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T-2-88
Life Underwriters Association of Canada/Asso- ciation des Assureurs-vie du Canada (demande- resse)
c.
Provincial Association of Quebec Life Underwri- ters/Association provinciale des Assureurs-vie du Québec (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: ASSOCIATION DES ASSUREURS-VIE DU CANADA c. ASSOCIATION PROVINCIALE DES ASSUREURS-VIE DU QUÉBEC
Division de première instance, juge Dubé Montréal, 18, 19, 20, 21 et 22 avril; Ottawa, 14 juin 1988.
Droit constitutionnel Partage des pouvoirs Action en
contrefaçon de marques de certification La demanderesse, une société sans but lucratif constituée en vertu d'une loi spéciale du Parlement, sollicite la délivrance d'une injonction interdisant à la société provinciale de conférer les titres »CLU» (Chartered Life Underwriter) et , AVA» (Assureur-vie agréé) L'usage exclusif de ces marques par la demanderesse entre-t-il en conflit avec les pouvoirs exclusifs que détiennent les provinces en matière d'assurance et de qualification profes- sionnelle? La doctrine de la prépondérance est-elle applica ble aux conflits entre la Loi sur les marques de commerce et la
Loi sur les assurances du Québec? La loi spéciale consti- tuant la demanderesse en société ne peut, par sa clause attri butive d'objets et de pouvoirs, empiéter sur des domaines
relevant exclusivement de la compétence provinciale La réglementation des métiers et professions est de compétence provinciale Les objets et les pouvoirs des sociétés consti- tuées par le gouvernement fédéral sont limités par l'étendue de la compétence législative du Parlement Les articles de la loi habilitante de la demanderesse qui touchent des domaines relevant de la compétence provinciale sont ultra vires de la
compétence du Parlement La propriété d'une marque de commerce validement enregistrée ne confère pas à son déten- teur le droit de contrevenir aux lois provinciales.
Corporations Une société sans but lucratif a été consti- tuée par une loi spéciale du Parlement Ses objets compren- nent la tenue d'examens sur la pratique de l'assurance-vie, l'attribution de certificats et l'usage du terme »Assureur-vie agréé» (A VA) Des articles de sa loi constitutive sont déclarés inconstitutionnels au motif qu'ils empiètent sur des domaines réservés à la compétence provinciale et sont ultra
vires du Parlement Le pouvoir du Parlement de constituer des sociétés se limite aux objets ressortissant à sa compétence législative.
Assurance Une société fédérale sans but lucratif a été
constituée, qui a pour objets de tenir des examens sur la pratique de l'assurance-vie, de décerner des certificats et d'autoriser l'emploi du terme »Assureur-vie agréé„ (A VA) La demanderesse voudrait qu'il soit enjoint à une société provinciale de cesser de contrefaire ses marques de certifica-
lion Certaines parties de la loi constituante de la demande-
resse sont ultra vires des pouvoirs du Parlement en ce qu'elles empiètent sur des domaines relevant de la compétence provin- ciale Le nom d'une profession (tel Assureur-vie agréé) ne peut être enregistré comme marque de certification.
Marques de commerce Contrefaçon L'enregistrement
des marques de certification «CLU» et «AVA» confère-t-il à leur titulaire le droit à l'usage exclusif de ces marques à travers le Canada? Les marques de certification «Chartered Life Underwriter„ et «Assureur-vie agréé„ (au sujet desquelles une demande d'enregistrement a été déposée et qui ont respec- tivement été utilisées en liaison avec les services de la deman- deresse depuis 1924 et 1957) confèrent-elles un droit d'usage
exclusif pour tout le Canada? Le nom d'une profession, tel «Assureur-vie agréé», ne peut être enregistré comme marque de certification Les titres et les désignations en cause ne sont pas enregistrables en vertu de l'art. 12(2) de la Loi sur les marques de commerce puisque l'usage qui en est fait au Canada ne les rend pas suffisamment distinctives Des marques de certification non enregistrées ne peuvent servir de fondement à une action puisque la Loi ne prévoit pas l'octroi
d'un tel redressement La demanderesse ne peut s'appuyer sur l'art. 7b) de la Loi puisque la Cour ne peut tirer une conclusion de passing off sur le fondement de cet alinéa sans qu'une disposition de la Loi n'accorde le droit d'intenter une action à l'égard de marques de certifications non enregistrées Les marques des demanderesses sont radiées du registre.
La demanderesse est une société sans but lucratif constituée en 1924 par une loi spéciale du Parlement. Ses objets et ses pouvoirs comprenaient la tenue d'examens sur la pratique de l'assurance-vie, l'octroi de certificats de compétence à ses mem- bres et l'autorisation de l'usage du titre «Assureur licencié en assurance-vie au Canada». Les désignations «CLU» (Chartered Life Underwriter) et «AVA» (Assureur-vie agréé) ont été enre- gistrées conformément à la Loi sur les marques de commerce comme marques de certification en 1987. Subséquemment, des demandes ont été déposées pour obtenir l'enregistrement des désignations «Chartered Life Underwriter» et «Assureur-vie agréé» comme marques de certification.
La défenderesse est une société québécoise sans but lucratif constituée en 1962. De 1980 décembre 1986, la défenderesse a mené ses activités à titre d'association provinciale autonome de la demanderesse. En 1986, la défenderesse a adopté une résolution prévoyant qu'elle offrirait à ses membres des cours à l'issue desquels serait décerné le titre d'«Assureur-vie agréé». La Loi sur les assurances du Québec avait été modifiée en 1974 pour accorder aux agents d'assurance le droit d'acquérir cer- tains titres, parmi lesquels celui d'«Assureur-vie agréé», moyen- nant l'approbation de la défenderesse. Suite à l'adoption de la résolution qui précède, la demanderesse a révoqué le statut d'association provinciale autonome de la défenderesse. La demanderesse a entamé la présente action en contrefaçon de marques de certification en alléguant que, suite à l'enregistre- ment des marques de certification «CLU» et «AVA» sous le régime de la Loi sur les marques de commerce, elle a droit à leur utilisation exclusive à travers le Canada. La demanderesse a également prétendu avoir droit à l'emploi exclusif des dési- gnations «Chartered Life Underwriter» et «Assureur-vie agréé» au sujet desquelles elle a déposé une demande d'enregistrement, au motif que ces désignations ont été utilisées en liaison avec les services de la demanderesse depuis 1924 et 1957. La demande-
resse sollicite une injonction interdisant à l'organisation provin- ciale d'attribuer les titres et désignations susmentionnés à des personnes oeuvrant dans le commerce de l'assurance-vie au Québec et lui interdisant d'utiliser ces titres et dénominations sans son consentement. La défenderesse attaque la validité des marques et enregistrements de la demanderesse au motif qu'ils ne satisfont pas aux exigences de l'article 18 de la Loi sur les marques de commerce; elle prétend également que la loi consti- tutive de la demanderesse est ultra vires des pouvoirs du Parlement parce qu'elle empiète sur des champs de compétence provinciale.
Jugement: (1) la délivrance d'une injonction devrait être refusée; (2) les marques de certification de la demanderesse sont radiées du registre des marques de commerce et (3) les alinéas 2c), d) et e) de la Loi constituant en corporation The Life Underwriters' Association of Canada sont déclarés incons- titutionnels et ultra vires des pouvoirs du Parlement.
Une désignation professionnelle comme la désignation «AVA» ne peut être enregistrée comme marque de certification sous le régime de la Loi sur les marques de commerce puisque le pouvoir de réglementer les métiers et professions appartient aux provinces. De plus, les marques en question ne sont pas enregistrables en vertu du paragraphe 12(2) de la Loi puisque leur emploi au Canada ne les a pas rendues suffisamment distinctives. La marque de certification est une créature de la Loi, non de la common law; à ce titre, elle est restreinte par les dispositions de la Loi. La demanderesse ne peut s'appuyer sur l'alinéa 7b) de la Loi puisque celle-ci n'accorde aucun droit d'action à l'égard d'une marque de certification non enregistrée.
Les objets et les pouvoirs conférés à la demanderesse par les alinéas 2c), d) et e) de sa loi constitutive relèvent clairement de la compétence provinciale. L'autorité de faire subir des exa- mens, d'accorder des certificats de compétence et d'octroyer des titres aux gens de profession relève de l'éducation, une question ressortissant aux provinces en vertu de l'article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867. L'article 154 de la Loi sur les corporations canadiennes restreint le pouvoir du Parlement de constituer des sociétés sans capital-actions aux «objets ... qui ressortissent à l'autorité législative du Parlement du Canada».
La demanderesse a soutenu qu'advenant un conflit entre la Loi sur les marques de commerce et la Loi sur les assurances du Québec, la législation fédérale doit prévaloir en vertu de la doctrine de la prépondérance . En conséquence, une province ne pourrait adopter des dispositions législatives autorisant un orga- nisme privé comme la défenderesse à écarter les droits valides que détient la demanderesse relativement à ses marques de commerce. Cependant, le droit de propriété conféré par une marque de commerce validement enregistrée ne permet pas à son détenteur de contrevenir à la législation provinciale. La législature provinciale peut validement contrôler les activités de la demanderesse dans des domaines ressortissant de sa compé- tence comme l'exercice de la profession d'agent d'assurance et l'attribution de titres aux personnes exerçant cette profession.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34.
Legal Professions Act, R.S.B.C. 1960, chap. 214 (main-
tenant la Barristers and Solicitors Act, R.S.B.C. 1979,
chap. 26).
Loi constituant en corporation The Life Underwriters Association of Canada, S.C. 1924, chap. 104 (mod. par S.C. 1957, chap. 46), art. 2, 12.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice I1, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1), art. 91(2), 92(11),(13), 93.
Loi des assurances, 1910, S.C. 1910, chap. 32, art. 4.
Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. 1-23, art. 20.
Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23.
Code des professions du Québec, L.R.Q. 1977, chap. C-26.
Loi sur les assurances du Québec, L.R.Q. 1964, chap. 295.
Loi sur les assurances du Québec, L.R.Q. 1977, chap. A-32, art. 335b).
Loi sur les compagnies du Québec, L.R.Q. 1977, chap. C-38.
