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T-2014-87
John Paul Gariepy (demandeur) c.
L'administrateur de la Cour fédérale du Canada, la Commission de la Fonction publique et Sa Majesté la Reine (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: GARIEPY c. CANADA (ADMINISTRATEUR DE LA COUR FÉDÉRALE)
Division de première instance, juge McNair— Vancouver, 25 avril; Ottawa, 22 août 1988.
Fonction publique Processus de sélection Concours
Les attentes professionnelles d'un fonctionnaire ont été contra riées lorsqu'un poste a été classifié dans la catégorie «bilingue
à nomination impérative» Il a obtenu une injonction inter- locutoire suspendant le processus de sélection jusqu'au pro- noncé du jugement déclaratoire Requête en vue d'autoriser la reclassification du poste dans la catégorie «bilingue à nomination non impérative» ainsi que la dotation du poste et d'ordonner la radiation de la déclaration au motif qu'elle est
redondante La reclassification du poste dans la catégorie «bilingue à nomination non impérative» outrepasse-t-elle la
portée de l'action? La déclaration n'est pas radiée Il est admis que la décision de classifier le poste d'administrateur de district de la Cour fédérale, à Vancouver, dans la catégorie «bilingue à nomination impérative» était peut-être une erreur
Les défendeurs essaient de désamorcer la question Injonction interlocutoire adressée à l'entité compétente en ce
qui a trait aux concours dans la Fonction publique Il faut
tenir compte de la question de l'intérêt public Ordonnance
permettant la modification des conditions linguistiques et la reprise du processus de sélection.
Contrôle judiciaire Recours en equity Injonctions Les attentes professionnelles du demandeur ont été contrecar- rées lorsqu'un poste de la Fonction publique a été reclassifié dans la catégorie «bilingue à nomination impérative» puisque le demandeur ne répondait pas à ces exigences et ne pouvait poser sa candidature Poursuite engagée au motif que I) la classification était abusive, arbitraire et excessive et 2) il y a
eu contravention à une obligation d'équité Injonction inter- locutoire accordée en vue de suspendre le processus de sélec-
tion Requête en vue d'autoriser la reclassification du poste dans la catégorie «bilingue à nomination non impérative» ainsi que la dotation du poste Puisque l'injonction interlocutoire vise l'entité compétente en ce qui a trait aux concours dans la Fonction publique, il faut tenir compte de la question de l'intérêt public pour évaluer les conséquences imputables à la
reclassification Il serait contraire à l'intérêt public d'empê- cher les défendeurs de remédier au préjudice que l'injonction
interlocutoire vise à interrompre Pareille ordonnance ne porte pas préjudice à la cause d'action du demandeur.
Contrôle judiciaire Recours en equity Jugements
déclaratoires Reclassification des conditions linguistiques d'un poste de la Fonction publique qui empêchaient le deman- deur de poser sa candidature Poursuites visant notamment à obtenir des déclarations portant I) que le demandeur a les
compétences voulues pour postuler l'emploi et 2) que les défendeurs sont liés par une obligation d'équité envers le demandeur lorsqu'ils énoncent les conditions de candidature requises pour un poste et qu'ils évaluent les compétences du demandeur à cet égard Requête visant à reclassifier le poste dans la catégorie «bilingue à nomination non impérative» et, par conséquent, à radier la déclaration parce qu'elle est redon- dante Examen de la nature et de la portée du jugement déclaratoire La Cour a compétence pour prononcer des jugements déclaratoires, même en l'absence de cause d'action, mais doit exercer ce pouvoir avec beaucoup de retenue Le redressement demandé pourrait-il vraiment permettre de régler un conflit réel? La permission de reclassifier les conditions de bilinguisme du poste n'a pas pour effet de rendre purement théorique la déclaration relative aux droits du demandeur.
Pratique Plaidoiries Requête en radiation Déclara-
tion visant à obtenir une ordonnance pour annuler la désigna- tion d'un poste de la Fonction publique comme «bilingue à nomination impérative» ainsi que des déclarations relatives aux droits du demandeur L'ordonnance autorisant la reclassification du poste dans la catégorie «bilingue à nomina tion non impérative», permettant ainsi au demandeur de poser sa candidature, est accordée La requête en radiation de la déclaration parce qu'elle est inutile et redondante est rejetée
Les défendeurs ne peuvent invoquer les Règles 419b) et f) parce qu'ils avaient déjà plaidé en fonction de la déclaration Les allégations relatives à la dérogation aux droits du demandeur et les demandes de jugement déclaratoire faites en conséquence suffisent à soulever un litige qui doit être réglé devant les tribunaux.
Il s'agirait d'une requête en vue d'obtenir les ordonnances suivantes: (I) autorisant la reclassification du poste d'adminis- trateur de district de la Cour fédérale, à Vancouver, dans sa catégorie originale (»bilingue à nomination non impérative»), (2) autorisant les défendeurs à combler le poste, et (3) radiant la déclaration parce qu'elle est inutile et redondante. Les attentes professionnelles du demandeur ont été contrecarrées lorsque les conditions de bilinguisme applicables au poste ont été reclassifiées une première fois comme «bilingue à nomina tion impérative», puisque le demandeur était incapable de satisfaire ces exigences, ce qui l'a empêché de postuler l'emploi. Dans sa déclaration, le demandeur prétend que la décision de l'administrateur était abusive, arbitraire et excessive et qu'il avait contrevenu à son obligation d'équité envers le demandeur. Le demandeur a demandé les redressements suivants: I) ordon- ner l'annulation de la décision visant à désigner le poste comme «bilingue à nomination impérative», 2) déclarer que le deman- deur a les compétences voulues pour postuler à l'emploi, et 3) déclarer que les défendeurs sont liés par une obligation d'équité envers le demandeur lorsqu'ils énoncent les conditions de candi- dature requises pour le poste et qu'ils évaluent les compétences du demandeur à cet égard. Le processus de sélection a été suspendu par voie d'injonction interlocutoire. Le demandeur prétend que la reclassification du poste dans la catégorie origi- nale ne règle pas toute la poursuite intentée et que le jugement déclaratoire demandé n'est pas purement théorique puisque le règlement du conflit relatif à ses compétences aurait des consé- quences pratiques importantes. Le demandeur prétend égale- ment que les défendeurs ne peuvent invoquer l'emploi abusif des procédures puisqu'ils ont déjà plaidé en fonction de la
déclaration. Enfin, il a été allégué qu'une modification du statu quo actuel serait préjudiciable à la cause d'action du demandeur.
