T-150-88
Mahmoud Mohammad Issa Mohammad (requé-
rant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration; Minis-
tre d'État à l'Immigration; et le Gouverneur en
conseil (intimés)
RÉPERTORIÉ: MOHAMMAD C. CANADA (MINISTRE DE L'EM-
PLOI ET DE L'IMMIGRATION)
Division de première instance, juge en chef adjoint
Jerome—Toronto, 29 février; Ottawa, 11 mars
1988.
Immigration — Expulsion — Le requérant a obtenu le droit
d'établissement par des représentations erronées sur son casier
judiciaire — Il a été déclaré coupable en Grèce, en 1968,
d'infractions relatives à un attentat commis à bord d'un avion
de la ligne israélienne — Le gouvernement ordonne la tenue
d'une enquête sur son expulsion — Couverture médiatique
importante — Bref de certiorari demandé pour annuler le
rapport de l'art. 27(1) et la directive d'enquête de l'art. 27(3) et
bref de prohibition pour empêcher la tenue de l'enquête — Le
requérant a bénéficié de renseignements appropriés et de la
possibilité de convaincre le gouverneur en conseil ou le minis-
tre de sa réhabilitation — La décision de tenir une enquête est
de nature administrative — L'équité n'exige pas que le requé-
rant participe aux délibérations visées à l'art. 27(3) concernant
la tenue d'une enquête — Les propos des ministres à la
Chambre des communes n'indiquent pas qu'ils ont eu l'inten-
tion d'expulser le requérant sans qu'il y ait application régu-
lière de la loi — Le ministre exerce une double responsabilité:
il doit être juste envers le requérant mais il doit aussi faire
respecter les lois du Canada — L'expertise des arbitres et le
droit d'appel rencontrent les conditions d'un processus déci-
sionnel impartial et indépendant — Demande rejetée.
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Certiorari —
Annulation du rapport de l'art. 27(1) de la Loi sur l'immigra-
tion de 1976 et des directives d'enquête en vertu de l'art. 27(3)
— Prohibition — Le requérant a obtenu le droit d'établisse-
ment en vertu de déclarations erronées sur son casier judiciaire
— Absence de traitement inéquitable — Le requérant a bénéfi-
cié de renseignements appropriés et de la possibilité de con-
vaincre le gouverneur en conseil et le ministre de sa réhabilita-
tion — La décision de tenir une enquête est de nature
administrative — Caractère minimal de l'obligation d'agir
équitablement — Cette obligation n'exige pas que le requérant
participe aux délibérations de l'art. 27(3) — Le processus
décisionnel n'est pas entaché de partialité par suite des propos
des ministres en Chambre — Les propos, pris dans leur
contexte, n'indiquent pas une intention d'expulser le requérant
sans qu'il y ait application régulière de la loi — L'expertise
des arbitres et le droit d'appel rencontrent les conditions d'un
processus décisionnel impartial et indépendant.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et
sécurité — Déclarations erronées du requérant sur son casier
judiciaire — Statut de résident permanent accordé — Ordon-
nance d'enquête sur expulsion — A titre de résident perma
nent, le requérant sera-t-il privé des droits garantis par la
Charte si l'ordonnance d'expulsion est rendue?
En février 1987, le requérant et sa famille ont obtenu le
statut de résident permanent. En décembre 1987, un agent
d'immigration a demandé au requérant de se présenter à une
entrevue concernant ses antécédents. Le ministère de l'Immi-
gration avait découvert que le requérant avait été déclaré
coupable en Grèce, en 1968, d'infractions relatives à un atten-
tat commis à bord d'un avion de la ligne aérienne israélienne au
cours duquel une personne avait été tuée. Le requérant avait
deux options: quitter le pays de plein gré ou se soumettre à une
enquête portant sur son expulsion. On lui a dit qu'il aurait
jusqu'à la fin janvier 1988 pour quitter de plein gré. Cependant,
le 20 janvier, on lui a signifié un avis d'enquête. Selon l'agent
d'immigration, le gouvernement a ordonné la tenue de l'enquête
en raison des pressions exercées par les médias. Le requérant
cherche à obtenir bref de certiorari pour annuler le rapport
effectué en application du paragraphe 27(1) de la Loi sur
l'immigration de 1976 et les directives d'enquête visées au
paragraphe 27(3) ainsi qu'une ordonnance interdisant la tenue
de l'enquête sur expulsion. Le requérant prétend qu'il n'a pas
été traité équitablement parce qu'on ne lui a pas donné l'occa-
sion d'établir à la satisfaction du gouverneur en conseil qu'il
s'était réhabilité ou, à la satisfaction du ministre, que lui
permettre de demeurer au Canada ne serait pas préjudiciable à
l'intérêt national. Il soutient de plus qu'il a droit de bénéficier
d'une norme d'équité supérieure à celle requise selon l'arrêt
Kindler c. MacDonald, [1987] 3 C.F. 34 (C.A.), puisque à titre
de résident permanent, il sera privé des droits que lui reconnaît
la Charte si une ordonnance d'expulsion est rendue. En ce qui
concerne le bref de prohibition, le requérant prétend que le
processus décisionnel a été entaché de partialité en raison des
propos tenus par certains ministres à la Chambre des commu
nes et qui indiqueraient qu'une décision aurait été prise avant la
tenue de l'enquête. On prétend de plus que l'enquête porterait
atteinte à son droit d'être entendu par un tribunal impartial et
indépendant en raison de la position de l'arbitre au sein du
ministère (l'argument de la partialité institutionnalisée).
Jugement: la demande devrait être rejetée.
L'argument du requérant qu'il a été traité inéquitablement
parce qu'on ne lui a pas donné l'occasion de satisfaire le
gouverneur en conseil ou le ministre a été rejeté. Le requérant
avait invoqué la décision Simpson c. Canada (Ministre de
l'Emploi et de l'Immigration) de la Commission d'appel de
l'immigration selon laquelle il faut accorder au requérant la
possibilité d'établir à la satisfaction du ministre qu'il s'est
réhabilité. Aucune décision dans laquelle le principe de la
décision Simpson a été appliqué à des personnes qui avaient
obtenu le droit d'établissement par des représentations erronées
sur leur casier judiciaire n'a été présentée. En outre, l'expres-
sion dans la version anglaise des alinéas 19(1)c) et e) de la Loi
«have satisfied the Governor in Council (or Minister). est
employée au passé et offre ainsi une exception à ceux qui ont
déjà entrepris des démarches pour établir leur réhabilitation.
Enfin, le requérant a bénéficié de renseignements appropriés et
de la possibilité de présenter des arguments en l'espèce. L'agent
d'immigration a exposé avec justesse les préoccupations du
ministère et expliqué les dispositions applicables de la Loi. Le
requérant a eu l'occasion de consulter un avocat. Il est impor
tant de constater que le requérant a toujours la possibilité
d'établir sa réhabilitation au cours des procédures visées au
paragraphe 32(2) ou à l'alinéa 72(1)b). L'agent d'immigration
n'avait plus d'autre obligation à remplir avant qu'un rapport
sur la situation du requérant soit rédigé. Par conséquent,
l'agent avait compétence pour rédiger le rapport.
L'argument du requérant fondé sur l'arrêt Kindler c. Mac-
Donald de la Cour d'appel est rejeté. Dans cette affaire, la
Cour a conclu que la décision d'ordonner la tenue d'une
enquête selon le paragraphe 27(3) était de nature administra
tive. La Cour a conclu que l'obligation d'agir équitablement
était minime. Comme le juge MacGuigan l'a souligné, «il s'agit
simplement de décider si une enquête doit être tenue et non de
priver le requérant de son droit à la vie, à la liberté et à la
sécurité de sa personne». La conclusion dans l'arrêt Kindler
quant à la nature d'une décision prise en vertu du paragraphe
27(3) ne concernait pas le statut de la personne présente devant
la Cour. Elle s'applique tant aux personnes qui ne bénéficient
pas d'un statut légal (comme Kindler) qu'aux immigrants qui
ont obtenu le droit d'établissement (comme le requérant en
l'espèce). Celui-ci conserve tout au long de la procédure d'en-
quête des droits importants quant au fond et à la procédure
(voir les paragraphes 70(1) et 72(1) de la Loi). L'équité n'exige
pas que le requérant participe aux délibérations visées au
paragraphe 27(3) qui ne portent que sur la tenue d'une
enquête.
L'argument que la décision de tenir une enquête a été prise
pour un motif illégitime parce qu'elle découlait des déclarations
des ministres en Chambre et de la publicité des médias est
également rejeté. Il n'y a pas eu de déclaration d'intention
d'expulser le requérant sans observer de procédure équitable.
Les représentants des intimés ont indiqué qu'en raison de
l'intérêt marqué de cette affaire, le requérant devait choisir
rapidement entre quitter le pays de plein gré ou rester et se
soumettre à une enquête. Le requérant ayant tardé à manifester
son choix, la tenue de l'enquête a été ordonnée. Les considéra-
tions en matière d'immigration qui ont été à l'origine de ce
choix étaient valides.
