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T-1611-88
Southam Inc. et Charles Rusnell (demandeurs) c.
Le Procureur général du Canada, le Sénat, le Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration, Sa Majesté la Reine (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: SOUTHAM INC. c. CANADA (PROCUREUR GÉNÉ- RAL) (1" INST.)
Section de première instance, juge Strayer— Ottawa, 17 mai et 8 juin 1989.
Droit constitutionnel Charte des droits Libertés fon- damentales Refus de l'accès du public à certaines auditions d'un comité du Sénat Une action a été intentée pour obtenir un jugement déclaratoire statuant que ce refus porte atteinte à la liberté d'expression garantie par la Charte Des requêtes sont présentées pour obtenir la radiation des défendeurs L'adoption de la Charte a fondamentalement modifié la nature de la Constitution canadienne en conférant une valeur prépon- dérante à certaines libertés et à certains droits individuels et en imposant leur respect à des organismes publics La Charte a remplacé toute immunité constitutionnelle implicite empêchant la révision judiciaire.
Compétence de la Cour fédérale Section de première instance L'action sollicite (I) un jugement déclaratoire portant que le refus de l'accès aux auditions du Sénat et du comité du Sénat porte atteinte à la liberté d'expression garan- tie par la Charte, (2) un bref de certiorari annulant la décision de tenir les auditions à huis clos, (3) la délivrance d'une injonction contre la persistance du comité à refuser l'accès demandé Existe-t-il une cour qui soit compétente à exami ner la manière dont un privilège parlementaire est exercé? La Cour fédérale est-elle compétente à entendre l'action en l'espèce? Les trois conditions déterminant la compétence de la Cour fédérale qui se trouvent énoncées dans l'arrêt ITO se trouvent satisfaites.
Pratique Parties Qualité pour agir Une requête sollicitant la radiation du Sénat et d'un comité du Sénat comme défendeurs a été présentée dans le cadre d'une action recherchant un jugement déclaratoire qui porterait que l'exer- cice par le Sénat du privilège parlementaire de tenir des auditions à huis clos est contraire à la Charte Dans l'hypothèse le Sénat n'aurait pas la qualité voulue pour comparaître, cette qualité pourrait être accordée à un haut fonctionnaire du Sénat de façon à lui permettre de présenter une demande L'intérêt du légiste est suffisant pour lui permettre de saisir la Cour de la question en litige Une action intentée contre le Sénat sous ce nom est entachée de nullité puisque cet organisme ne constitue pas une personne morale Le comité du Sénat ne constitue pas une entité susceptible d'être poursuivie Les demandeurs ont la possi- bilité de nommer comme défendeurs les personnes qui étaient membres du comité visé à l'époque pertinente La Couronne a été inscrite comme partie sans que cela ne soit nécessaire Le procureur général a été inscrit à bon droit comme partie
L'art. 18b) de la Loi sur la Cour fédérale confère à la Section de première instance la compétence exclusive pour entendre toute demande engagée contre le procureur général pour obte- nir un redressement contre un office, une commission ou un autre tribunal fédéral Le procureur général peut être joint à l'instance à titre de partie bien qu'il ne possède pas le pouvoir de prescrire à l'office concerné les mesures qu'il doit prendre La Cour est en droit de connaître le point de vue du procureur général concernant une question aussi importante.
Pratique Plaidoiries Requête en radiation L'action intentée sollicite un jugement déclaratoire portant que le refus de l'accès du public à certaines auditions d'un comité du Sénat porte atteinte au droit à la liberté d'expression garanti par la Charte Le retard dans la présentation de la requête en radiation des défendeurs n'est pas fatal lorsque le motif allégué est l'absence d'une cause raisonnable d'action décou- lant de facteurs juridictionnels ou d'autres facteurs relatifs à la validité de la demande Lorsqu'une défense ne plaide pas au fond et soulève la question de la validité juridique de l'action, et qu'aucune circonstance particulière, telle un préju- dice pour le demandeur, ne peut être établie, un tribunal ne devrait pas refuser d'instruire une telle demande à une date ultérieure Même si la dissolution du 33" Parlement a entraîné celle du Sénat, et que le point soulevé (la portée de l'exercice d'un privilège parlementaire) est à présent caduc, la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de manière à trancher le litige puisque la question visée concerne des situa tions de nature répétitive et de courte durée.
Interprétation des lois Les auditions d'un comité du Sénat ont été tenues à huis clos Les demandeurs soutien- nent que l'art. 2b) de la Charte, qui garantit la liberté d'ex- pression, limite l'exercice des privilèges parlementaires Le principe voulant qu'un privilège parlementaire ne puisse être abrogé que par une disposition expresse n'est pas pertinent puisque l'abrogation qui est alléguée serait imposée par la Charte Par l'effet de l'art. 32, l'application de la Charte peut limiter l'exercice de la prérogative royale La mention du «Parlement» impose des limites à ses éléments constitutifs.
Le Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration a refusé d'accorder au public l'accès à l'enquête tenue au sujet de certaines allégations visant le sénateur Hazen Argue et son utilisation de certains fonds du Sénat. Une action a été intentée par l'éditeur du journal Ottawa Citizen pour obtenir un jugement faisant les déclarations sui- vantes: ce refus violait la liberté d'expression garantie par la Charte et n'était point justifié; la règle 73 du Sénat, qui accorde au Sénat le pouvoir discrétionnaire de refuser l'accès au public, est également contraire à la Charte; et les refus de permettre aux demandeurs de présenter des observations orales au comité au sujet de leur droit d'accès constituaient un manquement au devoir du Sénat d'entendre des arguments et de les prendre en considération. Les demandeurs sollicitent également la déli- vrance d'un bref de certiorari qui annulerait la décision de tenir des auditions à huis clos ainsi que la délivrance d'une injonction contre la persistance du comité à refuser l'accès à de telles auditions. Le légiste et conseiller parlementaire du Sénat a présenté une requête sollicitant la radiation du Sénat et du comité sénatorial de la liste des défendeurs au motif que l'action constituait un emploi abusif des procédures de la Cour. Le procureur général et la Reine ont demandé à être radiés au motif que la déclaration ne divulguait aucune cause raisonnable
d'action. Subsidiairement, ils ont soutenu avoir été constitués parties à tort. Les questions soulevées sont celles de savoir si (I ) les tribunaux en général et (2) cette Cour en particulier, sont compétents à réviser le mode d'exercice de ces privilèges. Il a été soutenu que seules les cours de compétence inhérente (les cours supérieures de chaque province) sont compétentes à cet égard, ou qu'aucune cour n'est compétente à effectuer une telle révision à la lumière de l'article 9 de The Bill of Rights (1688), qui prévoit que les procédures qui se déroulent au sein du Parlement ne doivent être contestées devant aucune cour et qui a été incorporé dans la Constitution canadienne par le préam- bule de la Loi constitutionnelle de 1867. Les questions de procédure suivantes ont également été soulevées: (I) le légiste, qui n'est pas partie à l'action, a-t-il la qualité voulue pour présenter la présente demande? (2) doit-il être permis aux défendeurs de présenter la requête en l'espèce alors que ceux-ci ont présenté une défense et attendu sept mois avant de deman- der la radiation visée? (3) le Sénat et le Comité permanent sont-ils des entités susceptibles d'être poursuivies? (4) la disso lution du 33» Parlement a-t-elle entraîné celle du Sénat? (5) était-il nécessaire d'inscrire la Reine comme partie à l'action? (6) était-il nécessaire d'inscrire le procureur général comme partie à l'action?
