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A-760-86
Marcelle Tétreault-Gadoury (requérante) c.
Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada (intimée)
et
Leon Vellone, Rodrigue Deraiche et Andre Manocchio (mis-en-cause es-qualité de membres du conseil arbitral en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage)
et
Sous-procureur général du Canada et procureur général du Canada (mis-en-cause)
RÉPERTORIÉ: TÉTREAULT-GADOURY C. CANADA (COMMISSION DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION DU CANADA)
Cour d'appel, juges Hugessen, Lacombe et Desjar- dins—Montréal, 25 avril; Ottawa, 14, 15 juin et 23 septembre 1988.
Assurance-chômage Demande de révision et d'annulation de la décision par laquelle le conseil arbitral confirmait la décision de la Commission qui déclarait la requérante inad missible aux prestations d'assurance-chômage ordinaires en raison de son âge Sauf l'exclusion en raison de son âge, la requérante remplissait toutes les autres conditions de la Loi Aux termes de l'art. 31, elle avait droit à la prestation spéciale de retraite équivalant à trois semaines de prestations La requérante a interjeté appel au motif que l'art. 31 était con- traire à l'art. 15 de la Charte En rédigeant l'art. 31, le législateur entendait éviter le chevauchement de l'assurance- chômage avec les autres programmes sociaux comme la pen sion de vieillesse L'exclusion en raison de l'âge est abusive et n'est plus justifiable compte tenu des modifications appor- tées à la Loi et ses règlements depuis son instauration en 1971 Il n'a pas été démontré que le législateur ne peut atteindre son objectif en appliquant d'autres dispositions de la Loi et de son règlement d'application Le Conseil a commis une erreur en donnant effet à une disposition incompatible avec la Charte.
Droit constitutionnel Charte des droits Droits à l'égalité Discrimination en raison de l'âge La requérante, agée de 65 ans, a perdu son emploi La Commission de l'emploi et de l'immigration a avisé la requérante qu'en raison de son âge, elle n'était plus admissible aux prestations d'assu- rance-chômage ordinaires Aux termes de l'art. 31 de la Loi sur l'assurance-chômage, elle avait droit à la prestation spé- ciale de retraite équivalant à trois semaines de prestations La requérante a interjeté appel auprès du conseil arbitral au motif que l'art. 31 était contraire à l'art. 15 de la Charte, et celui-ci a confirmé la décision de la Commission sans se prononcer sur la question constitutionnelle Le conseil arbi- tral ou le juge-arbitre a le pouvoir de déclarer inopérantes des
dispositions d'une loi ou d'un règlement parce que contraires à la Charte Le conseil a commis une erreur en refusant de considérer les arguments relatifs à la question constitution- nelle L'exclusion en raison de l'âge est abusive et incompa tible avec l'art. 15 de la Charte L'art. 31 de la Loi est déclaré inopérant.
Compétence de la Cour fédérale Division d'appel Demande de révision et d'annulation de la décision du conseil arbitral La requérante pouvait-elle soumettre la question de la validité constitutionnelle de l'art. 31 de la Loi sur l'assurance-chômage à la Cour par le truchement de la demande fondée sur l'art. 28? La requérante a contesté la décision du conseil sans faire appel â un juge-arbitre En matière de détermination de la compétence, il importe peu que la demande de révision concerne la décision d'un conseil arbitral ou d'un juge-arbitre Le conseil arbitral ayant commis une erreur en refusant de considérer les arguments d'ordre constitutionnel, la Cour d'appel a compétence pour le faire.
En septembre 1986, la requérante, qui avait alors 65 ans, a perdu son emploi. La Commission de l'emploi et de l'immigra- tion l'a avisée qu'en raison de son âge, elle n'était plus admissi ble à recevoir des prestations d'assurance-chômage ordinaires, mais qu'aux termes de l'article 31 de la Loi, elle avait droit à la prestation spéciale de retraite, équivalant à trois semaines de prestations. La requérante a interjeté appel au motif que l'article 31 était contraire à l'article 15 de la Charte. Le conseil arbitral a confirmé la décision de la Commission sans se prononcer sur la question constitutionnelle. La requérante a contesté la décision du conseil par le truchement de cette demande de révision judiciaire plutôt que de s'en remettre à un juge-arbitre.
Arrêt: la demande devrait être accueillie.
Le juge Lacombe: Les tribunaux administratifs, qu'il s'agisse d'un conseil arbitral ou d'un juge-arbitre, ont le pouvoir de constater qu'un texte législatif ou réglementaire est inopérant parce qu'il est incompatible avec la Charte. Le pouvoir de refuser de donner effet à un texte législatif ou réglementaire, jugé inconstitutionnel, est inhérent à tout organisme doté du pouvoir d'adjudication entre les droits des parties dans une instance particulière. Conséquemment, le conseil ayant commis une erreur en refusant de considérer les arguments d'ordre constitutionnel que la requérante lui avait soumis, il y a lieu pour la Cour de s'en saisir et de se prononcer à cet égard.
L'article 31 de la Loi est déclaré inopérant parce que con- traire à la Charte. La négation totale du droit aux prestations d'assurance-chômage aux chômeurs âgés de 65 ans ne peut plus se justifier compte tenu des récentes modifications apportées à la Loi et aux règlements. Le législateur pourrait parvenir à éviter le chevauchement de l'assurance-chômage avec les autres programmes sociaux en appliquant d'autres dispositions perti- nentes de la Loi ou des règlements.
Le juge Desjardins (motifs concordants quant au résultat): Les organismes chargés d'interpréter la loi doivent le faire intégralement. Il appartient à l'organisme en cause de décider du caractère inopérant d'une disposition législative eu égard à la Charte, sous réserve de la révision judiciaire.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 15(1), 24(1).
Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. 1977, chap. C-12.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1), art. 91, 96.
Loi constitutionnelle de 1940, 3 & 4 Geo. VI, chap. 36 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 27] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 18), art. 91.2A.
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 52(1).
Loi de 1973 sur les allocations familiales, S.C. 1973-74, chap. 44.
Loi de 1940 sur l'assurance-chômage, S.C. 1940, chap. 44 (mod. par S.C. 1955, chap. 50).
Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, chap. 48, art. 19 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 54, art. 32), 22(2) (mod. par S.C. 1976-77, chap. 54, art. 34), 24(1), 25, 31 (mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 80, art. 10), (1) (mod. par S.C. 1976-77, chap. 54, art. 39), (2),(4), 34 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 54, art. 41), 35(1) (mod. par S.C. 1976-77, chap. 54, art. 41), 91, 92(1) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 158, art.
55), 94, 956) (mod. par S.C. 1976-77, chap. 54, art.
56), 96 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 54, art. 56). Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 109(1)b), 117(1)c).
Loi des liqueurs alcooliques, S.R.Q. 1941, chap. 255.
Loi favorisant la retraite anticipée et améliorant la rente
des conjoints survivants, L.Q. 1983, chap. 12.
Loi modifiant le Régime de rentes du Québec, L.Q. 1977,
chap. 24.
Loi sur l'assurance-maladie du Québec, L.R.Q. 1977, chap. A-29.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 28(1),(4).
Loi sur la sécurité de la vieillesse, S.C. 1951, chap. 18
(mod. par S.C. 1957-58, chap. 3; 1966-67, chap. 65). Loi sur la sécurité de la vieillesse, S.R.C. 1970, chap.
O-6.
Loi sur le dimanche, S.R.C. 1970, chap. L-13.
Loi sur le réexamen de l'admissibilité aux prestations
d'assurance-chômage (pension), S.C. 1987, chap. 17. Régime de pensions du Canada, S.R.C. 1970, chap. C-5
(mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 4; 1986, chap. 38). Régime de rentes du Québec, L.Q. 1965, chap. 24, art.
119a).
Règlement sur l'assurance -chômage, C.R.C., chap. 1576, art. 57(1),(2)e),(3)j) (mod. par DORS/87-188), 66(1), 70(4) (mod. par DORS/82-1046, art. 1).
Règlement sur les allocations familiales, C.R.C., chap. 642.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
R. c Big M Drug Mart Ltd., et autres, [1985] 1 R.C.S. 295; Zwarich c. Canada (Procureur général), [1987] 3 C.F. 253 (C.A.); Nixon c. Canada (Commission de l'em- ploi et de l'immigration du Canada) (A-649-86 et A-728-86, juges Urie, Mahoney et Hugessen, jugement en date du 14-12-87 (C.A.), encore inédit); Douglas/ Kwantlen Faculty Assn. v. Douglas College (1988), 21 B.C.L.R. (2d) 175 (C.A.); Union des employés de com merce, local 503 c. WE. Bégin Inc., (19 décembre 1983, Québec, 200-09-000-709-821, J.E. 84-65 (C.A.) non publié); R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S 713; Northern Telecom Canada Ltée. c. Syndicat des travailleurs en communication du Canada, [1983] 1 R.C.S 733; Thé- berge (J.R.) Ltée v. Syndicat National des Employés de !'Aluminum d'Arvida Inc. et autres, [1966] R.C.S. 378; Roncarelli v. Duplessis, [1959] S.C.R. 121; P.P.G. Industries Canada Ltd. c. Procureur-général du Canada, [1976] 2 R.C.S. 739; Capital Cities Communications Inc. et autre c. Conseil de la Radio-Télévision cana- dienne, [1978] 2 R.C.S. 141; Innisfil (municipalité du canton) c. Municipalité du canton de Vespra et autres, [1981] 2 R.C.S. 145; Northern Telecom Canada Limitée c. Travailleurs en communication du Canada, [1980] 1 R.C.S. 115; Côté v. Commission de l'emploi et de l'im- migration du Canada (1986), 69 N.R. 126 (C.A.F.); Bliss c. Procureur général (Can.), [1979] 1 R.C.S. 183; Le procureur général du Canada c. Walford, [1979] 1 C.F. 768 (C.A.); Hills c. Canada (Procureur général), [1988] 1 R.C.S. 513.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Canada (Procureur général) c. Viner, [1988] 1 C.F. 714 (C.A.); Canada (Procureur général) c. Alli, [1988] 3 C.F. 444 (C.A.); Canada (Procureur général) c. Sirois (A-559-86, juge Pratte, jugement en date du 24-6-88, encore inédit); Schachter c. Canada, [1988] 3 C.F. 515 (1" inst.); Séminaire de Chicoutimi c. La Cité de Chi- coutimi, [1973] R.C.S. 681.