Loi sur les corporations canadiennes, S.R.C. 1970, chap. C-32, art. 154.
Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10, art. 2, 7b),e), 12(1)b), (2), 18(1)a),b), 19, 22, 23(3), 55.
The Securities Act, R.S.O. 1970, chap. 426.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS SUIVIES:
Asbjorn Horgard AIS c. Gibbs/Nortac Industries Ltd., [1987] 3 C.F. 544; 14 C.P.R. (3d) 314; MacDonald et al. c. Vapor Canada Ltd., [1977] 2 R.C.S. 134; Jabour c. Law Society of British Columbia et autre,[1982] 2 R.C.S. 307; C.P.R. v. City of Winnipeg, [1952] 1 R.C.S. 424.
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
The Wool Bureau of Canada, Ltd. v. Queenswear (Canada) Ltd. (1980), 47 C.P.R. (2d) 11 (C.F. I" inst.); Conseil canadien des ingénieurs c. Lubrication Engi neers, Inc., [1985] 1 C.F. 530 (1" inst.); Citizens Insu rance Company of Canada v. Parsons (1881), 7 App. Cas. 96 (P.C.); Attorney-General for Canada v. Attor- ney-General for Alberta, [1916] I A.C. 588 (P.C.); Canadian Indemnity Co. et autres c. Procureur général de la Colombie-Britannique, [1977] 2 R.C.S. 504; Laf- ferty v. Lincoln (1907), 38 R.C.S. 620; Re Imrie and Institute of Chartered Accountants of Ontario, [1972] 3 O.R. 275 (H.C.); Attorney-General for Ontario v. Attor- ney-General for Canada, [1937] A.C. 405 (P.C.); Domi nion Stores Ltd. c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 844; Benson and Hedges (Canada) Ltd. et al. v. Attorney- General of British Columbia (1972), 27 D.L.R. (3d) 257 (C.S.C.-B.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Bonanza Creek Gold Mining Company v. Rex, [1916] 1 A.C. 566 (P.C.); John Deere Plow Company v. Wharton,
[1915] A.C. 330 (P.C.); Multiple Access Ltd. c. McCut- cheon et autres, [1982] 2 R.C.S. 161; Attorney -General for Ontario v. Attorney -General for the Dominion, [1896] A.C. 348 (P.C.); Attorney -General for Canada v. Attorney -General for British Columbia, [1930] A.C. Ill (P.C.); Deloitte Haskins and Sells Ltd. c. Workers' Compensation Board et autres, [1985] 1 R.C.S. 785.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Canadian Board for Certification of Prosthetists and Orthotists v. Canadian Pharmaceutical Association et al. (1985), 5 C.P.R. (3d) 236 (H.C. Ont.); Society of Accountants and Auditors v. Goodway (1907), 24 R.P.C. 159 (Ch. D.); Toms and Moore v. Merchant Service Guild Ld. (1908), 25 R.P.C. 474 (Ch. D.); British Legion v. British Legion Club (Street) Ld. (1931), 48 R.P.C. 555 (Ch. D.); Society of Incorporated Accountants v. Vincent (1954), 71 R.P.C. 325 (Ch. D.).
DOCTRINE
Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada, 2' éd. Toronto: The Carswell Company Limited, 1985. Smith, James et Renaud, Yvon, Droit Québécois des Corporations Commerciales, Volume I, Montréal: Judico Inc., 1974.
AVOCATS:
Roger T. Hughes, c.r. et Stephen M. Lane pour la demanderesse.
Hugues G. Richard et Marek Nitoslawski pour la défenderesse.
Robert Monette pour le Procureur général du Québec (intervenant).
PROCUREURS:
Sim, Hughes, Dimock, Toronto, pour la demanderesse.
Leger, Robic & Richard, Montréal, pour la défenderesse.
Bernard, Roy & Associés, Montréal, pour l'intervenant.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE Dust: La présente action en contrefa- çon soulève d'importantes questions de compétence constitutionnelle ainsi que des questions complexes ayant trait à la Loi sur les marques de commerce (la Loi)'.
S.R.C. 1970, chap. T-10.
1. Les faits
La demanderesse (la Nationale) est une société sans but lucratif constituée en 1924 en vertu d'une loi spéciale du Parlement du Canada 2 . Le siège social de la Nationale est situé à Don Mills, en Ontario. La défenderesse (la Provinciale) conteste la constitutionnalité de cette loi spéciale.
La Provinciale, également une société sans but lucratif, a été constituée en 1962 et continue d'exister sous le régime de la Partie III de la Loi sur les compagnies du Québec'. Son siège social est à Montréal, au Québec. Depuis, 1965, le surin- tendant des assurances du Québec a reconnu la Provinciale comme une association d'agents d'as- surance-vie en vertu de la Loi sur les assurances du Québec 4 . Cette reconnaissance a ensuite été reconduite par un «Acte d'agrément» signé le 14 janvier 1983 et encore en vigueur.
Avant la constitution en société de la Provinciale en 1962, les associations locales de la Nationale situées dans la province de Québec avaient décidé de former une association provinciale. Des modifi cations furent apportées à la constitution et aux règlements de la Nationale pour permettre la for mation d'associations provinciales. La Provinciale, du jour de sa constitution en société jusqu'à 1980, était une association provinciale «autorisée» de la Nationale sous le régime du paragraphe 23(1) de la constitution de la Nationale s . De 1980 décem- bre 1986, la Provinciale a été reconnue comme une association provinciale autonome de la Nationale sous le régime du paragraphe 24(7) de sa constitu tion (1980) et était la seule association provinciale de ce type au pays autorisée ou reconnue par la Nationale.
Le 23 mai 1986, la Provinciale, au cours d'une assemblée générale tenue à Montréal a adopté une résolution autorisant la Provinciale à offrir à ses membres un cours universitaire à l'issue duquel serait décerné le titre d'«Assureur-vie agréé» (Chartered Life Underwriter). Suite à l'adoption
2 Loi constituant en corporation The Life Underwriters' Association of Canada, S.C. 1924, chap. 104 (mod. par S.C. 1957, chap. 46).
' L.R.Q. 1977, chap. C-38.
L.R.Q. 1977, chap. A-32.
5 Constitution et statuts, janvier 1980. Les associations loca les étaient également prévues à la constitution et statuts de la Nationale de 1951, (Article X111) et 1959 (Article 20).
de cette résolution, la Nationale, le 10 décembre 1986, a révoqué la reconnaissance de la Povinciale comme association provinciale autonome par une résolution de son conseil d'administration. La Pro- vinciale continue toutefois d'agir comme une asso ciation à adhésion facultative dans la province de Québec, et la Nationale fait de même.
Depuis 1929, la Nationale a constitué un Insti- tut des assureurs-vie agréés du Canada, auquel peuvent appartenir ceux de ses membres à qui la Nationale a conféré les titres et désignations de AVA (Assureur-vie agréé) et de CLU (Chartered Life Underwriter). Toutefois, la Provinciale nie que la Nationale ou son Institut aient le droit de conférer ces titres dans la province de Québec. La Nationale a enregistré les désignations suivantes sous le régime de la Loi sur les marques de commerce en décembre 1987:
cru, numéro d'enregistrement 335,823
AVA, numéro d'enregistrement 335,977
Chartered Life Underwriter et dessin (une feuille d'érable),
numéro d'enregistrement 335,724
Assureur-vie agréé et dessin (une feuille d'érable), numéro
d'enregistrement 335,464
La Nationale a également demandé les deux marques de certification suivantes:
Chartered Life Underwriter, demande numéro 574,894 Assureur-Vie Agréé et dessin, demande numéro 574,899
La Provinciale nie l'existence de ces marques de commerce, attaque les titres en question et con- teste la validité des enregistrements concernés.
La Loi des assurances du Québec [S.R.Q. 1964, chap. 295] a été modifiée en 1974 [S.Q. 1974, chap. 70] par l'insertion de plusieurs articles, dont l'article 335, qui est ainsi libellé:
335. Quiconque a droit au titre d'agent d'assurance peut, le cas échéant, avoir également droit aux titres suivants:
a) assureur-vie;
b) assureur-vie agréé (A.V.A.) ou schartered life insurers (C.L.U.), moyennant l'agrément de l'association provinciale des assureurs-vie du Québec et conformément aux statuts de cette association;
c) courtier d'assurance-vie, s'il représente plus d'une compa- gnie d'assurance sur la vie;
d) courtier d'assurance, s'il représente plus d'une compagnie d'assurance de dommages;
e) tout tire auquel lui donne droit la Loi des courtiers d'assurances.
Les deux parties s'entendent pour reconnaître ces faits fondamentaux.
2. Le litige
Dans son action, déposée le 5 janvier de cette année, la Nationale prétend que, suite à l'enregis- trement des marques de certification CLU et AVA, elle a droit à leur utilisation exclusive à travers le Canada. Elle allègue également à l'égard des mar- ques de certification «Chartered Life Underwriter» et «Assureur-vie agréé», au sujet desquelles elle a déposé une demande d'enregistrement, qu'elle les a respectivement utilisées depuis 1924 et 1957 en liaison avec ses services relativement à des agents d'assurance-vie, à la planification successorale et à la gestion financière. Elle prétend avoir droit à leur emploi exclusif à travers le Canada.
En ce qui a trait aux deux autres marques comportant le symbole de la feuille d'érable, la Nationale prétend qu'elle les a utilisées en liaison avec des marchandises, à savoir des feuillets, des publications périodiques, des journaux, etc. reliées au commerce de l'assurance-vie depuis 1972. Elle prétend donc avoir droit à leur emploi exclusif à travers le Canada.
La Nationale déclare que la Provinciale menace à présent d'attribuer les titres et désignations sus- mentionnés à des personnes ouvrant dans le com merce de l'assurance-vie dans la province de Québec et de permettre à ces personnes d'utiliser ces titres et dénominations sans le consentement de la Nationale. Elle allègue que ces actions de la Provinciale causeront vraisemblablement de la confusion et violeront les droits détenus par la Nationale sur ces marques, et, également, dimi- nueront la valeur de la clientèle de la demande- resse. La Nationale sollicite en conséquence une injonction ainsi que tous les redressements appropriés.