Jugement: le Sénat et le Comité sénatorial devraient être radiés de la liste des défendeurs, et les demandeurs devraient être autorisés à déposer une déclaration modifiée dans laquelle les personnes qui étaient membres du comité au cours de la période pertinente seront nommées comme défenderesses. La Couronne devrait également être radiée.
Il n'est pas «évident» que tous les tribunaux, y compris la Cour fédérale, soient incompétents à entreprendre une révision du mode d'exercice des privilèges parlementaires. L'adoption de la Charte a fondamentalement modifié la nature de la Consti tution canadienne en conférant une importance prépondérante à certains droits et à certaines libertés de la personne, et en autorisant les tribunaux à faire respecter ces droits par les organismes publics mentionnés à l'article 32. La Constitution canadienne n'est plus semblable dans son principe à celle du Royaume-Uni. La Charte a remplacé toute immunité constitu- tionnelle implicite empêchant la révision judiciaire de l'exercice de ce que les organes du Parlement allèguent être leurs privilè- ges lorsque cet exercice enfreint des droits individuels garantis par la Charte.
Le principe d'interprétation des lois selon lequel seule une disposition expresse d'une loi peut abroger un privilège parle- mentaire n'est pas pertinent puisque l'abrogation alléguée résulterait de la Charte. L'alinéa 32(1)a) rend la Charte appli cable au Parlement. Dans l'arrêt Operation Dismantle, la Cour suprême a décidé que, par l'effet de son article 32, la Charte limitait l'exercice de la prérogative royale. Lorsque l'article 32 parle du «Parlement», il doit également imposer aux éléments constitutifs du Parlement les limites qui peuvent par ailleurs découler des termes utilisés dans la Charte.
L'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale permet à la Cour de satisfaire à la première condition énoncée dans l'arrêt ITO relativement à la compétence de la Cour, savoir l'existence d'une compétence conférée par une loi du Parlement fédéral. L'alinéa 18a) mentionne à la fois le redressement déclaratoire et le bref de certiorari. Un comité du Sénat peut être visé par la définition de l'«office, commission ou autre tribunal fédéral»
soit parce qu'il constitue un «organisme», soit parce qu'il est constitué de «personnes». De plus, le comité visé était un comité exerçant ou prétendant exercer une compétence ou des pouvoirs conférés par une loi du Parlement du Canada ou sous le régime d'une telle loi plutôt que sous le régime de la Constitution. La Loi sur le Parlement du Canada prévoit que le Sénat et la Chambre des communes jouissent des privilèges, des immunités et des pouvoirs que possédait la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni à l'époque de la Confédération. Quels qu'aient pu être la portée ou le fondement légal des privilèges du Parlement lors de l'entrée en vigueur de la Confé- dération, la loi de 1868 les a établis sur un fondement législatif et cette situation se poursuit. La Loi sur le Parlement du Canada et ses prédécesseurs constituent clairement des lois du Parlement au sens de l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale. Les deux autres conditions (qui veulent que les questions en jeu concernent le droit fédéral et que la loi invoquée constitue une «loi du Canada» au sens de l'article 101 de la Loi constitution- nelle de 1867) se trouvent satisfaites par les articles 4 et 5 de la Loi sur le Parlement du Canada, une disposition fédérale valide.
En ce qui a trait aux questions de procédure, le moyen choisi par le légiste était approprié. L'opinion incidente exprimée dans l'arrêt Chambres des communes c. Conseil canadien des rela tions du travail appuie la proposition que, dans l'hypothèse le Sénat n'aurait pas la qualité voulue pour comparaître, cette qualité pourrait être accordée à un haut fonctionnaire du Sénat. Le légiste possède un intérêt suffisant pour soulever la question devant la Cour.
Le retard à présenter une requête en radiation n'est normale- ment pas fatal lorsque le motif allégué est l'absence d'une cause raisonnable d'action découlant de facteurs juridictionnels ou d'autres facteurs relatifs à la validité juridique de la demande. De plus, lorsqu'un défendeur n'a pas plaidé au fond et a soulevé la question de la validité juridique de l'action dès le début de sa défense, et qu'aucun préjudice n'est subi par le demandeur, un tribunal ne devrait pas refuser d'instruire une requête en radia tion à une date ultérieure.
Le Sénat n'est pas une personne morale, et une action intentée contre cet organisme sous ce nom est entachée de nullité. Il devrait être radié de la liste des défendeurs. Le comité du Sénat n'est pas une entité susceptible d'être poursuivie, et il devrait être radié. Toutefois, les demandeurs peuvent solliciter des redressements contre les personnes qui étaient membres de ce comité permanent à l'époque pertinente.
Même si la dissolution du 33» Parlement a pu rendre caduque la question soulevée (la portée de l'exercice d'un privilège parlementaire), comme cette question concerne des situations de nature répétitive mais de courte durée, une cour devrait l'examiner.
La Reine devrait être radiée puisque le procureur général est la partie compétente. L'alinéa 18b) de la Loi sur la Cour fédérale confère à la Section de première instance la compé- tence exclusive pour entendre toute demande de redressement «engagée contre le procureur général ... aux fins d'obtenir le redressement contre un office, une commission ou un autre tribunal fédéral». Le procureur général peut être joint à l'ins- tance à titre de partie même lorsqu'il ne possède pas le pouvoir de prescrire à l'office, à la commission ou au tribunal concerné les mesures qu'il devrait prendre. Bien que le procureur général
ne constitue pas une partie nécessaire, la Cour a le droit de connaître son point de vue concernant une question aussi importante.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appen- dice I11, art. 1 d),/).
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 2b), 32(1)a).
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice I1, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1), art. 18 (mod. par S.R.C. 1970, Appendice II, 13, art. 1), 92(14), 101.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10, art. 2, 17, 18, 28.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 401, 419(1)j), 425, 1716(2)a).
Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, chap. 1-6.
Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), chap. I-21, art. 17. Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. (1985), chap. P-1, art. 4, 5.
The Bill of Rights (1688), Wm. III & Mary, 2nd Sess., chap. 2 (Imp.), art. 9.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autres, [1980] 2 R.C.S. 735; Operation Dis mantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441; ITO-International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics et autres, [1986] 1 R.C.S. 752; Borowski c. Canada (Procureur général), [ 1989] 1 R.C.S. 342.
DÉCISION DISTINGUÉE:
Chambre des communes c. Conseil canadien des rela tions du travail, [1986] 2 C.F. 372 (C.A.).
DÉCISIONS MENTIONNÉES:
Renvoi: Résolution pour modifier la Constitution, [1981 ] 1 R.C.S. 753; Stockdale v. Hansard (1839), 48 Rev. Rep. 326 (Q.B.); Kielley v. Carson (1842), 13 E.R. 225 (P.C.); Landers v. Woodworth, [1877-79] 2 R.C.S. 158; Renvoi relatif au projet de loi 30, An Act to Amend the Educa tion Act (Ont.), [1987] I R.C.S. 1148; Newcastle (Duke of) v. Morris (1870), L.R. 4 H.L. 661; Montreuil c. La Reine, [1976] I C.F. 528 (1"° inst.); Procter & Gamble Co. c. Nabisco Brands Ltd. (1985), 62 N.R. 364 (C.A.F.); Canadian Olympic Association v. Olympic Life Publishing Ltd. (1986), 1 F.T.R. 291 (C.F. l"° inst.); CRTC c. Teleprompter Cable Communications Corp., [1972] C.F. 1265 (C.A.); Procureur général du Canada c. Commission canadienne des droits de la personne, [1980] 1 C.F. 142; (1979), 30 N.R. 569 (C.A.); Bell
Canada c. Procureur général du Canada, [1978] 2 C.F. 801 (I« inst.); Canatonquin c. Gabriel, [1980] 2. C.F. 792 (C.A.).