DECISIONS CITÉES:
Ontario Public Service Employees' Union v. Algonquin College of Applied Arts and Technology, Cour division- naire (juges Steele, Holland et White, 16 avril 1987, encore inédit); Moore v. B.C. (Govt.) (1988), 23 B.C.L.R. (2d) 105 (C.A.); Terminaux portuaires du Québec c. Association des employeurs maritimes (A-1080-87, juges Pratte, Marceau et Desjardins, jugement en date du 11-8-88 (C.A.), encore inédit).
DOCTRINE
Ouellette, Yves «La Charte canadienne et les tribunaux administratifs» (1984), 18 R.J.T. 295.
Duplessis, Yvon «Un tribunal inférieur peut-il se pronon- cer sur une disposition législative ultra vires» (1984), 15 R.G.D. 127.
Pépin, Gilles «La compétence des cours inférieures et des tribunaux administratifs de stériliser, pour cause d'in- validité ou d'ineffectivité, les textes législatifs et régle- mentaires qu'ils ont mission d'appliquer» (1987), 47 R. du B. 509.
Pinard, Danielle «Le pouvoir des tribunaux administratifs québécois de refuser de donner effet à des textes qu'ils jugent inconstitutionnels» (1987), 33 McGill L.J. 170.
Garton, Graham R., Charter Issues in Civil Cases, Toronto: Carswell, 1988.
Gibson, Dale, The Law of the Charter: General Princi ples, Toronto: Carswell, 1986.
Sack, Jeffrey «Procedures in Charter Cases; Procedures and Remedies—Examination of Questions Pertaining to: WHICH» (1986), Charter Cases, Causes invoquant la Charte; Cdn. Bar Assoc. 1 l .
Canada. Commission de réforme du droit. Conseil sur l'administration publique, Série droit administratif, Document d'étude (Ottawa: Ministre des Approvision- nements et Services Canada, 1980).
AVOCATS:
Jean-Guy Ouellet et Gilbert Nadon pour la requérante.
Carole Bureau et Claude Joyal pour l'intimée et les mis-en-cause, le sous-procureur général du Canada et le procureur général du Canada.
PROCUREURS:
Campeau, Cousineau & Ouellet, Montréal, pour la requérante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée et les mis-en-cause, le sous-procu- reur général du Canada et le procureur géné- ral du Canada.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE LACOMBE: La requérante est née le 8 septembre 1921. Elle avait donc 65 ans le 8 sep- tembre 1986. Le 19 septembre 1986, elle perdait son emploi d'animatrice à l'Association-locataires Villeray Inc., qu'elle avait occupé depuis le 24 mars 1986 au salaire hebdomadaire de 301,60 $. Le 22 septembre 1986, elle déposait une demande de prestations conformément à la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage [S.C. 1970-71-72, chap. 48]. Sauf l'exclusion en raison de son âge, elle remplis- sait toutes les autres conditions établies par la Loi; ce qui, selon l'article 24 lui aurait donné droit à des prestations d'assurance-chômage au montant de 180 $ par semaine, sur une période couvrant plusieurs semaines.
D'ailleurs, avant d'obtenir son emploi à l'Asso- ciation-locataires Villeray Inc., elle avait reçu pen dant 37 semaines, du 16 juin 1985 au 22 mars 1986, des prestations d'assurance-chômage au taux de 185 $ par semaine.
Le 14 octobre 1986, la Commission de l'emploi et de l'immigration l'avisait qu'en raison de son âge, elle n'était plus admissible à recevoir des prestations d'assurance-chômage ordinaires mais qu'aux termes de l'article 31 de la Loi, elle avait droit à la prestation spéciale de retraite au mon- tant de 540 $, équivalant à trois semaines de prestations.
La requérante en appela de cette décision de la Commission devant un conseil arbitral, au motif que l'article 31 de la Loi était contraire à la Charte canadienne des droits et libertés [qui cons- titue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]. A l'audience, la requérante déclarait recevoir depuis son dernier anniversaire de naissance la somme de 481 $ par mois à titre de pensions, sans toutefois en donner la nature ni en préciser les détails'. Elle déclara aussi qu'elle se cherchait activement du travail. Pour étayer sa position relativement à la Charte, elle mit en preuve certains documents dont, entre autres, des extraits des procès-verbaux d'un sous-comité de la Chambre des communes portant sur la retraite obligatoire, des extraits du rapport de la Commis sion Forget, un document de travail intitulé «Les droits à l'égalité et la législation fédérale» et publié par le ministère de la Justice du Canada, etc. Sans se prononcer sur la question constitutionnelle, le conseil arbitral confirmait, le 12 décembre 1986, la décision de la Commission à l'effet qu'à cause de son âge, la requérante n'avait plus droit de recevoir des prestations d'assurance-chômage ordi- naires.
Sans passer par la voie de l'appel ultérieur à un juge-arbitre, la requérante attaquait directement en cette Cour la décision du conseil arbitral par sa demande d'annulation et d'examen selon l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e
' À l'aide de la documentation mise en preuve, on peut extrapoler qu'elle recevait le montant de base de la pension de sécurité de la vieillesse qui lui était payable en décembre 1986 (294,43 $ par mois); le solde de 186,57 $ étant constitué d'une pension qu'elle devait toucher du Régime des rentes du Québec.
Supp.), chap. 10] pour y soulever de nouveau l'incompatibilité de l'article 31 de la Loi avec l'article 15 de la Charte. Par décision interlocu- toire rendue par un juge de cette Cour, les parties étaient autorisées à faire la preuve qu'elles juge- raient opportun de faire en rapport avec la ques tion constitutionnelle soulevée par le pourvoi. Cette preuve par affidavit et par le dépôt d'une documentation abondante a été déposée au dossier de la Cour.
Question préliminaire
Avant d'aborder le vif du sujet, il importe de savoir si le recours choisi par la requérante permet de trancher la question de fond qu'il soulève. En d'autres mots, la requérante pouvait-elle demander au conseil arbitral de décider de la validité consti- tutionnelle de l'article 31 de la Loi et pouvait-elle soumettre la même question à la Cour par le truchement de la demande d'annulation et d'exa- men prévue à l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale. La compétence des tribunaux inférieurs, et surtout des tribunaux administratifs, de décider des questions impliquant la Charte canadienne des droits et libertés est controversée tant en jurispru dence que dans la littérature juridique 2 .
La Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] édicte en son paragraphe 52(1):
52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.
Dans R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295, le juge Dixon, juge en chef de la Cour suprême du Canada, écrivait à la page 353:
Si un tribunal judiciaire ou administratif juge une loi incom patible avec la Constitution, ce tribunal a, en vertu du caractère
2 Voir par exemple: Yves Ouellette, «La Charte canadienne et les tribunaux administratifs» (1984), 18 R.J.T. 295, aux p. 321 et suivantes; Yvon Duplessis, «Un tribunal inférieur peut-il se prononcer sur une disposition législative ultra vires?» (1984), 15 R.G.D. 127; Gilles Pépin, «La compétence des cours inférieures et des tribunaux administratifs de stériliser, pour cause d'invalidité ou d'ineffectivité, les textes législatifs et réglementaires qu'ils ont mission d'appliquer» (1987), 47 R. du B. 509; Gilles Pépin, «La compétence du Tribunal du travail de juger une loi ineffective (inopérante)» (1988), 48 R. du B. 125; Danielle Pinard, «Le pouvoir des tribunaux administratifs qué- bécois de refuser de donner effet à des textes qu'ils jugent inconstitutionnels» (1987), 33 McGill L.J. 170.
prédominant de la Loi constitutionnelle de 1982 prévu au par. 52(1), non seulement le pouvoir mais encore l'obligation de considérer comme «inopérantes» les dispositions incompatibles de cette loi.
Certes, cet énoncé était obiter dictum quant à la référence aux tribunaux administratifs puisqu'il s'agissait dans cette affaire du pouvoir d'un tribu nal inférieur de juridiction pénale de se prononcer sur la validité de la Loi sur le dimanche [S.R.C. 1970, chap. L-13] en regard des dispositions de la Charte.
Forte de cette directive de la part de la Cour suprême du Canada, cette Cour a affirmé à deux reprises qu'en vertu de la Loi de 1971 sur l'assu- rance-chômage, un conseil arbitral et un juge- arbitre avaient le pouvoir de se prononcer sur l'application de la Charte. Dans Zwarich c. Canada (Procureur général), [1987] 3 C.F. 253, le juge Pratte, au nom de la Cour, écrivait à la page 255:
Il est évident qu'il n'appartient ni au conseil arbitral ni au juge-arbitre de statuer sur la validité constitutionnelle des lois et des règlements. Il s'agit d'un privilège réservé aux instances supérieures. Mais le juge-arbitre et le conseil arbitral doivent appliquer le droit, comme tous les tribunaux d'ailleurs. Ils doivent donc déterminer le droit applicable, et pour ce faire, ils doivent non seulement interpréter les lois et les règlements applicables mais également statuer sur la validité de leur adoption. S'ils concluent qu'une disposition légale applicable enfreint la Charte, ils doivent trancher la question comme si cette disposition n'avait jamais été adoptée. Le droit sur ce point, si j'ai bien compris, a été clairement formulé par le juge Macfarlane de la Cour. d'appel de la Colombie-Britannique dans l'arrêt Re Schewchuk and Ricard; Attorney -General of British Columbia et al; Intervenors 2 :
2 (1986), 28 D.L.R. (4th), aux p. 439 et 440.
[TRADUCTION] Il est avéré que le pouvoir de rendre un jugement déclaratoire sur la validité constitutionnelle des lois adoptées par le Parlement ou l'une des Législatures ressortit à la compétence exclusive des instances supérieures.
Mais il est également avéré que si une personne comparaît devant un tribunal suite à une inculpation, à une plainte ou à un autre acte de procédure qui relève régulièrement de la compétence de ce dernier, il s'ensuit que le tribunal a compé- tence d'une part, pour juger que la loi sur laquelle repose l'inculpation, la plainte ou l'autre acte de procédure est inopérante du fait des dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés, et d'autre part, pour rejeter l'inculpa- tion, la plainte ou l'autre acte de procédure. Le prononcé d'un jugement déclaratoire portant que la loi contestée est inopérante n'est, dans ce contexte, rien de plus qu'une déci- sion sur une question juridique dont le tribunal est régulière- ment saisi. Cela n'empiète aucunement sur le droit exclusif des instances supérieures d'accorder un redressement par voie de bref de prérogative, y compris un jugement déclaratoire.
