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A-84-87
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (appe- lant)
c.
Mokhtar Bendahmane (intimé)
RÉPERTORIÉ: BENDA I/MANE c. CANADA (MINISTRE DE L'EM- PLOI ET DE L'IMMIGRATION) (CA.)
Cour d'appel, juges Marceau, Hugessen et Desjar- dins, J.C.A.—Montréal, 7 février; Ottawa, 10 avril 1989.
Immigration Statut de réfugié Revendication du statut de réfugié faite en dehors du cadre prévu par la loi La lettre du ministre disait que la demande de statut de réfugié suivrait son cours normal Le ministre refuse main- tenant de le faire Indépendamment de la question de savoir si le ministre est légalement tenu d'examiner la demande, il est lié parle principe de l',,expectative raisonnable».
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Mandamus
Principe de l'«expectative raisonnable» Une autorité publique est liée par son engagement quant à la procédure qu'elle va suivre lorsque cet engagement n'est pas incompatible avec ses fonctions légales La revendication du statut de réfugié n'a pas été faite de façon appropriée La lettre du ministre disait que la demande suivrait son cours normal Le ministre est tenu d'examiner la demande indépendamment de la question de savoir s'il est légalement tenu de le faire.
Une ordonnance d'exclusion a été rendue le 19 juillet 1985 contre l'intimé, citoyen algérien, au motif qu'il n'était pas un véritable visiteur. Alors que son appel était en cours et avant qu'il ne l'abandonne environ un an plus tard, il a inexplicable- ment reçu une lettre officielle l'avisant qu'il pourrait être admissible au programme de révision administrative en vertu du Règlement sur l'arriéré des revendications du statut de réfugié. L'intimé a donc déposé en juin 1986 une revendication du statut de réfugié. En octobre 1986, il a reçu une autre lettre l'informant qu'il n'était pas admissible à la révision administra tive parce qu'il n'avait pas revendiqué le statut de réfugié avant la fin de son enquête, et que sa demande de statut de réfugié suivrait son cours normal. Lorsque l'intimé a appris que le ministre allait l'expulser du Canada sans examiner davantage sa revendication du statut de réfugié, il a saisi la Section de première instance d'une demande de brefs de certiorari et de mandamus. Le juge de première instance a annulé la décision qui a refusé à l'intimé l'accès au programme de révision administrative, et il a enjoint au ministre d'examiner la demande de statut de réfugié comme si elle avait été présentée au cours d'une enquête. Le présent appel est formé contre cette décision.
Arrét (le juge Marceau étant dissident): l'appel devrait être accueilli en partie.
Le juge Hugessen, J.C.A.: Le juge de première instance a eu tort d'annuler la décision de refuser à l'intimé les avantages du programme portant sur l'arriéré des revendications du statut de réfugié puisque, à l'évidence, l'intimé ne remplissait pas les conditions requises, n'ayant pas déposé sa revendication avant la fin d'une enquête sur son statut au Canada.
La seconde partie de l'ordonnance du juge de première instance devrait être confirmée. Certes, la revendication de l'intimé a clairement été faite en dehors du cadre légal; mais le ministre exerce le pouvoir d'examiner ces revendications et d'accorder le bénéfice du statut de réfugié bien indépendam- ment de la procédure de reconnaissance et de réexamen prévue par la Loi. La question de savoir si le ministre est légalement tenu d'examiner une revendication du statut de réfugié qui est faite en dehors du cadre légal ne se pose pas en l'espèce. Compte tenu de cela et du fait que le ministre a avisé l'intimé que sa demande serait examinée, la doctrine de l'équité exige du ministre qu'il procède à l'examen de la revendication de l'intimé avant de tenter de l'expulser du Canada.
Le principe applicable est celui de l'«expectative raisonnable» ou de l'«expectative légitime». Le Conseil privé l'a énoncé récemment et fermement dans l'arrêt Attorney -General of Hong Kong y. Ng Yuen Shiu, [1983] 2 A.C. 629: une autorité publique est liée par ses engagements quant à la procédure qu'elle va suivre, pourvu qu'ils ne soient pas incompatibles avec ses fonctions.
Le juge Desjardins, J.C.A. (motifs concourant au résultat): Puisque le ministre a le pouvoir d'examiner une revendication du statut de réfugié sous un autre régime que celui de la procédure établie à l'article 45 de la Loi, on ne peut écarter la possibilité que la lettre du ministre puisse s'interpréter comme l'engagement que la revendication du statut de réfugié serait examinée malgré l'ordonnance d'exclusion. La doctrine de l'ex- pectative légitime est clairement applicable.
Le juge Marceau, J.C.A. (dissident): C'est à tort que le juge de première instance a accordé un bref de certiorari annulant la décision qui déclarait l'intimé inadmissible au programme spé- cial. En premier lieu, il n'y avait pas de décision. Il s'agissait strictement d'une information quant à une prescription du règlement et à sa conséquence inévitable sur la demande de l'intimé. En dernier lieu, même si on y voit une décision, il n'y a rien qui puisse porter atteinte à sa validité.
C'est également à tort que le juge de première instance a enjoint au ministre d'examiner la revendication du statut de réfugié de la façon habituelle. La doctrine de «l'espérance ou de l'attente légitime» ne s'applique pas en l'espèce. Elle n'est jamais censée s'appliquer en dehors du domaine procédural, et forcer la considération d'une revendication du statut de réfugié faite de façon non conforme aux prescriptions de la Loi n'est pas du domaine procédural. De plus, l'intimé est sous le coup d'une, ordonnance d'expulsion, et rien dans la Loi ne peut être utilisé pour en empêcher l'exécution.
En dernier lieu, sur le pur plan des faits, on ne saurait dire de l'ensemble de la lettre qu'il suscite une espérance raisonnable ou une attente légitime. A la lecture de cette lettre, l'intimé ne pouvait pas ne pas se rendre compte que le projet ne s'adressait pas à quelqu'un dans sa situation.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. I l (R.-U.), art. 7.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art.
