A-962-87
Charles Chadwick Steward (requérant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
RÉPERTORIÉ: STEWARD C. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI
ET DE L'IMMIGRATION)
Cour d'appel, juges Heald, Marceau et Lacom-
be—Vancouver, 11 et 15 avril 1988.
Immigration — Expulsion — Demande d'examen — Le
requérant a été trouvé coupable du crime d'incendie en Okla-
homa — Son expulsion a été ordonnée, un crime équivalent
commis au Canada étant punissable d'une peine maximale de
10 ans aux termes de l'art. 389(1) du Code criminel —
L'équivalence de la loi étrangère et de l'art. 389(1) du Code
criminel n'a pas été établie — La loi de l'Oklahoma visait
aussi la négligence, qui relèverait de l'art. 392 du Code
criminel et serait punissable d'un emprisonnement d'une durée
maximale de 5 ans — Demande accueillie.
La présente demande, fondée sur l'article 28, sollicite l'exa-
men et l'annulation d'une ordonnance d'expulsion. Un rapport
établi sous le régime du paragraphe 27(2) a allégué que le
requérant faisait partie d'une catégorie non admissible visée à
l'alinéa 19(1)c) de la Loi sur l'immigration de 1976 parce
qu'ayant été trouvé coupable d'une infraction qui, eût-elle été
commise au Canada, aurait été punissable d'une peine maxi-
male de 10 ans d'emprisonnement. Le requérant a admis avoir
été trouvé coupable de «first degree arson' (crime d'incendie au
premier degré) en Oklahoma. L'arbitre a décidé au sujet d'une
disposition figurant dans un extrait des lois annotées de l'Okla-
homa qu'elle équivalait au paragraphe 389(1) du Code
criminel.
Arrêt: La demande devrait être accueillie.
L'arbitre s'est trompé en concluant que le requérant avait
admis avoir mis le feu. Il a également commis une erreur en ne
considérant pas que le mot «et» figurant au paragraphe 386(2),
selon lequel aucune infraction n'est commise aux termes de
l'article 389 du Code si la personne visée prouve qu'elle a agi
avec une justification ou une excuse légale et avec apparence de
droit, devait se lire comme le mot «ou». De plus, la disposition
de la Loi de l'Oklahoma a une portée plus large que le
paragraphe 389(1) du Code criminel, puisqu'elle vise en outre
l'acte de mettre le feu à des biens par négligence ou inadver-
tance, qui est réglé par l'article 392 du Code criminel et à
l'égard duquel la peine maximale est de 5 ans. Sur le fondement
des faits très ténus établis dans le dossier en l'espèce, il était
impossible de déterminer si la disposition applicable devait être
le paragraphe 389(1) ou l'article 392. Il ressort du dossier que
l'équivalence n'a pas été établie: la comparaison du libellé des
lois en cause n'a pas révélé la présence d'éléments essentiels
communs, et aucun expert n'a été appelé à témoigner pour
établir l'équivalence.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 386(2),
389(1)a), 392.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap.
10, art. 28.
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52,
art. 19(1)c), 27(2).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Regina v. Creaghan (1982), 1 C.C.C. (3d) 449 (C.A.
Ont.); Brannson c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion, [1981] 2 C.F. 141; (1981), 34 N.R. 441 (C.A.); Hill
c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1987), 73
N.R. 315 (C.A.F.).
AVOCATS:
R. Glen Sherman pour le requérant.
P.M. Willcock pour l'intimé.
PROCUREURS:
John Taylor Associates, Vancouver, pour le
requérant.
Le sous-procureur général du Canada, pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement prononcés à l'audience par
LE JUGE HEALD: Il s'agit d'une demande fondée
sur l'article 28 [Loi sur la Cour fédérale, S.R.C.
1970 (2e Supp.), chap. 10] qui sollicite l'examen et
l'annulation d'une ordonnance d'expulsion pronon-
cée contre le requérant le 7 octobre 1987 par
l'arbitre W. Osborne.
