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A-124-87
National Corn Growers Association (requérante)
c.
Tribunal canadien des importations (intimé)
A- I 27-87
St. Lawrence Starch Company Limited, et Casco Company, et Nacon Products Limited, et King Grain (1985) Limited (requérantes)
c.
Tribunal canadien des importations (intimé)
A-549-87
American Farm Bureau Federation (requérante)
c.
Tribunal canadien des importations (intimé)
RÉPERTORIÉ: NATIONAL CORN GROWERS Assoc. c. CANADA (TRIBUNAL DES IMPORTATIONS)
Cour d'appel, juge en chef Iacobucci et juges Mahoney et MacGuigan—Ottawa, 29 et 30 novembre et 22 décembre 1988.
Commerce extérieur Subventionnement du maïs-grain aux États-Unis Des droits compensateurs sont justifiés puisque les subventions visées causent ou sont susceptibles de causer un préjudice sensible à la production canadienne Indépendamment de la question de savoir si des importations de maïs ont eu lieu, la domination américaine des marchés mondiaux du maïs fait que les prix canadiens doivent être abaissés pour concurrencer les prix du maïs subventionné américain Bien que la Loi sur les mesures spéciales d'im- portation ait été adoptée pour mettre en application les obliga tions du GATT, la disposition législative interne (art. 42), qui est claire, doit prévaloir.
Droit international Traités reliés au GATT - Un État souverain a le droit de modifier sa politique même si cette modification entraîne la violation d'une convention internatio- nale Les dispositions non ambiguës de la loi interne qui sont contraires aux obligations prévues dans un traité doivent l'em- porter sur ces dernières.
En novembre 1986 et en février 1987, le sous-ministre du Revenu national pour les Douanes et l'Accise a rendu une décision provisoire, puis une décision définitive de subvention- nement relativement à l'importation au Canada de maïs-grain originaire ou exporté des États-Unis d'Amérique. En mars 1987, le Tribunal canadien des importations a conclu, dans une décision majoritaire rendue conformément au paragraphe 43(I ) de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, que le subventionnement des importations du maïs-grain avait causé, causait ou était susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires.
Il s'agit de demandes fondées sur l'article 28 qui sollicitent l'examen et l'annulation de la décision de ce tribunal au motif qu'il a commis une erreur en concluant que, pour les fins de l'article 42 de la Loi, il suffit d'établir que le préjudice sensible subi par les producteurs canadiens a été causé par le pro gramme de subventionnement du maïs américain. Les requé- rantes soutiennent essentiellement que cette interprétation n'est pas conforme aux obligations internationales contractées par le Canada en vertu du GATT et des traités qui lui sont connexes. Elles soumettent que, pour que les obligations internationales du Canada soient respectées, l'article 42 doit s'interpréter comme exigeant que l'on démontre que le préjudice sensible est causé par les importations subventionnées de maïs des États- Unis au Canada.
Arrêt (dissidence du juge MacGuigan): les demandes devraient être rejetées.
Le juge en chef lacobucci: Bien que la Loi ait pu être adoptée pour mettre en œuvre les obligations découlant d'un traité, les dispositions de ce traité ne devraient pas être substi- tuées aux termes et au sens des dispositions de l'article 42. Le Canada est un État souverain et, à ce titre, il a le droit de modifier sa politique, même si un tel changement implique la violation d'une obligation internationale. En l'espèce, l'article 42 est clair et non ambigu: il ne mentionne que le subventionne- ment de marchandises ou le subventionnement, et il ne dit aucunement que les importations subventionnées doivent être la cause d'un préjudice sensible subi par les producteurs. Il ne convient pas d'incorporer à la Loi des concepts tirés des accords ou traités internationaux qui la sous-tendent lorsque le Parle- ment a utilisé un langage clair et qu'il n'a pas expressément ordonné que l'on se réfère à ces accords internationaux.
Même si l'article 42 devait être interprété comme exigeant qu'il soit démontré que les importations subventionnées cau- saient un préjudice sensible aux producteurs canadiens de maïs, les éléments de preuve présentés au Tribunal lui permettaient de conclure qu'il existait effectivement un lien de causalité entre de telles importations et un tel préjudice. Considérant la domination des marchés mondiaux du maïs par les États-Unis, le Tribunal pouvait raisonnablement conclure que les prix moins élevés du maïs américain subventionné avaient appelé un rajustement des prix canadiens et que, à défaut d'une telle modification, le niveau des importations aurait été beaucoup plus élevé. Ces décisions constituaient en grande partie des conclusions de fait ou des inférences tirées à partir des faits, et cette Cour, statuant sur des demandes fondées sur l'article 28, a généralement été réticente à modifier de telles conclusions de tribunaux.
Le juge MacGuigan (dissident): Le Code des subventions et des droits compensateurs, auquel le Canada est devenu partie, établit clairement que le préjudice constaté par un signataire doit être causé par les importations subventionnées et non par le subventionnement lui-même. Sinon, aucun droit compensateur ne peut être imposé.
La Loi et le Code sont liés à tel point que celle-ci doit être considérée comme le mettant en œuvre et le réflétant. L'on doit donc présumer que le Parlement a eu l'intention que la Loi soit interprétée conformément au Code. Considéré dans son ensem ble, le paragraphe 42(1) ne peut être interprété comme disant de façon claire et non ambiguë que le préjudice visé ne doit pas obligatoirement être causé par les importations subventionnées.
En conséquence, dans la mesure la décision majoritaire du tribunal était tributaire d'une interprétation de la Loi contraire au Code, elle était entachée d'une erreur de droit.
Il ne pouvait non plus être soutenu que la décision de la majorité pouvait être maintenue pour des motifs compatibles avec les obligations internationales du Canada. Le Code exige clairement l'existence d'un lien direct entre les importations subventionnées et le préjudice sensible, et aucune augmentation importante des importations n'a eu lieu. En ce qui concerne l'avenir, l'analyse de la majorité du Tribunal (selon laquelle les importations auraient sûrement été beaucoup plus considéra- bles) ne satisfaisait pas au critère de la conjecture raisonnable fondée sur les faits et des prévisions raisonnables. Elle n'était rien d'autre qu'une affirmation téméraire.
La majorité a rejeté les arguments visant à établir que la situation des producteurs canadiens résultait de la dépression causée par les conditions mondiales plutôt que des importations subventionnées. Elle a conclu que les parties ayant fait valoir de tels arguments ne s'étaient pas acquittées du fardeau de la preuve. Ainsi le fardeau de la preuve a-t-il été transféré des parties soutenant qu'un préjudice sensible était susceptible d'être causé aux parties prétendant le contraire. Cette manière d'agir était contraire au paragraphe 42(1), qui impose le far- deau de la preuve à ceux qui allèguent l'existence d'un préju- dice sensible.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, 30 octobre 1947, [1948] R.T. Can. 31, art. VI, XVI, XXIII.
Accord relatif à l'interprétation et à l'application des articles VI, XVI et XXIII du GATT, [1980] R.T. Can. 42, art. 1, 2, 4, 6, 9, 1 1, 16, 19.
Conventions en matière d'impôt sur le revenu (1980), S.C. 1980-81-82-83, chap. 44.
Food Security Act of 1985, Pub. L. No. 99-198, Stat. 99 (1985).
Loi antidumping, S.R.C. 1970, chap. A-15 (abrogé par S.C. 1984, chap. 25, art. 110).
Loi de 1984 sur la Convention Canada-États-Unis en matière d'impôts, S.C. 1984, chap. 20, art. 3(2).
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10, art. 28.
Loi sur les mesures spéciales d'importation, S.C. 1984, chap. 25, art. 2(1),(5), 3, 4, 5, 6, 7, 42, 43.
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 2(2), 3g).
Tarif des douanes, S.R.C. 1970. chap. C-41.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Salomon v. Comrs. of Customs and Excise, [ 1966] 3 All E.R. 871 (C.A.); Post Office v. Estuary Radio Ltd., [1968] 2 Q.B. 740 (C.A.); Regina v. Secretary of State for the Home Department, [1976] 1 Q.B. 198 (C.A.); Schavernoch c. Commission des réclamations étrangères et autres, [1982] 1 R.C.S. 1092; Sarco Canada Limited c. Tribunal antidumping, [1979] 1 C.F. 247 (C.A.);
Japan Electrical Manufacturers Association c. Tribunal antidumping, [1982] 2 C.F. 816 (C.A.).
DÉCISIONS MENTIONNÉES:
Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion, [1985] 1 R.C.S. 177; Lor-Wes Contracting Ltd. c. La Reine, [1986] I C.F. 346; (1985), 60 N.R. 321 (C.A.); Cashin c. Société Radio-Canada, [1988] 3 C.F. 494 (C.A.); Canada Packers Inc. c. Canada (Ministre de l'Agriculture), [1988] 1 C.F. 47 (C.A.); Nova, An Alberta Corporation c. Ministre du Revenu national (1988), 87 N.R. 101; (1988), 20 F.T.R. 240 (C.A.F.).
AUTEURS
Canada, Débats de la Chambre des communes, Sess., 32° Parl. 33 Eliz. II, 1984, la page 3968.
Canada, Chambre des communes, Comité permanent des Finances, du commerce et des questions économiques, Procès-verbaux et témoignages, fasc. 22 (le 29 mai 1984), la page 6.
Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed. Toronto: Butterworths, 1983.
AVOCATS:
John T. Morin, c.r. et Robert W. Staley pour la American Farm Bureau Federation. Dianne Nicholas pour le Tribunal canadien des importations.
John D. Richard, c.r. pour la National Corn Growers Association.
Richard S. Gottlieb et Darrel H. Pearson pour St. Lawrence Starch Co. Ltd. et autres. Gordon B. Greenwood pour la Division de la Colombie-Britannique de l'Association cana- dienne des industries de l'alimentation ani- male.
C. J. Michael Flavell et Geoffrey C. Kubrick pour la Ontario Corn Producers Association.
PROCUREURS:
Campbell, Godfrey & Lewtas, Toronto, pour la American Farm Bureau Federation. Soloway, Wright, Houston, Greenberg, O'Grady, Morin, Ottawa, pour le Tribunal canadien des importations.
Lang Michener Lash Johnston, Ottawa, pour la National Corn Growers Association. Gottlieb, Kaylor & Stocks, Montréal, pour St. Lawrence Starch Co. Ltd. et autres.
McMaster, Meighen, Ottawa, pour la Divi sion de la Colombie-Britannique de l'Associa- tion canadienne des industries de l'alimenta- tion animale.
Clarkson, Tétrault, Montréal, pour la Onta- rio Corn Producers Association.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF IACOBUCCI: Nous sommes saisis de trois demandes distinctes fondées sur l'article 28 [Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10] qui nous sont présentées par les requérants suivants: la National Corn Growers Association, l'American Farm Bureau Federation (ces organismes représentent tous deux des pro- ducteurs et des fermiers cultivant le maïs aux États-Unis), et un groupe de sociétés canadiennes qui utilisent le maïs-grain: Casco Company, St. Lawrence Starch Company Limited, Nacon Pro ducts Limited, et King Grain (1985) Limited. Toutes ces demandes, qui ont été entendues en même temps', concernent une décision du Tribu nal canadien des importations (le «Tribunal») trai- tant du maïs-grain subventionné en provenance des États-Unis. La plaignante devant le Tribunal, l'Ontario Corn Producers' Association, a reçu l'ap- pui de la Manitoba Corn Growers Association Inc. et de la Fédération des producteurs de cultures commerciales du Québec; tous ces organismes ont agi en qualité d'intervenants devant cette Cour et y ont été représentés par les mêmes avocats.
Les présentes demandes sollicitent l'annulation de la décision du Tribunal en date du 6 mars 1987 ayant trait à une enquête tenue conformément à l'article 42 de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, S.C. 1984, chap. 25 (la «Loi»), au sujet du maïs-grain subventionné sous toutes ses formes, à l'exception du maïs de semence, du maïs sucré et du maïs à éclater, originaire ou exporté des États-Unis d'Amérique. La division de la Colombie-Britannique de l'Association canadienne des industries de l'alimentation animale, la British Colombia Turkey Association et la B.C. Chicken Growers Association ont également été représen-
' Une ordonnance du juge Marceau en date du 20 juillet 1988 a ordonné que les trois demandes fondées sur l'article 28 A-124-87, A-127-87 et A-549-87 soient entendues ensemble au motif qu'elles avaient trait à la même décision du Tribunal canadien des importations.
tées conjointement par des avocats qui ont soutenu que, quelle que soit la décision de la Cour dans la présente affaire, l'exclusion du maïs importé au Canada pour être consommé dans la province de la Colombie-Britannique de la conclusion du Tribu nal qu'il y avait préjudice serait maintenue. La majorité de la formation du Tribunal saisie de la question a conclu que, outre certaines exclusions et exceptions, les importations faites au Canada de maïs-grain en provenance des États-Unis ont causé, causent et sont susceptibles de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires et qu'en conséquence, les droits compensateurs ordonnés par le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise en vertu de la Loi étaient justifiés'. Le membre dissi dent du Tribunal a considéré que les circonstances ne justifiaient pas l'imposition de droits compensa- teurs.
La question principale soulevée dans les présen- tes demandes est, quant à ses parties essentielles, une question d'interprétation de l'article 42 (et des dispositions s'y trouvant reliées) de la Loi, dont les passages pertinents sont ainsi libellés:
42. (1) Dès réception par le secrétaire de l'avis de décision provisoire de dumping ou de subventionnement prévu au para- graphe 38(2), le Tribunal fait enquête sur celles parmi les questions suivantes qui sont indiquées dans les circonstances, à savoir:
a) si le dumping des marchandises en cause ou leur subventionnement:
(i) soit cause, a causé ou est susceptible de causer un préjudice sensible, soit cause ou a causé un retard sensible,
(ii) soit aurait causé un préjudice sensible ou un retard sensible sans l'application de droits provisoires aux marchandises;
Le Tribunal, en appliquant l'article 42, a conclu que le programme de subventions américain, dans ses dispositions ayant trait au maïs, causait un préjudice sensible aux producteurs de maïs cana- dien. Les requérantes ont prétendu que la forma tion concernée du Tribunal avait rendu une déci- sion erronée et pour plusieurs motifs.