18.
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 6(2), 19(1)h), 20(1), 32(5), 45, 50, 51, 52, 70, 71 (mod. par S.C. 1986, chap. 13, art. 5), 72(2)b), 115(2).
Règlement sur l'arriéré des revendications du statut de réfugié, DORS/86-701, art. 2c).
Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, art. 7(1).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Attorney-General of Hong Kong v. Ng Yuen Shiu, [ 1983] 2 A.C. 629 (P.C.)
DÉCISIONS CITÉES:
Reg. v. Secretary of State for The Home Department, Ex parte Asif Mahmood Khan, [1984] 1 W.L.R. 1337 (C.A.); Sous -ministre du Revenu du Québec c. Trans port Lessard (1976) Ltée, [1985] R.D.J. 502 (C.A. Qué.); Schmidt v. Secretary of State for Home Affairs, [ 1969] 2 Ch. 149 (C.A.); Council of Civil Service Unions v. Minister for the Civil Service, [1984] 3 All ER 935 (H.L.); Re Multi-Malls Inc. et al. and Minister of Transportation and Communications et al. (1976), 73 D.L.R. (3d) 18 (C.A. Ont.); Persad c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), A-140-83, jugement en date du 18-10-83, C.A.F., non publié; Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [ 1985] 1 R.C.S. 177; Tonato c. Ministre de l'Emploi et de l'Immi- gration, [1985] 1 C.F. 925 (1" inst.); R v Secretary of State for the Home Dept, ex p Ruddock, [1987] 2 All ER 518 (Q.B.); Reg. v. Inland Revenue Comrs., Ex parte Preston, [1985] A.C. 835 (H.L.); Leech v. Deputy Governor of Parkhurst Prison, [1988] 2 W.L.R. 290 (H.L.).
DOCTRINE
Forsyth, C. F. «The Provenance and Protection of Legiti mate Expectation», [1988] 47 C.L.J. 238.
Hadfield, Brigid «Judicial Review and the Concept of
Legitimate Expectation» (1988), 39 N.I.L.Q. 103. Lewis, Clive «Fairness, Legitimate Expectations and
Estoppel» (1986), 49 Modern L. Rev. 251.
Riggs, Robert E. «Legitimate Expectation and Procedural Fairness in English Law» (1988), 36 Am. J. Comp. L. 395.
AVOCATS:
Johanne LeVasseur pour le requérant. Julius H. Grey pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous -procureur général du Canada pour le requérant.
Grey, Casgrain, Biron, Montréal, pour l'in- timé.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE MARCEAU, J.C.A. (dissident): La décision que cet appel attaque a été rendue par un juge de la Section de première instance, le 26 janvier 1987, sous l'autorité de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), chap. F-7]. Saisi d'une demande pour l'émission d'un bref de certiorari, de mandamus et pour tout autre remède pouvant s'avérer approprié, le juge des requêtes, en un premier temps, annula ce qu'il considéra une décision de refus d'un officier du ministre appelant relativement à une demande de l'intimé faite dans le cadre de la Loi sur l'immi- gration de 1976 (S.C. 1976-77, chap. 52 ci-après la Loi)'; puis, en un deuxième temps, il déclara que l'intimé avait droit d'obtenir que sa revendica- tion du statut de réfugié soit considéré tout comme si elle avait été faite conformément aux prescrip tions de la Loi. En elle-même, cette présentation éclaire peu; ce n'est qu'une fois les faits connus que l'on pourra voir le sens et la portée de la décision attaquée et apprécier le problème qu'elle pose.
Les faits
Mokhtar Bendahmane, l'intimé, est en Algé- rie en 1958, mais, dès l'année suivante, il était emmené en France il a toujours résidé depuis, sauf un bref séjour en Angleterre, de septembre
1984 mars 1985. Le 10 juin 1985, l'intimé se présenta à l'aéroport de Mirabel (Québec). Il était alors en possession d'un visa de visiteur, obtenu à Paris quelques jours plus tôt. Mais comme il avait manifestement obtenu ce visa sous des représenta- tions inexactes et qu'au surplus il arrivait non de Paris mais de Londres, muni d'un billet aller seule- ment, il se vit refuser l'admission par l'agent exa- minateur qui aussitôt, comme le veut la Loi, rédi- gea un rapport il alléguait qu'à son avis l'intimé n'était pas admissible au Canada, aux termes de l'alinéa 19(1)h) de la Loi, parce qu'il n'était pas un visiteur véritable.
L'enquête, que le rapport de l'agent déclencha, débuta le 12 juin. Après plusieurs ajournements, elle fut enfin complétée le 19 juillet 1985. Ayant pu vérifier les faits contenus au rapport, l'arbitre émit une ordonnance de renvoi contre l'intimé
Pour raison de convenance, je compte me référer à la Loi telle qu'elle existait au moment de la décision.
ainsi que l'exige le paragraphe 32(5) de la Loi. L'intimé s'inscrivit aussitôt en appel de cette ordonnance devant la Commission d'appel de l'immigration.
En mai 1986, alors que l'intimé attendait tou- jours sa convocation devant la Commission d'appel de l'immigration, le ministre appelant annonça publiquement la mise en vigueur d'un «Projet de révision administrative des revendicateurs du statut de réfugié». Il s'agissait d'un projet tout-à- fait exceptionnel qui avait été élaboré en vue de faire face au problème administratif énorme sou- levé par la décision de la Cour suprême qui venait de mettre en lumière l'exigence d'une audition orale dans tous les cas de revendication de statut de réfugié, et dont l'idée essentielle était d'admet- tre les revendicateurs sur la seule base de leur intégration à la vie canadienne. L'intimé eut l'idée d'en réclamer le bénéfice. Le 17 juin 1986, il compléta et déposa à un bureau d'immigration un document qui se composait d'abord d'une lettre circulaire à l'entête de Emploi et Immigration Canada et ensuite au bas d'une formule à remplir. Voici d'abord le texte de la lettre:
Monsieur, Madame,
Vous êtes une personne au sujet de laquelle une enquête devrait être tenue en vertu de la Loi sur l'Immigration.