La prétention que le processus décisionnel a été entaché de
partialité en raison des propos des ministres en Chambre a été
rejetée. Sous le régime de la Loi, le ministre de l'Emploi et de
l'Immigration doit prendre position à l'égard de chaque requé-
rant. Il a une double responsabilité: il doit être juste à l'égard
du requérant mais il doit aussi faire observer les lois du Canada
et les politiques du Parlement. Cette politique doit toujours être
établie avant l'audition du cas. Le processus ne devient pas
irrégulier parce que le ministre a établi sa position publique-
ment. En outre, les propos dont on se plaint doivent être
replacés dans leur contexte. Dans les cas où l'on prétend que
des propos tenus publiquement s'avèrent partiaux, les tribunaux
ont déclaré que ceux-ci doivent être examinés dans leur ensem
ble et non dans leurs moindres détails. D'autres extraits du
Hansard révèlent que le requérant bénéficierait de l'application
régulière de loi et que toutes les procédures judiciaires nécessai-
res seraient respectées. Enfin, les auteurs des propos controver-
sés n'étaient pas les décideurs alors que dans les cas habituels,
la personne qui prononce le discours est le décideur. Bien que
les propos des ministres auraient pu être plus nuancés, ils n'ont
pu toutefois avoir eu pour effet d'entacher de partialité tout le
processus décisionnel.
La prétention que l'attitude de l'arbitre est entachée de
partialité institutionnalisée est également non fondée. La struc
ture et la pratique de la Direction de l'arbitrage du ministère
n'ont pas à prévoir l'existence d'un tribunal qui agisse avec le
même degré d'indépendance qu'une cour ou même que la
Commission d'appel de l'immigration. En termes d'indépen-
dance, les arbitres se situent quelque part entre les autres
employés du ministère et les membres de la Commission d'ap-
pel de l'immigration. Le système d'arbitrage prévoit qu'une
décision initiale sera prise par une personne du ministère qui a
reçu une formation dans les domaines pertinents; il prévoit
également que la décision peut être portée en appel devant un
tribunal plus indépendant. L'expertise et le droit d'appel ren-
contrent les conditions d'un processus décisionnel indépendant
et impartial selon l'arrêt MacKay c. La Reine, [1980] 2 R.C.S.
370. L'arbitre doit être à l'abri de toute intervention réelle ou
apparente dans le cadre du processus décisionnel. Cette norme
a été respectée. Il n'y a aucune preuve qu'un ministre ait déjà
obligé un arbitre à rendre une décision dans un sens particulier.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 7.
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 76.2b)
(ajouté par S.C. 1972, chap. 13, art. 6), 83(1)a) (mod.
par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 3), 217.
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52,
art. 19(I)c),e), 27(1)a),e),(3), 32(2), 59, 60, 61, 70(1),
72(1).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS SUIVIES:
Kindler c. MacDonald, [1987] 3 C.F. 34 (C.A.); Cac-
camo c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra-
tion, [1978] I C.F. 366; (1977), 16 N.R. 405 (C.A.);
confirmant [1977] 2 C.F. 438 (1fe inst.).
DÉCISION APPLIQUÉE:
Van Rasse! c. Canada (Surintendant de la GRC), [1987]
1 C.F. 473 (1" inst.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Simpson c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immi-
gration) (1987), 3 Imm. L.R. (2d) 20 (C.A.I.); Tsang c.
Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), déci-
sion en date du 7-1-88, C.A.I., encore inédite; Roncarelli
v. Duplessis, [1959] R.C.S. 122; Re Multi -Malls Inc. et
al. and Minister of Transportation and Communications
et al. (1976), 14 O.R. (2d) 49 (C.A.); R. c. Vermette,
[1984] C.A. 466; (1984), 16 C.C.C. (3d) 532 (Qué.); R.
v. Pickersgill et al., Ex parte Smith et al. (1970), 14
D.L.R. (3d) 717 (B.R. Man.).
DÉCISIONS CITÉES:
Anderson c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration,
[1981] 2 C.F. 30; (1980), 113 D.L.R. (3d) 243 (C.A.);
Muliadi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immi-
gration), [1986] 2 C.F. 205 (C.A.); Fulay c. Ministre de
l'Emploi et de l'Immigration, T-152-83, Jerome J.C.A.,
ordonnance en date du 19-4-84, C.F. Ire inst., non
publiée; Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de
l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; 14 C.R.R. 13;
Valente c. La Reine et autres, [1985] 2 R.C.S. 673;
Committee for Justice and Liberty c. Office national de
l'énergie, [1978] 1 R.C.S. 369; The Judges v. Attorney -
General for Saskatchewan (1937), 53 T.L.R. 464 (P.C.);
MacKay c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 370.
DOCTRINE
Canada, Débats de la Chambre des communes, vol. 129,
n° 236, 2° Sess., 33° Lég. 18 janvier 1988, la p. 12001.
Canada, Débats de la Chambre des communes, vol. 129,
n° 237, 2° Sess., 33° Lég. 19 janvier 1988, aux p. 12055,
12057.
Canada, Débats de la Chambre des communes, vol. 129,
n° 238, 2° Sess., 33° Lég. 20 janvier 1988, à la p. 12095.
Canada, House of Commons Debates, Vol. 129, No. 236,
2nd Sess., 33rd Parl. January 18, 1988, at p. 12001.
Canada, House of Commons Debates, Vol. 129, No. 237,
2nd Sess., 33rd Parl. January 19, 1988, at pp. 12055,
12057.
Canada, House of Commons Debates, Vol. 129, No. 238,
2nd Sess., 33rd Parl. January 20, 1988, at p. 12095.
AVOCATS:
Marlys Edwardh, Barbara Jackman et Lorne
Waldman pour le requérant.
David Sgayias et Michael Duffy pour les
intimés.
PROCUREURS:
Ruby & Edwardh, Toronto, pour le requé-
rant.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME: Le requé-
rant cherche à obtenir un bref de certiorari annu-
lant le rapport effectué à son sujet en application
du paragraphe 27(1) [Loi sur l'immigration de
1976, S.C. 1976-77, chap. 52] et la directive d'en-
quête en application du paragraphe 27(3), ainsi
qu'un bref de prohibition interdisant à l'arbitre
d'entendre sa cause.
Le 25 février 1987, le requérant et sa famille
sont arrivés au pays munis de visas qui leur avaient
été délivrés en Espagne. Le statut de résident
permanent leur a été accordé au moment de leur
arrivée.
Le 21 décembre 1987, le requérant a eu une
conversation téléphonique avec M. C. Fiamelli, un
agent d'immigration, qui lui a demandé de se
présenter à une entrevue portant sur ses antécé-
dents, ses activités antérieures et un problème qui
venait d'être soulevé. L'entrevue a eu lieu le 29
décembre 1987. Au cours de celle-ci, M. Fiamelli
a montré au requérant trois dossiers et quelques
photographies. C'est alors que le requérant a com-
pris que le ministère de l'Immigration savait main-
tenant qu'il avait été déclaré coupable en Grèce, en
1968, d'infractions relatives à un attentat commis
à bord d'un avion de la ligne aérienne israélienne
El Al au cours duquel une personne avait été tuée.
M. Fiamelli a présenté au requérant deux
options. La première permettait au requérant de
quitter le pays de son plein gré, et dans ce cas,
aucune mesure d'exécution ne serait prise. Sa
famille serait autorisée à rester au Canada et il
pourrait la visiter en obtenant un permis du minis-
tre. M. Fiamelli a proposé d'accorder au requérant
jusqu'à la fin janvier pour quitter de plein gré.
L'autre option, s'il ne quittait pas de plein gré,
était une enquête portant sur son expulsion. Si une
ordonnance d'expulsion était rendue, sa famille en
souffrirait également. Le requérant a été avisé des
trois motifs pour lesquels une enquête aurait lieu.
M. Fiamelli a inscrit les articles de la loi applica-
bles et les lui a remis.
À la fin de l'entrevue, le requérant a indiqué
qu'il voulait voir son avocat. Le 31 décembre 1987,
il rencontrait son procureur, Me Brian Pennell, et
lui racontait tout ce que M. Fiamelli avait dit. Me
Pennell a communiqué avec M. Fiamelli et con-
venu de le rencontrer le 15 janvier 1988, date qu'il
a dû plus tard reporter. Plusieurs conversations
téléphoniques entre Me Pennell et M. Fiamelli ont
eu lieu par la suite.
Le 20 janvier 1988, le requérant a rencontré son
avocat et M. Fiamelli; un avis d'enquête lui a alors
été signifié. Le requérant est resté surpris parce
qu'il avait cru qu'il avait jusqu'à la fin janvier
avant qu'une enquête soit entreprise.
