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A-620-86
Fonds international pour la défense des animaux, Inc., Stephen Best et Brian D. Davies (appelants)
c.
La Reine, le ministre des Pêches et Océans, le ministre de la Justice et le procureur général du Canada (intimés)
RÉPERTORIÉ: FONDS INTERNATIONAL POUR IA DÉFENSE DES ANIMAUX, INC. C. CANADA
Cour d'appel, juges Mahoney, Hugessen et MacGuigan—Toronto, 22 et 23 mars; Ottawa, 19 avril 1988.
Droit constitutionnel Charte des droits Libertés fon-
damentales Liberté d'expression Appelant militant en
faveur de l'abolition de la chasse au phoque Le transport
par hélicoptère de représentants de la presse sur les lieux de la chasse est une violation du Règlement sur la protection des phoques qui interdit de survoler les phoques à basse altitude
Demande d'accès à la chasse au phoque rejetée Le juge de première instance conclut que le Règlement porte atteinte à la liberté d'expression, mais demeure valide par l'application de l'art. 1 de la Charte L'art. 11(6) du Règlement qui interdit d'approcher à moins d'un demi-mille marin de toute chasse aux phoques à moins d'être titulaire d'un permis, est nul et de nul effet parce qu'il porte atteinte à la liberté d'expression Bien que le caractère suffisamment important de l'objectif ait été, de prime abord, établi, le paragraphe 11(6) du Règlement ne satisfait pas aux deuxième et troisième critères des moyens qu'établit l'arrêt La Reine c. Oakes: atteinte minimale à la liberté et proportionnalité entre les effets et l'objectif L'art. 11(5) du Règlement, qui interdit d'atterrir en aéronef à moins d'un demi-mille marin de tout phoque qui se trouve sur la glace dans la région du Golfe, ne constitue pas une entrave déraisonnable à l'exercice de la liberté d'expression.
Droit constitutiOnnel Charte des droits Clause limita-
tive Le Règlement vise à assurer la conservation du phoque et la gestion de la chasse au phoque Atteinte à la liberté
d'expression Peut-on tenir compte du double objectif de protéger les troupeaux de phoques et le droit des chasseurs de
gagner leur vie, dans l'application de l'art. 1? La Cour suprême du Canada offre dans La Reine c. Oakes une formu lation plus large des restrictions de liberté que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques L'objectif gouvernemental doit être suffisamment important et se rap- porter à des préoccupations réelles Le droit de gagner sa vie et l'équilibre environnemental entre le poisson et les phoques sont suffisamment importants pour mériter la protection de
l'art. 1 L'art. 11(6) du Règlement, qui interdit à quiconque n'est pas titulaire d'un permis d'approcher à moins d'un demi-mille marin d'une chasse aux phoques, restreint complè- tement la liberté d'expression des appelants La procédure d'attribution de permis ne saurait racheter un empiétement par ailleurs total, à moins de justification en vertu de l'art. 1 Les critères établis par l'arrêt Oakes ne sont pas satisfaits puisque la restriction n'est pas limitée autant que possible et
que les effets du Règlement dépassent ce qui est nécessaire L'art. 11(5), qui protège les phoques et la vie humaine en interdisant d'atterrir en aéronef à moins d'un demi-mille marin, ne constitue pas une entrave déraisonnable pour la liberté d'expression.
Pêcheries Le Règlement sur la protection des phoques interdit d'atterrir en aéronef à proximité des phoques ou de les survoler à une altitude inférieure à 2 000 pieds sans un permis du ministre ou de s'en approcher à moins d'un demi-mille marin sans permis Appelant militant en faveur de l'aboli- tion de la chasse au phoque La question se posait de savoir si le Règlement est conforme à l'art. 34 de la Loi sur les pêcheries Les activités interdites s'inscrivent dans le cadre de l'objet et des dispositions de la Loi qui vise à conserver et à protéger le poisson «Pêcherie» comprend les chasseurs de phoques, en qualité de personnes s'adonnant à la chasse du phoque L'art. 10 interdit de troubler ou de gêner une pêcherie de phoques Droit d'exploiter légitimement les ressources Constitutionnalité du règlement visant à la gestion et au contrôle adéquats des pêches côtières, ainsi qu'à la conservation et à la protection des phoques Règlement interdisant de s'approcher à moins d'un demi-mille marin jugé incompatible avec le droit à la liberté d'expression, que garan- tit la Charte.