Il faut noter que, dans cette cause, on avait invoqué l'incompatibilité d'une disposition de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage avec deux articles de la Charte et devant le conseil arbitral et devant le juge-arbitre qui, faute de juridiction prétendaient-ils, avaient tous deux refusé de dispo- ser de la question. Quelques mois plus tard, dans Nixon c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada) (A-649-86 et A-728-86, juges Urie, Mahoney et Hugessen, jugement en date du 14-12-87, encore inédit), cette Cour réitérait:
[TRADUCTION] Le juge-arbitre a refusé de se pencher sur cet argument au motif qu'il ne constituait pas le tribunal compé- tent visé à l'article 24. Ce en quoi il se trompait clairement. La décision non publiée que cette Cour a rendue le 17 juin 1987 dans l'affaire Zwarich c. P. g. du Canada, numéro du greffe A-521-86, postérieurement à la décision du juge-arbitre, est concluante à cet égard.
Il faut rappeler que cet arrêt a été rendu après la décision majoritaire de la Cour dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Vincer, [1988] 1 C.F. 714 (C.A.) 3 , qui a jugé qu'un comité de révision institué en vertu du Règlement sur les allocations familiales [C.R.C., chap. 642] n'était pas un tribunal compétent aux désirs du paragra- phe 24(1) de la Charte.
L'arrêt Vincer ne s'applique pas à l'espèce. Dans cette affaire, le comité de révision avait décidé d'accorder au père, séparé de son épouse, la moitié des allocations payables aux enfants dont il avait, la garde conjointement avec elle alors que les dispositions législatives et réglementaires (que le comité jugea être en violation de la Charte) n'au- torisaient pas une telle solution de compromis mais prévoyaient plutôt le versement des allocations à la mère et à titre exceptionnel au père, mais dans certaines circonstances très précises. Le comité avait ainsi ordonné aux autorités du ministère de faire une chose que la Loi n'autorisait pas; ce faisant, il avait ordonné une réparation qu'il esti- mait juste et convenable en application du para- graphe 24(1) de la Charte, alors que le comité avait seulement compétence pour juger des appels dont il était saisi conformément à la Loi [Loi de 1973 sur les allocations familiales, S.C. 1973-74,
3 Cette décision a été suivie dans Canada (Procureur général) c. Alli, [1988] 3 C.F. 444 (C.A.) et Canada (Procureur géné- ral) c. Sirois, (A-559-86, juge Pratte, jugement en date du 24-6-88, encore inédit).
chap. 44] et au Règlement sur les allocations familiales. Dans l'affaire Alli, un semblable comité avait, entre autres choses, jugé discrimina- toire au sens de l'article 15 de la Charte une disposition de la Loi qui prévoyait le paiement d'allocations familiales au parent qui n'avait qu'un statut de visiteur mais ne les accordait pas au résident qui attendait la détermination de son statut de réfugié politique. Encore là, le comité outrepassait sa juridiction, en extensionnant aux résidents les bénéfices que la Loi accorde aux visiteurs. Il ordonnait une réparation au sens du paragraphe 24(1) de la Charte. La Cour a décidé que le Comité de révision n'avait pas compétence pour ce faire, parce qu'il n'était pas un tribunal compétent pour ordonner réparation dans le sens indiqué au paragraphe 24(1) de la Charte. Écri- vant pour lui-même et ses collègues, les juges Urie et Stone, le juge Pratte dit, aux pages 450 et 451:
Il est certainement difficile de concilier les opinions émises dans les affaires Zwarich et Vincer. Il n'est toutefois pas nécessaire de choisir entre ces deux décisions en apparence contradictoires pour les fins de la présente espèce puisque rien de ce qui a été dit dans l'arrêt Zwarich ne peut aider l'intimée. Clairement, pour les motifs prononcés par le juge Marceau et le juge Stone dans l'arrêt Vincer, un comité d'appel créé confor- mément à l'article 15 de la Loi de 1973 sur les allocations familiales n'est pas un «tribunal compétent» au sens de l'article 24 de la Charte. Rien n'a été dit à ce sujet dans l'arrêt Zwarich. Il y a été conclu qu'un tribunal qui rend une décision qu'il est habilité à rendre peut ignorer les dispositions de la loi qui, selon lui, contreviennent à la Constitution et sont, pour ce motif, «inopérantes». Cette proposition ne s'applique pas à la présente espèce. L'avocat de l'intimée a reconnu que l'alinéa 3(1)a) et le sous-alinéa 3(1)b)(1) ne sont pas discriminatoires. Il a seulement prétendu à cet égard que le sous-alinéa 3(1)b)(ii) était libellé de façon trop limitative et aurait dû, pour éviter d'être discriminatoire, viser les personnes se trouvant dans la situation de l'intimée. Si cette prétention était bien fondée, le sous-alinéa 3(1)b)(ii) enfreindrait l'article 15 de la Charte et serait par conséquent «inopérant». Ceci n'aiderait évidemment pas l'intimée, qui ne peut avoir gain de cause à moins que le comité d'appel ait eu le droit, en statuant sur son pourvoi, d'appliquer une nouvelle version du sous-alinéa 3(1)b)(ii) comportant les modifications nécessaires pour le rendre constitutionnel. De toute évidence, le comité n'avait pas un tel droit.
Dans l'espèce, c'est le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 qu'on a invoqué et non le paragraphe 24(1) de la Charte. La requé- rante n'a pas demandé au conseil arbitral et à cette Cour de déclarer que l'article 31 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage devait être modifié pour le rendre conforme à l'article 15 de la Charte ou
d'ordonner un remède qui impliquerait l'adoption d'ajustements législatifs appropriés 4 .
Il s'agit plutôt et seulement de savoir si l'article 31 de la Loi est, dans sa totalité, inopérant parce qu'il est incompatible avec l'article 15 de la Charte. La requérante ne demande pas, en invo- quant la Charte, qu'on lui attribue, pour donner des exemples extrêmes, les mêmes bénéfices que la Loi accorde à la prestataire enceinte ou à la mère adoptive. Elle demande seulement, eu égard aux exigences de la Charte, un constat d'inefficacité de l'article 31 de la Loi qui la prive, seulement à cause de son âge, des prestations d'assurance-chô- mage reconnues aux autres prestataires qui sont dans la même situation qu'elle, i.e. en chômage et dans les mêmes conditions d'admissibilité aux prestations.
Les textes attributifs de juridiction aux conseils arbitraux et aux juges-arbitres ne comportent aucune restriction, telle celle de ne pouvoir juger que conformément à la Loi ou au Règlement comme c'était le cas dans l'affaire Vincer selon la Loi de 1973 et le Règlement sur les allocations familiales. Tout ce que l'article 94 de la Loi prescrit, c'est de prévoir, sans plus, un appel devant un conseil arbitral de toute décision de la Commissions. Par ailleurs, l'article 95 prévoit un appel ultérieur à un juge-arbitre, notamment au paragraphe b), au motif que «le conseil arbitral a rendu une décision ou une ordonnance entachée
° Tel était le cas dans la cause Schachter c. Canada, [ 1988] 3 C.F. 515 (1" inst.) dans laquelle monsieur le juge Strayer a accordé au père naturel d'un enfant les mêmes bénéfices prévus à l'article 32 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage en faveur du père adoptif, dans des conclusions déclaratoires dont la teneur impliquait l'adoption éventuelle d'amendements à la Loi; d'où la pertinence de ses remarques qu'en telle occurrence il était souhaitable de procéder par action déclaratoire selon l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, de préférence à l'appel au juge-arbitre en vertu de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage.
5 94. (1) Le prestataire ou un employeur du prestataire peut à tout moment, dans les trente jours de la date il reçoit communication d'une décision de la Commission, ou dans le délai supplémentaire que la Commission peut accorder pour des raisons spéciales dans un cas particulier, interjeter appel de la manière prescrite devant le conseil arbitral.
(2) La décision d'un conseil arbitral doit être consignée. Elle doit comprendre un exposé des conclusions du conseil sur les questions de fait essentielles.
d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du dossier» 6 . De plus, selon l'article 96, «Le juge-arbitre peut trancher toute question de droit ou de fait pour statuer sur un appel interjeté en vertu de l'article 95; il peut rejeter l'appel, rendre la décision que le conseil arbitral aurait rendre ... , confirmer, infirmer ou modifier totale- ment ou partiellement la décision du conseil arbitral».
Cela implique que le conseil arbitral a lui-même compétence pour se prononcer sur toute question de droit qui, à défaut de précisions dans la Loi, ne peut être confinée aux seules questions de droit relatives à l'application de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage et du Règlement, mais doit s'étendre à toute question de droit se rattachant à l'application de toute autre loi, et, bien sûr, de la loi suprême du Canada, dont la Charte canadienne des droits et libertés fait partie. On se plaît à dire que le paragraphe 24(1) de la Charte n'est pas attributif de compétence particulière aux tribu- naux, en sus ou indépendamment de la juridiction qui leur est attribuée par leurs lois constituantes. Le contrepoids de cette proposition veut qu'il ne peut être utilisé non plus pour la restreindre. Si un tribunal n'est pas normalement compétent pour émettre un jugement déclaratoire, il n'acquiert pas ce pourvoir-là parce qu'on l'invite à se prononcer sur l'application de la Charte. De même façon, si un tribunal administratif a, de par sa loi consti- tuante, compétence pour se prononcer sur une question de droit, il ne perd pas cette compétence parce que la question de droit à décider implique des considérations qui mettent en jeu l'application d'une disposition de la Charte. Or, décider qu'une disposition de la Loi est inopérante en raison de son incompatibilité avec la Charte est une question de droit comme toute autre question de droit que les conseils arbitraux ont droit de trancher, même si leurs membres n'ont pas à posséder de formation juridique comme telle.
6 95. Toute décision ou ordonnance d'un conseil arbitral peut, de plein droit, être portée en appel de la manière pres- crite, devant un juge-arbitre par la Commission, un prestataire, un employeur ou une association dont le prestataire ou l'em- ployeur est membre, au motif que
b) le conseil arbitral a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du dossier; ou
Bien que leur constitution soit de nature particu- lière', les conseils arbitraux ne sont pas des créatu- res de la Commission de l'emploi et de l'immigra- tion. On l'a vu à l'article 96 de la Loi, ils peuvent rendre des décisions et émettre des ordonnances dont la Commission peut appeler devant un juge- arbitre. Selon le paragraphe 66(1) du Règlement sur l'assurance-chômage [C.R.C., chap. 1576], «Un conseil arbitral doit accorder à chacune des parties en cause dans un appel la possibilité raison- nable de présenter ses arguments au sujet de toute affaire dont il est saisi.»
Depuis l'arrêt Big M Drug Mart Ltd., supra, on reconnaît aux tribunaux de juridiction inférieure en matières pénales la qualité de tribunal compé- tent pour les fins du paragraphe 24(1) de la Charte. Cette compétence ressortit à la notion de la défense pleine et entière.