Le requérant, qui est né aux États-Unis d'Amé-
rique, est venu au Canada le 4 avril 1972. Le 21
avril 1971, au terme d'un procès, il avait été
déclaré coupable du crime de «first degree arson»
([TRADUCTION] crime d'incendie au premier
degré) suivant la loi de l'Oklahoma. Le 4 octobre
1978, le requérant a fait l'objet du rapport prévu
au paragraphe 27(2) de la Loi sur l'immigration
de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52]. Ce rapport
prétendait que le requérant était une personne
visée à l'alinéa 27(2)a) de la Loi sur l'immigration
de 1976 en ce qu'il pourrait se voir refuser l'autori-
sation de séjour parce qu'il faisait partie d'une
catégorie non admissible, à savoir, la catégorie
décrite à l'alinéa 19(1)c) de la Loi. Cet alinéa est
ainsi libellé:
19. (1) ...
c) les personnes qui ont été déclarées coupables d'une infrac
tion qui constitue, qu'elle ait été commise au Canada ou à
l'étranger, une infraction qui peut être punissable, en vertu
d'une loi du Parlement, d'une peine maximale d'au moins dix
ans d'emprisonnement, à l'exception de celles qui établissent
à la satisfaction du gouverneur en conseil qu'elles se sont
réhabilitées et que cinq ans au moins se sont écoulés depuis
l'expiration de leur peine;
Lors de l'enquête, l'agent chargé de présenter les
cas a déposé une copie certifiée d'un document
intitulé jugement et peine prononcés à la suite
d'une déclaration de culpabilité faisant état de la
condamnation du requérant pour first degree
arson suivant le droit criminel de l'Oklahoma.
Témoignant lors de l'enquête, le requérant a
reconnu qu'il a été déclaré coupable, condamné à
payer une amende de 2 500 $ et placé sous la
garde du service correctionnel pour une période de
six mois. Il ressort que le requérant n'a pas purgé
cette peine de six mois. Le dossier ne mentionne
pas pourquoi. La situation de fait entourant la
déclaration de culpabilité n'est mentionnée au pré-
sent dossier que dans la question et dans la réponse
suivantes, à la page 13 du Dossier:
[TRADUCTION]
Q. Et à quoi vous accusaient-ils d'avoir criminellement mis
le feu?
R. Ils alléguaient que j'avais mis le feu de l'intérieur à une
partie de mon immeuble d'habitation, ou de l'apparte-
ment dans lequel je vivais.
Pour établir l'équivalence requise aux termes de
l'alinéa 19(1)c) précité, l'agent chargé de présen-
ter les cas, après avoir établi la déclaration de
culpabilité, a soumis comme preuve de la loi de
l'Oklahoma un extrait de deux pages des Lois de
l'Oklahoma annotées, en faisant particulièrement
référence à l'article 1401, qui déclare:
[TRADUCTION] Est coupable de crime d'incendie au premier
degré quiconque, volontairement et avec préméditation, incen-
die ou brûle ou, au moyen d'une substance ou d'un appareil
explosif, détruit en tout ou en partie, ou cause l'incendie ou la
destruction, on conseille, ou cause ou contribue à l'incendie ou à
la destruction d'un immeuble ou d'une structure ou du contenu
d'un immeuble ou d'une structure, que cet immeuble ou cette
structure soit habité ou occupé par une ou plusieurs personnes,
ou soit ou non sa propriété ..
L'avocat du requérant s'est vigoureusement
opposé à ce que l'extrait présenté établisse quelle
est la loi de l'Oklahoma. Il a demandé d'interroger
l'agent chargé de présenter les cas au sujet de cet
élément de preuve. Sa requête a été accordée. Ce
contre-interrogatoire est le suivant (Dossier, aux
pages 18 et 19):
Avocat M. Greaves, quel est le livre que vous avez
montré à l'arbitre?
Agent chargé Eh bien, je crois qu'il s'agit d'un recueil des lois
de présenter de l'État de l'Oklahoma des États-Unis d'Améri-
les cas que.
Q. Sur quoi fondez-vous une telle opinion?
R. En l'examinant.
Q. Avez-vous déjà étudié le droit de l'Oklahoma?
R. Je ne l'ai pas étudié.
Q. Savez-vous s'il s'agit d'un recueil officiel des lois
de l'Oklahoma?
R. Je ne le sais pas.
Q. Comment la Commission a-t-elle obtenu ce
livre?
R. J'en ai fait la demande aux États-Unis à la West
Publishing, une société qui publie les lois de
différents États américains. Je lui ai demandé
des lois d'États étrangers.
Q. L'extrait que vous avez présenté comprend deux
pages, les pages 426 et 427.
R. Oui.
Q. À votre connaissance, l'article cité renferme-t-il
la totalité des dispositions légales de l'Oklahoma
ayant trait au crime d'incendie?
R. Ce n'est pas le cas.
Q. Il existe d'autres articles?
R. Oui. Je sais de façon certaine qu'il existe un
autre article ayant trait au crime d'incendie au
second degré.
Q. La Loi comprend-t-elle d'autres articles ayant
trait aux moyens de défense?