Jugement: l'administrateur devrait être autorisé à modifier les conditions de bilinguisme applicables au poste, de «bilingue à nomination impérative» à «bilingue à nomination non impéra- tive», et combler le poste, mais la déclaration ne devrait pas être radiée.
Il faut tenir compte de la question de l'intérêt public pour évaluer les conséquences imputables à la reclassification de ce poste comme «bilingue à nomination non impérative» parce que l'injonction interlocutoire était adressée à l'entité compétente en ce qui a trait aux concours dans la Fonction publique. Les défendeurs veulent remédier au préjudice que l'injonction inter- locutoire visait à interrompre. Ils devraient pouvoir reclassifier le poste comme «bilingue à nomination non impérative» puis- qu'il serait contraire à l'intérêt public de retarder la sélection et le concours. Cette ordonnance ne porterait pas préjudice à la «cause d'action» du demandeur, au sens de l'arrêt Jackson v. Spittal, ni ne priverait de quelque façon ce dernier d'être entendu de façon équitable devant les tribunaux.
Il fallait examiner la nature et la portée du jugement décla- ratoire pour déterminer si, en l'espèce, il pourrait véritablement permettre de régler un conflit réel imputable aux faits. La Règle 1723 prévoit que la Cour peut faire des déclarations de droit obligatoires, qu'un redressement soit ou non demandé en conséquence. Les tribunaux peuvent prononcer des jugements déclaratoires même s'il n'existe aucune cause d'action, mais ils doivent exercer ce pouvoir avec beaucoup de retenue. La reclas- sification du poste comme «bilingue à nomination non impéra- tive» ne modifierait pas la plainte du demandeur portant sur le traitement inéquitable qu'il a reçu à tel point que la raison de sa plainte ne serait plus un motif de conflit réel, ce qui signifierait que le règlement des questions en litige aurait peu d'importance sur le plan pratique.
Les défendeurs ne peuvent invoquer les Règles 419(1)b) et . /) pour demander la radiation de la déclaration parce qu'ils ont déjà plaidé en fonction de cette déclaration. Puisque la Règle 419 était mentionnée de façon générale dans l'avis de requête, il fallait tenir compte de l'argument portant que la reclassifica- tion du poste enlevait au demandeur toute cause raisonnable d'action en vertu de la Règle 419(1)a). Les allégations conte- nues dans la déclaration et relatives à la dérogation aux droits du demandeur ainsi que les demandes de jugement déclaratoire faites en conséquence suffisent à soulever un litige qui doit être réglé devant les tribunaux. Les défendeurs n'ont pas réussi à démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la demande de jugement déclaratoire du demandeur est si futile et sans fondement qu'elle devrait être radiée de façon sommaire.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appen-
dice III.
Décret d'exclusion sur les langues officielles dans la
Fonction publique, DORS/81-787.
Judicature Act (R.-U.) 1873, chap. 66.
Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970,
chap. P-32.
Règlement .sur les langues officielles lors de nominations dans la Fonction publique, DORS/81-787.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 419(1)a),6), )), 1723.
JURISPRUDENCE DECISIONS APPLIQUÉES:
Landreville c. La Reine, [1973] C.F. 1223; 41 D.L.R. (3d) 574 (I' inst.); Kelso c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 199; 120 D.L.R. (3d) 1; Procter & Gamble Co. c. Nabisco Brands Ltd. (1985), 62 N.R. 364; 5 C.P.R. (3d) 417 (C.A.F.); Manitoba (Procureur général) c. Metropo litan Stores Ltd., [ 1987] I R.C.S. 110; Ellis v. Home Office, [1953] 2 Q.B. 135 (C.A.); Jackson v. Spittal (1870), L.R. 5 C. P. 542; Montreuil c. La Reine, [1976] 1 C.F. 528 (C.A.).
DECISIONS EXAMINÉES:
Simmons v. Foster, [1955] R.C.S. 324; [1955] 2 D.L.R. 433; MacLeod et al. v. White (1955), 37 M.P.R. 341 (C.S.N.-B.); Syndicat des postiers du Canada c. Procu- reur général du Canada (1978), 93 D.L.R. (3d) 148 (C.F. I'° inst.); Gibson v. Union of Shop, Distributive and Allied Workers, [1968] 2 All E.R. 252 (Ch. D.); Grant v. Knaresborough Urban Council, [1928] Ch. 310.,
DÉCISIONS CITÉES:
Waterside Ocean Navigation Co., Inc. c. International Navigation Ltd., [1977] 2 C.F. 257 (I'° inst.); Vulcan Equipment Co. Ltd. c. The Coats Co., Inc., [1982] 2 C.F. 77 (C.A.); Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] I R.C.S. 441; 18 D.L.R. (4th) 481.
