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A-787-86
Sa Majesté la Reine du chef du Canada (appe- lante) (défenderesse)
c.
La municipalité régionale de Peel (intimée) (demanderesse)
RÉPERTORIÉ: PEEL (MUNICIPALITÉ RÉGIONALE) c. CANADA
Cour d'appel, juges Mahoney, MacGuigan et Des- jardins—Toronto, 14 novembre; Ottawa, 19 décembre 1988.
Droit constitutionnel Principes constitutionnels fonda- mentaux Sommes versées par une municipalité en confor- mité avec des ordonnances judiciaires rendues en application de l'art. 20(2) de la Loi sur les jeunes délinquants L'art. 20(2) n'est pas valide Le juge de première instance a conclu que, selon un principe constitutionnel, le pouvoir exécutif n'était pas tenu d'engager des frais en l'absence d'une affecta tion de crédits mais que ce principe devait être appliqué dans le cadre d'un système fédéral et que, compte tenu du principe de la réparation en cas d'enrichissement sans cause, il ne serait
pas juste que la demanderesse supporte les frais Le juge de première instance n'a pas tenu compte de ce que la défende- resse devait avoir une obligation légale de payer, avant qu'il n'accorde réparation pour enrichissement sans cause Il existe un principe constitutionnel selon lequel le gouvernement fédéral n'est pas tenu de payer les frais d'application de ses
lois L'obligation du gouvernement fédéral relativement aux délinquants est uniquement de nature politique.
Restitution Sommes versées par une municipalité en conformité avec des ordonnances judiciaires rendues en appli
cation de l'art. 20(2) de la Loi sur les jeunes délinquants Le Parlement a outrepassé ses pouvoirs en adoptant l'art. 20(2)
Le juge de première instance a conclu que les sommes versées étaient recouvrables car les principes du système de gouverne- ment fédéral et de la réparation en cas d'enrichissement sans cause se conjuguaient pour accorder à la municipalité le droit
d'être remboursée Dans sa décision, le juge de première instance n'a pas tenu compte de ce que la défenderesse devait avoir l'obligation légale d'effectuer les versements, avant qu'il n'accorde réparation pour enrichissement sans cause La Cour ne peut pas étendre les principes de la restitution aux autorités publiques de façon à rendre la Couronne responsable d'une loi inconstitutionnelle.
Il s'agit d'un appel formé contre une décision par laquelle la Division de première instance a jugé que l'intimée avait droit au plein recouvrement des sommes d'argent versées pour l'en- tretien de jeunes délinquants en conformité avec des ordonnan- ces rendues par la Cour provinciale de l'Ontario en application du paragraphe 20(2) de la Loi sur les jeunes délinquants. La Cour suprême du Canada a trouvé la disposition inconstitution- nelle dans la mesure elle était censée imposer des obligations aux municipalités. Le juge de première instance a conclu que les sommes avaient été versées en conformité avec une loi invalide et que, en ce qui concerne les deux parties en question, il ne serait pas juste que ces frais soient supportés par la demanderesse.
Arrêt (le juge Mahoney dissident): l'appel devrait être accueilli.
Le juge MacGuigan: La décision du juge de première ins tance ne tient pas compte de ce que l'appelante devait avoir l'obligation légale d'effectuer les paiements, avant qu'il n'ac- corde réparation pour enrichissement sans cause. Dans un cadre fédéral, les principes constitutionnels ne créent pas pour le gouvernement fédéral l'obligation de payer les frais d'appli- cation de ses lois. De plus, on ne peut pas dire que le gouverne- ment fédéral ait retiré un avantage financier direct des frais dngagés par la municipalité. Bien que le gouvernement fédéral ait été à l'origine de ces frais, il ne s'agissait pour lui que d'une responsabilité de nature politique.
Le juge Desjardins (motifs concourants): Le pouvoir, exercé traditionnellement par la Cour, d'annuler les lois inconstitution- nelles ne lui permettait pas d'étendre les principes de la restitu tion aux autorités publiques de façon à rendre la Couronne responsable d'une loi qu'une législature n'avait pas le pouvoir d'adopter.
Le juge Mahoney (dissident): Le principe constitutionnel anglais selon lequel la Couronne n'est pas tenue de payer les frais d'application de ses lois en l'absence d'une affectation de crédits convient bien à un pays unitaire, mais il doit être adapté aux exigences de la constitution fédérale du Canada. L'affaire porte principalement sur l'application effective de la constitu tion. Il n'y a aucune erreur à exiger que le gouvernement fédéral supporte les frais d'entretien de jeunes délinquants sans regarder si le gouvernement avait une quelconque obligation légale d'acquitter ces frais.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Colonial Laws Validity Act, 1865 (R.-U.), 28-29 Vict., chap. 63.
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 1 I (R.-U.), art. 52(1).
Loi sur les jeunes contrevenants, S.C. 1980-81-82-83, chap. 110.
Loi sur les jeunes délinquants, S.R.C. 1970, chap. J-3, art. 20(1),(2).
Statut de Westminster de 1931, 22 Geo. V, chap. 4
(R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 26], art. 7(1). The Proceedings against the Crown Act, R.S.S. 1965,
chap. 87, art. 5(7).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Kiriri Cotton Co. Ltd. v. Dewani, [1960] A.C. 192; [1960] I All E.R. 177 (C.A.); Eadie v. The Township of Brantford, [1967] R.C.S. 573; 63 D.L.R. (2d) 561.
DÉCISION RENVERSÉE:
Peel (Municipalité régionale) c. Canada, [1987] 3 C.F. 103 (I'° inst.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
B.C. Power Corporation v. B.C. Electric Company, [1962] R.C.S. 642; Amax Potash Ltd. et autres c. Gou- vernement de la Saskatchewan, [1977] 2 R.C.S. 576; Jacobs (George Porky) Enterprises Ltd. v. City of Regina, [1964] R.C.S. 326; 44 D.L.R. (2d) 179; Air Can. v. B.C. (Govt.), [1986] 5 W.W.R. 385 (C.A.C.-B.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Reference re liability of province of Nova Scotia for expenses incurred in calling out troops in aid of the civil power in Cape Breton, [1930] R.C.S. 554; [1930] 4 D.L.R. 82; Peel (Regional Municipality) v. Ontario (1988), 64 O.R. (2d) 298 (H.C.); Moses v. Macferlan (1760), 97 E.R. 676; 2 Burr. 1005 (K.B.); Fibrosa Spolka Akcyjna v. Fairbairn, Lawson, Combe Barbour, Ld., [1943] A.C. 32 (H.L.); Hydro Electric Commission of Nepean c. Ontario Hydro, [1982] 1 R.C.S. 347; 132 D.L.R. (3d) 193.