Le paragraphe 11(6) du Règlement sur la protection de phoques interdit aux personnes non titulaires d'un permis de s'approcher à moins d'un demi-mille marin de tout lieu une chasse aux phoques est en cours. Le paragraphe 11(5) interdit d'atterrir en hélicoptère ou autre aéronef à moins d'un demi- mille marin d'un phoque qui se trouve sur la glace dans la région du Golfe ou dans la région du Front, ou de le survoler, sans permis du ministre, à une altitude inférieure à 2 000 pieds sauf s'il s'agit d'un vol commercial régulier.
L'appelant est l'administrateur-fondateur du Fonds interna tional pour la défense des animaux, Inc. (FIDA). Dans le cadre de sa campagne d'abolition de la chasse au phoque, le FIDA a essayé d'éveiller l'intérêt public en faisant assister les représen- tants de la presse à la chasse pour en rendre compte ensuite. De nombreuses demandes faites par le FIDA en vue d'avoir accès au terrain de chasse ont été rejetées. Les appelants concluent à un jugement déclarant que le Règlement est nul et de nul effet. Le juge de première instance a conclu que le Règlement avait pour effet de restreindre le droit de l'appelant à la liberté d'expression, que garantit l'article 2 de la Charte, mais qu'il était valide par l'application de l'article I de la Charte. Il a également rejeté l'argument subsidiaire selon lequel le Règle- ment n'était pas conforme à l'article 34 de la Loi sur les pêcheries.
Arrêt: il est déclaré que le paragraphe 11(6) est incompatible avec la Charte et est nul et de nul effet; l'appel intéressant le paragraphe 11(5) du Règlement est rejeté.
Le juge de première instance a eu raison de conclure que le Règlement est conforme à la Loi sur les pêcheries. La régle- mentation des activités contestées s'inscrit dans l'objectif de la Loi qui est la conservation et la protection du poisson, ainsi que la gestion, la répartition et le contrôle adéquats des pêcheries. Le rapport entre la quantité de poissons et le nombre de phoques est un phénomène naturel fondamental. Pêcherie,, comprend les chasseurs de phoques, en qualité de personnes s'adonnant à la chasse aux phoques. En outre, l'article 10 interdit de troubler ou de gêner les pêcheries de phoques.
Le juge de première instance a eu aussi raison en concluant que la liberté d'expression doit inclure la liberté d'accès à toute information pertinente aux idées ou aux croyances que l'on cherche à exprimer. L'interprétation libérale est justifiée par l'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et par la jurisprudence. Le paragraphe 11(6) res- treint complètement la liberté d'expression des appelants. L'existence d'une procédure d'attribution de permis ne saurait racheter un empiétement par ailleurs total sur une liberté fondamentale prévue à l'article 2, à moins d'être justifiée par l'article 1.
Pour bénéficier de la protection de l'article 1, l'objectif gouvernemental doit être suffisamment important et se rappor- ter à des préoccupations urgentes et réelles. Les objectifs ne sont pas limités à ceux qu'énumère le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ils ne sont pas restrictifs (voir La Reine c. Oakes) et doivent comprendre les droits économiques que prévoit le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, dont le droit de gagner sa vie. L'objectif du paragraphe 11(6) qui est d'interdire de troubler les activités légitimes de chasse au phoque et l'objectif d'un équilibre environnemental entre le poisson et les phoques constituent des objectifs législatifs suffisamment importants pour mériter la protection de l'article I.