AVOCATS:
J. Aldridge pour le demandeur.
R. Cousineau, c.r. pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Rosenbloom & Aldridge, Vancouver, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MCNAIR: Les défendeurs ont présenté une requête visant à obtenir les redressements suivants de la Cour:
a) UNE ORDONNANCE autorisant le défendeur, l'administra- teur de la Cour fédérale du Canada, à modifier les condi tions de bilinguisme applicables au concours
87-FCT-CC-VAN-92-95, pour le poste d'administrateur de district, à Vancouver, de »bilingue à nomination impérative» à »bilingue à nomination non impérative»; et
b) UNE ORDONNANCE autorisant le défendeur, l'administra- teur de la Cour fédérale du Canada, à poursuivre la sélec- tion et le concours visant à combler le poste d'administra- teur de district, à Vancouver; et
e) UNE ORDONNANCE radiant la déclaration du demandeur, en vertu de la Règle 419, parce qu'une fois que sont prononcées les ordonnances demandées aux alinéas a) et b), la déclara- tion du demandeur devient inutile et redondante.
Vers le mois d'août 1987, le poste d'administra- teur de district pour le bureau local de Vancouver du greffe de la Cour fédérale du Canada a été classifié pour la première fois sous la catégorie «bilingue à nomination impérative», à la demande du défendeur, Robert Biljan, administrateur. Sui- vant les conseils de son avocat, l'administrateur demande maintenant la permission de la Cour pour reclassifier les conditions de bilinguisme applicables au concours visant à combler le poste d'administrateur de district pour le bureau de Vancouver, de «bilingue à nomination impérative» à «bilingue à nomination non impérative», confor- mément à l'affidavit qu'il dépose à l'appui de sa requête. Malheureusement, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts depuis la première classifica tion de ce poste.
Au cours du mois d'août 1987, le demandeur a appris de l'administrateur de district en poste, Charles E. Stinson, qu'il allait être promu et muté à Ottawa et qu'en conséquence, le poste d'adminis- trateur de district devrait être comblé. Vers la même période, l'administrateur a publié l'annonce du concours dans laquelle le poste était classifié «bilingue à nomination impérative». Le demandeur avait occupé le poste d'administrateur adjoint de district pour le bureau local de Vancouver, du 31 mars 1982 jusque vers janvier 1987, lorsque son poste a été reclassifié sous l'étiquette de greffier. Pendant toute cette période, il a bien rempli les fonctions d'administrateur adjoint de district et à certaines occasions, il a remplacé l'administrateur de district en son absence. Ni le demandeur, ni l'administrateur de district de l'époque, M. Stin- son, ne maîtrisaient assez bien le français pour occuper un poste de catégorie «bilingue à nomina tion impérative». Le demandeur était déçu de la décision soudaine de l'administrateur de classifier le poste comme «bilingue à nomination impérative» parce que cela semblait l'empêcher de postuler
l'emploi. Par conséquent, il a engagé la présente poursuite en déposant une déclaration le 23 sep- tembre 1987. Les paragraphes 27 et 28 de la déclaration reprennent la partie essentielle de la plainte du demandeur, c'est-à-dire (1) que la déci- sion de l'administrateur de classifier le poste d'ad- ministrateur de district comme «bilingue à nomi nation impérative» sans prévoir qu'il puisse être comblé par une «nomination non impérative» était abusive, arbitraire et excessive, compte tenu du poste et des dispositions de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique [S.R.C. 1970, chap. P-32], du Décret d'exclusion sur les langues offi- cielles dans la Fonction publique [DORS/81-787] et du Règlement sur les langues officielles lors de nominations dans la Fonction publique [DORS/81-787]; et (2) que l'administrateur et la Commission de la Fonction publique ont contre- venu à leur obligation d'équité envers le deman- deur en classant le poste comme «bilingue à nomi nation impérative». Voici les redressements demandés en conclusion de la déclaration du demandeur:
[TRADUCTION] a) ordonner l'annulation de la décision de l'ad- ministrateur visant à désigner le poste comme «bilingue à nomination impérative» plutôt que «bilingue à nomination non impérative»;
b) déclarer que le demandeur a les compétences voulues pour postuler l'emploi d'administrateur de district du greffe de la Cour fédérale du Canada, à Vancouver (Colombie-Bri- tannique);
c) déclarer que les défendeurs sont liés par une obligation d'équité envers le demandeur lorsqu'ils énoncent les condi tions de candidature requises pour le poste d'administra- teur de district de la Cour fédérale du Canada et qu'ils évaluent les compétences du demandeur à cet égard;
d) ordonner aux défendeurs de ne nommer personne d'autre au poste visé avant que le demandeur n'ait eu la chance de postuler et de faire évaluer ses compétences par la Com mission de la Fonction publique;
e) ordonner qu'un représentant de la C.F.P. soit nommé au comité d'évaluation chargé de doter le poste;
f) prononcer une injonction interlocutoire provisoire;
g) les frais;
h) tout autre redressement que la Cour jugera nécessaire.
En même temps qu'il a déposé sa déclaration, le demandeur a présenté une requête en vue d'empê- cher les défendeurs de procéder au concours visant à doter le poste d'administrateur de district pour le bureau de Vancouver; le juge Muldoon a été saisi
de cette requête le 8 octobre 1987. Le juge a mis la décision en délibéré puis, après avoir rédigé des motifs très complets, il a prononcé l'ordonnance suivante le 6 novembre 1987:
I. LA COUR ORDONNE qu'il soit interdit aux défendeurs, l'administrateur de la Cour fédérale du Canada (ci-après désigné «l'administrateur») et la Commission de la Fonction publique (ci-après désignée «la Commission»), de procéder à une nomination ou de suppléer à une vacance au poste d'administrateur de district du bureau de Vancouver du greffe de la Cour jusqu'au prononcé du jugement, à la suite de l'audition de l'action ou jusqu'à ce qu'une autre ordon- nance ait été rendue par la Cour;
2. LA COUR ORDONNE ÉGALEMENT aux défendeurs, l'admi- nistrateur et la Commission, de suspendre le processus de sélection et le concours entrepris en vue de doter ou de combler le poste d'administrateur de district du bureau local de Vancouver du greffe de la Cour jusqu'au prononcé du jugement, à la suite de l'audition de l'action ou jusqu'à ce qu'une autre ordonnance ait été rendue par la Cour;
3. LA COUR ORDONNE ÉGALEMENT qu'il soit interdit aux défendeurs, l'administrateur et la Commission, d'obliger le demandeur à subir d'autres examens de langue française pour établir son admissibilité au concours visant à doter ou à combler le poste d'administrateur de district du bureau local de Vancouver du greffe de la Cour jusqu'au prononcé du jugement, à la suite de l'audition de l'action ou jusqu'à ce qu'une autre ordonnance ait été rendue par la Cour; et
4. LA COUR ORDONNE ÉGALEMENT aux défendeurs de payer au demandeur les dépens taxés entre parties relatifs à cette requête, quel que soit le jugement rendu en l'instance.