II est difficile de voir qu'un conseil arbitral doit accorder aux parties la faculté de présenter leurs «arguments au sujet de toute affaire dont il est saisi», mais que cette obligation cesse dès que l'argument soulève l'inefficacité d'une disposition
' Loi de 1971 sur l'assurance-chômage:
91. (I) Seront institués des conseils arbitraux, composés d'un président ainsi que d'un ou plusieurs membres choisis parmi les employeurs ou leurs représentants et d'autant de membres choisis parmi les assurés ou leurs représentants.
(2) Les présidents des conseils arbitraux sont nommés par le gouverneur en conseil pour un mandat renouvelable de trois ans. Ils cessent d'exercer leurs fonctions à l'âge de soixante-quinze ans et peuvent à tout moment faire l'objet d'une révocation motivée de la part du gouverneur en conseil.
(3) La Commission dresse des listes des employeurs et de leurs représentants, ainsi que des assurés et de leurs représen- tants. Les membres des conseils arbitraux sont choisis de la manière prescrite parmi les personnes inscrites sur ces listes.
(4) La rémunération à verser au président et aux autres membres d'un conseil arbitral ainsi que les indemnités de déplacement, de séjour et autres, dont l'indemnité pour manque à gagner, à verser à un président, un membre de conseil arbitral ou toute autre personne requise de se présen- ter devant le conseil, et les autres dépenses à faire pour le fonctionnement d'un conseil arbitral seront celles qu'approu- vera le conseil du Trésor.
(5) Sous réserve des autres dispositions du présent article, la Commission peut, avec l'approbation du gouverneur en conseil, établir des règlements concernant l'organisation des conseils arbitraux, notamment la nomination des membres, le nombre de membres qui forme quorum ainsi que la pratique et la procédure des instances devant un conseil arbitral.
de la Loi ou du Règlement en face des exigences de la Charte. La Charte doit être accessible de même façon à tous les justiciables, tant ceux qui ont à se défendre devant les instances pénales devant lesquelles ils sont traduits que ceux qui ont des recours à exercer devant les juridictions civiles ou administratives contre les actes de l'administra- tion ou lorsqu'une législation les brimes dans leurs droits et libertés. Dans la mesure la procédure devant ces instances ne s'y oppose pas, il devrait être loisible aux justiciables d'invoquer les droits garantis par la Charte devant le forum naturel ils peuvent s'adresser. Pour le prestataire, la voie normale de contester les décisions de la Commis sion, c'est d'abord l'appel devant un conseil arbi- tral, ensuite devant un juge-arbitre et de devant la Cour par le biais de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, ou directement du conseil arbitral à la Cour fédérale d'appel. Il s'agit de procédures expéditives, peu coûteuses et d'accès facile qui devraient être à la portée immédiate des personnes en faveur de qui elles ont été édictées. Le droit d'être entendu par toutes et chacune de ces instan ces comporte le droit d'y faire valoir efficacement des moyens relatifs à la suprématie de la Constitu tion du Canada.
L'arrêt Zwarich précité a traité les conseils arbi- traux et les juges-arbitres à peu près sur le même pied d'égalité quant à leur pouvoir de juger inopé- rant un texte législatif ou réglementaire pour incompatibilité avec une disposition de la Charte. Au point de vue institutionnel et fonctionnel, ce sont des organismes judiciaires ou quasi judiciaires de facture similaire, bien qu'il y ait entre eux des variantes quant à l'exercice de leur juridiction et qu'aux termes du paragraphe 92(1) de la Loi, les juges-arbitres soient nommés parmi les juges de la Cour fédérale du Canada par le gouverneur en conseil qui peut aussi déterminer leur compéten- ce 8 . A tout événement, ce sont des tribunaux admi- nistratifs de même nature juridictionnelle, mais à des niveaux d'appel différents. Pour déterminer la compétence de cette Cour en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, il n'y a pas lieu de
e 92. (1) Le gouverneur en conseil peut nommer, parmi les juges de la Cour fédérale du Canada, autant de juges-arbitres qu'il estime nécessaire aux fins de la présente loi et, sous réserve des dispositions de cette dernière, il peut, par règlement, déterminer leur compétence.
faire de distinction, que la demande d'annulation et d'examen soit faite à l'encontre de la décision du juge-arbitre ou soit prise directement contre celle du conseil arbitral. A cet égard, il est paradoxal, sinon significatif, de constater que le paragraphe 70(4) du Règlement sur l'assurance-chômage pré- voit la possibilité qu'un juge-arbitre déclare ultra vires une disposition de la Loi ou du Règlement et décrète qu'en telle éventualité, le paiement des prestations dans les autres cas est suspendu tant que la décision en révision n'a pas été prononcée par la Cour d'appel fédérale 9 . On ne peut évidem- ment tirer de ce texte aucun argument à l'effet qu'un conseil arbitral puisse prononcer des juge- ments déclaratoires, valides erga omnes, mettant en cause la validité constitutionnelle de la Loi ou du Règlement pour violation des dispositions de la Charte. Il peut même s'avérer que le paragraphe 70(4) soit lui-même d'une validité douteuse. Il n'est pas nécessaire d'en décider. Tout ce qu'il importe de signaler pour le moment, c'est que, dans cette disposition réglementaire qui date du 26 novembre 1982 (DORS/82-1046), après la mise en vigueur de la Charte, on ait songé à la possibilité qu'un tribunal administratif comme un juge-arbi- tre puisse déclarer ultra vires une disposition de la Loi elle-même. Passe encore que l'on puisse décla- rer ultra vires une disposition du Règlement; mais si on envisage cette possibilité pour une disposition de la Loi elle-même, n'est pas exclue une telle déclaration pour cause d'incompatibilité en regard des exigences de la Charte. Tout cela pour dire qu'il n'y a rien d'incongru à ce que l'on reconnaisse à un tribunal administratif, comme un conseil arbitral ou un juge-arbitre, le pouvoir de constater qu'un texte législatif ou réglementaire est inopé- rant parce qu'il est incompatible avec la Charte canadienne des droits et libertés. Le pouvoir de refuser de donner effet à un texte législatif ou réglementaire, jugé inconstitutionnel, est inhérent à tout organisme doté du pouvoir d'adjudication
9 70. (4) Lorsque, dans le cas d'une demande de prestations, le juge-arbitre déclare ultra vires une disposition de la Loi ou du présent règlement, et que la Commission demande une révision de la décision du juge-arbitre, conformément à la Loi sur la Cour fédérale, il n'est versé, tant qu'une décision finale n'a pas été rendue à ce sujet, aucune prestation à l'égard des autres demandes de prestations présentées après la décision du juge-arbitre et qui, si ce n'était de cette décision, ne donne- raient pas lieu au versement de prestations.
entre les droits des parties dans une instance particulière.
Dans l'affaire Douglas/Kwantlen Faculty Assn. v. Douglas College (1988), 21 B.C.L.R. (2d) 175, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a statué dans le même sens que cette Cour dans l'arrêt Zwarich, supra, en reconnaissant à un arbi- tre siégeant en vertu du Code du travail de cette province le droit de statuer sur l'invalidité d'une clause d'une convention collective en regard de la Charte. Dans son opinion conjointe, la Cour s'ex- prime ainsi, aux pages 184 et 185:
La troisième question qui est soulevée dans le présent appel porte sur le droit de l'arbitre d'examiner la question de savoir si la disposition relative à la retraite obligatoire était nulle en application de la Charte. Aucun redressement n'a été demandé sous le régime de l'art. 24 de la Charte et, en conséquence, la question de savoir si un arbitre constitue un tribunal compétent pour accorder un redressement fondé sur cette disposition ne se pose pas.
Il incombe à un arbitre de trancher les questions soumises conformément aux droits des parties reconnus par la loi et de refuser de rendre une sentence arbitrale portant exécution d'un contrat illégal. Dans l'affaire David Taylor & Son Ltd. v. Barnett Trading Co., [1953] 1 W.L.R. 562, [1953] 1 All. E.R. 843 (C.A.), lord Denning s'est prononcé en ces termes à la page 847:
Il existe, non pas une règle de droit pour les arbitres et une autre pour la cour, mais une seule règle de droit pour tous. Si un contrat est illégal, les arbitres doivent refuser d'y faire droit comme le ferait la cour.
Le redressement qui découlerait d'une conclusion que l'art. 4.04, la disposition impérative de la convention collective, vio- lait le par. 15(1) de la Charte consisterait à déclarer inopérant cet article de la convention collective en application de l'art. 52 de la Charte, ce qui, à notre avis, relève de la compétence d'un arbitre compte tenu des faits de l'espèce.
De même façon, comme le rapporte Me Pinard dans son article précité, aux pages 181 et 187, notes 44 et 74, qui fait aussi état de la jurispru dence des tribunaux du Québec sur la question, la Cour d'appel du Québec, dans Union des employés de commerce, local 503 c. WE. Bégin Inc. 10 , a reconnu à un tribunal d'arbitrage le même pouvoir de refuser de donner effet à une clause d'une convention collective qui venait en conflit avec une disposition prépondérante de la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. 1977, chap.
1 °19 décembre 1983, Québec, 200-09-000-709-821, J.E. 84-65 (C.A.) non publié (autorisation d'appeler à la Cour suprême du Canada, refusée, [1984] 1 R.C.S. y).
C-12.sIt was not the arbitrator», dit le juge Tyn- dale, «who modified the agreement, but a law of public order, which rendered null the discrimina tory aspect of the clauses; and the arbitrator was therefore entitled to disregard them, and to decide the grievances as though they were not there».
Le conseil arbitral a donc erré en refusant de considérer les arguments d'ordre constitutionnel que la requérante lui avait soumis. Cela étant, il y a lieu pour la Cour de s'en saisir et d'en disposer.
Il s'agit donc de déterminer la validité constitu- tionnelle de l'article 31 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage. Il se lit comme suit:
31. (1) Nonobstant l'article 19, une période de prestations n'est pas établie au profit d'un prestataire si, au moment il formule une demande initiale de prestations, il est âgé de soixante-cinq ans ou plus.
(2) Un assuré qui présente une demande de prestations et qui prouve
a) qu'il est âgé d'au moins soixante-cinq ans,
b) qu'il a exercé un emploi assurable pendant au moins vingt semaines
(i) pendant la période de cinquante-deux semaines qui précède la semaine il présente sa demande, ou
(ii) pendant la période comprise entre le début de sa dernière période de prestations et la semaine il présente sa demande, si cette dernière est plus courte, et
e) qu'il n'a pas déjà reçu une somme en vertu du présent paragraphe (version actuelle ou antérieure au 1" janvier 1976),
doit recevoir, sous réserve des articles 48 et 49, un montant égal à trois fois le taux des prestations hebdomadaires applicables en vertu de l'article 24.
