home Office, [1970] A.C. 1004 (H.L.); Anns v. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728 (H.L.); Kam- loops (Ville de) c. Nielsen et autres, [1984] 2 R.C.S. 2; Toews v. MacKenzie (1980), 12 C.C.L.T. 263 (C.A.C.-B.); Brusewitz v. Brown, [1923] N.Z. L.R. 1106 (S.C.); Tufton v. Sperni, [1952] 2 The Times L.R. 516 (E.C.A.); Allcard v. Skinner (1887), [1886-90] All E.R. Rep. 90 (E.C.A.); Lloyds Bank Ltd v Bundy, [1974] 3 All ER 757 (E.C.A.); R. v. Antoine (1983), 5 C.C.C. (3d) 97 (C.A. Ont.); Re McDonald and The Queen (1985), 51 O.R. (2d) 745 (C.A.); R. v. Konechny (1983), 10 C.C.C. (3d) 233 (C.A.C.-B.); Morgentaler c. La Reine, [1976] R.C.S. 616; (1975), 20 C.C.C. (2d) 449; Curr c. La Reine, [1972] R.C.S. 889; Piercey v. General Bakeries Ltd.; The Queen in right of Newfoundland et al., Intervenors (1986), 31 D.L.R. (4th) 373 (C.S.T.-N.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Xerox of Canada Ltd. et autre c. IBM Canada Ltd. (1977), 33 C.P.R. (2d) 24 (C.F. 1r' inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
St. Catherine's Milling and Lumber Company v. Reg. (1888), 14 App. Cas. 46 (C.P.); Smith c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 554.
DOCTRINE
Armour, Edward D. The Law of Real Property, 2nd ed. Toronto: Canada Law Book Company, 1916.
AVOCATS:
Leslie J. Pinder et Arthur Pape pour les
demandeurs.
J. R. Haig, c.r. pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Mandell, Pinder & Ostrove, Vancouver et Pape & Salter, Vancouver, pour les deman- deurs.
Le sous -procureur général du Canada pour la défenderesse.
NOTE DE L'ARRÊTISTE
Le Directeur général a décidé de publier les motifs du jugement de 121 pages en version abrégée. Quelque 31 pages ont été retranchées dans la décision publiée. Deux parties des motifs ont été omises. Il s'agit de l'examen des témoi- gnages relatifs aux droits miniers afférents à la R.l. 172 et de l'examen des preuves orales et écrites déposées sur la question du consente- ment fibre et éclairé à la cession de 1945. L'arrê- tiste n'a pas rédigé de note sur cette dernière question puisque le juge Addy a soumis un som- maire de ses conclusions de fait à cet égard.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE ADDY:
LES DEMANDEURS
Comme l'indique l'intitulé de la cause, les deux chefs indiens demandeurs ont engagé la présente action en leur nom et au nom des membres de leur bande respective. Leur droit de représenter tous les membres de ces bandes ainsi que les anciens mem- bres qui sont encore vivants n'est pas contesté. La déclaration renferme également une allégation portant que lesdits chefs représentent tous les membres passés et futurs de leurs bandes, ce que reconnaît la défenderesse. Même si j'ai des doutes sérieux sur la validité juridique d'une telle préten- tion, je m'abstiens de statuer sur ce point, car on ne me l'a pas demandé.
Les membres des bandes indiennes en cause, dont les ancêtres ont vécu, pendant plusieurs siè- cles, dans le territoire situé au nord de Fort Saint John (Colombie-Britannique) ils chassaient et cueillaient des fruits sauvages, ont constitué pen dant quelques années la bande des Castors qui, en 1962, a pris le nom de bande indienne de Fort Saint John. Cette dernière bande se composait de Dunne-za ou Castors qui parlaient la langue dun- ne-za ou castor et de membres faisant partie de l'ethnie crie et parlant la langue crie. On les appelles parfois collectivement les «Cri-Dunne-za». En 1977, la bande indienne de Fort Saint John a été divisée en deux pour former la bande indienne
de la rivière Doig et la bande indienne de la rivière Blueberry qui habitent actuellement dans deux réserves distinctes situées au nord de Fort Saint John.
LES POINTS LITIGIEUX
L'action concerne principalement le titre juridi- que sur une ancienne réserve indienne, la réserve de Moberley (appelée par la suite la réserve indienne 172 ou R.I. 172) et, en particulier, les droits miniers afférents à ces terres.
Les points litigieux concernent les éléments sui- vants ou en découlent:
1. un traité appelé «Traité 8», conclu en 1900 avec la bande indienne des Castors;
2. la mise de côté en 1916 de la R.I. 172 dont la superficie était de 18 168 acres;
3. la cession, en 1940, au ministère des Affaires indiennes (M.A.I.) par la bande indienne, de ses droits pétroliers, gaziers et miniers afférents à la R.I. 172 aux fins de leur location;
4. la validité et la portée ou les conséquences d'une autre cession au M.A.I. effectuée en 1945 relativement à la R.I. 172;
5. le transfert, en 1948, de la R.I. 172 par le M.A.I. au Directeur des terres destinées aux anciens combattants pour la somme de 70 000 $;
6. l'aliénation subséquente, par le Directeur des terres destinées aux anciens combattants, de par ties de ces terres, y compris les droits miniers y afférents, à des anciens combattants et à d'autres personnes.
Les parties reconnaissent la validité du Traité 8 et la cession effectuée en 1940, mais elles ne s'entendent pas sur l'interprétation à donner à ces documents ainsi que sur les effets juridiques qui en découlent. Un bon nombre de points litigieux se rapportent à la R.I. 172 ou en découlent. Voici un bref résumé des revendications et des allégations des demandeurs:
1. Entre 1916 et 1945, la défenderesse s'est rendue coupable de plusieurs actes et omissions équivalant à de la négligence et elle a violé ses obligations fiduciaires envers les demandeurs en permettant l'utilisation non autorisée de terres sur lesquelles
les demandeurs possédaient un droit et en autori- sant la réglementation inadéquate par la province de la Colombie-Britannique de l'utilisation de ces terres.
2. La cession effectuée relativement à la R.I. 172 en 1945 était nulle ou annulable.
3. Par ses actes et omissions, la défenderesse a violé un rapport fiduciaire et elle s'est rendue coupable de fraude en obtenant le consentement de la bande indienne à la cession effectuée en 1945 et en acceptant celle-ci.
4. L'acceptation par la défenderesse de la cession effectuée en 1945 était nulle parce qu'elle ne res- pectait pas l'article 51 de la Loi des Indiens [S.R.C. 1927, chap. 98].
5. Le transfert effectué en 1948 par la défende- resse au Directeur des terres destinées aux anciens combattants était nul parce qu'il ne respectait pas l'article 54 de la Loi des Indiens.
6. Si le transfert de 1948 était valide, il n'avait aucun effet ou était nul en ce qui concerne les droits miniers afférents à la R.I. 172 pour le motif que la bande indienne n'avait jamais cédé ces droits pour qu'ils soient vendus et que la cession ne respectait pas les exigences de l'article 54 de la Loi des Indiens et de l'article 41 de la Loi des terres fédérales, S.C. 1908, chap. 20, article 1.
7. En transférant ces terres en 1948 au Directeur des terres destinées aux anciens combattants, la défenderesse s'est rendue coupable de plusieurs violations à ses obligations fiduciaires envers la bande indienne et elle a en outre agi frauduleuse- ment.
8. Depuis 1948, la défenderesse et le Directeur des terres destinées aux anciens combattants ont tous les deux violé les obligations fiduciaires auxquelles ils étaient tenus à l'égard des demandeurs et ils ont agi frauduleusement en ce qui concerne les droits miniers afférents à la R.I. 172.
9. Tous les transferts de droits miniers au Direc- teur des terres destinées aux anciens combattants effectués depuis 1952 étaient nuls parce qu'ils ne respectaient pas les exigences de la Loi sur les Indiens [S.R.C. 1952, chap. 149].
Les demandeurs sollicitent un jugement décla- rant que la cession de 1945 et le transfert de 1948
au Directeur sont nuls en ce qui concerne l'ensem- ble de la R.I. 172 ou, à titre subsidiaire, qu'ils sont nuls en ce qui a trait aux droits miniers afférents à la R.I. 172; ils demandent en outre un jugement déclarant qu'ils continuent à avoir droit à des terres de réserve couvrant une superficie de 18 168 acres et ce, conformément au Traité 8. Les demandeurs cherchent également à obtenir une reddition de comptes et des dommages-intérêts sous divers postes.
La défenderesse nie toutes les allégations et revendications des demandeurs, et elle plaide en outre que l'action est prescrite en vertu de diverses dispositions législatives relatives à la prescription des actions, dispositions sur lesquelles je reviendrai plus loin.
Pour ce qui est de la prescription, les avocats des demandeurs ont fait valoir que la prescription n'a pas pu commencer à courir contre leurs clients pendant de nombreuses années après la cession parce que ces derniers ignoraient qu'ils possédaient un recours devant les tribunaux en raison de leur situation de dépendance vis-à-vis le ministère des Affaires indiennes. Les demandeurs ont également allégué que, pendant les années s'étant écoulées dans l'intervalle, la défenderesse et ses ; , représen- tants ont continué leur fraude à leur égard et ont continué à violer les obligations fiduciaires aux- quelles ils étaient tenus envers eux. En raison de la nature et des conséquences possibles de ces alléga- tions, les avocats ont reconnu qu'il serait préféra- ble de statuer sur la question du point de départ de la prescription une fois seulement que la Cour serait arrivée à des conclusions finales sur les points litigieux et, par conséquent, cette question ne devrait être examinée qu'à la fin de l'instruc- tion, une fois tous les éléments de preuve soumis.
SÉPARATION DE LA QUESTION DE LA RESPONSA- BILITÉ DE CELLE DES DOMMAGES-INTÉRÊTS
En raison du nombre de points litigieux concer- nant la responsabilité et également des prévisions des avocats quant au 'temps qu'il faudrait pour régler cette question, j'ai ordonné dès le début de l'instruction que les questions de la responsabilité et du montant des dommages-intérêts soient sépa- rées, cette dernière devant faire l'objet d'une réfé- rence, sous réserve des instructions qui pourraient être jugées souhaitables une fois que la Cour se
sera prononcée sur les éléments de preuve relatifs à la responsabilité.
DURÉE DE L'INSTRUCTION
L'instruction a duré dix semaines, cinq jours étant consacrés aux plaidoiries et à la présentation d'arguments écrits exhaustifs. La présentation d'éléments de preuve plus ou moins pertinents ou probants a inutilement compliqué, à mon avis, les points litigieux qui étaient malgré tout assez com plexes. Les deux parties semblent avoir suivi la pratique discutable consistant à présenter des témoignages oraux et des preuves documentaires alors même qu'elles n'étaient apparemment pas convaincues de leur force probante. Le «bref exposé concis des faits» dont il est question à la Règle 494(1) [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] comportait quelque 186 pages numéro- tées, et il a duré trois jours et demi; il y était question de 150 documents qui seraient finalement produits comme pièces. Une déclaration prélimi- naire ne devrait habituellement durer que de trente à soixante minutes et, dans les affaires compli- quées, de deux à trois heures devraient suffire pour donner au juge un aperçu général de l'affaire, car il faut présumer que ce dernier est au courant du contenu du dossier certifié. Certaines allégations qui, apparemment, n'ont jamais pu être prouvées, ont été maintenues jusqu'à la toute fin de l'instruction.
Plus souvent qu'autrement, la présentation d'une avalanche de détails sous prétexte que cela pour- rait aider la cour à mieux comprendre les faits de l'affaire, contribue à créer de la confusion relative- ment aux véritables points litigieux et, au lieu de faciliter la tâche du juge, la complique inutile- ment.
PREUVE DOCUMENTAIRE
Les avocats des parties ont conjointement fait préparer une série de recueils contenant quelque 916 documents dont l'authenticité ne serait pas contestée. La plupart des documents produits comme pièces à l'instruction figuraient dans ces recueils. Quelques autres pièces ont également été déposées, mais leur authenticité n'a jamais été en cause.
Il y a eu toutefois un malentendu important au cours de l'audience relativement aux fins pour lesquelles les documents pourraient être utilisés comme pièces.
Les avocats des demandeurs ont présenté quel- que 500 pièces au cours de leur argumentation. Jusqu'à la fin de la septième semaine de l'instruc- tion, la Cour ainsi que les avocats de la défende- resse et de ses représentants ont examiné les élé- ments de preuve soumis en considérant que tous les documents produits pouvaient être utilisés à toutes fins utiles, y compris pour faire preuve de leur contenu.
Au moment les demandeurs s'apprêtaient à terminer leur plaidoirie et la Cour a demandé à la défenderesse, pour des raisons pratiques, de lui fournir une liste des documents qu'elle déposerait finalement comme pièces, les avocats des deman- deurs ont fait savoir qu'ils s'opposeraient à la production de ces documents à titre de preuve des faits qui y étaient mentionnés, à moins que les dispositions de l'article 30 de la Loi sur la preuve au Canada [S.R.C. 1970, chap. E-10] ne soient respectées. Toutefois, les avocats de la défende- resse ont invoqué une entente selon laquelle n'im- porte quel des documents figurant dans les recueils de documents pourrait être employé pour prouver les faits dont il y était question, sous réserve évidemment des considérations normales quant à leur pertinence, leur force et leur valeur probante, etc. Ce n'est qu'à ce moment précis, lorsque les demandeurs ont nié l'existence d'une telle entente, que la Cour et la défenderesse ont compris que, à l'exception d'une ou deux pièces déposées par l'in- termédiaire de témoins, par exemple les rapports des experts des demandeurs, aucune des pièces déposées en preuve par les demandeurs n'était destinée à faire preuve de son contenu, mais que ces pièces avaient plutôt été produites pour établir soit l'état d'esprit de l'auteur des documents soit la ligne de conduite suivie par la défenderesse ou ses mandataires. Afin d'indiquer clairement les fins limitées pour lesquelles je tiendrai compte des documents déposés en preuve principale par les demandeurs, voici un extrait tiré des notes sténo- graphiques prises le 28 février 1987, au moment les avocats des demandeurs s'apprêtaient à termi- ner leur plaidoirie (voir le Volume 30 de la trans cription des débats, aux pages 3951 et 3956):
[TRADUCTION] M e PAPE: Je peux facilement répondre à votre question, monsieur le juge. Les documents que nous avons déposés l'ont été aux fins que je vous ai mentionnées.
LA COUR: À quelles fins?
Me PAPE: Aux fins que j'ai mentionnées, c'est-à-dire pour prouver la ligne de conduite adoptée ainsi que l'état d'esprit de la personne qui a rédigé le document.
LA COUR: Tout simplement?
M e PAPE: C'est cela, monsieur le juge.
LA COUR: Très bien.
Me PAPE: monsieur le juge, autant que je sache, il n'y a aucun document que nous vous demanderons de considérer comme un élément de preuve tendant à faire preuve de son contenu. Je pourrais peut-être vous donner un ou deux exemples du genre de documents ..
LA COUR: Tant que c'est ce que vous déclarez, vous n'avez pas besoin de donner d'exemples.
M e PAPE: Très bien.
La déclaration de l'avocat des demandeurs rela- tivement aux fins pour lesquelles les documents avaient été déposés au cours des semaines précé- dentes était tout à fait inattendue, et tout ce qu'on peut dire est qu'elle a eu l'effet d'une bombe parce qu'elle jetait une lumière complètement différente sur l'affaire. La défenderesse et ses représentants ont demandé et obtenu immédiatement un long ajournement afin de prendre les mesures nécessai- res pour se conformer aux exigences de l'article 30 de la Loi sur la preuve au Canada et pour déter- miner quels documents, outre ceux déjà déposés par les demandeurs, ils devraient produire à titre de preuve de leur contenu.
Il est ressorti des débats sur cette question qu'en réalité, les demandeurs avaient fourni à la Cour ainsi qu'à la défenderesse et à ses représentants, pendant la deuxième semaine de l'instruction, un document de 62 pages figurait une liste de quelque 446 documents qu'ils avaient l'intention de produire comme pièces et ils indiquaient les parties particulières de ces documents qu'ils vou- laient invoquer. À la page 3 ainsi que dans d'autres sections de la liste ils invoquent des documents précis, les demandeurs ont déclaré qu'ils utilise- raient ces documents pour établir l'intention de leur auteur et la ligne de conduite adoptée. Ils n'ont nulle part ajouté que de tels documents ne pourraient être invoqués pour prouver leur con- tenu. Toutefois, ce qui est plus important, cette restriction contredit directement, à de nombreux égards, l'exposé introductif les avocats des
demandeurs ont expliqué comment ils prouveraient leur cause. La version écrite de cet exposé a été fournie à la Cour ainsi qu'à la défenderesse et à ses représentants avant le début de l'instruction. Il ressort d'une lecture rapide des 140 premières pages de ce document que les demandeurs ont invoqué plus de cent documents au soutien des diverses allégations factuelles autres que celles portant sur l'état d'esprit ou la ligne de conduite adoptée.
Il est également important de souligner que, même dans le texte écrit de l'argumentation finale des demandeurs, les pièces au sujet desquelles les avocats de ces derniers ont insisté pour dire, le 28 février, qu'elles avaient été produites pour ces deux fins restreintes, ont en fait été invoquées comme faisant preuve de leur contenu; par exemple, il est allégué à la page 11 de l'argumentation que la déclaration des commissaires figurant . dans la pièce 1 constitue une preuve que les Indiens ne possédaient à l'époque aucune institution impor- tante; on a invoqué les pièces 289 et 301 à la page 27 de l'argumentation afin de prouver que le potentiel de la R.I. 172 avait échappé à la collecti- vité, que les terres situées au nord avaient été retranchées, que les bonnes terres avaient été accordées à titre de prime aux anciens combattants pour leur réinstallation, etc. Il ne s'agit que de quelques exemples; je les cite et je mentionne les déclarations faites par Me Pape le 28 février dans le seul but d'indiquer très clairement que je ne considérerai qu'aucune des pièces soumises en preuve principale par les demandeurs n'a d'autres fins que de montrer l'état d'esprit et l'intention de l'auteur du document ou la ligne de conduite suivie par la défenderesse ou ses mandataires, sauf si un témoin a dûment confirmé qu'il est l'auteur du document ou que celui-ci est authentique, ou si les avocats se sont formellement entendus dans le dossier sur l'authenticité du document. Cette déci- sion ne s'applique évidemment pas à la pièce 896 qui a été admise pour réfuter l'authenticité de son contenu ni à des pièces comme la pièce 713 qui, bien qu'elles aient été produites à l'origine par les demandeurs, ont été par la suite acceptées sur requête de la défenderesse comme faisant preuve de leur contenu; elle ne s'appliquera pas non plus à d'autres pièces déposées par la défenderesse à cette fin.