De son côté, la Provinciale attaque la validité des marques et enregistrements de la demande- resse pour les motifs suivants, à savoir que ce ne sont pas des marques au sens de la Loi, qu'elles n'étaient pas enregistrables à la date de l'enregis- trement en vertu de l'alinéa 18(1)a) de la Loi, qu'elles ne sont pas distinctives au sens de l'alinéa 18(1)b) et que la Nationale n'est pas la personne ayant droit d'obtenir lesdits enregistrements selon le paragraphe 18(1) in fine.
La Provinciale prétend également que la loi constitutive de la Nationale est inconstitutionnelle vu qu'elle empiète sur des champs de compétence provinciale et que, même si elle était constitution- nelle, elle n'autorise nullement la Nationale à utili- ser quelques titres autres que ceux contenus à l'alinéa 2e) de ladite Loi lesquels titres ne sont pas les marques réclamées par la Nationale.
Par le biais de sa demande reconventionnelle la Provinciale demande à la Cour, non seulement de rejeter l'action de la Nationale, mais également d'ordonner la radiation des marques précitées et de déclarer la loi constitutive de la Nationale comme étant inopérante, inconstitutionnelle et ultra vires du Parlement du Canada.
Le Procureur général de la province de Québec, autorisé par une ordonnance de cette Cour à inter- venir dans le débat, allègue que les conclusions recherchées par la Nationale en vue de son usage exclusif des marques précitées vont à l'encontre et annulent l'effet légal de l'article 335 de la Loi sur les assurances du Québec et qu'une telle associa tion incorporée en vertu d'une loi fédérale ne peut passer outre la loi d'une province visant une com- pétence provinciale exclusive, nommément le domaine de l'assurance et celui de la qualification professionnelle. Le procureur a également pré- tendu que la Nationale ne peut se servir du véhi- cule de la Loi sur les marques de commerce pour court-circuiter une loi provinciale d'ordre public.
Il est donc nécessaire de reprendre de façon plus détaillée les arguments des parties en cause.
3. La validité des marques de certification
La Nationale soutient que l'article 19 de la Loi sur les marques de commerce prévoit que l'enre- gistrement d'une marque de commerce à l'égard de services confère au propriétaire de celle-ci le droit exclusif à l'emploi, dans tout le Canada, de cette marque de commerce en ce qui regarde ces services. De plus, l'article 22 protège une marque de commerce enregistrée contre la diminution de la valeur de la clientèle intéressée. L'alinéa 7b) prévoit que, indépendamment de l'enregistrement ou de l'absence d'enregistrement d'une marque de commerce, nul ne doit appeler l'attention du public sur ses services de manière à vraisemblablement causer de la confusion au Canada entre ses servi-
ces et ceux d'un autre. Et l'article 55 confère à la Cour fédérale la compétence pour recevoir toute action visant l'application d'une disposition de cette Loi.
En ce qui a trait à la compétence de la Cour fédérale à l'égard des actions intentées suivant l'alinéa 7b), la Cour d'appel fédérale a conclu dans l'arrêt Asbjorn Horgard AIS c. Gibbs/Nortac Industries Ltd. 6 que cette disposition est une dis position législative fédérale valide en ce qu'elle est un complément du système de protection établi par le Parlement dans l'exercice du pouvoir législatif qu'il détient à l'égard des marques de commerce: l'alinéa 7b) n'augmente pas la compétence fédé- rale, il ne fait qu'arrondir une sphère de compé- tence autrement incomplète. L'avocat de la Provin- ciale a vigoureusement attaqué cette décision et il a versé au dossier le texte d'une conférence qu'il a récemment prononcée sur la question pour étayer son point de vue. Toutefois, après avoir lancé ce «cri du coeur», il s'est rendu à l'évidence et a reconnu l'inévitable à savoir que la décision de la Cour d'appel me lie et a présentement force de loi relativement à cette question.
Les parties s'entendent pour dire que les mar- ques de commerce en cause sont des «marques de certification». L'objet d'une marque de certifica tion est d'identifier une norme devant s'appliquer à des marchandises ou à des services. L'article 2 de la Loi définit de la manière suivante la marque de certification:
2.
«marque de certification» signifie une marque employée pour distinguer, ou de façon à distinguer, des marchandises ou services qui sont d'une norme définie en ce qui concerne
a) la nature ou qualité des marchandises ou services,
b) les conditions de travail dans lesquelles les marchandises ont été produites ou les services exécutés,
e) la catégorie de personnes qui a produit les marchandises ou exécuté les services, ou
d) la région à l'intérieur de laquelle les marchandises ont été produites ou les services exécutés,
de marchandises ou services qui ne sont pas d'une telle norme définie;
Une marque de certification est une marque de commerce pour les fins de la Loi, ainsi qu'il ressort de la définition du terme marque de commerce figurant à l'article 2:
6 [1987] 3 C.F. 544; 14 C.P.R. (3d) 314.
2.
«marque de commerce» signifie
b) une marque de certification,
L'article 23 prévoit qu'une marque de certifica tion ne peut être enregistrée que par une personne qui ne se livre pas à la fabrication des marchandi- ses ou à l'exécution des services en cause. Son propriétaire peut autoriser d'autres personnes à employer la marque en liaison avec leurs marchan- dises ou services. Il peut empêcher son emploi par des personnes non autorisées.
Le juge Cattanach a décrit la marque de certifi cation de façon juste dans l'affaire The Wool Bureau of Canada, Ltd. c. Queenswear (Canada) Ltd. 7 , déclarant à la page 15: «Ce qui équivaut à l'apposition d'un sceau d'approbation, favorisant naturellement la vente d'un produit ainsi identifié, suivant la réputation de la marque de certifica tion.»
La Nationale soutient également que, même lorsque les marques ne sont pas enregistrées, le droit d'une association professionnelle de conférer des désignations à certains de ses membres a été reconnu et protégé par la Cour. Dans Canadian Board for Certification of Prosthetists and Orthotists v. Canadian Pharmaceutical Associa tion et al. 8 le juge Anderson de la Haute Cour de justice de l'Ontario a accordé une injonction inter- locutoire interdisant au conseil défendeur d'utiliser les désignations «Certified Orthotist» et «C.o.» ou «co» comme désignations professionnelles. Le con- seil demandeur, mis sur pied en 1967, avait pour objet l'administration de programmes d'éducation professionnelle destinés aux prothésistes ainsi qu'aux orthésistes. Des lettres patentes le consti- tuant en corporation à but non lucratif lui avaient été décernées sous le régime de la Loi sur les corporations canadiennes 9 .
L'avocat de la Nationale a également fait réfé- rence à quatre décisions de la Chancery Division de la High Court of Justice d'Angleterre dans
' (1980), 47 C.P.R. (2d) II (C.F. I" inst.).
8 (1985), 5 C.P.R. (3d) 236 (H.C. Ont.).
9 S.R.C. 1970, chap. C-32.
lesquelles les désignations de certaines sociétés ont été protégées par la Cour '°.
L'avocat de la Provinciale a souligné que, dans l'affaire ontarienne, la Cour n'avait à décider que de la délivrance d'une injonction interlocutoire et pouvait en conséquence se limiter à conclure à l'existence d'une preuve prima facie ou, à tout le moins, à l'existence d'une question sérieuse à tran- cher. En ce qui a trait aux décisions anglaises, comme ce pays est un État unitaire, la Cour n'était pas appelée à statuer sur la division des pouvoirs entre un parlement fédéral et des législatures pro- vinciales. De toute façon, aucune des désignations n'avaient été accordée aux défendeurs par une loi.
Pour sa part, la Provinciale soutient, dans un premier temps, que les titres en litige sont des titres professionnels et non des marques de certifi cation et ne peuvent donc être enregistrés. En effet, la preuve documentaire déposée par la Nationale indique à multiples reprises qu'elle- même considère les assureurs-vie agréés comme des professionnels et les désignations en question comme des titres professionnels. Étant des titres professionnels, ils sont utilisés en association avec des personnes et non en association avec des mar- chandises ou des services.
Dans la même mesure ou l'on ne pourrait pas enregistrer les mots «avocats», «notaires», «méde- cins», «ingénieurs», etc. comme marques de certifi cation, l'on ne peut non plus considérer le titre «assureur-vie agréé» comme étant une marque de certification. A mon sens, le nom même d'une profession ne peut être utilisé comme un standard, une norme définie, un cachet de distinction appo- sable à des marchandises ou des services.
Une décision récente de mon collègue le juge Muldoon dans l'affaire Conseil canadien des ingé- nieurs c. Lubrication Engineers, Inc." a déjà statué que des désignations professionnelles ne sont pas enregistrables car il s'agirait d'une usurpa tion par le régistraire de pouvoirs conférés aux
10 Society of Accountants and Auditors v. Goodway (1907), 24 R.P.C. 159 (Ch. D.); Toms and Moore v. Merchant Service Guild Ld. (1908), 25 R.P.C. 474 (Ch. D.); British Legion v. British Legion Club (Street) Ld. (193I), 48 R.P.C. 555 (Ch. D.); et Society of Incorporated Accountants v. Vin- cent (1954), 71 R.P.C. 325 (Ch. D.).
" [1985] 1 C.F. 530 (1« inst.).
provinces de réglementer les professions, pouvoirs qui sont réputés être d'ordre public. Il est vrai que la province de Québec n'a pas encore inclus la profession d'«assureur-vie agréé» sur la liste des professions, mais on ne peut certes pas, par le biais d'une législation fédérale, nier à la province le droit de le faire quand elle le jugera approprié.
La preuve démontre que ce que la Nationale fournit et que la Provinciale désire dispenser, ce sont des services, en l'occurrence des cours spécia- lisés d'assurance permettant aux assureurs qui le désirent de se qualifier et de se mériter le titre d'«assureur-vie agréé». Tout comme les facultés de médecine et de droit produisent des médecins et des avocats, sans pour autant s'arroger le droit d'enregistrer les noms de ces professions comme marques de certification, la Nationale, même si son autorisation fédérale de conduire des examens et de conférer des titres était valide (ce qui n'est pas acquis) ne se mérite pas pour autant le droit d'enregistrer ces titres comme marques de certification.