(3) Les paragraphes (2) à (5) de l'article 18 s'appliquent, mutatis mutandis à la période mentionnée au sous-alinéa (i) de l'alinéa b) du paragraphe (2).
(4) Une période de prestations établie au profit d'un presta- taire en vertu de la présente Partie se termine à la fin de la semaine il atteint l'âge de soixante-cinq ans, ou à une date antérieure si la présente Partie le prévoit.
(5) Si le total des prestations versées à un prestataire de la première catégorie au cours d'une période de prestations pre- nant fin en vertu du paragraphe (4) est inférieur au produit obtenu en multipliant par trois le taux des prestations hebdo- madaires qui lui est applicable pendant cette période de presta- tions, le prestataire a droit, sous réserve des articles 48 et 49 mais nonobstant toute autre disposition de la Partie II, à des prestations calculées au taux hebdomadaire qui lui est applica ble pendant cette période de prestations pendant le nombre de semaines nécessaire pour que le total des prestations qui lui sont versées pendant cette période de prestations soit au moins égal à ce produit.
Par ailleurs, le paragraphe 15 (1) de la Charte canadienne des droits et libertés énonce:
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont - droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimina tion, notamment des discriminations fondées sur la race, l'ori- gine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.
Aperçu historique
La Loi sur l'assurance-chômage date de 1940, S.C. 1940, chap. 44 [Loi de 1940 sur l'assurance- chômage], après l'amendement constitutionnel apporté à l'article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1)], par la Loi constitutionnelle de 1940 [3 & 4 Geo. VI, chap. 36 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 27] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitution- nelle de 1982, 18)], art. 91.2A. Elle a subi des modifications majeures en 1955 et en 1971, S.C. 1955, chap. 50, et S.C. 1970-71-72, chap. 48.
L'objet de la loi, qui est toujours resté le même nonobstant ses modifications, est d'établir un régime d'assurance sociale aux fins d'indemniser les chômeurs pour la perte de revenus provenant de leur emploi et d'assurer leur sécurité économique et sociale pendant un certain temps et les aider ainsi à retourner sur le marché du travail".
L'inéligibilité aux bénéfices de l'assurance-chô- mage pour raisons d'âge est apparue pour la pre- mière fois dans la Loi de 1971 sur l'assurance- chômage. Dans les années 1960, des comités d'en- quête avaient été institués et des rapports avaient été faits au gouvernement fédéral qui, en 1970, publiait un livre blanc sur «l'assurance-chômage au cours des années 1970» qui précéda l'adoption de la nouvelle loi au mois de juin 1971. Aux termes de l'article 31, un prestataire devenait inéligible aux prestations s'il était âgé de 70 ans ou plus ou s'il avait déjà acquis le droit de recevoir une pension ou une rente de retraite en vertu du Régime de pensions du Canada ou du Régime des
" Bliss c. Procureur général (Can.), [1979] 1 R.C.S. 183, aux p. 185-186; Le procureur général du Canada c. Walford, [1979] 1 C.F. 768 (C.A.); Hills c. (Procureur général), [1988] 1 R.C.S. 513, la p. 534.
rentes du Québec. Un montant forfaitaire équiva- lent à trois semaines de prestations lui était versé. Selon ces régimes, qui datent tous deux de 1965, une pension ou une rente de retraite était payable à un cotisant qui avait atteint l'âge de 70 ans ou à celui de 65 ans qui avait abandonné son emploi régulier 12 . La philosophie sous-jacente à l'adoption de l'article 31 dans la Loi de 1971 sur l'assurance- chômage préconisait l'idée que les personnes visées par cette nouvelle mesure n'étaient plus ou ne devaient plus être considérées comme faisant partie de la population active. On voulait ainsi éviter le chevauchement de l'assurance-chômage avec les autres programmes sociaux de l'État. On considérait en effet que les personnes âgées, qui se retiraient du marché du travail, abusaient du régime d'assurance-chômage et touchaient une part indue des prestations par rapport aux autres chômeurs pour augmenter leur revenu provenant de leur pension ou pour en tenir lieu. On pensait que plusieurs de ces personnes avaient évacué le marché du travail plus ou moins volontairement ou, une fois qu'elles en avaient été écartées par une période de chômage, n'étaient plus intéressées ou aptes à y revenir, non plus qu'à se chercher un nouvel emploi tout en touchant des prestations d'assurance-chômage. La nouvelle disposition législative devait aider à réprimer ces abus.
Bien que l'introduction de l'article 31 dans la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage n'était pas formellement reliée au paiement des pensions de vieillesse, le gouvernement a tenu compte de ce facteur dans l'élaboration de sa politique de ratio nalisation de ses programmes sociaux. Le régime de sécurité de la vieillesse existait depuis 1927 dans un plan conjoint avec les provinces. La pre- mière loi fédérale sur la sécurité de la vieillesse a été adoptée en 1951, S.C. 1951, chap. 18 [Loi sur la sécurité de la vieillesse]. Elle prévoyait le paie- ment d'une pension aux personnes âgées de 70 ans qui avaient résidé au Canada pendant 20 ans. La durée de la résidence a été abaissée à 10 ans en 1957, S.C. 1957-58, chap. 3. En 1965, l'âge d'ad- missibilité a été réduit à 65 ans. En 1966, le gouvernement fédéral établit le programme du supplément de revenu mensuel garanti qui ajoute
12 «Est retraité de l'emploi régulier» selon le texte de la loi fédérale, S.C. 1964-65, chap. 51, sous-alinéa 44(1)a)(i), ou «n'accomplit pas de travail régulier» selon le Régime de rentes du Québec, L.Q. 1965, chap. 24, paragraphe 119a).
un paiement supplémentaire à la pension de vieil- lesse en faveur des bénéficiaires dont la pension est la principale ou la seule source de revenu (S.C. 1966-67, chap. 65).
L'article 31 de la Loi a été amendé en 1975 (S.C. 1974-75, chap. 80, art. 10). Un seul facteur d'inéligibilité est retenu; l'âge du prestataire, réduit de 70 à 65 ans. Disparaît donc l'autre facteur fondé sur le droit du prestataire de toucher une pension de l'un ou l'autre régime des pensions, fédéral ou provincial, lequel était acquis à l'âge de 70 ans ou à l'âge de 65 ans si le bénéficiaire se retirait du marché du travail ou, à tout le moins, de son emploi régulier. L'article 31 est resté le même depuis cette date. Parallèlement, les régimes des pensions subissent des réajustements; celui du Canada en 1975 (S.C. 1974-75-76, chap. 4) et celui du Québec en 1977 (L.Q. 1977, chap. 24) [Loi modifiant le Régime de rentes du Québec] pour rendre les pensions payables à l'âge de 65 ans.
Est éliminée des deux lois l'ancienne option voulant qu'on puisse toucher les pensions après avoir atteint 65 ans mais en se retirant de son emploi régulier. En 1983, par l'adoption de la Loi favorisant la retraite anticipée et améliorant la rente des conjoints survivants (L.Q. 1983, chap. 12), le régime du Québec rend possible le paiement des rentes de retraite anticipée, avec ajustements actuariels appropriés, dès l'âge de 60 ans. Le Régime de pensions du Canada a été amendé dans le même sens en 1986: S.C. 1986, chap. 38.
Depuis le 5 janvier 1986, par un amendement apporté à l'article 57 du Règlement (DORS/ 86-58), les pensions provenant d'un emploi ou versées en vertu de l'un ou l'autre de ces régimes de pensions gouvernementaux constituent de la rémunération et sont déduites des prestations d'as- surance-chômage. Une autre modification à l'article 57 du Règlement, en vigueur à compter du 5 avril 1987, permet à une personne qui a pris sa retraite et reçoit une pension de revenir sur le marché du travail. Si elle travaille suffisamment longtemps pour devenir éligible de nouveau aux prestations d'assurance-chômage, elle reçoit, adve- nant une autre période de chômage, le plein mon- tant des prestations sans déduction pour la pension qui lui est payée depuis sa retraite de son premier emploi.
Ces dernières années, des comités d'études et d'enquête ont recommandé au législateur fédéral la suppression de l'inadmissibilité aux prestations d'assurance-chômage pour raison d'âge et l'élimi- nation de la prestation spéciale de retraite d'un montant forfaitaire équivalent à trois semaines de prestations à l'âge de 65 ans pour tenir lieu des prestations régulières. Ainsi en 1981, le rapport du groupe de travail sur l'assurance-chômage dans les années 1980, la Commission d'enquête sur l'assu- rance-chômage (Commission Forget) en décembre 1986 et le Comité parlementaire permanent du travail, de l'emploi et de l'immigration dans le cours de l'année 1987. Cependant, dans une décla- ration ministérielle formelle donnée en Chambre des communes le 15 mai 1987, le gouvernement fédéral a décidé de rejeter ces recommandations et de préserver le statu quo sur le maintien de l'arti- cle 31 de la Loi dans sa forme actuelle.
Article 15 de la Charte
La requérante soutient que l'article 31 de la Loi est discriminatoire à son endroit en ce qu'il la traite, seulement à cause de son âge, d'une façon différente et péjorative par rapport à la catégorie de salariés dont elle se réclame, c'est-à-dire les chômeurs de moins de 65 ans. L'examen du dossier révèle que la requérante a réussi à se décharger du fardeau initial qui lui incombait de montrer que l'article 31 de la Loi viole son droit à l'égalité garanti par l'article 15 de la Charte, de sorte que ce sont les parties intimées qui ont maintenant l'obligation d'en démontrer la justification, confor- mément aux prescriptions de l'article 1 de la Charte 13 et aux critères d'appréciation établis par la Cour suprême du Canada notamment dans les affaires R. c. Oakes, [ 1986] 1 R.C.S. 103, et R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713.
Il apparaît à la lecture même de l'article 31, qu'il établit une différence de traitement fondée uniquement sur l'âge des prestataires, soit un motif de discrimination énuméré à l'article 15 de la
13 1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être res- treints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.
Charte. «Nonobstant l'article 19» 14 , dit le paragra- phe 31(1) de la Loi, une période de prestations n'est pas établie au profit d'un prestataire âgé de 65 ans. En ses lieu et place, il reçoit une prestation de retraite équivalent à trois semaines de presta- tions (paragraphe 31(2)). Une période de presta- tions déjà établie en faveur d'un prestataire cesse de plein droit dès qu'il atteint l'âge de 65 ans (paragraphe 31(4)).