Dans certains cas au cours de leur argumenta tion finale, les avocats des demandeurs ont invoqué les opinions exprimées dans des documents au sujet desquels ils avaient affirmé qu'ils n'avaient pas été admis pour faire preuve de leur contenu et ce, apparemment pour établir non seulement l'état d'esprit de l'auteur des documents mais aussi cer- taines conditions et situations existantes. Il est difficile de comprendre comment il serait logique de conclure que les opinions exprimées dans de tels documents pourraient être invoquées en preuve alors que les allégations factuelles ne peuvent l'être.
Pour ce qui est des pièces présentées par la défenderesse et des fins pour lesquelles elles seront considérées comme éléments de preuve, je me suis prononcé dans une ordonnance en date du 20 mars 1987. Afin de ne pas surcharger davantage les présents motifs de jugement qui sont déjà beau- coup trop longs, une copie de cette ordonnance est jointe à l'annexe A [publiée dans [1988] 3 C.F. 3].
ENREGISTREMENT MAGNÉTOSCOPIQUE DES DÉPOSITIONS FAITES DEVANT UNE COMMISSION ROGATOIRE
Les dépositions de sept témoins ont été prises plusieurs années plus tôt (c'est-à-dire entre 1980 et 1982), conformément à trois ordonnances de cette Cour, les deux parties ayant jugé préférable d'ob- tenir les dépositions de ces témoins, qui étaient malades et très âgés à l'époque, pendant qu'ils étaient encore vivants et capables de témoigner.
Les dépositions enregistrées sur ruban magné- toscopique ont été faites devant un sténographe judiciaire officiel qui a agi à titre de commissaire, les ordonnances ayant prévu qu'un protonotaire de la cour ou un sténographe judiciaire officiel pou- vait agir en qualité de commissaire.
Cinq des témoins ont déposé dans leur langue maternelle, et on a eu recours aux services d'un interprète dans chaque cas. Il est regrettable de constater que, non seulement ces interprètes sem- blaient n'avoir aucune expérience comme inter- prète judiciaire, mais qu'ils étaient membres des bandes indiennes demanderesses et étaient donc tout aussi intéressés par le résultat de l'affaire que leurs aînés interrogés. Il est encore plus dommage que l'interrogatoire de ces témoins n'ait pas été mené selon les règles par les avocats. Dans chaque
cas, l'interrogatoire avait à peine commencé qu'au lieu de poser directement leurs questions au témoin, les avocats indiquaient à l'interprète la nature des renseignements qu'ils souhaitaient obte- nir du témoin. L'interprète s'adressait ensuite au témoin et, dans de nombreux cas, il s'ensuivait une longue conversation entre ceux-ci. S'adressant ensuite à l'avocat procédant à l'interrogatoire, l'in- terprète rapportait en quelques mots ce qu'il consi- dérait l'essentiel de chaque conversation. Cette façon d'agir est évidemment tout à fait contraire aux règles normales; cela ne se serait pas produit si les audiences de la commission rogatoire avaient été tenues en présence d'un juge ou d'une autre personne légalement compétente, comme un proto- notaire, connaissant les règles de preuve et, en particulier, la procédure à suivre en salle d'audience.
Pour ces motifs et après avoir entendu et vu une partie des enregistrements magnétoscopiques des dépositions, je me suis inquiété de la possibilité que des erreurs se soient glissées dans la traduction des questions au témoin par l'interprète et dans la traduction en anglais de l'essentiel des réponses données. Après avoir demandé aux avocats si, dans les années qui se sont écoulées depuis, quelqu'un a pris la précaution de faire vérifier les traductions, j'ai été fort surpris d'apprendre qu'aucune mesure n'avait été prise à cet égard. J'ai immédiatement exigé que les démarches nécessaires soient faites pour vérifier que, dans chaque cas il a été nécessaire de recourir aux services d'un interprète au cours de l'enregistrement magnétoscopique des dépositions faites devant une commission roga- toire, la traduction anglaise reflète au moins l'es- sentiel de chaque réponse.
En fin de compte, par suite des vérifications faites par d'autres interprètes, les avocats ont reconnu que la traduction de la déposition de l'un des témoins indiens était si inexacte qu'il a fallu la laisser de côté et ils ont également demandé que certains passages de la transcription de la déposi- tion de l'un des autres témoins soient modifiés afin de rendre le sens véritable des réponses de ce témoin.
Évidemment, il n'en demeure pas moins que le juge des faits a le droit d'entendre la traduction textuelle des propos d'un témoin et d'évaluer leur contenu et leurs conséquences par lui-même et non
par l'intermédiaire d'un interprète. Toutefois, étant donné que les avocats des deux parties se sont finalement entendus sur l'essentiel et qu'au moins un des témoins est maintenant décédé et que quelques autres sont séniles ou trop âgés pour déposer, je considère que les traductions enregis- trées des dépositions de ces témoins sont exactes aux fins de l'espèce, sous réserve des modifications convenues par les avocats.
L'audition de dépositions enregistrées sur ruban magnétoscopique au lieu de témoignages oraux à l'instruction m'a amené à formuler quelques obser vations et conclusions qui pourraient probablement être de quelque utilité aux parties demandant une ordonnance prévoyant la tenue d'une commission rogatoire de ce genre et aux juges se demandant à quelles conditions de telles demandes devraient être accueillies.
Je dois d'abord dire que la caméra, comme ce fut le cas en l'espèce, devrait être installée de manière à prendre le visage du témoin en gros plan et de face. À l'instruction, l'écran de télévision devrait être placé en face du juge puisque normale- ment, comme ce fut le cas pour moi, il devrait avoir sous la main la transcription de la déposition et il ne devrait donc pas avoir besoin de prendre des notes. À mon avis, il est alors en meilleure position pour concentrer toute son attention sur le témoin, l'observer et tirer les conclusions qui s'im- posent en ce qui a trait à son comportement, aux inflexions de sa voix et, en général, à la manière dont il répond aux questions, que lorsque la déposi- tion est reçue de la manière habituelle, donnée par une personne témoignant oralement à la barre des témoins. À l'instruction, un témoin fait rarement face au juge, une personne interrogée se tournant tout naturellement vers la personne qui lui pose les questions. Toutefois, il est beaucoup plus ennuyeux et pénible d'écouter l'enregistrement magnétosco- pique d'un témoignage, car celui-ci n'est pas aussi vivant et réel qu'une déposition faite de vive voix à l'instruction et le juge n'a aucune influence sur la manière dont il est présenté. Dans les cas des questions ou réponses irrégulières, suggestives, non pertinentes ou constituant du ouï-dire sont posées ou données, il ne peut évidemment pas interrompre la déposition et il doit décider plus tard quelles réponses doivent être écartées. Lorsque le dossier renferme un bon nombre de ces réponses inadmis-
sibles de la part de divers témoins, comme c'est le cas dans une longue affaire comme l'espèce, il peut devenir inutilement pénible de s'occuper de cel- les-ci après le fait. Pour cette raison et, comme je l'ai déjà dit, afin également d'exercer un meilleur contrôle sur les dépositions traduites, j'estime que le témoignage par commission rogatoire devrait être reçu, lorsque c'est possible, par une personne légalement compétente et expérimentée qui, dans certains cas, pourrait être un juge.
En l'espèce, la prise des dépositions par la com mission rogatoire n'a nullement été contrôlée et les avocats ont en général interrogé les témoins comme ils l'auraient fait au cours des interrogatoi- res préalables des parties à l'action. Enfin, et ce qui est peut-être plus important, il est manifeste qu'il est arrivé souvent dans le cas des témoins qui ont déposé en anglais que la transcription, même si elle rapportait fidèlement les paroles échangées, ne transmettait pas au lecteur le sens véritable des réponses données par les témoins et les conclusions qu'il fallait en tirer. On peut facilement imaginer les contradictions encore plus graves qui se produi- sent lorsque le texte de la transcription est celui de la traduction des propos du témoin.
Bien que, depuis de nombreuses années, les cours d'appel aient appliqué, à juste titre, le prin- cipe suivant lequel il faut faire preuve d'une extrême prudence avant d'invoquer la transcription d'un témoignage pour modifier ou infirmer une conclusion de fait découlant d'un témoignage oral, la validité fondamentale de ce principe devient claire comme le jour lorsqu'on écoute et regarde l'enregistrement magnétoscopique d'un témoi- gnage en ayant en main le texte de celui-ci. Cela montre bien également l'avantage évident d'avoir au dossier l'enregistrement magnétoscopique d'un témoignage lorsqu'une question se pose en appel relativement à la validité d'une question de fait. dans le contexte de certaines réponses du témoin. Les propos d'un témoin et l'impression visuelle qui s'en dégage sont conservés au dossier et permettent d'expliquer et, parfois, de modifier et même d'in- firmer les conclusions qu'aurait pu autrement sus- citer la simple lecture de la transcription. Après avoir lu la transcription' des diverses dépositions, j'ai été très surpris de constater dans quelle mesure certaines de mes impressions originales quant aux conséquences des témoignages se sont modifiées ou
ont complètement changé après avoir vu les enre- gistrements magnétoscopiques.
Comme l'a déclaré le juge Collier à la page 42 de l'affaire Xerox of Canada Ltd. et autre c. IBM Canada Ltd. (1977), 33 C.P.R. (2d) 24 (C.F. ire inst.):
Il est presque banal de dire que nonobstant la compétence du sténographe judiciaire, il ne peut enregistrer (et il lui est interdit de le faire) les pauses dans les réponses, les hésitations d'un témoin, les résistances silencieuses à admettre ce qui est évident, la façon d'agir et la manière de répondre à l'avocat, le ton de la voix et les nuances des expressions, faciale et autres. Quelques-uns des exemples (précités) qui ont servi de base à mon évaluation sévère peuvent sembler formels. Mais la trans cription ne fait pas état de l'atmosphère qui régnait à la cour à ce moment particulier.
En conclusion, il semble évident que tous les témoignages pris par une commission rogatoire devraient être enregistrés, images et son, sur ruban magnétoscopique. Qui plus est, étant donné les progrès techniques considérables réalisés récem- ment dans ce domaine et vu qu'une petite caméra portative permet maintenant d'enregistrer à la fois les images et le son, il vaudrait peut-être la peine d'examiner la possibilité de prévoir dans les règles de la Cour, à titre de complément aux services ordinaires de transcription, l'enregistrement magnétoscopique de témoignages faits de vive voix au cours de certains procès. Il serait alors possible de préserver la véritable force ou valeur probante d'un témoignage ainsi que les inflexions significati- ves de la voix des témoins, leurs pauses, leurs hésitations et leurs attitudes, éléments qui ne res- sortent pas des seules transcriptions des témoigna- ges qui, en fait, sont parfois si trompeuses.
TOPOGRAPHIE
Afin de mieux comprendre les témoignages, l'emplacement par rapport à la R.I. 172 de cer- tains des lieux les plus fréquemment mentionnés est décrit à l'annexe B jointe aux présents motifs*.
LA SOCIÉTÉ CRI-DUNNE-ZA
Il est important d'examiner la culture des Cri- Dunne-za, leur mode de vie et leur niveau de développement ainsi que l'organisation et le fonc- tionnement de leur société pour trancher un bon nombre des points litigieux soulevés, notamment
* Note de l'arrêtiste: Les annexes n'ont pas été reproduits.
comment s'est effectivement déroulée l'assemblée de la cession de 1945 et quel aurait en être le déroulement, l'existence pour la Couronne d'une obligation spéciale ou d'un rapport fiduciaire spé- cial entre elle et les Cri-Dunne-za, la portée de cette obligation ou de ce rapport et la question de savoir si les Indiens ont consenti à la cession en toute connaissance des faits pertinents.
Les témoins indiens ainsi que d'autres témoins cités par les demandeurs et la défenderesse, notamment un anthropologue cité par les deman- deurs, ont abondamment parlé du mode de vie des Indiens, de leur culture ainsi que d'autres ques tions connexes. Je n'ai pas l'intention de m'étendre longuement sur ces questions, mais d'effleurer sim- plement certains des points les plus importants et j'examinerai la déposition de l'anthropologue plus loin.
Les Cri-Dunne-za qui, pendant quelques siècles, ont habité au nord-est de la Colombie-Britannique et dont les principales activités étaient, à l'origine la chasse, la pêche et la cueillette des fruits sauva- ges, ont également ajouté le piégeage à leurs moyens de subsistance, de nombreuses années avant les années 1940. Même s'ils ont continué à chasser et à cueillir des fruits sauvages, le piégeage est effectivement devenu pour eux le principal moyen de se procurer de l'argent ou d'obtenir du crédit et, par conséquent, d'acheter à l'homme blanc des marchandises, des vêtements, des objets de luxe et des provisions.
À compter de 1930, le gouvernement provincial de la Colombie-Britannique a exigé que tous les trappeurs, y compris les Indiens, limitent leur pié- geage aux sentiers de piégeage enregistrés. En 1945, le ministère des Affaires indiennes avait réussi à obtenir du gouvernement de la Colombie- Britannique, pour une vaste région située au nord- nord-est de la R.I. 172, l'enregistrement de plu- sieurs sentiers de piégeage réservés à l'usage exclu- sif des Cri-Dunne-za. Un autre sentier a été obtenu en 1949. Les diverses régions les deux Bandes se livraient à la chasse, à la pêche, au piégeage et à la cueillette des fruits sauvages sont indiquées sur des cartes qui ont été déposées à
l'instruction comme pièces 919 928 inclusive- ment. Bien que ces cartes indiquent les régions exploitées en 1978 et en 1979, il semble en général que ces régions soient approximativement les
mêmes que celles utilisées pendant les années 1940. Ces Indiens chassaient pendant toute l'an- née; toutefois, ils trappaient pendant l'automne et l'hiver et jusqu'à la mi-mai pour attraper des castors. Ils attrapaient au piège des castors, des rats musqués, des lynx, des pékans, des écureuils et d'autres animaux à fourrure et ils chassaient l'ours, l'orignal, le chevreuil, le lièvre et le porc- épic ainsi que la perdrix et d'autres gibiers. En général, il mangeaient les animaux qu'ils avaient chassés ou pris au piège, à l'exception des lynx, des martes et des pékans.
Ils se rencontraient chaque été pendant quelques semaines dans un lieu de rassemblement estival ils se reposaient, se rendaient visite, échangeaient des connaissances, s'amusaient, participaient à diverses activités et, en général, profitaient de divers échanges sociaux.
Ils vivaient essentiellement comme des nomades. Ils chassaient et trappaient par petits groupes de trois à dix hommes. Les femmes participaient aussi à la chasse et au piégeage. Chaque groupe choisis- sait un chef, en général le membre le plus âgé ou, parfois, le chasseur le plus habile. Il existait sept groupes de ce genre. Ils suivaient leurs sentiers de piégeage pendant la saison du trappage. Le reste de l'année, ils passaient quelque temps dans leur lieu de rassemblement estival, mais la plupart du temps ils cueillaient des fruits sauvages et cher- chaient du gibier dans leurs diverses régions de chasse. Ils construisaient quelques habitations d'hi- ver le long des sentiers de piégeage. Pendant l'été, ils utilisaient à l'origine des tipis et plus tard, des tentes.
En plus des chefs de groupes, il y avait aussi dans les années 1940 un chef de bande, le chef Succona, ainsi qu'un sous-chef, un certain Joe Apsassin. Jusqu'en 1954 environ, les chefs étaient nommés à vie. Depuis, ils sont élus conformément aux procédures établies par le ministère des Affai- res indiennes. Je constate que, même lorsqu'ils étaient nommés à vie, les chefs pouvaient néan- moins être destitués si on jugeait qu'ils ne remplis- saient plus leurs tâches de chef avec sagesse ou efficacité et alors, un autre chef pouvait être choisi. Le témoin John Davis a tout d'abord nié ce fait, mais il l'a ensuite admis lorsqu'au moment du contre-interrogatoire, on lui a rappelé sa déposition antérieure devant une commission rogatoire.
Dans les années 1940, les Cri-Dunne-za se mêlaient très peu à la société blanche même si des colons blancs se déplaçaient graduellement vers le nord et que leurs contacts avec des trappeurs blancs et quelques fermiers blancs s'installant dans la région devenaient un peu plus fréquents. Ils maintenaient le contact avec le ministère des Affaires indiennes par l'intermédiaire de l'agent des Indiens dont le bureau était situé à Fort Saint John. Pendant l'année, l'agent des Indiens leur rendait visite à l'occasion et il les rencontrait lors- qu'ils venaient à Fort Saint John pour vendre leurs fourrures et au moment de la conclusion de traités, chaque fois que des sommes étaient payables en vertu d'un traité.
Il semble presque indubitable que, dans les années 1940, les Cri-Dunne-za n'avaient pas les compétences nécessaires pour s'occuper de planifi- cation financière ou de l'établissement d'un budget ni, en général, d'administrer financièrement leurs affaires. Aucune véritable structure gouvernemen- tale n'était en place et personne n'était chargé de légiférer. Ils n'avaient pas non plus la capacité d'organiser ou de diriger, avec plus ou moins de succès, des activités ou entreprises autres que la pêche, la chasse et le piégeage. Il semble qu'on pourrait qualifier d'instinctives ou de spontanées plutôt que de volontairement planifiées un bon nombre de leurs décisions relatives à ces activités. Le témoin Johnson-Watson a déclaré dans sa déposition que, même pendant les années 1975 à 1978 lorsqu'il était directeur régional du bureau régional de Fort Saint John, il a constaté que les Cri-Dunne-za étaient fort peu compétents pour administrer leurs affaires financières, qu'ils n'étaient pas de bons fermiers et qu'ils dépendaient encore dans une large mesure des conseils et avis du personnel du Ministère. La plupart des autres bandes indiennes étaient sensiblement plus avan- cées dans ces domaines. Leur société était indivi- dualiste, chaque membre ayant à compter l'un sur l'autre et ayant peu l'esprit de compétition.
NATURE DU TITRE, DU RAPPORT ET DE L'OBLIGA- TION
L'arrêt faisant autorité relativement à la nature du droit des Indiens inscrits sur des terres et au rapport existant entre ceux-ci et la Couronne est sans contredit Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335.
Tous les juges ont reconnu et reconfirmé dans cet arrêt que le droit des Indiens sur des biens immobiliers n'était pas un droit de propriété reconnu par la loi, mais simplement un [TRADUC- TION] «droit personnel, de la nature d'un usufruit», comme l'a statué le Conseil Privé dans l'affaire St. Catherine's Milling and Lumber Company v. Reg. (1888), 14 App. Cas. 46, à laquelle a souscrit récemment la Cour suprême dans l'arrêt Smith c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 554.
