A-787-86
Sa Majesté la Reine du chef du Canada (appe-
lante) (défenderesse)
c.
La municipalité régionale de Peel (intimée)
(demanderesse)
RÉPERTORIÉ: PEEL (MUNICIPALITÉ RÉGIONALE) c. CANADA
Cour d'appel, juges Mahoney, MacGuigan et Des-
jardins—Toronto, 14 novembre; Ottawa, 19
décembre 1988.
Droit constitutionnel — Principes constitutionnels fonda-
mentaux — Sommes versées par une municipalité en confor-
mité avec des ordonnances judiciaires rendues en application
de l'art. 20(2) de la Loi sur les jeunes délinquants — L'art.
20(2) n'est pas valide — Le juge de première instance a conclu
que, selon un principe constitutionnel, le pouvoir exécutif
n'était pas tenu d'engager des frais en l'absence d'une affecta
tion de crédits mais que ce principe devait être appliqué dans
le cadre d'un système fédéral et que, compte tenu du principe
de la réparation en cas d'enrichissement sans cause, il ne serait
pas juste que la demanderesse supporte les frais Le juge de
première instance n'a pas tenu compte de ce que la défende-
resse devait avoir une obligation légale de payer, avant qu'il
n'accorde réparation pour enrichissement sans cause — Il
existe un principe constitutionnel selon lequel le gouvernement
fédéral n'est pas tenu de payer les frais d'application de ses
lois L'obligation du gouvernement fédéral relativement aux
délinquants est uniquement de nature politique.
Restitution — Sommes versées par une municipalité en
conformité avec des ordonnances judiciaires rendues en appli
cation de l'art. 20(2) de la Loi sur les jeunes délinquants Le
Parlement a outrepassé ses pouvoirs en adoptant l'art. 20(2)
Le juge de première instance a conclu que les sommes versées
étaient recouvrables car les principes du système de gouverne-
ment fédéral et de la réparation en cas d'enrichissement sans
cause se conjuguaient pour accorder à la municipalité le droit
d'être remboursée Dans sa décision, le juge de première
instance n'a pas tenu compte de ce que la défenderesse devait
avoir l'obligation légale d'effectuer les versements, avant qu'il
n'accorde réparation pour enrichissement sans cause — La
Cour ne peut pas étendre les principes de la restitution aux
autorités publiques de façon à rendre la Couronne responsable
d'une loi inconstitutionnelle.
Il s'agit d'un appel formé contre une décision par laquelle la
Division de première instance a jugé que l'intimée avait droit
au plein recouvrement des sommes d'argent versées pour l'en-
tretien de jeunes délinquants en conformité avec des ordonnan-
ces rendues par la Cour provinciale de l'Ontario en application
du paragraphe 20(2) de la Loi sur les jeunes délinquants. La
Cour suprême du Canada a trouvé la disposition inconstitution-
nelle dans la mesure où elle était censée imposer des obligations
aux municipalités. Le juge de première instance a conclu que
les sommes avaient été versées en conformité avec une loi
invalide et que, en ce qui concerne les deux parties en question,
il ne serait pas juste que ces frais soient supportés par la
demanderesse.
Arrêt (le juge Mahoney dissident): l'appel devrait être
accueilli.
Le juge MacGuigan: La décision du juge de première ins
tance ne tient pas compte de ce que l'appelante devait avoir
l'obligation légale d'effectuer les paiements, avant qu'il n'ac-
corde réparation pour enrichissement sans cause. Dans un
cadre fédéral, les principes constitutionnels ne créent pas pour
le gouvernement fédéral l'obligation de payer les frais d'appli-
cation de ses lois. De plus, on ne peut pas dire que le gouverne-
ment fédéral ait retiré un avantage financier direct des frais
dngagés par la municipalité. Bien que le gouvernement fédéral
ait été à l'origine de ces frais, il ne s'agissait pour lui que d'une
responsabilité de nature politique.
Le juge Desjardins (motifs concourants): Le pouvoir, exercé
traditionnellement par la Cour, d'annuler les lois inconstitution-
nelles ne lui permettait pas d'étendre les principes de la restitu
tion aux autorités publiques de façon à rendre la Couronne
responsable d'une loi qu'une législature n'avait pas le pouvoir
d'adopter.
Le juge Mahoney (dissident): Le principe constitutionnel
anglais selon lequel la Couronne n'est pas tenue de payer les
frais d'application de ses lois en l'absence d'une affectation de
crédits convient bien à un pays unitaire, mais il doit être adapté
aux exigences de la constitution fédérale du Canada. L'affaire
porte principalement sur l'application effective de la constitu
tion. Il n'y a aucune erreur à exiger que le gouvernement
fédéral supporte les frais d'entretien de jeunes délinquants sans
regarder si le gouvernement avait une quelconque obligation
légale d'acquitter ces frais.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Colonial Laws Validity Act, 1865 (R.-U.), 28-29 Vict.,
chap. 63.
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur
le Canada, 1982, chap. 1 I (R.-U.), art. 52(1).
Loi sur les jeunes contrevenants, S.C. 1980-81-82-83,
chap. 110.
Loi sur les jeunes délinquants, S.R.C. 1970, chap. J-3,
art. 20(1),(2).
Statut de Westminster de 1931, 22 Geo. V, chap. 4
(R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 26], art. 7(1).
The Proceedings against the Crown Act, R.S.S. 1965,
chap. 87, art. 5(7).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Kiriri Cotton Co. Ltd. v. Dewani, [1960] A.C. 192;
[1960] I All E.R. 177 (C.A.); Eadie v. The Township of
Brantford, [1967] R.C.S. 573; 63 D.L.R. (2d) 561.
DÉCISION RENVERSÉE:
Peel (Municipalité régionale) c. Canada, [1987] 3 C.F.
103 (I'° inst.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
B.C. Power Corporation v. B.C. Electric Company,
[1962] R.C.S. 642; Amax Potash Ltd. et autres c. Gou-
vernement de la Saskatchewan, [1977] 2 R.C.S. 576;
Jacobs (George Porky) Enterprises Ltd. v. City of
Regina, [1964] R.C.S. 326; 44 D.L.R. (2d) 179; Air Can.
v. B.C. (Govt.), [1986] 5 W.W.R. 385 (C.A.C.-B.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Reference re liability of province of Nova Scotia for
expenses incurred in calling out troops in aid of the civil
power in Cape Breton, [1930] R.C.S. 554; [1930] 4
D.L.R. 82; Peel (Regional Municipality) v. Ontario
(1988), 64 O.R. (2d) 298 (H.C.); Moses v. Macferlan
(1760), 97 E.R. 676; 2 Burr. 1005 (K.B.); Fibrosa
Spolka Akcyjna v. Fairbairn, Lawson, Combe Barbour,
Ld., [1943] A.C. 32 (H.L.); Hydro Electric Commission
of Nepean c. Ontario Hydro, [1982] 1 R.C.S. 347; 132
D.L.R. (3d) 193.
DÉCISIONS CITÉES:
Municipalité régionale de Peel c. MacKenzie et autre,
[1982] 2 R.C.S. 9; 139 D.L.R. (3d) 14; Re Peel (Region-
al Municipality of) et al. and Viking Houses (1977), 16
O.R. (2d) 632; 36 C.C.C. (2d) 137 (H.C. Ont.); con
firmé, par (1977), 16 O.R. (2d) 765; 36 C.C.C. (2d) 337
(C.A. Ont.); confirmé sous l'intitulé Procureur général de
l'Ontario et autre c. Municipalité régionale de Peel, par
[1979] 2 R.C.S. 1134; 104 D.L.R. (3d) 1; Re Regional
Municipality of Peel and Viking Houses (10 juillet 1978
(H.C. Ont.), non publié; confirmé par (1980), 113 D.L.R.