L'article 31 de la Loi prive donc la requérante de la protection normale contre le chômage qui est offerte aux autres personnes sans emploi. La sécu- rité sociale et financière à l'encontre des aléas du chômage que la Loi a pour objet d'assurer en faveur des salariés lui a été enlevée pour toujours et non pas seulement pour la période de chômage qui a suivi son licenciement du 19 septembre 1986.
Avant d'être mise à pied à cette date, la requé- rante avait accumulé 26 semaines d'emploi assura- ble depuis qu'elle avait repris le travail le 24 mars 1986, après avoir perçu des prestations pendant 37 semaines. Le paragraphe 22(2) 15 lui donnait droit à un minimum de base de 25 semaines de presta- tions, tant qu'elle restait en chômage, sans parler des prestations complémentaires qu'elle aurait peut-être pu recevoir en vertu du paragraphe 35 (1) 16 de la Loi dont le dossier ne donne malheu- reusement aucune indication, faute de preuve sur le taux régional de chômage qui lui était applica ble. La requérante n'a touché que trois semaines
14 19. Lorsqu'un assuré, qui remplit les conditions requises aux termes de l'article 17, formule une demande initiale de prestations, on doit établir à son profit une période de presta- tions et des prestations lui sont dès lors payables, en conformité de la présente Partie, pour chaque semaine de chômage com prise dans la période de prestations.
15 22.
(2) Le nombre maximum de semaines, pour lesquelles des prestations initiales peuvent être servies au cours d'une période de prestations, est le nombre de semaines le prestataire a occupé un emploi assurable au cours de sa période de référence ou vingt-cinq, le nombre le moins élevé étant retenu.
16 35. (1) Si le prestataire a reçu des prestations pour le nombre maximum de semaines prévu aux articles 22 et 34 et que le taux régional de chômage qui lui est applicable pour la dernière semaine pour laquelle des prestations étaient payables, dépasse quatre pour cent, il peut, sous réserve du paragraphe (2), recevoir des prestations complémentaires pour chaque semaine de chômage comprise dans le reste de sa période de prestations.
de prestations à cause de l'article 31. N'eût été de cet article, le total des prestations d'assurance-chô- mage qu'elle aurait pu recevoir aurait été de beau- coup supérieur à la somme forfaitaire de 540 $ qu'elle a reçu, même en tenant compte de la pension qui lui est payable (187 $ par mois) en vertu du Régime des rentes du Québec, qui doit être déduite des prestations d'assurance-chômage depuis le mois de janvier 1986. Ce statut d'assurée, la requérante l'a perdu pour toujours. Même si elle réussissait à se trouver un nouvel emploi assurable et à le garder suffisamment longtemps pour deve- nir à nouveau éligible à des prestations, elle ne recevrait rien du régime d'assurance-chômage. D'un autre côté, un salairé entre 55 et 65 ans peut avoir recours à plus d'une reprise aux pleins béné- fices de la Loi et pendant plus d'une période complète de prestations (pouvant aller jusqu'à 50 semaines d'affilée, si l'on tient compte de tous les facteurs théoriques de qualifications: nombre de semaines d'emploi assurable, prestations complé- mentaires selon la période de référence et le taux régional de chômage applicables à tel ou tel pres- tataire—articles 34 et 35 de la Loi).
Le procureur de l'intimée et des mis-en-cause a prétendu que la requérante n'est pas dans une situation identique aux autres chômeurs ou, si elle l'est, elle n'est pas désavantagée parce que le manque à gagner que lui enlève l'article 31 lui est compensé d'autres façons par le déclenchement, en sa faveur à l'âge de 65 ans, de mesures d'assistance sociale, telles la pension de vieillesse payable en vertu de la Loi sur la sécurité de la vieillesse (S.R.C. 1970, chap. O-6), la pension payable en vertu soit du Régime des rentes du Québec ou du Régime de pensions du Canada, supra, l'exemption d'impôt additionnelle de 2 610 $ qui s'ajoute à l'exemption de base des particuliers pour les per- sonnes âgées de 65 ans (Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-71, chap. 63, alinéas 109(1)b) et 117(1)c)), le programme de médica- ments gratuits offert aux personnes âgées de 65 ans par la Loi sur l'assurance-maladie du Québec (L.R.Q. 1977, chap. A-29).
La seule mesure qui soit pertinente à la question posée est la pension payable en vertu des régimes de pensions fédéral ou provincial, car elle seule est reliée à l'emploi; les autres ne sont reliées qu'à l'âge des allocataires. L'exemption d'impôt addi-
tionnelle est offerte à tous, travailleurs ou chô- meurs, riches ou pauvres. La Loi sur la sécurité de vieillesse est une loi d'application universelle; elle accorde des démosubventions à toutes les person- nes âgées de 65 ans et procure le même montant tant à la personne aisée qu'à l'assisté social, et sans égard au fait que le bénéficiaire a toujours eu un emploi ou n'a jamais travaillé de sa vie ou n'a jamais payé d'impôt. Les seuls facteurs d'attribu- tion sont l'âge et la période de résidence au Canada; cette loi n'a rien à voir avec l'emploi: elle procure des avantages à tous ceux qui atteignent l'âge de 65 ans; elle n'enlève rien à personne à cause de cet âge, comme le fait l'article 31 de la Loi.
L'aspect le plus néfaste et dérogatoire de l'arti- cle 31 de la Loi est de faire perdre pour toujours à la requérante, et à toute autre personne de son âge, le statut d'assurée sociale pour lui attribuer celui de pensionée de l'État, même si elle est toujours en quête d'un nouveau travail. Sans égard à ses apti tudes et à sa situation personnelles, elle est pour ainsi dire stigmatisée comme faisant partie du groupe de ceux et celles qui ne font plus partie de la population active. Nonobstant les changements sociaux et législatifs survenus depuis 1971, l'article 31, dans sa forme actuelle, véhicule le même sté- réotype insidieux que celui qui a présidé à son adoption dans la Loi de 1971 sur l'assurance-chô- mage et qui veut qu'une personne, âgée de 65 ans et plus, qui a le malheur de perdre son emploi, n'est plus réhabilitable sur le marché du travail et qu'elle doit, à ce moment, être prise complètement en charge par les programmes spéciaux d'assis- tance sociale de l'État, au lieu de laisser libre cours aux lois de la nature et à l'application normale des lois d'assurance sociale comme la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage. Des individus comme la requérante sont irrémédiablement étiquetés et catalogués d'après l'image d'un groupe auquel ils sont censés appartenir: les personnes âgées de 65 ans et plus sont moins aptes au travail, une grande proportion s'en désintéresse, la majorité prend sa retraite, ne peut plus ou ne veut pas retourner sur le marché du travail; il doit en être de même de tous les autres qui restent; à quoi bon leur conti- nuer la protection contre le chômage; ils sont tous exclus du régime sans égard à leurs aptitudes et désirs personnels.
Cela dit, il incombait donc aux parties intimées de démontrer que les distinctions nettement défa- vorables perpétuées par l'article 31 de la Loi en violation du principe de l'égalité des droits et de la protection et bénéfice égal de la Loi, garanti par l'article 15 de la Charte, sont raisonnables et justifiables dans une société libre et démocratique, selon l'article 1 de la Charte.
Critères d'appréciation
En adoptant le principe de l'inéligibilité pour raisons d'âge dans la Loi de 1971 sur l'assurance- chômage, le législateur visait un objectif tout à fait valable et en accord avec l'objet de la Loi elle- même. Surtout à l'époque il fut adopté, lorsque la limite d'âge était fixée à 70 ans et que le droit aux prestations était aussi nié aux prestataires de 65 ans qui pouvaient se prévaloir des régimes fédéral et provincial des pensions et rentes, ce qui impliquait nécessairement le retrait du marché du travail ou, à tout le moins, l'abandon de leurs emplois réguliers, le gouvernement était bien fondé de vouloir éviter le dédoublement d'indemnités en cas de perte de revenus provoquée par le chômage des personnes âgées. Il était donc louable que l'État veille à la meilleure utilisation possible des fonds publics, forcément limités, qu'ils viennent du Régime de pensions ou de la caisse de l'assurance- chômage. Eviter qu'on abuse du système était certes un objectif suffisamment important qui jus- tifiait que l'on interdît à ceux qui touchaient des pensions à la cessation de leur emploi de recevoir l'indemnité de remplacement de revenus prévue dans la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage. Il était possible de conclure alors que la grande majorité des personnes âgées percevait des presta- tions d'assurance-chômage seulement pour aug- menter leurs pensions provenant de leur emploi ou pour en tenir lieu, mais sans plus vouloir participer à la vie active du monde du travail.
Il devenait moins évident en 1975 cependant que ces mêmes impératifs étaient aussi urgents et actuels, lorsque la limite d'âge a été abaissée à 65 ans et a été retenue comme seul facteur d'exclu- sion vu que disparaissait l'autre raison, le retrait du marché du travail par des amendements paral- lèles aux régimes des rentes et pensions. À 65 ans, les salariés pouvaient les toucher sans nécessaire- ment renoncer à leur emploi. Cependant, le postu-
lat que les travailleurs âgés avaient cessé d'être actifs sur le marché du travail et qui avait servi à l'adoption initiale de l'article 31 en 1971 perdait de son actualité en 1975. Advenant chômage, on est plus apte et plus enclin à retourner sur le marché du travail à 65 qu'à 70 ans; si on n'assortit plus le droit de retirer sa pension avant terme à la condition de laisser son emploi, on ne se rend plus légalement inhabile à retourner sur le marché du travail en cas de chômage.
En tout état de cause et même en prenant pour acquis qu'en 1975 le gouvernement pouvait encore obéir à des préoccupations urgentes et réelles, il est loin d'être certain que les moyens choisis pour atteindre l'objectif désiré rencontraient le critère de proportionnalité et ses composantes essentielles établi dans l'arrêt Oakes et réitéré dans Edwards Books and Art Ltd. Dans Oakes, le juge en chef Dickson écrivait, à la page 139:
En deuxième lieu, dès qu'il est reconnu qu'un objectif est suffisamment important, la partie qui invoque l'article premier doit alors démontrer que les moyens choisis sont raisonnables et que leur justification peut se démontrer. Cela nécessite l'appli- cation d'«une sorte de critère de proportionnalité»: R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, à la p. 352. Même si la nature du critère de proportionnalité pourra varier selon les circonstances, les tribunaux devront, dans chaque cas, soupeser les intérêts de la société et ceux de particuliers et de groupes. À mon avis, un critère de proportionnalité comporte trois éléments importants. Premièrement, les mesures adoptées doivent être soigneusement conçues pour atteindre l'objectif en question. Elles ne doivent être ni arbitraires, ni inéquitables, ni fondées sur des considé- rations irrationnelles. Bref, elles doivent avoir un lien rationnel avec l'objectif en question. Deuxièmement, même à supposer qu'il y ait un tel lien rationnel, le moyen choisi doit être de nature à porter «le moins possible» atteinte au droit ou à la liberté en question: R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, à la p. 352. Troisièmement, il doit y avoir proportionnalité entre les effets des mesures restreignant un droit ou une liberté garantis par la Charte et l'objectif reconnu comme «suffisamment important».