DÉCISIONS CITÉES:
Municipalité régionale de Peel c. MacKenzie et autre, [1982] 2 R.C.S. 9; 139 D.L.R. (3d) 14; Re Peel (Region- al Municipality of) et al. and Viking Houses (1977), 16 O.R. (2d) 632; 36 C.C.C. (2d) 137 (H.C. Ont.); con firmé, par (1977), 16 O.R. (2d) 765; 36 C.C.C. (2d) 337 (C.A. Ont.); confirmé sous l'intitulé Procureur général de l'Ontario et autre c. Municipalité régionale de Peel, par [1979] 2 R.C.S. 1134; 104 D.L.R. (3d) 1; Re Regional Municipality of Peel and Viking Houses (10 juillet 1978 (H.C. Ont.), non publié; confirmé par (1980), 113 D.L.R. (3d) 350 (C.A. Ont.); Brook's Wharf and Bull Wharf, Ld. v. Goodman Brothers, [1937] I K.B. 534; [1936] 3 All E.R. 696 (C.A.); Deglman v. Constantineau, [1954] R.C.S. 725; [1954] 3 D.L.R. 785; Reading v. Attorney- General, [1951] A.C. 507 (H.L.); Pettitt v. Pettitt, [1970] A.C. 777 (H.L.); Carleton, County of v. City of Ottawa, [1965] R.C.S. 663; 52 D.L.R. (2d) 220; More (James) & Sons Ltd. v. University of Ottawa (1974), 49 D.L.R. (3d) 666 (H.C. Ont.); Pettkus c. Becker, [1980] 2 R.C.S. 834; 117 D.L.R. (3d) 257; Sorochan c. Soro- chan, [1986] 2 R.C.S. 38; 2 R.F.L. (3d) 225; Adoption Act, of Ontario, Reference re authority to perform func tions vested by, [1938] R.C.S. 398; Renvoi: Family Relations Act, [1982] 1 R.C.S. 62; Turigan et al. v. Alberta (1988), 90 A.R. 118 (C.A.); Attorney General of British Columbia v. Smith, [1967] R.C.S. 702; R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autre, [1985] 1 R.C.S. 295.
DOCTRINE
McCamus, John D. "Restitutionary Recovery of Moneys Paid to a Public Authority under a Mistake of Law: Ignorantia Juris in the Supreme Court of Canada" (1983), 17 U.B.C. L. Rev. 233.
Collins, Ronald D. "Restitution from Government Offi cials" (1984), 29 McGill L.J. 407.
Gautreau, Q.C., J. R. Maurice "Developments in the
Law of Restitution" (1985), 5 Advocates' Q. 419. Fridman, G.H.L. et McLeod, James G., Restitution,
Toronto: Carswell, 1982.
Hogg, Peter W., Constitutional Law of Canada, Toronto: Carswell, 1977.
Chevrette, François et Marx, Herbert, Droit constitu- tionnel: notes et jurisprudence, Montréal: Presses de l'Université de Montréal, 1982.
AVOCATS:
Paul J. Evraire pour l'appelante (défende- resse).
J. E. Sexton, c.r. et B. G. Morgan pour l'intimée (demanderesse).
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour l'appelante (défenderesse).
Osier, Hoskin & Harcourt, Toronto, pour l'intimée (demanderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY (dissident): Il s'agit d'un appel formé contre un jugement rendu en Division de première instance, [1987] 3 C.F. 103, qui a statué que la municipalité intimée avait le droit de recouvrer du Canada la somme de 1 166 814,22 $ et les dépens. C'est le montant net qu'elle avait versé à des tiers en conformité avec des ordon- nances judiciaires rendues en application du para- graphe 20(2) de la Loi sur les jeunes délinquants, S.R.C. 1970, chap. J-3. Le paragraphe 20(2) a été jugé inconstitutionnel dans la mesure il était censé imposer des obligations aux municipalités, Municipalité régionale de Peel c. MacKenzie et autre, [1982] 2 R.S.C. 9; 139 D.L.R. (3d) 14.
J'ai eu l'avantage de prendre connaissance du premier jet des motifs de jugement de mes collè- gues en l'espèce et je me trouve respectueusement en désaccord avec eux. À mon avis, le juge de première instance aurait pu conclure que la page 121], «en ce qui concerne la [municipalité] et [le Canada], il ne serait pas juste que ces frais soient supportés en fin de compte par la [munici- palité] et ils devraient être à la charge du [Canada]» et, à la suite de cette conclusion, rendre le jugement qu'il a rendu.
Je me borne à adopter les motifs de jugement ci-dessous. Selon le principe constitutionnel éla- boré en Grande-Bretagne, qui est un pays unitaire, en l'absence d'affectation de crédits par le Parle- ment, la Couronne n'est pas tenue par la loi de
payer les frais d'application des lois adoptées par le Parlement. Je suis d'accord avec le juge de pre- mière instance pour dire que ce principe doit être adapté au Canada aux exigences de notre constitu tion fédérale. Ainsi qu'il l'a dit, à la page 121:
Si la Couronne du chef du Canada pouvait, en l'espèce, invo- quer l'immunité à l'égard de toute demande en paiement des coûts imposés illégalement à la demanderesse par le pouvoir législatif du gouvernement fédéral, pour le motif que ce pouvoir législatif n'a accordé à la défenderesse aucune affectation de crédits ni aucune autorisation en vue d'effectuer de tels paie- ments, le gouvernement fédéral pourrait alors accomplir ce que la Constitution lui interdit de faire: c'est-à-dire imposer une charge financière à la municipalité demanderesse pour l'entreti- en des jeunes délinquants en vertu de la Loi sur les jeunes délinquants.
À mon humble avis, la présente affaire porte prin- cipalement sur l'application effective de la Consti tution du Canada—«la loi suprême du Canada». Je ne conçois pas que cela puisse faire l'objet d'une décision de bonne grâce. Les principes de la resti tution fondée sur l'enrichissement sans cause peu- vent avoir tout au plus une application analogue. Je ne perçois aucune erreur à exiger que le Canada supporte les frais sans regarder si le Canada aurait été tenu légalement de s'acquitter de l'obligation si le Parlement ne l'avait pas, inconstitutionnelle- ment, imposée à la municipalité d'une manière qu'elle ne pouvait pas éviter.
L'Ontario n'est pas assujettie à la compétence de notre cour. Le juge de première instance n'a pas été invité à examiner si cette province, plus que le Canada, était redevable à la municipalité. Les réclamations faites simultanément à l'encontre du Canada et de l'Ontario ne pourraient être exami nées ensemble que par la Cour suprême du Canada. Le fait que d'autres tribunaux prennent les réclamations en considération donnerait plein crédit, à mon avis, à la conviction qu'on ne tente pas d'obtenir une double indemnisation.
Je rejetterais l'appel avec dépens. Un sursis supplémentaire à l'exécution de son jugement devrait être demandé en Division de première instance.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN: Il s'agit d'un appel formé contre un jugement rendu par le juge Strayer en Division de première instance et publié sous l'intitulé Peel Municipalité régionale c. Canada, [1987] 3 C.F. 103, dans une action en recouvrement d'une somme d'argent versée par l'intimée pour l'entretien de jeunes délinquants en conformité avec des ordonnances rendues par la Cour provinciale de l'Ontario en application du paragraphe 20(2) de la Loi sur les jeunes délin- quants, S.R.C. 1970, chap. J-3 (la Loi)'. L'action a pris naissance à la suite de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Municipalité régionale de Peel c. MacKenzie et autre, [ 1982] 2 R.C.S. 9; 139 D.L.R. (3d) 14, selon laquelle ce paragraphe est inconstitutionnel 2 .
Le paragraphe 20(1) de la Loi autorisait un tribunal à imposer n'importe laquelle de neuf mesures lorsqu'il avait été jugé que l'enfant était un jeune délinquant, et le paragraphe (2), qui figurait dans la Loi depuis 1908, prévoyait ce qui suit:
(2) Dans chacun de ces cas, la cour est autorisée à rendre un ordre enjoignant aux père et mère de l'enfant ou au père ou à la mère ou à la municipalité à laquelle il appartient, de verser pour son entretien telle somme que la cour peut déterminer, et lorsque cet ordre est donné à la municipalité, cette dernière peut à l'occasion recouvrer des père et mère ou du père ou de la mère de l'enfant la somme ou les sommes qu'elle a versées en exécution de cet ordre.