DOCTRINE
Maingot, J., Le privilège parlementaire au Canada,
Cowansville (Qc): Les éditions Yvon Blais Inc., 1987. Ward, N., «Called to the Bar of the House of Commons»
(1957), 35 R. du B. Can. 529.
AVOCATS:
Richard Dearden, Alan D. Reid, c.r. et Neil R. Wilson pour les demandeurs.
W. Ian Binnie, c.r. et D. I. W. Hamer pour le Sénat et le Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l'administra- tion, défendeurs.
Yvonne E. Milosevic pour le procureur géné- ral du Canada et Sa Majesté la Reine, défendeurs.
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Ottawa, pour les demandeurs.
McCarthy & McCarthy, Toronto, pour le Sénat et le Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l'administra- tion, défendeurs.
Le sous-procureur général du Canada, pour le procureur général du Canada et Sa Majesté la Reine, défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE STRAYER:
Le redressement recherché
Il s'agit de deux requêtes visant la radiation de tous les défendeurs de la présente action. Une de ces requêtes est présentée par Raymond L. du Plessis, légiste et conseiller parlementaire du Sénat, pour le compte des défendeurs décrits comme «le Sénat» et «le Comité sénatorial perma nent de la régie interne, des budgets et de l'admi- nistration». Sa requête, qui est présentée en vertu de l'alinéa 419(1)J) des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663], allègue que l'action constitue un emploi abusif des procédures de la Cour. L'au- tre requête, qui est présentée pour le compte des défendeurs le Procureur général du Canada et Sa
Majesté la Reine, demande que ces derniers soient radiés conformément à la Règle 419(1)a) au motif que la déclaration ne révèle aucune cause raison- nable d'action en ce qui les concerne. Subsidiaire- ment, ils demandent qu'une ordonnance prononcée conformément à l'alinéa 1716(2)a) déclare qu'ils cessent d'être parties à l'action au motif qu'ils ont été constitués parties à tort ou sans nécessité.
Les faits
Comme dans toute requête en radiation, je dois présumer que, pour les fins des présentes requêtes, les allégations de la déclaration sont vraies. Je résumerai ces allégations brièvement.
La société demanderesse est éditeur et proprié- taire de l'Ottawa Citizen, un quotidien, tandis que le particulier demandeur Charles Rusnell travaille comme journaliste pour ce journal. En juin 1988, le Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration (que nous dési- gnerons sous le nom de «comité du Sénat») a entrepris une enquête au sujet de certaines alléga- tions visant le sénateur Hazen Argue et son utilisa tion de certains fonds et services du Sénat. Vers le 7 juillet 1988, le comité du Sénat a établi un sous-comité, qu'il a chargé d'examiner ces alléga- tions et de présenter un rapport à leur sujet; ce sous-comité a soumis au comité du Sénat un rap port portant la date du 29 juillet 1988. Dans le cadre de son enquête, il a entendu les témoignages de quatorze témoins. Le comité du Sénat a par la suite examiné ce rapport à au moins une occasion, lors d'une réunion tenue le 18 août 1988.
Toutes ces réunions du comité du Sénat et de son sous-comité ont été tenues à huis clos. Charles Rusnell a demandé à différentes reprises d'être autorisé à assister aux auditions du comité ou du sous-comité du Sénat; ses demandes ont toutes été rejetées. Le 23 juin et le 18 août 1988, Rusnell et son avocat ont attendu à l'extérieur du lieu se tenait la réunion du comité du Sénat, un endroit qui était fermé au public et gardé par des agents de sécurité. Rusnell a été autorisé à soumettre le 24 juin 1988 par l'intermédiaire de son avocat des arguments écrits appuyant sa demande d'accès à l'audition; cette demande n'a pas modifié la posi tion du comité. À deux reprises, le 23 juin et le 18 août, il a été avisé par le sénateur Royce Frith, vice-président du comité du Sénat, que le comité
maintenait sa pratique de tenir ses réunions à huis clos.
Le 22 août 1988, les demandeurs ont intenté la présente action. Ils sollicitent des jugements décla- ratoires prenant les conclusions suivantes: les refus du comité du Sénat de leur permettre d'avoir accès aux auditions contreviennent à la liberté d'expres- sion garantie par l'alinéa 2b) de la Charte cana- dienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] et ne sont point justifiés en vertu de l'article 1 de la Charte; la règle 73 du Sénat (qui prévoit que le public peut assister à toute réunion du comité «à moins que le comité ne prescrive le contraire»), comme tout refus fondé sur la règle 73, est contraire à la Charte pour les mêmes motifs; ces refus enfreignaient également les ali- néas 1d) et J) de la Déclaration canadienne des droits [S.R.C. 1970, Appendice III] [TRADUC- T►oN] «ainsi que la common law», et les refus d'autoriser les demandeurs à présenter des obser vations orales au comité au sujet de leur droit d'accès constituaient un manquement au devoir du comité du Sénat d'entendre des arguments et de les prendre en considération. Les demandeurs solli- citent également la délivrance d'un bref de certio- rari qui annulerait les décisions du comité du Sénat de tenir ces réunions à huis clos ainsi que la délivrance d'une injonction contre la persistance du comité à refuser aux demandeurs l'accès à de telles auditions.
Les parties semblent s'entendre pour dire que la question qui est soulevée en l'espèce est celle de la portée juridique d'un privilège du Parlement, à savoir le pouvoir de l'une et de l'autre chambres de déterminer qui sera admis à ses sessions et à celles de ses comités; c'est aussi mon point de vue.
Les parties ont soulevé plusieurs questions tech niques dont je traiterai en temps et lieu. La ques tion principale est toutefois celle de la compétence des tribunaux en général, et de cette Cour en particulier, à examiner la manière dont les privilè- ges parlementaires se trouvent exercés.
Conclusions
Les critères applicables à la radiation
Les critères régissant la radiation sont bien éta- blis. Comme l'a confirmé la Cour suprême du Canada, tous les faits plaidés dans la déclaration doivent être tenus pour avérés, et le tribunal doit radier une déclaration
... seulement dans les cas évidents et lorsqu'il est convaincu qu'il s'agit d'un cas «au-delà de tout doute»'.
La compétence des tribunaux en général
L'avocat du légiste et conseiller parlementaire du Sénat a prétendu que le seul point qu'il m'in- combait de trancher était celui de savoir si la compétence relative à une telle question apparte- nait à la Cour fédérale ou ressortissait exclusive- ment aux [TRADUCTION] «cours de compétence inhérente». Par cette dernière expression, il dési- gnait les cours supérieures créées par des lois provinciales en vertu de la compétence conférée par le paragraphe 14 de l'article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. pas la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1)], par opposition aux cours supérieures créées par des lois fédérales en vertu de l'article 101 de cette Loi. En fait, il a soutenu que, dans l'hypothèse des cours seraient compétentes à appliquer des restrictions constitutionnelles à l'exercice de certains privilèges par le Sénat ou ses comités, les cours qui seraient investies d'un tel pouvoir seraient les [TRADUCTION] «cours de com- pétence inhérente». Il a été d'accord pour dire que cela aurait pour effet de permettre aux deman- deurs d'intenter une telle action en révision de la décision d'une institution fédérale auprès de la cour supérieure de l'une, ou même de chacune, des provinces. Les demandeurs pourraient vraisembla- blement instituer de telles actions devant les cours supérieures de plusieurs provinces dans l'espoir d'obtenir un jugement favorable dans au moins une de ces cours. Quant à la Cour fédérale du Canada, selon l'avocat du requérant en l'espèce, elle n'aurait point compétence relativement à de telles affaires.