Dans ses motifs auxquels ont souscrit les juges Ritchie et McIntyre, le juge Wilson a déclaré que même si le paragraphe 18(1) de la Loi sur les Indiens [S.R.C. 1952, chap. 149] n'imposait pas en soi à la Couronne une obligation de fiduciaire, il reconnaissait l'existence d'une telle obligation ayant sa source dans le titre aborigène et il recon- naissait également la réalité historique que les Indiens ont un droit de bénéficiaire sur les réserves et qu'il incombe à la Couronne de protéger ce droit. La Couronne ne détient pas les terres en fiducie, avant la cession. Toutefois, au moment de la cession, le rapport fiduciaire général qui existait préalablement se cristallise en fiducie explicite.
Le juge en chef [alors juge puîné], dont les motifs ont reçu l'appui des juges Beetz, Chouinard et Lamer, a adopté un point de vue un peu diffé- rent en ce qui concerne ce rapport.
Le droit des Indiens sur les terres est inaliéna- ble, sauf dans le cas d'une cession, et il impose par sa nature à la Couronne une obligation d'equity, exécutoire en justice, d'utiliser ces terres au profit des Indiens. Tout comme le juge Le Dain, qui avait prononcé le jugement de la Cour d'appel fédérale [(1982), 143 D.L.R. (3d) 416] dans cette affaire, ces juges estimaient que la Couronne ne possède pas les terres en fiducie pour les Indiens après la cession. Ils n'étaient toutefois pas d'accord pour dire qu'au moment de la cession, l'obligation de la Couronne se cristallisait d'une manière ou d'une autre en fiducie explicite ou implicite. Ils étaient d'avis que, par suite d'une cession incondi- tionnelle, il y a disparition du droit des Indiens sur le bien-fonds. Aucun droit de propriété pouvant constituer l'objet de la fiducie n'est transféré et la cession n'engendre pas non plus de fiducie par interprétation. Toutefois, la Couronne doit détenir les terres à l'usage et au profit de la bande qui les a cédées et cette obligation est la page 387]
«soumise à des principes très semblables à ceux qui régissent le droit des fiducies, en ce qui concerne notamment le montant des dommages-intérêts en cas de manquement». Les juges ont également ajouté que, même si le rapport fiduciaire présente une certaine analogie avec le mandat, il n'y a pas mandat suivant la loi, car le pouvoir d'agir de la Couronne n'a aucun fondement contractuel et la bande indienne n'est pas partie à la vente finale- ment conclue, comme ce serait le cas s'il y avait mandat.
Après avoir analysé les conséquences de la Pro clamation royale, 1763 [S.R.C. 1970, Appendice II, 1], le juge en chef déclare à la page 383 de ses motifs de jugement:
Cette exigence d'une cession vise manifestement à interposer Sa Majesté entre les Indiens et tout acheteur ou locataire éventuel de leurs terres, de manière à empêcher que les Indiens se fassent exploiter. Cet objet ressort nettement de la Proclama tion royale elle-même qui porte, au début de la disposition qui fait de Sa Majesté un intermédiaire, «qu'il s'est commis des fraudes et des abus dans les achats de terres des sauvages au préjudice de Nos intérêts et au grand mécontentement de ces derniers ...N
Cependant, il semble évident que le rapport fiduciaire spécial naît lorsqu'il y a cession. Le juge en chef dit à la page 382:
... mais il est également vrai, comme nous allons le constater plus loin, que ce droit, lorsqu'il est cédé, a pour effet d'imposer à Sa Majesté l'obligation de fiduciaire particulière d'utiliser les terres au profit des Indiens qui les ont cédées. Ces deux aspects du titre indien vont de pair, car, en stipulant que le droit des Indiens ne peut être aliéné qu'à elle-même, Sa Majesté voulait au départ être mieux en mesure de représenter les Indiens dans les négociations avec des tiers. Le droit des Indiens se distingue donc surtout par son inaliénabilité générale et par le fait que Sa Majesté est tenue d'administrer les terres pour le compte des Indiens lorsqu'il y a eu cession de ce droit. Toute description du titre indien qui va plus loin que ces deux éléments est superflue et risque d'induire en erreur. [C'est moi qui souligne.]
Pour sa part, le juge Estey a choisi de trancher l'action en fonction uniquement du rapport man- dant-mandataire, sans se demander s'il existait une fiducie, un rapport fiduciaire ou une obligation antérieure à la cession.
J'estime être lié par les opinions exprimées par le juge en chef et les trois juges qui y ont souscrit, opinions qui me paraissent également être les plus plausibles. Ce point de vue a depuis été suivi par le juge Urie dans l'appel interjeté dans l'affaire Kruger c. La Reine, [1986] 1 C.F. 3 (version
abrégée); (1985), 58 N.R. 241 (C.A.), pages 47 et 48 C.F.; paragraphes 52 et 53, page 257 N.R. À l'exception des obligations spéciales que peuvent créer les traités, la Couronne n'est tenue par aucune obligation ou rapport fiduciaire spécial en ce qui concerne les terres des réserves avant qu'el- les ne soient cédées et, a fortiori, elle ne l'est pas non plus une fois que les terres cédées ont été transférées et subséquemment vendues. L'obliga- tion naissant à ce moment concerne les produits de la vente. Il est possible qu'il existe effectivement une obligation morale, sociale ou politique de pren- dre particulièrement soin des Indiens et de les protéger (en particulier, les bandes indiennes qui ne sont pas avancées aux points de vue social et politique ni en ce qui concerne l'éducation) contre l'égoïsme, la cupidité, les ruses, les stratagèmes et les supercheries de l'homme blanc. Ce genre d'obligation politique, non exécutoire en justice, qui, selon la Cour d'appel fédérale, s'appliquait à la Couronne dans l'arrêt Guerin (précité) par suite de la cession (principe qui a évidemment été rejeté par la Cour suprême), serait applicable avant que la cession soit effectuée. Cette question juridique revêt une certaine importance en l'espèce, les avo- cats des demandeurs ayant allégué qu'avant la cession et par suite de la vente finalement conclue relativement aux terres cédées, la Couronne a violé certaines des obligations fiduciaires auxquelles elle aurait été tenue, par exemple l'obligation de pren- dre des mesures pour empêcher certains fermiers blancs de faire paître leurs troupeaux dans certai- nes parties de la réserve.
Même si, je le répète, trois juges de la Cour suprême (les juges Ritchie, McIntyre et Wilson) ont statué qu'il existait une obligation fiduciaire à l'égard des terres avant qu'elles ne soient cédées, ni ces juges ni personne d'autre n'a laissé entendre qu'il serait possible qu'une obligation fiduciaire générale reconnue par la loi continue à exister en ce qui concerne les terres une fois qu'elles ont été vendues ou autrement aliénées.
La Loi sur les Indiens apporte certaines restric tions aux actes et aux droits des Indiens inscrits. Sauf dans la mesure ces restrictions particuliè- res pourraient les empêcher d'agir librement, les Indiens ne doivent pas être légalement traités comme s'ils étaient incapables d'exercer pleine- ment leurs droits, comme le sont les mineurs ou les
personnes incapables de s'occuper de leurs affaires, ce qui créerait pour la Couronne une obligation fiduciaire, exécutoire en justice, de les protéger ou d'intenter des actions en leur nom. Ils sont pleine- ment habilités à recourir aux lois fédérales et provinciales ainsi qu'à notre système judiciaire pour faire valoir leurs droits, comme ils le font d'ailleurs en l'espèce.
Enfin, les dispositions de la Constitution ne sont d'aucune utilité pour les demandeurs sur ce point. La Loi sur les Indiens a été adoptée en vertu du pouvoir exclusif conféré au Parlement du Canada par le paragraphe 91(24) de la Loi constitution- nelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.C.R. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1)]. Cette disposition ne comporte pas plus l'obligation légale de légiférer ou de mettre en oeuvre des programmes pour le bénéfice des Indiens que l'existence de divers groupes défavorisés dans la société crée pour les gouvernements une obligation générale, exécutoire en justice, de prendre soin de ces groupes, même s'il existe évidemment une obli gation morale et politique de le faire dans une société démocratique le bien-être de l'individu est jugé primordial.
Toutefois, je m'empresse d'ajouter que chaque fois que des conseils sont demandés ou qu'ils sont offerts, qu'ils aient été sollicités ou non, ou lors- qu'une action est intentée, la Couronne est tenue de faire preuve d'une prudence raisonnable en offrant ces conseils aux Indiens ou en intentant une action en leur nom. La question de savoir si la Couronne a fait preuve de prudence ou de dili gence raisonnable dépendra évidemment de toutes les circonstances de l'affaire; parmi ces circons- tances, il faut bien sûr inclure l'inconscience, l'ignorance, le manque de compréhension, de subti- lité, d'ingéniosité ou de ressources de la part des Indiens, dont on peut raisonnablement s'attendre que la Couronne soit au courant. Étant donné qu'il s'agit d'une telle situation en l'espèce, la Couronne est tenue d'une lourde obligation dont la violation permettra l'utilisation des recours en equity et de ceux prévus dans la loi.
Lorsqu'il existe un véritable rapport fiduciaire, comme c'est le cas en l'espèce par suite de la cession de 1945, il faut faire preuve du même
degré de prudence et de diligence pour traiter de l'objet de l'obligation fiduciaire que lorsqu'il s'agit d'une véritable fiducie (voir l'arrêt Guerin et autres c. La Reine et autre, précité, page 376). Le critère applicable est un critère objectif: la bonne foi et une conscience tranquille ne suffiront pas. Il existe une autre similitude avec une fiducie: lors- qu'un fiduciaire possède un droit quelconque rela- tivement à l'objet d'une fiducie, il lui incombe de prouver que tous les droits présents et futurs du bénéficiaire sont protégés et qu'il leur accorde priorité absolue, et qu'il s'occupe de l'objet de la fiducie pour l'avantage du bénéficiaire et à l'exclu- sion de son propre droit dans la mesure il peut y avoir un conflit entre ceux-ci. En l'espèce, une obligation semblable incombe à la Couronne en ce qui concerne l'obligation d'equity à laquelle elle est tenue à l'égard des demandeurs.
NOTE DE L'ARRÊTISTE
A l'exception d'un permis d'exploration d'un an accordé en 1940, aucun bail n'a été consenti ni demandé relativement à l'exploitation pétrolière, gazière ou minière de la R.l. 172 si ce n'est plusieurs années après le transfert au Directeur des terres destinées aux anciens combattants, en 1948. A. cette époque, aucun champ pétrolier ou minier n'avait été découvert à moins de 340 milles (Leduc), sauf un petit champ gazier à Pouce Coupé, à quelque 50 milles de là, sur la frontière Alberta—Colombie-Britannique. Jusqu'en 1981, aucun gisement pétrolier n'a été relevé dans la région Pouce Coupé. Aucune exploration n'a été effectuée en vue de trouver du gaz ou du pétrole dans la R.I. 172 avant 1976. La R.I. 172 n'était pas non plus comprise dans les quatorze grandes régions situées au nord-est de la Colombie-Bri- tannique et choisies comme lieux d'exploration pétrolière en 1950 par un consortium pétrolier.
Ce n'est qu'en 1976 que s'est produite la prin- cipale découverte de pétrole dans la R.I. 172, dans une poche anormale entre les couches de roche. L'opinion de l'expert des demandeurs, selon laquelle [TRADUCTION] «dans les années 1940, il aurait été évident, même pour un simple observateur, que la région de la Peace River en Colombie-Britannique avait suscité un intérêt commercial important en ce qui concerne le pétrole et /e gaz», n'a pu être retenue parce que la preuve ne permettait tout simplement pas d'en
arriver à cette conclusion. L'opinion du géologue de la défenderesse devait être retenue. L'intérêt qu'a suscité la découverte du champ Leduc en 1947 n'a touché que les régions situées près d'Edmonton et de Calgary et n'a eu peu ou pas d'effet en Colombie-Britannique. Cette année-là, la question n'était pas de savoir s'il y avait du pétrole dans la R.I. 172, mais plutôt s'il était possible de trouver des gisements rentables de pétrole ou de gaz naturel, que ce soit dans la région nord-est de la Colombie-Britannique. L'opi- nion de l'expert de la défenderesse n'a pas été détruite par la preuve que, en 1950, Sun Oil Company avait acquis des droits d'exploration relativement à la R.I. 172. Cette société avait risqué une somme limitée mais n'en a rien tiré pendant de nombreuses années. Il a été démon- tré que la découverte de pétrole, un quart de siècle après 1947, était l'effet du hasard et que le gisement était exceptionnel, aussi ne pouvait-il en aucune façon avoir été prévu en 1948. Jusqu'à cette découverte, les droits miniers afférents à la R.I. 172 avaient une valeur minime. D'ailleurs, le fait que les droits miniers n'aient jamais été men- tionnés dans la vente au Directeur ou dans les ventes aux anciens combattants vient confirmer cette opinion.
J'estime que, si on tient compte du rapport fiduciaire liant alors Sa Majesté la Reine aux demandeurs, on ne pouvait raisonnablement s'at- tendre à ce qu'aucun des fonctionnaires, préposés ou mandataires de cette dernière, exerçant toute la prudence et l'attention voulues dans l'exécution de ses obligations fiduciaires, ait pu prévoir à quelque moment que ce soit, en 1948 ou avant, que les droits miniers éventuels afférents à la R.I. 172 auraient une valeur réelle ou qu'il y aurait un avantage raisonnablement prévisible à conserver ces droits.
TRAITÉ 8
Les demandeurs ont officiellement adhéré au Traité 8 en mai 1900 (pièce 1 déposée à l'ins- truction). Conformément à ce traité, ils ont obtenu en 1916 la R.I. 172 dont la superficie était de 18 168 acres. Les trois nouvelles réserves qu'ils ont finalement obtenues en 1950 après la cession et la vente de la R.I. 172 couvraient quelque 6 194 acres. Les demandeurs prétendent avoir droit à la différence comme nouvelles réserves, soit une
superficie de 11 974 acres, pour compenser la perte des avantages qui leur étaient garantis par le Traité 8 parce qu'ils allèguent que, selon le libellé du Traité, la Couronne était obligée de mettre à part pour eux, à perpétuité, une juste partie du territoire cédé par traité.
Les parties ne contestent pas que, lorsque les demandeurs ont reçu les 18 168 acres de terre, ils ont obtenu un droit absolu sur les terres de la réserve conformément au Traité. Les trois para- graphes du Traité traitant des droits afférents aux terres de la réserve se trouvent à la page 15; en voici le texte:
Et Sa Majesté la Reine par les présentes convient et s'oblige de mettre à part des réserves pour les bandes qui en désireront, pourvu que ces réserves n'excèdent pas en tout un mille carré pour chaque famille de cinq personnes pour tel nombre de familles qui désireront habiter sur des réserves, ou dans la même proportion pour des familles plus ou moins nombreuses ou petites; et pour les familles ou les sauvages [sic] particuliers qui préféreront vivre séparément des, réserves des bandes, Sa Majesté s'engage de fournir une terre en particulier de 160 acres à chaque sauvage [sic], la terre devant être cédée avec une restriction quant à l'inaliénation sans le consentement du Gouverneur général du Canada en conseil, le choix de ces réserves et terres en particulier devant se faire de la manière suivante, savoir: le Surintendant général des Affaires des Sau- vages [sic] devra députer et envoyer une personne compétente pour déterminer et assigner ces réserves et terres après s'être consulté avec les sauvages [sic] intéressés quant à la localité que l'on pourra trouver convenable et disponible pour le choix.
Pourvu, néanmoins, que Sa Majesté se réserve le droit de régler avec tous les colons établis dans les limites de toute terre réservée pour une bande de la manière qu'elle trouvera conve- nable, et aussi que lesdites réserves de terre ou tout droit sur ces terres pourront être vendus et adjugés par le gouvernement de Sa Majesté pour le bénéfice et avantage des dits sauvages [sic] qui y auront droit, après qu'on aura au préalable obtenu leur consentement.
Il est de plus convenu entre Sa Majesté et ses dits sujets sauvages que telles parties des réserves et des terres ci-dessus indiquées qui pourront de temps à autre être requises pour des travaux publics, des édifices, des chemins de fer, ou des routes de quelque nature que ce soit, pourront être prises dans ce but par le gouvernement de Sa Majesté du Dominion du Canada, et il sera accordé une indemnité convenable en compensation des améliorations qui y auront été faites, et un équivalent en terre, en argent ou autre considération pour l'étendue de la réserve ainsi appropriée.
On trouve à la page 279 de l'arrêt The Queen v. George, [1966] R.C.S. 267, l'exposé suivant du droit en ce qui concerne le traité de 1827:
[TRADUCTION] J'estime que nous devrions essayer d'inter- préter le traité de 1827 et les lois du Parlement qui ont une incidence sur la question dont nous avons été saisis de manière que l'honneur de la Souveraine soit préservé et qu'on ne puisse
reprocher au Parlement d'avoir retiré aux Indiens par un acte unilatéral et sans leur accorder de contrepartie les droits qui leur sont solennellement garantis par le traité ainsi qu'à leurs descendants.
Ce même principe s'appliquerait très certaine- ment au Traité 8.
Même la plus libérale des interprétations, faite conformément au principe dégagé dans l'arrêt The Queen v. George relativement aux clauses précitées du Traité, nous amène inévitablement à conclure que, une fois que la Couronne a mis de côté à titre de réserve l'étendue de terre requise, elle a rempli l'obligation que lui impose le Traité en ce qui concerne les terres de la réserve. En d'autres termes, les deuxième et troisième paragraphes sont incompatibles avec l'existence d'une obligation perpétuelle de continuer à fournir des terres jus- qu'à concurrence de la superficie prévue, une fois que la bande indienne a légalement cédé une réserve et que celle-ci a, par la suite, été vendue et que les produits de sa vente ont été portés au crédit de la bande ou lui ont été versés. En vertu du Traité, il ne subsiste aucun droit permettant à la bande indienne de recevoir, en plus des produits de la vente, d'autres terres dont la superficie égale celle de la réserve initialement mise à part confor- mément aux obligations imposées à la Couronne par le Traité.
Les avocats des demandeurs ont invoqué certai- nes des déclarations figurant dans le rapport des commissaires sur le Traité 8, en date du 22 septembre 1899. Ce rapport est annexé au Traité comme élément de la pièce 1 déposée à l'instruction.