Après avoir cité l'arrêt Reference re liability of province of Nova Scotia for expenses incurred in calling out troops in aid of the civil power in Cape Breton, [1930] R.C.S 554; [1930] 4 D.L.R. 82,
' La Loi sur les jeunes délinquants a été remplacée depuis par la Loi sur les jeunes contrevenants, S.C. 1980-81-82-83, chap. 110.
2 La municipalité a se rendre par deux fois jusqu'à la Cour suprême pour obtenir cette interprétation relativement à la Constitution: Re Peel (Regional Municipality of) et al. and Viking Houses (1977), 16 O.R. (2d) 632; 36 C.C.C. (2d) 137 (H.C. Ont.); confirmé par (1977), 16 O.R. (2d) 765; 36 C.C.C. (2d) 337 (C.A. Ont.); confirmé par [1979] 2 R.C.S. 1134; 104 D.L.R. (3d) 1; sous l'intitulé Procureur général de l'Ontario et Viking Houses c. Municipalité régionale de Peel (1979), 104 D.L.R. (3d) 1 (C.S.C.); Re Regional Municipality of Peel and Viking Houses (10 juillet 1978) (H.C. Ont.) [non publié] confirmé en 1980 par 113 D.L.R. (3d) 350 (C.A. Ont.) et enfin comme il est mentionné ci-dessus (C.S.C.).
dans lequel la Cour suprême avait statué que le Parlement ne pouvait pas imposer à une province l'obligation de payer les frais imputables à une réquisition demandant à la milice active de prêter main-forte aux autorités civiles, le juge Martland a écrit au nom de tous les juges de la Cour, à la page 22 R.C.S. et aux pages 24 et 25 D.L.R.:
Si le Parlement du Canada ne peut imposer à une province une obligation de payer des dépenses sans qu'elle y consente, je suis d'avis qu'il ne peut pas plus, sans l'intervention de la province, imposer une obligation semblable aux institutions municipales que la province a créées conformément à l'art. 92(8) de cet Acte [la Loi constitutionnelle de 1867].
À mon avis, le Parlement du Canada n'avait pas le pouvoir d'adopter le par. 20(2) dans la mesure il s'applique aux municipalités. Il ne s'agit pas d'une disposition relative au droit criminel ou à la procédure criminelle, et cette disposition n'est pas vraiment nécessaire à l'exercice efficace de l'autorité légis- lative du Parlement dans ces domaines. Dans la mesure elles se rapportent aux municipalités, les dispositions du par. 20(2) constituent un texte législatif qui touche aux droits civils des municipalités qui sont, elles-mêmes, créées par les législatures des provinces et assujetties au contrôle législatif de ces derniè- res. L'article 92(8) de la Loi constitutionnelle de 1867 a donné aux provinces le droit exclusif de faire des lois relatives aux «institutions municipales dans la province». C'est conformément à ce pouvoir que les provinces créent des institutions municipa- les. Le paragraphe 20(2) a pour effet de modifier le rôle des institutions municipales, pas nécessairement quant aux seules questions financières mais également à l'égard de leurs obliga tions envers les personnes qui se trouvent sur leur territoire. C'est une modification indirecte des lois provinciales relatives aux municipalités. Ce paragraphe n'est pas justifié en l'absence d'un lien direct avec le pouvoir législatif fédéral en vertu de l'art. 91(27). Il n'y a pas de lien direct entre la municipalité «à laquelle il [l'enfant] appartient» et la question de la criminalité de l'enfant. L'obligation que la Loi cherche à imposer à la municipalité se présente uniquement une fois les procédures criminelles complétées et la sentence imposée.
L'intimée a été constituée en municipalité régio- nale en 1973 et a commencé à fonctionner comme telle le l er janvier 1974. Elle tente de recouvrer la somme de 1 166 814,22 $ 3 versée à des foyers collectifs, à des institutions et à des particuliers en conformité avec les ordonnances rendues en application du paragraphe 20(2), entre le 1»r janvier 1974 et le 22 juillet 1982 environ, date du jugement de la Cour suprême établissant l'inconstitutionnalité de ce paragraphe.
3 C'était le montant net des frais après déduction des subventions accordées par la province d'Ontario.
Le juge de première instance a constaté que l'intimée a effectué ces paiements sous l'effet de la contrainte, car l'omission de payer ainsi que l'ordonnait la Cour l'aurait exposée à des poursuites pour outrage au tribunal.
Après avoir examiné tant les principes constitutionnels que les principes de la restitution, le juge Strayer a conclu (arrêt précité, à la page 121):
C'est à ce moment-ci que les règles applicables au système fédéral et le principe de la réparation en cas d'enrichissement sans cause se conjuguent de manière à obliger la partie défenderesse à rembourser la partie demanderesse des frais engagés par celle-ci pour se conformer à la loi invalide. Il n'aurait peut-être pas été possible de poursuivre la partie défenderesse en premier lieu pour l'obliger à verser directement ces sommes. Mais lorsque la partie demanderesse les a versées en conformité avec une loi fédérale qui a finalement été jugée invalide, et pour respecter les objectifs de cette loi dûment adoptée par le Parlement, en ce qui concerne la partie demanderesse et la partie défenderesse, il ne serait pas juste que ces frais soient supportés en fin de compte par la partie demanderesse et ils devraient être à la charge de la partie défenderesse.
L'intimée a également obtenu gain de cause en première instance dans son action en recouvrement de la même somme de 1 166 814,22 $ contre la province d'Ontario: Peel (Regional Municipality) v. Ontario (1988), 64 O.R. (2d) 298 (H.C.). Le juge Montgomery a alors fait une observation la page 299) sur le chevauchement des actions:
[TRADUCTION] En raison des limites relatives à la compé- tence des tribunaux, l'action dirigée contre le gouvernement fédéral a être intentée en Cour fédérale. Il est malheureux qu'en vertu de la loi actuelle, il faille s'adresser à deux niveaux distincts en première instance et à deux niveaux distincts en appel avant que puisse être examinée la question de la respon- sabilité financière entre les deux niveaux supérieurs de gouvernement.
J'ai eu l'avantage de lire la décision rendue le 27 novembre 1986 en Division de première instance de la Cour fédérale par M. le juge Strayer ... Le jugement a alors été rendu en faveur de la municipalité. Il a été sursis à ce jugement en attendant que la Cour d'appel fédérale statue sur un appel. Aucune somme d'argent n'a été versée à la municipalité en vertu de ce jugement. L'avocat de la municipalité s'est engagé à ce que celle-ci ne tente de percevoir qu'une fois le montant qu'elle réclame.
Il a conclu plus loin la page 304) que juge- ment devrait être rendu contre la province:
[TRADUCTION] Pour établir son droit au recouvrement, la municipalité demanderesse:
(1) doit démontrer qu'elle était contrainte par la loi d'effectuer le versement;
(2) ne doit pas effectuer étourdiment le versement lorsqu'il n'y a pas de raison de le faire;
(3) doit s'être acquittée d'une obligation de la défenderesse, et
(4) doit convaincre le tribunal qu'en ce qui concerne les par ties, la province défenderesse était la première responsable. En l'espèce, les versements n'ont pas été effectués étourdi- ment. Ils ont été faits sous protêt à la suite d'ordonnances judiciaires. Ces versements acquittaient une obligation de la province. Étant donné l'inconstitutionnalité du paragraphe 20(2) de la Loi sur les jeunes délinquants, c'est à la province qu'incombait l'obligation de payer.