R. Je ne suis pas certain.
Q. Cette loi de l'Oklahoma comporte-t-elle des arti
cles décrivant ce qui est entendu par le fait
d'agir volontairement ou avec préméditation?
R. Je ne le sais pas.
Q. Savez-vous s'il existe des défenses de common
law pouvant être opposées à l'accusation qui a
été portée?
R. Je ne le sais pas.
Q. Savez-vous si une telle accusation peut être
portée dans un cas de négligence, si l'article
1401 s'applique à l'acte de causer un incendie
par négligence?
R. Non, le libellé de cette loi précise que l'acte est
posé volontairement et avec préméditation.
Q. Savez-vous pertinemment si cet article vise l'acte
de causer un incendie par négligence?
R. Non.
L'arbitre a ensuite reçu en preuve l'extrait susmen-
tionné. Il a alors entrepris d'examiner la question
de savoir si le crime d'incendie au premier degré
de la loi de l'Oklahoma dont le requérant avait été
déclaré coupable constituerait, s'il avait été
commis au Canada, une infraction visée à l'alinéa
389(1)a) du Code criminel [S.R.C. 1970, chap.
C-34] du Canada. L'alinéa 389(1)a) est rédigé de
la manière suivante:
389. (1) Est coupable d'un acte criminel et passible d'un
emprisonnement de quatorze ans, quiconque met volontaire-
ment le feu
a) à un bâtiment ou à une construction, terminée ou non;
Il a alors répondu à cette question par l'affirma-
tive, pour décider que le requérant faisait partie de
la catégorie des personnes non admissibles visées à
l'alinéa 19(1)c) de la Loi sur l'immigration de
1976.
Avec déférence, je suis parvenu à la conclusion
que l'arbitre a commis une erreur de droit en
prenant cette décision. Le paragraphe 386(2) du
Code criminel porte:
386... .
(2) Nul ne doit être déclaré coupable d'une infraction visée
par les articles 387 402 s'il prouve qu'il a agi avec une
justification ou une excuse légale et avec apparence de droit.
Examinant la question de la pertinence du para-
graphe 386(2), l'arbitre a déclaré à la page 28 du
Dossier:
[TRADUCTION] Ainsi, pour échapper à une déclaration de
culpabilité en vertu du paragraphe 389(1) du Code criminel, le
défendeur doit s'acquitter à la fois du fardeau de la justification
ou excuse légale et du fardeau de l'apparence de droit.
Ensuite, toujours à la même page, il a dit:
[TRADUCTION] Il semble aller de soi qu'une déclaration de
culpabilité à une accusation d'avoir mis le feu volontairement et
avec préméditation écarte toute possibilité de prétendre à une
justification ou excuse légale. En conséquence, abstraction faite
de l'élément apparence de droit, vous ne pourriez établir l'appli-
cabilité de l'exception prévue au paragraphe 386(2) du Code
criminel. Indépendamment des considérations qui précèdent, je
suis d'avis que le témoignage oral dans lequel vous reconnaissez
avoir mis feu à une partie de l'appartement où vous viviez, qui
aurait été un logement d'une chambre à coucher situé au-dessus
d'un garage pour deux automobiles, à l'arrière de la maison,
conduirait raisonnablement à la conclusion que vous n'avez pas
agi avec apparence de droit. Pour ma part, j'habiterais la
maison et je louerais l'appartement, non l'inverse.
À mon avis, les extraits précités des motifs de
l'arbitre sont entachés de plusieurs erreurs et
inexactitudes. Le requérant n'a pas déposé qu'il
avait mis le feu à une partie de l'appartement dans
lequel il vivait. Ainsi qu'il a été noté plus haut, il a
dit (à la page 13 du Dossier) qu'on avait allégué
qu'il avait mis le feu à une partie de l'appartement
dans lequel il vivait. L'arbitre a également commis
une erreur lorsqu'il a conclu en interprétant le
paragraphe 386(2) que le requérant devait établir
l'un et l'autre des éléments mentionnés dans ce
paragraphe, celui de la justification ou excuse
légale et celui de l'apparence de droit.
Cette conclusion de droit est contraire à la
jurisprudence pertinente. La Cour d'appel de l'On-
tario a décidé dans l'affaire Regina v. Creaghan
(1982), 1 C.C.C. (3d) 449 que le mot «et» figurant
au paragraphe (2) de l'article 386 devait se lire
comme «ou». Ainsi suffit-il à un accusé d'établir
qu'il a agi ou avec une justification ou une excuse
légale ou avec apparence de droit. Telle n'est
toutefois pas la seule difficulté que j'éprouve face à
la conclusion d'équivalence prise par l'arbitre sur
le fondement du dossier qui lui était soumis.