Les commissaires étaient chargés de négocier avec diverses bandes indiennes se trouvant dans le territoire qui devait être visé par le Traité et d'obtenir leur adhésion. Les avocats ont allégué que les déclarations des commissaires, comme en fait foi le rapport, ont créé l'obligation de conti- nuer à fournir des terres jusqu'à concurrence de la superficie mentionnée dans le Traité, malgré le fait que ces terres puissent avoir été cédées à un moment ou un autre, selon les règles et avec le consentement des Indiens.
Étant donné le rapport spécial existant entre la Couronne et les Indiens, l'analphabétisme de ces derniers et leur dépendance à l'égard des manda-
taires de la Couronne, si une déclaration spéciale en ce sens avait effectivement été faite aux Indiens avant la signature du Traité, elle lierait légalement la Couronne, même s'il était possible qu'elle n'ait pas été incorporée dans le libellé formel du Traité.
Les demandeurs invoquent expressément la phrase soulignée dans le paragraphe suivant figu- rant dans le rapport des commissaires:
On donna aux sauvages le choix de prendre des réserves ou des terres en particulier. Comme l'étendue du pays couverte par le traité rendait impossible de définir des réserves ou des propriétés, et comme les sauvages n'étaient pas prêts à faire un choix, nous nous contentâmes d'entreprendre de mettre à part à l'avenir les réserves et les propriétés, et les sauvages furent satisfaits de la promesse que cela se ferait lorsqu'ils le deman- deraient. Il n'y a aucune nécessité immédiate de faire un tracé général des réserves ou de faire une répartition des terres. Il sera bien assez tôt de le faire lorsque l'avancement de la colonisation rendra nécessaire l'arpentage des terres. De fait les sauvages s'opposaient en général à être placés sur les réserves. Il eût été impossible de faire un traité si nous ne leur avions pas assuré que nous n'avions aucune intention de les confiner dans des réserves. Nous avons leur expliquer que la disposition relative aux réserves et à la répartition des terres était faite pour les protéger et pour leur assurer à perpétuité une portion raisonnable de la terre cédée, dans le cas la colonisation avancerait. [C'est moi qui souligne.]
Je ne peux tout simplement pas attribuer à cette déclaration le sens que les demandeurs me pressent de lui donner, soit que l'engagement consiste à fournir des terres de réserve lorsque les Indiens le demandent jusqu'à concurrence de la superficie prévue. Une fois que ces terres leur ont été four- nies, elles leur appartiennent à perpétuité et elles ne peuvent leur être retirées sans leur consente- ment. Tels sont l'effet et l'essence de la déclara- tion. Il n'est nulle part mentionné que, si une réserve est par la suite aliénée avec le consente- ment des Indiens obtenu suivant les règles, de nouvelles réserves seront fournies. Une obligation politique ou morale de le faire pourrait exister dans certains cas, mais le Traité 8 ne crée pas une telle obligation légale. Il se pourrait également que l'octroi de nouvelles terres de réserve constitue l'une des conditions imposées par les Indiens ou proposées et acceptées par la Couronne au moment de la cession d'une réserve, mais cela ferait l'objet d'un nouvel accord et n'a rien à voir avec le Traité 8; il n'en est pas non plus question directement ou indirectement dans le Traité ni dans le rapport des commissaires.
LA CESSION DE 1940
Le 9 juillet 1940, les demandeurs ont cédé à la Couronne leurs droits miniers afférents à la R.I. 172 [TRADUCTION] «en fiducie aux fins de leur cession à bail à une ou plusieurs personnes et selon les conditions que le gouvernement du Canada peut juger les plus appropriées pour assurer notre bien-être et celui de notre peuple». L'acte de ces sion a été signé par Succona et Joseph Apsassin, les mêmes chef et sous-chef qui ont signé par la suite la cession de 1945. La cession de 1940 a également été signée par trois conseillers ou [TRA- DUCTION] «membres principaux».
L'article 51 de la Loi prévoit les exigences rela tives à la validité d'une cession ou d'une rétroces- sion de «terres indiennes». Voici le libellé de la première partie de cet article:
51. Sauf dispositions contraires de la présente Partie, nulle cession ou rétrocession d'une réserve ou d'une partie de réserve à l'usage d'une bande, ou d'un Indien en particulier, n'est valide ni obligatoire, à moins que la cession ou rétrocession ne soit ratifiée par la majorité des hommes de la bande qui ont vingt et un ans révolus, et ce à une assemblée ou à un conseil de la bande convoqué pour en délibérer conformément aux usages de la bande, et tenu en présence du surintendant général, ou d'un fonctionnaire régulièrement autorisé par le gouverneur en son conseil ou par le surintendant général à y assister.
Je le répète, ni la validité de cette cession ni non plus le consentement éclairé des Indiens à celle-ci n'ont été contestés contrairement à ce qui fut le cas pour la cession subséquente de 1945. Cette dernière visait la vente ou la location et le point litigieux entre les parties en ce qui concerne la cession des droits miniers en 1940 aux fins de leur location consistait à savoir si, par conséquent, les droits miniers n'étaient pas inclus dans la cession de 1945 ou ne pouvaient y être inclus.
Il est important de se rappeler que le titre sur les terres de la réserve appartenait en tout temps à la Couronne. Par ce qu'on pourrait appeler la clause de concession dans l'acte de cession de 1940, tous les droits usufruitiers que les demandeurs possé- daient relativement [TRADUCTION] «au pétrole et au gaz naturel ainsi qu'aux droits miniers con- nexes» en ce qui concerne la R.I. 172 ont été effectivement cédés au Roi. Par contre, il est ques tion dans la cession de 1945 de la réserve elle- même et non d'un droit restreint afférent à celle-ci, et, par cette cession, l'ensemble de la réserve est cédé pour toujours à Sa Majesté. Évidemment,
cela ne peut que viser les droits usufruitiers ou autres droits que les Indiens peuvent posséder sur l'ensemble de la réserve. Il n'y a aucune restriction dans la clause de concession; la clause de l'haben- dum prévoit qu'il y a cession [TRADUCTION] «en fiducie aux fins de vendre ou de louer ... et que les sommes reçues seront portées à notre crédit de la manière habituelle.» Lorsque la description d'un bien cédé ne comporte aucune restriction ni réserve, l'ensemble du bien mentionné, qu'il s'agisse d'un bien réel ou personnel, et tous les droits afférents, qu'il s'agisse de droits légaux, en equity ou usufruitiers, sont présumés faire partie de la cession. Il ne s'agit pas seulement d'une règle de common law, mais de bon sens.
Si on présume pour l'instant que les demandeurs ont librement consenti, en toute connaissance de cause, à la cession effectuée en 1945, on pourrait normalement conclure à la simple lecture des deux documents, et en l'absence de preuve contraire, que les deux parties voulaient, en signant la cession de 1945, que tous les droits de propriété des demandeurs, y compris les droits de propriété ou autres droits qu'ils pouvaient posséder sur les minéraux de la réserve, soient cédés aux fins men- tionnées dans cet acte, c'est-à-dire leur vente ou leur location par la Couronne pour le profit des Indiens. J'estime que cet acte, lorsqu'on l'inter- prète en fonction du principe dégagé dans l'arrêt The Queen v. George (précité), impose à la Cou- ronne, au moment de la vente ou de l'aliénation absolue de la réserve, l'obligation de mettre à part pour les demandeurs non seulement toute contre- partie qui pourrait être attribuable aux droits usu- fruitiers cédés, mais aussi toute partie de la contre- partie totale qui pourrait être accordée pour le reste du titre de propriété absolu. De toute manière, un titre de propriété absolu n'a aucune valeur réelle lorsqu'il est assorti d'un droit usufrui- tier illimité et perpétuel, afférent à l'ensemble des terres en cause.
Toutefois, les avocats des demandeurs ont allé- gué que, quel que soit le sens que l'on puisse essayer d'attribuer à l'acte de cession de 1945, les droits de leurs clients sur le pétrole et le gaz naturel ne pouvaient désormais plus être légale- ment cédés par cet acte parce qu'ils ne faisaient plus partie de la réserve: par suite de la cession de 1940 qui a été acceptée par décret du conseil, ils
sont devenus «terres indiennes» et ils ne pouvaient être rétrocédés en 1945. Par suite de la cession de 1940, les droits miniers ont été séparés des autres droits que les Indiens possédaient relativement à la R.I. 172.
L'acte de cession de 1940 a été dûment accepté par le gouverneur en conseil en novembre 1941, par le Q.C. 8939 (pièce 214 produite à l'instruc- tion) et ce, conformément aux exigences du para- graphe 51(4) de la Loi des Indiens.
L'argumentation repose essentiellement sur les définitions de «terres indiennes», «terres des Indiens» et de «réserve» figurant dans la Loi de 1927. L'alinéa 2l) de cette Loi définit «terres indiennes» et «terres des Indiens» comme suit:
2....
1) «terres indiennes», «terres des Indiens» signifie toute réserve ou partie de réserve qui a été cédée à la, Couronne;
Le mot «réserve» est défini comme suit à l'alinéa 2h):
2....
h) «réserve» signifie toute étendue de terre mise à part, par traité ou autrement, pour l'usage ou le profit d'une bande particulière d'Indiens ou concédée à cette bande, et dont le titre légal est attribué à la Couronne, et qui fait encore partie de la réserve et n'a pas été rétrocédée à la Cou- ronne, et comprend les arbres, le bois, la terre, la pierre, les minéraux, les métaux et autres choses de valeur qui se trouvent à la surface ou à l'intérieur du sol;
Se fondant sur ces définitions, les avocats des demandeurs ont allégué que, une fois la cession effectuée en 1940, le pétrole et le gaz naturel sont devenus des «terres indiennes» et ne constituaient donc plus une réserve ou une partie de réserve; ils ne pouvaient donc être aliénés qu'à titre de droits pétroliers et gaziers afférents aux réserves, confor- mément aux Règlements de 1930 dont l'alinéa la) prévoyait qu'ils pouvaient être loués 0,50 $ l'acre pour la première année et ensuite, 1 $ l'acre pour chaque année subséquente, s'ils avaient été cédés en fiducie à Sa Majesté conformément à l'article 50 de la Loi des Indiens. Les avocats ont invoqué principalement l'arrêt St. Ann's Fishing Club v. The King, [1950] R.C.S. 211, le juge Tasche- reau a déclaré à la page 215:
[TRADUCTION] Les terres en cause faisaient anciennement partie d'une «Réserve» pour l'usage ou le profit des Chippewa et des Pottawatomie de Walpole Island, et il ne fait aucun doute qu'elles ne pouvaient à l'origine être louées en mai 1881 aux
prédécesseurs de l'appelant, à moins qu'elles n'aient été cédées à la Couronne. Une cession a pour effet de faire d'une réserve ou d'une partie de réserve des «terres indiennes», expression définie à l'alinéa 2k) de la Loi des Indiens ((c'est-à-dire à l'alinéa 21) de la Loi de 1927)) comme «toute réserve ou partie de réserve qui a été cédée à la Couronne». [C'est moi qui souligne et qui ajoute le texte entre doubles parenthèses.]
Ils ont également invoqué la déclaration sui- vante du juge Kerwin aux pages 212 et 213 du même arrêt:
[TRADUCTION] Au cours des débats, on a demandé si on pouvait prétendre que la cession «ayant pour but de permettre que le territoire décrit puisse être loué aux requérants aux fins d'y chasser et d'y pêcher pour la durée et aux conditions que le surintendant des Affaires indiennes peut juger dans notre inté- rêt», constituait effectivement une cession conditionnelle et si, dans l'éventualité cette condition ne serait pas remplie, les terres seraient rendues. On a laissé entendre qu'une réponse à cette question ne serait d'aucune utilité à l'appelant, ce qu'a indiqué très clairement M. Jackett lorsqu'il a invoqué les alinéas 2i) et k) ((c'est-à-dire les alinéas 2h) et 1) de la Loi de 1927)) et les articles 19, 48 et 49 de la Loi sur les sauvages, chap. 81, S.R.C. 1906. Si d'une manière ou d'une autre les terres redevenaient une partie de la réserve, l'article 49 ((c'est-à-dire l'article 51 de la Loi de 1927)) s'appliquerait et, sous réserve de ce que prévoit la Partie I, aucune concession ou cession d'une réserve ou d'une partie de réserve ne sera valide ou ne liera les parties que si ladite concession ou cession respecte les conditions prévues. [C'est moi qui souligne et qui ajoute le texte entre doubles parenthèses.]
On peut clairement établir une distinction entre l'arrêt St. Ann's Fishing Club et l'espèce, car il s'agissait de la cession d'une île entière constituant une partie de la réserve alors que les droits pétro- liers et gaziers ne constituent qu'un simple droit sur l'ensemble de la réserve. La cession de 1940 n'était pas celle «d'une partie de» réserve telle que prévue à l'alinéa 2l) et comme cela a été le cas dans l'arrêt St. Ann's Fishing Club; il s'agissait plutôt de la cession d'un droit sur une partie de l'ensemble de la réserve. En outre, la Loi prévoit qu'une réserve est une étendue de territoire qu'elle définit comme suit: «étendue de terre mise à part ... et comprend les arbres, le bois ... les miné- raux, les métaux et autres choses de valeur». Cela signifie simplement que les terres de la réserve comprennent ces objets et non qu'un droit tel qu'une tenure à bail sur l'un quelconque de ces objets constitue une réserve. Il se peut que l'inclu- sion de ces objets dans le mot «réserve» ait été jugée préférable parce que les Indiens ne possèdent pas un titre de propriété sur la réserve mais plutôt un droit usufruitier et qu'il n'existe pas, dans un tel cas, une règle de common law prévoyant,
comme c'est le cas pour un titre de propriété absolu, que tous ces objets font nécessairement partie d'un fief simple à moins d'en être expressé- ment exclus.
Enfin, rien dans la Loi sur les Indiens n'interdit à la bande indienne de changer d'avis et d'approu- ver et de conclure un autre arrangement avec la Couronne. Les avocats des demandeurs ont, en fait, allégué qu'en raison de la fiducie obligeant la location, fiducie qui a été imposée à la Couronne par la cession de 1940, les droits miniers des Indiens ne pouvaient désormais plus, par suite de cette cession, être autrement aliénés que par bail, même si la Couronne et les Indiens devaient subsé- quemment consentir à leur vente ou à leur aliéna- tion à titre de partie de la réserve. Cela nous amènerait à conclure illogiquement que ces droits pétroliers et gaziers ne pourraient plus jamais être vendus alors que les autres droits afférents à la réserve pourraient être cédés à cette fin. Pour pouvoir arriver à une conclusion aussi extraordi- naire, il faudrait qu'il existe une disposition claire et sans équivoque à cet effet dans la Loi sur les Indiens. Celle-ci ne contient aucune disposition limitant de cette manière le droit d'aliénation. Les dispositions législatives entraînent parfois des absurdités, mais avant d'accepter celles-ci, les tri- bunaux doivent tout au moins exiger que, dans de tels cas, l'intention du législateur soit exprimée clairement et sans équivoque et que le libellé uti- lisé ne puisse absolument pas donner lieu à une autre interprétation.
Dans leur argumentation concernant la sépara- tion des droits pétroliers et gaziers des autres droits afférents à la réserve et les conséquences d'une telle séparation, les avocats des demandeurs ont invoqué l'ouvrage Armour on Real Property, 2e éd., 1916, ainsi que les affaires Humphries v. Brogden (1850), 12 Q. B. 739; Algoma Ore Prop erties Ltd. v. Smith, [1953] 3 D.L.R. 343 (C.A. Ont.); Stoughton v. Leigh (1808), 1 Taunt. 402; 127 E.R. 889 (H.C. Ch.); Ex p. Jackson, [1925] 1 D.L.R. 701 (C.S. Alb., Div. d'appel), à la page 702; Berkheiser v. Berkheiser and Glaister, [1957] R.C.S. 387; Martyn v. Williams (1857), 1 H. & N. 817; 156 E.R. 1430 (Exch.); et Earl of Lons- dale v. Lowther, [ 1900] 2 Ch. 687. Cette jurispru dence n'a aucune incidence sur la question fonda- mentale de savoir si les droits cédés aux fins de
leur location en 1940 pouvaient légalement faire partie de la cession de 1945 et être finalement vendus libres de toute fiducie obligeant leur loca tion en faveur des demandeurs, fiducie originelle- ment créée par la cession de 1940.
Par conséquent, j'estime que les droits pétroliers et gaziers cédés aux fins de leur location en 1940 pouvaient encore être légalement cédés avec le reste de la réserve en 1945 soit aux fins de leur location ou de leur vente, soit à ces deux fins.
VIOLATIONS DE L'OBLIGATION ENTRE 1916 ET 1945
Il n'existe aucun fondement juridique aux actes de négligence et à la violation non frauduleuse de l'obligation fiduciaire qui, selon les demandeurs, se seraient produits entre 1916 et 1945 et qui consis- taient à avoir permis l'utilisation non autorisée de terres sur lesquelles les demandeurs possédaient un droit et à avoir autorisé la province de la Colom- bie-Britannique à réglementer inadéquatement l'utilisation de certaines terres. Il n'existe aucune obligation légale, fiduciaire ou autre, en vertu de laquelle le ministère des Affaires indiennes est tenu de réglementer activement les réserves indien- nes; la défenderesse n'est pas non plus légalement tenue d'intervenir ou d'utiliser son pouvoir consti- tutionnel pour annuler une loi provinciale légitime d'application générale, pour la simple raison qu'elle touche également les droits des Indiens.
En raison de la nature même des incidents reprochés, les demandeurs devaient en être au courant au moment ils se sont produits. Rien dans la preuve n'indique qu'une plainte a été portée auprès du surintendant général ou des fonc- tionnaires du Ministère en ce qui concerne ces prétendus intrus, ce qui ferait entrer en jeu l'obli- gation du Ministère de poursuivre les intrus comme le prévoyaient les articles 35 et 36 de la Loi des Indiens de 1927.
Pour les motifs que j'examinerai plus loin, ces réclamations sont également prescrites parce que les incidents se seraient produits il y a déjà plus de trente ans avant l'introduction de la présente action et qu'on n'a même pas allégué qu'il y avait eu fraude de la part de la défenderesse à cet égard.
LA CESSION DE 1945 a) Loi applicable
Pour être valide, la cession de 1945 doit notam- ment avoir été exécutée conformément aux disposi tions de la Loi des Indiens en vigueur à cette époque, savoir les articles 4, 50 [mod. par S.C. 1938, chap. 31, art. 1] et 51. Ils sont rédigés en ces termes:
4. Le ministre de l'Intérieur, ou le chef de tout autre ministère désigné à cet effet par le gouverneur en son conseil, est le surintendant général des affaires indiennes, et, à ce titre, gère et administre les terres et propriétés indiennes en Canada.