Malgré les changements opérés dans la Loi et le Règlement sur l'assurance-chômage, ainsi que dans le Régime de pensions du Canada et le Régime des rentes du Québec, sont demeurés inchangés les moyens choisis et les raisons invo- quées par le législateur pour réaliser l'objectif visé par l'introduction du concept de l'inéligibilité aux prestations dans la loi en 1971 et son maintien dans la législation depuis cette date. Pour éviter le chevauchement des programmes sociaux en faveur des personnes âgées de 65 ans et plus et pour réprimer les abus, on a instauré et perpétué le
principe absolu de la négation pure et simple du droit aux prestations d'assurance-chômage pour les salariés de 65 ans et plus et sans égard aux condi tions personnelles de ces individus ou de cette catégorie de prestataires. Aux dires des autorités gouvernementales de l'époque, sur 600,000 chô- meurs en 1974, 17,500 étaient âgés de 65 ans et plus; de ce nombre, 10,500 avaient décroché du marché du travail alors que 7,000 se cherchaient activement du travail. Les statistiques de 1986 montrent que 175,000 personnes âgées de 65 ans et plus étaient encore actives dans le monde du tra vail et que, de ce nombre, 4,000 étaient en chô- mage mais étaient encore activement en quête d'un nouvel emploi.
La plupart des études faites et des données établies, telles que mises en preuve par l'intimée et les mis-en-cause au support de leur défense de justification selon l'article 1 de la Charte portent sur les travailleurs de 55 ans et plus, qu'ils soient regroupés dans la catégorie des gens âgés de 55 à 60 ans, de 60 65 ans et de plus de 65 ans. Ces statistiques montrent que c'est à compter de 55 ans que se manifestent les tendances à se retirer pro- gressivement du marché du travail et que la pro gression n'est pas tellement plus accélérée à l'arri- vée du cap fatidique de 65 ans. Ainsi, une enquête faite en 1987 a démontré que moins de 5 % des chômeurs de 55 à 64 ans avaient cherché du travail. La preuve indique que se sont les incitatifs financiers à la retraite qui poussent les gens à se retirer de la population active à un âge de moins en moins avancé, et non pas le fait d'avoir atteint l'âge de 60 ou de 65 ans. Or, la prohibition de l'article 31 de la Loi ne vise que la population âgée de 65 ans et plus, mais en telle éventualité, elle est totale et absolue. Elle frappe toutes les personnes âgées de 65 ans, celles qui sont sans emploi et s'en cherchent parce qu'il leur faut travailler pour sur- vivre, comme les salariés qui prennent leur retraite avec une pension substantielle de leur employeur ou de l'un ou l'autre régime de pensions de l'Etat. Sont donc laissés pour compte ceux qui n'ont aucune pension, ou une pension minime et, même à supposer que cela soit pertinent, ceux qui n'ont pas accumulé le nombre suffisant d'années de rési- dence au Canada pour se prévaloir de la Loi sur la sécurité de la vieillesse.
L'article 31 de la Loi est discriminatoire par rapport aux prestataires de 55 ans et plus qui affichent, envers le marché du travail, le même comportement ou à peu près que les salariés en chômage âgés de 65 ans et plus. On n'a mis en preuve aucune donnée indiquant que l'extension des bénéfices de l'assurance-chômage aux chô- meurs de 65 ans et plus exercerait sur la caisse de l'assurance-chômage des ponctions additionnelles que ni la caisse ni le trésor public ne pourraient tolérer. Il faut conclure de cette absence de preuve que le coût additionnel n'est pas un facteur perti nent dans l'examen de la question. Il n'a pas été démontré non plus qu'il est impossible ou plus difficile pour la Commission de l'emploi et de l'immigration de dépister les cas de fraude ou d'abus chez les chômeurs âgés de 65 ans que ce ne l'est pour les prestataires de moins de 65 ans, ceux entre 55 et 65 ans en particulier. On se rappellera que la répression des abus était l'un des soucis majeurs du législateur pour adopter et maintenir le principe de l'inéligibilité pour raisons d'âge. On voit difficilement qu'il s'agisse d'une mesure soigneusement conçue à la seule taille du problème à solutionner. Elle frappe inconsidérément tous les chômeurs de 65 ans. Elle est à plus d'un titre arbitraire et inéquitable puisqu'elle ne tient aucun compte des besoins personnels et de la situation particulière des individus. Elle est modelée sur l'image que les tabous historiques contre les tra- vailleurs âgés ont fait porter sur une proportion beaucoup plus grande, la population âgée de plus de 55 ans, que la catégorie effectivement exclue des bénéfices de l'assurance-chômage par l'article 31 de la Loi.
Depuis le 5 janvier 1986, le Règlement sur l'assurance-chômage a été modifie (DORS/86-58) pour rendre déductible des prestations d'assu- rance-chômage toute somme reçue à titre de pen sion. Les paragraphes 57(1) et 57(2)e) [mod. par DORS/84-32, art. 8] se lisent en partie comme suit:
57. (1) Dans le présent article,
«pension» désigne toute pension de retraite:
a) provenant d'un emploi, y compris un emploi à titre de membre des Forces canadiennes ou de toute force de police,
b) versée en vertu du Régime de pensions du Canada ou e) versée en vertu d'un régime de pension provincial.
(2) Sous réserve du présent article, la rémunération dont il faut tenir compte pour déterminer s'il y a eu un arrêt de rémunération et quel est le montant à déduire des prestations payables en vertu de l'article 26 ou des paragraphes 29(4), 30(5) ou 32(3) de la Loi, et à toutes autres fins relatives au paiement de prestations en vertu de la Partie II de la Loi, comprend
e) les sommes payées ou payables à un prestataire le 5 janvier 1986 ou après cette date, que ce soit sous forme de montant périodique ou forfaitaire, au titre ou au lieu d'une pension.
Par ailleurs, le même article 57 a été modifié à compter du 5 avril 1987 (DORS/87-188, art. 1) par l'adjonction de l'alinéa j) au paragraphe 57(3):
57... .
(3) La partie du revenu que le prestataire tire de l'une ou l'autre des sources suivantes n'a pas valeur de rémunération aux fins mentionnées au paragraphe (2):
j) les sommes visées à l'alinéa (2)e), dans le cas le nombre de semaines d'emploi assurable requis pour l'établissement de la période de prestations du prestataire, en vertu de l'article 17 de la Loi, a été accumulé après la date à laquelle ces sommes sont devenues payables et pendant la période pour laquelle le prestataire a touché ses sommes.
Cette modification permet à ceux qui ont pris leur retraite de leur emploi régulier et touchent des pensions de revenir activement sur le marché du travail et occuper un autre emploi. S'ils réussissent à accumuler le nombre requis de semaines d'em- ploi assurable selon les normes régulières et établir de nouveau leur droits aux prestations, ils peuvent, advenant nouvelle période de chômage, toucher le plein montant des prestations, sans déduction pour le montant de leur pension qui leur est payable depuis leur mise à la retraite de leur premier emploi. Une loi spéciale, la Loi sur le réexamen de l'admissibilité aux prestations d'assurance-chô- mage (pension) [S.C. 1987, chap. 17] a été adop- tée en date du 5 avril 1987, avec effet rétroactif au 5 janvier 1986, autorisant la Commission à rem- bourser les prestataires admissibles à cet allège- ment depuis que les revenus de pension liés à l'emploi étaient devenus déductibles des presta- tions d'assurance-chômage. Cette dernière modifi cation réglementaire, on l'aura deviné, a été adop- tée au bénéfice surtout de ceux qui avaient pris une retraite prématurée et favorise les prestataires plus âgés, surtout ceux entre 55 et 64 ans.
Ainsi donc, depuis le 5 janvier 1986, par le biais de l'article 57 du Règlement sur l'assurance-chô-
mage, le législateur réalise, par rapport aux presta- taires âgés de moins de 65 ans, l'objectif important qu'il a dit avoir eu en tête en niant, à l'article 31 de la Loi, le droit de recevoir des prestations aux chômeurs âgés de 65 ans et plus; il a colmaté le dédoublement des versements des prestations d'as- surance-chômage aux prestataires de moins de 65 ans qui reçoivent des revenus de pension liés à l'emploi. La pension est tout simplement déduite des prestations d'assurance-chômage. On n'a nulle- ment indiqué à l'audition que ce que le législateur avait réussi à faire pour les prestataires de moins de 65 ans par la voie d'un simple amendement au Règlement ne pouvait être fait de même façon cette fois pour viser les salariés en chômage âgés de 65 ans et plus.
Il y a disproportion évidente entre le seul moyen choisi pour réaliser l'objectif escompté en mainte- nant en vigueur l'article 31 de la Loi dans sa forme actuelle et les effets draconiens qu'il a envers tous ceux qu'il affecte indistinctement. La négation totale du droit aux prestations d'assurance-chô- mage pour les chômeurs âgés de 65 ans est donc déraisonnable et ne peut plus se justifier en pré- sence de l'évolution législative et réglementaire qui s'est effectuée depuis qu'elle a été instaurée en 1971.
L'article 25 de la Loi stipule:
25. Un prestataire n'est pas admissible au service des presta- tions initiales pour tout jour ouvrable d'une période de presta- tions pour lequel il ne peut prouver qu'il était
a) soit capable de travailler et disponible à cette fin et incapable d'obtenir un emploi convenable ce jour-là, ou
b) soit incapable de travailler ce jour-là par suite d'une maladie, blessure ou mise en quarantaine prévue par les règlements et qu'il aurait été sans cela disponible pour travailler.