Le passage suivant du juge Muldoon dans l'af- faire précitée mérite d'être reproduit, puisqu'il soulève un autre motif pour justifier le refus d'en- registrer des titres professionnels comme marques de commerce la page 550):
Il existe un autre motif pour justifier le refus d'enregistrer des titres professionnels comme marques de commerce. Il s'agit d'un motif d'ordre pratique tout à fait conséquent avec les interdictions contenues dans les textes de loi. C'est qu'il est pratiquement impossible pour le registraire de savoir, de jour en jour, qui est habilité à porter un titre professionnel ou à qui il est interdit de le faire en raison de son expulsion d'une associa tion professionnelle d'une province ou d'un territoire, ou encore de l'abandon de son statut professionnel. Les organes de direc tion créés par les lois applicables des divers territoires et provinces tiennent des dossiers relatifs à ces questions. Ils sont chargés d'appliquer la discipline et de faire respecter leurs règles respectives interdisant l'exercice non autorisé d'une pro fession et l'emploi non autorisé de titres professionnels qui «portent à croire» dans le public qu'une personne qui n'est pas titulaire d'un permis ou qui n'est pas inscrite auprès d'une association professionnelle particulière en est un membre qualifié.
En vertu des dispositions de l'alinéa 18(1)a) de la Loi, l'enregistrement d'une marque de com merce est invalide si la marque de commerce en question n'était pas enregistrable à la date de l'enregistrement. Pour savoir si une marque est enregistrable, il faut remonter à l'article 12 de la Loi, lequel prescrit à l'alinéa 12(1)b) qu'une marque est enregistrable si elle ne constitue pas
une description claire des personnes appelées à rendre les services visés par l'enregistrement. Il me semble évident que les titres «Chartered Life Underwriter» et «Assureur-vie agréé» sont descrip- tifs et que les marques de certification «CLu» et «AVA» ne sont que des sigles représentant ces deux titres.
Par ailleurs, le paragraphe 12(2) de la Loi pré- voit qu'une marque de commerce qui n'est pas enregistrable en raison de l'alinéa précité peut l'être si elle a été employée au Canada par le requérant de façon à être distinctive.
À ce chef, la Provinciale a produit un expert en marketing, monsieur Sylvain Tessier, M.B.A., ainsi que son affidavit relativement à un sondage tenu à Québec et à Montréal à partir de questionnaires téléphoniques. Sur un échantillonnage final de 600 répondants le sondage a rapporté des résultats détaillés reflétés par le paragraphe suivant des conclusions:
En conclusion, on peut affirmer que les désignations AVA et (Lu ne possèdent pas une notoriété significative. Trop peu de personnes ont pu définir leur signification et encore moins rattacher à l'Assureur-vie-Agréé le nom de l'organisme qui lui confère ce titre. Ainsi, à la question 2, 1.3% des 600 répondants ont reconnu et défini AVA et 2.8% ont reconnu et défini czu. C'est seulement lorsqu'on l'énumérait de façon complète que le répondant affirmait connaître «Assureur-vie Agréé». Le pour- centage de reconnaissance (67.5%) n'est pas surprenant quand on considère que le terme «Assureur-Vie Agréé» décrit très bien la profession de la personne. Par contre, la question 2 nous a convaincu du peu de notoriété des désignations AVA et cLu.
Comme il se doit, et suivant une tradition solide- ment établie en de telles procédures, le procureur de la Nationale a attaqué à fond de train la validité du sondage. À part les arguments classi- ques basés sur la jurisprudence en la matière, je retiens deux arguments: le sondage n'était pas bilingue et les répondants étaient divisés également entre Montréal et Québec, alors que la métropole est plusieurs fois plus populeuse que la capitale provinciale. Cependant les explications de l'expert m'ont satisfait. Seulement deux personnes n'ont pu répondre parce que le questionnaire était conduit en français seulement. En ce qui a trait au nombre égal des répondants dans les deux villes, l'expert a pondéré les résultats d'après les données relatives au plan échantillonal. Le but de la pondération est de redonner à chaque personne interrogée un poids
qui correspond à son poids réel dans la population sondée: il a ainsi obtenu un échantillon représenta- tif de la population.
Au départ, les deux parties ont reconnu la com- pétence de l'expert. Pour ma part, je suis con- vaincu que l'échantillonnage a été effectué selon les normes scientifiques établies en la matière. Personnellement, je dois avouer qu'avant de pren- dre connaissance de ce dossier, je n'avais aucune idée de la signification des désignations AVA ou CLU. Je connaissais, bien sûr, le titre «comptable agréé», mais je ne me souviens pas d'avoir entendu ou vu les termes «Assureur-vie agréé» et «Charte- red Life Underwriter». En ce qui a trait aux mar- ques AVA et CLU, je ne peux trouver qu'au moment de l'enregistrement elles avaient été employées au Canada au point d'être devenues distinctives.
La preuve a également établi que les titres CLU et «Chartered Life Underwriter» sont utilisés par des assureurs-vie ayant obtenu leurs qualifications aux États-Unis et en Jamaïque, sans distinction quant à l'origine de leurs titres. Il n'a cependant pas été établi que ces agents aient oeuvré au Canada.
La Provinciale prétend également qu'une marque de certification non enregistrée ne donne ouverture à aucuns recours en vertu de la Loi. En effet, le paragraphe 23(3) de la Loi stipule que le propriétaire d'une marque de certification déposée (registered) peut empêcher qu'elle soit employée par des personnes non autorisées. Attendu qu'une marque de certification n'est pas une créature de la common law ou du droit civil, mais bien de la Loi sur les marques de commerce, si elle n'est pas enregistrée en vertu de ladite Loi, elle n'est donc pas protégée au même titre qu'une autre marque de commerce. Les procureurs n'ont déposé aucune jurisprudence à l'appui ou à l'encontre de cette proposition. Mes recherches n'ont rien relevé à ce sujet. Si la marque de certification n'existait pas en common law et qu'elle est la créature d'un statut elle est donc restreinte par les cadres dudit statut.
Plus particulièrement, les expressions «Assureur- vie agréé» et «Chartered Life Underwriter» sont des expressions purement génériques et descriptives,
comme en témoigne l'usage qui en est fait par la demanderesse elle-même. Encore une fois, une expression descriptive ne peut constituer une marque de commerce.
Selon la Provinciale, la Nationale se serait rendue coupable de «généricide», un péché cardinal en matière de marque de commerce qui consiste à emprunter une marque tellement générique qu'elle se suicide elle-même. En effet, la documentation de la Nationale foisonne d'expressions généricides, telles que l'assureur-vie agréé à la compétence, l'«AVA est un professionnel», etc. Bref, un crime sans absolution.
À ce chapitre, la Nationale ne peut se prévaloir non plus de l'alinéa 7b) de la Loi puisqu'à la suite de la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire MacDonald et autre c. Vapor Canada Ltd. 12 , il est maintenant établi que cette Cour n'a pas la compétence de traiter de passing off ou de confusion en vertu de ce seul alinéa, sans l'appui d'une législation appropriée. Or la législation fédé- rale en la matière, à savoir la Loi sur les marques de commerce, ne prévoit aucuns recours à une marque de certification non enregistrée. Donc, une telle marque ne peut bénéficier de la protection offerte par l'alinéa 76) de la Loi.
Il en résulte donc, pour tous ces motifs, que les marques de certification de la Nationale sont inva- lides et qu'en conséquence elle n'a pas droit à l'injonction. Cette décision pourrait clore le débat, mais attendu qu'elle peut être infirmée et vu que les arguments constitutionnels et corporatifs sont également fort sérieux, je crois devoir les analyser à fond et tirer les conclusions qui s'imposent.
4. La constitution de la demanderesse en société
La Nationale a été constituée en société par une Loi du Parlement du Canada intitulée Loi consti- tuant en corporation The Life Underwriters' Asso ciation of Canada, 13 qui a été sanctionnée le 19 juillet 1924. Les objets et les pouvoirs de l'Associa- tion sont énumérés à l'article 2, qui est ainsi libellé:
12 [1977] 2 R.C.S. 134.
" S.C. 1924, chap. 104 (mod. par S.C. 1951, chap. 46).
2. Les objets et les pouvoirs de l'Association sont de favoriser, par tous les moyens légitimes, la pratique régulière et effective du commerce d'assurance-vie dans le Dominion du Canada; et à cette fin,
(a) de publier, distribuer et vendre des opuscules, revues, journaux, livres et autre littérature se rattachant au com merce d'assurance-vie;
(b) d'utiliser les fonds de l'Association pour favoriser le bien-être de ses membres de la manière que l'Association peut décider;
(c) de faire subir les examens sur les principes et la pratique de l'assurance-vie, ou sur les connaissances générales, ainsi qu'il peut être jugé à propos;
(d) d'accorder des certificats de compétence à ses membres;
(e) d'autoriser ceux de ses membres qu'elle peut désigner à porter le titre et à avoir la qualité d'«Assureur licencié en assurance-vie au Canada..
La Nationale soutient que, même si le paragra- phe 92(11) de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appen- dice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1)], confère aux pro vinces le pouvoir exclusif de constituer en société les compagnies dont les objets sont provinciaux, cette disposition limite simplement la nature des pouvoirs et des droits véritables pouvant être con- férés par le gouvernement provincial, sans retirer au Parlement fédéral son droit de constituer en société des compagnies pour des objets autres que provinciaux. Dans une décision rendue en 1916 par la Chambre des lords, l'arrêt Bonanza Creek Gold Mining Company v. Rex 14 il a été conclu qu'une compagnie incorporée par lettres patentes possé- dait les mêmes droits qu'une personne naturelle permettant ainsi à cette compagnie de faire affaire à travers le Canada peu importe sous quelle juri- diction celle-ci fut incorporée. Le vicomte Haldane L.C. a dit à la page 583:
[TRADUCTION] La question peut se résumer ainsi: les restric tions imposées aux pouvoirs législatifs d'une province (énumé- rées à l'article 92) et en particulier la disposition limitant son pouvoir de légiférer aux seules compagnies constituées en cor poration pour des objets provinciaux, restreignent le caractère des pouvoirs et droits qu'un gouvernement provincial peut conférer, soit au moyen d'un texte de loi ou de l'exercice du pouvoir exécutif, aux pouvoirs et droits qui peuvent être exercés dans la province. Mais les pouvoirs et les droits effectifs sont une chose, et la capacité d'accepter des pouvoirs et des droits extraprovinciaux est une toute autre chose.
