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T-1042-86 T-1090-86 T-1200-86
Commissaire à l'information du Canada (requé- rant)
c.
Ministre des Affaires extérieures (intimé)
RÉPERTORIÉ: CANADA (COMMISSAIRE À L'INFORMATION) c. CANADA (MINISTRE DES AFFAIRES EXTÉRIEURES)
Division de première instance, juge en chef adjoint Jerome—Ottawa, 2 décembre 1987, 9 mars et 15 avril 1988.
Accès â l'information Le ministère des Affaires extérieu- res s'est fondé sur l'art. 9(1) de la Loi pour différer de donner communication de renseignements concernant les négociations sur le libre-échange avec les E.-U.A. Il est allégué que les prorogations étaient excessives et injustifiées Politique consistant â décider d'invoquer la disposition relative à la prorogation de délai en attendant la communication de rensei- gnements au public La plupart des renseignements en cause ont depuis été divulgués Requête en rejet des demandes de révision fondées sur l'art. 42 au motif qu'il s'agissait d'une question théorique Les prorogations de délai constituent- elles des refus présumés? La Cour fédérale a-t-elle compé- tence pour accorder un jugement déclaratoire dans les circonstances?
Contrôle judiciaire Recours en equity Jugements déclaratoires Accès à l'information Au sujet de la communication de renseignements concernant les négociations sur le libre-échange, le ministère des Affaires extérieures a fait de l'obstruction en invoquant l'art. 9(1) de la Loi Les prorogations de délai sont-elles excessives et injustifiées? Constituent-elles des refus présumés? Ces renseignements ont depuis été divulgués Requête en rejet des demandes de révision fondées sur l'art. 42 au motif qu'il s'agissait d'une question théorique En vertu de la Loi, les institutions fédérales entretiennent une relation continue avec le Commis- saire â l'information Un jugement déclaratoire énonçant les critères relatifs à une prorogation de délai aiderait les deux parties à établir leurs devoirs en vertu de la Loi.
Compétence de la Cour fédérale Division de première instance Accès â l'information Révision, prévue à l'art. 42, du retard dans la communication fondé sur l'art. 9(1) Les renseignements ont depuis été divulgués Il est allégué qu'il s'agissait d'une question théorique Y a-t-il perte de compétence? La Cour doit décider s'il y avait refus présumé Pouvoirs de la Cour sous le régime de l'art. 49 Les délais injustifiés sont susceptibles de contrôle judiciaire.
Il s'agit de requêtes en rejet des demandes de révision fondées sur l'article 42 de la Loi sur l'accès à l'information. Les requérants ont demandé la communication de renseigne- ments relatifs aux négociations entre le Canada et les États- Unis d'Amérique en vue d'un accord sur le libre-échange. Le ministère des Affaires extérieures a invoqué le paragraphe 9(1) de la Loi (qui prévoit les prorogations du délai de communica-
tion ou les motifs du refus de communication). Il a indiqué comme motifs les mots exacts des alinéas 9(1)a) et b). Les requérants ont déposé des plaintes auprès du Commissaire à l'information, soutenant que les prorogations de délai sem- blaient excessives et injustifiées. L'enquête qui s'est ensuivie a révélé que le ministre avait l'intention de rendre publiques certaines des études qui faisaient l'objet des demandes en cause mais que, jusqu'à ce moment, le Ministère invoquerait une prorogation de délai pour toutes les demandes de renseigne- ments concernant les négociations sur le libre-échange. Les études non rendues publiques devraient être examinées afin d'établir les exemptions applicables. Le Commissaire à l'infor- mation a conclu à l'inexistence de bonnes raisons et a recom- mandé la communication des renseignements demandés. Aucune autre raison pour les prorogations de délai n'a été fournie. A l'expiration des délais prorogés, le Commissaire a estimé qu'il y avait eu refus présumé de donner communication en vertu du paragraphe 10(3), et il a introduit les présentes requêtes en révision judiciaire. Peu de temps après, la plupart des renseignements demandés par les requérants ont été divul- gués. Le Ministère a invoqué des exemptions prévues par la Loi pour continuer à refuser de communiquer toute autre information.
L'intimé a fait valoir que la Cour n'avait pas compétence pour réviser une prorogation de délai en vertu du paragraphe 9(1), étant donné que le seul recours que la Loi prévoit pour le requérant qui s'oppose à une prorogation de délai est celui de se plaindre au Commissaire à l'information. Le second argument repose sur le fait que la version anglaise de l'article 49 parle du «refus» au temps présent. Selon l'intimé, puisque les documents demandés avaient déjà été divulgués, aucun refus n'existait plus, et la Cour a perdu sa compétence sur l'affaire. L'intimé a soutenu en dernier lieu que la Cour devrait refuser d'examiner une demande de jugement déclaratoire lorsque la question visée est devenue théorique, à moins que le jugement déclaratoire ne soit utile en tant que directive pratique aux parties pour leurs relations futures.