Dès lors qu'un objectif est reconnu comme au moins de prime abord suffisamment important, la partie qui invoque l'article I doit établir que les moyens choisis sont raisonnables et que leur justification peut se démontrer. Les trois éléments de propor- tionnalité énoncés dans l'arrêt Oakes sont: (1) lien rationnel avec l'objectif; (2) atteinte minimale à la liberté en cause; et (3) proportionnalité entre les effets et l'objectif. La procédure d'attribution de permis prévue au Règlement ne comporte aucune norme. La restriction de la liberté d'expression ne peut pas être laissée au bon vouloir des fonctionnaires, elle doit être énoncée aussi précisément que le permet la question en cause. Le paragraphe 11(6) ne satisfait donc pas aux deuxième et troisième critères.
Le paragraphe 11(5) constitue cependant un empiétement partiel, et peut-être même minime, sur la liberté d'expression. Pour qu'il y ait empiétement sur une liberté de l'article 2, l'entrave imposée doit être réelle ou déraisonnable. Le rapport indirect entre le droit contesté et la liberté protégée est aussi pertinent. La liberté de mouvement ne mérite en l'espèce la protection de la Charte que dans la mesure elle est néces- saire à l'exercice de la liberté d'expression. Les difficultés découlant de l'accès par bateau ont été causées par la nature de la région en cause plutôt que par la clause restrictive du Règlement. L'inconvénient tenant à l'interdiction d'atterrir en aéronef ne constitue pas un empiétement déraisonnable ou plus que négligeable sur la liberté d'expression de l'appelant.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de /982 sur le Canada, 1982, chap. 1 I (R.-U.), part. 1, 2b), 24(1).
Déclaration universelle des droits de l'homme, 1948, A.G. Rés. 217A (III), Doc. A/810 N.U., art. 19.
Loi sur les pêcheries, S.R.C. 1970, chap. F-14, art. 2
(mod. par S.C. 1985, chap. 31, art. 1), 2.1 (édicté, idem, art. 2), 10 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 35, art. 3), 34.
Pacte international relatif aux droits civils et politiques avec Protocole facultatif, [1976] R.T. Can., 47, art. 1, 19.
Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels, [1976] R.T. Can., 46, art. 11. Règlement sur la protection des phoques, C.R.C., chap.
833, art. I l(5),(6) (mod. par DORS/78-167, art. 3).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295; 18 D.L.R. (4th) 321; 18 C.C.C. (3d) 385; 13 C.R.R. 64; La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; 26 D.L.R. (4th) 200; 65 N.R. 87; 24 C.C.C. (3d) 321; 19 C.R.R. 308; R. c. Crown Zellerbach Canada Ltd., [1988] 1 R.C.S. 401; Re Ontario Film and Video Appreciation Society and Ontario Board of Censors (1983), 147 D.L.R. (3d) 58 (C. div. Ont.); confirmé (1984), 5 D.L.R. (4th) 766 (C.A. Ont.); 41 (O.R.) (2d) 583; confirmé 45 O.R. (2d) 80; R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713; 35 D.L.R. (4th) 1; 55 C.R. (3d) 193; 30 C.C.C. (3d) 385; 28 C.R.R. 1.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Comité pour la République du Canada c. Canada, [1987] 2 C.F. 68; 36 D.L.R. (4th) 501.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Fowler c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 213; 113 D.L.R. (3d) 513; Thorne's Hardware Ltd. et autres c. La Reine et autre, [1983] 1 R.C.S. 106; 143 D.L.R. (3d) 577; Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313; 38 D.L.R. (4th) 161; SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573; 33 D.L.R. (4th) 174; Shuttlesworth v. Birmingham, 394 U.S. 147 (1969).
DOCTRINE
Etherington, Brian (1987), 66 R. du B. Can., p. 818. Gibson, Dale, The Law of the Charter: General Princi ples, Toronto: Carswell, 1986.