Les avocats des deux parties ont plaidé leur cause respective avec compétence.
Les défendeurs ont prétendu que l'administra- teur devrait pouvoir changer d'avis et reclassifier le poste dans sa catégorie initiale, à savoir «bilin- gue à nomination non impérative». Une fois que cette autorisation est donnée, le processus de sélec- tion doit être respecté et le demandeur peut postu- ler au même titre que quiconque. La décision de reclassifier le poste rendrait la poursuite du demandeur tout à fait inutile et redondante et en conséquence, elle devrait être radiée en vertu de la Règle 419(1) [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] et notamment, des alinéas b) et f) de celle-ci.
L'avocat du demandeur allègue que la reclassifi- cation du poste dans la catégorie «bilingue à nomi nation non impérative» ne règle pas toute la pour- suite intentée par le demandeur; celle-ci visait
surtout à établir les attentes légitimes de ce dernier en matière de promotion. Il prétend énergiquement que le fait que les défendeurs aient apparemment changé d'avis ne suffit pas à justifier la radiation de la déclaration, ce qui priverait le demandeur du droit de voir les questions en litige réglées sur le fond. Ces questions portent sur une obligation d'agir de façon équitable envers le demandeur à l'égard de ses compétences pour le poste d'admi- nistrateur de district ainsi que sur une question accessoire, à savoir si l'administrateur a agi légale- ment en classifiant le concours comme «bilingue à nomination impérative». Me Aldridge ajoute que le simple fait d'éliminer la cause immédiate de l'ac- tion n'a aucune incidence sur la cause juridique de l'action lorsqu'elle est fondée, comme en l'espèce, sur les faits à l'origine de la plainte du demandeur.
Quant au caractère déclaratoire du redresse- ment demandé, l'avocat du demandeur prétend que les alinéas b) à h) des redressements demandés dans la déclaration ne sont pas purement théori- ques puisqu'ils portent sur la compétence du demandeur pour occuper le poste d'administrateur de district et l'obligation d'agir de façon équitable qui lui est apparemment due à cet égard; par conséquent, le règlement du litige portant sur sa compétence et sur une évaluation équitable de celle-ci aurait des conséquences pratiques réelles et importantes. Pour étayer ces prétentions, l'avocat se fonde sur les arrêts Landreville c. La Reine, [1973] C.F. 1223, 41 D.L.R. (3d) 574 (1« inst.) et Kelso c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 199; 120 D.L.R. (3d) 1.
Quant à la question de l'emploi abusif des procé- dures visé par la Règle 419(1)f), l'avocat prétend que les défendeurs ont plaidé en fonction de la déclaration, ce qui les empêche d'invoquer ce motif pour annuler la déclaration, suivant les principes établis dans Procter & Gamble Co. c. Nabisco Brands Ltd. (1985), 62 N.R. 364; 5 C.P.R. (3d) 417 (C.A.F.). Enfin, il ajoute que les défendeurs n'ont plus aucune preuve qui puisse justifier un déplacement de l'appréciation des inconvénients assez important pour que le statu quo actuel en soit modifié, comme le prévoit d'ailleurs l'ordon- nance du juge Muldoon.
En réponse, Me Cousineau, c.r., soumet les allé- gations suivantes. Il affirme assez candidement
que sa requête a pour but de désamorcer toute la question tout en accordant au demandeur le pre mier redressement demandé. Essentiellement, cela permettrait de remédier à tout manquement à l'obligation d'agir équitablement envers le deman- deur, qu'elle soit réelle ou non, rendant ainsi tout à fait inutile la question de savoir si la classification de «bilingue à nomination impérative» était équita- ble au départ. De plus, il insiste pour affirmer que la Cour n'a pas compétence pour ordonner de façon générale que le demandeur soit traité équita- blement pendant le processus de sélection. Ce pou- voir relève plutôt, et à raison, du processus de sélection prévu dans la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique qui donne un droit d'appel con- venable à tout candidat lésé par une nomination à un poste dans la Fonction publique.
Me Cousineau admet que la décision de classi- fier le poste comme «bilingue à nomination impé- rative> était peut-être une erreur. Cependant, la décision de reclassifier le poste dans sa catégorie originale remédie à cette situation et a de plus pour effet de donner au demandeur tous les redres- sements pratiques qu'il cherchait à obtenir. Cela dit, il pose la question suivante: quelles seraient les conséquences utiles et pratiques si l'on insistait pour que la poursuite originale soit entendue sui- vant des allégations d'iniquité et d'illégalité, qui sont depuis devenues tout à fait inutiles et redon- dantes? Selon Me Cousineau, il s'ensuit donc que les facteurs plaidés au paragraphe 32 de la défense pour justifier la classification du poste dans la catégorie «bilingue à nomination impérative, sont devenus tout à fait théoriques et inutiles, compte tenu de la bonne volonté dont font preuve les défendeurs pour éliminer la cause première de la plainte.
