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A-710-86
Toronto Volgograd Committee (appelant)
c.
Ministre du Revenu national (intimé)
RÉPERTORIÉ: TORONTO VOLGOGRAD COMMITTEE C. M.R.N.
Cour d'appel, juges Mahoney, Marceau et Stone— Ottawa, 19 janvier et 3 mars 1988.
Impôt sur le revenu Exemptions Organismes de charité Appel interjeté contre le refus d'enregistrement à titre d'oeuvre de charité L'un des objectifs est le rétablisse- ment des liens entre les résidents de Toronto et ceux de Volgograd Les activités envisagées comprennent la sensibi- lisation du public et le parrainage et l'organisation d'échanges et de rencontres L'appel est rejeté L'enregistrement nécessite-t-il des fins exclusivement charitables? Emploi de l'expression «activités» à l'art. 149.1(1 )b) (i) et du mot «fins» à l'art. 149.1(1)a) Il est nécessaire de tenir compte aussi bien des fins que des activités La Loi n'interdit pas expressément d'examiner les fins de l'organisme La loi considère les fins et les activités ayant pour but de favoriser une attitude d'esprit comme étant politiques Elles ne sont pas charitables car elles n'encouragent pas la «promotion de l'éducation» Les activités de l'appelant ne sont pas utiles à la société d'une façon que la loi considère charitable, car elles ne sont pas conformes à «l'esprit» de la Loi d'Elizabeth.
Organismes de charité Les fins de l'appelant visent à favoriser l'entente entre les résidents de Toronto et ceux de Volgograd Les activités de l'appelant comprennent le par- rainage et l'organisation d'échanges et de rencontres Refus de l'enregistrement à titre d'oeuvre de charité L'enregistre- ment exige-t-il des fins exclusivement charitables? Les activités concernées sont-elles des activités de bienfaisance favorisant la «promotion de l'éducation» ou la poursuite «d'autres fins charitables»? La fiducie ne répond pas aux exigences de la Loi en raison de sa nature politique.
Il s'agit d'un appel contre la décision par laquelle le ministre du Revenu national rejetait la demande d'enregistrement de l'appelant en qualité d'«ceuvre de charité». Les objets déclarés de l'appelant consistaient à rétablir les liens entre les résidents de Toronto et ceux de Volgograd (autrefois appelé Stalingrad), à créer des rapports directs entre les gens relativement à des questions qui leur sont communes, y compris celle du risque d'une guerre nucléaire, et à améliorer ces rapports au moyen d'échanges en vue de favoriser l'entente, réduire les tensions et d'aider nos sociétés à trouver des façons pacifiques de vivre ensemble. Les activités de l'appelant comprenaient le parrai- nage d'échanges et de rencontres entre les résidents des deux villes concernées, l'appelant défrayant leurs frais de déplace- ment, organisant des visites pour assurer les contacts avec les citoyens et se chargeant de la publicité autour des expériences des voyageurs à l'étranger. Le ministre a souligné que pour pouvoir être enregistré en vertu de la Loi, un organisme doit être constitué et administré exclusivement à des fins charita- bles, au sens de la common law. Il a été décidé que l'appelant ne remplissait pas les conditions voulues pour être considéré comme «faisant la promotion de l'éducation ou comme poursui-
vant des fins utiles à l'ensemble de la société d'une manière que la loi considère comme charitable». En premier lieu, il s'agissait de déterminer si l'intimé a commis une erreur en concluant que pour remplir les conditions nécessaires pour être enregistré, un organisme ne doit être constitué et administré «exclusivement à des fins charitables», en mettant l'accent sur le mot «fins». Selon l'appelant, l'intimé aurait tenir compte seulement de ses activités réelles, sans accorder d'importance aux objets pour lesquels il a été formé. L'appelant a mis en contraste le mot «activités» au sous-alinéa 149.1(1 )b)(i) (qui exige que la totalité des ressources de l'organisme soit consacrée à des activités de bienfaisance que l'organisme mène lui-même) avec le mot «fins» qui figure à l'alinéa 149.1(1)a), (lequel exige qu'une fondation de charité soit constituée et administrée exclusivement à des fins charitables). En second lieu, il s'agissait de savoir si l'intimé a commis une erreur en jugeant que les activités de l'appelant n'étaient pas des activités de bienfaisance favorisant la «promotion de l'éducation» ou la poursuite «d'autres fins charitables». Finalement, l'intimé a-t-il commis une erreur en décidant que l'appelant diffusait de l'information «comme moyen de défendre ou de promouvoir un point de vue particu- lier sur une question ou sur une cause»?
Arrêt: l'appel devrait être rejeté.
Le juge Stone: La première question n'avait pas à être décidée parce que l'appelant a concédé que la Cour devait tenir compte aussi bien de ses fins que de ses activités pour détermi- ner s'il peut être enregistré comme oeuvre de charité. Il y a toutefois lieu de noter que même si le sous-alinéa 149.1(1)b)(i) ne s'intéresse pas explicitement aux fins de l'oeuvre de charité énoncées dans son acte constitutif, il n'interdit pas expressé- ment d'examiner les fins de l'organisme en cause. Si l'affecta- tion de ses ressources de la manière prescrite par la Loi devait être considérée comme le seul critère applicable, la Loi serait impossible à appliquer puisque l'intimé devrait constamment surveiller les agissements de chaque organisme enregistré. Si, en revanche, le caractère fondamentalement charitable d'un organisme doit être jugé d'après son acte constitutif, il suffirait à l'organisme de démontrer, au besoin, qu'il a effectivement exercé des activités de bienfaisance auxquelles il a consacré toutes ses ressources.
Prétendre que la promotion de l'éducation désigne la promo tion de l'éducation pour elle-même en ce sens que l'esprit peut être formé, c'est peut-être s'exprimer de façon un peu trop étroite. Cependant plusieurs décisions ont été citées pour démontrer que les fins et les activités ayant pour but de créer un courant d'opinion donné et de favoriser une attitude d'esprit n'encourageaient pas la «promotion de l'éducation», parce que la loi les considère comme des buts et des activités politiques. Le raisonnement formulé dans ces arrêts démontre qu'une fiducie constituée en vue d'épouser une cause politique n'est pas une fiducie de charité. L'appelant ne poursuit pas des fins et des activités de bienfaisance au sens de ces décisions, et les fins et les activités qu'il poursuit ne satisfont donc pas au critère de la «promotion de l'éducation».
Les mobiles de l'appelant ont un caractère altruiste, et la société ne peut que tirer profit de ce genre de contacts. Cepen- dant, ces activités ne sont pas utiles à la société d'une façon que la loi considère comme charitable. La cause poursuivie n'est pas une cause charitable, mais politique. Il a été statué à maintes reprises que les fiducies qui visent à favoriser une attitude
d'esprit ne font pas partie de la quatrième catégorie d'organis- mes de charité parce qu'elles ne sont pas conformes à l'esprit de la Loi d'Elizabeth.
Le juge Mahoney (motifs concourants): Dans les arrêts Native Communications Society of B.C. c. Canada (M.R.N.) et Alberta Institute on Mental Retardation c. Canada, il a été statué que les organismes en cause avaient le droit d'être enregistrés à titre d'organismes de charité, bien que la poursuite d'une fin charitable constituait intrinsèquement un résultat indirect des activités des organismes concernés. Ni l'un ni l'autre des organismes n'aurait pu répondre au critère proposé par le juge Marceau. L'appel devrait être rejeté pour les motifs donnés par le juge Stone.
Le juge Marceau (motifs concordants quant au résultat): Selon les définitions données à l'article 149.1, une «fondation de charité» est constituée «uniquement à des fins charitables» alors qu'une œuvre de charité consacre la totalité de ses ressources à des activités de bienfaisance. Le législateur avait l'intention d'établir une distinction entre, d'une part, les organismes qui sont simplement des dépositaires de fonds et dont les revenus sont distribués périodiquement en vue d'aider à la réalisation d'activités par d'autres personnes et, d'autre part, les organis- mes qui réunissent des gens qui ont l'intention d'exercer eux- mêmes certaines activités précises. Si les objectifs définis dans le document constitutif sont par eux-mêmes déterminants dans le cas d'une fondation, ils ne le sont pas lorsqu'il s'agit d'une œuvre. La classification d'une activité exige qu'on l'examine en fonction du motif pour lequel elle est exercée, mais il ne faut pas la confondre avec l'intention de l'acteur; l'activité s'exerce dans le monde réel et concret et non simplement dans l'esprit des particuliers.
