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A-674-80
Guy Dumas (appelant)
c.
Ministre du Revenu national (intimé)
RÉPERTORIÉ: CANADA C. DUMAS (CA.)
Cour d'appel, juges Pratte, Hugessen et Desjar- dins—Québec, 11 octobre 1988.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Revenu ou gain en capital Compagnie créée pour faire le commerce d'entre- preneur général et de constructeur Ces activités ont été exercées pendant sept ans L'appelant a accepté de vendre un terrain en raison des difficultés rencontrées dans la tentative de l'exploiter Au lieu de vendre le terrain, toutes les actions de la compagnie, dépouillée de tous ses autres actifs, ont été vendues Le juge de première instance a statué que le profit provenant de la vente des actions était un revenu d'entreprise, puisque la vente des actions était simplement une méthode alternative de réaliser la vente du terrain Appel accueilli Le juge de première instance a mal compris l'arrêt Fraser v. Minister of National Revenue, 11964j R.C.S. 657 En matière fiscale, l'existence d'une compagnie ne doit pas être écartée La compagnie reste imposable en raison de ses opérations La nature de la dépense que comportait l'acqui- sition des actions de la compagnie était déterminante L'appelant n'avait nullement l'intention de vendre ses actions dans la compagnie au moment oh il les a acquises.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Fraser v. Minister of National Revenue, [1964] R.C.S. 657; Minister of National Revenue v. Freud, [ 1969] R.C.S. 75; McKinley v. M.N.R., [1974] DTC 6138; [1974] CTC 170 (C.A.F.).
DÉCISION INFIRMÉE:
La Reine c. Dumas (G), [1981] CTC 1 (C.F. 1" inst.). AVOCATS:
André Lareau et Doris Savard pour l'appe-
lant.
Roger Roy pour l'intimé.
PROCUREURS:
Pothier, Bégin, Delisle, Veilleux, Sauvageau, Sainte-Foy (Québec), pour l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Voici les motifs du jugement de la Cour pro- noncés en français à l'audience par
LE JUGE PRATTE: L'appelant se pourvoit à l'en- contre d'un jugement de M. le juge Dubé de la Division de première instance [La Reine c. Dumas (G), [1981] CTC 1] qui a fait droit à l'appel interjeté par l'intimé d'une décision de la Commission de révision de l'impôt et a rétabli les cotisations que cette décision avait annulées.
La seule question en litige est celle de savoir si le premier juge a eu raison de juger que le profit de près de 200 000 $ qu'a réalisé l'appelant en ven- dant les actions qu'il détenait dans Ville-Neuve Construction Ltée («Ville-Neuve») à M. Raymond Malenfant, le 6 novembre 1969, constituait un revenu d'entreprise plutôt qu'un gain en capital.
Ville-Neuve a été créée par lettres patentes le 22 novembre 1961 dans le but principal de faire le commerce d'entrepreneur général et de construc- teur. L'appelant en était le seul actionnaire avec son épouse et son comptable qui ne possédaient, semble-t-il, que des actions de qualification. La compagnie a, dès sa création, exercé les activités pour lesquelles elle avait été constituée. Au début de l'été 1967, la Communauté des Frères des Écoles Chrétiennes ont convenu de lui vendre un terrain situé à l'intersection des boulevards Henri IV et Des Quatre Bourgeois, à Ste-Foy, en ban- lieue de Québec, l'appelant projetait, paraît-il, de construire un centre commercial, des édifices à bureaux et des maisons. A cause d'un différend entre acheteur et vendeur, c'est seulement le 17 mars 1969 que l'acte de vente de ce terrain fut signé. L'automne suivant, alors que la réalisation des projets de construction de l'appelant s'avérait de plus en plus difficile, il accepta de vendre le terrain à Raymond Malenfant. Cependant, Ville- Neuve ne vendit pas elle-même le terrain. Au lieu de cela, l'appelant, pour des motifs d'ordre fiscal, fit en sorte que Malenfant achète au prix convenu toutes les actions de Ville-Neuve qui avait été préalablement dépouillée de tous ses actifs autres que le terrain que convoitait Malenfant. C'est le profit réalisé par l'appelant lors de cette vente d'actions qui a donné lieu aux cotisations qu'a rétablies le jugement attaqué.
Le premier juge a d'abord décidé que l'appelant, lors de l'acquisition du terrain par sa compagnie,
avait eu au moins «l'intention secondaire» de le revendre à profit. Disons tout de suite qu'il n'est pas nécessaire que nous nous prononcions sur la valeur de cette première conclusion. Le juge a aussi jugé que le profit que l'appelant a réalisé en vendant ses actions était un revenu parce qu'il importait peu, à son avis, que la transaction ait été consommée par la vente d'actions plutôt que par la vente du terrain lui-même. Il s'est exprimé ainsi à ce sujet la page 6]:
Puisque la vente à Malenfant a résulté en un profit et non en un gain en capital, il importe peu dans les circonstances que ladite transaction ait été consommée par la vente des actions de Villeneuve plutôt que par la vente du terrain lui-même. Cette vente des actions ne constituait en réalité qu'une méthode alternative d'obtenir le résultat désiré. Ce principe a déjà été établi par le juge Judson de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Ronald K Fraser y M.N.R., [1964] CTC 372; 64 DTC 5224. 11 est vrai que dans l'arrêt Fraser les appelants ont formé la compagnie précisément dans le but de construire leur centre commercial et que les actionnaires ont vendu leurs actions deux ans plus tard, tandis que Villeneuve a été incorporée quelque sept ans avant la transaction qui nous préoccupe. Cette distinc tion toutefois n'infirme pas le principe puisque les lettres paten- tes de Villeneuve, on s'en souvient, prévoient le genre de transaction qui a été éventuellement réalisée.