Jugement: les requêtes devraient être rejetées.
Le premier argument est tombé lorsque l'avocat a admis qu'une prorogation de délai non autorisée peut équivaloir à un refus présumé. Si le refus de communiquer est une condition préalable à l'exercice de la compétence de la Cour en vertu de l'article 42 de la Loi, elle doit donc, pour établir la portée de sa propre compétence, déterminer dans chaque cas s'il y a eu refus ou non. Lorsque la demande vise une prorogation de délai prétendument non autorisée par l'article 9, cette enquête con- siste à établir si la prorogation était justifiée ou si elle équiva- lait à un refus présumé. La Cour doit pouvoir examiner la prorogation elle-même, ainsi que les raisons invoquées à son appui. D'après la preuve, on peut soutenir que les prorogations en cause constituaient des refus présumés. On peut donc soute- nir que l'article 42 confère à la Cour compétence pour réviser la décision d'invoquer lesdites prorogations de délai.
Quant au deuxième argument, la Cour n'a pas perdu sa compétence par suite de la communication des documents demandés. Les pouvoirs conférés à la Cour par l'article 49 ne se limitent pas à la délivrance d'une ordonnance de communica tion, mais ils comprennent celui de rendre «une autre ordon- nance si elle l'estime indiqué». L'interprétation de l'intimé rendrait inutile toute autre ordonnance. Il y aurait toujours un
refus qui existe encore, et la communication serait toujours le redressement recherché. La simple communication physique de documents ne constitue pas toujours un redressement suffisant suite à une violation du droit d'accès. Par le truchement du paragraphe 10(3) et des articles 42 et 49, le législateur s'est assuré que la Cour a compétence pour réviser également les cas de retards injustifiés à communiquer des documents.
La Loi sur l'accès à l'information a établi une relation continue entre le Commissaire à l'information et chaque insti tution fédérale. Un jugement déclaratoire énonçant les critères relatifs à une prorogation de délai justifiée aiderait les deux parties à établir leurs devoirs en vertu de la Loi. Le texte de la Loi a une portée assez large pour englober l'octroi d'un juge- ment déclaratoire même si ce dernier n'a peut-être pas de conséquence pratique en ce sens que le retard à communiquer équivaut à un refus de communiquer lorsque l'information recherchée devient désuète après une certaine date.
La Cour ne rendrait pas une ordonnance forçant le Ministère à préciser les raisons pour lesquelles il a invoqué des proroga- tions de délai, puisque la Loi donne au Commissaire à l'infor- mation amplement de moyens pour les obtenir.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur l'accès à l'information, S.C. 1980-81-82-83, chap. 111 (annexe I), art. 9(1), 10(3), 42, 49.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 327.
JURISPRUDENCE
DECISION APPLIQUÉE:
Syndicat des postiers du Canada c. Brown, Conseil du Trésor et Commission des relations de travail dans la Fonction publique (1981), 36 N.R. 583 (C.A.F.).
AVOCATS:
M. L. Phelan, P. J. Wilson et Paul B. Tetro
pour le requérant.
Barbara A. Mclsaac pour l'intimé.
PROCUREURS:
Osier, Hoskin & Harcourt, Ottawa, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME: Ces demandes ont trait à des renseignements relatifs aux négociations entre le Canada et les États-Unis en vue d'un accord de libre-échange. Certaines questions préliminaires importantes qui ont été soulevées doivent être tranchées avant que les demandes puissent faire l'objet d'une révision en vertu de l'article 42.
Suite à trois demandes déposées le 9 mai 1986 en vertu de l'alinéa 42(1)a) de la Loi sur l'accès à l'information [S.C. 1980-81-82-83, chap. 111 (annexe I)], le requérant cherche à obtenir une révision des refus présumés de communiquer cer- tains renseignements. Le Ministère intimé a par la suite divulgué la plupart des renseignements en cause. Le 26 novembre 1986, l'intimé a déposé trois requêtes préliminaires visant à obtenir des ordonnances rejetant les demandes faites en vertu de l'article 42 au motif qu'il s'agissait d'une ques tion théorique sans conséquences pratiques. J'ai entendu les arguments sur les demandes de l'in- timé le 28 janvier 1987, mais j'ai réservé mon jugement en attendant l'audition des demandes principales. Le 25 septembre 1987, le requérant a déposé trois autres requêtes préliminaires deman- dant l'instruction d'un point litigieux en vertu de la Règle 327 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663] ou un redressement subsidiaire. J'ai été saisi de ces questions à Ottawa (Ontario), le 2 décembre 1987. J'ai rendu mon jugement à l'au- dience le 9 mars 1988.