L'enquête a commencé le 25 janvier 1988.
Avant son ouverture, M. Fiamelli a répondu au
requérant qui l'interrogeait sur les raisons de la
tenue de l'enquête que le gouvernement en avait
ordonné la tenue à cause des pressions exercées par
les médias.
Le requérant soutient que M. Fiamelli ne l'a pas
avisé qu'il pouvait présenter des arguments au
gouverneur en conseil ou au ministre pour établir
qu'il s'était réhabilité depuis la perpétration de son
crime, que lui permettre de demeurer au Canada
ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt natio
nal et que pour des considérations d'ordre humani-
taire une enquête ne devrait pas être tenue. L'avo-
cat du requérant a cependant reconnu que
l'entrevue de M. Fiamelli avec le requérant s'était
déroulée tout à fait convenablement. La critique,
c'est que l'agent n'a pas déployé suffisamment
d'efforts, non seulement en ne précisant pas les
options offertes au requérant mais également en ne
précisant pas les moyens de les exercer.
Selon les autres faits sur lesquels s'appuie le
requérant, les 18, 19 et 20 janvier 1988, trois
ministres de la Couronne, le solliciteur général, le
ministre de l'Emploi et de l'Immigration et le
ministre d'État à l'Immigration, ont fait une série
de déclarations en Chambre et à l'extérieur de
celle-ci au sujet de la situation du requérant. La
transcription contenue dans le Hansard au cours
de ces jours a été présentée en preuve et révèle que
les ministres ont notamment déclaré que le requé-
rant avait fourni de faux renseignements afin d'en-
trer au Canada, qu'il avait été déclaré coupable de
terrorisme et que l'objectif primordial du gouver-
nement était de s'en débarrasser.
Les dispositions législatives pertinentes en l'es-
pèce sont les alinéas 19(1)c) et e), 27(1)a) et e) et
le paragraphe 27(3) de la Loi sur l'immigration de
1976:
19. (1) Ne sont pas admissibles
c) les personnes qui ont été déclarées coupables d'une infrac
tion qui constitue, qu'elle ait été commise au Canada ou à
l'étranger, une infraction qui peut être punissable, en vertu
d'une loi du Parlement, d'une peine maximale d'au moins dix
ans d'emprisonnement, à l'exception de celles qui établissent
à la satisfaction du gouverneur en conseil qu'elles se sont
réhabilitées et que cinq ans au moins se sont écoulés depuis
l'expiration de leur peine;
e) les personnes qui se sont livrées à des actes d'espionnage
ou de subversion contre des institutions démocratiques au
sens où cette expression s'entend au Canada, ou au sujet
desquelles il y a de bonnes raisons de croire qu'elles se
livreront à de tels actes, à l'exception de celles qui, s'y étant
livrées, ont établi à la satisfaction du Ministre que leur
admission ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt
national;
27. (1) Tout agent d'immigration ou agent de la paix, en
possession de renseignements indiquant qu'un résident perma
nent
a) ne remplit pas les conditions d'obtention du droit d'éta-
blissement du fait de son appartenance à l'une des catégories
non admissibles visées aux alinéas 19(1)c), d), e) ou g) ou à
l'alinéa 19(2)a) par suite d'une déclaration de culpabilité
faite à son égard avant l'obtention du droit d'établissement,
e) a obtenu le droit d'établissement soit sur présentation
d'un passeport, visa ou autre document relatif à son admis
sion faux ou obtenu irrégulièrement, soit par des moyens
frauduleux ou irréguliers soit grâce à une représentation
erronée d'un fait important, que ces moyens aient été exercés
ou ces représentations faites par ledit résident ou par un tiers,
ou
doit adresser un rapport écrit et circonstancié au sous-ministre
à ce sujet.
(3) Sous réserve des instructions ou directives du Ministre, le
sous-ministre saisi d'un rapport visé aux paragraphes (1) ou
(2), doit, au cas où il estime que la tenue d'une enquête
s'impose, adresser à un agent d'immigration supérieur une
copie de ce rapport et une directive prévoyant la tenue d'une
enquête.
Les arguments du requérant portant sur ces
dispositions sont divisés en trois parties principales,
chacune d'elles étant présentée par l'un de ses trois
avocats. Ces trois parties sont les suivantes: le bref
de certiorari, le bref de prohibition et les
redressements.
I: Le bref de certiorari
Le requérant conteste le rapport visé au para-
graphe 27(1) et la directive d'enquête visée au
paragraphe 27(3) pour des motifs de compétence
et d'équité.
A: Le rapport visé au paragraphe 27 (1)
Le rapport est fondé sur trois motifs. Le rapport
allègue que le requérant est présumé visé par les
alinéas 27(1)a) et e) pour les motifs suivants:
1. C'est une personne qui ne remplit pas les
conditions d'obtention du droit d'établissement
du fait de son appartenance à la catégorie non
admissible visée à l'alinéa 19(1)c) par suite
d'une déclaration de culpabilité faite à son égard
avant l'obtention du droit d'établissement;
2. C'est une personne qui ne remplit pas les
conditions d'obtention du droit d'établissement
parce qu'il est décrit à l'alinéa 19(1)e) comme
étant une personne qui s'est livrée à des actes
d'espionnage ou de subversion contre des institu
tions démocratiques;
3. Il est visé par l'alinéa 27(1)e) parce qu'il a
obtenu le droit d'établissement en raison d'une
représentation erronée d'un fait important.
Les faits contenus dans le rapport à l'appui de
ces motifs sont les suivants: le 26 mars 1970, à
Athènes en Grèce, le requérant a été déclaré cou-
pable d'infractions équivalentes à celles visées par
l'article 217 et les alinéas 83(1)a) (mod. par S.C.
1976-77, chap. 53, art. 3] et 76.2b) [ajouté par
S.C. 1972, chap. 13, art. 6] du Code criminel
[S.R.C. 1970, chap. C-34] canadien qui prévoient
des peines maximales supérieures à 10 ans; le
requérant a commis un acte terroriste et fait partie
du Front populaire pour la libération de la Pales-
tine dont l'objectif est de renverser le gouverne-
ment israélien; le requérant a obtenu le droit d'éta-
blissement sur la base d'une représentation erronée
parce qu'il a déclaré dans sa demande qu'il n'avait
jamais été reconnu coupable d'une infraction
criminelle.
Il convient de signaler d'abord que le requérant
ne conteste pas le troisième motif à l'appui du
rapport: l'existence d'une représentation erronée.
Par conséquent, la Cour ne peut accueillir sa
demande d'annulation du rapport en entier puis-
que ce motif à lui seul justifie le rapport. Il
s'oppose cependant aux deux autres motifs. Si
ceux-ci étaient retranchés du rapport, l'arbitre
chargé de l'enquête ne pourrait en tenir compte:
voir la décision Anderson c. Ministre de l'Emploi
et de l'Immigration, [1981] 2 C.F. 30; (1980), 113
D.L.R. (3d) 243 (C.A.). Les arguments du requé-
rant sur ces deux points méritent donc d'être
examinés.
L'argument fondamental de la compétence au
regard des deux motifs fondés sur l'alinéa 27(1)a)
consiste à affirmer que l'agent signataire du rap
port ne disposait pas, comme l'exige cet alinéa, des
renseignements concernant tous les éléments des
alinéas 19(1)c) et e). Plus précisément, l'agent ne
savait pas si le requérant avait établi à la satisfac
tion du gouverneur en conseil qu'il s'était réhabi-
lité et que cinq ans au moins s'étaient écoulés
depuis l'expiration de sa peine ou s'il avait établi à
la satisfaction du ministre que son admission ne
serait nullement préjudiciable à l'intérêt national.
On ne prétend pas que le requérant avait établi
ces faits à la satisfaction du gouverneur en conseil
ou du ministre. On ne conteste pas non plus que
l'agent d'immigration savait que le requérant
n'avait pas établi ces faits à la satisfaction de ces
fonctionnaires. Ce que l'on soutient, c'est qu'avant
qu'un rapport puisse être rédigé l'agent devait
s'assurer que le requérant avait eu la possibilité
d'établir ces faits à leur satisfaction et qu'il avait
échoué. On prétend que l'auteur du rapport ne
pouvait certes pas en avoir connaissance puisque la
possibilité n'avait pas été offerte au requérant. Je
rejette cet argument. Pour les motifs qui suivent, je
ne crois pas que le requérant disposait d'une autre
possibilité que celle qui lui avait été accordée
d'établir ces faits. En rédigeant le rapport, l'agent
d'immigration n'a donc pas outrepassé sa compé-
tence.
Le requérant prétend, comme deuxième motif
de contestation du rapport, qu'il n'a pas été traité
équitablement. Le requérant s'appuie sur la juris
prudence pour démontrer qu'une personne qui
demande d'entrer au Canada en ayant déjà été
déclarée coupable d'une infraction doit avoir la
possibilité d'établir qu'elle a été réhabilitée. (Il
n'existe pas de jurisprudence semblable applicable
à l'alinéa 19(1)e) mais le requérant soutient que
les mêmes principes s'appliquent par analogie.)