Les requérantes ont prétendu que la décision portée en appel procède d'une interprétation fon
t Une décision provisoire de subventionnement a été rendue par le sous-ministre conformément au paragraphe 38(1) de la Loi voir le Dossier d'appel, à la p. 1. En vertu du paragraphe 42(1) de la Loi, le Tribunal est tenu de faire enquête lorsque le sous-ministre a rendu une décision provisoire.
damentale erronée de l'article 42 de la Loi. En termes simples, les requérantes ont prétendu que l'article 42 devrait être interprété comme exigeant qu'il soit démontré que le préjudice sensible subi par les producteurs de maïs canadien était causé non par le programme de subventions américain visant le maïs mais par les importations subven- tionnées de maïs des États-Unis au Canada. A l'appui de cet argument, les requérantes ont pré- senté plusieurs prétentions, dont les principales peuvent être résumées brièvement de la manière suivante':
(1) Les requérantes ont prétendu que la Loi avait été adoptée conformément à l'engagement du Canada d'édicter des dispositions législatives com patibles avec les Accords du Tokyo Round, des accords relatifs à l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (le «GATT»), et en parti- culier d'adopter des dispositions législatives com patibles avec les dispositions sur les subventions et les droits compensateurs de l'accord signé par le Canada le 17 décembre 1979 Genève (Suisse) qui porte le titre d'Accord relatif à l'interprétation et à l'application des articles VI, XVI et XXIII du GATT [[1980] R.T. Can. 42] (nous désignerons parfois cet accord sous le nom d'«Accord sur les subventions et les droits compensateurs»);
(2) Les déclarations faites devant la Chambre des communes par le ministre qui a présenté la Loi, et les déclarations d'un haut fonctionnaire du gouver- nement ayant témoigné devant le comité de la Chambre des communes chargé d'étudier le projet de loi déposé à cet égard, attestent que telle était l'intention et l'objet ayant présidé à l'adoption de cette Loi 4 ; les nombreuses références à l'Accord sur les subventions et les droits compensateurs
'Pour des fins de commodité, toutes les prétentions des requérantes ont été groupées. En conséquence, lorsque je parle des prétentions des requérantes, je ne veux pas dire que cha- cune des requérantes a expressément adopté chaque prétention des autres requérantes.
° Dans la déclaration du ministre d'État (Finances) de l'épo- que, l'honorable Roy MacLaren, qui figure dans Canada, Débats de la Chambre des communes, 2' Sess., 32' Parl. 33
Éliz. II, 1984, la p. 3968 dit que le but des modifications législatives proposées est de donner au gouvernement canadien le pouvoir nécessaire pour profiter encore plus des droits déte- nus par le Canada en vertu du GATT et de l'Accord sur les subventions et les droits compensateurs. Les observations de M. R. J. Martin, du ministère. des Finances, figurent à Canada, Chambre des communes, Comité permanent des Finances, du commerce et des r questions économiques, Procès-verbaux et témoignages, fasc. 22, (le 29 mai 1984), à la p. 6.
figurant dans la Loi devraient également être interprétées dans ce sens 5 ;
(3) Une Cour est en droit de présumer que le Parlement, en adoptant des dispositions législatives visant la mise en oeuvre d'un traité auquel le Canada est partie, avait l'intention de se confor- mer aux obligations prévues dans ce traité 6 ;
(4) Dans l'interprétation de dispositions législati- ves internes qui, comme la Loi, ont été adoptées pour mettre en oeuvre un traité, une cour a le droit de se référer au traité ou à l'accord international applicable pour clarifier les dispositions législatives concernées lorsque celles-ci contiennent des ambi- guïtés ou sont libellées d'une façon qui n'est pas claire; or, l'article 42 n'étant pas libellé clairement en ce qui a trait aux marchandises subventionnées, le recours aux dispositions de l'accord internatio nal visé était approprié pour clarifier la question';
(5) L'examen des nombreuses dispositions du GATT et de l'Accord sur les subventions et les droits compensateurs révélait clairement que le préjudice sensible subi par les producteurs natio- naux de maïs devait être causé par les importations subventionnées des marchandises visées 8 de sorte que l'expression «subventionnement [des marchan-
5 Voir, par exemple: la définition du mot «Accord» figurant au paragraphe 2(1) de la Loi; le paragraphe 2(5); l'alinéa 42(3)b), dont il est discuté plus loin. Voir également l'article 7 de la Loi, qui mentionne le Comité des signataires constitué aux termes de l'Article 16 de l'Accord sur les subventions et les droits compensateurs.
6 Salomon v. Comrs. of Customs and Excise, [ 1966] 3 All E.R. 871 (C.A.).
7 Ibid.
8 Voir, par exemple, les dispositions suivantes de l'Accord sur les subventions et les droits compensateurs (les notes de bas de page sont omises):
Article premier
Principes
Les signataires prendront toutes les mesures nécessaires pour que l'institution d'un droit compensateur à l'égard de tout produit du territoire d'un signataire qui serait importé sur le territoire d'un autre signataire soit conforme aux dispositions de l'article VI de l'Accord général et aux termes du présent accord.
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Article 2
Détermination de l'existence d'un dumping
I. Il ne pourra être institué de droits compensateurs qu'à la suite d'enquêtes ouvertes et menées en conformité des dispositions du présent article. Une enquête visant à détermi- ner l'existence, le degré et l'effet de toute subvention préten- due sera normalement ouverte sur demande présentée par écrit par la branche de production affectée ou en son nom. La demande devra comporter des éléments de preuve suffi- sants de l'existence a) d'une subvention et, si possible, de son montant, b) d'un préjudice au sens l'entend l'article VI de l'Accord général, tel qu'il est interprété par le présent accord et c) d'un lien de causalité entre les importations subvention- nées et le préjudice prétendu.
4. Dès l'ouverture d'une enquête et par la suite, les élé- ments de preuve relatifs à la fois à la subvention et au préjudice qui en résulte devraient être examinés simultané- ment. En tout état de cause, les éléments de preuve relatifs à l'existence d'une subvention ainsi que d'un préjudice seront examinés simultanément a) pour décider si une enquête sera ouverte ou non, et b) par la suite, pendant l'enquête, à compter d'une date qui ne sera pas postérieure au premier jour où, conformément aux dispositions du présent accord, des mesures provisoires peuvent être appliquées.
Article 4
Définition de l'expression .branche de production»
4. Si, après que des efforts raisonnables auront été déployés pour mener des consultations à leur terme, un signataire, en détermination finale, conclut en établissant l'existence et le montant de la subvention, et qu'en raison des effets de la subvention, les importations subventionnées cau- sent un préjudice, il pourra instituer un droit compensateur conformément aux dispositions du présent article, à moins que la subvention ne soit retirée.
Article 6
Éléments de preuve
I. La détermination de l'existence d'un préjudice aux fins de l'article VI de l'Accord général comportera un examen objectif a) du volume des importations subventionnées et de leur effet sur les prix des produits similaires sur le marché intérieur, et b) de l'incidence de ces importations sur les producteurs nationaux de ces produits.
2. Pour ce qui concerne le volume des importations sub- ventionnées, les autorités chargées de l'enquête examineront s'il y a eu augmentation importante des importations subven- tionnées, soit en quantité absolue, soit par rapport à la production ou à la consommation du signataire importateur. Pour ce qui concerne l'effet des importations subventionnées sur les prix, les autorités chargées de l'enquête examineront s'il y a eu, dans les importations subventionnées, sous-cota- tion importante du prix par rapport au prix d'un produit similaire du signataire importateur, ou si ces importations ont d'autre manière pour effet de déprimer les prix de façon importante ou d'empêcher de façon importante des hausses
(Suite à la page suivante)
dises],> à l'article 42 devrait être interprétée comme désignant les importations subventionnées; ainsi donc, la conclusion de la majorité du Tribu nal, n'adoptant pas cette interprétation de l'article 42, serait entachée d'une erreur de droit et devrait être annulée 9 .
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de prix qui, sans cela, se seraient produites. Un seul ni même plusieurs de ces éléments ne constitueront pas nécessairement une base de jugement déterminante.
3. L'examen de l'incidence sur la branche de production nationale concernée comportera une évaluation de tous les éléments et indices économiques pertinents qui influent sur la situation de cette branche, tels que: diminution effective ou potentielle de la production, des ventes, de la part de mar- chés, des bénéfices, de la productivité, du rendement des investissements ou de l'utilisation des capacités; éléments qui influent sur les prix intérieurs; effets négatifs, effectifs ou potentiels, sur le flux de liquidités, les stocks, l'emploi, les salaires, la croissance, la possibilité de se procurer des capi- taux ou l'investissement et, s'agissant de l'agriculture, point de savoir s'il y a eu accroissement de la charge qui pèse sur les programmes gouvernementaux de soutien. Cette liste n'est pas exhaustive, et un seul ni même plusieurs de ces éléments ne constitueront pas nécessairement une base de jugement déterminante.
4. Il doit être démontré que les importations subvention- nées causent, par les effets de la subvention, un préjudice au sens l'entend le présent accord. Il pourra y avoir d'autres éléments qui, au même moment, causent un préjudice à la branche de production nationale, et les préjudices causés par ces autres éléments ne doivent pas être imputés aux importa tions subventionnée. [Je souligne.]
Voir également l'article 19, qui interdit aux parties de pren- dre des mesures contre les subventions autrement qu'en conformité avec le GATT tel qu'il est interprété par l'Accord sur les subventions et les droits compensateurs.
9 Les requérantes ont également fait référence aux disposi tions des lois des États-Unis et de la Communauté économique européene qui, à leur point de vue, ont été rédigés spécifique- ment pour refléter les engagements pris dans les traités interna- tionaux à l'égard des subventions et des droits compensateurs. Les requérantes ont également soutenu que la décision de la majorité du Tribunal conduirait à une application fautive du redressement compensateur qui équivaudrait à l'adoption par le Canada de mesures de représailles irrégulières contre des pro grammes de subventionnement légitimes établis par les États- Unis en conformité avec les exceptions relatives aux subven- tions qui sont expressément envisagées sous le régime du GATT. Les requérantes ont également déclaré que, dans l'hypothèse des intérêts canadiens auraient subi quelque préjudice dans les circonstances actuelles, le Canada disposait d'autres recours que celui de l'imposition de droits compensateurs; par exemple, le gouvernement canadien pouvait avoir recours aux disposi tions de la Loi sur le Tarif des douanes [S.R.C. 1970, chap. C-41].
L'avocat des intervenants, qui représentait les producteurs de maïs canadiens, a soutenu que l'article 42 de la Loi ne mentionne aucunement les importations mais parle simplement des marchan- dises subventionnées. Comme le sens de cet article ressort clairement de son libellé, point n'est besoin d'avoir recours aux traités relatifs au GATT qui le sous-tendent pour l'interpréter. De plus, le Parle- ment exprime la volonté souveraine du Canada et, peut mettre en œuvre les traités comme bon lui semble; et s'il ne respecte pas alors les obligations internationales qui sous-tendent la législation adoptée, d'autres actes de procédures ou d'autres instances offrent un recours approprié 10 . En consé- quence, lorsque la Loi utilise un vocabulaire et des expressions ayant un sens différent de ceux du traité, le tribunal est tenu d'appliquer les termes de la Loi comme constituant la loi du pays. La majo- rité du Tribunal n'a donc commis aucune erreur de droit ou de compétence, et les demandes devraient être rejetées.
L'avocat des intervenants a également avancé, principalement dans son argumentation orale, un argument subsidiaire voulant que, même en admettant que l'article 42 de la Loi doive s'inter- préter suivant les prétentions des requérantes, la majorité du Tribunal a décidé, en se fondant sur les éléments de preuve qu'elle a examinés et les conclusions qu'elle a prises à leur sujet, que les importations subventionnées pouvaient être consi- dérées comme la cause d'un préjudice sensible subi par les producteurs de maïs canadien de sorte que, encore, aucune erreur susceptible de révision n'a été commise par le Tribunal".
MOTIFS DU REJET DES DEMANDES
À mon avis, la majorité du Tribunal n'a pas commis d'erreur de droit ou de compétence au sens de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale et, en conséquence, les demandes en l'espèce devraient être rejetées.
Voir les propos tenus par le lord juge Diplock dans l'arrêt Salomon v. Comm. of Customs and Excise, plus loin, à la note 15.
11 Cet argument subsidiaire, qui s'appuyait sur plusieurs déclarations et conclusions tirées des motifs de la majorité, sera discuté plus loin.
Bien que la Loi ne comporte aucune clause ou préambule énonçant expressément l'objet pour lequel elle a été adoptée, j'accepte la proposition que la Loi a été adoptée pour mettre en oeuvre les obligations internationales du Canada découlant des accords du Tokyo Round du GATT, en particu- lier celles touchant le dumping et les subventions. En prenant cette conclusion, je note que les tribu- naux ne sont habilités à examiner les procédures parlementaires que pour constater à quel [TRA- DUCTION] «désordre» la législation visée entendait remédier ' 2 . En conséquence, les déclarations faites lors de la présentation du projet de loi par le ministre et par un haut fonctionnaire montrent que ce [TRADUCTION] «désordre» était la nécessité dans laquelle le Canada se trouvait d'édicter des règles respectant les lignes générales prévues dans le GATT et dans l'Accord sur les subventions et les droits compensateurs pour régir les problèmes commerciaux. Les nombreuses mentions des dispo sitions pertinentes du traité international dans divers articles de la Loi démontrent cependant clairement, sur le fondement de la jurisprudence et de la doctrine traitant de cette question, que la Loi était destinée à mettre en oeuvre les obligations du traité découlant du Tokyo Round.