La municipalité m'a convaincu qu'en ce qui concerne les parties, la province est la première responsable. En outre, à mon avis, les obligations financières incombent toutes à la municipalité. Selon de nombreuses lois de l'Ontario, les frais concernant le bien-être des enfants sont, en grande partie, payés par la province.
Nous avons appris que cette décision fait l'objet d'un appel devant la Cour d'appel de l'Ontario. Les deux affaires ne se rejoindront que si elles se rendent en Cour suprême du Canada.
Les parties sont d'accord sur le fait que le droit applicable est "le principe de la restitution qu'on peut invoquer à l'encontre de ce qui constituerait autrement un enrichissement sans cause" 4 . Elles sont également d'accord même sur les éléments du droit, qu'on pourrait dire être les suivants.
Le principe de la restitution semble avoir été formulé à l'origine par lord Mansfield dans plu-
sieurs décisions rendues de 1760 1780. À titre d'exemple, dans l'arrêt Moses v. Macferlan (1760), 97 E.R. 676, la page 680; 2 Burr. 1005 (K.B.), à la page 1012, il en a parlé comme étant [TRADUCTION] "ce genre d'action reconnue en equity, en vue de recouvrer de l'argent, qui, pour être juste, ne doit pas être gardé ... Elle n'existe que pour l'argent que, d'après ce qui est bon et équitable, le défendeur doit rembourser." Le prin- cipe a été réformé à une époque récente par lord Wright dans l'arrêt Brook's Wharf and Bull Wharf Ld. v. Goodman Brothers, [1937] 1 K.B. 534; [1936] 3 All E.R. 696 (C.A.) et dans l'arrêt Fibrosa Spolka Akcyjna v. Fairbairn, Lawson, Combe Barbour, Ld., [1943] A.C. 32 (H.L.). Dans cette dernière affaire, lord Wright a déclaré, à la page 61:
[TRADUCTION] Il est clair que tout système de droit civilisé se doit de prévoir des recours pour ces situations qualifiées d'envi-
' L'expression a été utilisée par le juge Rand dans l'arrêt
Deglman v. Constantineau, [1954] R.C.S. 725, la p. 728; [1954] 3 D.L.R. 785, la p. 788.
chissement ou d'avantage sans cause, c'est-à-dire empêcher une personne de garder l'argent ou de conserver un avantage qu'elle a reçu d'une autre personne et qu'il serait moralement inaccep- table de garder ou de conserver. Ces recours en droit anglais sont génériquement différents de ceux qui sont propres aux contrats ou aux délits, et ils appartiennent maintenant à une troisième catégorie du common law appelée quasi-contrat ou restitution ... Le paiement d'une somme d'argent en raison d'une erreur de fait ne constitue qu'une rubrique de cette catégorie du droit. Il s'agit d'une autre catégorie lorsque, comme en l'espèce, il y a versement d'un acompte sur une somme d'argent à payer en contrepartie de l'exécution d'un contrat qui, en réalité, avorte et n'est pas exécuté, de sorte que la somme d'argent ne devient jamais due.
Et de nouveau, en commentant l'opinion émise par lord Mansfield dans l'arrêt Moses v. Macferlan, précité, il dit, à la page 62:
[TRADUCTION] Cette obligation est une création du droit tout autant qu'une obligation découlant d'un délit. Cette obligation appartient à une troisième catégorie, distincte de la première propre aux contrats et de la deuxième propre aux délits, quoiqu'elle se rapproche davantage de la première catégorie que de la deuxième. Cette déclaration de lord Mansfield fut à la base de la théorie moderne des quasi-contrats ...
Malgré ces déclarations générales, il semble que le principe se limite en droit anglais surtout aux cas une personne qui a versé une somme d'ar- gent intente une action en justice pour la recou- vrer: Reading v. Attorney -General, [1951] A.C. 507 (H.L.) aux pages 513 et 514, motifs de lord Porter; Pettitt v. Pettitt, [1970] A.C. 777 (H.L.), à la page 795, motifs de lord Reid.
Au Canada, le principe de la restitution a été beaucoup appliqué en ce sens: Carleton, County of v. City of Ottawa, [1965] R.C.S. 663; 52 D.L.R. (2d) 220; More (James) & Sons Ltd. v. University of Ottawa (1974), 49 D.L.R. (3d) 666 (H.C. Ont.), motifs du juge Morden; Delgman v. Cons- tantineau, précité, (pour services rendus). Il a également été appliqué dans un contexte plus large sous sa forme de l'enrichissement sans cause: Pett- kus c. Becker, [1980] 2 R.C.S. 834; 117 D.L.R. (3d) 257; Sorochan c. Sorochan, [ 1986] 2 R.C.S. 38; 2 R.F.L. (3d) 225.
Toutefois, bien que les sommes d'argent versées en raison d'une erreur de fait puissent être recou- vrées en vertu du droit de la restitution, la règle générale selon laquelle les sommes d'argent versées en raison d'une erreur de droit ne peuvent pas être recouvrées subsiste au Canada, malgré son aboli tion par la loi dans beaucoup de provinces de common law, malgré l'importante dissidence du
juge Dickson laquelle a souscrit le juge en chef Laskin) dans l'arrêt Hydro Electric Commission of Nepean c. Ontario Hydro, [1982] 1 R.C.S. 347; 132 D.L.R. (3d) 193, et malgré la réprobation des auteurs'. Le juge Estey en formule ainsi la raison dans l'affaire Nepean au nom de la majorité juges la. page 412 R.C.S. et à la page 243 D.L.R.):
A mon avis, la jurisprudence, tant ancienne que contempo- raine, relative aux cas seule l'erreur de droit est présenté, se fonde sur le bon sens et des considérations pratiques. En matière de commerce et d'affaires publiques comme c'est le cas en l'espèce, la certitude est un élément essentiel du bien-être de la collectivité. Si on la compare à la règle applicable à l'erreur de fait, la règle plus stricte applicable à l'erreur de droit émane du besoin de cette sécurité et de l'assurance qui s'ensuit qu'il n'y aura pas de rupture intempestive d'opérations conclues antérieurement. L'erreur de fait se restreint, bien sûr, aux parties et n'a pas de conséquences in rem; on est donc plus libéral à son égard. En tout état de cause, les parties en l'espèce n'ont fait ressortir, dans leur analyse du droit, aucun argument justifiant le fusionnement des principes applicables aux catégo- ries d'erreurs et, en fait, la sagesse inhérente à la jurisprudence plaide en faveur du maintien de cette vieille distinction.
Néanmoins, cette restriction au sujet du principe de la restitution ou de l'enrichissement sans cause n'a pas d'incidence sur la présente affaire en raison des exceptions admises quant à la restriction. Dans l'arrêt Kiriri Cotton Co. Ltd. v. Dewani, [ 1960]
A.C. 192, la page 204; [1960] 1 All E.R. 177 (C.A.), à la page 181, lord Denning a affirmé ce qui suit:
[TRADUCTION] Il n'est pas exact non plus de dire qu'on ne peut jamais recouvrer une somme payée en raison d'une erreur de droit. En réalité, on prétend qu'une somme payée en raison d'une erreur de droit seulement, sans plus, ne peut être recou- vrée ... S'il y a plus qu'une erreur de droit (s'il ressort de la conduite du défendeur que c'est lui qui est le premier responsa- ble de l'erreur), alors la somme peut être recouvrée. Ainsi, si entre eux, l'obligation d'observer la loi incombe à l'un plutôt qu'à l'autre—l'obligation étant imposée pour la protection de l'autre—ils ne sont pas alors parties à un acte illégal et la somme peut être recouvrée ... De même, si la responsabilité de l'erreur incombe plus à l'un qu'à l'autre (parce qu'il a induit l'autre en erreur alors qu'il aurait être plus prudent), encore ils ne sont pas parties à un acte illégal et la somme peut être recouvrée.