Les décisions portant directement sur ce point
proviennent de la Commission d'appel de l'immi-
gration. Il s'agit des décisions Simpson c. Canada
(Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)
(1987), 3 Imm. L.R. (2d) 20, en date du 16 juillet
1987 et Tsang c. Canada (Ministre de l'Emploi et
de l'Immigration) en date du 7 janvier 1988
[encore inédite].
Dans la décision Simpson, la Commission a
décidé que les principes d'équité administrative
dégagés de l'arrêt Muliadi c. Canada (Ministre de
l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 2 C.F. 205
(C.A.), exigeaient que le requérant soit avisé qu'il
devait établir à la satisfaction du ministre qu'il
était réhabilité et que la possibilité d'établir ce fait
lui soit offerte. Il convient de signaler deux faits
dans cette affaire: d'abord, le requérant avait été
déclaré coupable d'une infraction mineure et rien
n'indique qu'il ait tenté d'en cacher l'existence.
Deuxièmement, l'intimé a reconnu que les considé-
rations d'ordre humanitaire étaient suffisamment
importantes pour que l'appel soit accueilli.
Dans l'affaire Tsang, la Commission a appliqué
la décision Simpson à un requérant qui avait
d'abord apparemment menti au sujet de sa décla-
ration de culpabilité mais dont le mensonge avait
été découvert avant qu'il ait obtenu le droit d'éta-
blissement. Ici encore, le refus d'accorder le droit
d'établissement a été jugé invalide puisque le
requérant n'avait pas eu la possibilité de convain-
cre le gouverneur en conseil.
En l'espèce, le fait que le requérant ait effective-
ment obtenu le droit d'établissement avant l'avène-
ment de ce litige constitue une distinction impor-
tante en regard des deux décisions de la
Commission d'appel de l'immigration. L'avocat n'a
présenté aucune décision dans laquelle le principe
de la décision Simpson a été appliqué à des person-
nes qui avaient obtenu le droit d'établissement par
des représentations erronées sur leur casier
judiciaire.
L'avocat soutient également que la pratique de
la Commission, exposée dans le manuel de l'Immi-
gration, est d'offrir la possibilité d'établir la réha-
bilitation. Selon la preuve par affidavit d'un prati-
cien en immigration, les personnes qui se trouvent
au Canada illégalement ont également la possibi-
lité d'établir leur réhabilitation. Selon les principes
dégagés de la décision Fulay c. Ministre de l'Em-
ploi et de l'Immigration, non publiée, en date du
19 avril 1984, n° du greffe T-152-83, on a prétendu
que le requérant aurait dû être traité de la même
façon que les autres qui se trouvaient dans la
même situation.
Cet argument devrait être rejeté pour plusieurs
raisons. Premièrement, je doute que les termes de
la loi justifient l'interprétation libérale que la
Commission d'appel de l'immigration leur accorde.
L'expression dans la version anglaise de la disposi
tion «have satisfied the Governor in Council (or
Minister)» est évidemment employée au passé et
semble une exception pour ceux qui ont déjà entre-
pris des démarches pour établir leur réhabilitation.
Deuxièmement, le requérant a bénéficié de ren-
seignements appropriés et de la possibilité de pré-
senter des arguments en l'espèce. A la suite de sa
première entrevue avec M. Fiamelli, le requérant
connaissait les préoccupations du ministère de
l'Immigration concernant ses antécédents, les évé-
nements particuliers à l'origine de ces préoccupa-
tions, les motifs pour lesquels une enquête serait
tenue, le cas échéant, et les articles de la Loi qui
étaient appliqués. Il a manifesté le désir d'en dis-
cuter avec son avocat, ce qu'il a fait, et Me Pennell
a eu par la suite la possibilité d'en discuter avec M.
Fiamelli, ce qu'il a fait. Il ressort de deux autres
conversations téléphoniques ultérieures entre Me
Pennell et M. Fiamelli que l'affaire était devenue
plus urgente et que certaines décisions devraient
bientôt être prises. Ces événements offraient au
requérant d'autres possibilités d'empêcher qu'un
rapport soit rédigé et qu'une enquête soit tenue en
lui permettant de fournir plus de renseignements.
M. Fiamelli n'avait plus d'autre obligation à rem-
plir avant qu'un rapport sur la situation de M.
Mohammad soit rédigé.
J'accorde également de l'importance au fait
qu'il soit toujours possible au requérant, comme le
souligne l'intimé, de convaincre le ministre ou le
gouverneur en conseil. L'avocat du requérant se
demandait si même un règlement approprié de ces
questions par les ministres concernés serait admis
sible en preuve devant l'arbitre ou la Commission
d'appel de l'immigration à la suite de la rédaction
et de la confirmation du rapport visé au paragra-
phe 27(1). Je ne partage pas cette inquiétude. Aux
termes du paragraphe 32(2), l'arbitre doit décider
si un résident permanent est une personne visée au
paragraphe 27(1). Cela oblige forcément l'arbitre
à vérifier si le requérant a établi à la satisfaction
du ministre et du gouverneur en conseil qu'il s'est
réhabilité ou que son admission ne serait nullement
préjudiciable à l'intérêt national. De même, lors
d'un appel interjeté à la Commission d'appel de
l'immigration en application du paragraphe 72(1),
la Commission doit établir si, compte tenu des
circonstances de l'espèce, la personne devrait être
renvoyée du Canada (alinéa 72(1)b)). En rendant
cette décision, un des critères les plus pertinents
serait certes de vérifier si le ministre est convaincu
de la réhabilitation de cette personne ou de son
admissibilité. A la fin de l'audience, l'avocat du
requérant m'a d'ailleurs prié, dans l'éventualité où
je déciderais qu'une enquête devrait être tenue,
d'ordonner au ministre d'examiner les questions
soulevées par les alinéas 19(1)c) et e) avant le
début de l'enquête. Il est donc clair que l'existence
du rapport n'a pas mis fin à la possibilité du
requérant d'établir sa réhabilitation ou son admis-
sibilité dans l'intérêt national.
Par conséquent, je suis d'avis de rejeter les
motifs d'annulation du rapport visé au paragraphe
27(1).
B: La directive d'enquête visée au paragraphe
27(3)
Ce document est également contesté pour des
motifs de compétence et d'équité. Concernant le
premier motif, on soutient que le sous-ministre ou
le fonctionnaire qui ordonne la tenue d'une
enquête doit s'assurer de l'existence d'une appa-
rence de droit contre le requérant. Par conséquent,
puisque le rapport visé au paragraphe 27(1) est
incomplet, on n'a pu établir l'existence d'une appa-
rence de droit. Ayant décidé que le rapport visé au
paragraphe 27(1) est valide, je dois rejeter cet
argument.
Sur la question de l'équité, le requérant tente
d'abord de distinguer l'espèce de la décision Kind-
ler c. MacDonald, [1987] 3 C.F. 34 (C.A.). Dans
cet arrêt, la Cour a conclu que la décision d'ordon-
ner la tenue d'une enquête en application du para-
graphe 27(3) était une décision purement adminis
trative. Tout ce que le sous-ministre avait à
décider, c'était de déterminer si la tenue de l'en-
quête était justifiée, ce qu'il pouvait faire en pré-
sence d'une apparence de droit. Dans cet arrêt, la
Cour a conclu que l'obligation d'agir équitable-
ment était minime. Le juge MacGuigan poursuit
ainsi aux pages 40 et 41:
À cet égard, il m'apparaît des plus importants que les
décisions visées constituent simplement des décisions prises au
sujet de (with respect to) l'intimé, et non contre celui-ci. En
fait, on pourrait dire que de telles décisions favorisent ce
dernier, puisque celui-ci non seulement a droit à une audition
mais, en vertu du paragraphe 30(1) de la Loi, peut être
représenté par un avocat. En d'autres termes, il ne s'agit pas
d'une décision privant l'intimé de sa vie, de sa liberté, de la
sécurité de sa personne ou même de ses biens, de sorte qu'elle
n'est pas visée par le principe selon lequel «une obligation de
respecter l'équité dans la procédure incombe à tout organisme
public qui rend des décisions administratives qui ne sont pas de
nature législative et qui touchent les droits, privilèges ou biens
d'une personne», dont l'application était confirmée par la Cour
suprême dans l'arrêt Cardinal et autre c. Directeur de l'éta-
blissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, la page 653 (les
soulignements sont ajoutés).