Les présents motifs visent les deux groupes de questions préliminaires, mais ils ne s'appliquent pas aux demandes de révision qui n'ont pas encore été 'entendues. Les parties ont convenu que les demandes de rejets seraient examinées avec les requêtes visant l'instruction d'un point litigieux.
Sauf en ce qui concerne les dates, les faits en cause dans les trois dossiers sont à peu près identi- ques. Vers la fin de 1985, les requérants ont demandé au ministère des Affaires extérieures la communication de documents concernant les négo- ciations prochaines sur le libre-échange avec les États-Unis. Étant donné que les détails sur les négociations n'avaient pas encore été rendus publics, on peut présumer que le but de ces deman- des était d'obtenir plus de renseignements à ce sujet. Dans chaque cas, le dernier jour du délai de 30 jours accordé au Ministère pour répondre à la demande, on a informé le requérant qu'on avait l'intention d'invoquer une prorogation de délai en vertu du paragraphe 9(1). L'une des prorogations de délai était de 60 jours, alors que les autres étaient de 120 jours.
9. (1) Le responsable d'une institution fédérale peut proro- ger le délai mentionné à l'article 7 ou au paragraphe 8(1) d'une période que justifient les circonstances dans les cas où:
a) l'observation du délai entraverait de façon sérieuse le fonctionnement de l'institution en raison soit du grand nombre de documents demandés, soit de l'ampleur des recherches à effectuer pour donner suite à la demande;
b) les consultations nécessaires pour donner suite à la demande rendraient pratiquement impossible l'observation du délai;
e) avis de la demande a été donné en vertu du paragraphe 28(1).
Dans l'un ou l'autre des cas prévus aux alinéas a), b) et c), le responsable de l'institution fédérale envoie à la personne qui a fait la demande, dans les trente jours suivant sa réception, un avis de prorogation de délai, en lui faisant part de son droit de déposer une plainte à ce propos auprès du Commissaire à l'information; dans les cas prévus aux alinéas a) et b), il lui fait aussi part du nouveau délai.
Chaque requérant a reçu du Ministère une lettre l'informant de la prorogation et indiquant comme motifs les mots exacts des alinéas 9(1)a) et b). Les lettres se lisent comme suit:
[TRADUCTION] Je désire vous informer qu'une prorogation de délai d'au plus 120 jours, au-delà de la limite statutaire de 30 jours, est nécessaire étant donné que l'observation du délai entraverait de façon sérieuse le fonctionnement du Ministère, et que les consultations nécessaires avec d'autres institutions gou- vernementales pour donner suite à la demande rendraient prati- quement impossible l'observation du délai. Cette prorogation de délai est prévue aux alinéas 9(1)a) et b) de la Loi sur l'accès à l'information.
La raison indiquée pour la prorogation de délai de 60 jours visant la première demande de M. Cohn est un peu plus précise:
[TRADUCTION] Je désire vous informer que nous sommes en consultation avec d'autres institutions fédérales concernant la possibilité de communiquer certains documents. Par consé- quent, comme le prévoit l'alinéa 9(1)b) de la Loi, je dois vous aviser qu'une prorogation de délai de 60 jours, au-delà de la limite statutaire de 30 jours, est nécessaire pour répondre à votre demande de communication d'informations. Une fois cette consultation terminée, je vous ferai part de la décision.
Au début de l'année 1986, tous les requérants ont déposé des plaintes auprès du Commissaire à l'information. Ils soutenaient que les prorogations de 120 jours semblaient excessives et non justi fiées, étant donné que ces informations devaient être immédiatement accessibles aux fonctionnaires du Ministère. M. Cohn a également indiqué que la date limite sur sa première demande, qui avait été prorogée de 60 jours, était maintenant passée.
L'enquêteur nommé par le Commissaire à l'in- formation, M. James Gordon Long, décrit dans
son affidavit les étapes qu'il a suivies en rapport avec ces plaintes:
[TRADUCTION] 6. Le 29 janvier 1986, j'ai rencontré, dans son bureau, le coordonnateur de l'accès à l'information du ministère des Affaires extérieures pour enquêter sur les plaintes. Lors de cette rencontre, celui-ci m'a dit qu'à ce jour le Ministère avait reçu dix demandes de renseignements relatives aux négociations sur le libre-échange avec les États-Unis. Il m'a également informé que le Ministère avait invoqué une prorogation de délai de 120 jours pour chacune des dix demandes.
7. Le coordonnateur m'a également avisé durant notre rencon- tre que les fonctionnaires du ministère des Affaires extérieures avaient décidé de proroger le délai pour toutes les demandes d'accès qu'ils avaient reçues concernant les négociations sur le libre-échange avec les États-Unis.