Or, le Ministre annonçait le 21 mai dernier un programme spécial visant à examiner en vue de la résidence permanente tous les revendicateurs du statut de réfugié en attente au Canada d'une décision finale. Vous pourriez être éligible à ce programme si vous indiquez, avant le 21 juin 1986, un agent d'immigration, à un agent d'immigration supérieur ou à un arbitre votre intention de revendiquer le statut de réfugié. Si tel n'était pas le cas, vous seriez alors convoqué à une enquête et votre cas serait traité selon la procédure normale.
Quant à la formule, une fois complétée et signée par l'intimé, elle se lisait comme suit:
Je—Mokhtar Ben Dahmne—né 1e-1958—domicilié au- 5713 6iè''' Avenue Montréal H 1Y 2R1—ai l'intention de reven- diquer le statut de réfugié et désire participer au programme spécial d'examen administratif annoncé par le Ministre le 21 mai 1986.
Ben Dahmne (signature) 17-6-86 (date)
Cette lettre circulaire était destinée, comme pré cisé en son premier paragraphe, à ceux qui atten- daient la tenue d'une enquête relativement à leur droit d'être au Canada, mais elle n'était adressée à personne en particulier. L'intimé n'était évidem- ment pas de ceux à qui elle était destinée puisque
son enquête à lui avait eu lieu un an plus tôt. Comment alors en a-t-il eu un exemplaire? Lui- même ne fournit aucune indication à ce sujet. En fait, il n'avait même pas fait mention du document dans sa requête originale et ne pensa l'introduire qu'en réplique et sans explication, uniquement pour attester que, dès le 17 juin, il avait exprimé son intention de réclamer le statut de réfugié. Il est évident qu'il n'a pas pu recevoir cette lettre par la poste, aucune raison imaginable n'existant qui puisse expliquer qu'elle lui aurait été adressée et d'ailleurs, étant donné les prétentions qu'il enten- dait faire valoir comme nous verrons, il en aurait certes fait état. Mais de toute façon, cela n'est aucunement de conséquence.
Le 20 juin suivant, l'intimé remplissait un exem- plaire de la formule ordinaire de revendication du statut de réfugié et la déposait simplement au bureau d'immigration. Cette formule ne contient rien de spécial, il n'est pas utile de la reproduire.
Le document suivant au dossier, dans l'ordre chronologique, est le document central. 11 s'agit encore d'une lettre formulaire destinée à informer certains revendicateurs du statut de réfugié de leur inadmissibilité au Projet spécial de révision admi nistrative. Les espaces en blanc de la formule ont été, comme ils le devaient, complétés par un offi- cier d'immigration. La lettre ici est adressée à l'intimé et porte la date du 16 octobre 1986. Elle fait évidemment suite au document du 17 juin et à la formule de revendication du 20 juin que l'intimé avait déposés. La lettre est libellée sur deux colon- nes qui se font face, l'une écrite en français, l'autre en anglais. Seule la version française comprend les mots ajoutés par l'officier. Je la reproduis:
Emploi et Immigration Canada Notre dossier: 2496-86-02941 Le 16 octobre 1986
M. Mokhtar Bendhamne
953 est, rue Rachel Montréal, Québec H2J 2J4
Madame/Monsieur,
La présente fait suite à notre lettre d'information du début juillet 1986, laquelle vous informait que vous pourriez être admissible au projet de révision administrative des revendica- teurs du statut de réfugié.
Suite à l'étude de votre dossier, il apparaît que vous n'êtes pas admissible à ce projet, pour la(les) raison(s) suivante(s):
vous n'avez pas indiqué, à un agent d'immigration ou à un arbitre, avant la fin de votre enquête concernant votre statut au Canada, votre intention de revendiquer le statut de réfugié.
Par conséquent, vous ne pouvez soumettre de demande de résidence permanente au Canada dans le Cadre de la révision administrative et votre demande de statut de réfugié suivra son cours normal.
Directeur/Manager (signé)
La communication du début juillet, à laquelle cette lettre du 16 octobre fait allusion, n'est pas au dossier; on n'en connaît pas autrement la teneur; l'intimé n'affirme même pas l'avoir reçue. On sait, par ailleurs, que l'intimé, au cours du mois de juillet 1986, s'est désisté de son appel contre l'or- dre de déportation.
Voilà qui complète la revue des faits. La décision de première instance
Le juge saisi de la requête de l'intimé consacra la majeure partie de ses motifs de décision à rejeter les arguments mis de l'avant pour contester la légitimité du refus des autorités d'inscrire l'in- timé dans le cadre du projet spécial. Il était clair, dit-il en substance, que l'intimé n'avait pas réclamé le statut de réfugié au cours d'une enquête concernant son statut au Canada, comme l'exigeait le Règlement adopté en vue d'appliquer le projet spécial, soit le Règlement sur l'arriéré des reven- dications du statut de réfugié (DORS/86-701) 2 , car la prétention du procureur à l'effet que l'en- quête serait poursuivie au cours des procédures d'appel intentées contre l'ordre de déportation n'était pas acceptable. Il était clair aussi que l'exi- gence de la Loi à l'effet que le statut de réfugié soit réclamé au cours d'une enquête (article 45), exigence que le Règlement ne faisait que respecter, n'allait pas à l'encontre des prescriptions de l'arti- cle 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitution- nelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]. C'était là, à son avis, une exigence qui devait être respectée, à moins qu'il s'agisse d'un cas l'individu serait
2 Le paragraphe c) de l'article 2 du Règlement relatif à la définition de «revendicateur» se lisait en effet comme suit:
2....
c) [Celui qui] a indiqué, au plus tard le 20 juin 1986, à un agent d'immigration ou à un arbitre, avant la fin d'une enquête concernant son statut au Canada, son intention de revendiquer le statut de réfugié;
sujet à déportation sans enquête comme dans la cause Tonato c. Ministre de l'Emploi et de l'Im- migration, (décision de la Section de première instance rapportée à [1985] 1 C.F. 925) ce qui n'était évidemment pas le cas ici.