En fait, j'estime qu'il serait ridicule d'exiger même que, dans
de telles circonstances, il soit permis à l'intimé de présenter des
arguments par écrit concernant la décision d'accorder une
audition. Si telle était la loi, pourquoi une audition antérieure
ne serait-elle pas tenue relativement à cette décision de tenir
une audition, et ainsi de suite, en reculant à l'infini? Pourvu
que les décisions officielles aient été prises de bonne foi, je ne
vois pas comment elles pourraient porter atteinte à l'équité, et
le juge de première instance a conclu que la preuve ne révèle
aucune mauvaise foi.
La distinction que tente d'établir le requérant
porte sur les faits de cette affaire. On dit que M.
Kindler se trouvait illégalement au Canada, ayant
fui les États-Unis pour éviter d'y être arrêté. L'ar-
rêt ne s'applique donc qu'aux gens qui n'ont pas de
statut au Canada et donc ni de droits dont ils
peuvent être privés. En raison de l'arrêt Singh et
autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion, [1985] 1 R.C.S. 177; 14 C.R.R. 13, le requé-
rant soutient que la situation d'un résident perma
nent est fort différente. Celui-ci a le droit d'être
traité équitablement en vertu de la Charte [Charte
canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap.
11, (R.-U.)], le droit de demeurer au Canada et de
choisir le lieu de ses déplacements et le droit
d'obtenir la citoyenneté. Une ordonnance d'expul-
sion le prive de tous ces droits.
Cet argument ne peut être retenu en l'espèce
puisque la décision est d'ordonner la tenue d'une
enquête et non l'expulsion. Cependant, le requé-
rant soutient également que la décision même de
tenir une enquête portera préjudice à ses droits.
Une fois la directive visée au paragraphe 27(3)
prononcée, il peut être détenu ou, comme c'est
d'ailleurs son cas, libéré en vertu de certaines
conditions sévères. De plus, il y a aussi le fait que
le requérant et sa famille vont vivre d'une façon
tendue et ce, peut-être pendant des années, jusqu'à
ce que sa cause ait franchi les étapes de l'audience
et de l'appel. L'avocat du requérant conclut donc
qu'on aurait dû lui accorder la possibilité de pré-
senter des arguments sur les raisons pour lesquelles
une enquête n'était pas justifiée avant que la direc
tive soit prononcée.
Le requérant exagère les conséquences de la
mise en oeuvre de la procédure d'enquête. Comme
le juge MacGuigan le souligne dans l'arrêt Kind-
ler, il s'agit simplement de décider si une audience
doit être tenue et non de priver le requérant de son
droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa
personne. Les conséquences découlant de la direc
tive d'enquête, le devoir de se rapporter et de
comparaître à l'audience, sont tout à fait propor-
tionnelles à leur objectif, c'est-à-dire, s'assurer que
le requérant soit présent.
Les arguments présentés au nom du requérant
minimisent également l'importance de ses droits,
lesquels demeurent les mêmes au cours de l'ins-
tance. À titre d'immigrant ayant obtenu le droit
d'établissement, il peut interjeter appel à la Com
mission d'appel de l'immigration de toute ordon-
nance de renvoi rendue contre lui (paragraphe
72(1)). Il a également le droit de suspendre l'en-
quête à tout moment en revendiquant le statut de
réfugié au sens de la Convention. Il a le droit de
demander au comité consultatif sur le statut de
réfugié de se prononcer sur sa revendication et à la
Commission d'appel de l'immigration de réexami-
ner la décision du comité (paragraphe 70(1)).
Tout au long de la procédure d'enquête, le requé-
rant conserve ces droits importants quant au fond
et à la procédure.
Je ne suis pas convaincu qu'on ait réussi à
établir une distinction entre l'affaire Kindler et
l'espèce. La conclusion de la Cour d'appel quant à
la nature et aux conditions d'une décision visée au
paragraphe 27(3) ne concernait en rien le statut de
la personne présente devant elle. Je ne vois pas
pourquoi le jugement ne pourrait s'appliquer avec
la même rigueur à un immigrant ayant obtenu le
droit d'établissement qui, comme nous l'avons vu,
conserve des droits importants à la suite de la
décision. Même si je n'approuvais pas cette déci-
sion, et ce n'est pas le cas, elle me lie. J'estime au
contraire que le raisonnement de la Cour d'appel
est tout à fait approprié en l'espèce. L'équité
n'exige pas que le requérant participe aux délibé-
rations ou à la décision visée au paragraphe 27(3)
qui ne portent que sur la tenue d'une enquête.
Quant au second argument concernant l'équité,
on prétend que la décision de tenir une enquête a
été prise pour un motif illégitime. On soutient que
l'agent responsable de cette décision a été
influencé par les déclarations des ministres en
Chambre et la publicité que les médias ont accor-
dée à cette affaire. La déclaration de M. Fiamelli
au requérant en constitue la preuve. Les décisions
Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 122 et Re
Multi -Malls Inc. et al. and Minister of Transpor
tation and Communications et al. (1976), 14 O.R.
(2d) 49 (C.A.) sont invoquées à l'appui de l'affir-
mation qu'un pouvoir discrétionnaire ne peut être
exercé dans un but illégitime ou pour des considé-
rations accessoires ou étrangères. Dans ces deux
décisions, je souligne qu'on reprochait la prise
d'une mesure administrative sans que la partie
lésée ait eu la possibilité de présenter des argu
ments. Dans l'affaire Multi -Malls, on prétendait
que la décision portant sur un aménagement
immobilier avait été prise pour des motifs politi-
ques. Dans la décision évidemment bien connue
Roncarelli v. Duplessis, le restaurateur s'était vu
retirer son permis de vente de spiritueux pour des
motifs d'appartenance religieuse. Dans les deux
cas, la Cour est intervenue parce qu'il y avait eu
refus de tenir une audience selon les règles.
En l'espèce, la situation est tout à fait opposée.
La décision en litige est d'accorder au requérant,
assisté d'un avocat, la possibilité de comparaître au
cours d'un processus décisionnel et de faire valoir
ses arguments pour être autorisé à rester au
Canada. Ce processus se déroulera comme dans le
cas de tout immigrant placé dans la même situa
tion. Ce qui ressort le plus en l'espèce, c'est qu'au
cours de la période s'étendant de la fin décembre à
la fin janvier, l'affaire a beaucoup attiré l'attention
du public. Par conséquent, les ministres concernés
et les responsables du ministère intimé ont mani
festé le désir d'accélérer l'examen du cas du requé-
rant. S'il y avait eu déclaration d'intention d'ex-
pulser le requérant sans observer de procédure
équitable, le cas aurait été semblable aux décisions
entachées de partialité invoquées par le requérant.
Il n'en est cependant pas ainsi. Les représentants
des intimés ont indiqué qu'en raison de l'intérêt
marqué de cette affaire, il fallait accélérer le pro-
cessus et le requérant devait choisir rapidement
entre quitter le pays de plein gré ou rester et se
soumettre au processus applicable à ceux placés
dans sa situation. Le requérant ayant tardé à
manifester son choix, la tenue de l'enquête a été
ordonnée. Il ressort clairement du dossier que des
considérations valides en matière d'immigration
furent à l'origine de cette décision et je ne crois pas
que la directive d'enquête ait été décernée pour un
motif illégitime.
Pour ces motifs, la demande d'annulation du
rapport visé au paragraphe 27 (1) et de la directive
visée au paragraphe 27(3) doit être rejetée.
II: Le bref de prohibition
Le requérant demande qu'une ordonnance inter-
disant la tenue d'une enquête sur l'expulsion soit
rendue. Il soutient que l'enquête portera atteinte à
ses droits protégés par l'article 7 de la Charte pour
deux raisons: premièrement, le processus décision-
nel a été entaché de partialité parce que les propos
des ministres ont laissé transparaître qu'une déci-
sion avait été prise à son sujet. Deuxièmement,
l'enquête porterait atteinte à son droit d'être
entendu par un tribunal indépendant et impartial
en raison de la position de l'arbitre au sein du
ministère de l'Emploi et de l'Immigration.
Des remarques ont été faites quant à la perti
nence de ces questions en l'espèce. Je suis prêt à
reconnaître que cette enquête peut, virtuellement
du moins, porter atteinte aux droits à la liberté et à
la sécurité du requérant. Je suis également prêt à
reconnaître que l'arbitre exerce une fonction judi-
ciaire ou quasi judiciaire. Par conséquent, il ressort
que la procédure d'enquête est sujette, dans une
juste mesure, aux règles de justice naturelle. Ces
règles signifient notamment qu'une audience doit
être tenue par un tribunal impartial et indépen-
dant.
Le requérant prétend que l'arbitre ne revêt
aucune de ces qualités en l'espèce. Premièrement,
il affirme que les déclarations des ministres ont eu
pour effet de le juger d'avance et d'exercer une
pression sur l'arbitre pour qu'il rende une décision
dans le même sens. Le requérant prétend que le
processus décisionnel était dès lors entaché de
partialité.