(3d) 350 (C.A. Ont.); Brook's Wharf and Bull Wharf,
Ld. v. Goodman Brothers, [1937] I K.B. 534; [1936] 3
All E.R. 696 (C.A.); Deglman v. Constantineau, [1954]
R.C.S. 725; [1954] 3 D.L.R. 785; Reading v. Attorney-
General, [1951] A.C. 507 (H.L.); Pettitt v. Pettitt,
[1970] A.C. 777 (H.L.); Carleton, County of v. City of
Ottawa, [1965] R.C.S. 663; 52 D.L.R. (2d) 220; More
(James) & Sons Ltd. v. University of Ottawa (1974), 49
D.L.R. (3d) 666 (H.C. Ont.); Pettkus c. Becker, [1980]
2 R.C.S. 834; 117 D.L.R. (3d) 257; Sorochan c. Soro-
chan, [1986] 2 R.C.S. 38; 2 R.F.L. (3d) 225; Adoption
Act, of Ontario, Reference re authority to perform func
tions vested by, [1938] R.C.S. 398; Renvoi: Family
Relations Act, [1982] 1 R.C.S. 62; Turigan et al. v.
Alberta (1988), 90 A.R. 118 (C.A.); Attorney General of
British Columbia v. Smith, [1967] R.C.S. 702; R. c. Big
M Drug Mart Ltd. et autre, [1985] 1 R.C.S. 295.
DOCTRINE
McCamus, John D. "Restitutionary Recovery of Moneys
Paid to a Public Authority under a Mistake of Law:
Ignorantia Juris in the Supreme Court of Canada"
(1983), 17 U.B.C. L. Rev. 233.
Collins, Ronald D. "Restitution from Government Offi
cials" (1984), 29 McGill L.J. 407.
Gautreau, Q.C., J. R. Maurice "Developments in the
Law of Restitution" (1985), 5 Advocates' Q. 419.
Fridman, G.H.L. et McLeod, James G., Restitution,
Toronto: Carswell, 1982.
Hogg, Peter W., Constitutional Law of Canada, Toronto:
Carswell, 1977.
Chevrette, François et Marx, Herbert, Droit constitu-
tionnel: notes et jurisprudence, Montréal: Presses de
l'Université de Montréal, 1982.
AVOCATS:
Paul J. Evraire pour l'appelante (défende-
resse).
J. E. Sexton, c.r. et B. G. Morgan pour
l'intimée (demanderesse).
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelante (défenderesse).
Osier, Hoskin & Harcourt, Toronto, pour
l'intimée (demanderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY (dissident): Il s'agit d'un
appel formé contre un jugement rendu en Division
de première instance, [1987] 3 C.F. 103, qui a
statué que la municipalité intimée avait le droit de
recouvrer du Canada la somme de 1 166 814,22 $
et les dépens. C'est le montant net qu'elle avait
versé à des tiers en conformité avec des ordon-
nances judiciaires rendues en application du para-
graphe 20(2) de la Loi sur les jeunes délinquants,
S.R.C. 1970, chap. J-3. Le paragraphe 20(2) a été
jugé inconstitutionnel dans la mesure où il était
censé imposer des obligations aux municipalités,
Municipalité régionale de Peel c. MacKenzie et
autre, [1982] 2 R.S.C. 9; 139 D.L.R. (3d) 14.
J'ai eu l'avantage de prendre connaissance du
premier jet des motifs de jugement de mes collè-
gues en l'espèce et je me trouve respectueusement
en désaccord avec eux. À mon avis, le juge de
première instance aurait pu conclure que [à la
page 121], «en ce qui concerne la [municipalité] et
[le Canada], il ne serait pas juste que ces frais
soient supportés en fin de compte par la [munici-
palité] et ils devraient être à la charge du
[Canada]» et, à la suite de cette conclusion, rendre
le jugement qu'il a rendu.
Je me borne à adopter les motifs de jugement
ci-dessous. Selon le principe constitutionnel éla-
boré en Grande-Bretagne, qui est un pays unitaire,
en l'absence d'affectation de crédits par le Parle-
ment, la Couronne n'est pas tenue par la loi de
payer les frais d'application des lois adoptées par le
Parlement. Je suis d'accord avec le juge de pre-
mière instance pour dire que ce principe doit être
adapté au Canada aux exigences de notre constitu
tion fédérale. Ainsi qu'il l'a dit, à la page 121:
Si la Couronne du chef du Canada pouvait, en l'espèce, invo-
quer l'immunité à l'égard de toute demande en paiement des
coûts imposés illégalement à la demanderesse par le pouvoir
législatif du gouvernement fédéral, pour le motif que ce pouvoir
législatif n'a accordé à la défenderesse aucune affectation de
crédits ni aucune autorisation en vue d'effectuer de tels paie-
ments, le gouvernement fédéral pourrait alors accomplir ce que
la Constitution lui interdit de faire: c'est-à-dire imposer une
charge financière à la municipalité demanderesse pour l'entreti-
en des jeunes délinquants en vertu de la Loi sur les jeunes
délinquants.
À mon humble avis, la présente affaire porte prin-
cipalement sur l'application effective de la Consti
tution du Canada—«la loi suprême du Canada». Je
ne conçois pas que cela puisse faire l'objet d'une
décision de bonne grâce. Les principes de la resti
tution fondée sur l'enrichissement sans cause peu-
vent avoir tout au plus une application analogue.
Je ne perçois aucune erreur à exiger que le Canada
supporte les frais sans regarder si le Canada aurait
été tenu légalement de s'acquitter de l'obligation si
le Parlement ne l'avait pas, inconstitutionnelle-
ment, imposée à la municipalité d'une manière
qu'elle ne pouvait pas éviter.
L'Ontario n'est pas assujettie à la compétence
de notre cour. Le juge de première instance n'a pas
été invité à examiner si cette province, plus que le
Canada, était redevable à la municipalité. Les
réclamations faites simultanément à l'encontre du
Canada et de l'Ontario ne pourraient être exami
nées ensemble que par la Cour suprême du
Canada. Le fait que d'autres tribunaux prennent
les réclamations en considération donnerait plein
crédit, à mon avis, à la conviction qu'on ne tente
pas d'obtenir une double indemnisation.
Je rejetterais l'appel avec dépens. Un sursis
supplémentaire à l'exécution de son jugement
devrait être demandé en Division de première
instance.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN: Il s'agit d'un appel
formé contre un jugement rendu par le juge
Strayer en Division de première instance et publié
sous l'intitulé Peel Municipalité régionale c.
Canada, [1987] 3 C.F. 103, dans une action en
recouvrement d'une somme d'argent versée par
l'intimée pour l'entretien de jeunes délinquants en
conformité avec des ordonnances rendues par la
Cour provinciale de l'Ontario en application du
paragraphe 20(2) de la Loi sur les jeunes délin-
quants, S.R.C. 1970, chap. J-3 (la Loi)'. L'action
a pris naissance à la suite de la décision rendue par
la Cour suprême du Canada dans Municipalité
régionale de Peel c. MacKenzie et autre, [ 1982] 2
R.C.S. 9; 139 D.L.R. (3d) 14, selon laquelle ce
paragraphe est inconstitutionnel 2 .
Le paragraphe 20(1) de la Loi autorisait un
tribunal à imposer n'importe laquelle de neuf
mesures lorsqu'il avait été jugé que l'enfant était
un jeune délinquant, et le paragraphe (2), qui
figurait dans la Loi depuis 1908, prévoyait ce qui
suit:
(2) Dans chacun de ces cas, la cour est autorisée à rendre un
ordre enjoignant aux père et mère de l'enfant ou au père ou à la
mère ou à la municipalité à laquelle il appartient, de verser
pour son entretien telle somme que la cour peut déterminer, et
lorsque cet ordre est donné à la municipalité, cette dernière
peut à l'occasion recouvrer des père et mère ou du père ou de la
mère de l'enfant la somme ou les sommes qu'elle a versées en
exécution de cet ordre.