Partsch, Karl Josef, «Freedom of Conscience and Expres sion, and Political Freedoms», The International Bill of Rights, New York: Columbia University Press, 1981, p. 218.
AVOCATS:
Peter F. M. Jones et Daniel V. MacDonald pour les appelants.
John E. Thompson et Charleen Brenzall pour les intimées.
PROCUREURS:
McMillan, Binch, Toronto, pour les appe- lants.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimées.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN: Ce litige soulève des questions fondamentales concernant la liberté d'expression; il s'agit d'un appel du jugement du juge McNair, daté du 18 `septembre 1986 et publié sous la référence [1987] 1 C.F. 244, en vertu duquel il a rejeté l'action des appelants avec dépens. Les appelants cherchent à obtenir un juge- ment déclaratoire portant que certaines disposi tions du Règlement sur la protection des phoques [C.R.C., chap. 833] (le «Règlement») adopté en application de la Loi sur les pêcheries [S.R.C. 1970, chap. F-14] (la «Loi») violent la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]. Subsidiairement, ils demandent un jugement déclarant que le gouverneur en conseil a, dans ces dispositions, outrepassé le pouvoir d'édic- ter des règlements, que lui accorde l'article 34 de la Loi. En première instance il a également été question d'un présumé abus du pouvoir discrétion- naire ministériel, mais cette question n'est pas en litige dans le présent appel. Les appelants contes- tent toutefois devant cette Cour l'exclusion par le juge de première instance d'une preuve d'expert déposée par un journaliste. Cependant, étant donné qu'ils ont convenu au cours de leur argu ment qu'ils ne désiraient pas un nouveau procès, cette Cour n'a pas à se prononcer sur cette question.
Le juge de première instance a conclu que le Règlement avait pour effet d'empiéter sur le droit des appelants à la liberté d'expression prévu à l'article 2 de la Charte, mais il a jugé que le Règlement restait valide par l'application de l'arti- cle 1 de la Charte. Il a également rejeté l'argu- ment subsidiaire des appelants.
L'appelant, le Fonds international pour la défense des animaux, Inc. («FIDA»), constitué en société en 1969, s'est donné pour mandat l'aboli-
tion de la chasse aux phoques et, de façon géné- rale, la protection des animaux contre la cruauté et l'exploitation. L'appelant, Brian Davies («B. Davies»), agit en qualité d'administrateur du FIDA depuis sa création. L'appelant, Stephen Best («S. Best»), a agi à titre de coordonnateur national du FIDA de 1980 1984.
Dans le cadre de sa campagne pour obtenir l'abolition de la chasse du phoque, le FIDA a essayé d'éveiller l'intérêt public en faisant assister les représentants de la presse parlée et écrite à la chasse pour qu'ils en fassent par la suite rapport au public. En 1976 et 1977, l'organisme a amené environ 20 et 55 représentants respectivement sur les lieux de la chasse. Dans son témoignage, B. Davies parle de l'importance de cette activité dans les termes suivants (Transcription de la preuve, vol. 1, aux pages 66 et 67) :
[TRADUCTION] Nous croyons que la chasse du phoque est immorale et qu'elle doit être abolie. Nous étions d'avis qu'il nous fallait diffuser ce message le plus possible au Canada et ailleurs, et que le seul moyen de le faire était par l'intermé- diaire des médias: télévision, presse, radio. Pour exercer ce droit, il nous fallait, selon nous, amener des représentants de la presse écrite et parlée à la chasse du phoque afin que ceux-ci, au moyen de leurs photographies et de leurs reportages, tou- chent un large auditoire dans l'espoir qu'un changement serait effectué.
Effectivement, au moment du procès, la chasse du phoque avait pratiquement cessé par manque de marchés; elle ne se pratiquait plus que sur une petite échelle (Transcription de la preuve, vol. 6, aux pages 624, 651 et 652). 11 est maintenant bien connu que le gouvernement a depuis annoncé l'in- terdiction de la chasse à des fins commerciales des phoques du Groënland et des phoques à capuchon bleu-noir.