L'article 31 de la Loi nie absolument et sans discernement pour la situation personnelle des individus en cause les bénéfices ordinaires de la Loi aux chômeurs âgés de 65 ans. Il n'a pas été démontré que l'application régulière à leur endroit des autres dispositions pertinentes de la Loi ou du Règlement, tels l'article 25 de la Loi et les alinéas 57(2)e) et 57(3)j) du Règlement, ne permettrait pas au législateur de réaliser les mêmes objectifs qui sont à la base même de la prohibition de l'article 31. Les chômeurs, même ceux de 65 ans, n'ont pas de droits acquis au versement de presta- tions d'assurance-chômage ni en vertu de la Loi de
1971 sur l'assurance-chômage" ni en vertu de l'article 15 de la Charte. Cet article de la Charte, cependant, leur garantit à tous qu'ils ont droit à la même protection et au même bénéfice de cette même loi, indépendamment de toute discrimina tion fondée sur l'âge des prestataires. Or l'âge est le seul critère à l'article 31 qui marque l'exclusion des chômeurs âgés de 65 ans qui font encore partie, et veulent continuer de l'être, de la popula tion active. Il s'agit d'une mesure radicale, déraisonnable et hors de proportion avec les objec- tifs recherchés. Elle est irréconciliable avec le prin- cipe de l'égalité des droits inscrit à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. Étant incompatible avec la Constitution du Canada, dont la Charte fait partie, l'article 31 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage est donc inopérant. Cela dit, il faut donc conclure que le conseil arbitral a erré en donnant effet à une disposition incompati ble avec la Constitution du Canada. Ayant omis de la constater, il y a lieu pour la Cour de le faire en ses lieu et place dans l'exercice de la juridiction qui lui est conféré par l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
Pour ces motifs, je ferais droit à la demande d'annulation et d'examen; je casserais la décision rendue le 12 décembre 1986 par le conseil arbitral et retournerais la présente affaire à un conseil arbitral pour qu'il la décide à nouveau en prenant pour acquis que l'article 31 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage est incompatible avec l'arti- cle 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et est, de ce fait, inopérant en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi Constitutionnelle de 1982.
LE JUGE HUGESSEN: Je souscris à ces motifs.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE DESJARDINS (motifs concordants quant au résultat): Je souscris entièrement aux motifs exprimés par mon collègue le juge Lacombe. Vu cependant l'importance de la ques-
" Côté v. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada, (1986), 69 N.R. 126 (C.A.F.).
tion préliminaire et le débat qu'elle suscite, autant dans la doctrine 18 que dans la jurisprudence 19 , j'ajoute mes propres remarques sur le sujet.
Que le conseil arbitral puisse ou non se pronon- cer sur la validité constitutionnelle de l'article 31 de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage importe peu puisque cette Cour peut le faire. Cette Cour peut, en effet, lors d'un recours en vertu des paragraphes 28(4) ou (1) de la Loi sur la Cour fédérale, se prononcer sur une question constitu- tionnelle «qui surgit à tire de question préliminaire dans le processus de contrôle de l'acte administra- tif en cause» (Northern Telecom Canada Ltée c. Syndicat des travailleurs en communication du Canada, [1983] 1 R.C.S. 733 la page 744). Dans le même ordre d'idées, lors d'une demande en examen et en annulation d'une décision d'un orga- nisme administratif, cette Cour peut vérifier si la décision administrative existe ou non sur le plan constitutionnel avant d'en faire la révision, laquelle révision, il est entendu, répond à des critères entiè- rement différents d'un appel. Sinon, à quoi servi- rait-il de faire la révision judiciaire d'une décision administrative qui n'aurait aucune assise?
Ce point, à mon avis, suffit pour décider de la question préliminaire. Mais, encore une fois, n'ayant aucune difficulté avec les motifs exprimés par mon collègue le juge Lacombe, je poursuis.
Les tribunaux administratifs sont loin de répon- dre à un modèle uniforme. En 1965, le professeur Jean Beetz, aujourd'hui juge de la Cour suprême
18 Aux auteurs cités par le juge Lacombe à la note 2 de la p. 4 de ses motifs, j'ajoute: Graham R. Garton, «Civil Litigation Under the Charter» dans Charter Issues in Civil Cases, éd. Neil R. Finkelstein and Brian MacLeod Rogers (Toronto:
Carswell, 1988) la p. 81; Dale Gibson, The Law of the Charter: General Principles (Toronto: Carswell, 1986) aux p. 280-281; «Procedures in Charter Cases; Procedures and Reme- dies—Examination of Questions Pertaining to: WHICH», Jef- frey Sack, Q.C., Toronto, Ontario, aux p. 11 et suiv. dans Charter Cases, Causes invoquant la Charte, Association du Barreau canadien, octobre 24-25, 1986 Montréal, Québec.
19 À la jurisprudence citée par le juge Lacombe, j'ajoute: Ontario Public Service Employees' Union v. Algonquin College of Applied Arts and Technology, Cour divisionnaire (encore inédit) (juges Steele, Holland et White, cause entendue les 7 et 8 avril 1987, jugement rendu le 16 avril 1987); Moore v. B.C. (Govt.) (1988), 23 B.C.L.R. (2d) 105 (C.A.); Terminaux por- tuaires du Québec c. Association des employeurs maritimes (A-1080-87, juges Pratte, Marceau et Desjardins, jugement en date du 11-8-88 (C.A.) encore inédit).
du Canada, écrivait, autant pour le Québec que pour l'administration fédérale:
A quelque point de vue que l'on tente d'étudier ces organismes administratifs, leur diversité défie l'analyse; elle confine à l'invraisemblance et la raison ou le fondement de toutes ces différences se manifestent rarement, même au chercheur le plus obstiné. (Beetz J. «Uniformité de la procédure administrative», (Mémoire adressé au Comité constitué par le Barreau sur la surveillance de la législation) (1965), 25 R. du B. 244, la page 248.)
La Commission de réforme du droit du Canada s'exprimait dans le même sens quelques années plus tard pour ce qui est de l'administration fédérale 20 .
Les tribunaux administratifs, il est clair, ne sont pas des cours de justice (Théberge (J.R.) Ltée v. Syndicat National des Employés de l'Aluminum d'Arvida Inc., et autre [1966] R.C.S. 378 aux pages 382 et 383). La jurisprudence a reconnu, dans les cas qui suivent, que les tribunaux adminis- tratifs en cause étaient autonomes en ce qu'ils n'étaient pas des agents ou des prolongements du gouvernement. Ainsi en est-il de la Commission des liqueurs du Québec créée en vertu de la Loi des liqueurs alcooliques, S.R.Q. 1941 chap. 225 (Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, à la page 185); du Tribunal antidumping (P.P.G. Industries Canada Ltd. c. Le Procureur général du Canada, [1976] 2 R.C.S. 739, la page 742); du Conseil de la Radio-Télévision canadienne, (Capital Cities Communications Inc. et autre c. Conseil de la Radio- Télévision canadienne,
[1978] 2 R.C.S. 141, la page 172), et de la Commission municipale de l'Ontario (Innisfil (municipalité du canton) c. Municipalité du canton de Vespra et autres, [1981] 2 R.C.S. 145 à la page 171). Dans cette dernière affaire, le juge Estey précise d'ailleurs ce qu'il entend par orga- nisme autonome:
If on its face an agency is held out in the constituting legisla tion as "independent" of the executive, that is with functions independent of the executive branch, it remains that way for all purposes until the Legislature exercises its undoubted right to alter, by providing for policy directions for example, the posi tion and procedure of the agency. (Je souligne)
Mon collègue, le juge Lacombe, a analysé la composition et les pouvoirs des conseils arbitraux.
20 Commission de réforme du droit du Canada, Conseil sur l'administration publique, Série droit administratif, Document d'étude (Ottawa: Ministre des Approvisionnements et Services Canada, 1980) par Alan Leadbeater, à lap. 1.
J'en conclus qu'ils ne sont pas des prolongements de l'exécutif. J'en conclus également, d'accord avec lui, que ces organismes ne sont pas des créa- tions de la Commission de l'emploi et de l'Immi- gration du Canada.
La jurisprudence me paraît largement muette sur la question de savoir si les organismes adminis- tratifs autonomes pouvaient, avant l'adoption de la Charte, prononcer l'invalidité constitutionnelle d'une disposition de la loi qu'ils avaient charge d'appliquer. Ils pouvaient certes être appelés à tenir compte des concepts constitutionnels afin de déterminer leur compétence (Northern Telecom Limitée c. Travailleurs en communication du Canada, [1980] 1 R.C.S. 115). Mais lorsque leurs pouvoirs étaient l'objet d'attaque, ils l'ont généra- lement été par voie de brefs de prérogative ou autres recours analogues devant les cours de jus tice plutôt que par voie d'objection ou de défense devant ces organismes. Voilà peut-être la raison de ce silence jurisprudentiel.
Il est vrai que dans l'affaire Séminaire de Chi- coutimi c. La Cité de Chicoutimi, [1973] R.C.S. 681, la Cour suprême du Canada a établi que seule une cour composée des juges nommés selon l'article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 pouvait se prononcer sur le caractère ultra vires d'un règlement municipal eu égard à ce même article 96. Elle reconnaissait également qu'un juge de la Cour provinciale du Québec pouvait se pro- noncer sur sa compétence (ou son incompétence) en la matière, s'il en était saisi. Le raisonnement de la Cour était basé sur le fait que le pouvoir de cassation d'un règlement municipal pour cause d'invalidité sur le plan constitutionnel n'était pas conforme au genre de juridiction exercée en 1867 par les cours de juridiction sommaires mais plutôt conforme au genre de juridiction exercée en 1867 par les cours décrites à l'article 96. Le raisonne- ment dans l'affaire Séminaire de Chicoutimi ne peut, à mon sens, recevoir d'emblée application malgré son parallèle apparent. L'on ne saurait s'autoriser de cette décision pour prétendre que seule une cour décrite à l'article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 peut déclarer inopérante une disposition législative eu égard à la Charte. C'est que la Charte ajoute une nouvelle dimension au système juridique canadien en ce qu'elle
accorde des droits et libertés aux individus. La Charte constitue un nouveau texte constitutionnel qui n'existait pas en 1867, non plus d'ailleurs que l'actuel paragraphe 52(1) de la Loi constitution- nelle de 1982 selon lequel:
La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit. (Je souligne)
Rien d'étonnant à ce que des individus, qui préten- dent avoir ces droits, les réclament devant des organismes qui ont été créés pour départager de façon expéditive leurs droits vis-à-vis l'administra- tion. Plusieurs ont souligné l'incongruité dans laquelle se retrouvent des organismes qui d'une part sont chargés d'appliquer la loi et qui, par ailleurs, sont appelés à déterminer du caractère inopérant d'une disposition législative eu égard à la Charte. Pourtant, si ces organismes sont chargés d'interpréter la loi, ils doivent le faire intégrale- ment, sujets à la révision judiciaire.
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