L'intention de mettre en oeuvre les obligations d'un traité n'est toutefois pas assimilable à une déclaration portant que les dispositions de ce traité devraient effectivement être substituées aux termes et au sens des dispositions expresses de l'article 42 de la Loi. Souvenons-nous que dans le contexte canadien les traités ne deviennent opé- rants qu'avec l'adoption d'une législation les met- tant en œuvre, et que c'est le libellé de la loi d'application qui revêt une importance prépondé- rante.
Je reconnais qu'en règle générale, un tribunal ayant à interpréter des lois doit leur donner un sens conforme aux obligations internationales du gouvernement. Comme l'a dit le maître des rôles lord Denning dans l'arrêt Salomon v. Comrs. of Customs and Excise":
[TRADUCTION] Je crois que nous avons le droit d'examiner [la convention internationale] parce qu'elle constitue un instru ment dont les dispositions possèdent un caractère obligatoire en droit international et que nous devrions toujours donner à nos
12 Voir par exemple E. A. Driedger, Construction of Statu
tes, aux p. 156 158 (2' éd. 1983). '' [1966] 3 All E.R. 871 (C.A.).
lois une interprétation conforme au droit international. [La loi soumise à notre examen] n'incorpore pas expressément la con vention ni n'y fait référence; mais cela n'a pas d'importance. Nous pouvons l'examiner 14 .
Dans ce même arrêt, le lord juge Diplock (c'était alors son titre) a énoncé de la manière suivante les principes généraux applicables à cette espèce:
[TRADUCTION] Lorsque le gouvernement de Sa Majesté s'en- gage dans un traité soit à édicter une législation nationale en vue de réaliser au Royaume-Uni un objectif déclaré, soit à assurer un résultat donné qui ne peut être obtenu que par voie législative, le traité en question, ne pouvant prendre effet par lui-même selon le droit anglais, demeure non pertinent à toute question soumise aux tribunaux anglais tant que Sa Majesté n'a pas pris de mesures législatives pour remplir les obligations assumées dans le traité. Une fois que le gouvernement a légiféré, comme il est habilité à le faire en prévision de l'entrée en vigueur du traité ainsi qu'il l'a fait en l'espèce le tribunal saisi doit tout d'abord interpréter la législation concer- née, puisque son rôle est de l'appliquer. Lorsque le libellé de la législation est clair et non ambigu, ses dispositions doivent recevoir leur plein effet qu'elles mettent ou non en ouvre les obligations assumées par Sa Majesté dans le traité, puisque le pouvoir souverain de la Reine du chef du Parlement s'étend à la violation des traités ... , et que les recours opposables à un tel manquement à une obligation internationale ressortissent à une instance autre que les cours de Sa Majesté elle-même. Si toutefois les termes de la législation ne sont pas clairs, et sont raisonnablement susceptibles de plus d'une interprétation, le traité lui-même devient pertinent, puisqu'il existe la présomp- tion prima facie que le Parlement n'a pas l'intention d'agir en violation du droit international, y compris les obligations parti- culières des traités; et si une des interprétations raisonnables de la disposition législative visée est en harmonie avec les obliga tions prévues au traité tandis qu'une autre ou d'autres ne le sont pas, l'interprétation compatible avec le traité doit être privilégiée. Ainsi, lorsque le libellé d'une législation n'est pas clair, les termes du traité sont pertinents en permettant à la cour d'appliquer une telle présomption dans son choix entre les différentes interprétations possibles des dispositions législatives visées.
Lorsque la preuve extrinsèque révèle clairement que le texte législatif visé était destiné à remplir les obligations assumées par Sa Majesté aux termes d'un accord particulier, il n'importe pas qu'aucune mention expresse de cet accord ne soit faite dans la Loi. Le seul fait que le Parlement ne mentionne pas expressé- ment son intention d'observer les dispositions d'un accord inter national ne permet pas de présumer qu'il entend le violer. La cour ne doit évidemment pas se fonder sur de simples supposi tions pour dire qu'une loi est destinée à mettre en œuvre une convention internationale particulière. La preuve extrinsèque de la connexion doit être forte. En l'espèce, nous nous trouvons en présence d'une convention traitant précisément et exclusive- ment d'une question restreinte: la méthode d'évaluation des marchandises importées qui doit être utilisée dans la fixation des droits de douane ad valorem. L'article 258 et l'annexe 6 de
14 Id., à la p. 874.
la Customs and Excise Act, 1952 traitent précisément et exclu- sivement de cette même question restreinte. Les termes utilisés dans la Loi et la convention sont presque identiques, mis à part le fait que la Loi omet les .Interpretative Notes to the Defini tion of Value. figurant dans la convention. L'on ne peut faire autrement qu'inférer que la Loi était destinée à mettre la convention en application et ce, même en ne tenant pas compte de la genèse législative, à laquelle le lord juge RUSSELL fera référence. À mon avis, nous sommes justifiés de nous reporter à la convention pour résoudre les ambiguïtés ou difficultés pré- sentées par les termes de l'article et de l'annexe concernés de la Loi 15 .
Le lord juge Diplock, interprétant les termes d'un décret en conseil promulgué pour mettre en œuvre une convention internationale dans l'arrêt Post Office v. Estuary Radio Ltd. 16 , a énoncé une opinion semblable lorsqu'il a dit:
La Convention eût-elle été seule à régir cette question, elle aurait lié cette cour et joué un rôle décisif en ce qui concerne la zone comprise dans les veaux territoriales. du Royaume-Uni. Mais le 25 septembre 1964, elle a été suivie d'une autre déclaration de la Couronne prenant la forme d'un décret en conseil, et ce document, étant postérieur à la Convention, est celui qui lie la cour et qui doit être interprété par elle. Si le sens de ce décret est clair, nous devons lui donner effet même s'il diffère de celui de la Convention, puisque la Couronne a pu changer d'avis entre la ratification de la Convention le 14 mars 1960 et la promulgation du décret et que la Couronne possède le pouvoir souverain, que les tribunaux ne peuvent remettre en question, de modifier sa politique, et ce même si un tel change- ment implique la violation d'une convention internationale à laquelle elle est devenue partie et qui est entrée en vigueur aussi récemment que quinze jours auparavant' 7 . [Je souligne.]
En appliquant les lignes directrices qui précè- dent à la présente affaire, nous nous demandons si le libellé de l'article 42 présente des ambiguïtés ou des difficultés nous justifiant de chercher des éclaircissements dans les accords internationaux qui le concernent. À mon avis, l'article 42 est clair et non ambigu: bien que d'autres articles de la Loi mentionnent le GATT et l'Accord sur les subven- tions et les droits compensateurs, qui eux-mêmes utilisent le terme importations subventionnées, l'article 42 ne mentionne que le subventionnement
15 Id., aux p. 875 et 876. Voir également Regina v. Secretary of State for the Home Department, [1976] I Q.B. 198 (C.A.). Dans cet arrêt, le maître des rôles Denning a admis avoir été trop loin dans un arrêt antérieur quand il a dit que si une loi du Parlement n'était pas conforme aux dispositions d'une conven tion internationale, il serait porté à considérer cette loi comme invalide. Il a alors poursuivi en déclarant que, dans l'hypothèse une loi comporterait des dispositions contraires à une con vention, la loi devrait prévaloir; id., à la p. 207.
16 [1968] 2 Q.B. 740 (C.A.).
17 Id., aux p. 756 et 757.
des marchandises ou le subventionnement et ne dit aucunement que les importations subventionnées sont la cause d'un préjudice sensible subi par les producteurs.
Ainsi que nous l'avons dit, la Loi fait plusieurs fois référence au GATT et à l'Accord sur les sub- ventions et les droits compensateurs. Par exemple, le paragraphe 2(1) fait du terme «Accord» un terme défini désignant l'Accord sur les subventions et les droits compensateurs. Mais deux autres dis positions de la Loi appellent des observations supplémentaires.
La première est le paragraphe 2(5) de la Loi, qui exige que le sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise, en interprétant et en appliquant la définition de «marchandises subven- tionnées» ou de «subvention» ou l'expression «sub- vention à l'exportation», tienne compte des disposi tions des articles 9 et 11 de l'Accord sur les subventions et les droits compensateurs. L'article 9 porte que les signataires n'accorderont pas de sub- ventions à l'exportation de produits autres que certains produits primaires, et il fait référence à une annexe contenant une liste d'exemples de sub- ventions à l'exportation. L'article 11 traite des subventions autres que les subventions à l'exporta- tion, dresse une liste des objectifs visés par de telles subventions et énumère certaines questions devant être prises en compte par les signataires à l'égard de l'utilisation des subventions autres que les subventions à l'exportation.
Les articles 9 et 11 visent cependant le sous- ministre en vertu de la Loi, et c'est à celui-ci qu'il incombe de tenir compte de ces articles conformé- ment au paragraphe 2(5). Je ne considère pas que le renvoi aux articles 9 et 11 qui figure dans ce paragraphe soit beaucoup plus qu'une mention expresse faite par le Parlement pour que le sous- ministre tienne compte de ces articles dans les circonstances décrites au paragraphe 2(5). De plus, il n'a nullement été contesté devant nous que le paragraphe 2(5) soit en cause en l'espèce ou que le sous-ministre ait omis de tenir compte des arti cles 9 et 11.
La seconde disposition de la Loi qui appelle de plus amples observations est l'alinéa 42(3)b), qui est ainsi libellé:
42. ...
(3) En examinant les questions relatives à la production ou à
la mise en production de marchandises au Canada, le Tribunal tient compte des dispositions suivantes:
b) s'il s'agit d'un subventionnement, le paragraphe 7 de l'article 6 de l'Accord.
Le paragraphe 7 de l'article 6 de l'Accord sur les subventions et les droits compensateurs porte:
Article 6
7. Dans des circonstances exceptionnelles, le territoire d'un signataire pourra, en ce qui concerne la production en question, être divisé en deux ou plusieurs marchés compétitifs, et les producteurs à l'intérieur de chaque marché pourront être consi- dérés comme constituant une branche de production distincte, si a) les producteurs d'un tel marché vendent la totalité ou la quasi-totalité de leur production du produit en question sur ce marché et si b) la demande sur ce marché n'est pas satisfaite dans une mesure substantielle par les producteurs du produit en question implantés dans d'autres parties du territoire. Dans de telles circonstances, il pourra être constaté qu'il y a préjudice même s'il n'est pas causé de préjudice à une proportion majeure de la branche de production nationale totale, à la condition qu'il y ait une concentration d'importations subventionnées sur un de ces marchés isolés, et qu'en outre les importations subventionnées causent un préjudice aux producteurs de la totalité ou de la quasi-totalité de la production à l'intérieur de ce marché.
Bien que comportant la mention du terme «impor- tations subventionnées» ainsi que celle, située plus avant, des «importations subventionnées [qui] cau- sent un préjudice aux producteurs», ces disposi tions ont un objet très précis: prescrire les circons- tances exceptionnelles dans lesquelles le territoire d'un pays pourra être divisé en deux ou plusieurs marchés internes, plutôt que d'être considéré comme ne formant qu'un seul marché suivant la règle générale. En conséquence, je considère que les mentions des importations subventionnées et du lien de causalité entre de telles importations et un préjudice pour les producteurs qui sont faites au paragraphe 7 de l'article 6 de l'Accord sur les subventions et les droits compensateurs ne modi- fient en rien le sens clair des autres dispositions de l'article 42 qui sont concernées.
À mon avis, ces mentions expresses du GATT ainsi que de l'Accord sur les subventions et les droits compensateurs par le Parlement indiquent qu'il a manifesté son intention de façon égale: lorsqu'il a voulu incorporer à la Loi un concept du GATT ou de l'Accord sur les subventions et les
droits compensateurs, il l'a fait de façon délibérée et avec précision; aussi, nous ne devrions pas insé- rer des concepts tirés des accords ou traités inter- nationaux qui sous-tendent la Loi lorsque le Parle- ment a utilisé un langage clair et qu'il n'a pas expressément ordonné que l'on se réfère à ces accords internationaux. Cette manière de voir risque de mener à une interprétation contraire aux obligations stipulées dans le traité qui sous-tend la Loi et auquel le Canada est partie mais, ainsi que l'a noté le lord juge Diplock dans le passage cité plus haut, une telle décision ressortit au Parle- ment, et il existe d'autres instances et d'autres recours pouvant trancher de telles questions.
De plus, les termes de l'article 42 ne conduisent pas à une conclusion absurde si on leur prête le sens clair que leur a trouvé la majorité du Tribu nal. La majorité a dit de son interprétation de cet article qu'elle était plus large et effectivement plus libérale que les autres, et elle a déclaré que ce type d'interprétation convenait au GATT et à la Loi de façon générale'». Je n'ai pas à discuter de la question de savoir si l'approche ainsi prônée est appropriée à de telles questions puisque je suis d'opinion que l'article 42 a par ailleurs été correc- tement interprété par la majorité du Tribunal.