Les dispositions pertinentes de la Charte sont les suivantes:
1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être res- treints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.
2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :
a) liberté de conscience et de religion;
b) liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;
c) liberté de réunion pacifique;
d) liberté d'association.
L'article pertinent du Règlement, dans la forme dans laquelle l'a traité le juge de première instance et assorti de ses modifications [DORS/78-I67, art. 3] jusqu'au 28 mars 1985', se lit comme suit :
I1. (I) Il est interdit d'utiliser un hélicoptère ou un autre aéronef pour la chasse du phoque, sauf pour aller à la recherche des phoques.
(2) II est interdit d'utiliser un hélicoptère ou un autre aéro- nef pour aller à la recherche des phoques à moins d'avoir un permis de chasse du phoque à partir d'un aéronef, délivré par le Ministre.
(3) Un permis de chasse du phoque à partir d'un aéronef ne peut être délivré qu'à l'égard d'un aéronef immatriculé au Canada aux termes de la partie 11 du Règlement de l'Air établi en vertu de la Loi sur l'aéronautique.
(4) Un permis de chasse du phoque à partir d'un aéronef est assujetti aux modalités et conditions que le Ministre peut prescrire.
(5) Sauf avec la permission du Ministre, il est interdit
a) d'atterrir en hélicoptère ou autre aéronef à moins de 'L mille marin d'un phoque qui se trouve sur la glace dans la région du Golfe ou dans la région du Front; ou
b) de survoler en hélicoptère ou dans un autre aéronef, à une altitude de moins de 2 000 pieds, un phoque qui se trouve sur la glace, sauf s'il s'agit d'un vol commercial suivant un plan de vol établi.
(6) À moins d'être titulaire d'un permis, il est interdit d'approcher à moins d'un demi-mille marin de toute région une chasse aux phoques est en cours.
(7) Le paragraphe (6) ne s'applique pas
a) aux vols commerciaux suivant un plan de vol établi;
b) au personnel d'exécution employé par le ministère de l'Environnement ou lui venant en aide;
c) aux scientifiques, techniciens et observateurs employés par le ministère de l'Environnement ou présents, à sa demande, à une chasse aux phoques; et
d) aux bateaux commerciaux sillonnant les eaux se prati- que une chasse au phoque.
(8) Les demandes d'autorisation requises en vertu du para- graphe (6) doivent parvenir au bureau du Ministre au plus tard le 20 février de chaque année pour laquelle un permis est demandé.
(9) La demande de permis requise selon le paragraphe (6) doit contenir
a) les noms, adresses, associations professionnelles et occu pations de toutes les personnes touchées par le permis;
b) un énoncé détaillé des raisons pour lesquelles le permis est nécessaire;
' Le Règlement DORS/85-294, art. 4 du 28 mars 1985 a changé le début du paragraphe 11(5) comme suit: «À moins d'y être autorisé par permis, il est interdit ...» Le Règlement DORS/85-697, art. I du 24 juillet 1985 a substitué aux distan ces figurant aux alinéas a) et b) du paragraphe 11(5) la distance de 600 mètres.
e) le moyen de transport qui sera utilisé pour se rendre au lieu de chasse et en revenir;
d) le nom, le numéro ou la description du véhicule qui sera utilisé pour se rendre au lieu de chasse et en revenir;
e) la région et les dates pour lesquelles est demandée le permis; et
f) toute autre information pouvant être exigée pour vérifier ou expliquer les renseignements requis aux alinéas a) à e).
Les appelants s'opposent au paragraphe 11(5), que je vais appeler la clause limitative relative à l'usage d'un aéronef, et au paragraphe 11(6), que je vais appeler la clause limitative relative au lieu.
À mon avis, dans l'intérêt du bon ordre, il serait plus approprié de commencer par l'argument sub- sidiaire des appelants, pour ensuite examiner la clause limitative relative au lieu et la clause limita- tive relative à l'usage d'un aéronef.