Par contre, toute compagnie doit se soumettre aux lois de la province dans laquelle elle fait
14 [1916] 1 A.C. 566 (P.C.).
affaires. Son incorporation en vertu d'une loi fédé- rale ne lui confère pas un statut spécial. Dans Citizen Insurance Company of Canada v. Parsons 15 Sir Montague E. Smith a déclaré aux pages 116 et 117:
[TRADUCTION] Mais en premier lieu, il n'est pas nécessaire de fonder uniquement sur ce pouvoir particulier tel qu'énoncé l'autorité qu'a le Parlement du Dominion de constituer en corporation des compagnies. Cette autorité lui revient en vertu de son pouvoir général à l'égard de toute question qui n'entre pas dans les catégories de sujets ressortissant exclusivement aux législatures provinciales, et «la constitution en corporation de compagnies pour des objets provinciaux» étant le seul sujet, à ce chapitre, qui relève de la législature provinciale, il s'ensuit que la constitution en corporation de compagnies pour des objets autres que provinciaux fait partie des pouvoirs généraux du Parlement canadien. Toutefois, cela ne veut pas dire moins que le savant juge n'ait raison quant à l'étendue de l'expression «la réglementation des échanges et du commerce») que parce qu'il a seul le droit de créer une corporation pouvant exercer ses opérations dans tout le Dominion, le Parlement fédéral soit le seul autorisé à en réglementer les contrats dans chacune des provinces (Mon soulignement).
Dans l'arrêt John Deere Plow Company v. Wharton' 6 , la Chambre des lords a conclu que l'autorité du Parlement du Canada a légiférer relativement à «la réglementation des échanges et du commerce» conférée par le paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867 permet au Parle- ment de prescrire l'étendue et les limites des pou- voirs des compagnies dont les objets s'étendent au Dominion dans son entier. Le statut et les pouvoirs d'une compagnie du Dominion comme tels ne peu- vent être anéantis par une législature provinciale. Le vicomte Haldane L.C., en parlant de leurs Seigneuries, a dit aux pages 340 et 341:
[TRADUCTION] Mais elles croient que le pouvoir de réglemen- ter les échanges et le commerce permet en tout état de cause au Parlement du Canada de prescrire la mesure dans laquelle les pouvoirs des compagnies dont les objets s'étendent à l'ensemble du Dominion devraient pouvoir être exercés, et quelle limitation devrait être imposée à l'égard de tels pouvoirs. En effet, s'il est établi que le Parlement canadien peut créer ces compagnies, la façon dont elles peuvent exercer leurs activités devient alors une question d'intérêt général dans tout le pays ... Elles ne veulent pas que leur propos soit considéré comme suggérant qu'il découle du statut des compagnies du Dominion, qui leur permet de faire des affaires dans les provinces en leur conférant, dans une certaine mesure, des droits civils, que le pouvoir de régle- menter les échanges et le commerce peut être exercé à l'égard de telles compagnies de manière à empiéter sur la compétence exclusive des législatures provinciales sur les droits civils en général ... Il suffit ici de dire que la province ne peut passer une loi dépossédant une compagnie du Dominion de son statut
'5 (188I) 7 App. Cas. 96 (P.C.). 16 [1915] A.C. 330 (P.C.).
et de ses pouvoirs. Cela ne signifie pas que ces pouvoirs puissent être exercés en contravention aux lois provinciales apportant des restrictions générales aux droits du public dans la province. Cela signife que le statut et les pouvoirs d'une compagnie du Dominion en eux-mêmes ne peuvent être anéantis par une législation provinciale. Cette conclusion, selon leurs Seigneu- ries, s'accorde entièrement avec les principes énoncés par cette Cour dans l'arrêt Citizen Insurance Co. v. Parsons. (Mon soulignement).
La Nationale demande à la Cour de conclure que l'objet de la demanderesse qui consiste à favo- riser le commerce de l'assurance-vie dans le Domi nion du Canada n'est pas un objet provincial et que le Parlement fédéral détient le pouvoir de constituer des sociétés en vertu du caractère rési- duaire du pouvoir «de faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement> que prévoient les termes introductifs de l'article 91.
Nationale soumet également que le pouvoir du Parlement fédéral de constituer des sociétés s'étend au-delà de la seule constitution en société: il comprend des matières faisant partie du fonc- tionnement interne, par opposition aux activités commerciales. Dans l'arrêt Multiple Access Ltd. c. McCutcheon et autres. 17 , la Cour suprême du Canada a se prononcer sur la question de savoir si les dispositions relatives aux «opérations des dirigeants» de la Securities Act 's de l'Ontario étaient ultra vires et sans effet à l'égard d'une compagnie à charte fédérale en vertu de la doc trine de la prépondérance parce qu'elles reprodui- saient des dispositions de la Loi sur les corpora tions canadiennes. Le juge Dickson (c'était alors son titre) a déclaré aux pages 176 et 177:
Depuis l'arrêt John Deere Plow Co. v. Wharton, [1915] A.C. 330 (C.P.), il est bien établi que le pouvoir de faire des lois relativement à la constitution en corporation de compagnies pour des objets autres que provinciaux appartient exclusive- ment au Parlement canadien puisque c'est un sujet englobé par l'expression «la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada». En outre, le pouvoir de réglementer les échanges et le commerce, en tout état de cause, permet au Parlement cana- dien de prescrire dans quelle mesure peuvent être exercés les pouvoirs des compagnies dont les objets s'étendent à tout le pays et à quelles limites ils doivent être assujettis ... Le pouvoir du Parlement relativement à la constitution en corporation de compagnies pour des objets autres que provinciaux n'a pas été défini de façon stricte. La jurisprudence établit clairement que ce pouvoir va bien au delà de la simple constitution de la compagnie. Il s'étend à des matières comme le maintien de la compagnie, la protection de ses créanciers et la sauvegarde des intérêts de ses actionnaires. Tout cela fait partie du fonctionne- ment interne par opposition aux activités commerciales.
" [1982] 2 R.C.S. 161.
'" [The Securities Act], R.S.O. 1970, chap. 426.
Pour sa part, la Provinciale concède que le Parlement fédéral a la compétence voulue pour procéder à une incorporation de compagnies fédé- rales en vertu des dispositions du paragraphe intro- ductif de l'article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867. Toutefois, cette compétence est limitée à l'incorporation de compagnies pour des objets autres que provinciaux. Selon elle, la loi constitu- tive de la Nationale est ultra vires attendu que son caractère véritable constitue une tentative de réglementer une activité commerciale ou une industrie purement locale, à savoir le commerce d'assurance-vie et l'activité d'assureur-vie ainsi que de légiférer en matière d'éducation et de profes sion, tous des domaines exclusivement de compé- tence provinciale.
Il suffit de considérer les objets et les pouvoirs conférés à la Nationale par l'article 2 de sa loi constitutive pour se rendre compte que les objets et pouvoirs en question sont manifestement de juri- diction provinciale. Plus particulièrement, les ali- néas c), d) et e) que je reproduis pour en faciliter l'étude:
2....
c) de faire subir les examens sur les principes et la pratique de l'assurance-vie, ou sur les connaissances générales, ainsi qu'il peut être jugé à propos;
d) d'accorder des certificats de compétence à ses membres;
e) d'autoriser ceux de ses membres qu'elle peut désigner à porter le titre et à avoir la qualité d'oAssureur licencié en assurance-vie au Canada,,.
Il est notoire que l'éducation est une matière provinciale en vertu de l'article 93 de la Loi cons- titutionnelle de 1867, et manifeste que l'autorité de faire subir des examens, d'accorder des certifi- cats de compétence et d'octroyer des titres aux gens de profession relève du domaine de l'éduca- tion au sein des professions. Si le Parlement fédé- ral se permettait de passer une législation autori- sant une corporation fédérale à tenir des examens et accorder des degrés aux professionnels tradition- nels, tels les avocats ou médecins, ou aux gens de métier, tels les plombiers ou électriciens, qui ne sont pas à l'emploi du gouvernement fédéral mais oeuvrant à l'intérieur des provinces, soit à leur propre compte ou soit au service de corporations privées, une telle ingérence serait clairement inac- ceptable et une telle loi du Parlement fédéral serait ultra vires, étant en violation flagrante de la répar-
tition des pouvoirs prévus dans la Loi constitution- nelle de 1867. Le seul fait d'ajouter les mots «dans le Dominion du Canada» à l'article 2 précité ne rend pas fédérale une activité essentiellement provinciale.
Il est incontestable que la réglementation d'une industrie ou d'une activité commerciale à l'inté- rieur d'une province relève de la compétence exclu sive de cette province en vertu du paragraphe 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867, «la propriété et les droits civils dans la province». À ce sujet, je reviens à l'affaire Citizens déjà citée et plus précisément à ce passage de Sir Montague E. Smith aux pages 110-111:
[TRADUCTION] Leurs Seigneuries ne peuvent croire que cette dernière interprétation est la bonne. Elles ne trouvent aucune justification, ni dans les termes utilisés, ni dans le reste de l'Acte, pour retenir une interprétation aussi étroite de l'expres- sion «droits civils». Ces mots, pris dans leur sens habituel et normal, peuvent facilement comprendre les droits découlant des contrats, droits qui ne se retrouvent énumérés de façon expresse dans aucune des catégories de sujets que l'on trouve à l'article 91
Si toutefois on devait accepter l'interprétation étroite donnée par les appelantes aux mots «droits civils», le Parlement du Dominion pourrait, en vertu de son pouvoir général, légiférer relativement aux contrats dans toutes et chacune des provinces et, par conséquent, la province de Québec, qui a présentement son propre Code civil fondé sur le droit français, qui régit les contrats et leurs incidences, pourrait voir son droit sur ces questions modifié par le Parlement du Dominion et ainsi unifor- misé avec le droit anglais qui existe dans les trois autres provinces, nonobstant le fait que le Québec a été à dessin exclu de l'article de l'Acte qui vise l'uniformisation.