Ayant ainsi disposé des arguments invoqués à l'encontre du refus d'accorder à l'intimé les avan- tages du programme spécial, le juge enchaîna directement comme suit la page 249):
Néanmoins, cela ne signifie pas que je considère que le requérant a été traité équitablement.
Le requérant a reçu une lettre «au début de juillet» selon laquelle il pourrait être admissible au projet de révision admi nistrative des revendicateurs du statut de réfugié (voir la lettre du 16 octobre 1986 annexée à l'affidavit du requérant).
Le 25 juillet 1986, le requérant apprend qu'il est admissible au programme (alinéa 4 de l'affidavit du requérant).
Le 16 octobre 1986, le requérant est informé par une lettre (mentionnée ci-dessus) qu'il n'est pas admissible au pro gramme, mais que «votre demande du statut de réfugié suivra son cours normal».
Je suis persuadé que l'intimée a erré en envoyant cette lettre type au requérant, puisqu'elle ne s'appliquait pas à sa situation particulière.
Néanmoins, le requérant a eu l'impression, à l'instar de toute personne raisonnable, premièrement qu'il était admissible au programme spécial et deuxièmement, après avoir reçu la der- nière lettre du 16 octobre 1986, que sa revendication du statut de réfugié ferait l'objet d'une étude.
La revendication du requérant n'a pas été étudiée suite à la décision de l'intimé en date du 16 octobre 1986.
Je suis convaincu que le requérant a été induit en erreur par les renseignements erronés que lui ont transmis les représen- tants de l'intimé, ce qui l'a sans doute incité à se désister de son appel devant la Commission d'appel de l'immigration.
Lorsqu'il a informé le requérant de son admissibilité éven- tuelle au programme, l'intimé savait qu'une ordonnance d'ex- pulsion valide avait été prononcée contre le requérant le 19 juillet 1985.
Dans ces circonstances, il serait injuste de ne pas étudier la revendication du requérant.
J'accueille donc la demande de certiorari, j'annule la décision de l'intimé en date du 16 octobre 1986 et déclare que le requérant a droit à ce que sa demande du statut de réfugié en vertu de la Convention déposée le 20 juin 1986 soit examinée de la même façon que toute autre revendication du statut de réfugié présentée au cours d'une enquête.
Je ne veux pas qu'on déduise de la présente décision que je crois que le requérant est un réfugié. Je n'ai aucunement réfléchi à cette question. Il incombe à l'intimé de prendre cette décision, conformément à la loi et aux règlements.
Le requérant a droit aux dépens.
Je n'ai pas l'intention de m'attarder sur la pre- mière partie de l'ordonnance, celle annulant l'indi- cation contenue dans la lettre du 16 octobre 1986 à l'effet que l'intimé n'était pas éligible au pro gramme spécial. Il est clair que rien n'autorisait le juge de conclure comme il l'a fait. D'abord, il n'y avait pas de décision puisqu'il s'agissait stricte- ment d'une information quant à une prescription du Règlement et sa conséquence inévitable sur la demande de l'intimé. Mais même si on y voit une décision pouvant faire l'objet de certiorari, il n'y a rien qui puisse porter atteinte à sa validité. Quant à son contenu, il est admis que l'intimé n'a pas réclamé le statut de réfugié au cours d'une enquête, et, quant à la façon elle a été rendue, il n'y a évidemment rien à redire, aucune question d'équité procédurale n'ayant d'ailleurs été suggé- rée. Le juge parle bien d'équité, mais dans un sens différent qui n'entre pas dans les principes applica- bles au niveau du contrôle de la légalité des actes de l'administration. Au reste, cette première partie de la décision est en complet désaccord avec la seconde il est déclaré que l'intimé a droit de voir sa réclamation du statut de réfugié considérée, non dans le cadre du Règlement spécial, mais de la façon ordinaire prévue par la Loi.
C'est la seconde partie de l'ordonnance que le procureur de l'intimé s'est employé à défendre. À son avis, le juge avait eu raison de faire appel à l'iniquité de la situation et à réagir comme il l'avait fait. Le cas, en effet, en était un où, d'après lui, s'appliquait directement la nouvelle doctrine dite de «l'espérance ou de l'attente légitime» «legi- timate expectation» en vertu de laquelle l'Adminis- tration pouvait être forcée de respecter ses propres représentations. Et le procureur naturellement se référa aux deux causes anglaises la doctrine aurait été le plus clairement énoncée, celles de Reg. v. Secretary of State for the Home Depart ment, Ex parte Asif Mahmood Khan, [ 1984] 1 W.L.R. 1337 (C.A.) et Attorney -General of Hong Kong v. Ng Yuen Shiu, [ 1983] 2 A.C. 629 (P.C.), auxquelles il ajouta celle de la Cour d'appel du Québec dans Sous-ministre du Revenu du Québec c. Transport Lessard (1976) Ltée, [1985] R.D.J. 502.
Je ne suis pas d'accord.