50. Sauf dispositions contraires de la présente Partie, nulle réserve ou portion de réserve ne peut être vendue, aliénée ni affermée, avant d'avoir été cédée ou rétrocédée à la Couronne pour les objets de la présente Partie; mais le surintendant général peut donner à bail, au profit de quelque Indien, sur sa demande, la terre à laquelle celui-ci a droit, sans cession ni abandon, et il peut, sans qu'il y ait eu abandon, disposer de la manière la plus avantageuse possible pour les Indiens des graminées sauvages et du bois mort sur pied ou du chablis.
2. Le gouverneur en conseil peut établir des règlements permettant au surintendant général, à l'égard d'une réserve indienne, de donner à bail, aux conditions jugées pertinentes dans l'intérêt des Indiens et de tout autre locataire ou titulaire de droits de surface,
a) sur abandon conformément à la présente Partie, tout terrain censé contenir du sel, du pétrole, du gaz naturel, du charbon, de l'or, de l'argent, du cuivre, du fer ou d'autres minéraux, et de conférer, à l'égard de ce terrain, le droit de prospecter ou de faire des travaux miniers pour obtenir l'un quelconque de ces minéraux, ou le droit de le récupérer ou emporter, et
b) sans abandon, à toute personne autorisée à extraire l'un des minéraux mentionnés au présent article, des droits de surface sur telle étendue de terrain, à l'intérieur d'une réserve contenant lesdits minéraux, qui peut être nécessaire à leur extraction.
(Mod. par S.C. 1938, chap. 31, art. 1.)
51. Sauf dispositions contraires de la présente Partie, nulle cession ou rétrocession d'une réserve ou d'une partie de réserve à l'usage d'une bande, ou d'un Indien en particulier, n'est valide ni obligatoire, à moins que la cession ou rétrocession ne soit ratifiée par la majorité des hommes de la bande qui ont vingt et un ans révolus, et ce à une assemblée ou à un conseil de la bande convoqué pour en délibérer conformément aux usages de la bande, et tenu en présence du surintendant général, ou d'un fonctionnaire régulièrement autorisé par le gouverneur en son conseil ou par le surintendant général à y assister.
2. Nul Indien ne peut voter ni assister à ce conseil, à moins de résider habituellement dans ou près de la réserve en ques tion, ou d'y avoir un intérêt.
3. Le fait que la cession ou rétrocession a été consentie par la bande, à ce conseil ou à cette assemblée, doit être attesté sous
serment par le surintendant général ou par le fonctionnaire qu'il a autorisé à assister à ce conseil ou à cette assemblée, et par l'un des chefs ou des anciens qui y a assisté et y a droit de vote, devant toute personne autorisée à faire prêter serment et ayant juridiction dans l'endroit le serment est prêté.
4. Après que ce consentement a été ainsi attesté, comme susdit, la cession ou rétrocession est soumise au gouverneur en son conseil, pour qu'il l'accepte ou la refuse. S.R., c. 81, art. 49; 1918, c. 26, art. 2.
b) Nature de la décision de procéder à la cession
Au sujet de la décision prise par le Ministère de vendre la R.I. 172 en 1945, l'avocat de la défende- resse a soutenu que la question de savoir s'il faut accepter une cession donnée relevait de la politique administrative du Ministère plutôt que du domaine de l'exécution. Par conséquent, elle ne pouvait faire l'objet d'un contrôle judiciaire. Il s'est appuyé sur une déclaration faite par lord Diplock dans l'arrêt Dorset Yacht Co. Ltd. v. Home Office, [1970] A.C. 1004 (H.L.), à la page 1067:
[TRADUCTION] C'est, je crois, pour des raisons d'ordre prati- que de ce genre qu'au cours du dernier siècle le concept de l'ultra vires du droit public a remplacé la notion de négligence du droit civil à titre de critère pour juger de la légalité (et donc de la possibilité de poursuivre) des actes ou omissions des ministères ou des organismes publics dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont ils sont investis par le Parlement en ce qui concerne les moyens de réaliser un objectif public déterminé. Selon ce concept, le Parlement a accordé au Ministère ou à l'organisme chargé de l'administration de la loi le droit exclusif de choisir, dans le cadre fixé par le texte législatif, les moyens qui lui permettront le mieux de s'acquitter de sa mission.
Cet énoncé du droit a été confirmé à nouveau et appliqué par la suite par la Chambre des lords dans l'arrêt Anns v. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728 (H.L.), à la page 754:
[TRADUCTION] Les lois ayant trait aux autorités ou organis- mes publics comportent, pour la plupart sinon toutes, une large mesure de politique administrative. Les cours appellent cela «pouvoir discrétionnaire» pour signifier que la décision appar- tient à ces autorités ou organismes, et non pas aux tribunaux judiciaires. Plusieurs lois prescrivent aussi ou du moins présup- posent l'exécution pratique des décisions de politique: une façon utile de décrire ce phénomène consiste à dire qu'en plus du domaine de la politique administrative ou du pouvoir discré- tionnaire, il existe un domaine d'exécution. Bien que la distinc tion entre ce qui relève de la politique et ce qui relève de l'exécution soit utile et nous éclaire, il s'agit probablement d'une distinction de degré; un bon nombre de pouvoirs et d'obligations «d'exécution» comportent certains éléments de «discrétion». On peut affirmer sans contredit que plus un pou- voir ou une obligation relève du domaine de l'exécution, plus il est facile de lui superposer une obligation de diligence qui relève de la common law.
Le principe a également été approuvé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Kamloops (Ville de) c. Nielsen et autres, [ 1984] 2 R.C.S. 2, et par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'arrêt Toews v. MacKenzie (1980), 12 C.C.L.T. 263 (C.A.C.-B.).
Je ne puis admettre l'argument voulant que, dans les circonstances de l'espèce, la décision d'ac- cepter la cession ne puisse faire l'objet d'un con- trôle ni qu'une action en dommages-intérêts ne puisse être fondée sur son exercice irrégulier. La décision relève davantage du domaine de «l'exécu- tion» que de celui de la «politique administrative». Bien que les pouvoirs du Ministère lui aient été conférés par une loi, l'étendue de leur exercice est laissé à la discrétion de celui-ci. Ce pouvoir discré- tionnaire n'est cependant pas absolu, car le consen- tement des Indiens doit avoir été obtenu de façon régulière, et, en réalité, le Ministère ne peut que recommander l'acceptation du projet de cession, celui-ci devant être soumis en définitive à l'appro- bation du gouverneur en conseil. En l'espèce, les conseils prodigués par le Ministère à la demande des Indiens ont déterminé ceux-ci, dans une cer- taine mesure du moins, à donner leur consente- ment. La décision d'accepter la cession ne peut logiquement être dissociée des opinions émises par les autorités qui cherchaient à obtenir le consente- ment. Pour l'essentiel enfin, les demandeurs ne se plaignent pas de la politique mais plutôt de sa mise en oeuvre qui, elle, peut faire l'objet d'un contrôle et pourrait servir de fondement à une action en dommages-intérêts si elle s'avérait contraire aux règles.
c) Documents relatifs à la cession
L'un des principaux points en litige est la ques tion de savoir si les membres de la bande ont parfaitement compris la portée de leur décision et s'ils ont consenti librement à la cession de la R.I. 172 le 22 septembre 1945. Étroitement liée à la première, une deuxième question concerne la tenue d'un vote individuel à l'assemblée.
L'acte de cession (pièce 295) et le compte rendu de M. Grew (pièce 294) en date du 24 septembre 1945 sont, bien sûr, des pièces importantes dont il faut tenir compte à ce sujet.
L'acte de cession, attesté par MM. Grew et Galibois, a été signé au nom de la bande par le
chef Succona et quatre autres membres de la bande, dont le sous-chef Joseph Apsassin. Deux des trois autres signataires étaient chefs de leur groupe respectif. Un affidavit à l'égard duquel l'avocat prétend que les formalités prescrites n'ont pas été accomplies est joint à l'acte de cession proprement dit. L'affidavit a été souscrit par M. Grew, le chef Succona et le sous-chef Joseph Apsassin devant J. S. Young en sa qualité de [TRADUCTION] «juge de paix pour la Colombie- Britannique». Comme la validité de ce document a été vivement contestée par l'avocat des deman- deurs, le texte intégral de l'affidavit est reproduit ci-dessous:
[TRADUCTION] DOMINION DU CANADA
Province de la Colombie-Britannique Comté de Cariboo
Ont personnellement comparu devant moi
J. L. Grew
de la ville d'Ottawa
dans la province de l'Ontario
le chef Succona et le sous-chef Jos Apsassin, chefs de la bande indienne de St John Beaver.
Ledit J. L. Grew a déclaré ce qui suit:
L'acte de cession ou de rétrocession ci-joint a été sanctionné par la majorité des membres de sexe masculin de ladite bande indienne, ayant atteint l'âge de vingt et un ans et ayant le droit de vote, qui tous ont assisté à l'assemblée ou conseil.
Ce consentement a été donné à l'assemblée ou conseil de ladite bande convoqué à cette fin conformément à son règle- ment ou à celui du Ministère.
Les termes dudit acte de cession ont été traduits pour les Indiens par un interprète qualifié pour traduire de l'anglais vers la langue des Indiens.
J'ai assisté à cette assemblée ou conseil et j'ai entendu les Indiens donner leur consentement.
J'ai été dûment autorisé à assister à ce conseil ou assemblée par l'assistant-surintendant général des Affaires indiennes.
Aucun Indien n'appartenant pas à la bande ou n'ayant aucun intérêt sur les terres mentionnées dans ledit acte de cession ou de rétrocession n'a assisté à l'assemblée ou conseil ni n'y a voté.
Ledit chef Succona et le sous-chef Joseph Apsassin ont déclaré ce qui suit:
L'acte de cession ou de rétrocession ci-joint a été sanctionné par la majorité des membres de sexe masculin de ladite bande indienne ayant atteint l'âge de vingt et un ans et nous.
Ce consentement a été donné à une assemblée ou conseil de ladite bande indienne convoqué à cette fin, comme il a été déclaré ci-dessus, et tenu en présence dudit
J. L. Grew.
Aucun Indien n'étant pas résident habituel de la réserve de ladite bande indienne et n'ayant aucun intérêt sur les terres mentionnées dans ledit acte de cession ou de rétrocession n'a assisté à l'assemblée ou conseil ni n'y a voté.
Les termes dudit acte de cession ont été traduits pour les Indiens par un interprète qualifié pour traduire de l'anglais vers la langue des Indiens.
Nous sommes le chef et le sous-chef de ladite bande indienne et nous avons le droit de voter à ladite assemblée ou conseil.
Fait sous serment devant moi par les déposants
au B.P. de Rose Prairie
dans le comté de Cariboo
Ce 22' jour du mois de septembre de l'an de
grâce 1945
J. E. Young
Juge de paix
pour la Colombie-Britannique
Un document décrit comme étant une liste com- plète des votants en date du 22 septembre 1945 est également annexé à l'acte de cession. Selon ce document, 27 membres de la bande étaient pré- sents et ont voté en faveur de la cession, quatre membres étaient absents et personne ne s'est opposé à la cession. La liste a été certifiée exacte par J. L. Grew.
Dans son compte rendu (pièce 294) adressé à M. Hoey, directeur de la Direction des Affaires indiennes, M. Grew a indiqué qu'il faisait parvenir les papiers de la cession signés ainsi que la liste des votants. Il informait également M. Hoey du fait que, le samedi 21 septembre, la bande indienne de Fort Saint John avait unanimement accepté la cession de la réserve en vue de sa vente.
Les documents auxquels je fais référence consti tuent au moins une preuve prima facie du fait que la bande a librement consenti à la cession de la R.I. 172 en vue de sa vente et, en l'absence d'une preuve contraire convaincante, les demandeurs n'auraient pas gain de cause sur ce point.
Quant à l'objet véritable de la cession et à ses modalités, j'ai déjà traité, dans une certaine mesure, des clauses de concession et de l'haben- dum lorsque j'ai abordé la cession de 1940 (voir la page 53 ci-dessus). Rappelons brièvement que le document vise à céder tous les droits détenus par la bande sur la R.I. 172, sous réserve seulement de l'obligation de fiduciaire de la Couronne de vendre ou de louer les terres aux personnes et aux condi tions qu'elle juge de nature à favoriser le bien-être de la bande, le produit devant être porté «à notre
crédit de la manière habituelle». Bien que l'acte de cession soit formulé comme si la propriété absolue était cédée, il est évident que cette cession ne pouvait s'opérer puisque la Couronne possédait le titre de propriété sur les terres avant la cession. Seuls les droits que les demandeurs détenaient sur la R.I. 172 pouvaient être légalement cédés.
d) Consentement éclairé
Les demandeurs prétendent que la majorité des membres de la bande n'a pas donné son consente- ment et que, de toute façon, s'il y a eu consente- ment, celui-ci n'était pas un consentement éclairé: la question aurait été posée aux Indiens de façon trop soudaine, ils n'auraient pas eu le temps de peser le pour et le contre et de véritablement prendre connaissance des incidences de la cession. De plus, les demandeurs soutiennent que non seu- lement des faits importants ont été passés sous silence, mais que des conseils intéressés ont été donnés aux Indiens parce qu'il était réellement dans l'intérêt de la Couronne d'obtenir la cession et qu'il fallait y voir la raison primordiale des mesures prises. Pour étayer cette argumentation et ce qu'on pourrait appeler la position supérieure de la Couronne par rapport aux Indiens, les deman- deurs se sont fortement appuyés sur la doctrine de l'abus d'influence telle qu'elle est définie notam- ment dans les décisions Brusewitz v. Brown, [1923] N.Z. L.R. 1106 (S.C.); Tufton v. Sperni, [1952] 2 The Times L.R. 516 (E.C.A.); Allcard v. Skinner (1887), [1886-1890] All E.R. Rep. 90 (E.C.A.); Lloyds Bank Ltd y Bundy, [1974] 3 All ER 757 (E.C.A.) et dans d'autres jugements. Voici un extrait de l'affaire Brusewitz, précitée, à la page 1109:
[TRADUCTION] Lorsqu'il n'y a pas simplement absence ou insuffisance de la contrepartie pour la cession des biens mais que le concédant et le concessionnaire sont également liés par quelque rapport spécial de confiance, de subordination, de domination, de pouvoir ou tout autre rapport de supériorité qui rend raisonnable l'hypothèse selon laquelle la transaction a été obtenue par le concessionnaire grâce à l'exercice peu scrupu- leux de son pouvoir sur le concédant, la loi établit une présomp- tion et fait peser sur le concessionnaire le fardeau d'étayer la transaction dont il profite et de réfuter la présomption voulant que la transaction ne soit pas valide.
Dans l'affaire Lloyds Bank, précitée, sir Eric Sachs déclare à la page 768 du recueil de jurisprudence:
[TRADUCTION] En ce qui concerne la deuxième catégorie d'abus d'influence cependant, ce mot pris dans le contexte signifie simplement que lorsque l'existence d'un rapport spécial est établie, tout exercice de l'influence en question est considéré comme un abus relativement à la transaction à l'étude, peu importe les intentions des personnes détenant ce pouvoir, jus- qu'à ce qu'il soit démontré que les obligations du fiduciaire ont été remplies ou que la transaction profite véritablement à la personne sur laquelle s'est exercée l'influence. Cette solution est d'intérêt public.
J'accepte pleinement l'autorité des énoncés de droit exprimés dans ces affaires dans la perspective des situations de fait auxquelles ils se rapportent. Invoquant ces principes, les avocats des deman- deurs ont cependant soutenu, dans leur plaidoirie, qu'en raison du rapport qui unissait les parties, il incombait maintenant à la défenderesse d'établir par une preuve positive que les seize points énumé- rés aux pages 29, 30 et 31 de son argumentation écrite (que je n'ai pas reproduite ici), ont été expliqués aux membres de la bande avant qu'on puisse conclure à l'existence d'un consentement éclairé, faute de quoi les demandeurs auraient gain de cause. En premier lieu, je rejette absolument l'argument voulant que tous ces points doivent avoir été expliqués aux Indiens. Bon nombre sont redondants ou ne sont pas pertinents. D'autres auraient évidemment été connus des Indiens. Enfin, l'explication de certains autres points n'au- rait été requise que s'il s'agissait non pas seule- ment de personnes à charge mais de véritables aliénés, auquel cas aucun consentement valable n'aurait pu être obtenu. En second lieu, il serait manifestement ridicule d'exiger maintenant, qua- rante ans plus tard, alors que toutes les personnes qui auraient pu donner des conseils sont soit décé- dées, soit trop séniles pour témoigner, que la défenderesse démontre par une preuve positive que des avis ont été émis sur tous ces points. De toute façon, il aurait fallu que les renseignements soient communiqués oralement aux Indiens, car ceux-ci ne pouvaient ni lire ni écrire. Enfin, même s'il existe un rapport spécial entre les parties, lors- qu'un accord écrit est contesté, en particulier un acte scellé comme en l'espèce, il semble qu'il faut plus qu'une simple allégation de conduite irrégu- lière pour que la personne placée en situation dominante soit tenue de produire des preuves pour démontrer que les obligations spéciales ont été régulièrement remplies.
En l'espèce toutefois, dès le départ, les deman- deurs ont présenté des preuves suffisantes pour mettre en doute l'existence du consentement éclairé. Il incombe donc à la défenderesse de prou- ver, selon la prépondérance des probabilités, qu'elle n'a pas manqué aux obligations découlant du rapport spécial. L'étendue des obligations visées par ce fardeau dépend, entre autres choses, de la nature du rapport, de l'objet du litige et de l'apti- tude de la partie subordonnée à comprendre plei- nement de quoi il s'agit et à donner son consentement.
* * * *
La revue de la preuve relative au consentement de la cession de 1945 a été omise. Voir les conclusions de fait ci-dessous.