En 1916, le Conseil privé, dans l'arrêt Attorney - General for Canada v. Attorney -General for Alberta 19 a conclu que l'article 4 de la Loi des Assurances, 1910 20 édictée par le Parlement du Canada était ultra vires de ses pouvoirs. Cet arti cle entendait interdire l'exercice du commerce des assurances au Canada à toute personne non titu- laire d'une autorisation du ministre fédéral. La Cour a conclu que le pouvoir conféré par le para- graphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867 de légiférer à l'égard des échanges et du commerce ne comprend pas celui de réglementer par un système d'autorisation un commerce particulier que les canadiens seraient par ailleurs libres
19 [1916] 1 A.C. 588 (P.C.).
20 S.C. 1910, chap. 32.
d'exercer dans les provinces. Comme ce pouvoir ne pouvait découler du pouvoir général confirmé par l'article 91 de faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada parce qu'il empié- tait sur l'autorité législative conférée aux provinces par le paragraphe 92(13) de légiférer relativement aux droits civils dans la province, la disposition législative visée était ultra vires. Le vicomte Hal- dane L.C. a dit à la page 597:
[TRADUCTION] Il ne fait aucun doute que le commerce de l'assurance est très important et a atteint des proportions considérables au Canada. Mais ceci est également vrai d'autres domaines très importants et très étendus de l'activité commer- ciale canadienne dans lesquels il est aujourd'hui transigé libre- ment sous l'autorité provinciale. Lorsque l'Acte de l'Amérique du Nord britannique a retiré de telles catégories d'entreprises de la compétence provinciale, comme ce fut le cas en ce qui concerne les banques, il l'a fait en utilisant des termes exprès
En 1977, dans l'arrêt Canadian Indemnity Co. et autres c. Procureur général de la Colombie- Britannique 21 , la Cour suprême du Canada a statué qu'une législation provinciale établissant un plan d'assurance-automobile obligatoire était valide. Le juge Martland a dit à la page 512:
L'incidence de la législation sur le commerce d'assurance- automobile des appelantes ne pouvait pas être plus radicale. Toutefois, le fait que la législation ait cet effet sur des compa- gnies dont les opérations ont une portée interprovinciale n'im- plique pas que la législation soit relative aux échanges et au commerce interprovinciaux. Le but de la législation concerne un sujet d'intérêt provincial à l'intérieur de la province ainsi que la propriété et les droits civils dans la province.
Pour ce qui est de la réglementation des métiers et professions, cette matière relève également des provinces. Dans son livre Constitutional Law of Canada, 2e éd., Peter W. Hogg écrivait à la page 461:
[TRADUCTION] 7. Métiers et professions
La réglementation des professions et des métiers, de façon caractéristique, se réalise par l'imposition de restrictions à l'obtention du droit de pratique, doublées de règles de conduite comprenant souvent la fixation de tarifs, et par l'application de ces dispositions par un organisme directeur. Une telle régle- mentation, qui ne diffère point de celle d'autres industries sur le plan constitutionnel et bombe sous l'égide de la propriété et des droits civils dans la province.
Dans l'arrêt Lafferty v. Lincoln 22 , la Cour
21 [1977] 2 R.C.S. 504.
22 (1907), 38 R.C.S. 620.
suprême du Canada a conclu que la Medical Pro fession Act 23 de l'Alberta était intra vires. Le juge Idington a dit à la page 627:
[TRADUCTION] Il ressortirait certainement aux pouvoirs ordinaires conférés aux provinces du Dominion de réglementer la pratique de la médecine, de réglementer la pratique du droit ou d'autres professions de ce type, de fixer les normes relatives au droit d'exercice de cette profession, d'interdire cette pratique à ceux qui ne rencontrent par les normes ainsi établies et, si besoin est, afin de donner effet à de tels pouvoirs, de créer des collèges ou les autres corporations que la législature considérera appropriées.
Le juge Lieff de la Cour suprême de l'Ontario dans l'affaire Re Imrie and Institute of Chartered Accountants of Ontario 24 traitait des règles de conduite professionnelle à l'Institut des comptables agréés de l'Ontario relativement aux fausses décla- rations et d'une disposition du Code criminel tou- chant la même matière. Il disait ceci à la page 277:
[TRADUCTION] Toutefois, il semblerait plus approprié d'exami- ner le caractère véritable de ces dispositions-législatives. Le gouvernement fédéral tente d'exercer un contrôle sur la mora- lité publique en prohibant certains types de conduites. Le gouvernement provincial a créé l'Institut des comptables agréés et lui a conféré le pouvoir d'édicter des règlements pour contrô- ler la compétence, la moralité et la conduite professionnelle de ses membres. La législature, usant d'un pouvoir qui lui était clairement conféré sous le régime de l'article 92 de l'A.A.N.B., 1867, a tout simplement fourni à l'Institut un moyen d'exercer un contrôle sur ses membres.
La Cour suprême du Canada dans l'affaire Jabour c. Law Society of British Columbia et autre 25 s'est penchée sur les restrictions imposées à la publicité des avocats par le Barreau d'une pro vince et l'applicabilité d'une législation fédérale, la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions 26 , à ces restrictions. La Cour a trouvé inter alia que la loi provinciale Legal Professions Act 27 autorise vali- dement les Benchers à prendre des mesures disci- plinaires contre l'avocat Jabour pour avoir fait de la publicité. Une province est autorisée à régle- menter les aspects moraux et financiers d'un com merce exploité ou d'une profession exercée à l'inté- rieur de ses frontières. Le juge Estey disait ceci aux pages 334-335:
23 S.A. 1906, chap. 28.
24 [197 2] 3 O.R. 275 (H.C.).
25 [ 1982] 2 R.C.S. 307.
26 S.R.C. 1970, chap. C-23.
27 R.S.B.C. 1960, chap. 214 (maintenant la Barristers and Solicitors Act, R.S.B.C. 1979, chap. 26).
Qui plus est, le public en général est mal placé pour évaluer sans aide le besoin de services juridiques ou l'efficacité des services que l'avocat a fournis au client et il a donc besoin de protection. Assurer cette protection, voilà l'objet premier de la Legal Professions Act. On peut ne pas être d'accord sur l'efficacité du mode choisi à cette fin par la législature, mais aucune partie en l'espèce ne conteste le droit de la province d'adopter la loi. Il revient à la législature de déterminer la technique administrative à employer pour l'application des politiques énoncées dans ses lois. Je ne vois rien d'anormal, du point de vue juridique, dans le fait que la législature provinciale en l'espèce choisisse un organisme administratif dont les mem- bres sont recrutés dans le groupe soumis à la réglementation.
Évidemment, le Parlement fédéral a le pouvoir de créer des compagnies visant des objets fédéraux. L'article 154 de la Loi sur les corporations cana- diennes stipule clairement que le Ministre peut constituer des compagnies sans capital action pour les objets «qui ressortissent à l'autorité législative du Parlement du Canada». Et le Parlement fédéral peut, à l'occasion, justifier la constitutionnalité d'une loi d'application générale qui de façon inci- dente affecte la propriété et les droits civils à l'intérieur d'une province. Le Parlement peut pour- voir à l'établissement d'un organisme administratif gouvernemental pour contrôler l'application d'une telle Loi, ce qu'il n'a pas fait en l'espèce. Cepen- dant, l'absence d'un tel organisme ne rend pas pour autant la loi inconstitutionnelle.
Dans MacDonald et al. c. Vapor Canada Ltd. 28 la Cour suprême du Canada s'est penchée sur l'alinéa 7e) de la Loi sur les marques de commerce défendant à toute personne d'agir contrairement aux honnêtes usages industriels ou commerciaux en cours au Canada. La Cour suprême a décrété l'alinéa 7e) ultra vires du Parlement parce qu'il constitue une disposition législative visant la pro- priété et les droits civils et a conclu que la Cour fédérale n'avait pas juridiction dans l'affaire. Le juge en chef Laskin ajoutait ceci à la page 156:
En l'absence d'organisme administratif pour contrôler l'obser- vation des interdictions décrétées à l'art. 7 (et sans conclure que l'existence d'un tel organisme serait un facteur important ou décisif de constitutionnalité), je ne puis rien trouver dans les pouvoirs fédéraux qui fournisse un fondement incontestable à l'art. 7 dans son ensemble ou à l'al. e) considéré isolément. Le fait que la loi s'applique dans tout le Canada ne saurait constituer un point d'appui suffisant lorsque rien d'autre ne justifie sa validité.
28 [ 1977] 2 R.C.S. 134.
J'en viens donc à la conclusion que les alinéas c), d) et e) de l'article 2 de la Loi constitutive de la Nationale visent des objets de juridiction provin- ciale et sont ultra vires du Parlement du Canada.
5. La Loi sur les assurances du Québec et la Loi sur les marques de commerce
En 1974, la province de Québec a modifié sa Loi des assurances du Québec pour y insérer l'article 335 précité. Libellé comme il l'est l'alinéa 335b) habilite la Provinciale à décerner les désignations d'«Assureur-vie agréé» (A.v.A.) ou de «Chartered Life Insurer» (c.L.u.). Les parties reconnaissent qu'il y a une erreur évidente dans cette désigna- tion: la désignation anglaise aurait s'écrire «Chartered Life Underwriter» (c.L.u.). De plus, le nom anglais de l'association se lit «Provincial Life Insurers Association of Quebec» alors qu'il devrait être la «Provincial Association of Quebec Life Underwriters».
La rédaction de cet alinéa particulier laisse quel- que peu à désirer. L'alinéa énonce que l'agent d'assurance peut avoir droit aux titres mentionnés «moyennant l'agrément de» la Provinciale «confor- mément aux statuts de cette Association». La Nationale soutient qu'en 1974, lorsque les disposi tions législatives en question ont été édictées, les statuts de la Provinciale prévoyaient l'attribution des titres par la Nationale: en conséquence, l'ali- néa 335b) ne fait que confirmer l'autorité de la Nationale à l'égard des titres. Jusqu'à aussi récem- ment que 1987, les statuts de la Provinciale pré- voyaient que seuls les membres en règle de la Nationale pouvaient utiliser de telles désignations. La Provinciale, cependant, n'opère plus en fonction de ces règles et veut voir imposer ses propres droits d'octroyer les titres.