Peut-être y a-t-il lieu pour les tribunaux cana- diens de suivre les tribunaux anglais et d'accepter
cette dernière extension du domaine d'application du contrôle judiciaire des actes de l'Administra- tion. Cette doctrine de la «legitimate expectation», qui tire son nom, on le sait, des propos de lord Denning dans Schmidt v. Secretary of State for Home Affairs, [1969] 2 Ch. 149 (C.A.), à la page 170, et que la Chambre des lords semble avoir définitivement incorporée au droit anglais dans son arrêt Council of Civil Service Unions v. Minister
for the Civil Service, [1984] 3 All ER 935, la page 954, repose sur une idée fort solide. Personne ne contestera que, même en dehors de toute inci dence de mauvaise foi ou de déraisonnabilité fla- grante, il puisse y avoir des cas l'Administration ne devrait pas être admise à se dédire au détriment de l'administré qui s'est fié à sa parole et a agi en conséquence. On peut songer à une sorte d'applica- tion, en matière administrative, de l'estoppel de la common law, étant donné la représentation d'une part et la réaction de confiance et de fiabilité d'autre part, le tout sous la bannière de l'équité'. Encore que, étant en droit public, l'idée doit natu- rellement être confinée dans des limites compati bles avec les exigences de l'ordre public. Et c'est pourquoi les juges anglais ont pris soin de limiter la nouvelle doctrine à certains aspects de l'action administrative et de soumettre son application à des conditions précises. Or, ma compréhension de ces limites et de ces conditions me conduit à penser que la doctrine n'a pas sa place dans un contexte factuel comme celui qui se présente ici.
D'abord, je ne sache pas qu'on n'ait jamais prétendu appliquer cette doctrine de la «legitimate expectation» en dehors du domaine procédural. C'est au niveau du processus en vue de l'exercice de la discrétion attribuée à l'autorité administra tive que la doctrine peut jouer. Or, le problème ici n'est pas à ce niveau: forcer la considération d'une réclamation du statut de réfugié faite de façon non conforme aux prescriptions de la Loi n'est pas du domaine procédural. D'autre part, il ne s'agit pas, pour le ministre, de l'exercice d'une simple discré- tion: le fait que la considération d'une réclamation de statut de réfugié faite hors enquête ne soit pas, à proprement parler, défendue par la Loi—et qu'on accepte parfois de s'y prêter, notamment
' N'est-ce pas en fait l'attitude qu'a déjà prise la Cour d'appel d'Ontario dans Re Multi -Malls Inc. et al. and Minister of Transportation and Communications et al. (1976), 73 D.L.R. (3d) 18.
dans les cas il n'y a pas d'enquête comme celui qui se présentait dans la cause Tonato, supra— n'implique pas pour autant que le ministre est libre de ne pas tenir compte des prescriptions de l'article 45.
Ensuite, il est certain—les jugements le répètent mais de toute façon il ne saurait en être autre- ment—que la doctrine n'est valable que dans le cas d'une promesse qui était, au moment elle a été faite, compatible avec les dispositions législatives existantes et est restée susceptible d'être respectée par l'autorité. Ici, non seulement il n'y a jamais eu de promesse, et non seulement une promesse en ce sens aurait été incompatible avec la Loi et son article 45; mais une telle promesse serait aujour- d'hui impossible à respecter. L'intimé est, en effet, sous le coup d'une ordonnance d'expulsion, et rien, dans la Loi, ne peut être utilisé pour en empêcher l'exécution: il serait illusoire de songer aux pou- voirs spéciaux du gouverneur-général sous le para- graphe 115(2) 4 car, dans une telle circonstance, ces pouvoirs sont sans portée, étant donné la teneur des articles 50, 51 et 52 de la Loi relativement à l'exécution des ordonnances d'expulsion'.
Enfin, même en restant sur le pur plan des faits, peut-on parler sérieusement d'espérance raisonna- ble ou d'attente légitime? J'ai pris la peine de citer plus haut la lettre du 17 juin que l'intimé s'est fait remettre, au bureau d'immigration, après avoir connu l'existence du projet spécial, et sur laquelle il a complété ce qu'on pourrait appeler la formule de demande de participation. Je ne puis penser qu'à la lecture de cette lettre et surtout de son premier paragraphe, l'intimé pouvait manquer de réaliser que le projet ne s'adressait pas à quelqu'un dans sa situation; qu'il s'adressait exclusivement à ceux qui avaient déjà réclamé le statut de réfugié au cours de l'enquête tenue à leur sujet ou à ceux
4 Le texte est le suivant:
115....
(2) Lorsqu'il est convaincu qu'une personne devrait être dispensée de tout règlement établi en vertu du paragraphe (1) ou que son admission devrait être facilitée pour des motifs de politique générale ou des considérations d'ordre humanitaire, le gouverneur en conseil peut, par règlement, dispenser cette personne du règlement en question ou autrement faciliter son admission.
5 Voir: Persad c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Im- migration), Cour d'appel fédérale, dossier numéro A-140-83, jugement du 18 octobre 1983, non publié.
qui attendaient toujours la tenue de leur enquête et partant n'avaient pas pu encore faire leur réclama- tion. Et cela étant, l'intimé ne pouvait pas éviter de replacer dans son contexte le paragraphe final de la lettre du 16 octobre au lieu de s'y laisser tromper.
Ainsi, ma conclusion est que la décision du savant juge de première instance est aussi peu fondée quant à sa seconde partie que quant à sa première.
Je maintiendrais donc l'appel, casserais la déci- sion de première instance, et rejetterais la requête en certiorari et autres recours de l'intimé, avec dépens des deux cours.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN, J.C.A.: Appel est interjeté du jugement par lequel le juge Teitelbaum a, en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédéra- le 6 , accordé une réparation à l'intimé.
L'intimé est citoyen algérien. En 1985, il était résident de France. Il a obtenu à Paris un visa de visiteur canadien. Il est arrivé au Canada le 10 juin 1985. Au point d'entrée Mirabel, un agent d'immigration a estimé qu'il n'était pas un vérita- ble visiteur, et il a établi un rapport en ce sens sous le régime du paragraphe 20(1) de la Loi sur l'immigration de I976'. Il s'en est suivi une enquête à la conclusion de laquelle une ordonnance d'exclusion a été rendue le 19 juillet 1985. L'in- timé n'a nullement revendiqué le statut du réfugié avant cette date.