8. La rencontre du 29 janvier avait pour but de demander au coordonnateur les raisons pour lesquelles le ministère avait prorogé le délai de 120 jours. Le coordonnateur m'a informé que le ministre des Affaires extérieures avait l'intention de rendre publiques certaines études relatives aux négociations sur le libre-échange qui faisaient l'objet des demandes en cause. Le coordonnateur a indiqué que les études et les documents démandés en vertu de la Loi sur l'accès à l'information et non rendus publics par le Ministre devraient être examinés afin d'établir les exemptions ou exclusions applicables en vertu de la Loi.
9. À ladite réunion, le coordonnateur a proposé de fixer un rendez-vous avec des fonctionnaires de la Direction des pro grammes du Ministère pour discuter de la raison pour laquelle les prorogations de délai étaient nécessaires. J'ai accepté d'as- sister à une telle réunion.
10. Le 6 février 1986, le coordonnateur m'a avisé que les fonctionnaires responsables du groupe de travail sur le libre- échange n'avaient pas d'autres renseignements et ne voyaient pas la nécessité de me rencontrer.
11. Le 21 février 1986, j'ai de nouveau rencontré le coordonna- teur de l'accès à l'information et des fonctionnaires de son bureau. À cette réunion, ils m'ont informé qu'un membre du groupe de travail sur le libre-échange avait été chargé au cours de la semaine d'examiner chaque demande d'accès à des docu ments relatifs aux négociations sur le libre-échange avec les États-Unis. On m'a avisé que des recommandations visant chaque demande avaient été faites et que des conseillers juridi- ques du Ministère et des fonctionnaires du Bureau du Conseil privé devaient examiner lesdites demandes.
12. Le 10 mars 1986, j'ai appelé le bureau du coordonnateur de l'accès à l'information pour m'informer de l'état des demandes en question. Un fonctionnaire m'a dit qu'aucune réponse n'avait encore été transmise sur la demande du plaignant.
Suite à l'enquête, un échange de lettres a eu lieu entre le Commissaire à l'information et le minis- tère des Affaires extérieures. Dans une lettre au ministre en date du 2 avril 1986, le Commissaire à l'information décrit les trois demandes, les répon- ses reçues et les plaintes déposées. Le Commissaire indique que le Ministère n'a donné aucune bonne
raison pour les prorogations de délai de 120 jours qu'il a invoquées:
[TRADUCTION] Les requérants allèguent qu'il ne s'agissait que de quelques documents et que, étant donné qu'ils étaient bien identifiés, il devrait être facile de les trouver. Notre enquête a confirmé ces points, et nos efforts pour connaître les raisons du long délai n'ont rien donné. En fait, le ministère des Affaires extérieures a annulé une réunion dont le but était de discuter de ces raisons.
Au cours de l'enquête sur ces plaintes, on a demandé à vos fonctionnaires de justifier les prorogations de délai. Pour toute réponse, ils ont mentionné l'article 9 et le fait que le coordonna- teur avait reçu des directives l'enjoignant d'invoquer une proro- gation de délai de 120 jours pour toutes les demandes ayant trait à la question du libre-échange. Le coordonnateur ne semblait pas avoir été mis au courant des raisons ou autorisé à fournir des explications à notre enquêteur. N'ayant obtenu aucune justification des prorogations, j'ai conclu que celles-ci étaient, en fait, non justifiées et, conformément au paragraphe 37(1) de la Loi sur l'accès à l'information, j'ai donc recommandé:
a) que les documents demandés soient communiqués au plaignant et
b) que vous m'avisiez au plus tard le 8 avril 1986 de toute mesure prise ou proposée visant la mise en oeuvre de cette recommandation, ou me fassiez connaître les raisons pour lesquelles vous n'avez pris ou proposé aucune mesure.
Dans sa réponse datée du 7 avril 1986, le Minis- tère a souligné que les prorogations de délai de 120 jours n'étaient pas encore expirées. La lettre se terminait comme suit:
[TRADUCTION] Il semble y avoir une certaine confusion en ce qui concerne votre déclaration voulant que vous n'ayez reçu aucune justification relative aux prorogations de délai. On m'informe que le coordonnateur du Ministère a fourni des explications à ce sujet à votre enquêteur lors d'une rencontre dans son bureau, le 29 janvier. Aucune autre réunion n'a été tenue parce qu'il a été convenu qu'il n'y avait rien à ajouter aux explications déjà fournies. Cependant, le coordonnateur et les autres fonctionnaires du Ministère étaient disposés, et ils le sont toujours, à discuter de l'affaire.