Si cet avocat a suggéré que telle était la vérita- ble question à trancher, il n'en a pas moins consa-
Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada
et autres, [1980] 2 R.C.S. 735, la p. 740; voir également l'arrêt Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441, aux pp. 475à 477.
cré une partie importante de sa plaidoirie à établir qu'aucune cour n'est compétente à appliquer les exigences de la Charte canadienne des droits et libertés au Sénat et à ses comités. Cette assertion générale se fondait sur ce qui serait des principes constitutionnels ainsi que sur des règles d'interpré- tation des lois.
En ce qui a trait à l'argument constitutionnel, l'avocat du requérant a cité l'article 9 de The Bill of Rights (1688) 2 , qui était ainsi libellé:
[TRADUCTION] La liberté de parole ou la liberté des débats ou procédures au sein du Parlement ne doivent être contestés devant aucune cour et à aucun endroit autre que le Parlement, et seul le Parlement peut les restreindre.
Il ne fait aucun doute que The Bill of Rights (1688) peut être considéré de façon générale comme faisant partie de la Constitution du Cana- da 3 , pour avoir été adoptée par renvoi dans le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867, qui déclare que le Canada doit avoir «une constitution semblable dans son principe à celle du Royaume- Uni». Une certaine prudence est toutefois de mise dans l'application de The Bill of Rights (1688) au Canada contemporain. Ce grand document, qui a été adopté à l'issue de la Glorious Revolution, était censé avant tout consolider l'empire des pro testants et assurer la suprématie sur le roi et sur les cours royales d'un Parlement composé exclusi- vement de protestants de sexe masculin apparte- nant aux classes moyenne ou supérieure de la société. Au Canada, l'article 9 n'a jamais été interprété depuis l'avènement de la Confédération comme restreignant le pouvoir des tribunaux de déterminer si le Parlement a agi dans les limites que lui a assignées le partage des pouvoirs prévu à la Loi constitutionnelle de 1867. En ce qui con- cerne particulièrement l'exercice des privilèges du Parlement, les tribunaux du Royaume-Uni comme ceux du Canada se sont, malgré l'article 9, mon- trés disposés à réviser les actes posés dans l'exer- cice de prétendus privilèges parlementaires lorsque l'exercice en cause empiétait sur les droits de certains particuliers 4 . Rien dans cette jurispru-
2 1 Wm. I11 & Mary, 2nd Sess., chap. 2 (Imp.).
3 Voir Renvoi: Résolution pour modifier la Constitution, [198I] I R.C.S. 753, la p. 785.
Voir par exemple les arrêts Stockdale v. Hansard (1839), 48 Rev. Rep. 326 (Q.B.); Kielley v. Carson (1842), 13 E.R. 225 (P.C.); Landers v. Woodworth, [1877-79] 2 R.C.S. 158, ainsi que les nombreux arrêts qui s'y trouvent mentionnés.
dence ne suggère que soit le Comité judiciaire du Conseil privé soit la Cour suprême du Canada se soit considéré(e) impuissant(e) à effectuer une telle révision par l'effet de The Bill of Rights (1688).
Et, de façon plus importante pour les fins de l'espèce, l'adoption de la Charte a fondamentale- ment modifié la nature de la Constitution cana- dienne. La Loi constitutionnelle de 1867 prévoyait peu de garanties expresses des droits et des libertés personnels que les tribunaux pourraient mettre à exécution contre le Parlement, les législatures ou les gouvernements. La Charte a modifié cet état de fait. Elle a accordé une prépondérance à certains droits et à certaines libertés de la personne, et elle a autorisé les tribunaux à les faire respecter par les organismes publics (y compris le Parlement) dont il est fait mention à l'article 32. Ainsi notre Cons titution n'est-elle plus à cet égard «semblable dans son principe à celle du Royaume-Uni». Il est cer tain qu'une bonne partie de la controverse qui a accompagné l'adoption de la Charte a porté sur cette question. Certains hommes d'État et certains juristes du Royaume-Uni peuvent ainsi se réjouir de ce que leur constitution n'est pas semblable à la nôtre dans son principe. J'accepte la proposition que la Charte ne doit pas automatiquement être présumée l'emporter sur d'autres dispositions expresses de la Constitution qui lui ont préexistés. Je suis toutefois d'avis qu'elle doit être considérée comme ayant remplacé toute immunité constitu- tionnelle implicite—si tant est qu'il en existât— empêchant la révision judiciaire de l'exercice, par les organes du Parlement, de ce qui serait leurs privilèges, à tout le moins lorsqu'on considère que cet exercice enfreint des droits et libertés indivi- duels garantis par la Charte. D'autres organes du gouvernement ont accepter cette conséquence de l'entrée en vigueur de la Charte, et les comités parlementaires doivent faire de même.
Il n'est donc pour moi ni «évident» ni certain «au-delà de tout doute» que tous les tribunaux, y compris la Cour fédérale du Canada, soient incom- pétents à entreprendre une telle révision. Je n'ai évidemment pas à hasarder de conclusion concer- nant le résultat d'une telle révision, et je n'entre-
5 Renvoi relatif au projet de loi 30, An Act to Amend the Education Act (Ont.), [1987] 1 R.C.S. 1148, aux p. 1197 et 1198.
prendrai pas de le faire. En particulier, il sera nécessaire pour les demandeurs de convaincre la Cour que la liberté de la presse implique l'accès à de telles séances. Si ils réussissent, les défendeurs auront la possibilité de faire valoir qu'une telle limite est justifiée, si tant est qu'ils choisissent de présenter un tel argument. Aucune de ces ques tions n'est soulevée ou tranchée en l'espèce.
En ce qui concerne l'argument fondé sur les règles d'interprétation des lois, l'avocat des requé- rants s'est fondé sur la déclaration suivante de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Chambre des communes c. Conseil canadien des relations du travail et autre 6 :
Le principe suivant lequel l'abrogation d'un privilège du Parle- ment ou de ses membres ne peut se faire qu'au moyen d'une disposition expresse inscrite dans une loi est bien établi.
Le juge Pratte, parlant au nom de la Cour, a cité l'arrêt Newcastle (Duke of) v. Morris' à l'appui de ce principe. Bien que la pertinence particulière de ce principe sera examinée plus loin en regard de la compétence de la Cour fédérale, cet argument, s'il est exact, empêcherait également toute cour (y compris les cours de [TRADUCTION] «compétence inhérente») de mettre à exécution une limitation inscrite dans une loi à l'égard d'un privilège parle- mentaire à moins que l'intention d'apporter une telle restriction ne s'y trouve expressément décla- rée. En tenant pour acquis que l'espèce met en jeu une [TRADUCTION] «abrogation» de ce qui serait le privilège des comités du Sénat d'exclure le public lorsque l'utilisation des fonds publics est discutée, le principe d'interprétation des lois énoncé par le juge Pratte n'est pas pertinent au présent litige, qui est soulevé sous le régime de la Charte. La principale assertion des demandeurs (je ne traite- rai pas des arguments fondés sur la Déclaration canadienne des droits puisqu'il ne m'est pas néces- saire de le faire) veut que l'alinéa 26) de la Charte limite à présent l'exercice d'un privilège parlemen- taire. L'alinéa 32(1)a) de la Charte rend ses dispo sitions applicables
32. (1) ...
a) au Parlement et au gouvernement du Canada, pour tous les domaines relevant du Parlement, ...