L'intimé a interjeté appel de l'ordonnance d'ex- clusion devant la Commission d'appel de l'immi- gration, comme le lui permettait l'alinéa 72(2)b), mais il a abandonné cet appel environ un an plus tard, soit le 4 juillet 1986.
6 L.R.C. (1985), chap. F-7.
' S.C. 1976-77, chap. 52, modifié. Puisque tous les faits de l'espèce présente se rapportent à une période antérieure à la date d'entrée en vigueur des Lois révisées du Canada (1985), ou aux dates d'entrée en vigueur des chapitres 35 et 36 des Statuts du Canada 1988, les renvois sont des renvois à la Loi sur l'immigration de 1976, dans sa version antérieure à ces dates.
Entre-temps, en raison, semble-t-il, d'une confu sion, l'intimé avait reçu l'avis qu'il pourrait être admissible au Programme de révision administra tive en vertu du Règlement sur l'arriéré des reven- dications du statut de réfugié". Cet avis a pris la forme d'une lettre sur papier à correspondance officielle (Dossier d'appel, page 239). Le dossier est entièrement muet sur la façon dont cette lettre est parvenue à l'intimé, et le juge de première instance n'a tiré aucune conclusion sur ce point. Les avocats n'en ont pas non plus parlé. Certes, il n'y a rien qui permette de conclure que l'intimé s'était lui-même, d'une manière ou d'une autre, arrangé pour qu'on la lui donne. En fait, compte tenu de l'absence d'éléments de preuve, toute con clusion quant à la façon dont cette lettre a été transmise (autrement, peut-être, que par la voie postale normale) est simplement spéculative. En tout état de cause, l'avis donné dans la lettre était faux, et il a donné lieu au dépôt par l'intimé d'une revendication du statut de réfugié le 20 juin 1986. Le 16 octobre 1986, on l'a informé par écrit, avec raison, d'ailleurs, qu'il n'était pas admissible à la révision administrative parce qu'il n'avait pas revendiqué le statut de réfugié antérieurement à la fin de son enquête. La lettre l'informant de cette décision se termine par le paragraphe suivant:
Par conséquent, vous ne pouvez soumettre de demande de résidence permanente au Canada dans le cadre de la révision administrative et votre demande de statut de réfugié suivra son cours normal. (Dossier d'appel, page 4) [C'est moi qui souligne.]
Peu de temps après, lorsqu'il est devenu évident que l'appelant se proposait d'expulser l'intimé du Canada sans examiner davantage sa revendication du statut de réfugié, on a saisi la Section de première instance des présentes procédures.
L'ordonnance faisant l'objet de l'appel est ainsi rédigée:
Pour les motifs énoncés dans les Motifs de l'ordonnance, la demande de certiorari est par les présentes accordée, annulant la décision du 16 octobre 1986 rendue par l'intimé, le ministre de l'Emploi et de l'Immigration. Il est en outre ordonné que le requérant ait droit à ce que sa demande du statut de réfugié en vertu de la Convention déposée le 20 juin 1986 soit examinée de la même façon que toute autre revendication du statut de réfugié présentée au cours d'une enquête, le tout avec dépens en faveur du requérant. (Dossier d'appel, page 242.)
" DORS/86-701, 26 juin 1986.
Comme on peut le voir, cette ordonnance porte sur deux questions tout à fait distinctes, quoique connexes. La première partie vise à infirmer la décision du 16 octobre 1986 qui a refusé à l'intimé l'accès au Programme de révision administrative. La deuxième partie enjoint au ministre d'examiner la demande de statut de réfugié comme si elle avait été «présentée au cours d'une enquête».
À mon avis, la première partie de cette ordon- nance ne saurait, à l'évidence, tenir. L'avocat de l'intimé a pratiquement concédé ce point. La «déci- sion du 16 octobre 1986» portait que l'intimé ne réunissait pas les conditions prévues au Règlement sur l'arriéré des revendications du statut de réfu- gié. Dans cette décision, il s'agissait, non pas d'une simple question de procédure, mais des droits de fond de l'intimé de devenir un résident permanent en vertu de ce Règlement. Elle était, à l'évidence, bien fondée, comme on peut le voir dans l'alinéa c) de la définition de «revendicateur» figurant à l'arti- cle 2, qui fait état d'une personne qui a:
2....
c) elle a indiqué, au plus tard le 20 juin 1986, à un agent d'immigration ou à un arbitre, avant la fin d'une enquête concernant son statut au Canada, son intention de revendi- quer le statut de réfugié; (C'est moi qui souligne.)
Puisque l'intimé ne remplissait pas les conditions de revendicateur, la décision de lui refuser les avantages de ce programme était la seule que l'appelant pût rendre. Avec tout le respect que je lui dois, le juge de première instance a eu tort de l'annuler.
La seconde partie de l'ordonnance du juge de première instance soulève des difficultés d'un caractère très différent. La revendication du statut de réfugié, faite par l'intimé le 20 juin 1986, ne remplissait évidemment pas les conditions posées par le paragraphe 45(1), qui porte seulement sur les revendications faites «au cours» d'«une enquête». La procédure de reconnaissance et de réexamen de ces revendications prévue aux articles 45, 70 et 71 [mod. par S.C. 1986, chap. 13, art. 5] ne s'applique donc nullement en l'espèce.
Il reste toutefois que le ministre appelant a accepté que l'intimé soit un revendicateur du statut de réfugié: la formule de revendication datée du 20 juin 1986 est fournie par le ministre et contresignée par un agent d'immigration (Dossier d'appel, page 236); un autre document provenant
du ministre, apparemment daté du 15 septembre 1986, décrit l'intimé comme une personne qui:
a revendiqué le statut de réfugié au Canada. (Dossier d'appel, pages 7 et 236.)