Le 14 avril, le Commissaire indique que cette réponse est insatisfaisante dans une lettre qui se lit comme suit:
[TRADUCTION] Comme vous l'avez souligné, les prorogations de délai ne sont pas encore expirées, mais il reste à savoir si les prorogations de délai de 120 jours, qui constituent le fondement même des plaintes, étaient justifiées. Les explications fournies à l'enquêteur ne sont pas suffisantes pour me permettre de con- clure que lesdites prorogations étaient justifiées et, dans votre lettre, vous ne faites que répéter que des explications ont été fournies à l'enquêteur le 29 janvier 1986. Si je comprends bien, les raisons données à ce moment-là étaient semblables à celles fournies dans votre lettre du 7 avril 1986, sur votre dossier A-180, vous indiquiez que vous n'aviez à peu près rien fait pour donner suite aux demandes en attendant la mise sur pied du Bureau des négociations commerciales.
Afin d'être en mesure d'évaluer le bien-fondé desdites proroga- tions de délai, il nous faut des détails sur chaque cas: nombre exact de documents en cause, mesures qui ont été prises depuis la réception de la demande, date à laquelle ces mesures ont été prises, autres mesures qui restent à prendre, consultations qui ont été faites, date à laquelle elles ont été faites, consultations qui sont envisagées et façons dont le fonctionnement du Minis- tère aurait été entravé si ces documents avaient été communi- qués plus tôt.
Comme je l'indique dans ma lettre du 2 avril 1986, étant donné que nous n'avons reçu aucune justification relative auxdites prorogations, je suis obligée de conclure qu'il n'en existe aucune. Par conséquent, j'exige que vous me fournissiez les détails susmentionnés au plus tard le 18 avril 1986.
La réponse finale du Ministère, datée du 18 avril 1986, se lisait en partie comme suit:
[TRADUCTION] Il me semble que ce qui importe maintenant est d'acheminer ces demandes aussitôt que possible et certaine- ment avant l'expiration des délais. Malheureusement, malgré tous nos efforts, le travail n'est pas encore terminé.
À mon avis, ceci est une indication que les prorogations de délai de 120 jours pour le traitement de ces demandes étaient réalistes. L'ors des rencontres du 29 janvier et du 21 février au bureau de notre coordonnateur, des explications détaillées ont été fournies à votre enquêteur à ce sujet.
Essentiellement, il s'agissait d'un problème de temps pour mettre sur pied l'appareil gouvernemental nécessaire pour les négociations sur les échanges commerciaux avec les États-Unis. C'est pourquoi, des consultations avec les ministres et avec un certain nombre de ministères sur l'opportunité de communiquer les documents demandés étaient nécessaires. Ces consultations sont presque terminées.
Le Ministère intimé n'a jamais fourni d'autres raisons pour les prorogations de délai. Dans une lettre adressée aux plaignants, le Commissaire a indiqué qu'aucune preuve acceptable pouvant jus- tifier une prorogation de délai n'avait été recueillie au cours de son enquête et que les plaintes étaient inscrites comme étant bien fondées. Dans ses let- tres, expédiées à la fin d'avril et au début de mai, le Commissaire a également indiqué que les délais prorogés, justifiés ou non, étaient maintenant expi- rés et que, par conséquent, il y avait refus présumé de communiquer les documents au sens du para- graphe 10(3). Le Commissaire a avisé les plai- gnants de leur droit à une révision judiciaire en vertu de la Loi et a offert de déposer une requête en leur nom. Tous ont accepté cette offre et les trois demandes en vertu de l'article 42 ont été déposées les 9, 14 et 26 mai 1986.
Le 21 mai 1986, les négociations sur le libre- échange ont commencé à Ottawa. La plupart des renseignements que ces requérants avaient cherché
à obtenir ont été rendus publics le même jour. D'autres documents ont été divulgués les 29 et 30 mai. Le Ministère a invoqué des exemptions pré- vues par la Loi pour continuer à refuser de com- muniquer toute autre information.
Les demandes déposées en vertu de l'article 42 de la Loi visaient une révision des refus présumés de l'intimé, au sens du paragraphe 10(3), de com- muniquer les renseignements demandés. Les para- graphes 10(3) et 42(1) se lisent comme suit:
10.
(3) Le défaut de communication totale ou partielle d'un document dans les délais prévus par la présente loi vaut déci- sion de refus de communication.
42. (1) Le Commissaire à l'information a qualité pour:
a) exercer lui-même, à l'issue de son enquête et dans les délais prévus à l'article 41, le recours en révision pour refus de communication totale ou partielle d'un document, avec le consentement de la personne qui avait demandé le document;
b) comparaître devant la Cour au nom de la personne qui a exercé un recours devant la Cour en vertu de l'article 41;
c) comparaître, avec l'autorisation de la Cour, comme partie à une instance engagée en vertu des articles 41 ou 44. [C'est moi qui souligne.]