À notre avis, ce passage des motifs du premier juge montre qu'il n'a pas bien saisi la portée de l'arrêt Fraser [Fraser v. Minister of National Revenue, [1964] R.C.S. 657], un arrêt dont cette Cour, à la suite de la Cour suprême dans l'affaire Freud', a eu l'occasion de préciser le sens dans l'affaire McKinley. 2 Nous disions alors (aux pages 6141 et 6142 DTC; 173 et 174 CTC]:
L'arrêt que la Cour suprême du Canada a prononcé dans l'affaire Fraser c. M.N.R. (1964 R.C.S. 657 [64 DTC 5224]), arrêt sur lequel s'appuie le juge de : première instance, ne justifie pas la prétention qu'en matière fiscale, il soit possible d'écarter l'existence d'une compagnie comme entité distincte. Dans l'af- faire M.R.N. v. Freud (1969 R.C.S. 75, à la p. 80 [68 DTC 5279]), le juge Pigeon a expliqué cet arrêt:
[TRADUCTION] En premier lieu, l'arrêt que cette cour a prononcé dans l'affaire Fraser v. Le ministre du Revenu national (1964 R.C.S. 657, [ 1964] C.T.C. 372, 64 D.T.C. 5224, 47 D.L.R. (2d) 98), semble pertinent. La Cour a jugé dans cette affaire que lorsque des agents immobiliers avaient constitué des compagnies en corporation pour détenir des biens-fonds, la vente des actions de ces compagnies au lieu de la vente de terrain était simplement un autre moyen de conclure des opérations immobilières et que le bénéfice était donc imposable. J'estime que cet arrêt n'implique pas néces- sairement que l'existence de ces compagnies comme entités juridiques distinctes ait été écartée en fixant la cotisation
1 Minister of National Revenue v. Freud, [ 1969] R.C.S. 75.
2 McKinley v. M.N.R., [1974] DTC 6138; [1974] CTC 170 (C.A.F.).
d'impôt sur le revenu. Au contraire, il faut supposer que les compagnies restaient imposables en raison de leurs opéra- tions et que leur titre de propriété sur les terrains restait incontesté. Je dois donc estimer que l'arrêt se fonde sur l'opinion formée quant à la nature de la dépense que compor- tait l'acquisition des actions des compagnies par les promoteurs.
Il est clair que si l'acquisition d'actions peut être un placement Minister of National Revenue v. Foreign Power Securities Corp. Ltd. ([1967] R.C.S. 295, [1967] C.T.C. 116, 67 D.T.C. 5084), elle peut aussi, selon les circonstances, être une opération commerciale (Osier Hammond and Nanton Ltd. v. Minister of National Revenue ([ 1963] R.C.S. 432, [1963] C.T.C. 164, 63 D.T.C. 1119, 38 D.L.R. (2d) 178); Hill-Clarke-Francis Ltd. v. Minister of National Revenue ([1963] R.C.S. 452, [1963] C.T.C. 337,63 D.T.C. 1211). Puisque la définition de l'entreprise comporte une «initiative de nature commerciale», il n'est pas nécessaire que l'acquisition d'actions soit une opération commerciale plutôt qu'un placement pour qu'il s'agisse d'un type d'opérations commerciales ordinaires. Dans l'affaire Fraser, l'opération principale était l'acquisition de terrain en vue de réaliser un bénéfice à la revente, de sorte que le terrain devenait un actif commercial. La conclusion de la Cour implique que l'acquisi- tion d'actions de compagnies constituées en corporations afin de posséder des terrains était de la même nature, vu qu'à la vente des actions au lieu de terrains, le bénéfice était un bénéfice commercial et non un bénéfice d'immobilisation à la réalisation d'un placement. Ce principe semble valoir aussi dans les circonstances de la présente affaire. Si le requérant et ses amis avaient réussi à vendre le prototype de voiture sport, ils auraient bien pu le faire en vendant les actions de la compagnie au lieu de faire vendre le prototype par la compa- gnie, et il ne saurait y avoir de doute que s'ils avaient ainsi réalisé un bénéfice, celui-ci était imposable ...
J'estime donc que, dans la présente affaire, il faut décider si le bénéfice que l'appelant a tiré de l'acquisition et de la vente des actions était un bénéfice imposable de même nature que le bénéfice imposé dans l'affaire Fraser.
La preuve nous apprend que l'appelant a vendu à bénéfice des actions de la Siebens Leaseholds Ltd. Le bénéfice qu'il a ainsi réalisé était un bénéfice commercial, donc imposable, si l'appelant s'était lancé dans une «initiative de caractère com mercial» lorsqu'il a acquis ces actions. D'autre part, si l'acquisi- tion de ces actions par l'appelant constituait un «placement» au sens que lui donne le juge Pigeon dans l'affaire Freud, le bénéfice fait à la réalisation de ce placement était un bénéfice en capital. La seule question à trancher en appel concerne donc la nature de la dépense qu'a faite l'appelant lorsqu'il a acquis, au prix de 167 $, les 167 actions de la Siebens Leaseholds Limited qu'il a ensuite revendues à un prix légèrement inférieur à 200 000 $.
Il est clair que, dans cette affaire-ci, l'appelant n'avait aucunement l'intention de vendre ses actions dans Ville-Neuve au moment il les a
acquises; il voulait seulement exploiter son entre- prise. Il s'ensuit que l'appel doit être accuelli avec dépens.
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