J'ai déjà cité le paragraphe final de la lettre du 16 octobre 1986 disant que la demande de statut de réfugié de l'intimé «suivra son cours normal» 9 .
Malgré tout cela, le ministre a refusé d'exami- ner la revendication du statut de réfugié de l'in- timé, et encore moins d'y répondre. Le juge de première instance a statué que, en agissant de la sorte, le ministre n'avait pas agi équitablement. Je suis du même avis.
La question de savoir si le ministre est générale- ment tenu d'examiner une revendication du statut de réfugié qui est faite en dehors du cadre prévu par l'article 45 ne se pose en l'espèce. Le fait est plutôt que, à tort ou à raison, le ministre exerce en fait le pouvoir d'examiner ces revendications et d'accorder le bénéfice du statut de réfugié bien indépendamment de la procédure de reconnais sance et de réexamen prévue dans la Loi. Trois exemples servent à illustrer ce point.
En premier lieu, la Loi dans son paragraphe 6(2) prévoit clairement l'admission au Canada de réfugiés au sens de la Convention, mais elle n'édicte aucune disposition précise visant la recon naissance du statut de ces personnes pendant qu'el- les se trouvent encore à l'extérieur du Canada. L'article 45 ne convient clairement pas à cette fin alors que le paragraphe 7(1) du Règlement sur l'immigration de l978 10 laisse entendre que le ministre a, en fait, établi un type de procédure permettant aux agents des visas à l'étranger de déterminer les personnes qui sont des réfugiés au sens de la Convention. Il en découle clairement que certaines personnes arrivent au Canada déjà dotées du statut de réfugié sans s'être jamais soumises à la procédure de reconnaissance prévue par la loi. En second lieu, l'avocate du ministre a reconnu
9 Le «cours normal» aurait, bien entendu, inclus, à l'époque, le droit d'avoir une audition (Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] I R.C.S. 177). Il convient de noter que, à l'époque de la lettre du 16 octobre, le ministre savait que l'intimé n'avait pas, juridiquement, un tel droit, puisqu'il n'avait pas déposé sa revendication à temps.
10 DORS/78-172, 24 février 1978.
que ce dernier avait, à l'occasion (elle a pris soin d'insister sur le fait qu'il ne s'agissait aucunement d'une question de routine ou de pratique cou- rante), examiné et accueilli des demandes de revendicateurs du statut de réfugié «autorisés de séjour», c'est-à-dire des revendications du statut de réfugié au sens de la Convention faites par des personnes qui se trouvaient à l'époque légalement au Canada et ne faisaient pas l'objet d'une enquête. Toute reconnaissance du statut de ces personnes comme réfugiés doit nécessairement sortir du cadre de l'article 45. En dernier lieu, dans au moins une affaire", il a réellement été ordonné au ministre d'examiner une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention faite par une personne qui, étant entrée au Canada par suite de la délivrance d'un permis du ministre sous le régime de l'article 37, était susceptible d'être expulsée sans enquête au moyen d'une ordonnance ministérielle; il est clair que cette personne ne pourrait jamais se prévaloir des premiers mots du paragraphe 45(1).
En conséquence, la situation de l'espèce est la suivante: l'intimé n'a pas revendiqué le statut de réfugié conformément à la procédure prévue dans la Loi, et il est maintenant trop tard pour le faire. D'autre part, l'intimé a déposé une revendication du statut de réfugié que le ministre a reconnue comme telle par écrit; ce dernier l'a informé que la revendication serait examinée. Le ministre a reconnu avoir examiné d'autres revendications du statut de réfugié faites en dehors du cadre de la procédure prévue dans la Loi, mais il refuse d'exa- miner celle de l'intimé.
À mon avis, les faits sont tels qu'il y a lieu d'appliquer la doctrine de l'équité pour exiger du ministre qu'il procède à l'examen de la revendica- tion de l'intimé avant de tenter de l'expulser du Canada.
Le principe applicable est parfois énoncé sous la rubrique «expectative raisonnable» ou «expectative légitime». Il a une importante histoire dans le droit administratif, et le Conseil privé l'a énoncé avec fermeté dans l'affaire Attorney -General of Hong
i' Voir Tonato c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [I985] 1 C.F. 925 (1"° inst.).
Kong v. Ng Yuen Shiu' 2 . Dans cette affaire, Ng était un immigrant illégal ayant gagné Hong Kong à partir de Macao comme plusieurs milliers d'au- tres. Le gouvernement a publiquement promis que chaque immigrant illégal aurait droit à une entre- vue, et que chaque cas serait traité selon ses propres faits. Malgré cela, Ng, dont le statut illégal n'était pas contesté, a fait l'objet d'une ordonnance d'expulsion sans avoir la possibilité d'expliquer pourquoi le pouvoir discrétionnaire devrait être exercé en sa faveur pour des raisons humanitaires et autres. Le Conseil privé a statué que, en agissant ainsi, les autorités ont rejeté les expectatives raisonnables de Ng fondées sur les propres déclarations du gouvernement. Lord Fraser of Tullybelton s'est exprimé en ces termes la page 638):
[TRADUCTION] . .. lorsqu'une autorité publique a promis de suivre une certaine procédure, l'intérêt d'une bonne administra tion exige qu'elle agisse équitablement et accomplisse sa pro- messe, pourvu que cet accomplissement n'empêche pas l'exer- cice de ses fonctions prévues par la loi. Le principe se trouve également justifié par l'autre idée que, lorsque la promesse a été faite, l'autorité doit avoir considéré que toutes observations de la part des parties intéressées l'aideraient à s'acquitter de ses fonctions équitablement et, règle générale, cela est exact.