Il est également un principe d'interprétation des
6 [1986] 2 C.F. 372, la p. 384. (1870), L.R. 4 H.L. 661.
lois codifié dans la Loi d'interprétations selon lequel nul texte n'a d'effet sur les droits ou sur les prérogatives de Sa Majesté à moins d'une indica tion expresse au contraire. Toutefois, dans l'arrêt Operation Dismantle 9 , qui a été prononcé en 1985, la Cour suprême a conclu sans difficulté que, par l'effet de l'article 32, l'application de la Charte pouvait limiter l'exercice de la prérogative royale. Je trouve difficile de croire que l'article 32, lors- qu'il parle du «Parlement», n'impose pas également aux éléments constitutifs du Parlement les limites qui peuvent par ailleurs découler des termes utili- sés dans la Charte, de la même manière que la mention du mot «gouvernement» à l'article 32 rend la Charte applicable à chaque composante et à chaque fonctionnaire du gouvernement agissant en cette qualité. Je conclus donc que l'argument fondé sur l'interprétation législative est non perti nent puisque l'[TRADucTION] «abrogation» allé- guée serait imposée par la Charte.
La compétence de la Cour fédérale
La Cour suprême du Canada a conclu que trois conditions devaient être satisfaites pour établir la compétence de la Cour fédérale dans une affaire'°:
1. Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral.
2. Il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l'attribution légale de compétence.
3. La loi invoquée dans l'affaire doit être «une loi du Canada» au sens cette expression est employée à l'art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.
Il est nécessaire que nous nous demandions si ces conditions ont été remplies en l'espèce. Cet examen implique que nous déterminions si le Par- lement a assigné une compétence à la Cour en vertu de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10] ou d'une autre loi et, dans l'affirmative, que nous nous posions la question de savoir si entrent en jeu des lois fédérales pouvant être considérées comme des «lois du Canada».
Les demandeurs affirment que les articles 17 et 18 de la Loi sur la Cour fédérale prévoient l'attri- bution de compétence exigée. La partie de l'article 17 qui est pertinente à cet égard est la suivante:
8 L.R.C. (1985), chap. I-21, art. 17.
9 Voir la note 1, supra, aux p. 463 et 464.
10 ITO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics et autre, [1986] I R.C.S. 752, la p. 766.
17. (1) La Division de première instance a compétence en première instance dans tous les cas l'on demande contre la Couronne un redressement et, sauf disposition contraire, cette compétence est exclusive.
L'article 18 est ainsi libellé:
18. La Division de première instance a compétence exclusive en première instance
a) pour émettre une injonction, un bref de certiorari, un bref de mandamus, un bref de prohibition ou un bref de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire, contre tout office, toute commission ou tout autre tribunal fédéral; et
b) pour entendre et juger toute demande de redressement de la nature de celui qu'envisage l'alinéa a), et notamment toute procédure engagée contre le procureur général du Canada aux fins d'obtenir le redressement contre un office, une commission ou un autre tribunal fédéral.
Pour déterminer la portée de l'article 18, il est nécessaire de tenir compte de la définition de l'expression «office, commission ou autre tribunal fédéral» figurant dans cet article; cette définition se trouve énoncée à l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale et est ainsi libellée:
2. Dans la présente loi
«office, commission ou autre tribunal fédéral« désigne un orga- nisme ou une ou plusieurs personnes ayant, exerçant ou prétendant exercer une compétence ou des pouvoirs conférés par une loi du Parlement du Canada ou sous le régime d'une telle loi, à l'exclusion des organismes de ce genre constitués ou établis par une loi d'une province ou sous le régime d'une telle loi ainsi que des personnes nommées en vertu ou en conformité du droit d'une province ou en vertu de l'article 96 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867;
Pour des motifs que j'énoncerai plus loin, j'en- tretiens de sérieux doutes sur l'applicabilité de l'article 17 la présente action.
Il me semble toutefois qu'une telle action pour- rait être instruite par cette Cour sous le régime de l'article 18 contre un comité du Sénat à la condi tion que ce dernier soit correctement désigné dans cette action et que celle-ci lui ait été régulièrement signifiée. Ce que l'on recherche en l'espèce, c'est un jugement déclaratoire et la délivrance d'un bref de certiorari, deux recours mentionnés à l'alinéa 18a) de la Loi sur la Cour fédérale. Bien que, dans le langage courant, un comité du Sénat puisse ne pas être désigné comme un «office, commission ou autre tribunal fédérale, cette expression se trouve définie expressément à l'article 2 de la Loi que nous venons de citer. Il ressort clairement, à mon sens, qu'un comité du Sénat peut être visé par
cette définition soit parce qu'il constitue un «orga- nisme», soit parce qu'il est constitué de «person- nes». De plus, j'ai conclu qu'il était allégué que le comité dont il est question dans la présente espèce était un comité «exerçant ou prétendant exercer une compétence ou des pouvoirs conférés par une loi du Parlement du Canada ou sous le régime d'une telle loi ...»
Le légiste et conseiller parlementaire du Sénat soutient que les pouvoirs utilisés par le Sénat ou ses comités dans l'exercice de leurs privilèges leurs sont conférés par la Constitution plutôt que par une loi du Parlement. Cette théorie tient partielle- ment à la proposition que, à l'avènement de la Confédération, les deux chambres du Parlement canadien se sont automatiquement et implicite- ment vu accorder les privilèges, les immunités et les pouvoirs dont jouissaient les deux chambres du Royaume-Uni ou l'une ou l'autre d'entre elles, au motif que, selon le préambule de la Loi constitu- tionnelle de 1867, le Canada devait avoir une «constitution semblable dans son principe à celle du Royaume-Uni». Mais cette déclaration géné- rale, comme d'autres, doit être considérée comme assujettie à certaines dispositions particulières de notre constitution écrite. L'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867 prévoyait plutôt de façon expresse, que les privilèges, immunités et pouvoirs que posséderaient le Sénat et la Chambre des communes «seront ceux prescrits de temps à autre par acte du Parlement du Canada». Il limitait également la compétence détenue par le Parlement à cet égard en prévoyant que les privilèges ainsi prescrits ne devraient jamais excéder ceux qui étaient exercés par la Chambre des communes du Royaume-Uni à l'avènement de la Confédération. Cette version originale de l'article 18 a par la suite été abrogée et édictée en 1875 sous sa forme actuelle:
18. Les privilèges, immunités et pouvoirs que posséderont et exerceront le Sénat et la Chambre des communes, et leurs membres, seront ceux qui auront été prescrits de temps à autre par une loi du Parlement du Canada, mais de manière à ce qu'aucune loi du Parlement du Canada définissant tels privilè- ges, immunités et pouvoirs ne confère des privilèges, immunités ou pouvoirs excédant ceux qui, lors de l'adoption de la loi en question, sont possédés et exercés par la Chambre des commu nes du Parlement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande et par ses membres H
'L Acte du Parlement du Canada (1875), 38-39 Vict., chap. 38 (R.-U.).