5 John D. McCamus, "Restitutionary Recovery of Moneys Paid to a Public Authority under a Mistake of Law: Ignorantia Juris in the Supreme Court of Canada" (1983), 17 U.B.C. L. Rev. 233; Ronald D. Collins, "Restitution from Government Officials" (1984), 29 McGill L.J. 407; J. R. Maurice Gautreau, Q.C. "Developments in the Law of Restitution" (1985) 5 Advocates' Q. 419.
Par conséquent, il existe une exception fondamen- tale à la restriction, qui a été énoncée dans l'arrêt Eadie v. The Township of Brantford, [1967] R.C.S. 573; 63 D.L.R. (2d) 561 et reconnue comme telle par le juge Estey dans l'arrêt Nepean, lorsque les sommes d'argent en question ont été versées sous l'effet de la contrainte, même d'une contrainte véritable imposée par la loi. En l'espèce, l'appelante a admis dans sa plaidoirie devant nous que, étant donné les ordonnances de la Cour pro- vinciale, les sommes d'argent ont été versées sous l'effet de la contrainte.
Dans leur exposé des faits et du droit, les deux parties ont cité l'ouvrage intitulé Restitution, de Fridman et McLeod (Toronto: The Carswell Com pany Limited, 1982) aux pages 347 et 348 au sujet des quatre conditions qu'un appelant doit respecter pour avoir droit au recouvrement des sommes d'ar- gent engagées (qui sont essentiellement les quatre conditions invoquées par le juge Montgomery, ci-dessus, dans la poursuite contre la Couronne provinciale):
[TRADUCTION] (1) qu'il a été contraint par la loi d'effectuer le versement ou pouvait être contraint de ce faire à l'époque du versement;
(2) qu'il ne s'est pas placé avec empressement dans une situa tion qui l'obligeait à effectuer le versement;
(3) que le versement a acquitté une obligation du défendeur jusqu'à concurrence de la somme demandée en recouvre- ment;
(4) qu'en ce qui concerne le demandeur et le défendeur, celui-ci était le premier responsable.
L'appelante a reconnu dans sa plaidoirie qu'il avait été satisfait aux deux premières conditions et elle a proposé que les troisième et quatrième conditions soient examinées ensemble. Je serais d'accord, dans le sens que toute responsabilité plus grande de l'appelante en ce qui concerne les parties ne pourrait être pertinente que dans la mesure l'appelante avait l'obligation légale de faire les versements effectués par l'intimée. En d'autres mots, la troisième condition constitue le coeur du problème.
Cela a été reconnu par le juge de première instance, qui le premier a soulevé et, me semble- t-il, a indiqué correctement les principes constitu- tionnels applicables, dans l'arrêt précité, aux pages 117 119:
L'une des questions capitales est de savoir si on peut affirmer que la défenderesse, qui représente le pouvoir exécutif fédéral, a
reçu un avantage, soit de façon générale soit en exécution de son obligation légale, torque la municipalité régionale de Peel a payé les frais d'entretien de jeunes délinquants en conformité avec une loi fédérale invalide. Je ne puis conclure que, au sens strict, le pouvoir exécutif fédéral est automatiquement assujetti à une obligation légale et exécutoire de payer les frais d'appli- cation de toute loi adoptée par le Parlement, même lorsqu'il s'agit de lois valides. Aucune jurisprudence n'a été invoquée à l'appui d'une telle proposition: l'expérience et des raisons de principe permettent même de penser le contraire.
Il est évident, par exemple, que le Parlement impose souvent à des particuliers et à des sociétés des obligations qui les forcent à dépenser leurs propres deniers pour se conformer à la loi. Dans ces cas-là, le pouvoir exécutif n'a aucune obligation, sauf peut-être celle de veiller au respect de la loi. Il est également évident que les provinces dépensent collectivement des centai- nes de millions de dollars aux fins de l'application du Code criminel fédéral [S.R.C. 1970, chap. C-34] ou de la Loi sur les jeunes délinquants et de celle qui l'a remplacée. On peut soutenir que ces dépenses provinciales peuvent être considérées comme volontaires, bien qu'il me semble ressortir de l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans Municipalité régionale de Peel c. MacKenzie et autre, [[1982] 2 R.C.S. 9], qu'une disposition fédérale faisant dûment partie du «droit criminel» pourrait imposer des obligations financières à une province ou à ses représentants. On a déclaré, à la page 22 de l'arrêt, que l'imposition présumée aux municipalités de l'obligation prévue au paragraphe 20(2) de la Loi sur les jeunes délinquants
... n'est pas justifié[e] en l'absence d'un lien direct avec le pouvoir législatif fédéral en vertu de l'art. 91(27). [C'est moi qui souligne.]
Cela implique que, s'il y avait un «lien direct» avec le pouvoir législatif fédéral, de telles obligations pourraient alors être imposées aux municipalités et que ce ne serait pas le pouvoir exécutif fédéral qui serait tenu d'engager ces dépenses.
Il est également difficile de soutenir, sur le fondement des principes constitutionnels généraux, que le pouvoir exécutif fédéral doit automatiquement supporter le coût qu'entraîne l'application des lois fédérales. Ce pouvoir exécutif doit rendre compte de ses dépenses au Parlement, et, s'il n'a pas été autorisé par le Parlement à engager une dépense déterminée, il n'a ni le doit ni l'obligation légale et exécutoire de le faire. La Couronne n'est pas non plus responsable des mesures prises par le pouvoir législatif; le Parlement n'est nullement le mandataire ou le préposé de la Couronne. De plus, la doctrine de la suprématie du Parlement implique que les tribunaux ne peuvent pas obliger celui-ci à voter des affectations de crédits. Si le Parlement n'a ni prévu le paiement, sur le Fonds du revenu consolidé du gouvernement fédéral, des coûts qu'entraîne l'ap- plication de la loi ni validement imposé à d'autres l'obligation de supporter ces coûts, un tribunal ne pourra pas accorder une injonction obligatoire ou un mandamus pour enjoindre au Parlement de voter une affectation de crédits afin d'assurer l'application de sa loi. Toute obligation de ce genre est de nature politique, et non juridique. Il s'agit de principes fondamentaux de la Constitution anglaise qui sont apparus au 17' siècle et ont été garantis par le Bill of Rights, 1688, 1 Will. & Mary, 2' sess., chap. 2 (R.-U.). Nous en avons hérité par le libellé du préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5]
(mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1)] qui stipule que nous aurons une constitution »semblable dans son principe à celle du Royaume-Uni».