Après avoir cité l'arrêt Reference re liability of
province of Nova Scotia for expenses incurred in
calling out troops in aid of the civil power in Cape
Breton, [1930] R.C.S 554; [1930] 4 D.L.R. 82,
' La Loi sur les jeunes délinquants a été remplacée depuis
par la Loi sur les jeunes contrevenants, S.C. 1980-81-82-83,
chap. 110.
2 La municipalité a dü se rendre par deux fois jusqu'à la
Cour suprême pour obtenir cette interprétation relativement à
la Constitution: Re Peel (Regional Municipality of) et al. and
Viking Houses (1977), 16 O.R. (2d) 632; 36 C.C.C. (2d) 137
(H.C. Ont.); confirmé par (1977), 16 O.R. (2d) 765; 36 C.C.C.
(2d) 337 (C.A. Ont.); confirmé par [1979] 2 R.C.S. 1134; 104
D.L.R. (3d) 1; sous l'intitulé Procureur général de l'Ontario et
Viking Houses c. Municipalité régionale de Peel (1979), 104
D.L.R. (3d) 1 (C.S.C.); Re Regional Municipality of Peel and
Viking Houses (10 juillet 1978) (H.C. Ont.) [non publié]
confirmé en 1980 par 113 D.L.R. (3d) 350 (C.A. Ont.) et enfin
comme il est mentionné ci-dessus (C.S.C.).
dans lequel la Cour suprême avait statué que le
Parlement ne pouvait pas imposer à une province
l'obligation de payer les frais imputables à une
réquisition demandant à la milice active de prêter
main-forte aux autorités civiles, le juge Martland a
écrit au nom de tous les juges de la Cour, à la page
22 R.C.S. et aux pages 24 et 25 D.L.R.:
Si le Parlement du Canada ne peut imposer à une province
une obligation de payer des dépenses sans qu'elle y consente, je
suis d'avis qu'il ne peut pas plus, sans l'intervention de la
province, imposer une obligation semblable aux institutions
municipales que la province a créées conformément à l'art.
92(8) de cet Acte [la Loi constitutionnelle de 1867].
À mon avis, le Parlement du Canada n'avait pas le pouvoir
d'adopter le par. 20(2) dans la mesure où il s'applique aux
municipalités. Il ne s'agit pas d'une disposition relative au droit
criminel ou à la procédure criminelle, et cette disposition n'est
pas vraiment nécessaire à l'exercice efficace de l'autorité légis-
lative du Parlement dans ces domaines. Dans la mesure où elles
se rapportent aux municipalités, les dispositions du par. 20(2)
constituent un texte législatif qui touche aux droits civils des
municipalités qui sont, elles-mêmes, créées par les législatures
des provinces et assujetties au contrôle législatif de ces derniè-
res. L'article 92(8) de la Loi constitutionnelle de 1867 a donné
aux provinces le droit exclusif de faire des lois relatives aux
«institutions municipales dans la province». C'est conformément
à ce pouvoir que les provinces créent des institutions municipa-
les. Le paragraphe 20(2) a pour effet de modifier le rôle des
institutions municipales, pas nécessairement quant aux seules
questions financières mais également à l'égard de leurs obliga
tions envers les personnes qui se trouvent sur leur territoire.
C'est là une modification indirecte des lois provinciales relatives
aux municipalités. Ce paragraphe n'est pas justifié en l'absence
d'un lien direct avec le pouvoir législatif fédéral en vertu de
l'art. 91(27). Il n'y a pas de lien direct entre la municipalité «à
laquelle il [l'enfant] appartient» et la question de la criminalité
de l'enfant. L'obligation que la Loi cherche à imposer à la
municipalité se présente uniquement une fois les procédures
criminelles complétées et la sentence imposée.
L'intimée a été constituée en municipalité régio-
nale en 1973 et a commencé à fonctionner comme
telle le l er janvier 1974. Elle tente de recouvrer la
somme de 1 166 814,22 $ 3 versée à des foyers
collectifs, à des institutions et à des particuliers en
conformité avec les ordonnances rendues en
application du paragraphe 20(2), entre le 1»r
janvier 1974 et le 22 juillet 1982 environ, date du
jugement de la Cour suprême établissant
l'inconstitutionnalité de ce paragraphe.
3 C'était le montant net des frais après déduction des
subventions accordées par la province d'Ontario.
Le juge de première instance a constaté que
l'intimée a effectué ces paiements sous l'effet de la
contrainte, car l'omission de payer ainsi que
l'ordonnait la Cour l'aurait exposée à des
poursuites pour outrage au tribunal.
Après avoir examiné tant les principes
constitutionnels que les principes de la restitution,
le juge Strayer a conclu (arrêt précité, à la page
121):
C'est à ce moment-ci que les règles applicables au système
fédéral et le principe de la réparation en cas d'enrichissement
sans cause se conjuguent de manière à obliger la partie
défenderesse à rembourser la partie demanderesse des frais
engagés par celle-ci pour se conformer à la loi invalide. Il
n'aurait peut-être pas été possible de poursuivre la partie
défenderesse en premier lieu pour l'obliger à verser directement
ces sommes. Mais lorsque la partie demanderesse les a versées
en conformité avec une loi fédérale qui a finalement été jugée
invalide, et pour respecter les objectifs de cette loi dûment
adoptée par le Parlement, en ce qui concerne la partie
demanderesse et la partie défenderesse, il ne serait pas juste
que ces frais soient supportés en fin de compte par la partie
demanderesse et ils devraient être à la charge de la partie
défenderesse.
L'intimée a également obtenu gain de cause en
première instance dans son action en recouvrement
de la même somme de 1 166 814,22 $ contre la
province d'Ontario: Peel (Regional Municipality)
v. Ontario (1988), 64 O.R. (2d) 298 (H.C.). Le
juge Montgomery a alors fait une observation (à la
page 299) sur le chevauchement des actions:
[TRADUCTION] En raison des limites relatives à la compé-
tence des tribunaux, l'action dirigée contre le gouvernement
fédéral a dû être intentée en Cour fédérale. Il est malheureux
qu'en vertu de la loi actuelle, il faille s'adresser à deux niveaux
distincts en première instance et à deux niveaux distincts en
appel avant que puisse être examinée la question de la respon-
sabilité financière entre les deux niveaux supérieurs de
gouvernement.
J'ai eu l'avantage de lire la décision rendue le 27 novembre
1986 en Division de première instance de la Cour fédérale par
M. le juge Strayer ... Le jugement a alors été rendu en faveur
de la municipalité. Il a été sursis à ce jugement en attendant
que la Cour d'appel fédérale statue sur un appel. Aucune
somme d'argent n'a été versée à la municipalité en vertu de ce
jugement. L'avocat de la municipalité s'est engagé à ce que
celle-ci ne tente de percevoir qu'une fois le montant qu'elle
réclame.
Il a conclu plus loin (à la page 304) que juge-
ment devrait être rendu contre la province:
[TRADUCTION] Pour établir son droit au recouvrement, la
municipalité demanderesse:
(1) doit démontrer qu'elle était contrainte par la loi d'effectuer
le versement;
(2) ne doit pas effectuer étourdiment le versement lorsqu'il n'y
a pas de raison de le faire;
(3) doit s'être acquittée d'une obligation de la défenderesse, et
(4) doit convaincre le tribunal qu'en ce qui concerne les par
ties, la province défenderesse était la première responsable.
En l'espèce, les versements n'ont pas été effectués étourdi-
ment. Ils ont été faits sous protêt à la suite d'ordonnances
judiciaires. Ces versements acquittaient une obligation de la
province. Étant donné l'inconstitutionnalité du paragraphe
20(2) de la Loi sur les jeunes délinquants, c'est à la province
qu'incombait l'obligation de payer.