Avant 1970, l'accès à la chasse du phoque était pratique ment illimité. Il est bien connu que, durant les années 1960, l'usage des aéronefs a entraîné de graves abus qui ont conduit à l'adop- tion du Règlement de 1970 [DORS/70-108, art. 12(5)] interdisant d'atterrir en hélicoptère ou autre aéronef à moins d'un demi-mille marin d'un troupeau de phoques qui se trouve sur la glace (le règlement a été modifié en 1974 [DORS/74-216, art. 2] pour se lire «d'un phoque qui se trouve sur la glace»). En 1976, une autre modification était adoptée [DORS/76-172, art. 3] interdisant de sur- voler en hélicoptère ou dans un autre aéronef à une altitude de moins de 2 000 pieds un phoque qui se trouve sur la glace. En 1978, une autre modifica tion était adoptée [DORS/78-167, art. 3] interdi- sant à toute personne de s'approcher à moins d'un demi-mille marin de toute région une chasse aux phoques est en cours. La même année, on instaurait un système de permis d'exemption rela- tif à cette dernière interdiction.
Les dispositions de la Loi en vertu desquelles le Règlement est adopté sont les suivantes [art. 2.1 édicté par S.C. 1985, chap. 31, art. 2]:
2.1 La présente loi a pour objet d'assurer
a) la conservation et la protection du poisson et des eaux il vit;
b) une gestion, une répartition et un contrôle adéquats des pêches côtières du Canada;
e) la permanence des stocks de poisson, et sous réserve de l'alinéa a), en tenant compte des intérêts des groupes exploi-
tants et après consultation, le maintien et le développement des avantages économiques et sociaux qui proviennent de l'exploitation de ces stocks au profit des pêcheurs et de ceux qui oeuvrent dans l'industrie des pêches côtières canadiennes, au profit des autres personnes dont la subsistance dépend en tout ou en partie de ces pêches de même qu'au profit de l'ensemble du peuple canadien;
34. Le gouverneur en conseil peut édicter des règlements concernant la réalisation des objets de la présente loi et l'appli- cation de ses dispositions et, en particulier, peut, sans restrein- dre la généralité de ce qui précède, édicter des règlements
a) concernant la gestion et la surveillance judicieuses des pêches côtières et des pêches de l'intérieur;
b) concernant la conservation et la protection du poisson;
i) concernant la conservation et la protection des frayères;
Dans l'article des définitions (article 2), le poisson est défini comme comprenant «les animaux marins» tels les phoques.
Dans son ensemble, le Règlement établit un système complet de contrôle de tous les aspects de la chasse aux phoques. Les articles 3 à 7 réglemen- tent l'abattage des phoques dans les régions les plus au nord du pays. L'article 8 vise la chasse à partir des bateaux et les permis relatifs à ces bateaux. L'article 10 régit les périodes et les régions des phoques peuvent être tués et le nombre de phoques qui peuvent être abattus. Les
articles 12 14 contiennent d'autres restrictions visant les périodes et les régions la chasse aux phoques est permise et les personnes qui peuvent s'y adonner. Les articles 15 et 16 traitent des méthodes d'abattage des phoques. Les articles 16.1 [DORS/80-115, art. 5] et 18 régissent les activités relatives à l'enlèvement des peaux de phoques de la glace. Les articles 17, 19 et 23 prévoient des restrictions additionnelles visant la chasse aux phoques.