* * * *
Bref, en ce qui concerne le consentement éclairé, j'émets les conclusions de fait suivantes:
1. Les demandeurs savaient depuis longtemps qu'une cession absolue de la R.I. 172 était envisagée;
2. Ils en avaient discuté auparavant au moins à trois reprises à l'occasion d'assemblées officielles tenues en présence de représentants du Ministère;
3. Contrairement à ce que prétendent les deman- deurs, il serait absurde de conclure que les Indiens n'auraient pas débattu la question entre eux à de nombreuses occasions et de façon informelle au sein des groupes familiaux et des groupes de chasse;
4. À l'assemblée de la cession elle-même, la ques tion avait fait l'objet d'un débat complet. Les Indiens en avaient discuté entre eux et avec les représentants du Ministère avant la signature de l'acte de cession;
5. M. Grew, M. Galibois ni M. Peterson n'ont semblé avoir essayé d'influencer les demandeurs soit avant, soit pendant l'assemblée de la cession. Au contraire, la question semble avoir été résolue de façon très consciencieuse par les représentants du Ministère concernés;
6. M. Grew avait expliqué aux Indiens toutes les conséquences d'une cession;
7. Même s'ils n'ont pas saisi exactement la nature du droit, en common law, qu'ils cédaient, ils en étaient probablement incapables, ils ont bel et bien compris, dans les faits, que par la cession ils renonçaient pour toujours à tous leurs droits sur la R.I. 172 en échange de l'argent qui serait versé à leur crédit après la vente de la réserve, et d'autres terrains situés près de leurs sentiers de piégeage qui seraient achetés avec le produit de la vente;
8. Lesdits terrains avaient déjà été choisis par les Indiens, après mûre réflexion.
J'en conclus que tous les membres de sexe mas- culin de la bande qui assistaient à l'assemblée de cession, et non pas seulement la majorité d'entre eux, ont donné librement leur consentement éclairé au projet de cession. À tour de rôle, ils ont exprimé oralement leur accord suivant la liste des votants jointe à l'acte de cession. Des éléments de preuve, que j'accepte, montrent que seul figurait sur la liste des votants le nom des Indiens de la bande de Fort Saint John qui avaient le droit de voter.
e) Autres objections à la cession de 1945
Plusieurs autres arguments relatifs à la validité de la cession ont été présentés par les avocats des demandeurs. Ils se rapportent tous à l'article 51 de la Loi des Indiens, S.R.C. 1927, chap. 98, en vigueur à l'époque. Pour plus de commodité, je reproduis à nouveau les dispositions pertinentes de l'article 51:
51. Sauf dispositions contraires de la présente Partie, nulle cession ou rétrocession d'une réserve ou d'une partie de réserve à l'usage d'une bande, ou d'un Indien en particulier, n'est valide ni obligatoire, à moins que la cession ou rétrocession ne soit ratifiée par la majorité des hommes de la bande qui ont vingt et un ans révolus, et ce à une assemblée ou à un conseil de la bande convoqué pour en délibérer conformément aux usages de la bande, et tenu en présence du surintendant général, ou d'un fonctionnaire régulièrement autorisé par le gouverneur en son conseil ou par le surintendant général à y assister.
3. Le fait que la cession ou rétrocession a été consentie par la bande, à ce conseil ou à cette assemblée, doit être attesté sous serment par le surintendant général ou pâr le fonctionnaire qu'il a autorisé à assister à ce conseil ou à cette assemblée, et par l'un des chefs ou des anciens qui y a assisté et y a droit de vote, devant toute personne autorisée à faire prêter serment et ayant juridiction dans l'endroit le serment est prêté.
4. Après que ce consentement a été ainsi attesté, comme susdit, la cession ou rétrocession est soumise au gouverneur en son conseil, pour qu'il l'accepte ou la refuse. S.R., c. 81, art. 49; 1918, c. 26, art. 2.
Les objections soulevées sont les suivantes:
1. L'assemblée n'a pas été convoquée conformé- ment au paragraphe 51(1) de la Loi.
2. L'assemblée n'a pas été tenue devant un fonc- tionnaire régulièrement autorisé conformément à cet article.
3. L'attestation requise en application du paragra- phe 51(3) n'a pas été obtenue ni fournie.
Quant à la première objection, aucune preuve n'a été produite pour établir que la bande de Fort Saint John avait adopté un règlement concernant la convocation de ses réunions ou conseils. Les Indiens ont été informés de l'assemblée bien assez tôt. Les témoins des demandeurs ont également reconnu qu'ils avaient été invités à l'assemblée bien que certains prétendent ne pas avoir été mis au courant de l'objet de la réunion. Quatre des membres de la bande étaient absents, mais on n'a pas prouvé qu'ils ne savaient pas qu'une assemblée serait tenue ni qu'ils se soient jamais plaints de l'insuffisance du préavis. De toute façon, le far- deau de la preuve sur ce point pèse clairement sur les demandeurs qui n'ont pas réussi à s'en acquitter.
En ce qui concerne la question de savoir si M. Grew a été régulièrement autorisé à tenir l'assem- blée de la cession en application du paragraphe 51(1), il est assez important de constater que ses instructions lui venaient de M. Hoey qui à l'époque était à la tête de la Direction des affaires indiennes du Ministère et était investi de tous les pouvoirs du sous-ministre en vertu du paragraphe 9(2) de la Loi du ministère des Mines et des ressources [S.C. 1936, chap. 33] qui est formulé comme suit:
9....
(2) Le fonctionnaire en chef de la division du ministère dans laquelle sont comprises les affaires indiennes peut, sous l'auto- rité du sous-ministre, accomplir et exercer les devoirs, pouvoirs et fonctions concernant les affaires indiennes qui sont ou peu- vent être attribuées au surintendant général adjoint des affaires indiennes pour toute loi du Parlement du Canada ou par tout règlement ou ordonnance établi sous son empire.
L'alinéa 31(1) de la Loi d'interprétation [S.R.C. 1927, chap. 1] en vigueur en 1927 prévoit que le
sous-ministre peut exercer les pouvoirs du ministre pour gérer le Ministère. Cette disposition est for- mulée comme suit:
31....
(1) Les mots par lesquels ordre ou pouvoir est donné à un ministre de la Couronne de faire un acte ou une chose, ou qui de toute autre manière lui sont applicables à raison de son titre officiel, impliquent tout ministre agissant pour lui, ou, s'il y a vacance, tenant sa place par intérim en vertu d'un arrêté en conseil, et impliquent aussi ses successeurs dans sa charge et son substitut ou leur substitut légalement nommé;
Aucune disposition de l'article 51 de la Loi des Indiens n'indique que le Parlement voulait que le surintendant général, plutôt que son substitut, autorise personnellement un individu à assister à l'assemblée de la cession. L'alinéa 31(l) de la Loi d'interprétation s'applique donc. Enfin, rien ne dit que le surintendant général ne pouvait autoriser oralement la personne ni donner des instructions à M. Hoey pour qu'il ordonne à M. Grew d'assister à l'assemblée. Aucune preuve ne montre que dans les faits il n'en a pas été ainsi. Il incombe aux demandeurs de prouver que M. Grew n'a pas été autorisé, et ils ne peuvent s'acquitter de ce fardeau en démontrant simplement que M. Hoey a donné pour instructions à M. Grew d'assister à l'assem- blée et de recevoir la cession puisque, répétons-le, ces directives peuvent fort bien avoir été données avec l'autorisation du surintendant général et sur son ordre.
Lorsqu'il s'agit de savoir si le fait de ne pas observer toutes les dispositions du paragraphe 51(3) de la Loi pourrait rendre nulle la cession, une question de droit se pose: ces dispositions sont-elles impératives ou simplement supplétives? Dans ce dernier cas, l'inobservation n'invaliderait pas la cession elle-même ni son acceptation subsé- quente par le gouverneur en conseil.
Pour trancher cette question, il faut consulter le libellé même des autres dispositions de l'article 51, qui est assez important. Le paragraphe (1) dispose que «nulle cession ... n'est valide ni obligatoire, à moins que la cession ... ne soit ratifiée». Il s'agit clairement d'une disposition impérative ou subs- tantielle. Le paragraphe (2) détermine qui a le droit de voter à l'assemblée, et le paragraphe (4) porte que le gouverneur en conseil peut soit accep- ter, soit refuser la cession. Ces dispositions sont également clairement impératives ou substantiel-
les. Cependant, le paragraphe (3) prévoit les moyens par lesquels sera prouvé le fait que la cession a été reçue de façon régulière et que toutes les formalités requises ont été remplies.
La décision qui fait autorité dans ce domaine du droit est l'affaire Montreal Street Railway Com pany v. Normandin, [ 1917] A. C. 170, entendue par le Conseil privé. Dans cette cause, on préten- dait que le verdict du jury devait être rejeté parce que le shérif n'avait pas mis à jour la liste des votants pour former le jury. Le Conseil privé a énoncé les principes généraux qui guident les tri- bunaux sur cette question. Voici un extrait de l'avis du Conseil privé (aux pages 174 et 175):
[TRADUCTION] Les lois sont silencieuses sur les conséquences de l'inobservance de ces dispositions. On soutient au nom des appelantes que cela a pour conséquence que l'instruction fut coram non judice et qu'elle doit être considérée comme une nullité.
Il est nécessaire d'examiner les principes adoptés pour l'inter- prétation des lois de ce genre et la jurisprudence, dans la mesure il y en a, sur le point particulier soulevé ici. On s'est souvent demandé si les dispositions d'une loi étaient supplétives ou impératives dans ce pays; on a répondu qu'aucune règle générale ne pouvait être énoncée et qu'il fallait considérer chaque cas d'espèce que visait la loi. On trouvera la jurispru dence sur le sujet rassemblée dans Maxwell on Statutes, 5' éd., aux p. 596 et suivantes. Lorsque les dispositions d'une loi concernent l'exercice d'une fonction publique et que juger nuls et non avenus des actes exécutés en ignorance de cette obliga tion causerait des inconvénients généralisés sérieux, ou encore une injustice à des individus n'ayant aucun contrôle sur les responsables de cette fonction, tout en ne favorisant pas l'objet principal recherché par le législateur, il a été d'usage de statuer que ces dispositions n'étaient que supplétives et que cette ignorance, quoique condamnable, n'invalidait pas ces actes.
L'arrêt Montreal Street Railway a été suivi par la Cour dans l'affaire Melville (City of) c. Procu- reur général du Canada, [1982] 2 C.F. 3 (1re inst.). Cette dernière décision rendue par le juge Collier a été confirmée par la Cour d'appel fédé- rale dans l'affaire Chambre de commerce de Jasper Park c. Gouverneur général en conseil, [1983] 2 C.F. 98, qui portait sur une action parallèle.
Dans la décision City of Melville, les deman- deurs soutenaient que le défaut d'enregistrer dans les délais prescrits un décret concernant la sup pression du service ferroviaire le rendait invalide. Le juge Collier a battu en brèche cet argument à la page 14, en appliquant les principes énoncés dans l'affaire Montreal Street Railway. La Cour
fédérale a confirmé ses conclusions aux pages 118 et 119 de la décision Jasper Park, précitée.
Comme il a été précisé dans l'arrêt Montreal Street Railway, il faut tenir compte de l'objet de la Loi. Il semble clair que l'article 51 a été édicté pour garantir l'obtention régulière de l'assentiment de la majorité des membres adultes de la bande avant que la cession ne puisse être acceptée par le gouverneur en conseil et ne prenne effet. Cette disposition vise à fournir des moyens de surmonter les restrictions générales apportées par l'article 50 de la Loi à la cession, la vente ou l'aliénation des terres d'une réserve indienne. En d'autres termes, la vente ou la location des terres d'une réserve indienne doit être conclue conformément aux voeux de la bande, en plus d'être bien sûr approuvée par le gouverneur en conseil. Cette dernière exigence suppose vraisemblablement que le gouverneur en conseil est convaincu que la cession a été approu- vée de façon régulière, qu'elle a pour objectif le bien-être général des Indiens et que ceux-ci ne sont pas injustement privés de leurs terres.
L'examen de l'objet de la Loi montre qu'une décision invalidant la cession pour la seule raison que les formalités prescrites par le paragraphe 51(3) n'ont pas été respectées ne favoriserait cer- tainement pas la réalisation du principal objectif de la législation lorsque toutes les exigences essen- tielles ont été remplies. Il se pourrait fort bien que des personnes n'ayant aucune autorité sur ceux qui sont chargés de prouver l'observation des formali- tés prescrites subissent de ce fait de graves incon- vénients ou fassent l'objet d'une injustice. Contrai- rement au paragraphe (1) qui porte qu'en cas d'inobservation de ces dispositions, la cession n'est ni valide ni obligatoire, le paragraphe 51(3) n'envi- sage pas les conséquences du non-respect de ses exigences. Je conclus donc que les dispositions du paragraphe 51(3) sont simplement supplétives, et non impératives.
Il est également assez révélateur que le paragra- phe ne dispose pas expressément qu'un affidavit doit être soumis pour attester ces faits mais qu'il porte simplement ce qui suit:
51....
3. Le fait que la cession ou rétrocession a été consentie par la bande ... doit être attestée sous serment ... devant toute
personne autorisée à faire prêter serment et ayant juridiction
C'est ce qui a été fait. J. E. Young, dont la signature est admise et dont la compétence à titre de juge de paix pour la province de la Colombie- Britannique n'est pas contestée et que je dois accepter (en l'absence de toute preuve contraire) a déclaré que les déposants avaient prêté serment devant lui et qu'ils avaient rendu témoignage tel qu'il est mentionné dans le document. Le fait de ne pas avoir exigé des déposants qu'ils signent le document ou qu'ils y apposent leur marque se comprend bien si l'on tient compte de l'absence de formation ou de connaissance juridique de certai- nes personnes nommées juges de paix dans les régions éloignées du Canada.
Enfin outre ce document, le Ministère avait en main l'acte de cession lui-même, la liste des vdtants y annexée et les lettres de M. Grew datées du 8 août 1945 (pièce 283) et du 24 septembre 1945 (pièce 294) qu'il pouvait, au besoin, soumet- tre au gouverneur général en conseil. Il y avait donc de nombreuses preuves de l'observation des exigences essentielles de l'article 51. De plus, j'en viens à la conclusion que la cession a été pleine- ment sanctionnée.
Pour résumer, l'objection soulevée par les demandeurs doit échouer, si ce n'est parce que je conclus que les formalités du paragraphe 51(3) ont été suffisamment respectées, du moins parce que cette disposition est simplement supplétive, et non impérative.
TRANSFERT DES TERRES AU DIRECTEUR DES TERRES DESTINÉES AUX ANCIENS COMBATTANTS EFFECTUÉ EN 1948
a) Effet du transfert
L'article 54 de la Loi des Indiens de 1927 porte que toutes les terres qui sont des réserves «sont administrées, affermées et vendues selon que le gouverneur en son conseil le prescrit, sauf les conditions de la rétrocession et les dispositions de la présente Partie.» Les dispositions spéciales de la Loi applicables aux faits en l'espèce sont les arti cles 50 et 51. J'ai déjà traité de ces dispositions de même que des conditions de la cession. À l'évi- dence, le Ministère avait le droit d'aliéner les terres par vente définitive. Le gouverneur en con-
seil n'avait émis aucune directive spéciale, et les lettres patentes (pièce 506) transférant les terres du ministère des Affaires indiennes au Directeur ne comportaient aucune réserve, sinon pour l'em- prise d'un chemin public sur la parcelle de terre. La cession, absolue en tous points, est consentie au Directeur, à ses héritiers et successeurs, définitive- ment.
Les demandeurs prétendent que, puisque le document ne mentionne pas les droits miniers, il n'a pas pour effet de les transférer. Cet argument ne peut être soutenu en droit. A moins qu'un droit ne soit expressément retenu, une cession absolue des terres comprend tous les droits sauf ceux affé- rents aux métaux précieux (Attorney -General of British Columbia v. Attorney -General of Canada (1889), 14 App. Cas. 295 (P.C.), aux pages 302, 303 et 306).
b) Le ministère des Affaires indiennes avait-il l'obligation de conserver les droits miniers?
Les demandeurs prétendent également que le ministère des Affaires indiennes était tenu, en vertu de ses obligations de fiduciaire, de retenir les droits miniers pour la bande demanderesse en mars 1948 lorsque les lettres patentes ont été accordées au Directeur. Ils soutiennent que le Ministère aurait voir l'erreur par la suite et qu'il aurait exiger que les lettres patentes soient corrigées.
J'ai déjà tiré plusieurs conclusions sur cette question en traitant de la valeur et de la prévisibi- lité d'éventuels droits miniers afférents à la R.I. 172 (voir les pages 48 et 49 ci-dessus). Dans le dernier paragraphe, j'ai décidé que la défenderesse avait suffisamment démontré qu'en 1948, aucun fiduciaire n'aurait raisonnablement pu prévoir que ces droits auraient quelque valeur.
D'après la preuve, on n'a attaché aucune impor tance aux minéraux au moment du transfert con- senti au Directeur ni avant que bon nombre d'an- ciens combattants, sinon la totalité d'entre eux, ne prennent au moins possession des terres aux termes de leur promesse de vente respective et, par consé- quent, aucune mention des droits miniers n'est faite dans ces documents. Il n'a pas été établi que le ministère des Affaires indiennes avait l'obliga-
tion de retenir les droits miniers. -
c) Manquement à l'obligation de la défende- resse au moment du transfert consenti au Directeur
Les demandeurs prétendent aussi qu'au moment du transfert consenti au Directeur en 1948, la défenderesse a agi de façon frauduleuse et qu'elle ne s'est pas acquittée des obligations de fiduciaire qu'elle avait envers les Indiens à cette époque. En ce qui a trait aux allégations de fraude, je conclus qu'ils n'ont pas réussi à prouver que la défende- resse avait, de quelque façon que ce soit, par l'entremise de ses mandataires ou préposés, commis une fraude à leur égard pendant la période visée par la présente action. Toutefois, les alléga- tions de manquement à l'obligation de fiduciaire à l'époque du transfert consenti au Directeur, elles, ont beaucoup plus de poids. Le juge Dickson (alors juge puîné) a déclaré dans l'arrêt Guerin, précité, que si la cession inconditionnelle entraînait la dis- parition du droit des Indiens sur le bien-fonds, la Couronne n'en demeurait pas moins tenue de s'ac- quitter à l'égard des Indiens d'une obligation sem- blable à une fiducie, car «... Sa Majesté doit détenir les terres à l'usage et au profit de la bande qui les a cédées» (voir l'arrêt Guerin, précité, à la page 387). Qu'on se range à l'opinion de la majo- rité exprimée par le juge en chef Dickson dans l'affaire Guerin et selon laquelle la cession ne crée pas de fiducie au sens strict, soit une fiducie par interprétation ou autre, ou que l'on adopte le point de vue du juge Wilson auquel ont souscrit les juges Ritchie et McIntyre et voulant que la cession engendre une fiducie explicite, l'obligation pesant sur la défenderesse, représentée par le ministère des Affaires indiennes, par suite de la cession des terres par les Indiens est tout aussi lourde, étant au moins semblable à une fiducie.