En concluant que les «importations» devraient être ajoutées à l'article 42 en sorte que cet article doive s'interpréter suivant les termes des disposi tions du traité sous-tendant la Loi, la cour présu- merait que le Parlement a clairement eu l'intention de se conformer aux dispositions des accords inter- nationaux même si les termes qu'il a utilisés ont un sens clairement contraire à celui de ces disposi tions. Les tribunaux ne sont pas autorisés à pren- dre de telles décisions; ce faisant, ils agiraient
'" À ce sujet, la majorité du Tribunal a déclaré:
La loi sur les mesures spéciales d'importation et le Code des subventions du GATT visent tous deux explicitement le problème des marchandises qui font l'objet d'un commerce déloyal et causent ou menacent de causer un préjudice. Leurs dispositions doivent forcément être interprétées, non pas dans l'abstrait, mais en tenant compte de l'environnement dans lequel elles s'appliquent, à savoir le commerce international. Vue que les réalités économiques et commerciales des échan- ges internationaux imposent d'offrir des prix concurrentiels ou de perdre sa part du marché, la majorité du jury croit qu'il faut interpréter largement le terme «importations sub- ventionnées», c'est-à-dire qu'il faut tenir compte des importa tions éventuelles et probables pour déterminer s'il y a préju- dice sensible. Faire autrement, estime-t-elle, serait contrecarrer le système. Dossier d'appel, à la p. 146.
illégalement. Si les dispositions intrinsèques de la Loi peuvent être examimées aux fins de conclure que le Parlement avait l'intention de mettre en oeuvre le traité, la cour ne peut exercer cette latitude pour faire prévaloir les termes et le sens des dispositions d'un traité sur ceux des disposi tions par ailleurs clairement libellées de l'article 42.
À cet égard, je considère particulièrement perti- nents les propos tenus par M. le juge Estey dans l'arrêt Schavernoch c. Commission des réclama- tions étrangères et autres 19 , qui mettait en jeu l'interprétation d'un règlement [Règlement con- cernant la liquidation des réclamations étrangères (Tchécoslovaquie), DORS/73-681] promulgué pour mettre à exécution un plan prévoyant l'in- demnisation de réclamants canadiens, dont cer- tains biens avaient été nationalisés en Tchécoslova- quie, à partir d'un fonds constitué en vertu d'une entente intervenue entre le Canada et ce pays. La question s'est posée de savoir si l'on pouvait se référer à l'accord international ou au rapport des négociateurs pour interpréter le Règlement con cerné. M. le juge Estey, prononçant le jugement de la Cour, a tenu les propos suivants:
Si l'on pouvait invoquer une ambiguïté manifeste ou latente dans le Règlement, une cour pourrait peut-être alors justifier un recours à des sources extrinsèques au Règlement pour l'interpréter. Toutefois, puisque je suis d'avis que l'extrait précité du Règlement ne crée aucune ambiguïté, il n'existe aucune autorité qui permette à une cour, et personne n'en a cité au cours des débats, d'avoir recours soit à une convention internationale pertinente, soit à des ouvrages de doctrine por- tant sur le droit international relativement à la négociation de conventions, ou à des rapports faits au gouvernement du Canada par des personnes qui ont participé aux négociations mentionnées dans le Règlement 20 .
Il aurait été facile pour le Parlement d'utiliser l'expression importations subventionnées à l'article 42 ainsi qu'aux articles qui lui sont connexes s'il avait voulu le faire. En effet, les termes «importa- tion», «importateur» et «importé» sont abondam- ment mentionnées dans les dispositions sur le dum ping de l'article 42 lui-même, de sorte que le concept des marchandises importées se trouve déjà expressément utilisé dans cet article 21 .
19 [1982] I R.C.S. 1092.
20 Id., à la p. 1098.
21 L'alinéa 42(1 )b) de la Loi est ainsi libellé:
(Suite à la page suivante)
De plus, si le Parlement avait eu l'intention de suivre les dispositions détaillées du GATT et de l'Accord sur les subventions et les droits compen- sateurs sans s'en détacher à cet égard, il aurait également pu le dire plus clairement, ainsi qu'il l'a fait lors de la mise en oeuvre des conventions internationales en matière d'impôts. Il a alors expressément adopté une règle interprétative pré- voyant que les dispositions de la Loi de mise en oeuvre et la Convention l'emportaient sur les dispo sitions de toute loi nationale 22 .
Subsidiairement, le Parlement aurait pu prévoir expressément une règle interprétative plus géné- rale ainsi qu'il l'a fait dans d'autres dispositions législatives traitant d'autres conventions ou accords internationaux auxquels le Canada est
(Suite de la page précédente)
42. (I) Dès réception par le secrétaire de l'avis de déci- sion provisoire de dumping ou de subventionnement prévu au paragraphe 38(2), le Tribunal fait enquête sur celles parmi les questions suivantes qui sont indiquées dans les circons- tances, à savoir:
b) si, dans le cas de marchandises sous-évaluées objet de la décision provisoire:
(i) d'une part:
(A) ou bien a eu lieu une importation considérable de marchandises similaires sous-évaluées dont le dum ping a causé un préjudice sensible ou en aurait causé si des mesures antidumping n'avaient pas été prises,
(B) ou bien l'importateur des marchandises était au aurait être au courant du dumping que pratiquait l'exportateur et du fait que ce dumping causerait un préjudice sensible,
(ii) d'autre part, un préjudice sensible a été causé du fait que les marchandises sous-évaluées:
(A) soit représentent une importation massive,
(B) soit appartiennent à une série d'importations, massives dans l'ensemble et échelonnées sur une période relativement courte,
et le tribunal estime nécessaire que soient imposés des droits sur les marchandises importées afin de prévenir la réapparition du préjudice ... [Je souligne.]
22 Voir par exemple le paragraphe 3(2) de la Loi de 1984 sur la Convention Canada-Etats-Unis en matière d'impôts [S.C. 1984, chap. 20]. Voir aussi les lois de mise en oeuvre des conventions en matière d'impôts conclues avec le Royaume-Uni et de nombreux autres pays, qui contiennent des dispositions semblables: Conventions en matière d'impôt sur le revenu (1980) S.C. 1980-81-82-83, chap. 44.
partie. À titre d'exemple, le paragraphe 2(2) et l'alinéa 3g) de la Loi sur l'immigration de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52] mentionnent expressé- ment de la manière suivante les obligations juridi- ques internationales contractées par le Canada à l'égard des réfugiés:
2. ...
(2) Dans l'expression «réfugié au sens de la Convention», le terme «Convention» désigne la Convention des Nations-Unies relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967.
3. Il est, par les présentes, déclaré que la politique d'immi- gration du Canada, ainsi que les règles et règlements établis en vertu de la présente loi, sont conçus et mis en oeuvre en vue de promouvoir ses intérêts sur le plan interne et international, en reconnaissant la nécessité
g) de remplir, envers les réfugiés, les obligations légales du Canada sur le plan international et de maintenir sa tradition- nelle attitude humanitaire à l'égard des personnes déplacées ou persécutées 23 ;
La Loi ne prévoit aucune règle interprétative semblable. Même si, ainsi que nous l'avons noté, la Loi fait référence au GATT et à l'Accord sur les subventions et les droits compensateurs, de telles mentions sont toujours faites à des fins très préci- ses et ne suffisent pas, à mon avis, à rendre ambigu ou obscur le sens par ailleurs clair de l'article 42 de façon à nous justifier de recourir au libellé et au sens de dispositions du GATT et de l'Accord sur les subventions et les droits compensateurs différant de celles de l'article 42.
À mon sens, adopter l'interprétation préconisée par les requérantes, cela équivaudrait à conclure que le Canada devrait et doit mettre en oeuvre chacun des aspects des dispositions pertinentes du traité concerné, et je ne crois pas qu'il soit loisible à un tribunal d'adopter une telle approche. La question doit toujours être celle de savoir ce que le Parlement a voulu dire au moyen des termes qu'il a utilisés dans les dispositions concernées. En con- séquence, pour les motifs qui précèdent, je rejete- rais les demandes.
Étant convaincu que le Tribunal n'a pas commis d'erreur de droit et ne s'est pas trompé dans l'appréciation de sa compétence, je n'ai, d'un point de vue technique, rien à ajouter. Cependant, les
23 Cette disposition est discutée par Madame le juge Wilson dans l'arrêt Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [ 1985] I R.C.S. 177, la p. 192 et s.
intervenants ont également soutenu subsidiaire- ment que, même en appliquant l'article 42 suivant l'interprétation proposée par les requérantes, on peut considérer que la majorité du Tribunal a conclu dans sa décision que les importations sub- ventionnées avaient causé un préjudice sensible aux producteurs de maïs canadiens. Dans les cir- constances, je me sens obligé de présenter certaines observations au sujet de cet argument subsidiaire.
Sur ce point, après avoir examiné le dossier ainsi que l'argumentation qui nous a été présentée, j'es- time que l'on peut voir dans le raisonnement tenu et les conclusions prises par la formation concernée du Tribunal l'opinion qu'il existait un lien de causalité entre le préjudice sensible subi par les producteurs de maïs et les importations subven- tionnées de maïs américain, bien que, pour les motifs déjà énoncés, il n'était pas nécessaire que la majorité de la formation prenne une telle conclu sion. J'en arrive à cette appréciation en analysant les conclusions et déclarations de la majorité du Tribunal, mais je reconnais que le libellé de ses motifs n'est pas limpide à cet égard.
Aux fins d'une telle analyse, il est utile de noter que la majorité de la formation du Tribunal a observé que le commerce du maïs-grain entre le Canada et les États-Unis se faisait essentiellement sans restriction, exception faite des droits et des frais de transport, que les exigences de la législa- tion canadienne relative à la santé faisaient des États-Unis la seule source viable en ce qui con- cerne l'importation du maïs-grain, et que la pro duction de maïs aux États-Unis est beaucoup plus élevée que celle du Canada puisque cette dernière n'atteint pas 4 % de la production américaine 24 .
La majorité du Tribunal a alors tiré la conclu sion suivante, qui n'a pas été contestée sérieuse- ment:
... compte tenu du fait que les acheteurs au Canada ont facilement accès au produit américain, il s'ensuit que les prix nationaux au Canada sont déterminés dans une large mesure parles prix en vigueur aux États-Unis et les événements qui surviennent dans ce pays. Les éléments de preuve présentés donnent à penser que, d'une façon générale, le maïs canadien doit être vendu à un prix qui puisse faire concurrence au coût du maïs des États-Unis rendu à destination. En fait, les ache
24 Dossier d'appel, à la p. 139.
teurs vérifient le prix du Chicago Board of Trade avant de déterminer ce qu'ils sont prêts à payer pour le maïs canadien; de même, les vendeurs vérifient le prix à Chicago avant de décider du prix qu'ils sont prêts à accepter 25 .
Qui plus est, la majorité de la formation a égale- ment conclu que:
... les politiques d'aucun autre État ne peuvent influencer le prix du maïs sur les marchés mondiaux autant que celles des Etats-Unis. Les États-Unis dominent tellement les marchés mondiaux du maïs que l'on peut prétendre que les politiques qu'ils peuvent adopter en réaction à l'évolution de l'offre et de la demande en dehors de leurs frontières intéressent davantage les commerçants internationaux que les changements eux- mêmes 26.
La majorité a également décidé que «bien que modestes», des importations étaient entrées au Canada au cours de la période pertinente; elle a ensuite conclu que:
Par conséquent, il ne s'agit pas de déterminer si des importa tions ont eu lieu, mais si elles auraient augmenté de façon notable si les producteurs canadiens n'avaient pas aligné leurs prix sur ceux du maïs américain subventionné. Etant donné que le marché canadien est ouvert, les importations auraient certai- nement été beaucoup plus considérables 27 . [ Je souligne.]
Je considère cette conclusion prise au sujet des importations comme extrêmement importante. Toutefois, les avocats des requérantes rejettent cette déclaration en soutenant qu'elle a en fait un caractère trop spéculatif, ou qu'elle constitue une conclusion de fait qui n'est pas fondée sur la preuve, ou une opinion de la majorité qu'il faut prendre à la lumière du point de vue large et libéral qu'elle a adopté relativement à l'interpréta- tion de la Loi et des dispositions connexes du
GATT.
Je ne suis pas d'accord avec les assertions des requérantes. Le Tribunal a effectivement conclu à l'existence d'importations au Canada, et il a décidé qu'en raison de la disponibilité immédiate et de la facilité d'accès du produit en provenance des États-Unis, la seule source viable pour les ache- teurs canadiens, et du fait que le prix de Chicago est celui que les producteurs nationaux devraient normalement s'attendre à recevoir pour leur pro- duit, les importations connaîtraient une hausse spectaculaire si les producteurs canadiens omet-
25 Id., aux p. 139 et 140. En fait, la majorité était encline à considérer le prix du Chicago Board of Trade comme le prix mondial du maïs.
26 Id., à la p. 144.
27 Id., à la p. 146.
taient d'ajuster leur prix. Ce critère m'apparaît sensé et raisonnable en ce qui a trait à l'apprécia- tion de la question de savoir si un préjudice sensi ble est susceptible d'être causé aux producteurs nationaux du Canada.
De plus, les décisions prises par la majorité de la formation du Tribunal à cet égard constituent en grande partie des conclusions de fait ou des infé- rences tirées à partir des faits et de questions ressortissant à la preuve de façon générale. Cette Cour s'est maintes fois refusée à modifier les con clusions de fait de tribunaux dans le cadre de demandes fondées sur l'article 28. Comme l'a dit le juge Heald dans l'arrêt Sarco Canada Limited c. Tribunal antidumping 28 :
Il s'agit ici d'une conclusion de fait formulée par un orga- nisme créé par la loi, doté des pouvoirs légaux et des connais- sances spécialisées nécessaires pour évaluer les preuves dont il est saisi et en arriver à cette conclusion. Dans un tel cas, la Cour n'intervient pas, à moins qu'aucune preuve n'appuie la conclusion ou qu'un principe erroné ne la fonde. Je ne puis dire que nous trouvions ici l'une ou l'autre de ces circonstances 29 . [Je souligne.]
Et comme l'a déclaré le juge Pratte dans l'arrêt Japan Electrical Manufacturers Association c. Tribunal antidumping 30 :
Lorsqu'elle est saisie d'une demande présentée en vertu de l'article 28, la Cour ne peut pas reconsidérer la preuve et substituer ses conclusions à celles du Tribunal dont on veut faire annuler la décision. Selon moi, il y avait au moins certains éléments de la preuve administrée devant le Tribunal qui permettaient à celui-ci de tirer les diverses conclusions" ... [Je souligne.]