Il faut tout d'abord établir si les défendeurs devraient être autorisés à modifier les conditions de bilinguisme applicables au concours afin de rétablir l'ancienne classification de «bilingue à nomination non impérative», ce qui permettrait au processus de sélection de reprendre son cours en vue d'atteindre la décision finale, c'est-à-dire la nomination d'un administrateur de district pour le bureau de Vancouver. Comme nous l'avons déjà souligné, l'avocat du demandeur estime que toute modification apportée à la situation de statu quo porterait préjudice à la cause d'action du deman- deur, comme le prévoit la présente injonction.
Dans l'arrêt Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110, le juge Beetz a repris les principes applicables à l'injonction interlocutoire visant à suspendre l'ap- plication d'une loi contestée sur le plan constitu- tionnel, et il a conclu ce qui suit, à la page 136:
... dans les cas il s'agit d'injonctions interlocutoires adres- sées à des organismes constitués en vertu d'une loi, ils ont conclu à bon droit que c'est une erreur que d'agir à leur égard comme s'ils avaient un intérêt distinct de celui du public au bénéfice duquel ils sont tenus de remplir les fonctions que leur impose la loi.
Même si la constitutionnalité des lois sur l'em- ploi dans la Fonction publique n'est pas mise en cause directement en l'espèce, contrairement à l'affaire Metropolitan Stores Ltd., j'estime toute- fois qu'il s'agit d'une injonction interlocutoire adressée à l'entité compétente en ce qui a trait au concours de dotation du poste d'administrateur de district pour le bureau de Vancouver. Par consé- quent, je suis d'avis qu'il faut tenir compte de la question de l'intérêt public pour évaluer les consé- quences imputables à la reclassification de ce poste comme «bilingue à nomination non impérative».
Dans l'arrêt Ellis v. Home Office, [1953] 2 Q.B. 135 (C.A.), le lord juge Singleton énonce ce con cept de droit à la page 143:
[TRADUCTION] Le désir de tout tribunal est, avant tout, de s'assurer que chaque partie dispose et semble disposer de chances égales.
Dans cette même décision, le lord juge Morris fait l'affirmation suivante à la page 147:
[TRADUCTION] Pour évaluer l'intérêt public ... il convient de rappeler l'un des aspects de l'intérêt public: la justice doit être impartiale et donner l'impression de l'être.
La présente injonction vise à suspendre le pro- cessus de sélection et le concours de dotation du poste d'administrateur de district et à empêcher toute nomination à ce poste, en fonction de la classification modifiée comme «bilingue à nomina tion impérative». Le préjudice a été interrompu. Les défendeurs veulent maintenant y remédier en reclassifiant le poste comme «bilingue à nomina tion non impérative». Faut-il les en empêcher? Je suis forcé de conclure par la négative. Il me semble que ce serait contraire à l'intérêt public que de mettre fin à la sélection et au concours, puisque les
défendeurs sont prêts à corriger la situation en reclassifiant le poste dans sa catégorie originale.
Dans l'ancien arrêt Jackson v. Spittal (1870), L.R. 5 C. P. 542, l'expression [TRADUCTION] «cause d'action» la page 542] signifiait [TRA- DUCTION] «l'acte posé par les défendeurs qui cons- titue le motif de la plainte du demandeur». Cette définition est tout aussi valable de nos jours. Je ne vois pas comment une ordonnance prononcée selon les alinéas a) et b) de la requête pourrait porter un préjudice grave à la plainte du demandeur selon les faits existants au moment l'action a été intentée ou le priver de quelque façon d'être entendu de façon équitable devant les tribunaux. Je suis donc prêt à prononcer une ordonnance en ce sens.
Compte tenu de ce qui précède, il reste à déter- miner si le jugement déclaratoire visé par le demandeur pourrait véritablement permettre de régler un conflit réel imputable aux faits existant à l'époque l'action a été intentée. La question pourrait être posée de la façon suivante: existe-t-il toujours une controverse entre les parties qui devrait être réglée devant les tribunaux ou est-ce que le litige original est maintenant purement théorique? Pour répondre à cette question, il faudra tout d'abord examiner la nature et la portée du jugement déclaratoire.
Voyons d'abord la Règle 1723 des Règles de la Cour fédérale dont voici le texte:
Actions visant à un jugement déclaratoire
Règle 1723. Il ne peut être fait opposition à une action pour le motif que cette action ne vise qu'à l'obtention d'un jugement ou d'une ordonnance purement déclaratoires; et la Cour pourra faire des déclarations de droit obligatoires, qu'un redressement soit ou puisse être demandé ou non en conséquence.
Cette Règle de la Cour fédérale reprend presque litéralement l'ancienne règle anglaise [Supreme Ct. Rules], Ordonnance 25, Règle 5, adoptée en 1883 en vertu de la Judicature Act (R.-U.), 1873, chap. 66 (Imp.), comme conséquence législative de l'ancienne pratique du régime de Chancery. L'équivalent de notre Règle existe dans presque tous les territoires et toutes les provinces de common law du Canada.
Dans l'affaire Simmons v. Foster, [1955] R.C.S. 324; [1955] 2 D.L.R. 433, la Cour a conclu
qu'un jugement déclaratoire peut être prononcé même s'il n'existe aucune cause d'action, si le demandeur réclame un redressement. Dans ce cas toutefois, le tribunal doit exercer ses pouvoirs dis- crétionnaires avec beaucoup de retenue. Dans cet arrêt, la Cour a refusé de prononcer un jugement déclaratoire parce qu'il n'aurait pas pu servir à régler les problèmes existant entre les parties et qu'il aurait été [TRADUCTION] «contraire aux principes reconnus sur lesquels est fondée la com- pétence de la Cour».