La municipalité m'a convaincu qu'en ce qui concerne les
parties, la province est la première responsable. En outre, à
mon avis, les obligations financières incombent toutes à la
municipalité. Selon de nombreuses lois de l'Ontario, les frais
concernant le bien-être des enfants sont, en grande partie, payés
par la province.
Nous avons appris que cette décision fait l'objet
d'un appel devant la Cour d'appel de l'Ontario.
Les deux affaires ne se rejoindront que si elles se
rendent en Cour suprême du Canada.
Les parties sont d'accord sur le fait que le droit
applicable est "le principe de la restitution qu'on
peut invoquer à l'encontre de ce qui constituerait
autrement un enrichissement sans cause" 4 . Elles
sont également d'accord même sur les éléments du
droit, qu'on pourrait dire être les suivants.
Le principe de la restitution semble avoir été
formulé à l'origine par lord Mansfield dans plu-
sieurs décisions rendues de 1760 1780. À titre
d'exemple, dans l'arrêt Moses v. Macferlan
(1760), 97 E.R. 676, la page 680; 2 Burr. 1005
(K.B.), à la page 1012, il en a parlé comme étant
[TRADUCTION] "ce genre d'action reconnue en
equity, en vue de recouvrer de l'argent, qui, pour
être juste, ne doit pas être gardé ... Elle n'existe
que pour l'argent que, d'après ce qui est bon et
équitable, le défendeur doit rembourser." Le prin-
cipe a été réformé à une époque récente par lord
Wright dans l'arrêt Brook's Wharf and Bull
Wharf Ld. v. Goodman Brothers, [1937] 1 K.B.
534; [1936] 3 All E.R. 696 (C.A.) et dans l'arrêt
Fibrosa Spolka Akcyjna v. Fairbairn, Lawson,
Combe Barbour, Ld., [1943] A.C. 32 (H.L.). Dans
cette dernière affaire, lord Wright a déclaré, à la
page 61:
[TRADUCTION] Il est clair que tout système de droit civilisé se
doit de prévoir des recours pour ces situations qualifiées d'envi-
' L'expression a été utilisée par le juge Rand dans l'arrêt
Deglman v. Constantineau, [1954] R.C.S. 725, la p. 728;
[1954] 3 D.L.R. 785, la p. 788.
chissement ou d'avantage sans cause, c'est-à-dire empêcher une
personne de garder l'argent ou de conserver un avantage qu'elle
a reçu d'une autre personne et qu'il serait moralement inaccep-
table de garder ou de conserver. Ces recours en droit anglais
sont génériquement différents de ceux qui sont propres aux
contrats ou aux délits, et ils appartiennent maintenant à une
troisième catégorie du common law appelée quasi-contrat ou
restitution ... Le paiement d'une somme d'argent en raison
d'une erreur de fait ne constitue qu'une rubrique de cette
catégorie du droit. Il s'agit d'une autre catégorie lorsque,
comme en l'espèce, il y a versement d'un acompte sur une
somme d'argent à payer en contrepartie de l'exécution d'un
contrat qui, en réalité, avorte et n'est pas exécuté, de sorte que
la somme d'argent ne devient jamais due.
Et de nouveau, en commentant l'opinion émise par
lord Mansfield dans l'arrêt Moses v. Macferlan,
précité, il dit, à la page 62:
[TRADUCTION] Cette obligation est une création du droit tout
autant qu'une obligation découlant d'un délit. Cette obligation
appartient à une troisième catégorie, distincte de la première
propre aux contrats et de la deuxième propre aux délits,
quoiqu'elle se rapproche davantage de la première catégorie
que de la deuxième. Cette déclaration de lord Mansfield fut à
la base de la théorie moderne des quasi-contrats ...
Malgré ces déclarations générales, il semble que
le principe se limite en droit anglais surtout aux
cas où une personne qui a versé une somme d'ar-
gent intente une action en justice pour la recou-
vrer: Reading v. Attorney -General, [1951] A.C.
507 (H.L.) aux pages 513 et 514, motifs de lord
Porter; Pettitt v. Pettitt, [1970] A.C. 777 (H.L.), à
la page 795, motifs de lord Reid.
Au Canada, le principe de la restitution a été
beaucoup appliqué en ce sens: Carleton, County of
v. City of Ottawa, [1965] R.C.S. 663; 52 D.L.R.
(2d) 220; More (James) & Sons Ltd. v. University
of Ottawa (1974), 49 D.L.R. (3d) 666 (H.C.
Ont.), motifs du juge Morden; Delgman v. Cons-
tantineau, précité, (pour services rendus). Il a
également été appliqué dans un contexte plus large
sous sa forme de l'enrichissement sans cause: Pett-
kus c. Becker, [1980] 2 R.C.S. 834; 117 D.L.R.
(3d) 257; Sorochan c. Sorochan, [ 1986] 2 R.C.S.
38; 2 R.F.L. (3d) 225.
Toutefois, bien que les sommes d'argent versées
en raison d'une erreur de fait puissent être recou-
vrées en vertu du droit de la restitution, la règle
générale selon laquelle les sommes d'argent versées
en raison d'une erreur de droit ne peuvent pas être
recouvrées subsiste au Canada, malgré son aboli
tion par la loi dans beaucoup de provinces de
common law, malgré l'importante dissidence du
juge Dickson (à laquelle a souscrit le juge en chef
Laskin) dans l'arrêt Hydro Electric Commission
of Nepean c. Ontario Hydro, [1982] 1 R.C.S. 347;
132 D.L.R. (3d) 193, et malgré la réprobation des
auteurs'. Le juge Estey en formule ainsi la raison
dans l'affaire Nepean au nom de la majorité juges
(à la. page 412 R.C.S. et à la page 243 D.L.R.):
A mon avis, la jurisprudence, tant ancienne que contempo-
raine, relative aux cas où seule l'erreur de droit est présenté, se
fonde sur le bon sens et des considérations pratiques. En
matière de commerce et d'affaires publiques comme c'est le cas
en l'espèce, la certitude est un élément essentiel du bien-être de
la collectivité. Si on la compare à la règle applicable à l'erreur
de fait, la règle plus stricte applicable à l'erreur de droit émane
du besoin de cette sécurité et de l'assurance qui s'ensuit qu'il
n'y aura pas de rupture intempestive d'opérations conclues
antérieurement. L'erreur de fait se restreint, bien sûr, aux
parties et n'a pas de conséquences in rem; on est donc plus
libéral à son égard. En tout état de cause, les parties en l'espèce
n'ont fait ressortir, dans leur analyse du droit, aucun argument
justifiant le fusionnement des principes applicables aux catégo-
ries d'erreurs et, en fait, la sagesse inhérente à la jurisprudence
plaide en faveur du maintien de cette vieille distinction.
Néanmoins, cette restriction au sujet du principe
de la restitution ou de l'enrichissement sans cause
n'a pas d'incidence sur la présente affaire en raison
des exceptions admises quant à la restriction. Dans
l'arrêt Kiriri Cotton Co. Ltd. v. Dewani, [ 1960]
A.C. 192, la page 204; [1960] 1 All E.R. 177
(C.A.), à la page 181, lord Denning a affirmé ce
qui suit:
[TRADUCTION] Il n'est pas exact non plus de dire qu'on ne peut
jamais recouvrer une somme payée en raison d'une erreur de
droit. En réalité, on prétend qu'une somme payée en raison
d'une erreur de droit seulement, sans plus, ne peut être recou-
vrée ... S'il y a plus qu'une erreur de droit (s'il ressort de la
conduite du défendeur que c'est lui qui est le premier responsa-
ble de l'erreur), alors la somme peut être recouvrée. Ainsi, si
entre eux, l'obligation d'observer la loi incombe à l'un plutôt
qu'à l'autre—l'obligation étant imposée pour la protection de
l'autre—ils ne sont pas alors parties à un acte illégal et la
somme peut être recouvrée ... De même, si la responsabilité de
l'erreur incombe plus à l'un qu'à l'autre (parce qu'il a induit
l'autre en erreur alors qu'il aurait dû être plus prudent), encore
là ils ne sont pas parties à un acte illégal et la somme peut être
recouvrée.