Comme l'a observé l'avocat du requérant, l'article
1401 de la Loi de l'Oklahoma a une portée plus
large que le paragraphe 389(1) du Code criminel.
Il vise, outre l'acte de mettre le feu à des biens
volontairement et avec préméditation, l'acte de
mettre le feu à des biens par négligence ou inad-
vertance; le paragraphe 389(1), par contre, se
limite au crime d'incendie intentionniel et volon-
taire. L'article 392 du Code criminel place au rang
des crimes d'incendie l'acte posé avec négligence
qui cause un incendie ayant notamment pour con-
séquence la destruction de biens. En vertu du
paragraphe 389(1), comme il est noté plus haut, la
peine maximale est un emprisonnement de qua-
torze ans. En vertu de l'article 392, toutefois, la
peine maximale est un emprisonnement de cinq
ans. Ainsi une personne déclarée coupable en vertu
de l'article 392 serait-elle entièrement soustraite à
l'application de l'alinéa 19(1)c). Je suis d'accord
avec l'avocat du requérant pour dire que, sur le
fondement des faits très ténus établis dans ce
dossier, il est impossible de déterminer si l'article
applicable serait le paragraphe 389(1) ou l'article
392. Cette circonstance est d'une importance cru-
ciale. En l'absence de faits supplémentaires, il est
impossible de conclure que l'équivalence a été
établie.
Dans l'arrêt Brannson c. Ministre de l'Emploi et
de l'Immigration, [1981] 2 C.F. 141, aux pages
152-153; (1981), 34 N.R. 411 (C.A.), à la page
420, cette Cour a énoncé de la manière suivante la
procédure à suivre lorsqu'il s'agit de trancher la
question de l'équivalence:
Quels que soient les termes employés pour désigner ces infrac
tions ou pour les définir, il faut relever les éléments essentiels
de l'une et de l'autre et s'assurer qu'ils correspondent. Naturel-
lement, il faut s'attendre à des différences dans le langage
employé pour définir les infractions dans les différents pays.
Pour les motifs qui précèdent, il me semble clair
que les éléments essentiels de l'infraction de l'Ok-
lahoma ne sont pas les mêmes que ceux de l'infrac-
tion canadienne. La mention de l'sapparence de
droit» est absente de l'article de l'Oklahoma. Ce
dernier article a également une portée beaucoup
plus large. Dans l'arrêt Hill c. Ministre de l'Em-
ploi et de l'Immigration (1987), 73 N.R. 315
(C.A.F.), à la page 320, le juge Urie, de cette
Cour, a dit que l'équivalence prévue à l'alinéa
19(1)c) peut être vérifiée de trois manières
différentes:
... tout d'abord, en comparant le libellé précis des dispositions
de chacune des lois par un examen documentaire et, s'il s'en
trouve de disponible, par le témoignage d'un expert ou d'experts
du droit étranger pour dégager, à partir de cette preuve, les
éléments essentiels des infractions respectives; en second lieu,
par l'examen de la preuve présentée devant l'arbitre, aussi bien
orale que documentaire, afin d'établir si elle démontrait de
façon suffisante que les éléments essentiels de l'infraction au
Canada avaient été établis dans le cadre des procédures étran-
gères, que les mêmes termes soient ou non utilisés pour énoncer
ces éléments dans les actes introductifs d'instance ou dans les
dispositions légales; en troisième lieu, au moyen d'une combi-
naison de cette première et de cette seconde démarches.
Si nous appliquons cette manière de procéder à
l'espèce, il ressort très clairement du dossier que
l'équivalence n'a pas été établie. Une comparaison
du libellé précis de chacune des lois ne révèle pas
la présence d'éléments essentiels communs. Aucun
expert n'a été appelé à témoigner. En conséquence,
l'arbitre ne se trouvait en présence d'aucun élé-
ment de preuve lui permettant de décider réguliè-
rement qu'il y avait équivalence en l'espèce. Pour
ce motif, l'ordonnance d'expulsion ne peut être
maintenue. En conséquence, j'accueillerais la
demande fondée sur l'article 28, j'annulerais l'or-
donnance d'expulsion et je renverrais la question
devant un arbitre pour qu'il en décide à nouveau
en tenant pour acquis que, sur le fondement des
éléments de preuve consignés au dossier, l'arbitre
Osborne a commis une erreur en concluant que le
requérant en l'espèce faisait partie de la catégorie
de personnes inadmissibles visée à l'alinéa 19(1)c)
de la Loi de l'immigration de 1976.
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