Selon la formulation de l'article 42, une demande de révision doit être fondée sur un refus de communiquer. Le requérant soutient que ces demandes ont fait l'objet de deux refus présumés. Premièrement, il maintient que les prorogations de délai dont s'est prévalu l'intimé n'étaient pas auto- risées par le paragraphe 9(1). Le responsable de l'institution a donc dépassé le délai prévu par la Loi et il y a donc un refus présumé de communi- quer en vertu du paragraphe 10(3). L'intimé con- vient, au paragraphe 9 de son exposé des points d'argument, qu'une prorogation de délai non auto- risée par le paragraphe 9(1) peut constituer un refus présumé:
[TRADUCTION] 9. En ce qui concerne le caractère raisonnable de la prorogation de délai, ou la question de savoir si les critères énoncés aux alinéas 9(1)a) ou b) de la Loi sont satisfaits, l'intimé concède que, lorsqu'une prorogation de délai ne peut pas être qualifiée de raisonnable ou lorsque les critères en question ne sont pas satisfaits, ladite prorogation n'est pas autorisée par la Loi et, par conséquent, peut constituer un refus présumé.
Deuxièmement, le refus présumé était clair lors- que les délais prorogés ont expiré. L'intimé l'a admis au paragraphe 8 de son exposé des points d'argument:
[TRADUCTION] 8. En ce qui touche le point (i), il a été admis qu'il y a définitivement eu refus présumé dans chaque cas, étant donné que l'intimé n'a pas répondu à la demande à l'intérieur du délai prorogé.
Compte tenu de cet aveu, le requérant me demande d'examiner le bien-fondé des proroga- tions de délai en vertu de l'article 42. Il soutient que, à moins que la Cour ne soit autorisée à le faire, les ministères utiliseront constamment ce pouvoir de prorogation pour retarder la communi cation d'informations au-delà d'une date critique. Pareille procédure aurait pour effet de rendre inef- ficace le droit d'une personne à une communica tion opportune. En outre, selon le requérant, le fait que, en l'espèce, les documents demandés ont déjà été rendus publics ne devrait pas modifier le pou- voir de révision de la Cour. Si l'on estime que le fait d'avoir par la suite rendu publics les docu ments demandés constitue un redressement suffi- sant, le requérant qui se voit refuser une communi cation jusqu'à ce que le seul passage du temps rende celle-ci inutile n'a plus alors aucun recours. Finalement, le Commissaire à l'information sou- tient que le pouvoir que confère à la Cour l'article 49 est suffisamment étendu pour englober le redressement qu'elle recherche.
L'intimé m'incite à rejeter les demandes présen- tées en vertu de l'article 42 pour trois raisons fondamentales:
1) La Cour n'a pas compétence pour réviser une prorogation de délai en vertu du paragraphe 9(1), étant donné que le seul recours que la Loi prévoit pour le requérant qui s'oppose à une prorogation de délai est celui de se plaindre au Commissaire à l'information. Celui-ci a suffisamment d'autorité pour régler une plainte et porter à l'attention du Parlement tout abus du pouvoir de prolonger un délai. Il n'est pas nécessaire d'imputer au législa- teur l'intention de conférer également à la Cour un pouvoir de révision d'une décision prise en vertu de l'article 9. Une telle révision n'est pas exigée par les termes mêmes de la Loi.
2) Étant donné que les documents demandés ont déjà été rendus publics, le refus de communiquer
n'existe plus. Par conséquent, la Cour n'a plus compétence sur l'affaire, car son pouvoir de révi- sion repose sur un refus qui existe toujours.
3) Si la Cour a compétence pour entendre lesdites demandes, le redressement demandé ne peut être accordé. Les pouvoirs conférés par la Loi ne com- prennent pas le jugement déclaratoire, qui serait le seul redressement encore disponible pour le requé- rant. Même si c'était le cas, une telle ordonnance ne servirait aucune fin utile en l'espèce.
La première prétention de l'intimé semble con- tredire son propre aveu voulant qu'une prorogation de délai non autorisée peut constituer un refus présumé. Si le refus de communiquer est une condition préalable à l'exercice de la compétence de cette Cour en vertu de l'article 42 de la Loi, elle doit donc, pour établir la portée de sa propre compétence, déterminer dans chaque cas s'il y a eu ou non refus. Lorsque la demande vise une proro- gation de délai supposément non autorisée par l'article 9, cette enquête consiste à établir si la prorogation était justifiée ou si elle pourrait consti- tuer un refus présumé. Pour ce faire, la Cour doit nécessairement pouvoir examiner la prorogation elle-même, ainsi que les raisons invoquées à son appui.