5 John D. McCamus, "Restitutionary Recovery of Moneys
Paid to a Public Authority under a Mistake of Law: Ignorantia
Juris in the Supreme Court of Canada" (1983), 17 U.B.C. L.
Rev. 233; Ronald D. Collins, "Restitution from Government
Officials" (1984), 29 McGill L.J. 407; J. R. Maurice Gautreau,
Q.C. "Developments in the Law of Restitution" (1985) 5
Advocates' Q. 419.
Par conséquent, il existe une exception fondamen-
tale à la restriction, qui a été énoncée dans l'arrêt
Eadie v. The Township of Brantford, [1967]
R.C.S. 573; 63 D.L.R. (2d) 561 et reconnue
comme telle par le juge Estey dans l'arrêt Nepean,
lorsque les sommes d'argent en question ont été
versées sous l'effet de la contrainte, même d'une
contrainte véritable imposée par la loi. En l'espèce,
l'appelante a admis dans sa plaidoirie devant nous
que, étant donné les ordonnances de la Cour pro-
vinciale, les sommes d'argent ont été versées sous
l'effet de la contrainte.
Dans leur exposé des faits et du droit, les deux
parties ont cité l'ouvrage intitulé Restitution, de
Fridman et McLeod (Toronto: The Carswell Com
pany Limited, 1982) aux pages 347 et 348 au sujet
des quatre conditions qu'un appelant doit respecter
pour avoir droit au recouvrement des sommes d'ar-
gent engagées (qui sont essentiellement les quatre
conditions invoquées par le juge Montgomery,
ci-dessus, dans la poursuite contre la Couronne
provinciale):
[TRADUCTION] (1) qu'il a été contraint par la loi d'effectuer le
versement ou pouvait être contraint de ce faire à l'époque du
versement;
(2) qu'il ne s'est pas placé avec empressement dans une situa
tion qui l'obligeait à effectuer le versement;
(3) que le versement a acquitté une obligation du défendeur
jusqu'à concurrence de la somme demandée en recouvre-
ment;
(4) qu'en ce qui concerne le demandeur et le défendeur,
celui-ci était le premier responsable.
L'appelante a reconnu dans sa plaidoirie qu'il avait
été satisfait aux deux premières conditions et elle a
proposé que les troisième et quatrième conditions
soient examinées ensemble. Je serais d'accord,
dans le sens que toute responsabilité plus grande
de l'appelante en ce qui concerne les parties ne
pourrait être pertinente que dans la mesure où
l'appelante avait l'obligation légale de faire les
versements effectués par l'intimée. En d'autres
mots, la troisième condition constitue le coeur du
problème.
Cela a été reconnu par le juge de première
instance, qui le premier a soulevé et, me semble-
t-il, a indiqué correctement les principes constitu-
tionnels applicables, dans l'arrêt précité, aux
pages 117 119:
L'une des questions capitales est de savoir si on peut affirmer
que la défenderesse, qui représente le pouvoir exécutif fédéral, a
reçu un avantage, soit de façon générale soit en exécution de
son obligation légale, torque la municipalité régionale de Peel a
payé les frais d'entretien de jeunes délinquants en conformité
avec une loi fédérale invalide. Je ne puis conclure que, au sens
strict, le pouvoir exécutif fédéral est automatiquement assujetti
à une obligation légale et exécutoire de payer les frais d'appli-
cation de toute loi adoptée par le Parlement, même lorsqu'il
s'agit de lois valides. Aucune jurisprudence n'a été invoquée à
l'appui d'une telle proposition: l'expérience et des raisons de
principe permettent même de penser le contraire.
Il est évident, par exemple, que le Parlement impose souvent
à des particuliers et à des sociétés des obligations qui les forcent
à dépenser leurs propres deniers pour se conformer à la loi.
Dans ces cas-là, le pouvoir exécutif n'a aucune obligation, sauf
peut-être celle de veiller au respect de la loi. Il est également
évident que les provinces dépensent collectivement des centai-
nes de millions de dollars aux fins de l'application du Code
criminel fédéral [S.R.C. 1970, chap. C-34] ou de la Loi sur les
jeunes délinquants et de celle qui l'a remplacée. On peut
soutenir que ces dépenses provinciales peuvent être considérées
comme volontaires, bien qu'il me semble ressortir de l'arrêt de
la Cour suprême du Canada dans Municipalité régionale de
Peel c. MacKenzie et autre, [[1982] 2 R.C.S. 9], qu'une
disposition fédérale faisant dûment partie du «droit criminel»
pourrait imposer des obligations financières à une province ou à
ses représentants. On a déclaré, à la page 22 de l'arrêt, que
l'imposition présumée aux municipalités de l'obligation prévue
au paragraphe 20(2) de la Loi sur les jeunes délinquants
... n'est pas justifié[e] en l'absence d'un lien direct avec le
pouvoir législatif fédéral en vertu de l'art. 91(27). [C'est moi
qui souligne.]
Cela implique que, s'il y avait un «lien direct» avec le pouvoir
législatif fédéral, de telles obligations pourraient alors être
imposées aux municipalités et que ce ne serait pas le pouvoir
exécutif fédéral qui serait tenu d'engager ces dépenses.
Il est également difficile de soutenir, sur le fondement des
principes constitutionnels généraux, que le pouvoir exécutif
fédéral doit automatiquement supporter le coût qu'entraîne
l'application des lois fédérales. Ce pouvoir exécutif doit rendre
compte de ses dépenses au Parlement, et, s'il n'a pas été
autorisé par le Parlement à engager une dépense déterminée, il
n'a ni le doit ni l'obligation légale et exécutoire de le faire. La
Couronne n'est pas non plus responsable des mesures prises par
le pouvoir législatif; le Parlement n'est nullement le mandataire
ou le préposé de la Couronne. De plus, la doctrine de la
suprématie du Parlement implique que les tribunaux ne peuvent
pas obliger celui-ci à voter des affectations de crédits. Si le
Parlement n'a ni prévu le paiement, sur le Fonds du revenu
consolidé du gouvernement fédéral, des coûts qu'entraîne l'ap-
plication de la loi ni validement imposé à d'autres l'obligation
de supporter ces coûts, un tribunal ne pourra pas accorder une
injonction obligatoire ou un mandamus pour enjoindre au
Parlement de voter une affectation de crédits afin d'assurer
l'application de sa loi. Toute obligation de ce genre est de
nature politique, et non juridique. Il s'agit là de principes
fondamentaux de la Constitution anglaise qui sont apparus au
17' siècle et ont été garantis par le Bill of Rights, 1688, 1 Will.
& Mary, 2' sess., chap. 2 (R.-U.). Nous en avons hérité par le
libellé du préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 &
31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, n° 5]
(mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, n° 1)] qui
stipule que nous aurons une constitution »semblable dans son
principe à celle du Royaume-Uni».
Toutefois, le juge de première instance a estimé
que les principes constitutionnels susdits, qui ont
imposé au Parlement une obligation «de nature
politique et non juridique» de payer pour l'applica-
tion adéquate des ses lois, ne s'appliquaient qu'à
un État unitaire et que, dans un Etat fédéral, le
résultat doit être différent (aux pages 119 121 de
l'arrêt précité):
Ces principes constitutionnels fondamentaux élaborés dans
un pays unitaire doivent toutefois s'appliquer dans le cadre d'un
système fédéral et en tenant compte du principe reconnaissant
le droit d'obtenir réparation en cas d'enrichissement sans cause.