Le critère portant sur l'existence d'une partialité
fatale a été établi dans l'arrêt Valente c. La Reine
et autres, [1985] 2 R.C.S. 673 à la page 684, où la
Cour suprême reprend les propos suivants du juge
de Grandpré dans l'arrêt Committee for Justice
and Liberty c. Office national de l'énergie,
[1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394:
... à quelle conclusion en arriverait une personne bien rensei-
gnée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste
et pratique ...
On prétend qu'en l'espèce les propos du ministre
de l'Emploi et de l'Immigration, du ministre d'État
à l'Immigration et du solliciteur général ont eu
pour effet de dicter à l'arbitre l'ordonnance qu'il
devait rendre. Les propos en question sont les
suivants:
L'hon. Gerry Weiner (ministre d'État (Immigration)) [le 20
janvier 1988]: ... Notre objectif primordial est de nous en
débarasser. Il quittera le pays soit sous la menace d'expulsion
soit à la suite d'une ordonnance d'expulsion émise conformé-
ment à la procédure établie. [C'est moi qui souligne.]
L'hon. James Kelleher [le 18 janvier 1988]:... cette per-
sonne se trouve au Canada parce qu'elle a fourni à notre agent
de liaison en Espagne de faux renseignements qui l'ont induit
en erreur. [C'est moi qui souligne.]
L'hon. Benoît Bouchard [le 18 janvier 1988]: Monsieur le
Président, les mêmes fausses informations qui ont été fournies à
l'agence de sécurité en Espagne ont été utilisées pour passer les
portes d'entrée canadiennes. [C'est moi qui souligne.]
L'hon. Gerry Weiner [le 19 janvier 19881: Monsieur le
Président, le Canada ne deviendra jamais un refuge pour les
terroristes.
(...) Nous avons l'intention d'appliquer la loi dans toute sa
rigueur pour expulser cet individu du Canada. On ne permettra
pas aux terroristes de demeurer ici. [C'est moi qui souligne.]
L'hon. Gerry Weiner [le 20 janvier 1988]: Cet homme se
trouve ici illégalement, car c'est un terroriste notoire. Notre
objectif primordial est de nous en débarasser. [C'est moi qui
souligne.] *
On prétend que ces propos constituent un juge-
ment rendu d'avance sur les questions mêmes que
l'arbitre doit trancher et qu'ils inciteraient une
personne bien renseignée examinant la question de
façon réaliste et pratique à conclure à l'existence
d'une crainte raisonnable de partialité.
Le requérant invoque à l'appui de son affirma
tion l'arrêt R. c. Vermette, [1984] C.A. 466;
* Note de l'arrêtiste: Extraits tirés des Débats de la Chambre
des Communes, vol. 129, n 0 ' 236, 237, 238, 2e sess., 33° Lég. 18,
19, 20 janvier 1988, aux p. 12001, 12055 et 12095
respectivement.
(1984), 16 C.C.C. (3d) 532 (Qué.). Dans cette
affaire, un agent de la GRC avait été accusé de vol
avec effraction à l'occasion d'une enquête sur le
Parti Québécois. Certains témoignages rendus au
procès ont suscité une question à laquelle le pre
mier ministre de l'Assemblée nationale a répondu.
Le premier ministre a répondu de façon assez
détaillée, employant un langage coloré et a jeté le
discrédit sur l'accusé, son témoin et sur des mem-
bres du gouvernement fédéral. Ses propos ont fait
l'objet d'une vaste publicité et ont obligé le juge de
première instance à annuler le procès. Une
demande de suspension indéfinie des procédures
présentée en application du paragraphe 24(1) de la
Charte a été accueillie et confirmée en appel. La
Cour d'appel a conclu que le prévenu ne pouvait
bénéficier d'un procès équitable devant un jury
impartial puisqu'il avait déjà été jugé et déclaré
coupable publiquement par le chef du gouverne-
ment.
Le requérant soutient que l'affaire Vermette et
l'espèce sont similaires. Plusieurs aspects les distin-
guent cependant. Premièrement, Vermette était
accusé d'une infraction criminelle de sorte que
l'éventail des garanties procédurales prévues à l'ar-
ticle 11 de la Charte entraient en jeu plutôt que les
«principes de justice fondamentale» plus vagues de
l'article 7. Deuxièmement, le problème ne portait
pas sur l'administration du chef d'une institution
de qui relevait le juge mais sur la déclaration
publique de culpabilité prononcée par le chef du
gouvernement, déclaration dont le jury ne pourrait
se libérer selon la majorité de la Cour. Troisième-
ment, le premier ministre n'a apparemment pas
nuancé ses propos au moyen d'une confirmation de
la nécessité de la tenue d'une instance judiciaire
selon les règles.
En l'espèce, les propos des ministres devraient
être examinés d'un angle bien différent de ceux du
premier ministre dans l'affaire Vermette. Premiè-
rement, contrairement au premier ministre, le
ministre de l'Emploi et de l'Immigration doit, sous
le régime de la Loi, prendre position à l'égard de
tout requérant qui demande à être admis et de tout
immigrant qui fait l'objet d'une enquête parce que
entré illégalement. Il a une double responsabilité
dans ces cas: il doit être juste à l'égard du requé-
rant ou de l'immigrant mais il doit aussi faire
observer les lois du Canada et les politiques du
Parlement. Il participe au processus décisionnel
pour s'assurer que les principes d'équité sont appli-
qués tant à l'égard de la population canadienne
qu'à l'égard du requérant.
Ce double rôle ne constitue pas une exception
aux responsabilités ministérielles qu'il exerce. Je
prends, par exemple, la situation du ministre de la
Santé et du Bien-Etre responsable de la mise en
marché de médicaments brevetés. Il doit égale-
ment protéger les consommateurs canadiens des
produits impropres à la consommation ou dange-
reux pour la santé.
Dans le cadre du processus en matière d'immi-
gration, la position du ministre ne constitue un
secret pour personne. Dans chacun des milliers de
cas présentés tous les ans, le ministre renseigne
l'agent chargé de présenter les cas dont la fonction
est de présenter à l'arbitre au cours d'une audition
publique la politique du ministère en l'espèce.
Cette politique doit toujours être établie avant
l'audition du cas. J'estime donc que le processus ne
devient pas irrégulier seulement parce que le
ministre a établi sa position publiquement.
Deuxièmement, il est important de replacer dans
leur contexte les propos dont on se plaint. En plus
des propos précités, d'autres extraits du Hansard
m'ont été cités et révèlent que le requérant a
bénéficié et bénéficierait de l'application régulière
de la loi et que toutes les procédures judiciaires
nécessaires seraient respectées. Par exemple, le 19
janvier 1988, le solliciteur général a indiqué [à la
page 12057]:
[TRADUCTION] Tout exécrable que soit ce crime et tout
pressés que nous soyons de nous débarasser de cet homme, les
garanties procédurales prévues par la loi doivent être respec-
tées. Notre cause doit être défendable.
Dans les cas où l'on prétend que des propos
tenus publiquement s'avèrent partiaux, les tribu-
naux ont déclaré que ceux-ci doivent être examinés
dans leur ensemble et non dans leurs moindres
détails. Le critère est de déterminer si les paroles
employées par l'auteur des propos révèlent un pré-
jugé lorsque examinées dans leur ensemble. (R. v.
Pickersgill et al., Ex parte Smith et al. (1970), 14
D.L.R. (3d) 717 (B.R. Man.), à la page 728.)
Lorsque examinés dans leur ensemble, il me
semble que les propos des ministres en l'espèce
établissent une position au regard d'une affaire qui
doit encore franchir les étapes d'un processus judi-
ciaire et non une conclusion quant à l'aboutisse-
ment de ce processus.
Un élément de distinction encore plus important
entre l'espèce et l'affaire Pickersgill, c'est qu'ici,
l'auteur des propos n'est pas le décideur. Habituel-
lement, lorsqu'on prétend qu'un discours contro-
versé est partial, la personne qui le prononce est
celle qui doit prendre la décision. A cette étape du
processus d'enquête, les ministres ne se prononcent
pas sur le sort du requérant. C'est l'arbitre qui
prend la décision.
L'intimé a invoqué la décision Van Rassel c.
Canada (Surintendant de la GRC), [1987] 1 C.F.
473 (i re inst.), qui porte précisément sur la même
situation. Dans cette affaire, un membre de la
GRC était accusé devant un tribunal du service
d'avoir contrevenu à l'article 25 de la Loi sur la
Gendarmerie royale du Canada [S.R.C. 1970,
chap. R-9]. Alors que sa cause était pendante, le
commissaire s'est exprimé publiquement et de
façon critique sur les activités de l'accusé. On a
soutenu que puisque le commissaire avait désigné
les membres du tribunal, ses propos avaient eu
pour effet de soulever une crainte raisonnable de
partialité de la part du tribunal. Le juge Joyal de
cette Cour a conclu comme suit à la page 487:
En admettant pour le moment que le document est authenti-
que et que les paroles qui y sont rapportées visaient le requé-
rant, il ne suffirait pas pour autant à me justifier d'intervenir
pour l'instant. Le commissaire de la GRC n'est pas le tribunal.