Le jugement rendu par lord Macnaghten dans l'affaire Com missioners of Income Tax v. Pemsel qui énonce quatre catégo- ries d'organismes de charité, portait sur les fiducies et avait été élaboré en vue d'englober toutes les fins possibles susceptibles de rendre valides les organismes constitués dans un esprit philanthropique pour aider à l'avancement d'un objectif appor- tant un bénéfice. La décision de la Cour suprême dans l'affaire Guaranty Trust Company of Canada v. Minister of National Revenue, qui appliquait l'arrêt Pemsel, portait également sur une fiducie. La classification retenue devait donc être élaborée libéralement en tenant compte des «fins» et non des «activités». Dans le contexte du droit fiscal, il faudra faire quelques adaptations. Pour s'inscrire dans l'une des quatre catégories, les activités doivent être examinées en fonction de leur résultat et de leur effet immédiats et non de leurs conséquences éventuelles possibles. Une activité tire son caractère charitable de ce qu'elle réalise elle-même et non de ce qu'elle peut permettre de réaliser de façon indirecte. La question était donc de savoir si les activités de l'appelant avaient pour effet immédiat de soulager la pauvreté, de promouvoir l'éducation ou la religion ou de réaliser quelque chose d'utile à l'ensemble de la société. Bien que les activités de l'appelant puissent produire en fin de compte des résultats valables, sur le plan immédiat elles ne peuvent que satisfaire la curiosité intellectuelle. Aucune de ces activités est une activité de bienfaisance au sens de la Loi.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charities Act, 1960 (R.-U.), 8-9 Eliz. II, chap. 58, art. 45(1).
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 110(8)c) (mod. par S.C. 1984, chap. 45, art. 35), 149.1(1)a) (édicté par S.C. 1976, chap. 4, art. 60; S.C. 1984, chap. 45, art. 57), b) (mod. par S.C. 1984, chap. 45, art. 57).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 1312.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Commissioners of Income Tax v. Pemsel, [1891] A.C. 531 (H.L.); Anglo-Swedish Society v. Commissioners of Inland Revenue (1931), 16 T.C. 34 (K.B.); Buxton and Others v. Public Trustee and Others (1962), 41 T.C. 235 (Ch. D.); Strakosch, decd., In re. Temperley v. Attorney- General, [ 1949] Ch. 529 (C.A.); In re Koeppler Will Trusts, [1985] 3 W.L.R. 765 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Re Laidlaw Foundation (1984), 48 O.R. (2d) 549 (H.C.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Native Communications Society of B.C. c. Canada (M.R.N.), [1986] 3 C.F. 471; 86 DTC 6353 (C.A.); Scarborough Community Legal Services c. La Reine, [1985] 2 C.F. 555 (C.A.); Alberta Institute on Mental Retardation c. Canada, [1987] 3 C.F. 286; 87 DTC 5306 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Shaw, decd., In re. Public Trustee v. Day, [1957] 1 W.L.R. 729 (Ch.D.); Macduff, In re. Macduff v. Mac- duff, [1896] 2 Ch. 451 (C.A.); In re Hopkins' Will Trusts, [1965] Ch. 669; Incorporated Council of Law Reporting for England and Wales v. Attorney-General, [1972] Ch. 73 (C.A.); Guarantee Trust Company of Canada v. Minister of National Revenue, [1967] R.C.S. 133.
DOCTRINE:
Ballow, H. A Treatise of Equity, Book II, London: Strahan & Woodfall, 1793 rev. and ed. by John Fonblan- que London: Garland Publishing Inc., 1979.
AVOCATS:
Harry B. Radomski et Graham D. Smith pour l'appelant.
Deen C. Olsen et Johann D'Auray pour l'intimé.
PROCUREURS:
Goodman & Goodman, Toronto, pour l'appe- lant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: J'ai eu l'avantage de lire le projet de motifs de jugement de mes collègues et je suis d'accord pour dire que l'appel devrait être rejeté pour les motifs exposés par le juge Stone. La difficulté que j'éprouve au sujet de l'approche adoptée par le juge Marceau peut être brièvement illustrée en rappelant deux arrêts récents dans lesquels notre Cour a statué que les organismes en cause avaient le droit d'être enregistrés à titre d'organismes de charité en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu. Il s'agit de l'arrêt Native Communications Society of B.C. c. Canada (M.R.N.), [1986] 3 C.F. 471; 86 DTC 6353 (C.A.); et Alberta Institute on Mental Retarda tion c. Canada, [1987] 3 C.F. 286; 87 DTC 5306 (C.A.), (autorisation d'appel refusée le 28 janvier 1988).
Les «activités» du premier de ces organismes consistaient à recueillir et à diffuser des renseigne- ments intéressant et préoccupant les autochtones de la Colombie-Britannique. Les «activités» du second consistaient uniquement à recueillir et à revendre à profit des articles usagers; les bénéfices nets étaient versés à un autre organisme dont le caractère charitable n'était pas en question.
Il me semble que, s'ils avaient été dissociés d'objectifs qui ne pouvaient être atteints que de façon indirecte, aucun des deux organismes n'au- rait pu satisfaire au critère proposé. Dans un cas, les avantages que recevaient effectivement les per- sonnes atteintes d'arriération mentale ne leur étaient versés qu'à la suite de l'intervention des activités d'une tierce partie. Dans l'autre cas, la véritable fin charitable ne résidait pas dans le fait de mettre des renseignements et des moyens à la disposition d'autrui pour qu'ils soient échangés, mais dans le fait qu'on espérait que les autochtones les utilisent à leur avantage; la poursuite de la fin charitable constituait intrinsèquement un résultat indirect des activités de l'organisme.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU (motifs concordants quant au résultat): Je conviens volontiers avec mon collè- gue, le juge Stone, que c'est à bon droit qu'on a rejeté la demande présentée par l'appelant en vue d'être enregistré comme organisme de charité en vertu de l'alinéa 110(8)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, modifiée [par S.C. 1984, chap. 45, art. 35] (la «Loi»). Cependant, le raisonnement qui m'a amené à ma conclusion diffère de celui qu'a suivi mon collègue dans ses motifs de jugement, et compte tenu de l'importance du sujet en cause qui, chose éton- nante, n'a été examiné par notre Cour que récem- ment et qu'à quelques rares occasions', j'estime devoir exprimer mon opinion personnelle sur la question.
Je commencerai avec deux observations qui, à mon sens, sont fondamentales et qui doivent régler toute l'approche qu'il faut adopter pour résoudre la question en litige.
La première observation est tirée de la définition du terme «organisme de charité» qu'on trouve dans la Loi. Depuis 1976, année le législateur a procédé à un remaniement majeur des règles régis- sant les organismes de charité pour les fins de l'impôt sur le revenu, remaniement qui a été com- plété par la suite, et plus particulièrement en 1984, deux types d'«organismes de charité» sont recon- nus: la fondation de charité (qu'elle soit publique ou privée) et l'oeuvre de charité. Elles sont définies aux alinéas 149.1(1)a) [edictée par S.C. 1976, chap. 4, art. 60; S.C. 1984, chap. 45, art. 57] et 149.1(1)b) [mod. par S.C. 1984, chap. 45, art. 57] de la Loi de la façon suivante:
149.1 (1) Pour l'application du présent article, de l'article 172 et de la partie V,
a) «fondation de charité» désigne une corporation ou une fiducie constituée et administrée exclusivement à des fins charitables, dont aucun revenu n'est payable à un propriétaire, membre, actionnaire, fiduciaire ou auteur de la fiducie ou de la corpora -
1 Les seules décisions de notre Cour que je connaisse au sujet des organismes de charité sont: Scarborough Community Legal Services c. La Reine, [1985] 2 C.F. 555; Native Communica tions Society of B.C. c. Canada (M.R.N.), [ 1986] 3 C.F. 471; et Alberta Institute on Mental Retardation c. Canada, [1987] 3 C.F. 286.
tion ou ne peut par ailleurs être disponible pour servir au profit personnel de ceux-ci, et qui n'est pas une oeuvre de charité;
b) «oeuvre de charité» désigne une oeuvre, constituée ou non en corporation:
(i) dont la totalité des ressources est consacrée à des activités de bienfaisance qu'elle mène elle-même,
(ii) dont aucune partie du revenu n'est payable à l'un de ses propriétaires, membres, actionnaires, fiduciaires ou auteurs ni ne peut servir, de quelque façon, à leur profit personnel,
Parmi les quelques éléments de différenciation qu'on peut dégager de l'analyse de ces deux défini- tions, il y en a un qui frappe immédiatement. Une «fondation de charité» est constituée et administrée «à des fins charitables» seulement, (l'expression anglaise correspondante est: «for charitable pur poses»), tandis qu'une «oeuvre de charité» consacre ses ressources exclusivement à des «activités de bienfaisance» (en anglais: «to charitable activi ties»). Et, d'ailleurs, dans chacune des dispositions subséquentes qui établissent les règles régissant chaque type d'organisme de charité, la Loi parle de fins lorsqu'elle traite des «fondations de charité» et d'activités lorsqu'elle vise les «ozuvres de cha- rité» (voir, par exemple, les paragraphes 149.1(2), (3),(6),(6.1) et (6.2)). Que cette différenciation soit fondamentale dans l'esprit du législateur ne peut être mis en doute. Ces mots usuels et courants qui, dans les deux langues, désignent des concepts entièrement différents mais fort simples, ont cer- tainement été employés pour ce qu'ils signifient réellement, puisqu'ils sont carrément mis en oppo sition l'un avec l'autre et qu'il est prévu que seules les oeuvres peuvent avoir des activités. En fait, ainsi qu'il est bien connu, le législateur avait l'in- tention d'établir, de façon générale, une distinction entre, d'une part, les organismes ou les personnes juridiques qui sont simplement des dépositaires de fonds et dont les revenus sont distribués périodi- quement en vue d'aider à la réalisation d'activités par d'autres personnes et, d'autre part, les organis- mes qui n'ont même pas besoin d'être appuyés par une personne morale mais qui réunissent des gens qui ont l'intention d'exercer par eux-mêmes certai- nes activités précises. Dans ce dernier cas, le mot «oeuvre» qui est employé en français, est fort révé- lateur à cet égard; il signifie «travail», «action», «tâche».