D'un autre côté la Nationale invoque la protec tion de la Loi sur les marques de commerce. Il est bien établi que le Parlement fédéral a la compé- tence requise pour édicter des lois relatives aux marques de commerce. Dans l'arrêt Attorney - General for Ontario v. Attorney -General for Canada 29 , lord Atkin du Conseil privé a dit à la page 417:
29 [1937] A.C. 405 (P.C.).
[TRADUCTION] Il existe au Canada un code bien établi régissant les marques de commerce. Créé par des lois du Dominion, il figure à présent dans la Loi des marques de commerce et dessins de fabrique, S.R.C. 1927, chap. 201, modifiée par S.C. 1928, chap. 10. Le propriétaire d'une marque de commerce enregistrée s'y voit accorder le droit exclusif d'employer cette marque de commerce pour désigner des arti cles fabriqués ou vendus par lui. Ce code crée donc dans chaque province une forme de propriété et les droits qui en découlent. Personne n'a contesté la compétence du Dominion à adopter une telle législation. Si cette compétence était contestée, la catégorie de sujets figurant au paragraphe 91(2), la réglemen- tation des échanges et du commerce mentionnée par le Juge en chef, semblerait de toute évidence conférer l'autorité voulue au Dominion.
Cette décision a été citée avec approbation par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Dominion Stores Ltd. c. La Reine 30 , dans lequel le juge Estey a dit à la page 861:
La législation sur la marque »Canada Standard» a été exami née et entérinée par le Conseil privé comme une loi relative aux marques de commerce. Elle visait de par son caractère vérita- ble, à créer une marque de commerce et un système de permis et le Conseil privé a jugé que c'était une loi valide sur le fondement du par. 91(2) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique.
La Nationale soutient que, advenant un conflit entre la Loi sur les marques de commerce et la Loi des assurances du Québec, la doctrine de la pré- pondérance entrerait en jeu pour faire prévaloir la législation fédérale. Cette doctrine a été exposée par lord Watson du Conseil privé dans l'arrêt Attorney -General for Ontario v. Attorney -General for the Dominion 31 . Il a écrit à la page 366:
[TRADUCTION] Cette chambre a fréquemment reconnu, et l'on peut maintenant considérer établi, le principe que, d'après l'idée à la base de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, la législation adoptée par le Parlement du Canada dans les limites de sa compétence doit l'emporter sur la législation provinciale.
Dans l'arrêt Attorney -General for Canada v. Attorney -General for British Columbia 32 , lord Tomlin, du Conseil privé, a établi quatre principes devant contribuer à trancher les questions de con- flit de compétence de ce type la page 118):
[TRADUCTION] On a souvent soumis au Conseil des ques tions de conflit de compétence entre le Parlement du Canada et les législatures provinciales, et le Conseil a déjà énoncé les principes suivants:
(1.) La législation du Parlement, qui porte strictement sur les catégories de sujets énumérés à l'art. 91, a prépondérance,
30 [1980] 1 R.C.S. 844.
3' [1896] A.C. 348 (P.C.).
32 [1930] A.C. 111 (P.C.).
même si elle empiète sur des domaines assignés aux législatures provinciales par l'art. 92: voir l'arrêt Tenant c. Union Bank of Canada.
(2.) Le pouvoir général de légiférer que l'art. 91 de la Loi confère au Parlement du Canada en plus du pouvoir de légifé- rer sur les sujets expressément énumérés, doit se restreindre strictement aux matières qui sont incontestablement d'impor- tance ou d'intérêt national et ne doit empiéter sur aucun des sujets énumérés à l'art. 92 comme étant du ressort exclusif des législatures provinciales, à moins que ces matières prennent des proportions telles qu'elles affectent le corps politique du Domi nion: voir Attorney -General for Ontario v. Attorney -General for the Dominion.
(3.) Il est de la compétence du Parlement fédéral de statuer sur des questions qui, bien qu'à d'autres égards de la compé- tence législative des provinces, sont nécessairement accessoires à une législation efficace du Parlement fédéral sur un sujet de législation expressément mentionné à l'art. 91: voir Attorney - General of Ontario v. Attorney -General for the Dominion; et Attorney -General for Ontario v. Attorney -General for the Dominion.
(4.) II peut y avoir un domaine dans lequel les législations provinciale et fédérale chevauchent, auquel cas aucune n'est inconstitutionnelle si le champ est inoccupé, mais si le champ n'est pas libre et deux législations viennent en conflit, celle du fédéral doit prévaloir: voir Grand Trunk Ry. of Canada v. Attorney -General of Canada.
En pratique, les tribunaux ont toujours voulu interpréter les lois rivales de façon à les concilier. Par exemple, le juge Dickson, dans l'arrêt Multi ple Access susmentionné, a dit à la page 191:
En principe, il ne semble y avoir aucune raison valable de parler de prépondérance et d'exclusion sauf lorsqu'il y a un conflit véritable, comme lorsqu'une loi dit «oui» et que l'autre dit «non»; «on demande aux mêmes citoyens d'accomplir des actes incompatibles»; l'observance de l'une entraîne l'inobser- vance de l'autre.
Dans une décision plus récente de la Cour suprême, l'arrêt Deloitte Haskins and Sells Ltd. c Workers' Compensation Board et autres 33 , le juge Wilson a posé cette question pour y apporter sa propre réponse, à la page 806:
Comment devrait-on alors répondre à la question constitu- tionnelle formulée par le Juge en chef. L'alinéa 107(1)h) de la Loi sur la faillite entre-t-il en conflit avec le par. 78(4) de The Workers' Compensation Act de façon à le rendre inopérant? Je ne le crois pas. Le paragraphe 78(4) n'est pas censé viser un cas de faillite et, en vertu de la présomption de constitutionnalité, le législateur provincial est censé légiférer dans le cadre de sa compétence plutôt qu'à l'extérieur de celle-ci. Si j'ai le choix d'interpréter la loi provinciale de manière qu'elle envahisse la sphère de compétence fédérale, entraînant ainsi l'application de la doctrine de la prépondérance ou de l'interpréter en confor- mité avec la présomption de constitutionnalité, je préfère cette
13 [1985] 1 R.C.S. 785.
dernière interprétation. Je crois en outre qu'elle se conforme mieux à la jurisprudence et à la doctrine récentes relativement à la portée de la doctrine de la prépondérance.
La Nationale invite la Cour à régler le conflit à la lumière du fait que la Nationale a adopté les désignations en cause et les a attribuées à ses membres depuis 1924 tandis que la Provinciale constituée en société en 1972, exigeait dans ses propres statuts que quiconque employait ces dési- gnations soit membre de la Nationale: c'est dans un tel contexte que la législation québécoise a été promulguée et ne doit pas être interprétée comme empiétant sur le domaine fédéral.
La Nationale soutient que la province de Québec ne peut être considérée comme ayant permis à un organisme privé tel la Provinciale d'écarter les droits valides que détient la Nationale relativement à ses marques de commerce par le truchement d'une simple modification à ses pro- pres statuts. Elle soumet que la Provinciale n'a jamais été un organisme gouvernemental et que la fonction d'agent d'assurance n'a jamais été dési- gnée comme une profession par le Code des pro fessions du Québec".
Par contre, même si l'on prenait pour acquis que la Nationale est validement constituée et qu'elle agit intra vires de ses pouvoirs, elle ne peut tout de même exercer cesdits pouvoirs en contravention des lois de la province de Québec qui délimitent les droits des personnes dans cette province.
Dans l'arrêt John Deere Plow Company v. Wharton, 35 la Chambre des lords avait à statuer au sujet de la Companies Act de la Colombie- Britannique 36 , qui prévoyait que les compagnies constituées par le Parlement du Dominion doivent être autorisées ou enregistrées conformément à la loi provinciale afin d'exercer leurs activités dans cette province. La Cour a décidé que le pouvoir de légiférer relativement à «la réglementation des échanges et du commerce» conféré au Parlement du Canada par le paragraphe 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867 permet au Parlement de prescrire l'étendue et les limites des pouvoirs des compagnies dont les objets s'étendent à l'ensemble du Dominion: le statut et les pouvoirs d'une société
74 L.R.Q. 1977, chap. C-26.
supra, 16.
36 R.S.B.C. 1911, chap. 39.
du Dominion ne peuvent dont être anéantis par une législature provinciale. Toutefois, le vicomte Haldane L.C. a dit à la page 341:
[TRADUCTION] Il suffit ici de dire que la province ne peut passer une loi dépossédant une compagnie du Dominion de son statut et de ses pouvoirs. Cela ne signifie pas que ces pouvoirs puissent être exercés en contravention aux lois provinciales apportant des restrictions générales aux droits du public dans la province. [Mon soulignement.]
Même si les marques de commerce en question étaient valides et enregistrées, ce droit de propriété ne conférerait pas par lui-même à la Nationale le droit d'agir en contravention des lois d'une pro vince. Dans l'arrêt Benson and Hedges (Canada) Ltd. et al. v. Attorney -General of British Columbia 37 , la Cour suprême de la Colombie- Britannique a conclu que cette province détenait l'autorité législative lui permettant de prohiber la vente d'alcools, y compris la publicité faite à cet égard. Le juge Hinkson a dit à la page 266:
[TRADUCTION] On prétend que la restriction visant la publicité est une restriction indue sur l'emploi de la marque de com merce; mais, pour les motifs énoncés par le lord chancelier vicomte Haldane dans l'arrêt John Deere Plow Co. v. Wharton, susmentionné, je conclus que les droits conférés par la déli- vrance d'une marque de commerce ne peuvent être exercés en contravention des lois de la province délimitant les droits du public dans la province de façon générale. [Mon soulignement.]