Il est vrai qu'il a désigné le tribunal mais, une fois désigné,
celui-ci est aussi indépendant et apparemment aussi impartial
que tout tribunal qui traiterait d'une infraction ressortissant au
service. On ne peut pas raisonnablement conclure que les
préventions du commissaire, le cas échéant, sont nécessairement
partagées par le tribunal et que, par conséquent, le requérant
n'obtiendrait pas un procès équitable.
De même, en l'espèce, il n'y a aucune raison de
conclure que les préjugés des ministres (le cas
échéant) sont partagés par l'arbitre.
Il aurait certes été préférable que les propos des
ministres soient de nature plus nuancée. Cepen-
dant, ce fait à lui seul ne peut entacher tout le
processus décisionnel. Cette question a fait l'objet
d'un examen minutieux dans la décision Caccamo
c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra-
tion, [1978] 1 C.F. 366; (1977), 16 N.R. 405
(C.A.). Dans cette affaire, le directeur de l'infor-
mation au ministère de la Main-d'oeuvre et de
l'Immigration a fait état publiquement de l'atti-
tude du ministère dans la cause du requérant. Le
réquerant a tenté de soutenir, comme en l'espèce,
que tous les fonctionnaires ayant qualité d'arbitres
employés par le ministère étaient inhabiles à
mener l'enquête parce qu'ils étaient susceptibles
d'être partiaux en raison des propos tenus. Le juge
de première instance [[1977] 2 C.F. 438] a conclu
à l'absence d'une crainte raisonnable de partialité.
La Cour d'appel a souligné qu'accepter l'argument
du requérant signifierait que toute personne qui a
le pouvoir de mener une enquête serait inhabile.
La Cour a déclaré que même dans un cas de
partialité réelle prenant la forme d'un intérêt pécu-
niaire, la loi doit s'appliquer nonobstant l'inhabi-
lité pouvant toucher tous les arbitres aptes à être
désignés. Le juge en chef Jackett a cité un extrait
de la décision The Judges v. Attorney -General for
Saskatchewan (1937), 53 T.L.R. 464 (P.C.) où la
question en litige portait sur l'assujettissement des
juges de la Saskatchewan à l'impôt sur le revenu.
Sir Sidney Rowlatt prononçant le jugement du
Conseil privé a dit, à la page 465:
Le renvoi en cause a placé la Cour dans une situation
embarrassante, tous ses membres ayant, de par la nature même
de l'affaire, un intérêt personnel dans le litige. Ils ont considéré
(et ce, de façon très juste, selon leurs Seigneuries), qu'ils
étaient tenus d'agir ex necessitate.
Le juge en chef Jackett poursuit aux pages 373 et
374 C.F.; 412 N.R.:
J'estime que si c'est la règle à appliquer lorsqu'il existe un cas
de partialité réelle, c'est aussi la règle lorsqu'il n'existe qu'une
«probabilité» ou suspicion raisonnable découlant de l'impact
créé sur le public par des déclarations regrettables. Par consé-
quent, je suis d'avis que, même en considérant comme admis
tous les autres facteurs favorables à l'appelant, parce qu'il est
nécessaire d'appliquer les prescriptions de la loi, un enquêteur
spécial n'est pas inhabile à agir en raison seulement des circons-
tances établies dans cette cause.
Pour ces motifs, l'appel a été rejeté. La Cour a
ajouté, à titre de remarque incidente, qu'aucune
suspicion raisonnable de partialité n'avait été prou-
vée. Le juge en chef Jackett a dit, aux pages 374 et
375 C.F.; 413 N.R.:
La théorie ne s'applique que lorsque les faits sont de nature à
donner naissance à une telle idée de probabilité ou de suspicion
raisonnable dans l'esprit de personnes qui comprennent le prin-
cipe de l'indépendance du pouvoir judiciaire face au pouvoir
exécutif, principe sur lequel est fondé notre système judiciaire.
Ainsi, si, par hypothèse, cette théorie s'applique aux enquêteurs
spéciaux, j'estime qu'elle ne peut entrer en jeu lorsque les faits
ne peuvent donner naissance à une probabilité ou à une suspi
cion de partialité, si ce n'était le fait que les investigateurs de la
division de l'immigration et les enquêteurs spéciaux dont le rôle
est d'examiner les faits afin de rendre des ordonnances d'expul-
sion tombent, en vertu de la loi, sous la direction générale du
même Ministre. Aux yeux de quiconque comprend cet état de
choses apparemment exceptionnel, la seule situation établie en
l'espèce, si je la comprends bien, est que le Ministère, par sa
section des investigations, a adopté un point de vue qui a eu
comme conséquence de faire de la cause de l'appelant l'objet
d'une enquête tenue par un fonctionnaire dont le devoir, aux
termes de la loi, est de décider lui-même, à la lumière de la
preuve qui lui a été présentée, si l'appelant est, en vertu du
texte législatif, sujet à expulsion. À mon avis, aucune personne
assez bien renseignée sur ce mécanisme décisionnel spécifique
et son fonctionnement ne peut entrevoir la probabilité ou avoir
la suspicion raisonnable qu'un enquêteur spécial puisse être
détourné de son devoir statutaire par de tels événements.
Ce texte pourrait presque s'appliquer directement
au litige qui m'est présenté. Encore une fois, je suis
lié par la décision de la Cour d'appel.
Le requérant a également soutenu très ferme-
ment que l'attitude de l'arbitre en l'espèce est
entachée de partialité institutionnalisée. Il a sou-
tenu que toute absence d'impartialité découlant
des propos du ministre est amplifiée par l'absence
d'indépendance dont jouissent les arbitres sous le
régime de la Loi sur l'immigration de 1976. Le
requérant a présenté plusieurs arguments portant
sur la structure et la pratique de la Direction de
l'arbitrage du ministère de l'Emploi et de l'Immi-
gration. Les principaux aspects sont les suivants:
[TRADUCTION] 1. Les arbitres et les agents chargés de présen-
ter les cas, lesquels font partie de la Direction générale de
l'exécution de la Loi, relèvent du même sous-ministre adjoint.
Les deux autres tribunaux constitués sous le régime de la Loi
ne sont pas soumis à une telle subordination.
2. C'est la même Direction des services juridiques du ministère
qui donne des avis aux arbitres et à la Section des agents
chargés de présenter les cas.
3. Le directeur de l'arbitrage élabore les politiques portant sur
l'interprétation de la loi et de la jurisprudence auxquelles les
arbitres sont encouragés à se référer pour rendre leurs
décisions.
4. Les décisions et procédures des arbitres sont contrôlées par
le directeur de l'arbitrage pour déceler les contradictions dans
l'application de la loi et les besoins de formation, et pour
assurer que les enquêtes sont menées équitablement, efficace-
ment et avec cohérence.
5. Les arbitres sont de simples fonctionnaires qui ne sont pas
habituellement nommés à titre inamovible ou obligés de prêter
un serment d'entrée en fonction.
6. Les arbitres peuvent recevoir des affectations intérimaires à
titre d'agents d'appel de l'immigration représentant le ministre
devant la Commission d'appel de l'immigration. Les agents
chargés de présenter les cas peuvent recevoir des affectations
intérimaires à titre d'arbitres.
Ce régime ne permet évidemment pas à ce tribu
nal d'agir avec le même degré d'indépendance
qu'une cour ou même que la Commission d'appel
de l'immigration. Je ne crois d'ailleurs pas qu'il le
faille. Ayant examiné la loi et la description de
tâches remise par le requérant et ayant à l'esprit
les fonctions et la place de l'arbitre dans le système
de l'immigration, à mon avis, les arbitres devraient
se situer, en termes d'indépendance, quelque part
entre les autres employés du ministère et les mem-
bres de la Commission d'appel de l'immigration.
Le gouverneur en conseil nomme les membres de
la Commission d'appel pour un mandat fixe dont
la durée peut varier; ce mandat peut être renou-
velé. Les membres sont nommés à titre inamovible
pour un mandat maximal de dix ans. Leur traite-
ment est fixé par le gouverneur en conseil (Loi sur
l'immigration de 1976, articles 59 61). Il s'agit
clairement d'un degré d'indépendance moins
important que celui que possède une cour. Cepen-
dant, on a de toute évidence jugé que ce degré était
adéquat puisqu'un appel de la décision de la Com
mission peut être porté en Cour d'appel fédérale.
De même, la décision d'un arbitre peut être portée
en appel devant la Commission. Il est donc accep
table, à l'étape où l'arbitre rend sa décision, que le
tribunal soit en quelque sorte moins indépendant.