Ainsi donc, alors qu'une «fondation» a le droit d'être enregistrée à titre d'«organisme de charité» dès que les fins pour la poursuite desquelles les
administrateurs ou les fiduciaires sont mandatés ou autorisés à distribuer des sommes d'argent sur ses fonds sont «charitables»—un fait qui ne peut être établi qu'en examinant le document par lequel l'organisme a été constitué—, une «oeuvre» a le droit d'être enregistrée comme organisme de cha- rité seulement si ses activités sont et demeurent charitables—une condition qui requiert un examen de ce que ses membres font effectivement. En d'autres mots, si les objectifs, les objets, les inten tions qui sont définis dans le document constitutif sont par eux-mêmes déterminants dans le cas d'une «fondation», ils ne le sont pas lorsqu'il s'agit d'une «oeuvre». Il est vrai que la classification d'une activité exige qu'on l'examine en fonction du motif pour lequel elle est exercée, mais il n'en demeure pas moins qu'il ne faut pas la confondre avec l'intention de l'acteur; l'activité s'exerce dans le monde réel et concret et non simplement dans l'esprit des particuliers.
La deuxième observation est suggérée par la première, mais elle vise particulièrement le sens des mots «charitable» et «de charité» qu'on trouve dans la définition des deux types d'«organismes de charité». Ainsi qu'il est bien connu, en l'absence d'indices dans la loi sur ce qu'on entend exacte- ment par ce mot, les commentateurs et les tribu- naux se sont tournés vers la common law pour se guider. Le jugement bien connu prononcé par lord Macnaghten dans l'affaire Commissioners of Income Tax v. Pemsel, [1891] A.C. 531 (H.L.) est devenu l'arrêt de principe, plus particulièrement le célèbre passage suivant la page 583]:
[TRADUCTION] Dans quelle mesure, pourrait-on se demander, la signification courante de l'expression «charity» correspond- elle à son sens juridique? Entendue dans son sens juridique, le terme «charity» (»organisme de charité») comprend quatre types d'organismes: les fiducies qui ont pour but de soulager la pauvreté; les fiducies qui sont constituées pour promouvoir l'éducation; les fiducies visant à promouvoir la religion et les fiducies constituées pour des fins utiles à l'ensemble de la société et ne se situant pas à l'intérieur des catégories susmentionnées.
Ce passage, qu'on considère en Angleterre comme renfermant le critère de common law permettant d'identifier les fiducies de charité, s'est vu recon- naître la même importance au Canada à la suite de l'arrêt Guaranty Trust Company of Canada v. Minister of National Revenue, [1967] R.C.S. 133, prononcé par la Cour suprême. Le jugement de lord Macnaghten soulève toutefois une difficulté
qu'on oublie trop souvent à mon avis: il s'agissait d'un jugement qui portait strictement sur les fidu- cies de charité et qui avait été élaboré en vue d'englober toutes les fins possibles susceptibles de rendre valides les organismes constitués dans un esprit philanthropique pour aider à l'avancement d'un objectif apportant un bénéfice (l'arrêt Gua ranty Trust Company portait également sur la validité d'une fiducie). La classification retenue dans cette affaire devait donc être élaborée libéra- lement en tenant compte des «fins» et non des «activités». Lorsqu'on s'en sert relativement à des activités et dans le contexte du droit fiscal, il faudra indubitablement faire quelques adaptations pour que cette classification permette de détermi- ner les activités qui sont suffisamment utiles pour avoir droit au traitement fiscal très spécial prévu par la Loi. À cet égard, il me semble évident que le caractère vague de la quatrième catégorie est par- ticulièrement troublant lorsqu'on applique celle-ci à des activités, car elle semble presque dépourvue de tout sens si on ne la reformule pas d'une façon ou d'une autre avec des mots plus précis. Mais ce que j'aimerais en réalité bien faire comprendre c'est que, pour s'inscrire valablement et utilement dans l'une des quatre catégories de la classifica tion, les activités doivent nécessairement, il me semble, être examinées en fonction de leur résultat et de leur effet immédiats et non de leurs consé- quences éventuelles possibles. En d'autres mots, l'activité tire son caractère charitable de ce qu'elle réalise elle-même et non de ce qui peut éventuelle- ment en résulter ou de ce qu'elle peut permettre de réaliser de façon quelque peu indirecte.
Si les observations de base que je viens de formuler sont correctes, le point litigieux que sou- lève l'appel est très simple et peut être tranché rapidement. Le comité appelant, un organisme sans personnalité morale, avait le droit d'être enre- gistré à titre d'«ceuvre de charité», contrairement à ce qu'a décidé le ministre si, et seulement si, ses activités (c'est-à-dire, puisqu'il n'a pas la person- nalité morale, les activités de ses membres) ont pour effet immédiat de soulager la pauvreté, de promouvoir l'éducation ou la religion ou, éventuel- lement, de réaliser quelque chose d'utile à l'ensem- ble de la société.
La première étape consiste donc à se demander ce que font exactement les membres du comité en
tant que membres. À cet égard, la preuve est claire. En termes simples, les activités du comité et de ses membres consistent, si j'ai bien compris, à parrainer des échanges et des rencontres entre les résidents de Toronto et les résidents de Volgograd, en Russie. De façon plus concrète, le comité et ses membres choisissent les candidats d'une ville inté- ressés à visiter l'autre ville, paient tous leurs frais de déplacement, s'assurent que le séjour des visi- teurs est organisé de façon à encourager les con tacts avec les gens du pays, et prennent finalement des dispositions pour faire connaître au public l'expérience que les voyageurs ont vécue à l'étran- ger et les impressions qu'ils ont recueillies au cours de leur voyage, par le truchement de reportages dans les médias et d'allocutions. À ces activités il faudrait ajouter, je suppose, lorsque les membres sont eux-mêmes choisis comme candidats, le voyage à l'étranger lui-même, la rencontre elle- même avec les gens et la communication effective des impressions. Voilà donc toutes les activités au sujet desquelles nous devons nous demander si elles pouvent avoir pour effet immédiat de soulager la pauvreté, de promouvoir l'éducation ou la religion ou de réaliser quelque chose d'utile à l'ensemble de la société. À mon avis, il n'y a pas de doute possible. L'organisation ou la réalisation de voya ges et de visites, l'établissement de relations et la communication d'impressions et d'expériences per- sonnelles constituent toutes des activités qui peu- vent être très bonnes et très instructives et qui peuvent produire en fin de compte des résultats valables, mais, sur le plan immédiat, elles peuvent difficilement avoir d'autre effet que la satisfaction de la curiosité intellectuelle et l'acquisition d'expé- riences humaines pour ceux qui s'y adonnent. Il me semble qu'on ne peut dire d'aucune de ces activités qu'elle est une activité de bienfaisance au sens de la Loi.
C'est sur le fondement de cette opinion de l'af- faire que je disposerais de l'appel de la façon suggérée par mon collègue le juge Stone.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STONE: Il s'agit d'un appel interjeté d'une décision en date du 23 octobre 1986 par laquelle l'intimé a rejeté la demande présentée par
l'appelant en vue de se faire enregistrer à titre d'«oeuvre de charité» suivant les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, chap. 148, et ses modifications apportées par S.C. 1970- 71-72, chap. 63, ainsi que ses modifications subsé- quentes (la «Loi»).