Même s'il n'existe aucun droit d'action contre le pouvoir
exécutif fédéral pour réclamer les coûts que nécessite l'applica-
tion des lois fédérales ou contre le pouvoir exécutif provincial
pour réclamer les coûts qu'entraîne l'application des lois provin-
ciales, il existe indiscutablement, dans un système fédéral, une
obligation politique généralement reconnue en vertu de laquelle
chaque ordre de gouvernement doit appliquer de façon efficace
les lois adoptées par le pouvoir législatif. Dans le domaine du
droit criminel, d'obligation du gouvernement fédéral est souli-
gnée par la confirmation, dans l'arrêt Procureur général du
Canada c. Transports Nationaux du Canada, Liée et autre,
[1983] 2 R.C.S. 206, qui a été appliqué dans R. c. Wetmore et
autres, [1983] 2 R.C.S. 284, du fait que la compétence confé-
rée au Parlement par le paragraphe 91(27) de la Loi constitu-
tionnelle de 1867 comprend le pouvoir d'assurer l'application
du droit criminel. L'arrêt Peel c. MacKenzie, précité, montre
cependant que, en assurant ainsi l'application du droit criminel,
le Parlement ne peut pas, dans les circonstances dont il est ici
question, déléguer à une province ou au représentant d'une
province les obligations financières découlant de l'application
de la loi si cette province ou son représentant n'assume pas
volontairement ces obligations. Toutefois, si la demanderesse ne
pouvait obtenir réparation en l'espèce, le Parlement l'aurait
prévu en rédigeant les termes de sa loi invalide (paragraphe
20(2) de la Loi sur les jeunes délinquants) qui, depuis 1908,
oblige les municipalités à payer ces coûts, et en se fondant sur
le principe constitutionnel selon lequel le pouvoir exécutif fédé-
ral n'a ni le droit ni l'obligation de verser une somme d'argent
lorsque le Parlement n'a pas affecté de crédits à cette fin. Sur
ce point, il est instructif d'examiner l'arrêt B.C. Power Corpo
ration v. B.C. Electric Company, [1962] R.C.S. 642. Dans
cette affaire, on attaquait la constitutionnalité d'une loi expro-
priant les actions ordinaires de la British Columbia Electric
Company Limited. La Couronne du chef de la province s'est
opposée à la nomination d'un séquestre de la compagnie en
attendant le règlement du litige, pour le motif qu'une telle
ordonnance aurait eu un effet sur les biens ou les droits que
possédait la Couronne dans la compagnie ainsi qu'il était prévu
dans la loi contestée. La Cour suprême a confirmé qu'un tel
séquestre pouvait être nommé pendant le procès et que l'immu-
nité de la Couronne à l'égard des poursuites, qui existait alors
généralement en Colombie-Britannique, ne pouvait pas être
invoquée pour empêcher une ordonnance de ce genre. Aux
pages 644 et 645, le juge en chef Kerwin a déclaré, au nom de
la Cour:
[TRADUCTION] À mon avis, dans un système fédératif où
l'autorité législative se divise, comme les prérogatives de la
Couronne, entre le Dominion et les provinces, il n'est pas
permis à la Couronne, du chef du Canada ou d'une province,
de réclamer une immunité fondée sur un droit dans une
certaine propriété, lorsque ce droit dépend entièrement et
uniquement de la validité de la législation qu'elle a elle-
même passée, s'il existe un doute raisonnable quant à la
validité constitutionnelle de cette législation. Lui permettre
d'agir ainsi serait lui permettre, par l'exercice de droits en
vertu d'une législation qui excède ses pouvoirs, d'obtenir le
même résultat que si cette législation était valide. Dans un
système fédératif, il me semble qu'en pareille circonstance, le
tribunal a la même compétence pour préserver des biens dont
le titre dépend de la validité d'une législation que pour établir
la validité de la législation elle-même.
Ces propos ont été cités et endossés dans l'arrêt Amax Potash
Ltd. et autres c. Gouvernement de la Saskatchewan, précité, à
la page 591. Le juge Dickson y a fait remarquer que, bien que
l'affaire B.C. Electric porte sur des questions quelque peu
différentes, l'affaire Amax
... semble régi[e] par les mêmes considérations. dans les
deux cas, la préoccupation majeure est la sauvegarde de la
Constitution. [C'est moi qui souligne.]
De même, si la Couronne du chef du Canada pouvait, en
l'espèce, invoquer l'immunité à l'égard de toute demande en
paiement des coûts imposés illégalement à la demanderesse par
le pouvoir législatif du gouvernement fédéral, pour le motif que
ce pouvoir législatif n'a accordé à la défenderesse aucune
affectation de crédits ni aucune autorisation en vue d'effectuer
de tels paiements, le gouvernement fédéral pourait alors accom-
plir ce que la Constitution lui interdit de faire: c'est-à-dire
imposer une charge financière à la municipalité demanderesse
pour l'entretien des jeunes délinquants en vertu de la Loi sur les
jeunes délinquants.
Le juge Strayer n'est pas allé jusqu'à statuer
que le gouvernement fédéral est tenu, en principe,
de payer les frais d'application de ses lois. Il a dit,
dans l'arrêt précité, à la page 121:
... Il n'aurait peut-être pas été possible de poursuivre la partie
défenderesse en premier lieu pour l'obliger à verser directement
ces sommes.
Et plus directement, à la page 122:
... je ne suis pas disposé à affirmer que le pouvoir exécutif
fédéral est, de façon automatique et en vertu de la loi, obligé de
payer tous les coûts occasionnés par l'application des lois
fédérales ... L'obligation de rembourser la demanderesse est
plutôt une question de justice entre les deux parties.
C'est finalement, une réparation en cas d'enrichis-
sement sans cause (arrêt précité, à la page 121):
... Mais lorsque la partie demanderesse les a versées les
sommes en conformité avec une loi fédérale qui a finalement
été jugée invalide, et pour respecter les objectifs de cette loi
dûment adoptée par le Parlement, en ce qui concerne la partie
demanderesse et la partie défenderesse, il ne serait pas juste
que ces frais soient supportés en fin de compte par la partie
demanderesse et ils devraient être à la charge de la partie
défenderesse.
En toute déférence, cela me semble équivaloir à
ramener la quatrième condition relative à l'enri-
chissement sans cause à la question de savoir
laquelle des deux parties devrait le plus équitable-
ment supporter les frais et, en même temps, à ne
pas tenir compte de la troisième condition, à savoir
si seulement la défenderesse/appelante avait une
quelconque obligation légale. L'une des consé-
quences évidentes d'une telle analyse est que la
demanderesse/intimée peut bien acquérir le droit à
un recouvrement à l'encontre des deux niveaux
supérieurs de gouvernement. Ainsi que l'appelante
l'a signalé dans sa plaidoirie, l'intimée prétend de
façon identique dans chaque déclaration déposée à
l'encontre des deux gouvernements que les paie-
ments ont acquitté [TRADUCTION] aune obligation
de la défenderesse» (Dossier d'appel, vol. 1 à la
page 3 et vol. 5 à la page 74).
De fait, je crois que l'analyse du juge de pre-
mière instance mène à la conclusion que, même
dans un cadre fédéral, les principes constitution-
nels ne créent pas pour le gouvernement fédéral
l'obligation de payer les frais d'application des lois
fédérales, et encore moins lorsque la constitution
ne confère pas le pouvoir d'adopter la loi en ques
tion. Comme l'a déclaré le juge Montgomery dans
l'arrêt précité, à la page 304, rendu dans l'action
que l'intimée a intentée contre la province:
[TRADUCTION] Ces versements acquittaient une obligation de
la province. Étant donné l'inconstitutionnalité du paragraphe
20(2) de la Loi sur les jeunes délinquants adoptée par le
gouvernement fédéral, c'est à la province qu'incombait l'obliga-
tion de payer.