Toutefois, le juge de première instance a estimé que les principes constitutionnels susdits, qui ont imposé au Parlement une obligation «de nature politique et non juridique» de payer pour l'applica- tion adéquate des ses lois, ne s'appliquaient qu'à un État unitaire et que, dans un Etat fédéral, le résultat doit être différent (aux pages 119 121 de l'arrêt précité):
Ces principes constitutionnels fondamentaux élaborés dans un pays unitaire doivent toutefois s'appliquer dans le cadre d'un système fédéral et en tenant compte du principe reconnaissant le droit d'obtenir réparation en cas d'enrichissement sans cause. Même s'il n'existe aucun droit d'action contre le pouvoir exécutif fédéral pour réclamer les coûts que nécessite l'applica- tion des lois fédérales ou contre le pouvoir exécutif provincial pour réclamer les coûts qu'entraîne l'application des lois provin- ciales, il existe indiscutablement, dans un système fédéral, une obligation politique généralement reconnue en vertu de laquelle chaque ordre de gouvernement doit appliquer de façon efficace les lois adoptées par le pouvoir législatif. Dans le domaine du droit criminel, d'obligation du gouvernement fédéral est souli- gnée par la confirmation, dans l'arrêt Procureur général du Canada c. Transports Nationaux du Canada, Liée et autre, [1983] 2 R.C.S. 206, qui a été appliqué dans R. c. Wetmore et autres, [1983] 2 R.C.S. 284, du fait que la compétence confé- rée au Parlement par le paragraphe 91(27) de la Loi constitu- tionnelle de 1867 comprend le pouvoir d'assurer l'application du droit criminel. L'arrêt Peel c. MacKenzie, précité, montre cependant que, en assurant ainsi l'application du droit criminel, le Parlement ne peut pas, dans les circonstances dont il est ici question, déléguer à une province ou au représentant d'une province les obligations financières découlant de l'application de la loi si cette province ou son représentant n'assume pas volontairement ces obligations. Toutefois, si la demanderesse ne pouvait obtenir réparation en l'espèce, le Parlement l'aurait prévu en rédigeant les termes de sa loi invalide (paragraphe 20(2) de la Loi sur les jeunes délinquants) qui, depuis 1908, oblige les municipalités à payer ces coûts, et en se fondant sur le principe constitutionnel selon lequel le pouvoir exécutif fédé- ral n'a ni le droit ni l'obligation de verser une somme d'argent lorsque le Parlement n'a pas affecté de crédits à cette fin. Sur ce point, il est instructif d'examiner l'arrêt B.C. Power Corpo ration v. B.C. Electric Company, [1962] R.C.S. 642. Dans cette affaire, on attaquait la constitutionnalité d'une loi expro- priant les actions ordinaires de la British Columbia Electric Company Limited. La Couronne du chef de la province s'est opposée à la nomination d'un séquestre de la compagnie en attendant le règlement du litige, pour le motif qu'une telle ordonnance aurait eu un effet sur les biens ou les droits que possédait la Couronne dans la compagnie ainsi qu'il était prévu dans la loi contestée. La Cour suprême a confirmé qu'un tel séquestre pouvait être nommé pendant le procès et que l'immu- nité de la Couronne à l'égard des poursuites, qui existait alors généralement en Colombie-Britannique, ne pouvait pas être invoquée pour empêcher une ordonnance de ce genre. Aux
pages 644 et 645, le juge en chef Kerwin a déclaré, au nom de la Cour:
[TRADUCTION] À mon avis, dans un système fédératif l'autorité législative se divise, comme les prérogatives de la Couronne, entre le Dominion et les provinces, il n'est pas permis à la Couronne, du chef du Canada ou d'une province, de réclamer une immunité fondée sur un droit dans une certaine propriété, lorsque ce droit dépend entièrement et uniquement de la validité de la législation qu'elle a elle- même passée, s'il existe un doute raisonnable quant à la validité constitutionnelle de cette législation. Lui permettre d'agir ainsi serait lui permettre, par l'exercice de droits en vertu d'une législation qui excède ses pouvoirs, d'obtenir le même résultat que si cette législation était valide. Dans un système fédératif, il me semble qu'en pareille circonstance, le tribunal a la même compétence pour préserver des biens dont le titre dépend de la validité d'une législation que pour établir la validité de la législation elle-même.
Ces propos ont été cités et endossés dans l'arrêt Amax Potash Ltd. et autres c. Gouvernement de la Saskatchewan, précité, à la page 591. Le juge Dickson y a fait remarquer que, bien que l'affaire B.C. Electric porte sur des questions quelque peu différentes, l'affaire Amax
... semble régi[e] par les mêmes considérations. dans les deux cas, la préoccupation majeure est la sauvegarde de la Constitution. [C'est moi qui souligne.]
De même, si la Couronne du chef du Canada pouvait, en l'espèce, invoquer l'immunité à l'égard de toute demande en paiement des coûts imposés illégalement à la demanderesse par le pouvoir législatif du gouvernement fédéral, pour le motif que ce pouvoir législatif n'a accordé à la défenderesse aucune affectation de crédits ni aucune autorisation en vue d'effectuer de tels paiements, le gouvernement fédéral pourait alors accom- plir ce que la Constitution lui interdit de faire: c'est-à-dire imposer une charge financière à la municipalité demanderesse pour l'entretien des jeunes délinquants en vertu de la Loi sur les jeunes délinquants.
Le juge Strayer n'est pas allé jusqu'à statuer que le gouvernement fédéral est tenu, en principe, de payer les frais d'application de ses lois. Il a dit, dans l'arrêt précité, à la page 121:
... Il n'aurait peut-être pas été possible de poursuivre la partie défenderesse en premier lieu pour l'obliger à verser directement ces sommes.
Et plus directement, à la page 122:
... je ne suis pas disposé à affirmer que le pouvoir exécutif fédéral est, de façon automatique et en vertu de la loi, obligé de payer tous les coûts occasionnés par l'application des lois fédérales ... L'obligation de rembourser la demanderesse est plutôt une question de justice entre les deux parties.
C'est finalement, une réparation en cas d'enrichis- sement sans cause (arrêt précité, à la page 121):
... Mais lorsque la partie demanderesse les a versées les sommes en conformité avec une loi fédérale qui a finalement été jugée invalide, et pour respecter les objectifs de cette loi dûment adoptée par le Parlement, en ce qui concerne la partie
demanderesse et la partie défenderesse, il ne serait pas juste que ces frais soient supportés en fin de compte par la partie demanderesse et ils devraient être à la charge de la partie défenderesse.
En toute déférence, cela me semble équivaloir à ramener la quatrième condition relative à l'enri- chissement sans cause à la question de savoir laquelle des deux parties devrait le plus équitable- ment supporter les frais et, en même temps, à ne pas tenir compte de la troisième condition, à savoir si seulement la défenderesse/appelante avait une quelconque obligation légale. L'une des consé- quences évidentes d'une telle analyse est que la demanderesse/intimée peut bien acquérir le droit à un recouvrement à l'encontre des deux niveaux supérieurs de gouvernement. Ainsi que l'appelante l'a signalé dans sa plaidoirie, l'intimée prétend de façon identique dans chaque déclaration déposée à l'encontre des deux gouvernements que les paie- ments ont acquitté [TRADUCTION] aune obligation de la défenderesse» (Dossier d'appel, vol. 1 à la page 3 et vol. 5 à la page 74).
De fait, je crois que l'analyse du juge de pre- mière instance mène à la conclusion que, même dans un cadre fédéral, les principes constitution- nels ne créent pas pour le gouvernement fédéral l'obligation de payer les frais d'application des lois fédérales, et encore moins lorsque la constitution ne confère pas le pouvoir d'adopter la loi en ques tion. Comme l'a déclaré le juge Montgomery dans l'arrêt précité, à la page 304, rendu dans l'action que l'intimée a intentée contre la province:
[TRADUCTION] Ces versements acquittaient une obligation de la province. Étant donné l'inconstitutionnalité du paragraphe 20(2) de la Loi sur les jeunes délinquants adoptée par le gouvernement fédéral, c'est à la province qu'incombait l'obliga- tion de payer.