L'appelant est une association bénévole non constituée en personne morale. II a été formé en octobre 1983. Lors de la réunion d'organisation tenue au cours de ce mois, il a adopté un acte constitutif dans lequel les fins qu'il poursuit sont énoncées ainsi:
[TRADUCTION] ATTENDU QUE nous sommes fortement préoc- cupés par les tensions mondiales, et notamment par la menace croissante d'un holocauste nucléaire;
ET ATTENDU QUE nous sommes préoccupés par les stéréotypes dont font l'objet les peuples et les sociétés, lesquels stéréotypes alimentent ces tensions et attendu que nous croyons qu'il est important de renverser ces obstacles et d'améliorer l'entente entre les nations;
PAR CONSÉQUENT, il est résolu que le comité poursuivra les fins suivantes:
(i) rétablir les liens entre les résidents de Toronto et ceux de Volgograd, liens qui ont été pour la première fois officiellement établis durant le siège nazi, en 1942 et 1943;
(ii) créer des rapports directs entre les gens relativement aux questions qui nous sont communes en tant que citadins, y compris celle du risque d'une guerre nucléaire;
(iii) améliorer ces rapports au moyen d'échanges en vue de favoriser l'entente, de réduire les tensions et d'aider nos sociétés à trouver des façons pacifiques de vivre ensemble.
L'organisme n'a pas l'intention d'acquérir de biens immeubles.
L'organisme ne sera pas administré dans un but lucratif pour ses membres et tout bénéfice ou toute autre somme revenant à l'organisme sera utilisé pour promouvoir les fins de l'organisme.
La demande d'enregistrement de l'appelant a été présentée en novembre 1985. Elle était accompa- gnée des documents à l'appui requis, y compris d'une déclaration étaient énoncées ses activités. En outre, plusieurs résidents de premier plan de Toronto ont envoyé des lettres exhortant le Minis- tère à donner une suite favorable à cette demande et ont fait valoir que les activités du requérant étaient de caractère «éducatif» et qu'il s'agissait donc d'activités de bienfaisance.
L'énoncé des activités mérite un examen atten- tif. On y décrit de façon quelque peu plus détaillée les activités qui, suivant l'appelant, donnent à celui-ci le droit d'être reconnu comme «oeuvre de charité» au sens de la Loi. Nous trouvons donc un exposé des fins et des activités de l'appelant.
[TRADUCTION] Le Toronto Volgograd Committee a été formé en vue de profiter à la collectivité en fournissant au grand public l'occasion de comprendre et de connaître le mode de vie et les préoccupations des gens de Volgograd (anciennement Stalingrad). Étant donné que le Comité est profondément préoccupé par les tensions mondiales et par les stéréotypes dont font l'objet les peuples et les sociétés et qui alimentent ces tensions, nous estimons qu'il est important de renverser ces obstacles et d'améliorer l'entente entre les nations.
Par conséquent, les trois principaux objectifs du Comité sont:
1. De profiter à l'ensemble de la société en éduquant le peuple canadien et en lui faisant mieux comprendre les préoccupations et le mode de vie des gens de Volgograd. Pour ce faire, le Comité essaiera de rétablir les liens entre les résidents de Toronto et ceux de Volgograd, liens qui ont été pour la pre- mière fois officiellement établis au cours du siège nazi, en 1943-1944;
2. De sensibiliser le public en créant des rapports directs entre les gens relativement à des questions qui nous sont communes en tant que citadins, y compris celle du risque d'une guerre nucléaire;
3. D'éduquer la population en parrainant des échanges et des rencontres entre les résidents de Toronto et ceux de Volgograd.
(Dossier, page 64)
Une des méthodes qu'utilise le Comité pour promouvoir l'édu- cation du public en ce qui concerne les préoccupations et le mode de vie des citoyens de Volgograd consiste à parrainer des échanges et des rencontres entre les résidents de Toronto et ceux de Volgograd. Jusqu'à maintenant, il y a eu quatre échanges. En février 1984 (40e anniversaire du premier jume- lage de Toronto et de Volgograd, qui s'appelait alors Stalin- grad), deux personnes de Volgograd sont venues passer une semaine à Toronto. En octobre 1984, 13 délégués de Toronto ont passé une semaine à Volgograd. Ils ont visité d'abord Moscou, puis Léningrad. En mai 1985, quatre personnes de Volgograd sont venues à Toronto pour une semaine. Cette visite a été suivie par celle de douze délégués de Toronto à Volgograd en avril 1986. On prévoit pour le moment la visite de huit personnes de Volgograd à la mi-octobre 1986.
Les visites sont organisées directement par le comité Volgograd de Toronto et par le cabinet du maire de Volgograd. La mairie de Volgograd choisit les délégués qui viendront au Canada. On communique avec le bureau de l'ambassadeur canadien en Union Soviétique et avec celui de l'ambassade russe à Ottawa pour obtenir leur aide au sujet de divers arrangements.
Les itinéraires sont planifiés autant que possible à l'avance et comprennent des activités officielles et des activités non-offi- cielles. Chacun des quatre échanges comprenaient des rencon- tres avec le maire de chaque ville et l'organisation de réceptions par eux, ainsi qu'une occasion de rencontrer les principales figures locales de chaque ville. Les membres de chaque groupe font connaître les points qui les intéressent et l'on tente d'in- clure dans l'itinéraire des visites et des rencontres qui ont rapport avec ces points. On consacre beaucoup de temps à des discussions informelles, à visiter des foyers et, de façon géné- rale, à établir des contacts sur le plan personnel. Nous annexons une copie des itinéraires du voyage de l'automne 1984 à Volgograd et de la visite de mai 1985à Toronto.
Reportages des média
On s'est beaucoup servi des média pour informer les personnes qui ne sont pas par ailleurs familières avec les travaux du comité. Plusieurs articles ont été publiés dans les journaux au sujet des deux visites et les délégués ont communiqué leur impressions et sont passés tant à la radio qu'à la télévision. Voici une liste partielle des stations de radio et de télévision qui ont donné aux membres du comité Volgograd de Toronto l'occasion de parler du travail du comité:
Allocutions
Une autre façon de favoriser l'entente consiste à demander à des membres de prendre la parole devant des groupes intéressés et de parler de leur visite en Union Soviétique et à demander à des visiteurs de l'Union Soviétique de s'adresser à des groupes à Toronto.
On s'attend à ce que les membres qui ont visité Volgograd organisent des conférences ou des allocutions pour communi- quer leur expérience au plus grand nombre de gens possible. En 1985, des discours ont été prononcés devant une foule de groupes, y compris la Société des comptables en management du Canada, des criminologues et des travailleurs sociaux, l'église anglicane St. Philip the Apostle, des professeurs et des étudiants du Collège Jarvis et l'Institut canadien des affaires internationales. Environ 5 000 personnes ont entendu des mem- bres parler de leur expérience en 1985.
(Dossier, pages 65 et 66)
Le dossier qui nous a été soumis contient des copies de plusieurs des communiqués de presse publiés par l'appelant. L'un de ces communiqués renferme un compte-rendu d'une visite effectuée par quatre citoyens soviétiques à Toronto en 1985. En voici un extrait:
[TRADUCTION] Nos quatre visiteurs, Mikhail Babushkin, Gen. Theodor Pekarsky, Larissa Mitina et Victor Shourubov ont été très occupés pendant la semaine qu'ils ont passée ici du 23 au 29 mai. Nous avons essayé de faire en sorte qu'ils voient beaucoup des attraits de Toronto, y compris le St. Lawrence Market, un samedi matin, certains sites historiques—Old Fort York et le Marine Museum et nous leur avons fait visiter des maisons un peu partout dans la ville et la région.
Nous avons également fait le nécessaire pour qu'ils puissent rencontrer beaucoup de Torontois au cours de leur séjour. En plus de rencontrer le comité de direction et les membres (qui se sont joints à eux au cours d'une réception donnée en soirée au Club Heliconian), ils ont rencontré des membres du Club Rotary, des membres de l'Association Canada-URSS, des administrateurs municipaux, des professeurs et des étudiants du Collège Jarvis, notre maire et certains membres du conseil, ainsi que des représentants de plusieurs groupes pour la paix de Toronto. Ils ont eu du «temps libre» pour visiter Niagara Falls, pour déguster un pique-nique gastronomique sous la pluie, pour faire des achats extravagants et pour assister à une représenta- tion de CATS.
Ils ont dans l'ensemble reçu un accueil chaleureux de la part des média, si l'on fait exception de la rencontre hostile qu'ils ont eue avec trois conseillers municipaux et avec des invités et
des représentants des média dans une pièce de comité de l'Hôtel de ville. Nos visiteurs ont subir les questions impolies et agressives que leur ont posées plusieurs personnes, qui ont profité de l'occasion pour donner libre cours à leurs frustrations sur le dos de «vrais russes». Nos visiteurs et nous-mêmes avons survécu à ce supplice. Nos invités ont gardé leur calme et leur bonne humeur malgré la pression considérable. Cela les a peut-être aidés à avoir un meilleur aperçu des points de vue très divers des citoyens de Toronto et de comprendre la nécessité de notre projet—un exercice désagréable, si tant est qu'il était nécessaire.