Peter W. Hogg, dans son ouvrage Constitutional Law of Canada, 2e éd., dans le chapitre intitulé «Characterization of laws» ([TRADUCTION] Caractérisation des lois), traite de la doctrine du [TRADUCTION] «caractère véritable», qui permet à un niveau de gouvernement d'édicter des lois ayant des conséquences importantes sur des matières ne relevant pas de sa compétence. Il a indiqué qu'il existe de nombreux exemples de lois qui ont été maintenues même si elles avaient une incidence sur des matières ne relevant pas de la compétence de l'autorité qui les a promulguées. Il a écrit à la page 314:
[TRADUCTION] Une loi provinciale relative à l'assurance (une matière provinciale) peut validement restreindre ou même stop per les activités de sociétés constituées sous le régime de la loi fédérale (une matière fédérale);
À mon avis, tel est le cas en l'espèce. La Loi des assurances du Québec peut validement contrôler les activités de la Nationale relativement à une matière provinciale comme l'exercice de la profes-
J' (1972), 27 D.L.R. (3d) 257 (C.S.C.-B.).
Sion d'agent d'assurance et l'attribution de titres aux personnes exerçant cette profession.
6. L'ultra vires corporatif
Le procureur de la Provinciale a soumis que même si la loi constitutive créant la Nationale était considérée comme étant constitutionnelle- ment valide, elle ne détient pas pour autant les capacités d'une personne physique. Elle serait limi- tée aux pouvoirs qui lui sont expressément conférés par la loi spéciale qui l'a fait naître. Telle est la doctrine de l'ultra vires décrite par le vicomte Haldane L.C. dans la cause Bonanza Creek préci- tée à la page 577:
[TRADUCTION] La doctrine signifie tout simplement ceci: en répondant à la question de savoir quels sont les pouvoirs que possède une compagnie constituée exclusivement par une loi, on ne saurait d'abord supposer que la législature avait l'intention de créer une compagnie investie d'une capacité semblable à celle d'une personne physique, comme c'est le cas d'une compa- gnie à charte en common law, et ensuite se demander si certains termes de la loi viennent restreindre les privilèges d'une compagnie ainsi constituée.
En d'autres mots, une société créée par loi spé- ciale n'a d'autres pouvoirs que ceux prévus par cette loi, à l'exception bien sûr des pouvoirs inhé- rents, tels que décrits dans la Loi d'interprétation 38 et plus précisément à l'article 20, qui sont la capacité d'ester en justice, de passer des contrats et d'acquérir des biens mobiliers, ainsi que d'autres pouvoirs non pertinents en l'espèce. Viennent s'ajouter à ces pouvoirs ceux qui sont spécifique- ment conférés par la Loi sur les corporations canadiennes, partie IV.
En ce qui concerne la Nationale, l'article 12 de sa loi constitutive l'autorisait à acquérir des biens immobiliers dont la valeur totale se limitait à 100 000 $. Un amendement est venu en 1957 éli- miner de façon rétroactive cette limitation.
Cette doctrine de l'ultra vires en droit corporatif est reprise par les auteurs James Smith et Yvon Renaud, Droit Québécois des Corporations Commerciales 39 . Le paragraphe tiré de la page 238 reflète la pensée des auteurs:
4. La compagnie est une personne morale, distincte des personnes physiques qui la composent, qui jouit d'une capacité variant suivant sa charte ou son statut d'incorporation. Les corporations commerciales sont habituellement constituées par lettres patentes en vertu de la première Partie de la Loi des
S.R.C. 1970, chap. 1-23.
'v Volume 1, Judico Inc., Montréal, 1974.
compagnies. Depuis l'arrêt Bonanza Creek Gold Mining Co. v. The King, on s'accorde généralement à dire que, à l'égard des tiers, la doctrine de l'ultra vires ne limite pas la capacité des compagnies incorporées par lettres patentes mais seulement celle des compagnies incorporées par lois spéciales.
Et par après, à la page 244, les auteurs tirent la conclusion suivante:
14. A l'égard des tiers, l'acte ultra vires d'une compagnie incorporée par loi spéciale est de nul effet, non ratifiable par les actionnaires. (Ashbury Rly Carriage and Iron Co. v. Riche (1875) L.J. 44 Ex. 185 (H.L.).)
Il y a lieu également de rapporter deux autres citations extraites de l'affaire Bonanza Creek pré- citée. La première à la page 578:
[TRADUCTION] Lorsqu'elle tire son entière existence de la loi, cette créature du législateur jouira des privilèges de la common law uniquement si le texte même de la loi les lui accorde. En l'absence de termes exprès à cet effet, une telle compagnie n'a pas ces privilèges et si elle agissait comme si ces privilèges étaient les siens son action serait ultra vires et à ce titre interdite parce qu'exorbitante de l'objet visé par la loi.
Et également à la page 584:
[TRADUCTION] Dans le cas d'une compagnie dont l'existence juridique dérive entièrement des termes d'une loi, cette compa- gnie ne possède pas la capacité générale d'une personne physi que et la doctrine de l'ultra vires peut s'appliquer.
La Nationale soumet par contre qu'une société ne devrait pas se voir prohiber l'exercice d'activi- tés, comme par exemple l'emploi et l'enregistre- ment de marques de commerce qui peuvent être raisonnablement nécessaires à l'exploitation de son entreprise. Dans une décision plus récente que celle de Bonanza, soit C.P.R. v. City of Winnipeg 40 , la Cour suprême du Canada devait déterminer si une compagnie (créée par loi spé- ciale telle la demanderesse) possédait l'autorité nécessaire pour conclure une entente avec une municipalité. Le juge Locke a reconnu que l'auto- rité d'une compagnie incorporée en vertu d'une loi spéciale différait de celle d'une compagnie de droit commun. Par contre, une telle compagnie n'est pas limitée exclusivement aux objets spécifiquement énumérés à sa loi constitutive la page 485):
[TRADUCTION] Les observations faites par le lord chancelier Selborne dans l'arrêt Attorney General v. Great Eastern Rail way Co. au sujet de la décision prononcée par la Chambre des lords dans l'affaire Ashbury Railway Co. v. Riche susmention- née veulent que la doctrine de l'ultra vires expliquée dans ce dernier arrêt doive être maintenue mais doive s'interpréter et s'appliquer de façon raisonnable; de plus, aucun des actes qui
41 [ 1952] 1 R.C.S. 424.
peuvent être considérés comme accessoires aux actes autorisés par la législature ou comme découlant de tels actes ne devraient, à moins d'une interdiction expresse, être jugés ultra vires par voie d'interprétation judiciaire. Rien dans les lettres patentes ou dans la Loi de 1881 n'interdit à la compagnie de chemins de fer en cause de conclure une entente comme celle en l'espèce ... A mon avis, la prétention que Canadian Pacific Railway Co. a excédé ses pouvoirs en concluant l'entente et en se soumettant aux obligations qu'elle prévoit doit échouer.
Ceci signifie à mon avis que même les compa- gnies incorporées par loi spéciale ont droit à l'exer- cice de pouvoirs incidents ou dérivés des actes expressément autorisés, à moins, bien sûr, que ces actes soient expressément prohibés. En d'autres mots, la loi constitutive doit recevoir une interpré- tation libérale de façon à ne pas restreindre indû- ment les activités de la compagnie.
Si l'on analyse à nouveau l'article 2 de la loi constitutive de la Nationale à la lumière des critè- res que je viens d'exposer, il apparaît nettement que cet article ne confère pas expressément le pouvoir d'offrir des programmes d'étude ni celui de conférer les titres «Assureur-vie agréé», «A VA», «Chartered Life Underwriter» et «CLU». La loi permet de «faire subir les examens» et «d'accorder des certificats de compétence». Les seuls titres que la loi lui permet expressément de conférer sont ceux de «Chartered Life Underwriter of Canada» et «assureur licencié en assurance-vie au Canada».
Par contre, je ne suis pas prêt à dire que de tels pouvoirs ne seraient pas incidents aux pouvoirs expressément conférés à la Nationale par sa loi constitutive. De toute façon, je n'ai pas à me prononcer sur cet aspect du problème puisque cette action est rejetée pour d'autres motifs.
CONCLUSIONS
Dans le but d'obtenir l'émission de l'injonction désirée la demanderesse se devait de prouver les éléments suivants:
Premièrement, qu'elle a la capacité d'ester en justice. Pour les motifs précités je trouve qu'elle a effectivement cette capacité, même si les alinéas 2c), d) et e) de sa loi constitutive sont ultra vires du Parlement du Canada;
Deuxièmement, que les marques de commerce sur lesquelles elle fonde son recours sont valide- ment enregistrées. Mes conclusions sont à l'effet qu'elles ne le sont pas;
Troisièmement que les dispositions de l'alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce per- mettent de suppléer au manque d'enregistrement de certaines marques. En l'espèce j'ai déterminé qu'elles ne le permettent pas;
Quatrièmement, que la défenderesse enfreint les droits de la demanderesse aux marques enregis- trées ou non enregistrées. Ma conclusion est à l'effet que la défenderesse n'a pas commis une telle violation mais a agi conformément à la loi provin- ciale qui régit ses propres activités, laquelle loi est Mira vires des pouvoirs conférés aux provinces conformément à la Loi constitutionnelle de 1867.
En conséquence, la demanderesse n'a pas droit à l'injonction.
Conformément à ces motifs, je dois également ordonner la radiation du registre des marques de commerce des enregistrements suivants:
TMA 335,823 pour la marque cru, enregistrée le 31 décembre 1987;
TMA 335,977 pour la marque AVA, enregistrée le 31 décembre 1987;
TMA 335,724 pour la marque «Chartered Life Underwriter et Dessin», enregistrée le 24 décembre 1987; et
TMA 335,464 pour la marque »Assureur-Vie Agréés et Dessin», enregistrée le 18 décembre 1987.
Finalement, je déclare que les alinéas 2c), d) et e) de la Loi constituant en corporation The Life Underwriters' Association of Canada" sont inopé- rants, inconstitutionnels et ultra vires du Parle- ment du Canada.
Le tout avec frais et dépens accordés à la défenderesse.
4' S.C. 1924, chap. 104 (mod. par S.C. 1957, chap. 46).
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