D'après la preuve déjà au dossier, dont une bonne partie a été citée ci-dessus, on peut au moins soutenir que les prorogations en cause constituent des refus présumes. Par conséquent, on peut aussi soutenir que l'article 42 confère à cette Cour com- pétence pour réviser la décision de l'intimé d'invo- quer lesdites prorogations de délai. Pour statuer sur les présentes requêtes, il n'est pas nécessaire de faire d'autres constatations sur ce point. Avant d'examiner à fond les prorogations de délai et leurs raisons, il faut attendre que les demandes de révi- sion aient été entendues.
La deuxième prétention, qui constitue l'argu- ment principal de l'intimé, est que, du fait que les documents demandés ont été divulgués, la Cour n'a plus compétence pour réviser l'un ou l'autre type de refus présumés, puisqu'il n'y a plus de refus à réviser. Il soutient que la communication est le redressement de tout refus antérieur et elle enlève à la Cour la compétence que lui confèrent les articles 42 et 49. L'article 49 se lit comme suit:
49. La Cour, dans les cas elle conclut au bon droit de la personne qui a exercé un recours en révision d'une décision de refus de communication totale ou partielle d'un document fondée sur des dispositions de la présente Loi autres que celles mentionnées à l'article 50, ordonne, aux conditions qu'elle juge indiquées, au responsable de l'institution fédérale dont relève le document en litige d'en donner à cette personne communication totale ou partielle; la Cour rend une autre ordonnance si elle l'estime indiqué. [C'est moi qui souligne.]
L'intimé soutient que, puisque l'article 49, dans sa version anglaise, emploie «refuses» (refus) et «is not authorized to refuse» au temps présent, la Cour a compétence pour réviser en autant que le refus de communiquer existe toujours.
Je ne tire aucune conclusion de ce genre de l'utilisation de ces mots. Je conviens qu'il doit y avoir eu un refus de quelque sorte pour que la Cour ait la compétence nécessaire (y compris, bien sûr, un refus présumé). Cependant, je ne crois pas que la Cour perde sa compétence du fait que les documents demandés ont été rendus publics. Les pouvoirs conférés à la Cour par l'article 49 ne se limitent pas à la délivrance d'une ordonnance de communication. Ils comprennent expressément celui de rendre «une autre ordonnance si elle l'es- time indiqué». Si l'interprétation que préconise l'intimé était juste, il serait difficile d'imaginer des cas une autre ordonnance serait nécessaire. Il y aurait toujours un refus qui existe encore, et la communication serait toujours le redressement recherché. Selon moi, en adoptant une loi établis- sant un droit d'accès à l'information, le législateur a envisagé des occasions la simple communica tion physique de documents ne constituerait pas un redressement suffisant suite à une violation de ce droit. Par le truchement du paragraphe 10(3) et des articles 42 et 49, le législateur s'est assuré de conférer à la Cour la compétence pour réviser également les cas de retards injustifiés à communi- quer des documents dans certaines circonstances. Je ne puis constater que la divulgation des docu ments en cause enlève à la Cour la compétence pour examiner ces demandes.
Finalement, l'intimé soutient que, de façon générale, la Cour refusera d'examiner une demande de jugement déclaratoire lorsque la ques tion visée est devenue théorique, à moins que le jugement déclaratoire ne soit utile en tant que directive pratique aux parties pour leurs relations futures, ou dans des situations qui sont susceptibles
de se produire dans l'avenir. À l'appui de cette prétention, il cite l'arrêt Syndicat des postiers du Canada c. Brown, Conseil du Trésor et Commis sion des relations de travail dans la Fonction publique (1981), 36 N.R. 583 (C.A.F.). Dans cette décision, certaines questions concernant les pouvoirs de la CRTFP, qui avaient fait surface à l'occasion d'une grève des postiers, avaient été résolues par une loi mettant fin à la grève. Néan- moins, la Cour d'appel fédérale a statué la page 586] que l'action visant un jugement déclaratoire devait être instruite malgré sa nature «théorique», en déclarant qu'il s'agissait:
... d'une question importante susceptible de modifier les rela tions futures des parties, et qui pourrait probablement n'être décidée que par une cour dans le cadre de procédures sans intérêt pratique immédiat.
Ces mots me semblent décrire exactement le cas qui nous intéresse. Les termes de la Loi sur l'accès à l'information sous-entendent une relation conti nue entre le Commissaire à l'information et chaque institution fédérale. La présence d'un coor- donnateur de l'accès à l'information dans presque tous les ministères, dont la fonction consiste à faciliter les demandes d'information adressées à son ministère et à s'occuper des demandes de renseignements du Commissaire à l'information, en est la preuve. Par conséquent, les deux parties à la présente demande ont tout intérêt à obtenir des directives pour les aider dans leurs futures rela tions. Toute prorogation de délai peut faire l'objet d'une plainte auprès du Commissaire et d'une enquête subséquente. Un jugement déclaratoire énonçant les critères relatifs à une prorogation de délai justifiée aiderait les deux parties à établir leurs devoirs en vertu de la loi.