(Dossier, page 91)
Un communiqué de presse non daté (vraisembla- blement publié à la fin de 1985) renferme le récit d'un voyage effectué par des membres de l'appe- lant en Union Soviétique. Il vaut la peine d'en reproduire un extrait:
[TRADUCTION] Bon nombre d'entre vous ont déjà entendu parler que le voyage à Volgograd avait été un franc succès. Même si l'on savait que nous n'étions pas une délégation officielle, on nous a reçu tant de façon officielle que de façon informelle à Moscou et à Volgograd. L'ambassadeur canadien, Peter Roberts et son épouse Glenna, ont donné une grande réception en notre honneur, ce qui nous a permis de rencontrer beaucoup de représentants officiels et de journalistes canadiens et soviétiques.
À notre arrivée à Volgograd par une magnifique journée enso- leillée, nous avons été accueillis à l'aéroport par Loudmila, qui nous a remis des bouquets de roses rouges, par son patron, M. Shustov et par M. Starovatykh, le premier maire suppléant. Alexandre était visiblement ravi de nous revoir et s'est joint à nous pour un bon nombre des cérémonies publiques qui ont suivi.
Les événements officiels comprenaient une rencontre avec le maire Atopov dans son cabinet du conseil municipal, le dépôt de fleurs devant deux momuments aux morts, la présentation officielle des membres de notre groupe à l'occasion d'une assemblée du conseil des députés de Volgograd au Théâtre Gorky et une merveilleuse excursion en bateau sur le Volga, suivie d'un banquet auquel nous avons été invités par le maire Atopov.
(Dossier, page 90)
On relate ensuite dans le compte rendu la façon dont les hôtes soviétiques ont satisfait les intérêts et les demandes individuels des membres. Ainsi, on a visité une école, une usine, une garderie, une polyclinique et un centre d'activités pour jeunes et on a organisé un débat avec un groupe de citoyens soviétiques qui possédaient des antécédents profes- sionnels et qui avaient étudié l'anglais et le par- laient. On a passé également du temps en compa- gnie du comité pour la paix local après que la délégation eut fait état de ses préoccupations en matière de droits de la personne et de désarme- ment.
Dans sa lettre du 23 octobre 1986 (pages 94 à 96 du dossier), l'intimé a fait remarquer que, pour remplir les conditions exigées pour être enregistré en vertu de la Loi, un organisme [TRADUCTION] «doit être constitué et administré exclusivement à des fins charitables», au sens de la common law. Il s'est dit d'avis que l'appelant ne remplissait pas les conditions voulues pour être considéré comme [TRADUCTION] «faisant la promotion de l'éduca- tion ou comme poursuivant des fins utiles à l'en- semble de la société d'une manière que la loi considère comme charitable». Il a poursuivi en disant:
[TRADUCTION] En matière d'organismes de charité, les tribu- naux ont défini la promotion de l'éducation comme étant la promotion de l'éducation pour elle-même en ce sens que l'esprit peut être formé. Cela ne comprend pas la diffusion de l'infor- mation comme moyen de défendre ou de promouvoir un point de vue particulier sur une question ou sur une cause.
Quant à la quatrième catégorie, celle qui englobe les fins utiles à l'ensemble de la société d'une manière que la loi considère comme charitable, la common law ne considère pas comme charitable l'intention ultime d'éduquer le public et de favoriser une meilleure entente entre les résidents de deux collectivités. Particulièrement, dans l'arrêt Anglo-Swedish Society v. C.L.R. (1931) T.C. 34 (K.B.D.), la cour a jugé qu'un organisme, dont l'objectif principal était de [TRADUCTION] «favoriser un resser- rement des liens et une meilleure entente entre le peuple anglais et le peuble suédois., n'était pas un organisme de charité.
Nous croyons comprendre que les activités du Comité visent à éduquer le peuple canadien relativement aux préoccupations et au mode de vie des citoyens de Volgograd en vue de favoriser une meilleure entente entre les résidents de Toronto et ceux de Volgograd, de diminuer les tensions, dont celle créée par la menace croissante d'un holocauste nucléaire, et d'aider les sociétés à trouver des moyens pacifiques de vivre ensemble. A notre avis, cet objectif est analogue à ceux que les tribunaux ont considéré comme n'étant pas inspirés par la charité. Par conséquent, nous ne pouvons conclure que les activités du Comité sont des activités de bienfaisance au sens que la common law donne à ce terme, même si ces activités sont sans aucun doute louables.
(Dossier, page 95)
L'appelant soutient que cette décision est enta- chée de trois erreurs. En premier lieu, il prétend que l'intimé a commis une erreur en concluant que, pour remplir les conditions nécessaires pour être enregistré, un organisme doit être constitué et administré «exclusivement à des fins charitables». En deuxième lieu, il prétend que l'intimé a égale- ment commis une erreur en jugeant que les activi- tés de l'appelant n'étaient pas des activités de bienfaisance favorisant la «promotion de l'éduca- tion» ou la poursuite «d'autres fins charitables». Finalement, il prétend qu'en refusant l'enregistre-
ment, l'intimé a commis une erreur en décidant, selon toute vraisemblance, que l'appelant diffusait de l'information [TRADUCTION] «comme moyen de défendre ou de promouvoir un point de vue parti- culier sur une question ou sur une cause».
Ces questions doivent évidemment être exami nées à la lumière des dispositions législatives et des principes de common law applicables. L'alinéa 149.1(1)b) de la Loi dispose:
149.1 (1) Pour l'application du présent article, de l'article 172 et de la partie V,
b) «oeuvre de charité» désigne une œuvre, constituée ou non en corporation:
(i) dont la totalité des ressources est consacrée à des activités de bienfaisance qu'elle mène elle-même,
(ii) dont aucune partie du revenu n'est payable à l'un de ses propriétaires, membres, actionnaires, fiduciaires ou auteurs ni ne peut servir, de quelque façon, à leur profit personnel,
Les principes de common law auxquels je pense sont ceux qui ont été formulés par lord Macnagh- ten dans l'arrêt Commissioners of Income Tax v. Pemsel, [1891] A.C. 531 (H.L.). Ils ont fait l'objet d'observations de la part de notre Cour dans l'arrêt Native Communications Society of B.C. c. Canada (M.R.N.), [1986] 3 C.F. 471, aux pages 478 et 479:
Le point de départ d'une discussion sur ce qui peut ou non constituer une fin charitable valable est la décision de la Chambre des lords dans l'affaire Commissioners of Income Tax v. Pemsel, [1891] A.C. 531, et plus particulièrement le sens juridique du mot «charity» (organisme de charité) donné par lord Macnaghten à la page 583 du recueil:
[TRADUCTION] Dans quelle mesure la signification courante de l'expression «charity» correspond-elle à son sens juridique? Entendue dans son sens juridique, l'expression «charity» («organisme de charité») comprend quatre types d'organis- mes: des fiducies ayant pour but de soulager la pauvreté; des fiducies constituées pour promouvoir l'éducation; des fiducies visant à promouvoir la religion; et des fiducies constituées pour des fins utiles à l'ensemble de la société et ne se situant pas à l'intérieur des catégories susmentionnées.
Cette définition a été appliquée à plusieurs reprises au Canada et a été approuvée par notre Cour suprême (voir Guaranty Trust Company of Canada v. Minister of National Revenue,
[ 1967] R.C.S. 133, la page 141). Pour constituer une fin «charitable» valable, une fin doit avoir un caractère charitable au sens de [TRADUCTION] «l'esprit» du préambule de la Loi d'Elizabeth intitulée «An Acte to redresse the Misemployment of Landes Goodes and Stockes of Money heretofore given to Charitable Uses». Cette Loi a été adoptée en Angleterre en 1601 au cours du règne d'Elizabeth l'« et est rapportée à 43 Eliz. I, chap. 4. De nos jours, elle est généralement désignée dans ce domaine du droit simplement comme la [TRADUCTION] «Loi d'Elizabeth». Il n'est pas nécessaire d'exposer tout ce
préambule et il n'est peut-être pas souhaitable non plus d'es- sayer de le reproduire dans sa version originale. Je préfère plutôt suivre l'exemple du juge Slade dans l'arrêt McGovern v. Attorney -General, [1982] Ch. 321, la page 322, il a donné en anglais moderne la liste des fins charitables prévues dans cette Loi:
[TRADUCTION] Soulager les personnes âgées, les infirmes ou les pauvres ... pourvoir aux besoins des soldats et des marins malades ou invalides; subventionner les établissements scolai- res, les écoles gratuites et les boursiers étudiant dans les universités ... réparer les ponts, les ports, les havres, la chaussée, les églises, le littoral et les grandes routes ... faire élever et instruire les orphelins ... venir en aide aux maisons de correction, leur fournir des provisions ou les subventionner ... doter les jeunes filles pauvres ... fournir une aide aux jeunes commerçants, aux artisans et aux personnes ruinées ... soulager ou délivrer les prisonniers, et aider ou soulager tous les citoyens pauvres relativement au paiement de la taxe d'un quinzième, de l'impôt pour la levée des armées et d'autres taxes.