En l'espèce, comme dans la décision Kruger c. La Reine, [1986] 1 C.F. 3 (C.A.), il semble y avoir un conflit d'intérêt entre le Directeur des terres destinées aux anciens combattants et le Ministère des Affaires indiennes. Celui-ci cherchait à obtenir le meilleur prix possible pour les terres et à l'obte- nir immédiatement en vue d'acheter des terres pour remplacer les réserves, qui soient situées plus près des sentiers de piégeage (voir pièce 428), celui-là désirait acheter de bonnes terres agricoles au plus bas prix possible afin que l'achat soit plus profitable pour les anciens combattants.
La déclaration faite par le juge Heald dans l'affaire Kruger, précitée, à la page 17, est particu- lièrement pertinente:
À mon avis, étant donné que la Couronne a une obligation de fiduciaire envers les Indiens, la question du conflit d'intérêts se pose clairement dans ce cas-ci. De toute évidence, deux Minis- tères du gouvernement canadien ne s'entendaient pas sur la façon de traiter les occupants indiens du lot A. La preuve semble incontestablement montrer que les fonctionnaires de la direction des Affaires indiennes ont fait preuve de diligence lorsqu'il s'est agi de défendre au mieux les intérêts des occu pants indiens. D'autre part, le ministère des Transports était anxieux d'acquérir les nouvelles terres dans l'intérêt des trans ports aériens. Cette situation a entraîné l'existence de considé- rations incompatibles les unes avec les autres. Par conséquent, en sa qualité de fiduciaire des Indiens, la Couronne fédérale faisait face à un conflit d'intérêts. En droit, il est clair que [TRADUCTION] «une personne qui se charge d'une tâche pour le compte d'une autre doit agir exclusivement au bénéfice de cette dernière, sans tenir compte de ses propres intérêts» et que [TRADUCTION] «Selon la règle établie en equity, personne ne peut laisser son devoir entrer en conflit avec son intérêt». Ceci étant, on ne saurait reprocher à la Couronne fédérale d'avoir manqué à son obligation de fiduciaire envers les Indiens en invoquant l'existence de considérations incompatibles entre les différents ministères du gouvernement.
On a également prétendu qu'il pourrait fort bien y avoir un élément de transaction intéressée en l'espèce. Comme il a été précisé dans l'arrêt Refe rence re Saskatchewan Natural Resources, [1931] R.C.S. 263, à la page 275:
[TRADUCTION] Il n'y a qu'une seule Couronne, et les terres qui lui appartiennent lui sont dévolues et le demeurent, en dépit du fait que leur administration et leur utilisation par le bénéfi- ciaire, approuvée par les autorités compétentes, peuvent être régies selon l'avis des divers ministres chargés du service approprié.
Bien entendu, il convient d'établir une distinc tion importante entre la dernière affaire mention- née et le cas qui nous occupe. Il ne s'agit pas ici de l'administration d'un bien-fonds pour la Couronne par un ministre ou un autre au nom de leur ministère respectif mais plutôt de son transfert d'un ministère du gouvernement, savoir le minis- tère des Affaires indiennes, au Directeur des terres destinées aux anciens combattants, corporation constituée d'une seule personne physique, qui a été créée par le Parlement en vue' précisément d'ac- quérir, d'administrer et de transporter des terres au profit exclusif des anciens combattants confor- mément aux dispositions spécifiques de la Loi et indépendamment de l'autorité normalement exer- cée par un ministre sur son ministère. Quoi qu'il en soit, je conclus qu'en l'espèce, il incombait au
ministère des Affaires indiennes de s'acquitter d'une lourde obligation de fiduciaire et de s'assurer que tous les efforts raisonnables avaient été faits pour obtenir le meilleur prix possible pour les terres au moment de la vente.
L'existence d'une telle obligation fait également peser sur la personne qui doit s'en acquitter le fardeau de prouver qu'elle a accompli sa mission.
La preuve établit qu'un évaluateur dont les ser vices avaient été retenus par le ministère des Affai- res indiennes avait fixé la valeur des terres à 93 160 $ (pièce 414). À l'issue de longues négocia- tions entre le Ministère et le Directeur des terres destinées aux anciens combattants, qui ne voulait pas acheter les terres à ce prix, celles-ci lui avaient finalement été vendues pour la somme de 70 000 $ le 30 mars 1978 (pièce 506). En outre, les frais d'arpentage avaient été supportés par le ministère des Affaires indiennes.
La défenderesse n'a produit aucune preuve pour justifier l'écart entre le prix fixé par l'évaluateur et le prix de vente réel. Bien que je ne tire aucune conclusion relativement à la valeur réelle, puisque je n'ai pas à me prononcer sur les dommages-inté- rêts et que la pièce 414 n'a pas été produite aux fins d'établir la véracité de l'affirmation voulant que les terres valaient en réalité 93 160 $, la preuve montre tout à fait que la défenderesse savait très bien qu'il y avait un écart entre le prix fixé par son propre évaluateur et le prix de vente. La suffisance du prix de vente pose par conséquent un véritable problème, il ne s'agit pas d'une ques tion théorique. Il incombait à la défenderesse de convaincre la Cour qu'elle ne pouvait raisonnable- ment s'attendre à obtenir un meilleur prix. Aucune preuve n'a été présentée pour établir que d'autres offres avaient été recherchées ni pour montrer que des efforts avaient été faits pour obtenir un meil- leur prix ailleurs. Comme la défenderesse ne s'est pas acquittée du fardeau d'établir qu'un prix équi- table avait en réalité été obtenu en mars 1948, je conclus qu'elle a manqué sur ce point à ses obliga tions de fiduciaire à l'égard des demandeurs. A moins que la demande ne soit prescrite, le montant des dommages subis par les demandeurs en raison de l'insuffisance possible du prix de vente devra donc être déterminé au cours d'une audience ulté- rieure ou d'une référence pour évaluer les domma-
ges-intérêts. Cependant, comme il a déjà été dit, la preuve n'établit pas la probabilité d'une fraude, d'une intention frauduleuse ni d'une dissimulation volontaire.
d) Le Directeur des terres destinées aux anciens combattants détenait-il les droits miniers en fiducie pour les Indiens?
Les demandeurs soutiennent qu'à la suite du transfert consenti au Directeur des terres destinées aux anciens combattants en 1948, celui-ci a conti- nué à détenir les droits miniers en fiducie pour les demandeurs. Ils prétendent qu'il aurait les rétrocéder lorsque l'obtention de permis d'explora- tion a commencé à susciter de l'intérêt.
En ce qui concerne le titre sur les minéraux, on peut établir une distinction nette entre le cas qui nous occupe et les litiges résolus sous le régime de l'ancienne Loi d'Établissement de Soldats, 1917, [S.C. 1917, chap. 21] remplacée par la suite par la Loi d'établissement de soldats, 1919, [S.0 1919, chap. 71] qui avaient été adoptées en vue de l'établissement des anciens combattants de la Pre- mière Guerre mondiale. L'article 57 de la Loi de 1919 dispose expressément que «toutes les mines et tous les minéraux doivent être, et sont censés avoir été réservés» dans toutes les ventes conclues par la Commission. Par conséquent, la Commission ne pouvait accorder de titre ni de droit de réclamation sur les mines ou les minéraux, peu importe qu'ils aient été réservés ou non et en dépit des stipula tions de l'acte de cession. Lorsque le Parlement a adopté en 1942 la Loi de 1942 sur les terres destinées aux anciens combattants [S.C. 1942-43, chap. 33] dans l'intérêt des anciens combattants de la guerre de 1939-1945, il a choisi d'omettre ces réserves ou limitations. Les règles générales du droit doivent donc être appliquées.
Au surplus, un grave obstacle juridique aurait empêché la cession par le Directeur au ministère des Affaires indiennes ou à toute autre personne qui n'était pas un ancien combattant. La Loi de 1942 sur les terres destinées aux anciens combat- tants (S.R.C. 1970, chap. V-4) dispose que le Directeur est une corporation constituée d'une seule personne physique jouissant d'une succession perpétuelle et habilité à détenir et à transférer les biens «que la présente loi l'autorise à acquérir, détenir, transporter, transférer ou convenir de transporter ou de transférer, mais pour ces fins
seulement» [c'est moi qui souligne] (paragraphe 5(1)) et «Tous les biens acquis pour l'un des objets de la présente loi sont dévolus au Directeur en sa qualité de corporation constituée d'une seule per- sonne physique» (paragraphe 5(4), ancien paragra- phe 5(3)). Le Directeur obtient les terres en vertu d'une cession de la propriété absolue consentie par la Couronne comme toute autre personne ou société. Pour que la Couronne puisse obtenir le titre sur ces terres, celles-ci doivent être rétrocé- dées au Directeur. Les pouvoirs relatifs à l'aliéna- tion des terres accordés au Directeur et les raisons pour lesquelles il doit acquérir des terres sont strictement définies par le menu détail dans la Loi. Des dispositions prévoient la rétrocession des terres à la Couronne lorsque celles-ci sont requises pour cause d'utilité publique, la rétrocession à toute personne avec le consentement de l'ancien combat- tant intéressé et la vente éventuelle des terres dont le Directeur n'aura pas besoin. La Loi ne prévoit toutefois aucun pouvoir de rétrocéder des terres ou tout droit minier à la Couronne au profit des Indiens ou de toute autre personne d'ailleurs, sans le consentement de l'ancien combattant concerné.
Selon l'article 3 de la Loi, modifiée en 1946 [S.C. 1946, chap. 70, art. 1], le Directeur relève du ministre des Affaires des anciens combattants de qui il reçoit des directives. Cependant, il est évi- dent que le Directeur doit se conformer stricte- ment aux dispositions de la Loi sur les terres destinées aux anciens combattants et que le minis- tre ne peut lui ordonner d'exercer des pouvoirs qui ne sont pas prévus par la Loi sur les terres desti nées aux anciens combattants ni de contrevenir de quelque façon à la Loi.
S'il était nécessaire d'étayer la proposition selon laquelle les pouvoirs du Directeur sont strictement limités à ceux qui lui sont conférés par la Loi sur les terres destinées aux anciens combattants, on pourrait citer l'affaire The Queen v. Richard L. Reese, [1956] R.C.É. 94, qui fait autorité. Dans cette affaire, une promesse de céder des droits miniers faite sous le régime de la Loi d'établisse- ment de soldats a été déclarée inexécutable à l'encontre de la Couronne même si l'engagement avait été passé avec un soldat. Puisque le Directeur (anciennement «la Commission» en vertu de la Loi d'établissement de soldats) ne peut lier la Cou- ronne que pour les fins mentionnées dans la Loi, la
Couronne ne peut être tenue responsable du fait que le Directeur n'a pas géré ni rétrocédé les terres au profit des Indiens, et la Couronne ne peut lui ordonner de le faire si la Loi sur les terres desti nées aux anciens combattants n'est pas modifiée.
Enfin, après que les lettres patentes eurent été délivrées, que la totalité du prix d'achat eut été versé par le Directeur au ministère des Affaires indiennes et que celui-ci eut réservé le produit au profit des Indiens comme le prescrit la Loi, les terres de la R.I. 172 n'étaient plus détenues en fiducie, si fiducie il y avait, ou subsidiairement, elles ne faisaient plus l'objet de l'obligation de fiduciaire spéciale qui pesait sur la défenderesse. A compter de cette date, savoir le 30 mars 1948, le produit de la vente, et non plus les terres, devait être géré par la défenderesse au profit des Indiens.
Pour les motifs précités, l'argument des deman- deurs relativement à l'obligation du Directeur de rétrocéder les droits miniers aux Indiens ou en leur nom ne peut être retenu.
e) Inobservation des dispositions de la Loi des terres fédérales de 1908
L'argument invoqué au paragraphe 78 de la déclaration voulant que le transfert des droits miniers sur la R.I. 172 effectué en 1948 soit invalide en raison de l'inobservation des disposi tions de l'article 41 de la Loi des terres fédérales de 1908, chap. 20, n'est pas fondé. Cet article se rapporte exclusivement aux modalités de verse- ment du prix d'achat des terres réservés pour les écoles. Aucune partie de la R.I. 172 n'a jamais été désignée à ce titre en application de la Loi et aucune preuve n'a été produite pour établir qu'une partie des terres de la réserve était utilisée à cette fin.
MANQUEMENTS IMPUTÉS DEPUIS 1948
De nombreux manquements à l'obligation et aux devoirs de fiduciaire envers les Indiens seraient survenus depuis 1948. Il incombe aux demandeurs de prouver ces affirmations, contrairement à la suffisance du prix de vente de la R.I. 172 que la défenderesse devait établir.
Il n'a pas été établi comme les demandeurs le soutiennent au paragraphe 35 de la déclaration, que la défenderesse a cherché à obtenir des terres
de remplacement situées plus loin que les terrains destinés à accueillir de futurs établissements agricoles.
En ce qui concerne le retard imputé à la défen- deresse, qui n'a obtenu qu'en 1950 de la province de la Colombie-Britannique le titre de propriété en common law sur les réserves, j'estime que ce délai n'était pas excessif compte tenu du fait que la R.I. 172 avait été vendue en 1948 et qu'il avait fallu un certain temps pour compléter l'arpentage. Fait plus important encore, il ne saurait y avoir préju- dice puisque la preuve montre que les demandeurs ont continué apparemment d'utiliser ces réserves de 1945 à 1950. Il est également établi que par le passé ils avaient très peu utilisé les terres de réserve.
Les demandeurs soutiennent aussi qu'ils n'ont pas obtenu les droits miniers sur les terres de remplacement. Les droits miniers étaient d'ordi- naire attachés aux terres conférées par traité puis- qu'ils étaient détenus par la Couronne du chef du Canada. Il n'en va pas de même des terres de remplacement après que les droits miniers eurent été transférés à la province. Contrairement à la R.I. 172, les terres achetées pour remplacer les réserves étaient simplement des réserves acquises au profit des demandeurs en application des dispo sitions de la Loi des Indiens et conformément aux conditions de la cession de 1945 de la R.I. 172, et elles ne constituaient donc pas des réserves confé- rées par traité. Le Ministère ne pouvait pas, en raison de la politique adoptée par le gouvernement provincial relativement à la retenue de tous les droits miniers, obtenir le titre sur ces droits au profit des Indiens. Le Ministère n'a apparemment été informé de cette politique que plus tard lors- que, par erreur, certains de ses fonctionnaires s'étaient montrés disposés à accorder un permis d'exploration visant les terres de remplacement à une société pétrolière. En outre, bien que la défen- deresse eût sans doute considéré les droits miniers sur les terres de remplacement comme une partie intégrante de la réserve, si elle les avait obtenus, il n'est pas démontré qu'elle s'était engagée de quel- que façon, aux termes de l'acte de cession de 1945, à obtenir des droits miniers sur les terres de rem- placement. Des éléments de preuve tendent égale- ment à indiquer le contraire. Avant d'arrêter leur choix, les deux parties avaient exploré la région à
la recherche de terrains sur lesquels on pourrait construire des habitations et situés à proximité des territoires de chasse et de pêche ainsi que des sentiers de piégeage. Ils ont également tenu compte de la distance qui les séparait des établisse- ments des blancs dans la région et de l'éventuelle mise en valeur des terres par les Indiens, par l'agriculture ou l'élevage. Il n'a pas été démontré que l'on s'était le moindrement préoccupé des droits miniers sur les nouvelles réserves.
Bien que le bruit ait couru en 1950 que le gouvernement de la Colombie-Britannique envisa- geait de modifier la politique relative à l'octroi des terres pour l'établissement des réserves indiennes, ce n'est qu'en janvier 1951 que le gouvernement fédéral était informé du fait que le gouvernement provincial avait en novembre 1950 décidé officiel- lement que, mise à part la retenue des droits miniers, aucun droit de propriété sur des terres ne serait plus désormais transféré au ministère des Affaires indiennes en vue de former des réserves à moins que des terres d'une même superficie ne soient obtenues en échange. Par suite de cette décision, bon nombre, sinon la totalité, des projets d'achat de terrains de la défenderesse au profit d'autres bandes indiennes de la province ont être abandonnés (voir pièce 688). Il n'a pas été établi que la défenderesse avait promis que des terres d'une même superficie que celles de la R.I. 172 seraient obtenues ni, semble-t-il, que les demandeurs à cette époque s'attendaient à ce que la défenderesse le fasse. Une correspondance volu- mineuse a été produite relativement aux terres de remplacement proposées et aux réserves elles- mêmes à l'époque elles ont été achetées. Cepen- dant, il ne semble pas être question d'obtenir des terres d'une superficie équivalente dans aucune des lettres ni aucun des mémoires rédigés par les divers fonctionnaires.
En vertu des ententes conclues par le Directeur avec les anciens combattants, chaque acheteur avait droit à la possession immédiate des terres dès la signature de l'entente et le versement du dépôt. Au paiement de l'intégralité du prix d'achat, l'an- cien combattant recevait un acte scellé, et la pro- priété absolue du terrain, libre de toute charge, lui était transmise. Le paragraphe 14 de l'entente est formulé comme suit:
[TRADUCTION] 14. Les parties conviennent qu'au paiement ponctuel par l'ancien combattant des montants qu'il accepte
par les présentes de payer, sous réserve de l'exécution de toutes les dispositions, conditions et ententes susmentionnées, et à la délivrance du présent contrat, il aura droit au transport de la propriété absolue desdites terres, libres de toutes charges autres que celles pouvant résulter des actes et de la négligence de l'ancien combattant mais sous réserve des restrictions et condi tions stipulées dans le titre détenu par le directeur. (Voir pièce 986 D)
Aucune restriction ni condition n'est énoncée dans le titre détenu par le Directeur. Le paragra- phe 14 ci-dessus détruit de manière absolue l'argu- ment des avocats des demandeurs voulant que jusqu'à ce que l'acte scellé reconnaissant le trans port de la propriété absolue soit délivré à l'ancien combattant, le Directeur pouvait d'une façon ou d'une autre reprendre possession des terres au profit des Indiens. Aux termes des promesses de vente passées avec les anciens combattants, les ventes suivantes ont été conclues: 1948: 19, 1949: 13, 1950: 2, 1951: 1 et 1956: 1. Donc à la fin de 1950, les anciens combattants qui étaient en droit, aux termes d'un contrat, d'obtenir un titre absolu de propriété étaient entrés en possession de tous les lots, à l'exception de deux.
En 1952, le Directeur avait vendu aux enchères quatre lots dont il n'avait pas besoin, conformé- ment aux dispositions de la Loi.