En fait, c'est une question qui est plus suscepti ble de se présenter dans des situations l'ordon- nance recherchée n'a plus de conséquences prati- ques. En l'espèce, il s'agit du retard, et non pas d'un refus catégorique de communiquer des infor- mations. Tous conviennent qu'il y a des cas le retard à communiquer équivaut à un refus de communiquer, particulièrement lorsque la commu nication de l'information recherchée devient inop portune après une_ certaine date. Si dans ce con- texte on estime que «conséquences pratiques» s'entend du pouvoir de la Cour d'ordonner la communication de documents qui ont fait l'objet d'un refus, il est alors vrai que cette question se
présentera rarement dans une instance menant à ce redressement. La possibilité pour une institution fédérale d'invoquer une prorogation de délai pour s'abstenir légalement de communiquer des infor- mations avant une date cruciale est le motif le plus susceptible d'entraîner une plainte de ce genre. Dans de telles circonstances, lorsque la Cour est prête à entendre l'affaire, les documents auront presque toujours été rendus publics.
Par conséquent, bien que l'ordonnance visant ces demandes pourrait bien être de nature déclara- toire, je ne saurais conclure, à ce stade prélimi- naire, que la formulation des articles 42 et 49 exclut cette possibilité. En fait, les derniers mots de l'article 49 ont une portée suffisamment large pour englober ce genre d'ordonnance, et je ne vois rien dans la Loi à l'appui d'une intention contraire. Compte tenu des faits en l'espèce, une telle ordon- nance peut être tout à fait appropriée.
Je passe maintenant à l'examen des demandes préliminaires du requérant. Étant donné que j'ai conclu que l'article 49 confère à cette Cour la compétence pour réviser la présente affaire, et que cette compétence est suffisamment étendue pour permettre à la Cour de rendre l'ordonnance recherchée, il ne conviendrait pas que j'ordonne l'examen d'un point litigieux. Je sais que dans les avis de requêtes on énumère d'autres genres de redressements, par exemple: exiger que l'intimé dépose une défense, ordonner à l'intimé de faire comparaître des témoins pour qu'ils soient contre- interrogés et [TRADUCTION] «toute autre ordon- nance appropriée enjoignant à l'intimé d'exposer les raisons pour lesquelles il a invoqué une proro- gation de délai de 120 jours, et comment il a utilisé ce délai pour répondre à la demande». Il est évi- dent que le Commissaire à l'information désire obtenir une ordonnance obligeant le Ministère à préciser les raisons pour lesquelles il a invoqué des prorogations de délai. Je n'ai pas l'intention de rendre une telle ordonnance. Le Commissaire à l'information n'a pas besoin de l'aide de la Cour pour obtenir les raisons qui sous-tendent la déci- sion d'invoquer des prorogations de délai en l'es- pèce. La Loi l'autorise à le faire et elle lui donne amplement de moyens pour s'acquitter de ce devoir.
L'intimé, en retour, est libre de décider s'il conteste ou non la preuve du requérant et dans
quelle mesure il le fera—toujours en tenant compte du fait que, s'il s'abstient de le faire, le requérant gagnera sa cause. Ce dernier soutient que la Cour ne peut pas faire une révision adé- quate des refus présumés sans connaître les raisons pour lesquelles l'intimé a invoqué une prorogation de délai. Pour effectuer une révision en vertu de l'article 42, je ne vois pas qu'il soit nécessaire de priver l'intimé de son droit de présenter sa cause de la façon qu'il estime appropriée. Les procédures et pouvoirs ordinaires prévus dans la Loi sur l'ac- cès à l'information sont suffisants pour que l'on puisse effectuer une révision adéquate de ces questions.
Cela dit, je réitère ce que j'ai déjà mentionné dans mes motifs rendus verbalement: il serait beaucoup plus facile de trancher la présente affaire sur le fond si l'intimé pouvait fournir des raisons plus précises pour les prorogations de délai. Par conséquent, bien que je ne sois pas disposé à accueillir les requêtes préliminaires du requérant, j'incite l'avocat de l'intimé à considérer sérieuse- ment la possibilité de déposer des preuves addition- nelles par affidavit.
Pour les motifs susmentionnés, les deux groupes de requêtes préliminaires sont rejetés. Les deman- des originales de révision en vertu de l'article 42 peuvent être acheminées de la façon normale. Les frais suivront l'issue de la cause.
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