En ce qui concerne le premier moyen d'appel, l'appelant prétend que l'intimé s'est mépris en statuant que l'appelant n'était pas constitué et administré «exclusivement à des fins charitables», en mettant l'accent sur le mot «fins». Suivant l'appelant, l'intimé aurait tenir davantage compte de ses «activités» réelles et accorder moins d'importance aux objets et aux fins pour lesquels il a été formé. À son avis, cela devient évident lors- qu'on examine le libellé même du sous-alinéa 149.1 , (1)b)(i), qui exige que la totalité des res- sources de l'organisme soit consacrée «à des activi- tés de bienfaisance» que l'organisme mène lui- même. L'appelant met en contraste le mot «activi- tés» avec le mot «fins» qui figure à l'alinéa 149.1(1)a), lequel exige qu'une fondation de cha- rité soit «constituée et administrée exclusivement à des fins charitables». L'appelant fait valoir que dans ce dernier cas il faudrait nécessairement tenir compte des fins d'une fondation, tandis que dans le premier cas, seules les «activités» de l'organisme importent.
Je souscris à cette analyse, dans la mesure le sous-alinéa 149.1(1)b)(i) ne s'intéresse pas explici- tement, à strictement parler, aux fins de l'«ceuvre de charité» qui sont énoncées dans les documents, mais il vise plutôt à garantir que l'organisme qui veut jouir des avantages de l'enregistrement exerce des «activités de bienfaisance» auxquelles il consacre toutes ses ressources. Inversement, la Loi n'interdit pas expressément d'examiner les fins de l'organisme qui sont énoncées dans son acte consti- tutif, car ce document doit de toute évidence cons-
tituer non seulement un guide ou un projet relati- vement à ses activités futures, mais également une définition de son caractère ou de sa vocation essen- tiels. Si l'affectation de ses ressources de la manière prescrite par l'article doit être considérée comme le seul critère auquel une oeuvre de charité doit répondre, il se pourrait fort bien que la Loi s'avère plutôt difficile, voire impossible, à appli- quer. Dans cette hypothèse, un organisme pourrait exercer ses activités de façon à respecter ce critère et à obtenir l'enregistrement tout en poursuivant d'autres activités qui seraient autorisées par son acte constitutif sans être des activités de bienfai- sance au sens juridique du terme. Cela mettrait l'intimé dans la position de devoir constamment surveiller les agissements de chaque organisme enregistré. Si, en revanche, le caractère fondamen- talement charitable d'un organisme doit être jugé d'après son acte constitutif, il suffirait à l'orga- nisme de démontrer, au besoin et lorsqu'on le lui demande, qu'il a effectivement exercé aussi des activités de bienfaisance auxquelles il a consacré toutes ses ressources, pour pouvoir jouir ou conti- nuer à jouir des avantages de la Loi. Autrement dit, il ne suffirait pas qu'il parle d'activités de bienfaisance, il faudrait qu'il en exerce. Heureuse- ment, il n'est pas nécessaire que j'exprime une opinion définitive sur cette question, parce que l'avocat a reconnu, au cours des débats, que nous devions en réalité examiner tant les fins que les activités pour décider si l'appelant avait le droit d'être enregistré à titre d'x euvre de charité». J'ajouterais que ce point de vue semble s'accorder avec l'opinion traditionnelle qui avait cours en Angleterre à l'époque la tâche de surveiller les organismes de charité relevait de la juridiction d'equity de l'ancienne Cour de chancellerie, car celle-ci semble avoir attaché beaucoup d'impor- tance aux fins explicites d'une oeuvre de charité donnée 2 .
2 Le paragraphe 45(1) de la loi actuelle du Royaume-Uni, la Charities Act, 1960 (R.-U.), 8-9 Eliz. II, chap. 58, définit notamment le terme «charity» («organisme de charité») comme désignant [TRADUCTION] «tout organisme, constitué ou non en personne morale, établi à des fins charitables [...]», mais je crois que la jurisprudence anglaise est généralement applicable lorsqu'il s'agit de déterminer si les «activités» sont des activités de bienfaisance. Le rôle que jouait auparavant la cour est abordé dans l'ouvrage de Ballow, A Treatise of Equity, Book II, Londres, Strahan & Woodfall, 1793 [Rev. and ed. by John Fonblanque, Londres: Garland Publishing Inc., 1979], nous trouvons ce qui suit dans le renvoi qui se trouve au bas des pages 209 et 210:
(Suite à la page suivante)
Le deuxième point litigieux comporte en fait deux questions distinctes. En premier lieu, l'intimé a-t-il commis une erreur en statuant que l'appelant ne poursuivait pas des fins éducatives, parce qu'il n'était pas constitué et administré pour «promou- voir l'éducation» au sens de la deuxième catégorie définie par lord Macnaghten? En deuxième lieu, si l'intimé a eu raison de statuer ainsi, a-t-il néan- moins commis une erreur en statuant que l'appe- lant n'était pas constitué et administré «pour d'au- tres fins utiles à l'ensemble de la société» au sens de la quatrième catégorie de lord Macnaghten? On pourrait commodément aborder le troisième point litigieux lui-même conjointement avec la pre- mière de ces questions, car on prétend que l'appe- lant ne peut, en tout état de cause, remplir les conditions requises pour faire partie de la deuxième catégorie, parce que l'information qu'il diffuse vise à «défendre ou [à] promouvoir un point de vue particulier sur une question bu sur une cause».
Pour déterminer si un organisme donné remplit les conditions voulues pour être enregistré confor- mément à la classification des organismes de cha- rité de lord Macnaghten, il est souhaitable de tenir compte des principes suivants, qui ne se veulent pas exhaustifs. Pour commencer, étant donné que la Loi ne fournit pas de définition utile des termes «organisme de charité», «fin charitable» et «activité de bienfaisance», le tribunal doit en suggérer une. On pourrait mettre la Loi en contraste, par exem- ple, avec une loi qui contient effectivement une
(Suite de la page précédente)
[TRADUCTION] (a) Sir W. Blackstone fait observer que le roi, en tant que parens patriae, a la surveillance générale de tous les organismes de charité et qu'il exerce maintenant ce pouvoir par l'entremise du gardien de sa conscience, le Chancelier. Ainsi donc, chaque fois que cela est nécessaire, le procureur général, sur la dénonciation d'un informateur quel- conque, qu'on appelle habituellement le dénonciateur, dépose d'office une dénonciation devant la Cour de chancellerie pour que ]'oeuvre de bienfaisance soit constituée en bonne et due forme. 3 Corn. 427. Cette proposition est trop générale car, même s'il est vrai que lorsqu'une oeuvre de bienfaisance est formée et qu'il n'existe pas de charte pour la réglementer, le roi a, en pareil cas, un pouvoir général, puisqu'il doit exister quelque part un pouvoir de réglementation; s'il existe une charte prévoyant des pouvoirs légitimes, l'organisme de cha- rité doit être réglementé de la façon prescrite par la charte, et il n'y a pas lieu pour la Cour de chancellerie d'intervenir en exerçant son pouvoir de contrôle. (Attorney General v. Middleton, 2 Vez. 328. [C'est moi qui souligne.]
définition comme, par exemple, la loi ontarienne sur laquelle la Cour divisionnaire, qui statuait en appel d'une décision d'un tribunal successoral, était appelée à se prononcer dans l'affaire Re Laidlaw Foundation (1984), 48 O.R. (2d) 549 (H.C.). Le législateur avait fait sienne la définition de lord Macnaghten, ce qui avait amené la Cour à interpréter son libellé, comme le juge Southey l'a fait à la page 586, d'une façon [TRADUCTION] «plus libérale», compte tenu de l'écononie de la loi. En deuxième lieu, comme le juge Marceau l'a souligné dans l'arrêt Scarborough Community Legal Services c. La Reine, [1985] 2 C.F. 555 (C.A.), à la page 571, les «oeuvres de charité» auxquelles la Loi s'applique jouissent d'un statut spécial: «non seulement sont-elles exonérées d'im- pôt ... mais tous les dons qui leur sont faits peuvent être déduits par les donateurs lorsqu'ils calculent leur revenu imposable». En fin de compte, il ne s'ensuit pas que la Cour soit placée dans une sorte de carcan judiciaire et qu'il lui soit impossible de se prononcer sur les conditions d'ad- missibilité énoncées dans la Loi à la lumière des conditions sociales actuelles qui ont une incidence sur l'affaire. Il ressort à l'évidence de l'arrêt Pemsel que nous ne devons pas adopter cette approche. Le fait qu'il nous faille plutôt tenir compte des circonstances ou des conditions exis- tantes a été tout récemment souligné dans l'affaire Native Communications Society, dans laquelle plusieurs décisions anglaises modernes ont été ana lysées. Cette jurisprudence fournit encore un autre exemple de la capacité intrinsèque de la common law à s'adapter à l'évolution de la société dans la mesure requise pour obtenir un résultat juste.