De toute manière, toutes les affirmations sus- mentionnées relatives à la gestion subséquente des terres par le Directeur ne sont d'aucune utilité aux demandeurs. Comme il a déjà été décidé, dès le 30 mars 1948, les demandeurs n'avaient plus droit à aucune partie de la R.I. 172, et le Directeur qui détenait alors les terres en propriété absolue ne pouvait, dans les circonstances et en raison des dispositions de la Loi sur les terres destinées aux anciens combattants, être considéré comme un fiduciaire, sous le régime d'une fiducie par inter- prétation ou autrement créée au profit des Indiens.
Les demandeurs n'ont pas démontré la nécessité pratique de former d'autres réserves, même au moment de l'instruction. La question des sentiers de piégeage a déjà été résolue. Il y a bien des années, le Ministère avait obtenu de nombreux sentiers de piégeage enregistrés à l'usage exclusif des Indiens, et il n'a pas été démontré qu'il était nécessaire d'obtenir des sentiers de piégeage addi- tionnels ou de vastes territoires de chasse et de pêche réservés à leur usage exclusif, comme le demandent maintenant les demandeurs.
Les résolutions des conseils de bande qui ont été versées au dossier avec les budgets annuels font ressortir le fait que le produit de la vente avait été dûment conservé au profit des demandeurs et que tous les intérêts courus avaient été dûment versés au crédit de leur compte. Des sommes tirées de ce compte et des montants additionnels provenant des crédits affectés au ministère des Affaires indiennes ont été dépensées au fil des années à leur profit. Aucune preuve n'a été produite pour démontrer que ces sommes avaient été détournées, comme le prétendent les demandeurs, Au contraire, la preuve indique que tous les versements provenant de ces sommes et les intérêts courus ont été payés à l'avantage des demandeurs qui ont également reçu des montants supplémentaires auxquels ils n'avaient pas droit par contrat pour leurs divers entreprises, projets et besoins sociaux et collectifs, etc.
En résumé, en ce qui concerne les manquements imputés depuis 1948, je conclus que les deman- deurs ne se sont pas acquittés du fardeau de la preuve qui pesait sur eux. Du reste, les quelques preuves crédibles et admissibles qui ont été produi- tes relativement à ces questions tendent à appuyer des conclusions contraires à celles que les deman- deurs recherchent.
PRESCRIPTION
a) Application
En application de l'article 38 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10], il est évident qu'en l'espèce, la loi applicable en matière de prescription est celle de la Colombie- Britannique (Kruger c. La Reine, [1986] 1 C.F. 3; (1985), 58 N.R. 241 (C.A.)).
Ne sachant pas quelles conclusions définitives je tirerais au sujet des diverses réclamations et allé- gations de fraude et de manquement continu aux obligations de fiduciaire, les avocats ont cité une jurisprudence volumineuse, et ils ont fait référence à des dispositions législatives dans une longue argumentation sur la prescription afin de prévoir toutes les possibilités. Comme j'ai conclu qu'il y avait eu simplement un manquement non fraudu- leux à l'obligation de fiduciaire en ce,qui concerne le montant reçu par le ministère des Affaires indiennes le 30 mars 1948 et qu'à mon avis, il n'y avait eu ni négligence continue, ni violation de
fiducie ni autre manquement à des obligations fiduciaires ou prévues par la loi, les questions relatives à la prescription sont considérablement simplifiées.
Il convient donc de décider que la cause d'action a pris naissance le 30 mars 1948. La déclaration a été déposée le 19 septembre 1978, c'est-à-dire cinq mois et demi après l'expiration d'un délai de trente ans à compter de la date à laquelle la cause d'action a pris naissance.
b) Les articles 8 et 9 de la Limitations Act de la C.-B.
Apparemment, la Colombie-Britannique est la seule province canadienne qui ait adopté une loi prévoyant ce qu'on appelle une prescription finale. La nouvelle Limitation Act, R.S.B.C. 1979, chap. 236, a été édictée en 1975 [Limitations Act, S.B.C. 1975, chap. 37]. Les passages pertinents de l'article 8 de la Loi sont formulés comme suit:
[TRADUCTION] 8. (1) Sous réserve du paragraphe 3(3), mais nonobstant la confirmation faite en application de l'article 5 ou l'interruption ou la suspension du délai en vertu des articles 6 et 7 ou de l'article 12, aucune action à laquelle s'applique la présente loi ne doit être intentée après l'expiration d'un délai de trente ans à compter de la date à laquelle le droit de le faire a pris naissance, ...
(2) Sous réserve du paragraphe (1), l'effet des articles 6 et 7 est cumulatif.
Le paragraphe 3(3) concerne des catégories spé- ciales d'action dont aucune n'est applicable aux conclusions tirées en l'espèce. L'article 6 men- tionné au paragraphe (2) ci-dessus prévoit égale- ment l'interruption de la prescription dans certains cas précis, et l'article 7 vise les personnes incapa- bles. L'article 12 ne s'applique pas ici. À la lecture de l'article 8, il ne fait pas de doute que même si l'effet des articles 6 et 7 est cumulatif, ces disposi tions ne doivent pas être prises en considération dans le calcul du délai de trente ans mentionné au paragraphe (1). Par conséquent, ni l'incapacité ni la connaissance n'entrent en jeu dans la prescrip tion finale de trente ans.
La Cour d'appel de la Colombie-Britannique a examiné l'effet de l'article 8 dans la décision Bera v. Marr (1986), 1 B.C.L.R. (2d) 1. Dans cette affaire, le juge d'appel Esson, dont le juge d'appel Cheffins a partagé l'avis, a déclaré à la page 27 ce qui suit:
[TRADUCTION] L'un des éléments importants de «l'équilibre» créé par les articles 6, 7 et 8 est que la prescription finale de trente ans est assez longue pour qu'aucune action intentée par un enfant en bas âge ne puisse être jugée irrecevable avant qu'il n'ait atteint sa majorité. Les autres actions visées par les articles 6 et 7 ne peuvent être prescrites définitivement pendant plus d'une génération.
Le juge d'appel Craig, dissident sur un autre point, a souscrit à cette opinion en ce qui concerne l'article 8 (voir les pages 11 et 12 du recueil de jurisprudence précité).
Le paragraphe 9(1) a également une certaine importance, car il dispose qu'à l'expiration du délai de prescription fixé pour une action intentée en vue de recouvrer une dette, des dommages-intérêts ou pour obtenir une reddition de compte, etc., non seulement le droit de poursuivre est-il prescrit mais la cause d'action elle-même est éteinte. Il s'agit clairement ici d'une règle de fond applicable dans toute la province. La Loi précise aussi (article 14) qu'aucune cause d'action prescrite le 1" juillet 1975 ne renaît; elle dispose également que la pres cription atteint l'action ayant pris naissance avant cette date, au plus tard le ler juillet 1977, si le délai de prescription prévu par la loi de 1975 est expiré à cette date et s'il est plus court que l'ancien délai de prescription.
Le 30 mars 1978, trente ans s'étaient écoulés depuis que le droit de poursuivre pour tout dom- mage subi par suite de l'insuffisance du prix d'achat avait pris naissance. Comme la déclaration n'a été déposée que le 19 septembre 1978, moins que quelque autre texte législatif ou constitution- nel ne permette de tirer une conclusion différente, le droit de poursuivre était déjà prescrit en vertu de l'article 8 de la Loi et, en application de l'article 9, la cause d'action elle-même était déjà éteinte.
c) Autres textes législatifs
En ce qui concerne les autres textes législatifs pertinents, le paragraphe 2(11) de l'ancienne Laws Declaratory Act, R.S.B.C. 1948, chap. 179, dispo- sait que, sous réserve des dispositions de la Trustee Act [R.S.B.C. 1948, chap. 345], aucune réclama- tion présentée par le cestui que trust contre son fiduciaire, sous le régime d'une fiducie explicite, ne pouvait être déclarée irrecevable en vertu d'un texte législatif. En revanche, le paragraphe 93(1) de la Trustee Act de 1948 [86(1)] que l'on trouve dans R.S.B.C. 1960, chap. 390, disposait que, sauf
si la demande était fondée sur une fraude à laquelle avait participé le fiduciaire ou si elle visait le recouvrement de biens détenus en fiducie, le fiduciaire pouvait invoquer les lois prévoyant des délais de prescription dans la province. Même si on avait pu soutenir que, contrairement à l'opinion majoritaire exprimée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Guerin, précité, la cession créait une fiducie explicite, la réclamation ne pour- rait être considérée comme une action en recouvre- ment de biens détenus en fiducie, et fait plus important encore, les dispositions relatives à la prescription de ces deux lois ont été abrogées par la Loi de 1975 dont les dispositions visent mainte- nant de façon détaillée les biens détenus en fiducie et les violations de fiducie. Enfin, la formulation des articles de la Loi de 1975, auxquels j'ai fait référence, fait ressortir clairement que les disposi tions de l'article 8 l'emportent.
d) La Charte des droits
Les demandeurs contestent la validité de l'article 8 en invoquant la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] ainsi que les alinéas la) et lb) de la Déclaration cana- dienne des droits [S.R.C. 1970, Appendice III]. Pour étayer ces prétentions voulant que l'article 8 de la Limitations Act de la Colombie-Britannique déroge à la Charte, et plus particulièrement à l'article 7 qui garantit le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, auquel il ne peut être porté atteinte qu'en conformité avec les princi- pes de la justice fondamentale, les avocats des demandeurs ont cité des décisions récentes telles R. v. Antoine (1983), 5 C.C.C. (3d) 97 (C.A. Ont.); Re McDonald and The Queen (1985), 51 O.R. (2d) 745 (C.A.); R. v. Konechny (1983), 10 C.C.C. (3d) 233 (C.A.C.-B.) et plusieurs autres affaires similaires. Toutefois, j'estime que ces déci- sions ne sont pas applicables et qu'aucun des argu ments fondés sur la Charte et mis de l'avant par les demandeurs ne peut être retenu pour deux raisons très simples. D'une part, la Charte con- cerne la protection de la personne et des droits et libertés personnels, et elle ne vise pas à garantir les droits ni les dommages-intérêts relatifs à l'aliéna- tion des biens. D'autre part, la Charte, d'une manière générale, ne s'applique pas rétroactive-
ment. Dans des affaires semblables à celles qui ont été citées, ce texte législatif a été jugé applicable dans les cas d'injustice se poursuivant après la date de la promulgation de la Charte, par exemple, dans les cas une personne était maintenue en détention après cette date lorsque la loi en vertu de laquelle elle avait été incarcérée à l'époque était jugée maintenant incompatible avec les disposi tions de la Charte. Il s'agit d'une application pros pective de la Charte par opposition à une applica tion rétroactive. Il n'est pas question d'une application prospective en l'espèce, car les faits à l'origine de la réclamation sont survenus en 1948, et ne sauraient donner naissance à un droit d'ac- tion après cette date.
Dans deux jugements rendus récemment, Grabbe v. Grabbe et Davidson v. Davidson Estate, [1987] 2 W.W.R. aux pages 642 et 657 respective- ment, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a décidé que l'article 15 de la Charte n'avait pas un effet rétrospectif.
Je souscris également à la thèse selon laquelle les droits à l'égalité prévus par le paragraphe 15(1) de la Charte garantissent simplement un traite- ment similaire aux personnes placées dans des situations similaires. Ces droits ne prévoient pas un traitement identique pour tous, quelles que soient les circonstances (Smith, Kline & French Labora tories Limited c. Procureur général du Canada, [1986] 1 C.F. 274 (1'e inst.)).
Dans un jugement rendu récemment, R. y. Hamilton (1986) 57 O.R. (2d) 412, qui a été cité à l'instruction, la Cour d'appel de l'Ontario a jugé qu'il avait été porté atteinte à l'article 15 de la Charte parce que l'application uniforme des règles du droit pénal adoptées par le gouvernement fédé- ral, qui a compétence exclusive dans ce domaine fédéral, ne saurait être subordonnée au consente- ment des procureurs généraux des provinces. Cette même décision reconnaît toutefois la validité du principe en ce qui concerne le droit civil en tout cas. L'article 15 de la Charte n'oblige pas chaque province à adopter les mêmes lois dans les domai- nes qui relèvent de sa compétence, ce qui équivau- drait à nier le fédéralisme et à détruire le système fédéral lui-même. Dans l'arrêt R. c. Burnshine, [1975] 1 R.C.S. 693; (1974), 15 C.C.C. (2d) 505, la Cour suprême du Canada a tiré la même con clusion relativement à la nature du fédéralisme
bien que cette affaire porte sur l'application de la Déclaration canadienne des droits et non sur celle de la Charte.
Lorsque, dans des situations comme l'espèce et dans la mesure la législation fédérale est silen- cieuse sur la question, la responsabilité de la Cou- ronne de même que le montant et la nature des dommages-intérêts recouvrables doivent être déter- minés par la loi provinciale, on ne peut soutenir logiquement qu'il est discriminatoire, dans le sens péjoratif du terme, d'assujettir la Couronne aux dispositions portant prescription de la législation provinciale tout en lui permettant d'en invoquer le bénéfice comme tout simple citoyen de la province.
En ce qui concerne l'article 17 de la Charte, il a également été décidé dans plusieurs affaires, y compris le jugement Smith, Kline & French, pré- cité, que le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne susmentionné se rapporte au bien-être physique de la personne: le texte législatif n'étend pas la protection aux biens. En outre, une période de prescription finale de trente ans applicable à tous les résidents de la province ne contrevient pas aux principes de la justice fondamentale.
e) La Déclaration des droits
Les demandeurs prétendent également que l'ar- ticle 8 de la nouvelle Limitation Act est incompati ble avec l'alinéa l b) de la Déclaration canadienne des droits et qu'il n'a, dans cette mesure, aucune force. Voici le texte de la disposition législative qu'ils invoquent:
1. Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de l'homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont existé et continueront à exister pour tout individu au Canada quels que soient sa race, son origine nationale, sa couleur, sa religion ou son sexe:
b) le droit de l'individu à l'égalité devant la loi et à la protection de la loi;
À l'instar de la Charte, la Déclaration des droits n'oblige pas le Parlement à adopter des lois unifor- mes dans tout le pays. Les demandeurs sont visés par l'article 8 de la Limitation Act de la même façon que tous les autres plaideurs, en Colombie- Britannique. Dans une décision qui n'est pas encore publiée, l'affaire Algonquin Mercantile Corp. c. Dart Industries Canada Ltd., en date du 17 juin 1987, de greffe: A-692-86, la Cour
d'appel fédérale a approuvé et appliqué le principe selon lequel, même lorsque le litige est de compé- tence fédérale, le droit de la province dans laquelle le litige a pris naissance et est jugé doit s'appliquer de façon exclusive afin de déterminer les droits des plaideurs, si le droit fédéral ne prévoit rien à cet égard. Cette affaire portait sur les taux d'intérêt qui doivent s'appliquer, et le juge a reconnu qu'il ne faut pas tenir compte du simple fait que l'issue aurait été différente si la loi d'une autre province s'était appliquée.
L'article 38 de la Loi sur la Cour fédérale satisfait au critère selon lequel il faut garantir un traitement similaire aux personnes placées dans des situations similaires. Le simple fait que les plaideurs d'autres provinces ne sont pas assujettis à une prescription finale de trente ans ne constitue pas de la discrimination, à l'encontre de l'alinéa l b) de la Déclaration des droits, pas plus que c'en est une en vertu des articles 7 ou 15 de la Charte. Bien que la Déclaration des droits soit en vigueur depuis plus de vingt-sept ans, les avocats des demandeurs n'ont pu citer une affaire ayant fait jurisprudence leur permettant d'étayer cet argu ment de nature territoriale en matière civile.
Les demandeurs ont également soutenu que l'alinéa l a) de la Déclaration des droits, qui pro- tège leur droit «à la vie, à la liberté, à la sécurité de la personne ainsi qu'à la jouissance de ses biens, et le droit de ne s'en voir privé que par l'application régulière de la loi», rendrait inapplicable l'article 8 de la Limitation Act de la C.-B. du fait des dispositions dérogatoires de l'article 2 de la Décla- ration des droits.
À l'appui de cette proposition, les avocats des demandeurs se sont reportés à une déclaration du juge en chef Laskin, lorsqu'il s'est exprimé au nom de la minorité dans l'arrêt Morgentaler c. La Reine, [1976] 1 R.C.S. 616, la page 633; (1975),
20 C.C.C. (2d) 449, la page 462, et à une déclaration du juge Ritchie dans l'arrêt Curr c. La Reine, [1972] R.C.S. 889. Ni l'une ni l'autre de ces déclarations n'appuie la proposition avancée par les demandeurs.
Le fait que les tribunaux invoquent les disposi tions d'application générale portant prescription ne constitue pas un déni de l'application régulière de la loi, et les lois elles-mêmes ne constituent pas non
plus un tel déni. Une prescription finale ne prive pas les demandeurs du droit d'intenter un procès ni du droit d'accès devant les tribunaux. Elle impose simplement le délai dans lequel l'action doit être intentée. Ainsi, ce cas n'est pas, comme le préten- dent les demandeurs, visé par la situation dont était saisie la Cour suprême de Terre-Neuve dans l'affaire Piercey v. General Bakeries Ltd.; The Queen in right of Newfoundland et al., Interve- nors, (1986), 31 D.L.R. (4th) 373.
f) Conclusion relative à la prescription
Je conclus que l'action intentée pour insuffi- sance du prix de vente demandé au Directeur, en 1948, est prescrite en vertu des articles 8 et 9 de la Limitation Act de la C.-B. de 1975, R.S.B.C. 1979, chap. 236.
MANQUE DE DILIGENCE ET AUTRES DISPOSITIONS PORTANT PRESCRIPTION
Les avocats de la défenderesse ont invoqué en défense le manque de diligence et se sont égale- ment appuyés sur d'autres articles de la Limitation Act de la C.-B. ainsi que de l'ancienne Loi (R.S.B.C. 1960, chap. 370). Les avocats des deux parties ont avancé un grand nombre d'arguments et présenté une abondante jurisprudence à cet égard.
Compte tenu de ma conclusion relative aux dis positions portant prescription finale de trente ans, il serait inutile de me reporter à ces arguments ou à mes conclusions de fait connexes. Toutefois, j'ajouterais qu'après avoir tenu compte des disposi tions d'exception des articles 6 et 7 ainsi que de la disposition transitoire de l'article 14 de la loi de 1975, j'aurais conclu que l'action était, quoi qu'il en soit, également prescrite du fait de l'ancienne Limitations Act ainsi que du paragraphe 3(4) de la nouvelle Loi.
CONCLUSION
Pour les motifs qui précèdent, la présente action est rejetée. Les frais suivront la cause.
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