Selon le système d'arbitrage établi sous le régime
de la Loi sur l'immigration de 1976, une première
décision prise par une personne du ministère qui a
reçu une formation dans des domaines pertinents
peut être portée en appel devant un tribunal plus
indépendant. Dans l'arrêt MacKay c. La Reine,
[1980] 2 R.C.S. 370, la Cour suprême a décidé
que l'expertise et le droit d'appel respectent pleine-
ment les conditions d'un processus décisionnel
impartial et indépendant (voir les motifs du juge
McIntyre aux pages 404 et 405). La condition
importante est que l'arbitre soit à l'abri, dans
chaque cas, de toute intervention réelle ou appa-
rente dans le cadre du processus décisionnel. (Voir
l'arrêt Valente, précité, à la page 687). Compte
tenu de la preuve déposée, je suis convaincu que
cette norme a été respectée.
Le requérant a présenté l'affidavit d'un ancien
arbitre, M. Stuart Scott. Tout en confirmant cer-
taines des prétentions résumées plus haut, celui-ci
a également déclaré sous serment l'existence des
faits suivants, sur la foi de son expérience:
1. L'affectation des arbitres aux cas était habi-
tuellement faite de façon rationnelle. La plupart
des secteurs, y compris celui de Hamilton (lieu
de l'audition de la présente cause) n'ont qu'un
arbitre pour entendre toutes les causes de sorte
qu'aucune assignation n'est nécessaire (paragra-
phe 13).
Il s'ensuit évidemment que le ministre ne peut
remplacer l'arbitre qui entendra cette cause même
s'il le voulait.
2. À titre d'arbitre, il a toujours eu le sentiment
que la décision finale qu'il rendait dans une
affaire était sa décision et qu'il n'avait pas à
suivre les directives de ses dirigeants sur des
questions de droit complexes (paragraphe 14).
3. Les arbitres (qui n'ont pas à recevoir une
formation juridique) ont reçu une formation et
des renseignements sur l'état actuel du droit en
matière d'immigration par le personnel de la
Direction de l'arbitrage. Des opinions ont été
remises pour favoriser la cohérence dans le pro-
cessus décisionnel partout au Canada et les arbi-
tres étaient encouragés à les suivre mais non
obligés de les appliquer (paragraphe 15).
4. Les opinions juridiques ne provenaient pas
seulement de la Direction des services juridiques
de la Commission. Des avocats, membres du
personnel de la Direction de l'arbitrage, fournis-
saient également des opinions aux arbitres
(paragraphe 16).
5. Les contrôles des audiences dont le requérant
se plaint portaient essentiellement sur la façon
dont les enquêtes étaient menées (paragraphe
19).
6. Il n'a jamais eu le sentiment qu'il devait
rendre une décision compatible avec l'opinion du
personnel surveillant. Il a déjà perçu qu'une
certaine pression avait été exercée pour qu'il se
conforme à une norme particulière du processus
décisionnel sur des questions d'importance parti-
culière (paragraphe 20).
Suivant cette preuve, je dois conclure que si le
déposant avait été désigné arbitre dans cette
affaire, il aurait agi avec équité et indépendance.
Aucune preuve n'établit que d'autres arbitres
auraient agi différemment. Il n'y a notamment
aucune preuve qu'un ministre pourrait obliger,
obligerait ou a déjà obligé un arbitre à suivre une
décision et à rendre une directive dans un sens
particulier ou qu'on s'attendrait à ce qu'il suive
cette directive si elle était donnée.
Cette conclusion m'amène à conclure qu'il y a
forcément un degré de séparation entre les arbi-
tres, le ministre et le ministère compte tenu du
régime en vertu duquel ils sont nommés et exercent
leurs fonctions. En raison de cette indépendance, il
s'ensuit que le résultat auquel l'arbitre de Hamil-
ton doit parvenir ne serait pas modifié ou influencé
par les propos du ministre dont on se plaint et ce,
surtout si ceux-ci sont envisagés dans le contexte et
en fonction des responsabilités du ministre qui doit
prendre position devant l'arbitre.
III: Les redressements
On a soutenu que, bien que les redressements
demandés soient habituellement considérés comme
étant discrétionnaires, les brefs de certiorari et de
prohibition devraient être décernés de plein droit si
je concluais à une erreur de compétence dans la
délivrance du rapport visé au paragraphe 27(1) ou
de la directive d'enquête visée au paragraphe
27(3). Je doute que j'accepterais cet argument
même si je décidais qu'il y a eu erreur de compé-
tence, ce qui n'est pas le cas. Les brefs de préroga-
tive sont des redressements discrétionnaires et plu-
sieurs facteurs justifient qu'ils ne soient pas
décernés en l'espèce.
J'ai répété souvent au cours des débats que le
requérant, au même titre que tout autre requérant
qui demande son admission au Canada, est seul
maître de la nature de la relation entre lui et le
ministère. Il est seul à posséder les renseignements
pertinents pouvant lui permettre de se réinstaller
au Canada. La décision de les retenir ou de les
divulguer complètement, d'être franc et honnête ou
muet relève de chaque requérant. Il est d'ailleurs
fréquent que des gens décident, dans une certaine
mesure, d'agir comme le requérant. Cependant,
j'estime qu'il est injuste que le Canada, le proces-
sus d'immigration et les représentants du ministère
intimé assument alors l'entière responsabilité des
conséquences de cette décision et que le requérant
n'en supporte aucune. C'est là essentiellement la
thèse présentée au nom du requérant.
Le requérant a eu la possibilité de communiquer
avec des agents canadiens de l'immigration en
Espagne. Il a communiqué avec eux et décidé quels
renseignements il divulguerait et retiendrait. Une
deuxième possibilité lui a été offerte lorsqu'il est
arrivé au Canada et il a décidé d'agir de la même
façon. Le requérant a vécu plusieurs mois au
Canada avec le statut d'immigrant ayant obtenu le
droit d'établissement. On aurait pu penser
qu'ayant l'intention de s'établir ici avec sa famille,
le requérant aurait agi convenablement s'il avait
entrepris de sa propre initiative de divulguer com-
plètement sa situation plutôt qu'attendre une
enquête du ministère. Cela aurait probablement
été à l'avantage de toutes les parties, mais ce n'est
pas ce qui s'est produit.
Ce qui s'est finalement produit, c'est que M.
Fiamelli l'a convoqué à une entrevue et lui a plus
que convenablement et équitablement expliqué les
enjeux et souligné les dispositions législatives
applicables et les renseignements pertinents, y
compris les principales préoccupations que soule-
vait son cas. Il s'agissait de préoccupations tout à
fait légitimes en matière d'immigration. M.
Mohammad a eu la possibilité de consulter un
avocat, lequel a eu plusieurs conversations avec M.
Fiamelli. Le requérant n'a pas cherché à présenter
son cas au ministre comme le permettent les ali-
néas 19(1)c) et e) et je suis convaincu que c'est en
partie parce qu'il n'a jamais divulgué les rensei-
gnements qui peuvent justifier une telle demande.
Il doit accepter les conséquences de cette décision.
La très grande publicité de cette affaire ne
modifie en rien ces considérations. Elle résulte de
la gravité du crime, de la façon dont le requérant
est entré au Canada et de son omission de divul-
guer complètement sa situation lorsque les possibi-
lités lui ont été offertes. Il n'est guère surprenant
que l'affaire ait fait les manchettes et suscité un
débat à la Chambre des communes. De plus, il
n'est pas surprenant que ces facteurs aient eu pour
effet d'exercer une pression sur les représentants
des intimés pour procéder rapidement à l'arbitrage
de cette affaire. J'ai déjà dit que je ne trouve rien
d'anormal à cette situation.
En ce qui concerne les propos des ministres en
Chambre, bien que j'aie dit qu'ils auraient pu être
plus nuancés, néanmoins, je ne conclus pas que,
pris dans leur contexte, ils ont eu pour effet de
miner l'objectivité du processus décisionnel.
En définitive, la demande de brefs de certiorari
et de prohibition doit donc être rejetée.
À la fin de l'audience, l'avocat du requérant a
demandé qu'une ordonnance de suspension du pro-
cessus décisionnel soit rendue jusqu'à ce que le
requérant ait la possibilité d'établir à la satisfac
tion du ministre qu'il s'est réhabilité et que son
admission ne serait nullement préjudiciable à l'in-
térêt national. Cette demande ne faisait pas partie
des redressements demandés à l'origine et n'a
jamais été débattue. Je ne suis même pas certain
d'avoir la compétence pour rendre une telle ordon-
nance. Cependant, même si je n'ai pas l'intention
d'entendre d'arguments sur cette question, je peux
certes souhaiter que les arrangements soient pris
pour permettre au requérant de présenter ses argu
ments au ministre le plus tôt possible. Compte tenu
des décisions de la Commission d'appel de l'immi-
gration dans les affaires Simpson et Tsang, préci-
tées, il semble très important que cette possibilité
soit offerte au requérant.
Cette requête doit cependant être rejetée avec
dépens.
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