En ce qui concerne l'argument subsidiaire pré- senté par les intervenants, j'accepte le raisonne- ment et la conclusion de la majorité, selon lesquels la preuve que des importations des Etats-Unis ont effectivement eu lieu, alliée aux conclusions de fait fondamentales ayant trait à l'accessibilité, à l'ex- clusivité, aux prix avantageux ainsi qu'à la domi nation du marché américain, permettent de con- clure que les importations de maïs auraient grandement augmenté si les producteurs canadiens n'avaient pas ajusté leurs prix pour contrer le danger présenté par la production américaine.
28 [I9 79] I C.F. 247 (C.A.).
29 Id., à la p. 254.
30 [1982] 2 C.F. 816 (C.A.).
31 Id., à la p. 818.
Ainsi la majorité pouvait-elle raisonnablement décider et selon le libellé de sa conclusion formelle, a-t-elle effectivement statué 32 , qu'il existait un lien de causalité entre les importations subventionnées et un préjudice sensible subi par les producteurs nationaux 33
Considérant la jurisprudence que j'ai mentionée 34 dans la mesure le raisonnement et les conclusions de la majorité sur ce point se rapportent à la preuve, au poids qui peut lui être attribué ou aux inférences qui doivent en être tirées, il n'appartient pas à la Cour de réviser ces questions dans le détail; il suffit aux fins des demandes fondées sur l'article 28 que les décisions et conclusions en cause soient étayées, et je consi- dère que tel est le cas en l'espèce 3s
En conséquence, pour les motifs qui précèdent, les demandes fondées sur l'article 28 en l'espèce devraient être rejetées.
LE JUGE MAHONEY: Je souscris à ces motifs.
* * *
32 La conclusion formelle du Tribunal est ainsi libellée:
Conformément au paragraphe 43(1) de la Loi sur les mesu- res spéciales d'importation, le Tribunal canadien des impor tations conclut, par les présentes, que le subventionnement des importations au Canada de maïs-grain, sous toutes ses formes, à l'exception du maïs de semence, du maïs sucré et du maïs à éclater, originaire ou exporté des États-Unis d'Amérique à l'exclusion: (1) du maïs-grain décrit ci-dessus destiné à être consommé dans la province de la Colombie- Britannique; et 2) du maïs jaune et du maïs blanc dentés, importés par les fabricants de grignotines et de tortillas, destinés à être utilisés par ces derniers dans la fabrication de grignotines et de tortillas; a causé, cause et est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires ... Dossier d'appel, à la p. 129. [Je souligne.]
33 Ainsi que l'a noté la majorité, le préjudice sensible peut soit être subi directement par les producteurs canadiens soit être subi indirectement par l'accroissement du fardeau des programmes du gouvernement destinés à soutenir les produc- teurs canadiens: voir le Dossier d'appel, aux p. 140, 144 et 145. Voir également la définition du «préjudice sensible» figurant au paragraphe 2(1) de la Loi, qui fait expressément référence aux programmes de soutien gouvernementaux visant les produits agricoles.
34 Voir ci-dessus, les notes 28 et 30.
35 Ainsi que je l'ai déjà mentionné, la décision de la majorité de la formation visant l'argument subsidiaire n'est pas limpide, mais je ne vois aucune raison justifiant, dans le cadre d'une demande fondée sur l'article 28, le renvoi d'une question devant un tribunal à des seules fins de clarification.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN (dissident): Conformé- ment à une ordonnance de M. le juge Marceau en date du 20 juillet 1988, un dossier d'appel conjoint a été adopté pour les demandes A-124-87, A-127-87 et A-549-87, et ces trois demandes fon- dées sur l'article 28 ont été entendues ensemble. Comme toutes trois recherchent la révision par cette Cour d'une même décision du Tribunal cana- dien des importations («le Tribunal» ou «le TCl») en date du 6 mars 1987 ayant trait à l'enquête no. CIT -7-86, qui a été tenue conformément à l'article 42 de la Loi sur les mesures spéciales d'importa- tion, S.C. 1984, chap. 25 («la Loi» ou «la LMSI»), nous les désignerons collectivement sous le numéro A-124-87.
Cette enquête et cette décision du TCI faisaient suite à une décision provisoire rendue par un sous- ministre conformément au paragraphe 38(1) de la LMSI qui concluait qu'il y avait [TRADUCTION] «subventionnement à l'égard du maïs-grain sous toutes ses formes, à l'exception du maïs de semence, du maïs sucré et du maïs à éclater, originaire ou exporté des États-Unis d'Amérique» (Dossier d'appel, à la page 1). Il a imposé des droits provisoires de 1,047990 $ US le boisseau. Dans sa décision définitive de subventionnement, il a réduit ce droit à 0.849 $ US le boisseau.
Après avoir rendu une décision provisoire, le sous-ministre est tenu à la fois de faire donner un avis public de sa décision et d'en faire déposer un avis écrit auprès du secrétaire du Tribunal. Les fonctions du Tribunal se trouvent énumérées aux articles 42 44 de la Loi. Les dispositions de ces articles qui sont les plus pertinentes à la présente espèce sont les suivantes:
42. (1) Dès réception par le secrétaire de l'avis de décision provisoire de dumping ou de subventionnement prévu au para- graphe 38(2), le Tribunal fait enquête sur celles parmi les questions suivantes qui sont indiquées dans les circonstances, à savoir:
a) si le dumping des marchandises en cause ou leur subventionnement:
(i) soit cause, a causé ou est susceptible de causer un préjudice sensible, soit cause ou a causé un retard sensible,
(ii) soit aurait causé un préjudice sensible ou un retard sensible sans l'application de droits provisoires aux marchandises;
c) si, dans le cas de marchandises subventionnées objet de la décision provisoire pour lesquelles marchandises une subven- tion à l'exportation a été octroyée:
(i) d'une part, un préjudice sensible a été causé du fait que les marchandises subventionnées:
(A) soit représentent une importation massive,
(B) soit appartiennent à une série d'importations, mas- sives dans l'ensemble et échelonnées sur une période relativement courte,
(ii) d'autre part, des droits compensateurs devraient être imposés sur les marchandises subventionnées afin de préve- nir la réapparition du préjudice.
(3) En examinant les questions relatives à la production ou à la mise en production de marchandises au Canada, le Tribunal tient compte des dispositions suivantes:
b) s'il s'agit d'un subventionnement, le paragraphe 7 de l'article 6 de l'Accord.
43. (1) Dans le cas des enquêtes visées à l'article 42, le Tribunal rend, à l'égard de marchandises objet d'une décision définitive de dumping ou de subventionnement, les ordonnances ou les conclusions indiquées dans chaque cas en y précisant les marchandises concernées et, le cas échéant, leur fournisseur et leur pays d'exportation. Ces ordonnances ou conclusions doi- vent être rendues dès réception par le secrétaire de l'avis de cette décision définitive mais, au plus tard, dans les cent vingt jours suivant la date à laquelle le secrétaire reçoit l'avis de décision provisoire.
44. (1) En cas d'annulation, à la suite d'une demande faite en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, de son ordonnance ou de ses conclusions pour tout ou partie des marchandises en cause, le Tribunal:
a) si l'affaire lui est renvoyée pour décision, rouvre sans délai l'enquête tenue sur les marchandises ou la partie en cause,
b) dans les autres cas, décide, dans les trente jours suivant le jugement définitif sur la demande, si l'enquête devrait être rouverte et le cas échéant, rouvre l'enquête sans délai ...
Les ordonnances pouvant être rendues et les con clusions pouvant être prises par le Tribunal se trouvent décrites aux articles 3 à 6 de la Loi. En vertu du paragraphe 45(1), le Tribunal doit en faire rapport de la manière suivante:
45. (1) Dans les cas où, à l'issue d'une enquête menée en vertu de l'article 42, il rend une ordonnance ou des conclusions
visées aux articles 3 à 6 mais estime que l'assujettissement des marchandises en cause à des droits antidumping ou compensa- teurs ou au plein montant des droits prévus à ces articles serait ou pourrait être contraire à l'intérêt public, le Tribunal, aussitôt après avoir rendu l'ordonnance ou la conclusion:
a) transmet un rapport au ministre des Finances énonçant son opinion, faits et motifs à l'appui;
b) fait publier le texte de son rapport dans la Gazette du Canada.
La décision majoritaire du TCI a été la suivante (Dossier d'appel, à la page 149):
Pour les motifs exposés ci-dessus, la majorité du jury du Tribunal conclut que le subventionnement des importations au Canada de maïs-grain, sous toutes ses formes, à l'exception du maïs de semence, du maïs sucré et du maïs à éclater, originaire ou exporté des États-Unis d'Amérique à l'exclusion:
( 1 ) du maïs-grain décrit ci-dessus destiné à être consommé dans la province de la Colombie-Britannique, et
(2) du maïs jaune et du maïs blanc dentés importés par les fabricants de grignotines et de tortillas, destinés à être utilisés par ces derniers dans la fabrication des grignoti- nes et des tortillas;
a causé, cause et est susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires.
Le membre dissident Bissonnette a conclu qu'aucun préjudice sensible, passé, présent ou futur, n'était lié au subventionnement des mar- chandises visées; il a considéré qu'un tel préjudice devait être causé par l'importation des marchandi- ses subventionnées et que l'importation des mar- chandises visées n'était pas la cause d'un préjudice sensible.
La question sur laquelle la majorité et la mino- rité divergeaient trouve son expression la plus pré- cise dans les passages suivants du membre Bisson- nette (Dossier d'appel, aux pages 154, 158 et 159):
je ne suis en désaccord avec mes collègues, c'est de conclure que, même si on accepte le principe que le subvention- nement a favorisé la chute du prix mondial, on n'a pas établi la preuve que les importations de denrées américaines subvention- nées au Canada sont la cause du préjudice que l'on subit. Il s'ensuit, à mon avis, que la demande d'imposition de droits compensateurs n'est pas fondée. Même si le préjudice est réel, le correctif réside autre part, peut-être dans une solution politi- que sur le plan national, ou dans un consensus sur le plan international dans le cadre du GATT.
Les avocats de la partie plaignante ont soutenu que rien dans l'article 42 de la loi ne limite la portée de l'enquête du Tribunal au subventionnement des importations. Cet article traite seule- ment du préjudice découlant du subventionnement des mar- chandises. On fait valoir que l'existence de stocks de maïs-grain
considérables aux États-Unis, accumulés de la façon dont nous l'avons décrite, a fait baisser le prix du marché de cette denrée. Ces stocks constituent pour ainsi dire une offre permanente de vente au faible prix de Chicago et peuvent être considérés, de ce fait, être entrés sur le marché du Canada.
Comme je l'ai déjà dit, je suis d'avis qu'en vertu de la loi et du code du GATT, le préjudice doit être relié aux importations subventionnées.
Comme la Loi sur les mesures spéciales d'importation se préoccupe surtout de l'exécution réglementaire par le Canada de ses obligations en vertu du GATT, on peut certes consulter le texte du code du GATT sur les subventions et les droits compen- sateurs pour déterminer la marche à suivre en l'absence de critères sur la causalité. Le GATT n'est pas un organisme ayant pour but de contrôler l'application des politiques sociales et économiques des signataires. Il s'occupe du commerce interna tional, des marchandises qui traversent les frontières et des importations. Le GATT considère qu'il est déloyal, sur le plan international, que des importations bénéficient de subventions leur assurant un avantage concurrentiel par rapport aux mar- chandises du pays dont ils viennent de traverser la frontière.
Voici les critères pertinents en vertu du code du GATT. J'ai souligné les mots qui m'ont aidés à en venir à la conclusion que j'ai tirée.
Article 4, section 4:
Si, après que des efforts raisonnables auront été déployés pour mener des consultations à leur terme, un signataire, en détermination finale, conclut en établissant l'existence et le montant de la subvention, et qu'en raison des effets de la subvention, les importations subventionnées causent un pré- judice, il pourra instituer un droit compensateur conformé- ment aux dispositions du présent article, à moins que la subvention ne soit retirée.
Article 6, section 1:
La détermination de l'existence d'un préjudice aux fins de l'article VI de l'Accord général comportera un examen objec- tif a) du volume des importations subventionnées et de leur effet sur les prix des produits similaires sur le marché intérieur, et b) de l'incidence de ces importations sur les producteurs nationaux de ces produits.
Article 6, section 2:
Pour ce qui concerne le volume des importations subvention- nées, les autorités chargées de l'enquête examineront s'il y a eu augmentation importante des importations subvention- nées, soit en quantité absolue, soit par rapport à la produc tion ou à la consommation du signataire importateur. Pour ce qui concerne l'effet des importations subventionnées sur les prix, les autorités chargées de l'enquête examineront s'il y a eu, dans les importations subventionnées, sous-cotation importante du prix par rapport au prix d'un produit similaire du signataire importateur, ou si ces importations ont d'autre manière pour effet de déprimer les prix de façon importante ou d'empêcher de façon importante des hausses de prix qui, sans cela, se seraient produites. Un seul ni même plusieurs de ces éléments ne constitueront pas nécessairement une base de jugement déterminante.
Article 6, section 4:
Il doit être démontré que les importations subventionnées causent, par les effets de la subvention, un préjudice au sens
ou l'entend le présent accord. Il pourra y avoir d'autres éléments qui, au même moment, causent un préjudice à la branche de production nationale, et les préjudices causés par ces autres éléments ne doivent pas être imputés aux importa tions subventionnées.
Même si ces critères ne sont pas exposés dans la Loi sur les mesures spéciales d'importation, ce n'est pas par simple coïnci- dence que le Tribunal les a adoptés dans sa propre règle 36 de ses règles générales de pratique et procédure. Toute l'orienta- tion de la règle est celle du code du GATT: la pertinence des augmentations sensibles dans les importations canadiennes des marchandises subventionnées qui entrent au Canada permet- tent de vendre moins cher que les prix canadiens, si les mar- chandises importées prennent une partie du marché. Il y a même une similitude frappante entre le libellé de la règle 36 et les critères du code du GATT.