J'examine d'abord la question de savoir si l'ap- pelant peut être considéré comme un organisme de «promotion de l'éducation» et la troisième question qui s'y rapporte. Pour ce faire, je dois résister à la tentation d'envisager la question sous un angle plus large que celui qui est nécessaire pour trancher le point litigieux qui a été soulevé. L'appelant con- teste les arguments par lesquels l'intimé soutient que la promotion de l'éducation, entendue comme la poursuite d'une fin charitable, a été définie comme étant «la promotion de l'éducation pour elle-même en ce sens que l'esprit peut être formé» et que cela ne comprend pas «la diffusion d'infor- mation comme moyen de défendre ou de promou- voir un point de vue particulier sur une question ou
sur une cause». La première de ces positions semble comporter une définition un peu trop étroite de la promotion de l'éducation car, comme l'intimé semble effectivement le reconnaître au paragraphe 15 de sa plaidoirie écrite, cette catégo- rie d'organismes de charité devrait concerner des activités se rapportant à [TRADUCTION] «l'ensei- gnement, l'éducation ou la formation» ou viser des activités qui ont pour but de [TRADUCTION] «déve- lopper certaines branches du savoir humain et d'en améliorer la propagation dans le public». L'intimé a invoqué plusieurs précédents, dont Shaw, decd., In re. Public Trustee v. Day, [1957] 1 W.L.R. 729 (Ch. D.), aux pages 737 et 738; Macduff, In re. Macduff v. Macduff, [1896] 2 Ch. 451 (C.A.), aux pages 472 et 473; In re Hopkins' Will Trusts,
[1965] Ch. 669, la page 680; et Incorporated Council of Law Reporting for England and Wales v. Attorney -General, [1972] Ch. 73 (C.A.), le lord juge Sachs, aux pages 92 et 93 et le lord juge Buckley, aux pages 100 et 101.
Plusieurs décisions anglaises ont également été citées par l'intimé pour démontrer que les fins et les activités ayant pour but de créer un courant d'opinion donné et de favoriser une attitude d'es- prit n'encouragaient pas la «promotion de l'éduca- tion», parce que la loi les considère comme des buts ou des activités politiques (Anglo-Swedish Society v. Commissioners of Inland Revenue (1931), 16 T.C. 34 (K.B.); Buxton and Others v. Public Trustee and Others (1962), 41 T.C. 235 (Ch. D.); et Strakosch, decd., In re. Temperley v. Attorney - General, [1949] Ch. 529 (C.A.)). Dans la pre- mière de ces trois affaires, la cour devait décider si une fiducie créée pour [TRADUCTION] «favoriser un resserrement des liens et une meilleure entente entre le peuple anglais et le peuple suédois» en accordant [TRADUCTION] «aux journalistes sué- dois l'occasion de visiter le Royaume-Uni et d'étu- dier sur place la mentalité et les institutions natio- nales britanniques» constituait une fiducie de bienfaisance valable. Pour en venir à la conclusion que ce n'était pas le cas, le juge Rowlatt a déclaré ce qui suit, à la page 38:
[TRADUCTION] Or, de quoi s'agit-il? Il s'agit d'une fiducie qui vise en réalité à promouvoir une attitude d'esprit, à améliorer l'opinion d'une nation au sujet d'une autre. Voilà en réalité ce dont il s'agit. Il peut exister bien des fiducies qui visent à influencer l'opinion générale et il se peut que cette influence ait des résultats très positifs, mais lorsque dans l'immédiat la fiducie a uniquement pour but d'influencer l'opinion générale
en faveur d'une théorie, d'une opinion ou d'une aspiration quelconque, ou de quoi que ce soit d'autre, je ne vois pas en quoi la Loi d'Elizabeth viserait de quelque façon que ce soit ce genre de chose. L'éducation et le soulagement de la pauvreté et les choses de ce genre me semblent, si je peux employer cette expression, se matérialiser d'une façon passablement immé- diate. Il se peut que moins on en dise mieux cela vaut parce que, comme je l'ai dit ce matin, ainsi que lord Haldane l'affirmait, il est beaucoup plus facile de dire qu'un cas particu- lier n'est pas visé par la théorie que de définir affirmativement les limites de la théorie.
Les fins qui étaient soumises à la Cour dans l'affaire Strakosch [aux pages 535 et 536], en l'occurrence, [TRADUCTION] «renforcer les liens d'unité entre l'Union Sud-Africaine et la mère patrie, ce qui sera incidemment susceptible d'aider à apaiser les tensions raciales entre les régions anglophones et hollandaises de la collectivité d'Afrique du Sud», n'ont pas été jugées éducatives. Voici ce qu'a déclaré à la page 536 lord Greene, le maître des rôles, qui s'exprimait pour la Cour d'appel:
[TRADUCTION] Nous nous rendons compte de la véracité de l'argument suivant lequel les fins auxquelles le legs doit être consacré préoccupent grandement le public tant au sein de l'Union Sud-Africaine que de la mère patrie. Notamment, l'apaisement des tensions raciales au sein de l'Union ne peut que profiter à tous les habitants de l'Union et non seulement aux membres des deux groupes de la collectivité qui sont expressément mentionnés. Mais la portée très large et très vague du legs et la latitude illimitée d'affectation que son libellé autorise font qu'il est impossible à notre avis de conclure qu'il est conforme à l'esprit du préambule de la Loi d'Elizabeth.
Plus loin, à la page 538, il ajoute:
[TRADUCTION] Il est malheureux si, comme cela est fort possible, le testateur a pensé à ces moyens, qu'il n'ait pas essayé de constituer une fiducie qui aurait très bien pu être valide à titre de fiducie de promotion de l'éducation, malgré le fait que l'éducation constituait l'objectif ultime suivant les termes du testament. Il nous est toutefois impossible d'interpréter cette fiducie comme se limitant à des fins éducatives. Ce sont peut-être les meilleurs moyens mais ce ne sont certainement pas les seuls. Le problème de l'apaisement des tensions raciales au sein de la collectivité est un problème politique, et peut-être surtout politique. Un des moyens qui est susceptible d'aider à résoudre ce problème pourrait fort bien consister à appuyer un parti politique ou un journal qui aurait cet apaisement à coeur. Cet argument a encore plus de valeur dans le cas qui nous occupe, vu l'autre objectif politique, en l'occurrence, le resserre- ment des liens d'unité entre l'Union et la mère patrie. Nous croyons également qu'il serait facile de penser à des mesures qui pourraient favoriser l'hospitalité mutuelle et qui contribue- rait à la réalisation des objectifs énoncés mais qui ne seraient pas inspirées par la charité.
Finalement, dans le jugement Buxton, les fins qui, selon ce que l'on prétendait, contribuaient à la promotion de l'éducation et qui furent plutôt jugées ne pas être des fins charitables étaient ainsi libellées la page 37]:
[TRADUCTION] «Promouvoir les relations et les rapports internationnaux et contribuer à leur amélioration en a) édu- quant et informant l'opinion publique, notamment au moyen de revues et de publications périodiques, de livres et de brochures, de conférences, de prix, de bourses et de travaux de recherche; b) en encourageant ou en favorisant les rap ports personnels entre les habitants des différents pays, notamment en payant les frais de déplacement et de subsis- tance; c) en venant en aide à d'autres personnes ou organis- mes poursuivant des objectifs et des fins similaires à ceux mentionnés ci-dessus; d) en venant en aide à toute personne en payant les dépenses qu'elle a engagées pour sa candida- ture comme député ou comme membre d'une autre assem blée publique; e) en employant ou en suivant tout autre méthode qui, de l'avis des fiduciaires, est susceptible d'aider à la réalisation des objectifs et des fins susmentionnés.»
Après avoir cité les arrêts Anglo-Swedish et Stra- kosch, le juge Plowman a déclaré ce qui suit, à la page 240:
[TRADUCTION] ... je me demande si une fin éducative charita ble sert manifestement à «l'amélioration des relations et des rapports internationaux». A mon sens, ce n'est pas le cas. Je crois que M. Stamp a eu raison de dire dans son argumentation que les fins de cette fiducie n'ont absolument rien à voir avec la bienfaisance.
Une fois de plus, il ajoute ce qui suit, à la page 242:
[TRADUCTION] Ainsi donc, il me semble en l'espèce que les fins de cette fiducie sont en réalité des fins d'utilité publique ou des fins politiques. Le seul élément d'éducation que l'on pour- rait prétendre visé par ces fins me semble être l'éducation en vue d'une cause politique par la création d'un courant d'opinion et cela ne constitue pas, à mon sens, de l'éducation à des fins charitables. Comme M. Stamp l'a déclaré, ce n'est en réalité rien d'autre que de la propagande.