Dans sa déclaration déposée à l'encontre de la
province, l'intimée elle-même a invoqué vingt-neuf
lois provinciales en vertu desquelles, soutenait-elle,
la province [TRADUCTION] «avait l'obligation de
payer pour les mesures énoncées au paragraphe
29(1)» (Dossier d'appel, vol. 5 à la page 741 et aux
pages 747 et 7486. Il ressort des négociations qui
6 Le pouvoir des provinces de conférer des pouvoirs aux
tribunaux provinciaux sur les questions relatives aux jeunes a
été reconnu dans Adoption Act, of Ontario, Reference re
authority to perform functions vested by, [1938] R.C.S. 398 et
Renvoi: Family Relations Act, [1982] 1 R.C.S. 62.
ont mené (Dossier d'appel, vol. 1 aux pages 108 à
133) une entente fédérale sur le partage des
coûts avec l'Ontario relativement aux services de
soin et d'assistance à l'intention des jeunes sous la
garde des autorités correctionnelles ainsi que de
l'entente elle-même du 29 avril 1975 (Dossier
d'appel, vol. 3 aux pages 336 à 361) que le gouver-
nement de l'Ontario était grandement conscient de
sa compétence constitutionnelle et de plus il en
ressort au moins l'hypothèse que le gouvernement
fédéral est tenu à une obligation de nature
politique.
À mon avis, les affaires B.C. Power Corporation
v. B.C. Electric Company, [1962] R.C.S. 642 et
Amax Potash Ltd. et autres c. Gouvernement de
la Saskatchewan, [1977] 2 R.C.S. 576, mention-
nées ci-dessus et citées par le juge de première
instance, ne sont d'aucune aide pour l'intimée.
Dans la première affaire, il a seulement été jugé
que la Couronne ne peut pas repousser une ordon-
nance judiciaire de mise sous séquestre visant à
préserver les biens d'une entreprise en attendant
qu'il soit statué sur la constitutionnalité d'une loi,
simplement en invoquant l'immunité de la Cou-
ronne à l'égard des biens auxquels s'attachait son
droit uniquement en raison de la loi attaquée.
Dans l'affaire Amax, la question de fond portait
sur la constitutionnalité d'un impôt levé par la
province de la Saskatchewan à l'égard des person-
nes s'adonnant à l'exploitation minière de la
potasse. Dans une autre loi (le paragraphe 5(7) de
The Proceedings against the Crown Act [R.S.S.
1965, chap. 87]), la province a essayé d'empêcher
le recouvrement des sommes d'argent versées au
gouvernement dans le cas où la loi fiscale serait
considérée comme inconstitutionnelle. Relative-
ment à une demande interlocutoire au sujet de cet
empêchement prévu par la loi, le juge Dickson a
écrit au nom de la Cour (aux pages 590 et 592):
À mon avis, le par. 5(7) de The Proceedings against the
Crown Act va beaucoup plus loin que de simplement accorder
une immunité à la Couronne. Dans le présent contexte, il
touche directement au droit de lever des impôts. Par consé-
quent, il touche à la répartition des pouvoirs prévue à l'Acte de
l'Amérique du Nord Britannique, 1867. Il soulève également la
question du droit d'une province, ou même du Parlement
fédéral, de violer la constitution canadienne. Il est évident que
si le Parlement fédéral ou une législature provinciale peuvent
imposer des impôts en outrepassant leurs pouvoirs et se donner
à cet égard une immunité par le biais d'une loi existante ou ex
post facto, ils pourraient ainsi se placer dans la même situation
que s'ils avaient agi en vertu de leurs pouvoirs constitutionnels
respectifs. Refuser la restitution de revenus perçus sous la
contrainte en vertu d'une loi ultra vires revient à permettre à la
législature provinciale de faire indirectement ce qu'elle ne peut
faire directement, et imposer des obligations illégales par des
moyens détournés.
On peut résumer le principe régissant le présent pourvoi en
ces termes: si une loi est déclarée ultra vires de la législature
qui l'a adoptée, toute législation qui aurait pour effet d'attacher
des conséquences juridiques aux actes accomplis en exécution
de la loi invalide est également ultra vires puisqu'elle a trait à
l'objet même de la première loi. Un État ne peut conserver par
des mesures inconstitutionnelles ce qu'il ne peut prendre par de
telles mesures.
Je ne puis trouver aucune analogie utile entre
ces décisions et le présent litige. Dans les deux
affaires B.C. Power et Amax, les gouvernements
essayaient de se débrouiller seuls, pour ainsi dire,
afin d'éviter même la question de la responsabilité.
S'il devait seulement y avoir une quelconque ana-
logie avec le présent litige, ce ne serait pas avec les
actions interlocutoires sur lesquelles il a alors été
statué mais avec les actions qui ont suivi quant au
fond. Le juge Dickson a peut-être exprimé une
opinion sur un aspect fondamental de la question
de fond lorsqu'il a dit ci-dessus:
Refuser la restitution de revenus perçus sous la contrainte en
vertu d'une loi ultra vires revient à permettre à la législature
provinciale de faire indirectement ce qu'elle ne peut faire
directement, et imposer des obligations illégales par des moyens
détournés.
Vont dans le même sens l'arrêt Jacobs (George
Porky) Enterprises Ltd. v. City of Regina, [ 1964]
R.C.S. 326; 44 D.L.R. (2d) 179; l'arrêt Eadie,
précité, et l'arrêt Air Can. v. B.C. (Govt.) [1986] 5
W.W.R. 385 (C.A.C.-B.) (bien qu'il n'ait pas été
suivi dans l'arrêt Turigan et al. v. Alberta (1988),
90 A.R. 118 (C.A.).
Toutefois, à mon avis, les décisions concernant
la réception plutôt que l'emploi d'une somme d'ar-
gent ne sont d'aucune aide pour l'intimée. Dans le
premier arrêt, un gouvernement a reçu un avan-
tage financier évident auquel il n'avait pas droit, et
il semble juste et équitable qu'il doive être con-
traint de rendre de tels gains acquis illicitement.
Dans le dernier arrêt, il se peut que le gouverne-
ment ait retiré un avantage difficile à quantifier de
l'emploi de fonds que cela a occasionné. Cela ne
signifie pas que l'avantage que tire le public de
l'application régulière de la loi ne devrait pas
peut-être dans certains cas être attribué au gouver-
nement. Mais, s'il en est ainsi, les affaires concer-
nant les avantages financiers obtenus directement
par les gouvernements ne pourront pas servir de
fondement à ce droit'.
Le facteur décisif en l'espèce, me semble-t-il, est
que le gouvernement du Canada n'était nullement
tenu par la loi de payer pour l'entretien des jeunes
délinquants. Bien que sérieuse, l'obligation qui lui
incombait à la suite de l'adoption de cette loi était
de nature politique et a mené à l'entente de parti
cipation aux frais conclue avec la province d'Onta-
rio—comme le laisse entendre l'expression «parti-
cipation aux frais», il ne s'agit pas d'une
acceptation de la responsabilité entière—et la pro
vince a payé à son tour certains des frais engagés
par la municipalité. Dans des rapports intéressant
trois parties, on ne peut pas imposer une obligation
à l'une de deux seulement de ces parties pour le
motif que, de ces deux-là, c'est elle qui a le moins
d'intérêt. Cela ne veux pas dire que la province est
nécessairement responsable envers l'intimée. C'est
à une autre cour qu'il appartient de trancher cette
question. Mais il faut affirmer que, bien que le
gouvernement fédéral ait été grandement à l'ori-
gine des frais encourus par l'intimée, on ne peut
pas dire qu'il était responsable de ces frais en vertu
de la loi. Il s'agit pour lui d'une responsabilité de
nature politique, qu'il assume, le cas échéant, de
bonne grâce.
L'appel doit donc être accueilli, le jugement de
première instance être annulé et l'action de l'inti-
mée être rejetée avec dépens en ce qui concerne les
deux sections de la Cour.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE DESJARDINS: Depuis 1908 figurait
dans les lois du Parlement du Canada une disposi
tion, à savoir le paragraphe 20(1) de la Loi sur les
jeunes délinquants 8 , S.R.C. 1970, chap. J-3, qui
accordait à une cour de justice, lorsqu'il avait été
' Collins, dans l'arrêt précité, soutient qu'une norme spéciale
s'applique aux fonctionnaires qui réclament illégalement de
l'argent de leurs concitoyens.