La question la plus fondamentale à trancher en l'espèce est donc, selon le Tribunal lui-même et suivant les argumentations présentées par les par ties, celle de savoir si le Tribunal ne peut conclure au préjudice sensible que lorsqu'un lien de, cause à effet a été établi entre les marchandises subven- tionnées importées au Canada et un préjudice sensible subi par les producteurs nationaux de telles marchandises. Cette question est elle-même tributaire de celle de savoir si l'article 42 de la LMSI doit s'interpréter à la lumière des accords internationaux auxquels le Canada est partie.
L'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce («le GATT») est entré en vigueur en 1947, et au cours des années plusieurs accords plus détaillés sont venus s'y ajouter. Les Accords du Tokyo Round, qui ont été conclus en 1979, com- prenaient le Code des subventions et des droits compensateurs (ale Code») 36.
Il n'a pas été contesté sérieusement dans les plaidoiries que, la LMSI eût-elle être interprétée à la lumière du Code, le Tribunal aurait été dans l'obligation de trouver un lien de causalité entre les importations subventionnées et le préjudice sensi ble. Outre les articles énumérés par le membre Bissonnette dans le passage précité de sa décision, plusieurs paragraphes de l'article 2 sont explicites en ce qui concerne ce point:
36 Les articles VI, XVI et XXIII du GATT, qui traitent des droits compensateurs et antidumping, ont été étendus par les Accords du Tokyo Round. L'accord du Tokyo Round qui est pertinent est l'Accord relatif à l'interprétation et à l'applica- tion des articles VI, XVI et XXIII de l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce et est le plus souvent appelé Code des subventions et des droits compensateurs.
Article 2
Procédures internes et questions connexes
t. Il ne pourra être institué de droits compensateurs qu'à la suite d'enquêtes ouvertes (Le terme «ouverte» tel qu'il est utilisé ci-après se réfère à l'action de procédure par laquelle un signataire ouvre formellement une enquête conformément au paragraphe 3 du présent article.) et menées en conformité des dispositions du présent article. Une enquête visant à déterminer l'existence, le degré et l'effet de toute subvention prétendue sera normalement ouverte sur demande présentée par écrit par la branche de production affectée ou en son nom. La demande devra comporter des éléments de preuve suffisants de l'exis- tence a) d'une subvention et, si possible, de son montant, b) d'un préjudice au sens l'entend l'article VI de l'Accord général, tel qu'il est interprété par le présent accord (Pour les besoins du présent accord, le terme «préjudice» s'entendra, sauf indication contraire, d'un préjudice important causé à une branche de production nationale, d'une menace de préjudice important pour une branche de production nationale ou d'un retard sensible dans la création d'une branche de production nationale; il sera interprété conformément aux dispositions de l'article 6.) et c) d'un lien de causalité entre les importations subventionnées et le préjudice prétendu. Si, dans des circons- tances spéciales, les autorités concernées décident d'ouvrir une enquête sans être saisies d'une telle demande, elles n'y procéde- ront que si elles sont en possession d'éléments de preuve suffi- sants concernant tous les points visés sous a) à c) ci-dessus.
4. Dès l'ouverture d'une enquête et par la suite, les éléments de preuve relatifs à la fois à la subvention et au préjudice qui en résulte devraient être examinés simultanément. En tout état de cause, les éléments de preuve relatifs à l'existence d'une subven- tion ainsi que d'un préjudice seront examinés simultanément a) pour décider si une enquête sera ouverte ou non, et b) par la suite, pendant l'enquête, à compter d'une date qui ne sera pas postérieure au premier jour où, conformément aux dispositions du présent accord, des mesures provisoires peuvent être appliquées.
Il me semble que les termes «un lien de causalité entre les importations subventionnées et le préju- dice prétendu» figurant au paragraphe 1 et la directive du paragraphe 4 selon laquelle «les élé- ments de preuve relatifs à la fois à la subvention et au préjudice qui en résulte devraient être examinés simultanément» établissent incontestablement que le préjudice constaté par un signataire doit être causé par les importations subventionnées et non par le subventionnement lui-même.
De plus, les parties à l'accord ne peuvent contre- venir au Code, ou même le compléter, en ce qui concerne les subventions d'autres parties. Le para- graphe 1 de l'article 19 déclare:
Article 19
Dispositions finales
I. Il ne pourra être pris aucune mesure particulière contre une
subvention accordée par un autre signataire, si ce n'est confor- mément aux dispositions de l'Accord général tel qu'il est inter- prété par le présent accord. (Ce paragraphe ne vise pas à empêcher que des mesures soient prises, dans les cas appropriés, au titre d'autres dispositions pertinentes de l'Accord général".)
En résumé, je considère que le Code est parfai- tement clair en ce qui concerne les contre-mesures nationales visant les subventions d'autres pays: des droits compensateurs ne peuvent être imposés que lorsqu'il existe «un lien de causalité entre les importations subventionnées et le préjudice pré- tendu». Tous les signataires sont liés par ce critère.
La Loi sur les mesures spéciales d'importation, qui est entrée en vigueur par proclamation le ler décembre 1984, a remplacé la Loi antidumping [S.R.C. 1970, chap. A-15], qui était en vigueur depuis le ler janvier 1969. La Loi ne comporte aucun attendu indiquant précisément quelle est sa relation avec le GATT et avec le Code. Elle renvoie néanmoins directement au Code dans plusieurs domaines clés.
Une de ces mentions figure au paragraphe 3 de l'article 42 lui-même, qui prévoit que «le Tribunal tient compte ... [du] paragraphe 7 de l'article du Code, qui est ainsi libellé:
Article 6
7. Dans des circonstances exceptionnelles, le territoire d'un signataire pourra, en ce qui concerne la production en question, être divisé en deux ou plusieurs marchés compétitifs, et les producteurs à l'intérieur de chaque marché pourront être consi- dérés comme constituant une branche de production distincte, si a) les producteurs d'un tel marché vendent la totalité ou la quasi-totalité de leur production du produit en question sur ce marché et si b) la demande sur ce marché n'est pas satisfaite dans une mesure substantielle par les producteurs du produit en question implantés dans d'autres parties du territoire. Dans de telles circonstances, il pourra être constaté qu'il y a préjudice même s'il n'est pas causé de préjudice à une proportion majeure de la branche de production nationale totale, à la condition qu'il y ait une concentration d'importations subventionnées sur un de ces marchés isolés, et qu'en outre les importations subventionnées causent un préjudice aux producteurs de la totalité ou de la quasi-totalité de la production à l'intérieur de ce marché.
Il est vrai que cette mention ne vise que la subdivi sion du marché national dans son ensemble en
" Aucune autre disposition pertinente n'a été portée à l'at- tention de la Cour, et je n'en ai point trouvée.
différents marchés régionaux, mais l'incorporation par renvoi du terme «importations subventionnées» ainsi que du concept suivant lequel ce sont les importations subventionnées qui causent un préju- dice aux producteurs implique plus fondamentale- ment l'incorporation du Code lui-même. De plus, pour exclure la Colombie-Britannique du marché touché, le TC] a en l'espèce avoir recours à cette disposition du Code.
L'article de la Lmsl prévoyant les définitions (le paragraphe 2(1)) désigne par le terme «Accord» l'Accord sur les subventions et les droits compen- sateurs signé le 17 décembre 1979—que j'appelle «le Code». Le paragraphe 2(5) déclare ensuite:
2....
(5) En interprétant et en appliquant la définition de «mar- chandises subventionnées» ou de «subvention» ou l'expression «subvention à l'exportation», le sous-ministre doit tenir compte des dispositions des articles 9 et 11 de l'Accord.
Les articles 9 et 11 du Code sont ainsi libellés:
Article 9
Subventions à l'exportation de produits autres
que certains produits primaires
1. Les signataires n'accorderont pas de subventions à l'exporta- tion de produits autres que certains produits primaires.
2. Les pratiques énumérées aux points a) à 1) de l'annexe sont des exemples de subventions à l'exportation 38 .
Article 11
Subventions autres que les subventions à l'exportation
1. Les signataires reconnaissent que des subventions autres que les subventions à l'exportation constituent d'importants instru ments, largement utilisés afin de poursuivre des objectifs de politique sociale et économique, et ils n'entendent pas restrein- dre le droit des signataires de recourir à de telles subventions pour atteindre ces objectifs et d'autres objectifs importants de politique qu'ils jugent souhaitables. Les signataires notent que ces objectifs sont entre autres les suivants:
a) éliminer les handicaps industriels, économiques et sociaux de certaines régions,
b) faciliter la restructuration de certains secteurs dans des conditions socialement acceptables, surtout lorsqu'elle est devenue nécessaire en raison de modifications des politiques commerciales et économiques, y compris celles qui résultent d'accords internationaux entraînant un abaissement des obstacles au commerce,
c) d'une manière générale, soutenir l'emploi et encourager le recyclage et le reclassement des travailleurs,
;8 Ne considérant pas que ces exemples de subventions à l'exportation soient nécessaires aux présents motifs, je ne les reproduis pas.
d) encourager les programmes de recherche et développe- ment, surtout dans le domaine des industries de techno- logie avancée,
e) mettre en oeuvre des programmes et des politiques éco- nomiques afin de promouvoir le développement écono- mique et social des pays en voie de développement,
f) redéployer l'industrie afin d'éviter les problèmes d'en- combrement et d'environnement.
2. Les signataires reconnaissent toutefois que les subventions autres que les subventions à l'exportation, dont certains objec- tifs et formes possibles sont décrits respectivement aux paragra- phes 1 et 3 du présent article, peuvent causer ou menacer de causer un préjudice à une branche de production nationale d'un autre signataire ou un préjudice sérieux aux intérêts d'un autre signataire, ou annuler ou compromettre des avantages résultant de l'Accord général pour un autre signataire, en particulier lorsqu'elles influeraient défavorablement sur les conditions de concurrence normale. En conséquence, les signataires s'efforce- ront d'éviter de causer de tels effets en usant de subventions. En particulier, lorsqu'ils élaboreront leurs politiques et pratiques en la matière, non seulement les signataires évalueront les objectifs essentiels à atteindre sur le plan interne, mais encore pèseront autant que faire se pourra, en tenant compte des particularités de chaque cas, les effets défavorables qui pour- raient en résulter pour le commerce. Ils prendront également en considération la situation mondiale du commerce, de la produc tion (par exemple prix, utilisation des capacités, etc.) et de l'offre du produit en question.
3. Les signataires reconnaissent que les objectifs mentionnés au paragraphe 1 ci-dessus peuvent être atteints, notamment, par le moyen de subventions accordées en vue de conférer un avantage à certaines entreprises. Ces subventions peuvent revêtir diffé- rentes formes, par exemple: financement par les autorités publi- ques d'entreprises commerciales, y compris sous la forme de dons, prêts ou garanties; fourniture par les autorités publiques, ou financement par ces autorités, de services publics, de distri bution d'approvisionnements et autres services ou moyens matériels d'exploitation ou d'infrastructure; financement par les autorités publiques de programmes de recherche et développe- ment; incitations fiscales; souscription ou participation des autorités publiques au capital social.
Les signataires notent que les formes de subventions susmen- tionnées sont normalement accordées par région ou par secteur. La liste ci-dessus de ces formes est exemplative et non exhaus tive; elle comprend les subventions qu'accordent actuellement un certain nombre de signataires du présent accord.
Les signataires reconnaissent néanmoins que la liste ci-dessus des formes de subvention devrait faire l'objet d'un examen périodique et qu'il conviendrait de procéder à cet examen par voie de consultations, conformément à l'esprit de l'article XVI, paragraphe 5, de l'Accord général.
4. Les signataires reconnaissent en outre que, sans préjudice des droits qui découlent pour eux du présent accord, aucune des dispositions des paragraphes 1 à 3 ci-dessus, ni en particulier la liste des formes de subvention, ne crée en soi une base en vue d'une action au titre de l'Accord général, tel qu'il est interprété par le présent accord.
À mon sens, est de première importance la distinction entre les subventions à l'exportation et
les subventions visant la poursuite d'objectifs de politique sociale et économique qui se trouvent énumérées au paragraphe 1 de l'article 11 du Code et incorporées par renvoi à la LMSI. Il est vrai que les autres paragraphes de l'article 11 reconnaissent que ces autres subventions peuvent néanmoins avoir des conséquences sur les exportations, mais ils le font au moyen d'une admonestation («les signataires s'efforceront d'éviter de causer de tels effets en usant de subventions») plutôt qu'en insti- tuant un recours en contestation de ces autres subventions à l'usage des pays importateurs. Le paragraphe 4, qui établit qu'aucune des disposi tions du paragraphe précédent «ne crée en soi une base en vue d'une action» fondée sur le GATT, me semble énoncer un tel principe. Je ne puis donc faire autrement que conclure qu'en vertu du para- graphe 2(5) de la LMSI, le sous-ministre est tenu, lorsqu'il examine la question des marchandises subventionnées, de tenir compte du fait que les subventions visant des objectifs de politique sociale et économique ne donnent lieu à aucune action en contestation. Ceci semblerait impliquer une accep- tation de l'ensemble de l'économie du Code, qui exige un lien de causalité entre les importations subventionnées et le préjudice national subi.
La LMSI exige également à l'article 7 que le gouverneur en conseil obtienne l'autorisation du comité des signataires conformément à l'article 16 du Code avant d'imposer des droits compensateurs à l'égard de marchandises dont le sous-ministre a conclu qu'elles étaient subventionnées. Comme il est dit à l'article 16 que le comité des subventions et mesures compensatoires institué en vertu de cet article «donnera aux signataires la possibilité de procéder à des consultations sur toute question concernant l'application de l'accord ou la poursuite de ses objectifs», l'on doit présumer que cette autorisation est une question de procédure plutôt qu'une question de fond.