Leurs Seigneuries estiment que le principe selon lequel une autorité publique est liée par ses engagements quant à la procédure qu'elle va suivre, pourvu qu'ils ne soient pas incom patibles avec ses fonctions, s'applique à l'engagement que le gouvernement de Hong Kong a donné au requérant, et à d'autres immigrants illégaux venant de Macao, lors de l'an- nonce faite à l'extérieur de la résidence du gouverneur le 28 octobre, savoir que chaque cas serait examiné selon ses propres faits.
À mon avis, le passage cité s'applique parfaite- ment à l'espèce. Le ministre a promis d'examiner la revendication du statut de réfugié de l'intimé. Certes, la loi ne prévoit pas expressément cet examen; mais rien ne l'interdit, et le ministre a, en fait, examiné d'autres revendications du statut de réfugié faites par des personnes qui ne pouvaient se prévaloir de la procédure légale. L'examen par le ministre de la revendication de l'intimé ne serait pas incompatible avec ses fonctions légales.
Il s'ensuit que, à mon avis, le juge de première instance a eu raison d'enjoindre au ministre d'exa- miner la demande de statut de réfugié.
12 119831 2 A.C. 629 (P.C.).
Il reste à trancher la question de la procédure. L'ordonnance du juge de première instance exige du ministre qu'il statue sur la demande comme si elle avait été déposée au cours d'une enquête. Avec déférence, j'estime cela ne convient pas entière- ment dans les circonstances. Il a définitivement été jugé que la procédure de reconnaissance des reven- dications du statut de réfugié prévue à l'article 45 ne satisfait pas aux exigences de la justice fondamentale "; il est remédié à ce défaut par l'audition qu'exige le paragraphe 71(1) comme faisant partie de la procédure de réexamen devant la Commission d'appel de l'immigration. La com- pétence de la Commission, provenant toutefois entièrement de la Loi, ne saurait découler de l'or- donnance du juge de première instance; cette ordonnance aurait donc pour conséquence que l'in- timé verrait sa revendication déterminée au moyen de la précodure inadéquate de l'article 45 sans pouvoir se prévaloir des remèdes apportés par les articles 70 et 71. En conséquence, j'estime qu'il est préférable de ne pas préciser la procédure que le ministre doit suivre pour statuer sur la revendica- tion du statut de réfugié de l'intimé, sauf à lui enjoindre de se conformer aux exigences de l'équité et de la justice fondamentale.
En conséquence, j'accueillerais l'appel en partie, j'infirmerais la première partie de l'ordonnance attaquée et je modifierais la seconde partie de manière à enjoindre au ministre de statuer sur la demande de statut de réfugié au sens de la Con vention formulée par l'intimé en tenant compte des règles d'équité et des principes de justice fonda- mentale. Je ne modifierais pas l'ordonnance quant aux dépens en première instance, et je ne rendrais pas d'ordonnance quant à l'adjudication des dépens en appel.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE DESJARDINS, J.C.A.: Peut-être une erreur administrative a-t-elle été commise en l'es- pèce: la lettre qui a été adressée à l'intimé le 16 octobre 1986 n'aurait pas être libellée comme elle l'a été. Il demeure cependant que l'intimé, qui était visé par une ordonnance d'exclusion pronon-
" Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion, supra.
cée le 19 juillet 1985, a reçu le 16 octobre 1986 une lettre du ministre qui lui était personnellement adressée et qui l'avisait de sa non-admissibilité à la révision administrative projetée en vertu du Règle- ment sur l'arriéré des revendications du statut de réfugié 14 , en ajoutant que:
... votre demande de statut de réfugié suivra son cours normal. (Dossier d'appel, à la page 4.)
Les mots «suivra son cours normal» faisant partie d'une formule type dans la lettre du 16 octobre 1986, ils n'ont peut-être jamais été utilisés pour désigner le pouvoir d'examen de la revendica- tion du statut de réfugié que le ministre peut exercer sous un autre régime que celui de la procédure établie à l'article 45 de la Loi sur l'immigration de 1976.
Mais comme ce pouvoir'du ministre existe, qu'il peut être exercé par celui-ci et n'est pas contraire à la Loi, je ne puis écarter la possibilité que cette lettre du 16 octobre 1986 puisse s'interpréter comme l'engagement que la revendication du statut de réfugié déposée par l'intimé le 20 juin 1986 serait examinée malgré l'ordonnance d'exclu- sion, puisque l'exercice d'un tel pouvoir permet- trait à la demande de l'intimé de suivre son cours normal dans les circonstances. En conséquence, je n'hésite pas à appliquer la doctrine de l'expectative légitime 15 aux faits de la présente espèce.
Je souscris aux motifs de jugement prononcés par le juge de la Cour d'appel Hugessen.
11 DORS/86-701, le 26 juin 1986.
15 À la jurisprudence citée par mes collègues, j'ajoute la jurisprudence et la doctrine suivantes: R v Secretary of State for the Home Dept, ex p Ruddock, [1987] 2 All ER 518 (Q.B.); Reg. v. Inland Revenue Comrs., Ex parte Preston, [1985] A.C. 835 (H.L.); Leech v. Deputy Governor of Park- hurst Prison, [1988] 2 W.L.R. 290 (H.L.), à la p. 306. Pour un examen approfondi de la jurisprudence relative à la doctrine de l'expectative légitime, voir: Robert E. Riggs, «Legitimate Expectation and Procedural Fairness in English Law,, (1988), 36 Am. J. Comp. L. 395. Pour une explication de cette doctrine, voir: C. F. Forsyth, «The Provenance and Protection of Legitimate Expectation», [1988] 47 C.L.J. 238; Brigid Had- field, ,Judicial Review and the Concept of Legitimate Expecta tion» (1988), 39 N.I.L.Q. 103. Voir également: Clive Lewis, «Fairness, Legitimate Expectations and Estoppel», (1986), 49 Modern L. Rev. 251.
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