Le 22 mai 1868, une loi du Parlement du Canada a été sanctionnée qui prescrivait que les privilèges, les immunités et les pouvoirs du Sénat et de la Chambre des communes seraient ceux que possé- dait la Chambre des communes du Royaume-Uni à l'époque de la Confédération. Cette loi prévoyait également que ces privilèges, immunités et pou- voirs étaient censés former «partie de la loi géné- rale et publique du Canada»' 2 . Certaines disposi tions actuelles sont pertinentes à cet égard et produisent le même effet; elles figurent dans les Lois révisées du Canada (1985) et sont identiques à celles qui étaient en vigueur au moment se sont produits les événements dont il est question en l'espèce. Édictées par la Loi sur le Parlement du Canada'', ces dispositions sont ainsi libellées:
4. Les privilèges, immunités et pouvoirs du Sénat et de la Chambre des communes, ainsi que de leurs membres, sont les suivants:
a) d'une part, ceux que possédaient, à l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1867, la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni ainsi que ses membres, dans la mesure de leur compatibilité avec cette loi;
b) d'autre part, ceux que définissent les lois du Parlement du Canada, sous réserve qu'ils n'excèdent pas ceux que possé- daient, à l'adoption de ces lois, la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni et ses membres.
5. Ces privilèges, immunités et pouvoirs sont partie inté- grante du droit général et public du Canada et n'ont pas à être démontrés, étant admis d'office devant les tribunaux et juges du Canada.
La thèse soutenue par le légiste et conseiller parlementaire du Sénat, si je l'ai bien comprise, veut que ces privilèges du Sénat aient préexisté aux «prescriptions» de la loi de 1868 qui les a définis et continuent à exister indépendamment de la Loi sur le Parlement du Canada ou de ses prédécesseurs. Cette dernière Loi prévoierait tout au plus une [TRADUCTION] «définition» de ces privilèges. Il ne me semble pas certain qu'un quel- conque privilège ait été conféré implicitement au Sénat avant l'adoption des lois du Parlement cana- dien ayant défini les privilèges parlementaires.
' 2 S.C. 1868, 31 Vict., chap. 23, art. 1, 2. 13 L.R.C. (1985), chap. P-I.
Préalablement à la Confédération, il existait cer- tainement une jurisprudence importante et de grand poids 14 selon laquelle les législatures colo- niales ne possédaient pas les mêmes privilèges que le Parlement du Royaume-Uni. Faisant référence à une telle jurisprudence, un éminent auteur a donné au sujet de l'article 18 de la Loi constitu- tionnelle de 1867 l'explication suivante:
[TRADUCTION] Conformément à cette opinion judiciaire, l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867 n'a pas expressément prévu que toutes les pratiques parlementaires britanniques pourraient être adoptées par la nouvelle législature canadienne. Toutefois, cette loi a effectivement permis au Canada d'établir «les privilèges, immunités et pouvoirs» du Parlement du Dominion sur un fondement législatif: ceux-ci devaient être «ceux prescrits de temps à autre par acte du Parlement du Canada», et ils ne devaient jamais excéder ceux dont jouissaient, lors de l'adoption de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, le Parlement du Royaume-Uni et ses mem- bres (article 18) 15 .
En conséquence, quels qu'aient pu être la portée ou le fondement légal des privilèges du Parlement lors de l'entrée en vigueur de la Confédération, la loi de 1868 les a établis sur un fondement législatif et cette situation demeure. La Loi sur le Parle- ment du Canada et ses prédécesseurs constituent clairement des lois du Parlement au sens de l'arti- cle 2 de la Loi sur la Cour fédérale. De plus, le pouvoir de légiférer sur la question des privilèges, des immunités et des pouvoirs de l'une et de l'autre chambre du Parlement est essentiellement un pou- voir législatif permettant le contrôle des privilèges, des immunités et des pouvoirs que doivent posséder chaque chambre du Parlement ainsi que leurs comités. Il entre dans les pouvoirs du Parlement de [TRADUCTION] «définir» ces privilèges, ces immu- nités et ces pouvoirs très strictement ou très large- ment en respectant les limites des privilèges, des immunités et des pouvoirs de la Chambre des communes du Royaume-Uni; ce faisant, le Parle- ment confère une compétence ou des pouvoirs aux instances qui les exercent, parmi lesquels figure le pouvoir de chaque chambre d'établir ses propres règles. Le fait que le Parlement du Canada ait adopté par renvoi les principes reconnus régissant les privilèges, les immunités et les pouvoirs de la
14 Voir l'arrêt Kielley v. Carson, supra, à la note 4; d'autres décisions antérieures à la Confédération qui sont au même effet se trouvent discutées en profondeur dans l'arrêt Landers v. Woodworth, supra, à la note 4.
15 Ward, N., «Called to the Bar of the House of Commons» (1957), 35 R. du B. Can. 529, la p. 531.
Chambre des communes du Royaume-Uni n'impli- que pas que le Parlement du Canada n'a pas légiféré sur cette question. Il a simplement suivi la loi du moindre effort lorsqu'il l'a fait. Le Parle- ment dans son ensemble, qui comprend la Reine, le Sénat et la Chambre des communes, a collective- ment adopté par renvoi un ensemble de principes qui régissent les privilèges de chaque chambre et de ses comités ainsi que les énoncés de tels privilè- ges pouvant figurer dans les règles de chaque chambre. Celui qui exerce ces privilèges, ces immunités et ces pouvoirs doit sûrement exercer ou prétendre exercer «une compétence ou des pouvoirs conférés par une loi du Parlement du Canada» aux termes de la définition de l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale. Ainsi le comité en question du Sénat devient-il un «office, commission ou autre tribunal fédéral» pour les fins de la Loi sur la Cour fédérale, ce qui confère compétence à la Section de première instance en vertu de l'article 18 de cette Loi.
Tel est le sens littéral de l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale. Il ne conduit à aucune absurdité, puisque la Cour fédérale a pour rôle de contrôler la légalité des actions posées par les différentes autorités publiques dans l'exercice des pouvoirs gouvernementaux conférés en vertu des lois du Parlement. D'aucuns trouveront un tel résultat surprenant, mais cette situation n'est pas la seule dans laquelle les actions posées par des organismes publics ou quasi publics exerçant des pouvoirs sous le régime de lois fédérales sont révisées par cette Cour bien que de tels organismes ne fassent aucu- nement partie de l'exécutif du gouvernement. Par exemple, il est bien établi que les conseils des bandes d'Indiens qui agissent sous le régime de la Loi sur les Indiens [S.R.C. 1970, chap. I-6] sont assujettis à la révision de cette Cour 16 .
La première condition énoncée plus haut relati- vement à la compétence de la Cour fédérale, soit une attribution de compétence par une loi du Parlement, a donc été remplie. Les deux autres conditions veulent que les questions en jeu concer- nent des règles de droit fédéral et que la loi invoquée soit une «loi du Canada» au sens de l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.