Si l'on considère les termes du paragraphe 42(1) «le Tribunal fait enquête ... [sur la question de
savoir] .. . si le . subventionnement ... [des marchandises] ...(i) soit cause, a causé ou est susceptible de causer un préjudice sensible» dans leur sens le plus littéral et à l'exclusion des autres termes de cette disposition, l'on peut dire qu'ils permettent de façon non ambigtie l'examen du subventionnement de marchandises pratiqué par
un autre pays et du préjudice sensible subi par les producteurs oeuvrant au Canada indépendamment de la question de l'importation. Cependant, même dans sa version la plus extrême, la règle du sens manifeste ne permet pas l'interprétation d'une loi à partir de mots pris ici et là. En fait, cette Cour a conclu que les mots interprétés doivent l'être en fonction de l'ensemble du contexte dans lequel ils s'inscrivent: Lor-Wes Contracting Ltd. c. La Reine, [1986] 1 C.F. 346, à la page 352; (1985), 60 N.R. 321 (C.A.), à la page 325; Cashin c. Société Radio-Canada, [1988] 3 C.F. 494 (C.A.); Canada Packers Inc. c. Canada (Ministre de l'Agriculture), [1989] 1 C.F. 47 (C.A.); et Nova, An Alberta Corporation c. Ministre du Revenu national (1988), 87 N.R. 101; (1988), 20 F.T.R. 240 (C.A.F.).
Les termes omis ci-haut comprennent la men tion que l'instance instruite par le Tribunal com mence par la réception d'un avis de décision provi- soire de subventionnement du sous-ministre; ainsi est-il déclaré: «Dès réception par le secrétaire de l'avis de décision provisoire de dumping ou de subventionnement prévu au paragraphe 38(2)». Dans une décision préliminaire, le sous-ministre doit, comme nous l'avons vu, tenir compte de l'article 11 du Code du GATT. De plus, le Tribunal était lui-même tenu, en vertu du paragraphe, 42(3), de tenir compte du Code en ce qui concerne l'ap- proche du marché régional adoptée par la majorité.
La déclaration faite le 23 mai 1984 lors de la présentation de la LMSI à la Chambre des commu nes par le ministre d'État (Finances) de l'époque, l'honorable Roy MacLaren, est également perti- nente. Le ministre a dit (Canada, Débats de la Chambre des communes, aux pages 3968 et 3969):
Avant d'entrer dans les détails, j'aimerais expliquer le but des modifications législatives proposées. Elles visent à donner au gouvernement le pouvoir nécessaire pour profiter encore plus de nos droits aux termes de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce—le GATT- et des accords sur les mesures non tarifaires conclus lors des négociations commercia- les multilatérales du Tokyo Round en 1979, surtout les accords sur les droits antidumping et les droits compensateurs. Ces modifications visent avant tout à donner au Canada les moyens de déjouer la concurrence déloyale des importations et d'affron- ter d'autres problèmes commerciaux. Elles garantiront que nos méthodes sont aussi efficaces que celles de nos principaux partenaires commerciaux qui ont déjà adopté des lois semblables.
En vertu du régime actuel, le ministère du Revenu national est chargé de faire enquête sur le dumping et le subventionne- ment de marchandises, s'il estime que cela cause un préjudice aux producteurs canadiens. Le Tribunal antidumping, qui s'ap- pellera Tribunal canadien des importations en vertu du projet de loi, se chargera de l'enquête officielle sur le préjudice présumé. Je souligne qu'en vertu des obligations internationales qui incombent au Canada dans le cadre du GATT, on ne doit imposer des droits antidumping ou compensateurs que si l'on détermine qu'il existe un rapport direct entre les marchandises sous-évaluées ou subventionnées et le préjudice sensible causé aux producteurs canadiens.
Bien qu'une telle déclaration ministérielle ne soit pas à ce jour admissible pour indiquer quelle inten tion animait le Parlement lorsqu'il a édicté une loi, elle peut être utilisée pour exposer le désordre, le malaise ou l'état des choses que visait le législa- teur: Lor-Wes Contracting, précité, aux pages 355 C.F.; 326 N.R.; Thomson c. Canada (1988), 84 N.R. 169 (C.A.F.), aux pages 184 et 185. Dans le présent cas, le désordre visé est évidemment le défaut au Canada de méthodes «aussi efficaces que celles de nos principaux partenaires» ayant déjà mis en oeuvre les accords du Tokyo Round conclus sous le régime du GATT. Indirectement, ce facteur met en relief le lien existant entre la LMSI et le Code.
La déclaration faisant le plus autorité dans notre droit en ce qui concerne la question de l'interpréta- tion de la loi nationale au regard du droit interna tional conventionnel est, à mon sens, celle pronon- cée par le lord juge Diplock (c'était alors son titre) dans l'arrêt Salomon v. Comrs. of Customs and Excise, [1966] 3 All E.R. 871 (C.A.), aux pages 875 et 876:
[TRADUCTION] Lorsque le gouvernement de Sa Majesté s'en- gage dans un traité soit à édicter une législation nationale en vue de réaliser au Royaume-Uni un objectif déclaré soit à assurer un résultat donné qui ne peut être déclaré que par voie législative, le traité en question, ne pouvant prendre effet par lui-même selon le droit anglais, demeure non pertinent à toute question soumise aux tribunaux anglais tant que Sa Majesté n'a pas pris des mesures législatives pour remplir les obligations assumées dans le traité. Une fois que le gouvernement a légiféré, comme il est habilité à le faire, en prévision de l'entrée en vigueur du traité—ainsi qu'il l'a fait en l'espèce—le tribunal saisi doit tout d'abord interpréter la législation concernée, puisque son rôle est de l'appliquer. Lorsque le libellé de la législation est clair et non ambigu, ses dispositions doivent recevoir leur plein effet qu'elles mettent ou non en oeuvre les obligations assumées par Sa Majesté dans le traité, puisque le pouvoir souverain de la Reine du chef du Parlement s'étend à la violation des traités (voir Ellerman Lines, Ltd. v. Murray ([1930] All E.R. Rep. 503; [1931] A.C. 126), et que les recours opposables à un tel manquement à une obligation internationale
ressortissent à une instance autre que les cours de Sa Majesté elle-même. Si toutefois les termes de la législation ne sont pas clairs, et sont raisonnablement susceptibles de plus d'une inter- prétation, le traité lui-même devient pertinent, puisqu'il existe la présomption prima facie que le Parlement n'a pas l'intention d'agir en violation du droit international, y compris les obliga tions particulières des traités; et si une des interprétations raisonnables de la disposition législative visée est en harmonie avec les obligations prévues au traité tandis qu'une autre ou d'autres ne le sont pas, l'interprétation qui est compatible avec le traité doit être privilégiée. Ainsi, lorsque le libellé d'une législation n'est pas clair, les termes du traité sont pertinents en permettant à la cour d'appliquer une telle présomption dans son choix entre les différentes interprétations possibles des disposi tions législatives visées.
Si tel était le critère dans son entier, je conclurais en l'espèce qu'en supposant que le paragraphe 42(1) ne vise pas la mise en oeuvre du Code, la signification de cette disposition est à tout le moins très douteuse. Il est certain que cet article dans son ensemble ne peut être interprété comme disant de façon claire et non ambiguë que le préjudice visé ne doit pas obligatoirement être causé par les importations subventionnées—c'est-à-dire comme n'étant pas conforme au Code.
Toutefois, le lord juge Diplock a effectivement permis dans la suite de son propos que des considé- rations telles l'identité de l'objet de la loi et de la convention déterminent la relation entre ces deux entités la page 876):
[TRADUCTION] Il a été soutenu que les dispositions d'une convention internationale ne peuvent être consultées aux fins de résoudre les ambiguïtés ou d'éclaircir les points obscurs d'une loi que si cette loi elle-même comporte soit dans son dispositif soit dans son préambule une mention expresse de la convention internationale que la loi a pour objet de mettre en oeuvre. Le juge semble avoir été convaincu que l'arrêt Ellerman Lines, Ltd. v. Murray ([1930] All E.R. Rep. 503; [1931] A.C. 126.) appuie cette proposition; mais, avec déférence, tel n'est pas le cas. La loi qui était visée dans cet arrêt faisait effectivement référence à la convention. Cet arrêt n'appuie que la proposition à l'égard de laquelle je l'ai déjà cité. Le lord juge MAUGHAM, dans l'arrêt Hoggv. Toye & Co. ([1935] All E.R. Rep. 618, à la p. 625; [ 1935] Ch. 497, à la p. 520.), a clairement opté pour le point de vue qu'il n'était pas nécessaire que la loi elle-même réfère expressément à la convention si la comparaison des objets de la disposition concernée de la loi et de la convention révèle manifestement que la loi a été édictée afin de mettre en oeuvre les obligations assumées par le gouvernement de Sa Majesté en droit international en vertu de la convention. Je ne vois aucun motif de courtoisie ou motif fondé sur le sens commun pour lequel nous devrions imposer une telle limitation à l'égard du droit et du devoir de la cour de consulter une convention internationale afin de résoudre les ambiguïtés et les difficultés d'une disposition édictée par une loi. Lorsque la preuve extrinsèque révèle clairement que cet acte législatif visé était destiné à remplir les obligations assumées par Sa Majesté
aux termes d'un accord particulier, il n'importe pas qu'aucune mention expresse de cet accord ne soit faite dans la loi. Le seul fait que le Parlement ne mentionne pas expressément son intention d'observer les dispositions d'un accord international ne permet pas de présumer qu'il entend le violer. La cour ne doit évidemment pas se fonder sur de simples suppositions pour dire qu'une loi est destinée à mettre en œuvre une convention internationale particulière. La preuve extrinsèque de la con- nexion doit être forte. En l'espèce, nous nous trouvons en présence d'une convention traitant précisément et exclusive- ment d'une question restreinte: la méthode d'évaluation des marchandises importées qui doit être utilisée dans la fixation des droits de douane ad valorem. L'article 258 et l'annexe 6 de la Customs and Excise Act, 1952 traitent précisément et exclu- sivement de cette même question restreinte. Les termes utilisés dans la loi et la convention sont presque identiques, à part le fait que la loi omet les «Interpretative Notes to the Definition of Value» figurant dans la convention. L'on ne peut faire autre- ment qu'inférer que la loi était destinée à mettre la convention en application et ce, même en ne tenant pas compte de la genèse législative, à laquelle le lord juge RUSSELL fera réfé- rence. A mon avis, nous sommes justifiés de nous reporter à la convention pour résoudre les ambiguïtés ou difficultés présen- tées par les termes de l'article et de l'annexe concernés de la loi.
Dans ce même arrêt, le maître des rôles lord Denning, tenant des propos à caractère plus géné- ral, a simplement dit la page 874):
[TRADUCTION] [N]ous devrions toujours donner à nos lois une interprétation conforme au droit international. La loi soumise à notre examen n'incorpore pas expressément la convention ni n'y fait référence; mais cela n'a pas d'importance.
En l'espèce, la comparaison des objets de la Loi et de la convention n'est pas le seul élément condui- sant à la conclusion que la LMSI a été édictée pour mettre le Code en application. Cette conclusion s'impose plus particulièrement par la quantité et la qualité des dispositions de la LMSI incorporant celles du Code, au point les principaux concepts du Code (c.-à-d. les importations subventionnées, les importations subventionnées causant un préju- dice aux producteurs nationaux, la tolérance à l'égard des subventions autres que les subventions aux exportations) ont été adoptés. En somme, la Loi et le Code sont si liés que celle-ci doit être considérée comme le mettant en œuvre et le réflé- tant. L'on doit donc présumer que le Parlement a eu l'intention que la LMSI soit interprétée confor- mément au Code. En conséquence, la décision de la majorité du TCI était viciée par une erreur de droit dans la mesure elle dépendait d'une inter- prétation de la LMst contraire au Code.
Les avocats des intervenants ont soutenu subsidiai- rement que la décision de la majorité pouvait être maintenue pour des motifs compatibles avec les
obligations internationales du Canada. Cette pré- tention appelle un examen serré de la décision de la majorité.
La première déclaration de la majorité sur cette question semble viser davantage le subventionne- ment pratiqué aux États-Unis que les importations entrant au Canada (Dossier d'appel, à la page 139):
Il s'agit essentiellement de déterminer si l'application de la U.S. Food Security Act de 1985 qui, selon les constatations du sous-ministre, accorde des subventions pour le maïs-grain pro- duit aux États-Unis, était de nature à faire baisser de façon sensible les prix au Canada. Les autres indices de préjudice qui sont normalement pris en considération, notamment une aug mentation des importations et une diminution des ventes et du nombre d'emplois, ne sont pas présents dans le cas qui nous intéresse parce que les producteurs canadiens de maïs ont accepté de baisser leurs prix de façon à préserver leurs ventes face à l'invasion éventuelle de maïs américain vendu à bas prix.
Selon la disposition de la situation par la majo- rité du Tribunal, en raison de l'absence fondamen- tale de restrictions à la circulation du maïs-grain entre le Canada et les États-Unis, en raison du fait que la production américaine de maïs est beaucoup plus élevée que celle du Canada (la production canadienne ne représente qu'un peu moins de 4 % de la production américaine) et du fait que les exigences canadiennes en matière d'hygiène ont pour résultat de limiter aux seuls États-Unis les sources viables de maïs-grain importé, les prix nationaux du Canada se trouvent déterminés en grande partie par les prix et par les circonstances qui ont cours aux États-Unis. La majorité a incliné à considérer que le prix du Chicago Board of Trade est effectivement le prix mondial.