Voici le raisonnement avancé par le juge Estey aux pages 330 et 331 R.C.S.; 446 D.L.R.:
[TRADUCTION] Par sa demande reconventionnelle, l'intimé cherche à obtenir un jugement déclaratoire, comme nous l'avons déjà dit, portant sur l'écoulement naturel des cours d'eau. Comme de nombreuses autres provinces, Terre-Neuve a adopté l'Ordonnance 25, Règle 5 des English Supreme Court Rules qui prévoit que la Cour peut faire «des déclarations de droit, qu'un redressement soit ou puisse être demandé ou non en conséquence.» La Cour peut faire ce genre de déclaration, même en l'absence d'une cause d'action, si le demandeur réclame un redressement. Swift Current v. Leslie et al ((1916) 9 W.W.R. 1024); Kent Coal Co. Ltd. v. Northwestern Utilities Ltd. ([1936] 2 W.W.R. 393); Guaranty Trust Co. of New York v. Hannay & Co. ([1915] 2 K.B. 536). Dans cette dernière alfa ire, le juge Bankes affirme ce qui suit à la p. 572:
Il existe toutefois une restriction dont il faut toujours tenir compte, c'est-à-dire que le redressement réclamé ne doit pas être illicite, inconstitutionnel ou inéquitable si la Cour l'ac- corde ou contraire aux principes reconnus sur lesquels est fondée la compétence de la Cour. Sous réserve de cette restriction, je ne vois rien qui empêche la Cour d'exercer ses pouvoirs discrétionnaires et d'accorder le redressement demandé; quant aux besoins du milieu des affaires en général et à l'importance d'un mécanisme judiciaire adapté aux situations, j'estime que l'arrêt devrait être interprété de la façon la plus libérale possible.
Par dérogation à cette interprétation libérale de la règle, la doctrine a insisté à plusieurs occasions pour que ces pouvoirs discrétionnaires soient exercés avec beaucoup de soin et de prudence. Halsbury's Laws of England, 2' éd., vol. 19, à la p. 215, par. 512; Annual Practice 1955, Ordonnance 25, Règle 5, à la p. 425; Holmested & Langton, Ontario Judicature Act, éd., à la p. 47.
Dans l'arrêt MacLeod et al. v. White (1955), 37 M.P.R. 341 (C.S.N.-B.), des propriétaires dans un secteur résidentiel ont intenté une poursuite visant notamment à obtenir un jugement déclaratoire portant que le projet d'implantation par le défen- deur d'une usine d'asphalte sur le terrain voisin était contraire au règlement de zonage municipal. Le tribunal a refusé de prononcer le jugement
déclaratoire au motif qu'il n'aurait constitué rien de plus qu'un avis juridique, ne liant aucunement les parties.
Voici le principe énoncé par le juge en chef McNair à la page 361:
[TRADUCTION] Suivant les principes établis, je suis tenu de conclure que les jugements déclaratoires ne peuvent être pro- noncés que lorsqu'ils constituent des «déclarations de droit obligatoires» selon les termes exacts de la règle.
Il n'appartient pas au tribunal de donner des avis juridiques sur des questions de fait ou de droit qui pourraient confondre les habitants de Lancaster. Ses déclarations doivent être obliga- toires pour une partie, au profit d'une autre. Il me semble que les demandeurs cherchent à obtenir de la Cour un avis juridi- que et non un avis judiciaire de nature obligatoire.
Je ne vois pas comment un jugement déclaratoire de ce genre pourrait lier une partie ou en favoriser une autre en droit. La situation aurait été différente si l'action avait été intentée pour le compte du procureur général. Dans ce cas, le jugement déclaratoire serait applicable à l'encontre du défendeur Ste- phen, en faveur des habitants de la municipalité en général. Mais les déclarations demandées en l'espèce n'auraient aucun effet à titre de jugement.
Dans l'arrêt Landreville c. La Reine, (précité), les parties à une action en jugement déclaratoire ont convenu de soumettre trois questions de droit à une décision préliminaire avant le procès, confor- mément à la Règle 474. La Cour a refusé de répondre à deux des questions posées. Quant à la troisième question, il s'agissait de déterminer la compétence de la Cour pour prononcer un juge- ment déclaratoire sur une question de droit dans le cas la déclaration n'aurait aucune conséquence juridique mais aurait probablement des effets pra- tiques. La Cour a répondu dans l'affirmative et conclu qu'elle avait compétence pour prononcer une déclaration qui, même sans conséquence juri- dique, serait utile du point de vue pratique.
Par contre, dans l'arrêt Syndicat des postiers du Canada c. Procureur général du Canada (1978), 93 D.L.R. (3d) 148 (C.F. 1" inst.), la Cour a rejeté une demande de déclaration portant qu'une loi visant à empêcher le syndicat des postiers de faire la grève allait à l'encontre de la Déclaration canadienne des droits [S.R.C. 1970, Appendice III], en matière d'égalité devant la loi, attendu que le point soulevé était purement théorique et n'avait plus d'incidence pratique. Cela illustre bien le fait qu'habituellement, les tribunaux hésitent à accueillir des demandes de jugement déclaratoire qui ne soulèvent que des questions entièrement théoriques et hypothétiques.
Comme je l'ai déjà mentionné, l'avocat des défendeurs insiste sur le fait que la reclassification du concours pour le poste d'administrateur de district dans la catégorie «bilingue à nomination non impérative» rend les questions soulevées par le demandeur purement théoriques et qu'en consé- quence, le procès n'a aucune utilité.
Une question semblable a été soulevée dans l'affaire Gibson v. Union of Shop, Distributive and Allied Workers, [1968] 2 All E.R. 252 (Ch. D.). Dans cette cause, le demandeur cherchait à obtenir une déclaration portant que son expulsion du syn- dicat et sa suspension subséquente étaient illégales et nulles. Il ne restait que trois semaines à la période de suspension lorsque la défense a fait valoir, en période préliminaire, qu'il serait inutile que cette cause soit entendue. Le tribunal a rejeté l'objection préliminaire et conclu qu'il fallait entendre la poursuite.