Dans sa déclaration déposée à l'encontre de la province, l'intimée elle-même a invoqué vingt-neuf lois provinciales en vertu desquelles, soutenait-elle, la province [TRADUCTION] «avait l'obligation de payer pour les mesures énoncées au paragraphe 29(1)» (Dossier d'appel, vol. 5 à la page 741 et aux pages 747 et 7486. Il ressort des négociations qui
6 Le pouvoir des provinces de conférer des pouvoirs aux tribunaux provinciaux sur les questions relatives aux jeunes a été reconnu dans Adoption Act, of Ontario, Reference re authority to perform functions vested by, [1938] R.C.S. 398 et Renvoi: Family Relations Act, [1982] 1 R.C.S. 62.
ont mené (Dossier d'appel, vol. 1 aux pages 108 à
133) une entente fédérale sur le partage des coûts avec l'Ontario relativement aux services de soin et d'assistance à l'intention des jeunes sous la garde des autorités correctionnelles ainsi que de l'entente elle-même du 29 avril 1975 (Dossier d'appel, vol. 3 aux pages 336 à 361) que le gouver- nement de l'Ontario était grandement conscient de sa compétence constitutionnelle et de plus il en ressort au moins l'hypothèse que le gouvernement fédéral est tenu à une obligation de nature politique.
À mon avis, les affaires B.C. Power Corporation v. B.C. Electric Company, [1962] R.C.S. 642 et Amax Potash Ltd. et autres c. Gouvernement de la Saskatchewan, [1977] 2 R.C.S. 576, mention- nées ci-dessus et citées par le juge de première instance, ne sont d'aucune aide pour l'intimée. Dans la première affaire, il a seulement été jugé que la Couronne ne peut pas repousser une ordon- nance judiciaire de mise sous séquestre visant à préserver les biens d'une entreprise en attendant qu'il soit statué sur la constitutionnalité d'une loi, simplement en invoquant l'immunité de la Cou- ronne à l'égard des biens auxquels s'attachait son droit uniquement en raison de la loi attaquée.
Dans l'affaire Amax, la question de fond portait sur la constitutionnalité d'un impôt levé par la province de la Saskatchewan à l'égard des person- nes s'adonnant à l'exploitation minière de la potasse. Dans une autre loi (le paragraphe 5(7) de The Proceedings against the Crown Act [R.S.S. 1965, chap. 87]), la province a essayé d'empêcher le recouvrement des sommes d'argent versées au gouvernement dans le cas la loi fiscale serait considérée comme inconstitutionnelle. Relative- ment à une demande interlocutoire au sujet de cet empêchement prévu par la loi, le juge Dickson a écrit au nom de la Cour (aux pages 590 et 592):
À mon avis, le par. 5(7) de The Proceedings against the Crown Act va beaucoup plus loin que de simplement accorder une immunité à la Couronne. Dans le présent contexte, il touche directement au droit de lever des impôts. Par consé- quent, il touche à la répartition des pouvoirs prévue à l'Acte de l'Amérique du Nord Britannique, 1867. Il soulève également la question du droit d'une province, ou même du Parlement fédéral, de violer la constitution canadienne. Il est évident que si le Parlement fédéral ou une législature provinciale peuvent imposer des impôts en outrepassant leurs pouvoirs et se donner à cet égard une immunité par le biais d'une loi existante ou ex post facto, ils pourraient ainsi se placer dans la même situation que s'ils avaient agi en vertu de leurs pouvoirs constitutionnels
respectifs. Refuser la restitution de revenus perçus sous la contrainte en vertu d'une loi ultra vires revient à permettre à la législature provinciale de faire indirectement ce qu'elle ne peut faire directement, et imposer des obligations illégales par des moyens détournés.
On peut résumer le principe régissant le présent pourvoi en ces termes: si une loi est déclarée ultra vires de la législature qui l'a adoptée, toute législation qui aurait pour effet d'attacher des conséquences juridiques aux actes accomplis en exécution de la loi invalide est également ultra vires puisqu'elle a trait à l'objet même de la première loi. Un État ne peut conserver par des mesures inconstitutionnelles ce qu'il ne peut prendre par de telles mesures.
Je ne puis trouver aucune analogie utile entre ces décisions et le présent litige. Dans les deux affaires B.C. Power et Amax, les gouvernements essayaient de se débrouiller seuls, pour ainsi dire, afin d'éviter même la question de la responsabilité. S'il devait seulement y avoir une quelconque ana- logie avec le présent litige, ce ne serait pas avec les actions interlocutoires sur lesquelles il a alors été statué mais avec les actions qui ont suivi quant au fond. Le juge Dickson a peut-être exprimé une opinion sur un aspect fondamental de la question de fond lorsqu'il a dit ci-dessus:
Refuser la restitution de revenus perçus sous la contrainte en vertu d'une loi ultra vires revient à permettre à la législature provinciale de faire indirectement ce qu'elle ne peut faire directement, et imposer des obligations illégales par des moyens détournés.
Vont dans le même sens l'arrêt Jacobs (George Porky) Enterprises Ltd. v. City of Regina, [ 1964] R.C.S. 326; 44 D.L.R. (2d) 179; l'arrêt Eadie, précité, et l'arrêt Air Can. v. B.C. (Govt.) [1986] 5 W.W.R. 385 (C.A.C.-B.) (bien qu'il n'ait pas été suivi dans l'arrêt Turigan et al. v. Alberta (1988), 90 A.R. 118 (C.A.).
Toutefois, à mon avis, les décisions concernant la réception plutôt que l'emploi d'une somme d'ar- gent ne sont d'aucune aide pour l'intimée. Dans le premier arrêt, un gouvernement a reçu un avan- tage financier évident auquel il n'avait pas droit, et il semble juste et équitable qu'il doive être con- traint de rendre de tels gains acquis illicitement. Dans le dernier arrêt, il se peut que le gouverne- ment ait retiré un avantage difficile à quantifier de l'emploi de fonds que cela a occasionné. Cela ne signifie pas que l'avantage que tire le public de l'application régulière de la loi ne devrait pas
peut-être dans certains cas être attribué au gouver- nement. Mais, s'il en est ainsi, les affaires concer- nant les avantages financiers obtenus directement par les gouvernements ne pourront pas servir de fondement à ce droit'.
Le facteur décisif en l'espèce, me semble-t-il, est que le gouvernement du Canada n'était nullement tenu par la loi de payer pour l'entretien des jeunes délinquants. Bien que sérieuse, l'obligation qui lui incombait à la suite de l'adoption de cette loi était de nature politique et a mené à l'entente de parti cipation aux frais conclue avec la province d'Onta- rio—comme le laisse entendre l'expression «parti- cipation aux frais», il ne s'agit pas d'une acceptation de la responsabilité entière—et la pro vince a payé à son tour certains des frais engagés par la municipalité. Dans des rapports intéressant trois parties, on ne peut pas imposer une obligation à l'une de deux seulement de ces parties pour le motif que, de ces deux-là, c'est elle qui a le moins d'intérêt. Cela ne veux pas dire que la province est nécessairement responsable envers l'intimée. C'est à une autre cour qu'il appartient de trancher cette question. Mais il faut affirmer que, bien que le gouvernement fédéral ait été grandement à l'ori- gine des frais encourus par l'intimée, on ne peut pas dire qu'il était responsable de ces frais en vertu de la loi. Il s'agit pour lui d'une responsabilité de nature politique, qu'il assume, le cas échéant, de bonne grâce.
L'appel doit donc être accueilli, le jugement de première instance être annulé et l'action de l'inti- mée être rejetée avec dépens en ce qui concerne les deux sections de la Cour.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE DESJARDINS: Depuis 1908 figurait dans les lois du Parlement du Canada une disposi tion, à savoir le paragraphe 20(1) de la Loi sur les jeunes délinquants 8 , S.R.C. 1970, chap. J-3, qui accordait à une cour de justice, lorsqu'il avait été
' Collins, dans l'arrêt précité, soutient qu'une norme spéciale s'applique aux fonctionnaires qui réclament illégalement de l'argent de leurs concitoyens.