Tous reconnaissent que les prix ont substantiel- lement diminué depuis le milieu de l'année 1985 et que les diminutions de prix subies par les produc- teurs canadiens de maïs-grain sont d'une ampleur telle qu'elles constituent un préjudice sensible qui soit touche les fermiers directement en réduisant leur revenu, soit impose un fardeau supplémentaire aux programmes de soutien gouvernementaux. La majorité a alors énoncé la question une seconde fois (Dossier d'appel, à la page 140):
Cependant, il reste encore à déterminer si le subventionnement constaté par le sous-ministre intervient pour une part impor- tante dans ce préjudice.
Parce qu'elle se rapproche beaucoup du libellé du paragraphe 42(1), cette formule ne peut être quali-
fiée d'erronée, mais elle ne révèle pas non plus une compréhension claire des relations intrinsèques existant entre la Loi et le Code.
Le principal élément de la subvention établie par le sous-ministre dans sa décision définitive avait trait aux paiements d'appoint versés aux producteurs américains de maïs qui avaient été autorisés par la Food Security Act of 1985 [Pub. L. No. 99-198, Stat. 99 (1985)], une loi améri- caine de 1985 («la loi agricole de 1985»). Le système à la base de cette loi prévoit des prix cibles, qui jouent de façon générale le rôle de prix garantis, et des prix fixés à des fins d'emprunt, c'est-à-dire des prix auxquels les producteurs amé- ricains peuvent engager une récolte en nantisse- ment. Les paiements d'appoint correspondent à la différence entre le prix cible et le plus élevé du prix fixé à des fins d'emprunt ou du prix du marché. Les stocks détenus en garantie de prêts ne sont habituellement libérés qu'une fois que le prix du marché a atteint un certain niveau au-dessus de celui du prix fixé pour fins d'emprunt susmen- tionné. Des limites ayant trait à la superficie exploitée et aux récoltes déterminent le droit de participation des producteurs au programme.
La loi agricole américaine antérieure, adoptée en 1981, était destinée à encourager la production à une époque les perspectives mondiales por- taient à l'optimisme. En 1985, il était devenu clair que cet optimisme avait été mal fondé, en grande partie en raison de l'autosuffisance croissante des pays importateurs. Toutefois, au cours de ses pre- mières années d'existence, la loi agricole de 1981 a bénéficié aux producteurs canadiens en entraînant une augmentation des prix. Ce n'est qu'à l'égard des années 1984/85 et 1985/86 qu'une étude indé- pendante commandée par le Tribunal a conclu que les prix du marché auraient été plus élevés en l'absence de cette loi.
La loi agricole de 1985 visait à abaisser les prix afin d'accroître les exportations, tout en protégeant le revenu des agriculteurs américains; le pro gramme agricole qu'elle prévoyait était, de façon générale, davantage axé sur le marché. Les prix sont tombés de façon spectaculaire, mais les expor- tations ont continué de décliner.
Selon les faits, la majorité du TCI a alors tiré la conclusion suivante au sujet des situations présente et passée (Dossier d'appel, à la page 144):
Se fondant sur les témoignages reçus, la majorité du jury est persuadé que la baisse spectaculaire du prix international du maïs-grain est, dans une très large mesure, une conséquence directe des dispositions du Farm Bill de 1985; en fait l'un des objectifs déclarés du Farm Bill était d'accroître la compétitivité du maïs américain. Pour comprendre cet objectif, il faut savoir que les producteurs américains de maïs sont subventionnés depuis de nombreuses années. Comme le marché canadien est ouvert, ces prix plus faibles se sont répercutés au Canada et ont eu des conséquences fâcheuses d'envergure pour nos produc- teurs. Il n'y a aucun doute, du moins pour la majorité du jury, que le gouvernement américain n'aurait pas pu instaurer des mesures pour abaisser les prix, et ne l'aurait pas fait, sans protéger les producteurs américains contre les principaux effets d'une telle intervention. C'est ce qu'il a fait au moyen du programme de paiements d'appoint. Pour ces raisons, la majo- rité du jury conclut donc que le subventionnement du maïs- grain américain a causé et cause un préjudice sensible aux producteurs canadiens de maïs.
À mon avis, cette conclusion est erronée en droit, puisqu'elle est fondée sur une analyse qui ne tient pas compte du critère propre au Code selon lequel le préjudice sensible subi au pays doit avoir été causé par les importations subventionnées. En fait, sauf au cours des années 1980/81, 1981/82 et peut-être 1982/83, la quantité du maïs importé au Canada des États-Unis n'a pas augmenté au-delà de ses niveaux traditionnels. Au cours de ces années exceptionnelles, le Canada, ainsi que l'a souligné le membre dissident, a été utilisé comme pays transitaire pour les exportations des États- Unis destinées à l'Europe de l'Est qui cherchaient à contourner l'embargo américain sur les expédi- tions de céréales vers cette région à la suite de l'invasion soviétique de l'Afghanistan: au cours de cette période, les exportations canadiennes ont augmenté au moins autant que les exportations américaines vers le Canada.
Au regard d'une période entièrement écoulée comme la période passée, ou même au regard d'une période en cours, lorsqu'on emploie la seule méthode d'appréciation applicable à une période en cours, le préjudice sensible ne peut être mesuré qu'en fonction de réalités. Ces réalités, à leur tour, doivent être considérées en fonction du critère prescrit par le Code selon lequel un lien de causa- lité doit exister entre les importations subvention- nées et le préjudice sensible. Lorsque les importa tions subventionnées n'ont pas véritablement augmenté, il ne peut être établi qu'un préjudice sensible a ainsi été causé.
Toutefois, le paragraphe 42(1) prévoit un critère supplémentaire, exprimé par les mots «est suscepti ble de causer un préjudice sensible», et c'est à ce point qu'il y a contestation liée. La majorité du Tribunal a tenu les propos suivants au sujet de cette possibilité immédiatement après le passage précité (Dossier d'appel, à la page 144):
Tout indique que les conditions actuelles se maintiendront pendant quelque temps. Même avec des mises hors production plus pénibles, il est peu probable que la production américaine puisse être alignée sur la demande longtemps avant la campa- gne agricole de 1988/1989. Il semble qu'il faudra encore plus de temps pour se débarrasser des stocks encombrants accumulés. Le Farm Bill de 1985 prévoit des prix cibles et des prix garantis plus faibles pour les années à venir. Le volume du commerce international ne montre aucun signe d'expansion; au contraire, il semble qu'il se contractera. Dans ces circonstances, on ne peut s'attendre à une augmentation importante des prix, ce qui signifie que les producteurs américains continueront d'avoir besoin de l'appui de leur gouvernement. Par conséquent, la majorité du jury estime que le subventionnement du maïs-grain américain continuera de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises similaires.
Les requérantes ont soutenu que ce passage contenait l'ensemble du raisonnement de la majo- rité sur la question de savoir si un préjudice sensi ble est susceptible d'être causé. Si tel était le cas, ces propos seraient absolument inadéquats, mais je n'interprète pas la décision de la majorité dans ce sens. La majorité a poursuivi en déclarant correc- tement que la requérante prétendait que «le préju- dice sensible allégué dans la plainte doit être ratta- ché aux importations subventionnées, et pas seulement au subventionnement que le sous-minis- tre a constaté dans un pays étranger» (Dossier d'appel, à la page 145). La majorité a semblé accepter cet argument, à tout le moins ad homi- nem, mais elle a précisé que même le Code permet de réagir aussi bien lorsqu'un préjudice sensible risque d'être causé que lorsqu'il a réellement été causé (Dossier d'appel, à la page 146):
La Loi sur les mesures spéciales d'importation et le Code des subventions du GATT visent tous deux explicitement le problè- me des marchandises qui font l'objet d'un commerce déloyal et causent ou menacent de causer un préjudice. Leurs dispositions doivent forcément être interprétées, non pas dans l'abstrait, mais en tenant compte de l'environnement dans lequel elles s'appliquent, à savoir le commerce international. Vu que les réalités économiques et commerciales des échanges internatio- naux imposent d'offrir des prix concurrentiels ou de perdre sa part du marché, la majorité du jury croit qu'il faut interpréter largement le terme «importations subventionnées», c'est-à-dire qu'il faut tenir compte des importations éventuelles et proba bles pour déterminer s'il y a préjudice sensible. Faire autre- ment, estime-t-elle, serait contrecarrer le système.
Je ne puis que souscrire à cette déclaration. Ainsi que la LMSI et le Code le disent tous deux claire- ment, un pays se considérant menacé a le droit de prendre en compte non seulement ce qui est déjà arrivé mais encore ce qui est raisonnablement sus ceptible de se produire. La majorité a manifeste- ment raison d'interpréter ainsi le mandat du TCI.
Il doit cependant ressortir à l'évidence qu'un tel calcul est particulièrement difficile à effectuer. Ayant trait à l'avenir, il doit, dans une certaine mesure, avoir un caractère conjectural. Il ne doit pas se fonder uniquement sur des suppositions: ce calcul doit être raisonnable et s'appuyer sur des faits et des prévisions probables, sur des déductions tirées de réalités. Je ne considère pas que l'analyse de la majorité satisfait à ce critère (Dossier d'ap- pel, à la page 146):
Dans le cas du maïs-grain, les importations au Canada, bien que modestes, se font depuis quelques années. Par conséquent, il ne s'agit pas de déterminer si des importations ont eu lieu, mais si elles auraient augmenté de façon notable si les produc- teurs canadiens n'avaient pas aligné leurs prix sur ceux du maïs américain subventionné. Etant donné que le marché canadien est ouvert, les importations auraient certainement été beaucoup plus considérables.
Mais la conclusion prise et soutenue par la majo- rité que des importations auraient certainement été beaucoup plus considérables n'apparaît pas constituer une conjecture raisonnable au sujet de l'avenir. En effet, il ne me semble pas évident que la décision de la majorité soit étayée par autre chose que cette affirmation verbale téméraire.
Si la majorité a motivé de quelque autre façon sa décision, elle l'a forcément fait en traitant de l'effet d'un droit compensateur, un argument qu'elle a considéré comme accessoire. Ainsi a-t-elle examiné deux prétentions contraires à sa conclu sion: selon la première, en ce qui concerne l'utilisa- tion du maïs dans l'alimentation des animaux, qui compte pour 75 pour 100 de l'utilisation cana- dienne du maïs, les utilisateurs se tourneraient vers d'autres céréales fourragères, principalement l'orge et le blé; selon la seconde prétention, les fabricants qui utilisent du maïs canadien dans la production de biens qu'ils exportent se tourne- raient, en raison de la possibilité de se prévaloir de drawbacks, vers le maïs importé; chacun de ces deux facteurs entraînerait une réduction de la consommation nationale, qui aurait des effets
néfastes pour les producteurs canadiens, dont la situation, en conséquence, résulterait de la dépres- sion causée par les conditions mondiales plutôt que des importations subventionnées. Pour la majorité, les parties ayant fait valoir de tels arguments ont perdu parce qu'elles ne s'étaient pas acquittées du fardeau de la preuve (Dossier d'appel, à la page 147):
En dernière analyse, aucune preuve convaincante n'a été pro- duite pour amener la majorité du jury à croire que les produc- teurs canadiens ne continueraient pas de tirer un profit notable des droits compensateurs pendant au moins le reste de la présente campagne agricole.
En statuant sur des prétentions contraires à sa conclusion, dont il pouvait être présumé que le bien-fondé, selon les règles ordinaires de la preuve, incombait à ceux qui les avançaient, la majorité du Tribunal a à toutes fins pratiques délesté du far- deau de la preuve ceux qui prétendaient qu'un préjudice sensible était susceptible d'être causé, pour transférer ce fardeau à ceux qui soutenaient le contraire, alors que, selon mon interprétation, le paragraphe 42(1) («le Tribunal fait enquête sur
. les questions suivantes ..., à savoir ... si ... [le] subventionnement [des marchandises en cause] ... a causé», etc.) impose le fardeau de la preuve à la partie alléguant le préjudice sensible.
La conclusion que les producteurs canadiens auraient subi un préjudice sensible s'ils n'avaient réagi en ajustant leurs prix ne ressort pas à l'évi- dence mais implique qu'une inférence soit tirée de la preuve. Non seulement le Tribunal n'a-t-il pas tenu compte de la disponibilité des stocks de maïs américain pour l'exportation vers le Canada (con- sidérant, par exemple, l'importance des stocks détenus par le gouvernement américain et, de ce fait, retirés des mains des particuliers) ou la pro portion du marché canadien qui pourrait être affectée après les exemptions accordées à l'égard du maïs-grain à être consommé en Colombie-Bri- tannique et à l'égard du maïs jaune ou blanc denté à être utilisé par les fabricants de grignotines et de tortillas, mais le Tribunal a également omis d'éta- blir que le niveau peu élevé des prix canadiens à venir résulterait des importations subventionnées américaines plutôt que des conditions mondiales, un point fondamental. Il a tranché cette question en renversant du fardeau de la preuve, omettant ainsi d'établir qu'il existait un lien de causalité
entre les importations subventionnées et le préju- dice sensible. Je suis forcé de conclure que l'erreur de droit qui a entaché la décision de la majorité du Tribunal relativement à la situation passée et à la situation présente a également vicié sa décision sur la question de savoir si un préjudice sensible était susceptible d'être causé dans l'avenir.
En conséquence, j'accueillerais la demande fondée sur l'article 28, j'annulerais la décision du Tribunal canadien des importations en date du 6 mars 1987, et je lui renverrais la question pour qu'il en décide à nouveau en tenant pour acquis que, lorsque la Loi sur les mesures spéciales d'im- portation est interprétée à la lumière du Code des subventions et des droits compensateurs, le préju- dice sensible subi par les producteurs canadiens doit être imputé aux importations subventionnées. Comme le Tribunal a commis une erreur de droit, je ne soustrairais pas le maïs-grain destiné à être consommé dans la province de Colombie-Britanni- que à ce nouvel examen.
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