Voici ce qu'a affirmé le juge Buckley, à la page 254:
[TRADUCTION] Je peux facilement comprendre qu'un tribunal ne soit pas porté à entendre une poursuite et à se prononcer sur la question soulevée si le demandeur demande un jugement déclaratoire sur une question telle que le jugement n'aura aucune incidence juridique; et je peux comprendre que cette poursuite serait rejetée parce qu'il serait inutile de l'entendre. Cependant, si au moment d'intenter la poursuite, le demandeur a ou peut avoir une plainte justifiée, et non seulement théori- que, qui porte sur des questions importantes de droit, il serait difficile d'annoncer au demandeur, au moment du procès, que la question ne devrait pas être entendue parce que le redresse- ment demandé est maintenant beaucoup moins important ou n'a plus de conséquence pratique à cause de la période écoulée entre la date de délivrance du bref et l'ouverture du procès, compte tenu des affaires de la cour et des étapes préalables ...
Néanmoins, la question qui oppose les parties en l'espèce n'est pas purement théorique. De plus, les pouvoirs qui ont présumé- ment été exercés de façon erronée par le syndicat défendeur sont de nature disciplinaire et j'estime que la question de savoir s'ils ont été exercés à bon ou à mauvais escient pourrait avoir des répercussions autres que juridiques mais qui pourraient influencer les relations entre le demandeur et son syndicat dans l'avenir, notamment s'il voulait occuper un poste dans le syndicat.
Il y a aussi l'arrêt Grant v. Knaresborough Urban Council, [1928] Ch. 310, la demande de jugement déclaratoire du demandeur, portant qu'un versement qu'il devait faire en vertu de la Rating and Valuation Act [(Returns) Rules, 1926 (St. R. & 0., 1926, No. 795, p. 1368)] était
illégal, a été entendu même si les défendeurs ont finalement retiré leur défense par laquelle ils niaient l'invalidité de la formule et déclaré qu'ils n'avaient pas l'intention de contester l'action.
Le juge Astbury a reconnu qu'il s'agissait d'une affaire exceptionnelle et a motivé sa décision de la façon suivante, à la page 317:
[TRADUCTION] Cette action vise à obtenir un jugement décla- ratoire portant que certaines parties de cette formule sont illégales et ultra vires. Au moment de délivrer un bref, le demandeur avait le droit d'intenter cette poursuite. La formule a ensuite été retirée mais le défendeur a ensuite proposé une défense par laquelle il confirmait sa validité, Il a ensuite retiré cette défense et le demandeur a s'interroger sur la décision à prendre. Dans les circonstances, il n'était pas tenu de demander un jugement par défaut si, ce faisant, il ne pouvait obtenir le jugement auquel il avait clairement droit. La déclaration demandée portait sur des preuves de l'invalidité de la formule rédigée en vertu de la loi et le tribunal n'aurait pas rendu ce genre de jugement, à la suite d'une requête de jugement par défaut, en l'absence de preuves et d'arguments.
Dans ces circonstances, le demandeur avait le droit de pour- suivre l'action intentée et d'essayer d'établir le bien-fondé de ses prétentions.
Il existe quelques similitudes entre l'arrêt Kelso c. La Reine (précité), en Cour suprême, et l'espèce. L'appel était interjeté par un contrôleur aérien anglophone unilingue qui avait été transféré, malgré ses protestations, de Montréal à Cornwall, après que son poste à Montréal eut été déclaré bilingue. Il a demandé à la Cour fédérale de déclarer qu'il avait le droit de réintégrer son ancien poste. L'action a été rejetée en première instance [[1979] 2 C.F. 726 (lie inst.)] et en appel par la Cour fédérale [[1980] 1 C.F. 659], allé- guant que son acceptation du transfert à Cornwall avait éteint les droits déclaratoires qu'il avait pu avoir à l'égard du poste de Montréal. Devant la Cour suprême, la Couronne a allégué qu'elle avait un pouvoir général en matière d'allocation et de gestion des ressources dans la Fonction publique et que personne n'avait un droit acquis à l'égard d'un poste en particulier.
Le juge Dickson [tel était alors son titre], au nom de la Cour, a décrit la question en litige dans les termes suivants, aux pages 208 et 209 R.C.S.; 8 D.L.R.:
La question est de savoir si l'intimée avait le droit de muter M. Kelso sur le seul fondement de la compétence linguistique. J'ai déjà conclu que le gouvernement n'avait pas ce droit.
En conclusion, le juge a offert cet énoncé de principe, aux pages 210 R.C.S.; 9 D.L.R.:
Enfin, l'intimée allègue qu'il n'y a pas lieu de rendre un jugement déclaratoire puisqu'il ne peut avoir aucun effet prati- que. On fait valoir que la Commission de la Fonction publique possède de façon exclusive le droit et l'autorité de nommer à des postes de la Fonction publique. Un jugement déclaratoire de la Cour ne peut pas avoir pour effet d'empêcher la Commis sion d'exercer cette autorité, ce qui priverait le jugement de tout effet pratique.
Certes, il est tout à fait juste de dire que la Cour ne peut pas nommer M. Kelso à un poste de la Fonction publique. L'acte administratif de nomination est du ressort de la Commission. Mais la Cour a le droit de «déclarer» quels sont juridiquement les droits respectifs de l'appelant et de l'intimée.
La Commission de la Fonction publique n'est pas au-dessus des lois du pays. Si elle rompt un contrat ou contrevient à la loi, les tribunaux ont le droit de le déclarer.