8 Maintenant remplacée par la Loi sur les jeunes contreve- nants, S.C. 1980-81-82-83, chap. 110.
jugé que l'enfant était un jeune délinquant, le pouvoir discrétionnaire de prendre un certain nombre de mesures et notamment de placer l'en- fant dans différents foyers collectifs ou autres institutions similaires. En vertu du paragraphe 20(2) de la Loi, la Cour pouvait ordonner que les frais des placements de ce genre soient assumés par la municipalité à laquelle l'enfant appartenait. Pendant nombre d'années, cette disposition a été considérée comme valide en raison de la décision Attorney General of British Columbia v. Smith, [ 1967] R.C.S. 702.
En 1977, la municipalité régionale de Peel a contesté trois desdites ordonnances par lesquelles il lui avait été enjoint de payer à Viking Houses les frais d'entretien des jeunes placés dans ces institu tions. Les motifs invoqués étaient les suivants: (1) que le paragraphe 20(2) de la Loi ne relevait pas de la compétence législative du Parlement du Canada et (2) qu'aucune des dispositions du para- graphe 20(1) de la Loi ne permettait de placer des jeunes dans les foyers de Viking Houses. Les tribu- naux ont donné gain de cause à la municipalité quant au deuxième motif. La question constitu- tionnelle n'a donc pas été abordée (Re Peel (Regional Municipality of) et al. and Viking Houses (1977) 16 O.R. (2d) 632; 36 C.C.C. (2d) 137 (H.C. Ont.); confirmé (1977), 16 O.R. (2d) 765; 36 C.C.C. (2d) 337 (C.A. Ont.); sous l'in- titulé Procureur général de l'Ontario et autre c. Municipalité régionale de Peel, [ 1979] 2 R.C.S. 1134; 104 D.L.R. (3d) 1).
Par la suite, le jeune délinquant mentionné dans l'ordonnance rendue par la Cour suprême de l'On- tario a été ramené devant la Division de la famille de la Cour provinciale et, cette fois, on s'est con formé au paragraphe 20(1). La municipalité a alors interjeté appel pour des motifs d'ordre consti- tutionnel et a obtenu gain de cause (Re Regional Municipality of Peel and Viking Houses (non publié, 10 juillet 1978) (H.C. Ont.); confirmé par (1980), 113 D.L.R. (3d) 350 (C.A. Ont.); con firmé, sous l'intitulé Municipalité régionale de Peel c. MacKenzie et autre, par [1982] 2 R.C.S. 9; 139 D.L.R. (3d) 14).
L'erreur commise par le Parlement sur le plan constitutionnel a entraîné pour la municipalité de Peel des pertes de 1 166 814,22 $ au cours des ans. Peut-elle recouvrer cette somme de la Couronne du chef du Canada dans une action en recouvre- ment d'une somme d'argent?
On retrouve trois étapes distinctes dans les con clusions du juge de première instance. En premier lieu, il a traité des principes de la restitution et de leur extension par les tribunaux canadiens afin de les appliquer à une autorité publique dans le cas de frais engagés pour l'entretien d'un citoyen. En deuxième lieu, il a analysé le développement, dans le Royaume-Uni, des principes constitutionnels jouant entre le Parlement et la Couronne, pour le motif que la Constitution canadienne est «sembl- able dans son principe à celle du Royaume-Uni». Il a conclu que «[c]es principes constitutionnels fon- damentaux élaborés dans un pays unitaire doivent toutefois s'appliquer dans le cadre d'un système fédéral et en tenant compte du principe reconnais- sant le droit d'obtenir réparation en cas d'enri- chissement sans cause». Il a ajouté qu'au Canada, «il existe indiscutablement, dans un système fédér- al, une obligation politique généralement reconnue en vertu de laquelle chaque ordre de gouvernement doit appliquer de façon efficace les lois adoptées par le pouvoir législatif». Il a estimé que, «si la Couronne du chef du Canada pouvait, en l'espèce, invoquer l'immunité à l'égard de toute demande en paiement des coûts imposés illégalement à la demanderesse par le pouvoir législatif du gou- vernement fédéral, pour le motif que ce pouvoir législatif n'a accordé à la défenderesse aucune affectation de crédits ni aucune autorisation en vue d'effectuer de tels paiements, le gouvernement féd- éral pourrait alors accomplir ce que la Constitu tion lui interdit de faire: c'est-à-dire imposer une charge financière à la municipalité demanderesse pour l'entretien des jeunes délinquants en vertu de la Loi sur les jeunes délinquants». En troisième lieu, il a combiné les principes constitutionnels avec les principes de la restitution et a conclu que, «en ce qui concerne la partie demanderesse et la partie défenderesse, il ne serait pas juste que ces frais soient supportés en fin de compte par la partie demanderesse et ils devraient être à la charge de la partie défenderesse».
Bien que ces motifs de jugement constituent un remarquable raisonnement juridique, j'ai, avec égard, de la difficulté avec l'idée que l'on puisse joindre les deux principes.
Je crois que les arrêts B.C. Power Corporation v. B.C. Electric Company, [1962] R.C.S. 642 aux pages 644 et 645, et Amax Potash Ltd. et autres c.
Gouvernement de la Saskatchewan, [1977] 2 R.C.S. 576 à la page 591, se limitent à dire que, si la loi d'une législature est inconstitutionnelle, la Couronne de cette législature ne peut pas s'abriter sous une immunité afin de se soustraire à l'effet de l'inconstitutionnalité de cette loi. À la page 592 de l'arrêt Amax Potash Limited, le juge Dickson a dit au nom de la Cour:
... Un État ne peut conserver par des mesures inconstitution- nels ce qu'il ne peut prendre par de telles mesures.»
La suprématie de la Constitution comporte le pouvoir exercé traditionnellement par les cours de justice, d'annuler les lois inconstitutionnelles adop- tées par une législature. On peut faire remonter l'existence de ce pouvoir jusqu'à la Colonial Laws Validity 1865 (R.-U.), 28-29 Vict., chap. 63 9 . Ce pouvoir traditionnel ne va pas et n'est jamais allé jusqu'à permettre aux tribunaux d'étendre les prin- cipes de la restitution aux autorités publiques de façon à rendre la Couronne d'une législature res- ponsable d'une loi qui va au-delà de son pouvoir de légiférer. Cette «obligation politique généralement reconnue en vertu de laquelle chaque ordre de gouvernement doit appliquer de façon efficace les lois adoptées par le pouvoir législatif», que je reconnais, ne peut pas, à mon avis, être sanction- née par une cour de justice.
J'ai eu l'avantage de prendre connaissance du premier jet des motifs du juge Mahoney et de celui des motifs du juge MacGuigan.
Je souscris, quant au résultat, aux motifs expo- sés par le juge MacGuigan.
9 Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, Toronto: Carswell, 1977, la p. 14; François Chevrette et Herbert Marx, Droit constitutionnel: notes et jurisprudence (Montréal: presses
de l'Université de Montréal, 1982) la p. 166. Voir aussi le Statut de Westminster de /931, 22 Geo. V, chap. 4 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice 11, 26], art. 7(1) qui a été abrogé et remplacé par l'art. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de /982 sur le canada, 1982, chap. 11 (R.-U.); R. c. Big M Drug mart Ltd. et autre, [ 1985] 1 R.C.S. 295, la p. 312.
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