8 Maintenant remplacée par la Loi sur les jeunes contreve-
nants, S.C. 1980-81-82-83, chap. 110.
jugé que l'enfant était un jeune délinquant, le
pouvoir discrétionnaire de prendre un certain
nombre de mesures et notamment de placer l'en-
fant dans différents foyers collectifs ou autres
institutions similaires. En vertu du paragraphe
20(2) de la Loi, la Cour pouvait ordonner que les
frais des placements de ce genre soient assumés
par la municipalité à laquelle l'enfant appartenait.
Pendant nombre d'années, cette disposition a été
considérée comme valide en raison de la décision
Attorney General of British Columbia v. Smith,
[ 1967] R.C.S. 702.
En 1977, la municipalité régionale de Peel a
contesté trois desdites ordonnances par lesquelles il
lui avait été enjoint de payer à Viking Houses les
frais d'entretien des jeunes placés dans ces institu
tions. Les motifs invoqués étaient les suivants: (1)
que le paragraphe 20(2) de la Loi ne relevait pas
de la compétence législative du Parlement du
Canada et (2) qu'aucune des dispositions du para-
graphe 20(1) de la Loi ne permettait de placer des
jeunes dans les foyers de Viking Houses. Les tribu-
naux ont donné gain de cause à la municipalité
quant au deuxième motif. La question constitu-
tionnelle n'a donc pas été abordée (Re Peel
(Regional Municipality of) et al. and Viking
Houses (1977) 16 O.R. (2d) 632; 36 C.C.C. (2d)
137 (H.C. Ont.); confirmé (1977), 16 O.R. (2d)
765; 36 C.C.C. (2d) 337 (C.A. Ont.); sous l'in-
titulé Procureur général de l'Ontario et autre c.
Municipalité régionale de Peel, [ 1979] 2 R.C.S.
1134; 104 D.L.R. (3d) 1).
Par la suite, le jeune délinquant mentionné dans
l'ordonnance rendue par la Cour suprême de l'On-
tario a été ramené devant la Division de la famille
de la Cour provinciale et, cette fois, on s'est con
formé au paragraphe 20(1). La municipalité a
alors interjeté appel pour des motifs d'ordre consti-
tutionnel et a obtenu gain de cause (Re Regional
Municipality of Peel and Viking Houses (non
publié, 10 juillet 1978) (H.C. Ont.); confirmé par
(1980), 113 D.L.R. (3d) 350 (C.A. Ont.); con
firmé, sous l'intitulé Municipalité régionale de
Peel c. MacKenzie et autre, par [1982] 2 R.C.S. 9;
139 D.L.R. (3d) 14).
L'erreur commise par le Parlement sur le plan
constitutionnel a entraîné pour la municipalité de
Peel des pertes de 1 166 814,22 $ au cours des ans.
Peut-elle recouvrer cette somme de la Couronne
du chef du Canada dans une action en recouvre-
ment d'une somme d'argent?
On retrouve trois étapes distinctes dans les con
clusions du juge de première instance. En premier
lieu, il a traité des principes de la restitution et de
leur extension par les tribunaux canadiens afin de
les appliquer à une autorité publique dans le cas de
frais engagés pour l'entretien d'un citoyen. En
deuxième lieu, il a analysé le développement, dans
le Royaume-Uni, des principes constitutionnels
jouant entre le Parlement et la Couronne, pour le
motif que la Constitution canadienne est «sembl-
able dans son principe à celle du Royaume-Uni». Il
a conclu que «[c]es principes constitutionnels fon-
damentaux élaborés dans un pays unitaire doivent
toutefois s'appliquer dans le cadre d'un système
fédéral et en tenant compte du principe reconnais-
sant le droit d'obtenir réparation en cas d'enri-
chissement sans cause». Il a ajouté qu'au Canada,
«il existe indiscutablement, dans un système fédér-
al, une obligation politique généralement reconnue
en vertu de laquelle chaque ordre de gouvernement
doit appliquer de façon efficace les lois adoptées
par le pouvoir législatif». Il a estimé que, «si la
Couronne du chef du Canada pouvait, en l'espèce,
invoquer l'immunité à l'égard de toute demande en
paiement des coûts imposés illégalement à la
demanderesse par le pouvoir législatif du gou-
vernement fédéral, pour le motif que ce pouvoir
législatif n'a accordé à la défenderesse aucune
affectation de crédits ni aucune autorisation en vue
d'effectuer de tels paiements, le gouvernement féd-
éral pourrait alors accomplir ce que la Constitu
tion lui interdit de faire: c'est-à-dire imposer une
charge financière à la municipalité demanderesse
pour l'entretien des jeunes délinquants en vertu de
la Loi sur les jeunes délinquants». En troisième
lieu, il a combiné les principes constitutionnels
avec les principes de la restitution et a conclu que,
«en ce qui concerne la partie demanderesse et la
partie défenderesse, il ne serait pas juste que ces
frais soient supportés en fin de compte par la
partie demanderesse et ils devraient être à la
charge de la partie défenderesse».
Bien que ces motifs de jugement constituent un
remarquable raisonnement juridique, j'ai, avec
égard, de la difficulté avec l'idée que l'on puisse
joindre les deux principes.
Je crois que les arrêts B.C. Power Corporation v.
B.C. Electric Company, [1962] R.C.S. 642 aux
pages 644 et 645, et Amax Potash Ltd. et autres c.
Gouvernement de la Saskatchewan, [1977] 2
R.C.S. 576 à la page 591, se limitent à dire que, si
la loi d'une législature est inconstitutionnelle, la
Couronne de cette législature ne peut pas s'abriter
sous une immunité afin de se soustraire à l'effet de
l'inconstitutionnalité de cette loi. À la page 592 de
l'arrêt Amax Potash Limited, le juge Dickson a dit
au nom de la Cour:
... Un État ne peut conserver par des mesures inconstitution-
nels ce qu'il ne peut prendre par de telles mesures.»
La suprématie de la Constitution comporte le
pouvoir exercé traditionnellement par les cours de
justice, d'annuler les lois inconstitutionnelles adop-
tées par une législature. On peut faire remonter
l'existence de ce pouvoir jusqu'à la Colonial Laws
Validity 1865 (R.-U.), 28-29 Vict., chap. 63 9 . Ce
pouvoir traditionnel ne va pas et n'est jamais allé
jusqu'à permettre aux tribunaux d'étendre les prin-
cipes de la restitution aux autorités publiques de
façon à rendre la Couronne d'une législature res-
ponsable d'une loi qui va au-delà de son pouvoir de
légiférer. Cette «obligation politique généralement
reconnue en vertu de laquelle chaque ordre de
gouvernement doit appliquer de façon efficace les
lois adoptées par le pouvoir législatif», que je
reconnais, ne peut pas, à mon avis, être sanction-
née par une cour de justice.
J'ai eu l'avantage de prendre connaissance du
premier jet des motifs du juge Mahoney et de celui
des motifs du juge MacGuigan.
Je souscris, quant au résultat, aux motifs expo-
sés par le juge MacGuigan.
9 Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, Toronto:
Carswell, 1977, la p. 14; François Chevrette et Herbert Marx,
Droit constitutionnel: notes et jurisprudence (Montréal: presses
de l'Université de Montréal, 1982) la p. 166. Voir aussi le
Statut de Westminster de /931, 22 Geo. V, chap. 4 (R.-U.)
[S.R.C. 1970, Appendice 11, n° 26], art. 7(1) qui a été abrogé
et remplacé par l'art. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de /982 sur le canada, 1982, chap. 11 (R.-U.);
R. c. Big M Drug mart Ltd. et autre, [ 1985] 1 R.C.S. 295, la
p. 312.
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