16 Canatonquin c. Gabriel, [1980] 2 C.F. 792 (C.A.).
La loi fédérale dont il est question en l'espèce est essentiellement constituée des articles 4 et 5 de la Loi sur le Parlement du Canada qui ont été cités plus haut. Même si une partie des règles de droit dont il est question tire son origine d'une sorte de common law du Parlement ou lex parliamenti, le Parlement lui-même déclare à l'article 5 de la Loi sur le Parlement du Canada:
5. Ces privilèges, immunités et pouvoirs sont partie inté- grante du droit général et public du Canada...
Il est évident que cette disposition est une disposi tion fédérale valide, qui a été clairement autorisée par l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui prévoit l'adoption de la loi britannique comme loi fédérale. Ainsi les deuxième et troisième condi tions d'existence de la compétence de la Cour fédérale se trouvent-elles établies.
Je conclus donc que cette Cour possède la com- pétence voulue pour instruire une telle action à la condition que cette dernière soit par ailleurs régu- lièrement formée. Je considérerai à présent plu- sieurs autres points ayant trait à la régularité des présentes requêtes en radiation ainsi qu'à la ques tion de savoir si les divers défendeurs nommés dans la déclaration étaient susceptibles d'être poursui- vis.
La capacité du légiste et conseiller parlementaire de présenter la demande en l'espèce
Les demandeurs soutiennent que le légiste et conseiller parlementaire du Sénat, n'étant pas partie à la présente action, n'a pas la qualité voulue pour présenter une demande sollicitant la radiation du Sénat et du comité du Sénat. Il est dit qu'il recherche seulement une opinion juridique qui ne lierait pas ces défendeurs dans l'éventualité elle leur serait défavorable. Il est également soutenu que ces deux défendeurs disposent d'autres moyens pour soulever des objections comme celle en l'espèce: ils peuvent déposer un acte de compa- rution conditionnelle conformément à la Règle 401.
Les présents défendeurs affirmant qu'ils ne constituent pas des entités susceptibles d'être pour- suivies, il est quelque peu douteux qu'ils puissent avoir recours à la Règle 401. Je n'ai pas à trancher cette question puisque je suis d'avis que le moyen de procédure choisi s'offrait au légiste et conseiller
parlementaire requérant. Je souscris respectueuse- ment à l'opinion incidente énoncée par le juge Hugessen dans l'arrêt Chambre des communes c. Conseil canadien des relations du travail'', selon laquelle, dans l'hypothèse la Chambre des com munes n'aurait pas la qualité voulue pour compa- raître à titre de requérante, cette qualité p6urrait être accordée à un haut fonctionnaire de la Cham- bre de façon à lui permettre de présenter une demande fondée sur l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale. Je crois que les mêmes propos peuvent être tenus à l'égard de la présente demande, en particulier si l'on tient compte du fait que la question de la compétence est soulevée. Cette question est de celles que la Cour aurait pu considérer de son propre mouvement, et elle est sûrement de celles à l'égard desquelles l'intérêt du légiste et conseiller parlementaire est suffisant pour saisir la Cour.
Le retard dans la présentation de la requête en
radiation
Les demandeurs s'opposent à la requête en radiation des défendeurs nommément désignés Sa Majesté la Reine et le procureur général du Canada; ils prétendent que ces derniers, après avoir déposé une défense le 28 septembre 1988, ne peuvent, comme ils l'ont fait le 4 mai 1989, soit quelques sept mois plus tard, demander la radia tion de la déclaration.
Il convient tout d'abord de noter que leur demande est présentée sous le régime de l'alinéa 419(1)a) des Règles et allègue qu'aucune cause raisonnable d'action n'est présentée contre eux. En second lieu, leur défense n'a pas contesté le bien- fondé de l'action mais s'est contentée d'alléguer que, dans l'action, ils ne constituaient pas des parties compétentes ou nécessaires.
Une jurisprudence abondante reconnaît que le retard à présenter une requête en radiation n'est normalement pas fatal lorsque le motif allégué est l'absence d'une cause raisonnable d'action décou-
" Voir la note 6, supra, à la p. 389, note 20.
lant de facteurs juridictionnels ou d'autres facteurs relatifs à la validité juridique de la demande'". De plus, lorsqu'un défendeur n'a pas plaidé au fond et a soulevé la question de la validité juridique de l'action dès le début de sa défense, et qu'aucune circonstance particulière ne peut être établie, telle un préjudice pour le demandeur, un tribunal ne devrait pas refuser d'instruire une telle requête à une date ultérieure. Je conclus donc que ces défen- deurs avaient le droit de présenter la présente requête comme ils l'ont fait.
La possibilité de poursuivre le Sénat et le comité permanent
Le Sénat et le comité permanent, qui sont tous deux désignés nommément comme défendeurs à la déclaration, prétendent ne pas posséder la person- nalité juridique et ne pas pouvoir être poursuivis. J'accepte la proposition que le Sénat n'est pas une personne morale 19 et qu'une action intentée contre lui sous ce nom est entachée de nullité. Je conclus donc que le Sénat devrait être radié comme défen- deur, et, comme je ne considère pas que l'ensemble des membres du Sénat doivent être réinscrits comme parties à l'instance par d'autres moyens, je ne prononcerai aucune ordonnance à cet égard.
En ce qui concerne le comité du Sénat, j'accepte également qu'il ne constitue pas, comme tel, une entité susceptible d'être poursuivie. Il ne possède pas non plus une organisation et un titre établis par une loi qui pourraient permettre de le poursui- vre sous un tel nom dans le cadre d'un examen fondé sur l'article 18 20 . Toutefois, conformément à ma conclusion que les membres de tels comités sont visés par la définition de l'«office, commission ou autre tribunal fédéral» pour les fins de la révi- sion prévue à l'article 18, je considère que les demandeurs ont la possibilité de nommer les per- sonnes qui étaient membres du Comité permanent
18 Voir, par exemple, les arrêts Montreuil c. La Reine, [1976]
C.F. 528 (1" inst.), à la p. 529, Procter & Gamble Co. v. Nabisco Brands Ltd. (1985), 62 N.R. 364 (C.A.F.), à la p. 366 et Canadian Olympie Association v. Olympie Life Publishing Ltd. (1986), I F.T.R. 291 (C.F. inst.), à la p. 293.
19 Voir l'arrêt Chambre des communes, supra, à la note 6.
20 Voir, par exemple, les arrêts CRTC c. Teleprompter Cable Communications Corp., [1972] C.F. 1265 (C.A.), à la p. 1267 et Procureur général du Canada c. Commission canadienne des
droits de la personne, [1980] 1 C.F. 142, aux p. 142 145; (1979), 30 N.R. 569 (C.A.), aux p. 569à 571.
de la régie interne, des budgets et de l'administra- tion au moment des événements en question et de solliciter réparation contre ces personnes. Ce groupe était celui que les demandeurs avaient l'in- tention de désigner au moment du dépôt de la déclaration. La modification effectuée à cette fin tiendrait de la correction de nom visée à la Règle 425. En fait, je suis étonné qu'une opposition aussi technique que celle en l'espèce soit présentée pour le compte d'un organisme public du type du comité à l'encontre d'une contestation juridique de son autorité.
J'ordonnerai donc que le comité du Sénat comme tel soit radié de la déclaration, tout en autorisant les demandeurs à modifier leur déclara- tion pour nommer comme défendeurs les sénateurs qui étaient membres de ce comité au moment ont eu lieu les événements qui ont donné naissance au litige. Selon mon interprétation de la loi parle- mentaire, les membres du Parlement continuent d'être susceptibles de se voir signifier des déclara- tions dans des actions civiles 21 ; peut-être cependant accepteront-ils à présent de recevoir signification des actes de procédure par l'intermédiaire de leurs avocats et de faciliter l'examen des questions de fond.