Essentiellement, le demandeur se plaint d'avoir été traité de façon inéquitable par les défendeurs, à la suite de la décision abusive, arbitraire et exces sive de l'administrateur défendeur qui a classifié le concours de dotation du poste d'administrateur de district comme «bilingue à nomination impérative». Il remet également en cause la légalité de cette classification. Le demandeur se croit victime de ce qui lui semble une dérogation à ses droits et il a donc engagé cette poursuite déclaratoire en consé- quence. Si cette situation a été modifiée par l'or- donnance permettant la reclassification du poste comme «bilingue à nomination non impérative», de sorte que la raison de sa plainte n'est plus un motif de conflit réel, cela signifie-t-il que le règlement des questions en litige aurait peu d'importance sur le plan pratique? Je ne le crois pas.
Examinons maintenant la dernière question qui porte sur le bien-fondé de la requête en radiation. Il me semble évident, d'après les arguments de Cousineau, que la requête est fondée sur les alinéas b) et f) de la Règle 419(1) ou, autrement dit, les Règles 419(1)b) et 419(1)f).
L'arrêt Procter & Gamble Co. c. Nabisco Brands Ltd., (précité), de la Cour d'appel fédérale, que l'avocat du demandeur invoque vigoureuse- ment, fait certainement jurisprudence sur le point suivant: en général, un défendeur ne peut deman- der la radiation de la déclaration de la partie adverse en vertu des Règles 419(1)b) à f) inclusi- vement, s'il a plaidé en conséquence et présenté sa requête après un délai considérable, bien que cette
restriction ne s'applique pas à une requête en radiation présentée en vertu de la Règle 419(1)a). Dans l'arrêt Nabisco, la Cour d'appel a repris l'énoncé de principe proposé par le juge Addy dans l'arrêt Montreuil c. La Reine, [1976] 1 C.F. 528, à la page 529:
Tant qu'au premier motif invoqué par le procureur de la défenderesse, la défense générale déposée en réponse à la déclaration constitue un obstacle fatal: lorsqu'une partie plaide en réponse aux allégations contenues dans une plaidoirie de l'adversaire sans soulever d'objection en droit à la forme ou au contenu de la plaidoirie à laquelle il répond, il ne lui est pas loisible par la suite de s'objecter à la plaidoirie de l'adversaire sans retirer ou modifier sa propre plaidoirie en réponse à celle à laquelle il s'objecte ... [C'est moi qui souligne.]
Par conséquent, je me sens obligé de statuer en faveur de l'objection soulevée par l'avocat du demandeur, à savoir que les défendeurs ne peuvent invoquer les Règles 419(1 )b) et 419(1)f) à l'appui de leur requête en radiation.
De toute évidence, les défendeurs auraient mieux fait de fonder leurs arguments sur la propo sition générale de la Règle 419(1)a) pour attaquer la déclaration du demandeur, plutôt que de s'en tenir aux objectifs définis aux alinéas b) et f) de la Règle. Il n'en demeure pas moins que la Règle 419 était mentionnée de façon générale dans l'avis de requête, restreinte uniquement par l'emploi des mots «inutile ou redondante». Les règles de procé- dure d'un tribunal sont conçues pour faciliter et accélérer le cheminement des causes vers un objec- tif général de justice et elles devraient être inter- prétées de façon libérale, compte tenu de ce but ultime. Me Cousineau a allégué énergiquement que la reclassification du poste comme «bilingue à nomination non impérative» permettrait de faire d'une pierre deux coups: elle rendrait les alléga- tions justificatrices du paragraphe 32 de la défense tout à fait théoriques et, du même coup, rendrait l'action déclaratoire du demandeur tout à fait inutile et redondante. Ce que les défendeurs affir- ment en réalité, par implication du moins, c'est que la reclassification d'un poste ne laisse au demandeur aucune cause raisonnable d'action. A mon avis, le simple choix des mots «inutile ou redondante» ne suffit pas, dans les circonstances, pour conclure que les défendeurs s'étaient nette- ment démarqués de la Règle 419(1)a) et j'ai l'in- tention d'examiner la question en conséquence. Que faudrait-il conclure?
Il est bien établi que dans le cas d'une requête en radiation d'une déclaration en vertu de la Règle 419(1)a), les faits allégués dans celle-ci sont présu- més vrais et la requête ne sera accordée que s'il est évident que la cause ainsi plaidée est tellement futile ou sans fondement qu'elle n'a aucune chance d'être accueillie: Waterside Ocean Navigation Co., lnc. c. International Navigation Ltd., [1977] 2 C.F. 257 (1" inst.); Vulcan Equipment Co. Ltd. c. The Coats Co., Inc., [1982] 2 C.F. 77 (C.A.); et Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441; 18 D.L.R. (4th) 481.
Même si les défendeurs prétendent que la reclas- sification du poste modifie toute la situation, je suis convaincu que les allégations contenues dans la déclaration et relatives à la dérogation aux droits du demandeur ainsi que les demandes de jugement déclaratoire faites en conséquence suffi- sent à soulever un litige qui doit être réglé devant les tribunaux, comme je l'ai déjà mentionné. Il est vrai qu'il faudra peut-être reformuler ou éliminer certaines des demandes de redressement faites en conclusion de la déclaration afin de restreindre les questions en litige. Je pense surtout aux demandes de certiorari et de bref de prohibition prévues respectivement aux alinéas a) et d). Cependant, je n'ai pas l'intention de disséquer au hasard la décla- ration du demandeur, de crainte d'en enlever trop par inadvertance. J'estime que cette étape, au besoin, devrait être accomplie lors du procès, après l'interrogatoire préalable et les autres procédures antérieures au procès. En conclusion, j'estime que les défendeurs n'ont pas réussi à démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la demande de jugement déclaratoire du demandeur est si futile et sans fondement, qu'elle devrait être radiée de façon sommaire.
Pour ces raisons, une ordonnance sera prononcée selon les alinéas a) et b) de la requête des défen- deurs, mais la requête en radiation prévue à l'ali- néa c) est rejetée. Aucuns frais ne sont adjugés à l'égard de cette demande.
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