À mon avis, le raisonnement formulé dans ces arrêts est pertinent. Il démontre qu'une fiducie constituée en vue d'épouser une cause ou un projet politique n'est pas une fiducie de charité. Une illustration récente de ce raisonnement se trouve dans l'arrêt In re Koeppler Will Trusts, [1985] 3 W.L.R. 765 (C.A.) dans lequel le lord juge Slade a déclaré, à la page 771:
[TRADUCTION] En outre, si on les prend isolément, elles englo- beraient des modes de dépenses qui ne seraient manifestement pas inspirés par la charité, comme simplement la défense de la cause politique du Marché commun (comparer avec In re Strakosch, decd. [1949] Ch 529, particulièrement les remar-
quel de lord Greene, maître des rôles, aux p. 538 et 539, Buxton v. Public Trustee (1962) 41 T.C. 235 et Anglo-Swe- dish Society v. Inland Revenue Commissioners (1931) 16 T.C. 34.
À mon sens, l'appelant ne poursuit pas des fins et des activités de bienfaisance au sens de ces déci- sions et les fins et activités qu'il poursuit ne satis- font donc pas au critère de la «promotion de l'éducation», tel qu'on l'entend dans ce domaine du droit.
Il nous reste à nous demander si, par ses fins et ses activités, l'appelant remplit les conditions vou- lues pour être enregistré à titre d'oeuvre de charité au motif qu'il fait partie de la quatrième catégorie d'organismes de charité définie par lord Macnagh- ten, c'est-à-dire qu'il constitue une fiducie créée pour des fins utiles à l'ensemble de la société et ne se situant pas à l'intérieur des trois premières catégories. Etant donné que j'estime que la fiducie ne remplit pas les conditions exigées en raison de son caractère essentiellement politique, il n'est pas strictement nécessaire de se pencher sur cette question et je ne m'y arrêterai pas, même si elle a été longuement débattue devant nous. Pour com- mencer, je me rappelle ce qui a été dit au sujet de cette catégorie d'organismes de charité dans l'arrêt Native Communications Society, aux pages 479 et 480:
Il semble ressortir de la jurisprudence que les propositions suivantes au moins peuvent être présentées comme des condi tions préalables pour déterminer si une fin particulière peut être considérée comme une fin charitable s'inscrivant dans la qua- trième catégorie prévue dans la classification de lord Macnaghten:
a) la fin doit être utile à la société d'une façon que la loi considère comme charitable en étant conforme à «l'esprit» du préambule de la Loi d'Elizabeth, si ce n'est pas à sa lettre. (National Anti -Vivisection Society v. Inland Revenue Com missioners, [1948] A.C. 31 (H.L.), aux pages 63 et 64; In re Strakosch, decd. Temperley v. Attorney -General, [1949] Ch. 529 (C.A.), aux pages 537 et 538), et
b) c'est en se fondant sur le dossier dont elle dispose et en exerçant sa compétence reconnue en equity en matière d'orga- nismes de charité que la cour doit déterminer si une fin servirait ou pourrait servir l'intérêt du public (National Anti -Vivisection Society v. Inland Revenue Commissioners (précité), aux pages 44, 45 et 63).
J'ai déjà discuté des principes de common law qui semblent régir cet aspect de l'appel. On les trouve dans les arrêts Anglo-Swedish, Strakosch et Buxton, qui établissent les principes qui, selon
moi, s'appliquent, même si les faits de ces affaires ne correspondent pas parfaitement à ceux de la présente espèce. Les fins et les activités de l'appe- lant ont un aspect international, car elles sont poursuivies par un groupe de Canadiens et elles s'adressent à des personnes qui se trouvent en Union Soviétique. Je ne mets pas en doute le caractère parfaitement altruiste des mobiles qui sont à leur origine. On soutient énergiquement que la société en général ne peut que bénéficier de ce genre de contacts entre les peuples, spécialement à une époque existent des tensions internationales et une menace de guerre nucléaire, parce qu'ils servent à favoriser l'entente mutuelle et l'amitié entre des groupes venant de pays qui professent des idéologies politiques différentes. La seule ques tion que nous sommes appelés à trancher, cepen- dant, est de savoir si ces activités, quoique louables et valables en elles-mêmes, satisfont au critère de la «bienfaisance», en ce sens qu'elles sont utiles à la société d'une façon que la loi considère comme charitable. En toute déférence pour l'opinion con- traire, je suis d'avis que ce critère n'a pas été respecté. La cause qu'on défend n'est pas une cause charitable, mais plutôt une cause politique au sens déjà évoqué. J'ai cité deux décisions, les arrêts Anglo-Swedish et Strakosch, qui établis- sent le principe qui doit être appliqué et qui illus- trent aussi la raison pour laquelle les fiducies de ce genre ne font pas partie de la quatrième catégorie d'organismes de charité. Je reproduis à nouveau l'extrait que j'ai déjà cité du jugement rendu par le juge Rowlatt dans la première de ces trois affaires, en citant cette fois-ci un extrait plus long pour donner dans son intégralité le contexte dans lequel on trouve ces opinions. Voici ce que le juge a déclaré, à la page 38:
[TRADUCTION] Il ne fait aucun doute que les personnes qui ont formé la société ont agi d'après des mobiles parfaitement altruistes en tâchant d'atteindre ce qu'ils estimaient être une fin publique très utile. J'ose affirmer qu'elles ont parfaitement raison, mais je suis obligé de dire, dans cette affaire difficile, qu'il m'est impossible de conclure qu'il s'agit d'une fiducie de charité au sens de l'analogie de la Loi d'Elizabeth. J'ai affirmé que j'estimais qu'il s'agissait d'une fiducie d'utilité publique, peu importe qu'une personne donnée souscrive à cette applica tion particulière. Voilà le genre de fiducie dont il s'agit: il s'agit d'une fiducie constituée en vue de réaliser ce que les gens qui l'ont fondée estimaient être une amélioration des affaires publi- ques et il s'agit donc d'une fiducie concernant des questions d'intérêt public. Mais, il est évidemment bien établi que ce ne sont pas toutes les fiducies concernant des questions d'intérêt public qui sont des organismes de charité. En d'autres mots, on
aurait tort de définir l'expression «fiducie de charité» en affir- mant qu'il s'agit d'une fiducie constituée dans l'intérêt du public. C'est maintenant un principe juridique tout à fait
élémentaire.
Or, de quoi s'agit-il? Il s'agit d'une fiducie qui vise en réalité à promouvoir une attitude d'esprit, à améliorer l'opinion d'une nation au sujet d'une autre. Voilà en réalité ce dont il s'agit. Il peut exister bien des fiducies qui visent à influencer l'opinion générale et il se peut que cette influence ait des résultats très positifs, mais lorsque dans l'immédiat la fiducie a uniquement pour but d'influencer l'opinion générale en faveur d'une théorie, d'une opinion ou d'une aspiration quelconque, ou de quoi que ce soit d'autre, je ne vois pas en quoi la Loi d'Elizabeth viserait de quelque façon que ce soit ce genre de chose.
Finalement, j'adopte le raisonnement de lord Greene, le maître des rôles, à la page 537 de l'arrêt Strakosch il a déclaré:
[TRADUCTION] Suivant le juge Roxburgh, les modalités de la disposition englobent toute application qui, de l'avis des fidu- ciaires du testateur, est de nature à promouvoir ou à favoriser ce qui constitue en vérité une cause ou un projet politique, en l'occurrence, le resserrement de la collaboration ou des rela tions entre deux groupes nationaux, celui du Royaume-Uni et celui de l'Union Sud-Africaine et en même temps un resserre- ment de la collaboration et des rapports entre les personnes d'origine anglaise et celles d'origine hollandaise au sein de l'un de ces groupes nationaux, c'est-à-dire celui de l'Afrique du Sud. Nous ne croyons pas qu'il en va autrement si l'on présume, en faveur des appelants, que le pouvoir discrétionnaire illimité conféré aux fiduciaires ne s'étend qu'au premier volet de l'ob- jectif et non au second, car dans ce cas (comme le dit Sir Cyril Radcliffe) le rapprochement de deux races différentes en Afri- que du Sud (qui, dans cette hypothèse, constitue une condition de toute affectation des fonds) s'inscrit dans le cadre de l'objec- tif plus large qui consiste à rapprocher des collectivités qui font partie de l'organisation politique du Commonwealth et cette chose dont on fait une condition constitue toujours ce que nous avons appelé une cause ou un projet politique. Dans l'arrêt Williams' Trustees v. Inland Revenue Commissioners ([1947] A.C. 447), la Chambre des lords a établi très clairement que, pour entrer dans la quatrième catégorie énoncée par lord Macnaghten, le legs ne doit pas seulement être utile à la société, mais être utile d'une façon que la loi considère comme bienfaisante. Afin de répondre à cette dernière condition, il doit être conforme à du préambule de la Loi d'Elizabeth.
Je suis d'avis de rejeter l'appel mais, compte tenu des circonstances, sans frais, car il semble que la «raison spéciale» exigée par la Règle 1312 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663] pour que la Cour rende une ordonnance différente n'existe pas.
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