L'effet de la dissolution du 33e Parlement
Il est soutenu par le légiste et conseiller parle- mentaire du Sénat que le 33e Parlement—au cours de la vie duquel les événements à l'origine du litige ont eu lieu—ayant été dissous le ler octobre 1988, le Sénat et son comité tels qu'ils étaient constitués à l'époque n'existent plus. Une jurisprudence et une doctrine abondantes ont été soumises à la Cour pour démontrer que la dissolution du Parle- ment pour les fins d'une élection entraîne la disso lution des deux chambres.
Je ne crois pas que cet argument mérite beau- coup d'attention. Comme je l'ai indiqué plus haut, je suis d'avis que les demandeurs devraient avoir le droit de poursuivre, au lieu du Sénat et de son comité, les membres individuels qui constituaient ce comité du Sénat en juin, en juillet et en août 1988 au cours du 33e Parlement. Ce sont les activités et les décisions des membres de ce comité
21 Maingot, J., Le privilège parlementaire au Canada, Cowansville (Qc): Les éditions Yvon Blais Inc., 1987, aux p. 156à 165.
qui font l'objet de plaintes. Si l'opposition s'ap- puyant sur la dissolution du Parlement possède quelque fondement, c'est lorsqu'elle prétend que le litige est à présent caduc. Mais je suis convaincu que, même si le groupe qui constituait le Sénat ou qui constituait son comité au cours de l'été de l'année 1988 n'existent plus comme tels, la pré- sente situation est de celles un tribunal doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour permettre que la question soulevée soit tranchée. Comme l'a dit le juge Sopinka au nom de la Cour suprême du Canada dans la récente affaire Borowski 22 , lorsque la question soulevée concerne des situations de nature répétitive et de courte durée, une cour peut être justifiée de l'examiner. Dans la présente espèce, les défendeurs présentement désignés dans l'action semblent tirer de la fierté de ce que les séances du comité sont toujours tenues à huis clos, et il est juste de présumer que cette pratique se poursuivra à moins que ne soit rendue une décision judiciaire incompatible avec elle. La présente affaire me semble donc soulever une question de nature répétitive qui peut légitimement être exami née, et ce même si le comité et la Chambre à laquelle il appartient ont été [TRADUCTION] «dis- sous» depuis les événements en cause, pour n'être ressuscités qu'à titre de composants du 34e Parlement.
La validité de la signification à l'orateur
L'avocat du légiste et conseiller parlementaire du Sénat a reçu signification de la déclaration relative à la présente action comme si cette signifi cation avait été faite à l'orateur, mais il a soutenu tout au long de l'instance que cette signification ne constituait pas une signification faite au Sénat ou au comité du Sénat. Ayant décidé que ni le Sénat ni le comité du Sénat ne constituent comme tels des défendeurs compétents, il ne m'est pas néces- saire d'examiner cette question plus avant.
Sa Majesté comme défenderesse
L'avocat de Sa Majesté a demandé qu'elle soit radiée comme défenderesse au motif que la Cou- ronne n'est en rien responsable des activités du Sénat. Aussi aucune action ne peut-elle être inten-
22 Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, la p. 360.
tée contre la Couronne en vertu de l'article 17 de la Loi sur la Cour fédérale.
Je doute très fortement qu'une action de cette nature puisse être considérée comme une action contre la Couronne alors que les demandes présen- tées ne concernent ni des activités d'employés de la Couronne, ni l'exercice du pouvoir exécutif, ni des biens ou des intérêts financiers de la Couronne. Compte tenu de ma conclusion que le procureur général est une partie compétente, j'ordonnerai que Sa Majesté soit radiée de l'action conformé- ment à l'alinéa 1716(2)a) au motif qu'elle a été inscrite comme partie dans l'espèce sans que cela soit nécessaire.
Le procureur général du Canada comme défendeur
L'avocat du procureur général du Canada sou- tient que celui-ci ne peut être poursuivi qu'à titre de mandataire de la Couronne. Comme j'ai radié la Couronne de l'instance au motif qu'elle ne possède aucun intérêt dans la question soulevée et qu'aucune responsabilité ne peut lui être imputée à son égard, selon cette théorie je devrais également radier le procureur général.
Il me semble que le procureur général ne devrait pas être radié. L'alinéa 18b) de la Loi sur la Cour fédérale confère à la Section de première instance la compétence exclusive pour connaître de toute demande de redressement
18... .
b) ... engagée contre le procureur général du Canada aux fins d'obtenir le redressement contre un office, une commis sion ou à un autre tribunal fédéral
Comme j'ai déjà conclu que le comité du Sénat est un office, une commission ou un autre tribunal fédéral pour les fins de l'article 18, le procureur général du Canada peut être joint à titre de partie à la demande de réparation par voie de déclaration qui est présentée en l'espèce. Il a été statué que, dans de telles circonstances, le procureur général peut être joint à l'instance à titre de défendeur même lorsqu'il ne possède pas le pouvoir de pres- crire à l'office, à la commission ou au tribunal concerné les mesures qu'il devrait prendre".
23 Bell Canada c. Procureur général du Canada, [1978] 2 C.F. 801 (l'° inst.), aux p. 805 et 806.
Bien que le procureur général ne constitue peut- être pas une partie nécessaire, il constitue à mon sens une partie compétente, et la Cour aurait été justifiée de l'ajouter de son propre chef à la liste des défendeurs 24 . La Cour est en droit de connaître le point de vue du procureur général concernant une question aussi importante. Il est évidemment libre de choisir celui des points de vue qui lui semble le plus compatible avec le gouvernement sous le régime de la rule of law (suprématie du droit). À défaut par les demandeurs de modifier leur déclaration dans le délai accordé par mon ordonnance, toutefois, le procureur général devrait être radié et l'action devrait être rejetée. Je ne considère pas approprié qu'il demeure le seul défendeur dans une action sollicitant la révision de décisions d'un organisme qui ne fait pas partie de l'exécutif du gouvernement fédéral.
Le sort des demandes
Une ordonnance sera donc rendue pour radier à la fois le Sénat et le Comité du Sénat de la liste des défendeurs, et pour autoriser les demandeurs à déposer, dans les trente jours de son prononcé, une déclaration modifiée dans laquelle les personnes qui étaient membres du comité du Sénat au cours de la période s'étendant de juin à août 1988 seront nommées comme défenderesses. Sa Majesté la Reine sera également radiée de la liste des défen- deurs, sans adjudication de dépens. Les autres dépens suivront l'issue du litige. Bien que le légiste et conseiller parlementaire du Sénat ait effective- ment eu gain de cause dans sa requête, les person- nes qu'il représente n'ont pas eu gain de cause quant au fond. Je suis donc d'avis que toutes les dispositions réglant le sort des dépens doivent dépendre de celles qui règlent le sort de l'action elle-même.
Toutefois, à défaut par les demandeurs de modi fier leur déclaration conformément aux prescrip tions de la présente ordonnance, l'action sera con- sidérée comme ayant été rejetée à l'expiration du délai accordé pour déposer une modification, et les dépens seront payables au légiste et conseiller par- lementaire du Sénat ainsi qu'au procureur général.
24 L'arrêt CRTC c. Teleprompter, supra, note 20, à la p. 1266.
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