J'ai déjà mentionné que la clause limitative relative à l'usage d'un aéronef avait été adoptée suite aux abus commis à l'aide de tels appareils au cours des années 1960 pour chasser les phoques. La clause limitative relative au lieu a été adoptée suite à la recommandation du Comité d'étude des phoques et de leur chasse («CEPC»), comité con- sultatif du ministère des Pêches qui a été constitué en 1971, suite aux représentations des sociétés protectrices des animaux, dans le but d'examiner tous les aspects de la chasse du phoque dans
l'Atlantique nord-ouest et l'Arctique. La recom- mandation de 1977 du CEPC et la réponse du ministre à cette recommandation se lisent comme suit (Dossier d'appel, vol. 4, page 646):
[TRADUCTION] OBSERVATION LIMITÉE DE LA CHASSE
Recommandation du CEPC—APPROUVÉE
Le comité préconise une loi qui protégerait les titulaires de permis de chasse aux phoques contre l'ingérence ou le harcèle- ment. Il ne croit pas qu'une telle loi a encore été formulée.
Réponse du ministre
En février 1978, nous avons mis en place un système de permis à l'intention des personnes qui désirent visiter les zones de chasse. L'objet des modifications habilitantes apportées au Règlement sur la protection des phoques est de permettre aux journalistes accrédités, aux représentants de la presse, aux scientifiques et aux observateurs des sociétés protectrices des animaux d'effectuer des examens responsables, mais d'empê- cher le genre d'intervention dans les activités légales des chas- seurs de phoques qui a marqué la chasse de 1977 dans la région du Front.
Bien que l'autorité statutaire du gouvernement fédéral de faire des règlements soit interprétée de façon stricte lorsque sa compétence constitution- nelle est en cause (Fowler c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 213; 113 D.L.R. (3d) 513), un tribunal n'a pas le mandat de s'interroger sur les motifs du gouvernement de faire un règlement ou d'interpré- ter son pouvoir statutaire de façon restrictive dans d'autres contextes (Thorne's Hardware Ltd. et autres c. La Reine et autre, [1983] 1 R.C.S. 106; 143 D.L.R. (3d) 577). En l'espèce, de façon géné- rale la Loi a pour but d'assurer la conservation et la protection du poisson et une gestion, une répar- tition et un contrôle adéquat des pêches côtières. A l'article 2 [mod. par S.C. 1985, chap. 31, art. 1], le mot «pêcherie» est défini en partie comme suit: «dans les eaux des pêcheries canadiennes, des endroits ainsi que des périodes durant lesquelles ont lieu la pêche et des activités connexes» et «des personnes s'adonnant» à des activités de pêche. En outre, l'article 10 [mod. par S.C. 1976-77, chap. 35, art. 3] de la Loi prévoit expressément ce qui suit à l'égard de la chasse au phoque:
10. Nul ne doit, au moyen d'un bateau ou navire ou de toute autre manière, durant le temps de la pêche au phoque, troubler, gêner ou déranger une pêcherie de phoque, ni empêcher les troupeaux de phoques d'y entrer, ni les arrêter dans leur marche, ni sciemment ou délibérément les effrayer.
Sur ce point, la conclusion du juge de première instance se lit comme suit la page 267) :
L'affaire Fowler comporte un autre élément qui la distingue de l'espèce, en ce sens que dans ce conflit constitutionnel
s'opposaient la compétence législative fédérale et la compétence législative provinciale. Ce point n'est pas soulevé en l'espèce, car la véritable question de l'inconstitutionnalité est de savoir si le Règlement a été édicté par le gouverneur en conseil pour appliquer l'objet et les dispositions de la Loi sur les pêcheries pour ce qui est de la gestion et du contrôle adéquats des pêches côtières et intérieures et la conservation et la protection des phoques. Contrairement à l'arrêt Fowler, il y a suffisamment de preuve pour démontrer que la gamme entière des activités contestées s'inscrit en fait dans le cadre de l'objet et des dispositions de la loi habilitante. La définition de «pêcherie» dans la Loi sur les pêcheries comprend les chasseurs de pho- ques, en qualité de personnes s'adonnant à la chasse du phoque. La loi reconnaît les pêches comme une ressource naturelle et publique qui comprend non seulement les animaux marins eux-mêmes, mais également la chasse du phoque dans la mesure il s'agit du droit d'exploiter légitimement les ressour- ces à l'endroit on les trouve et le droit est exercé légalement. À mon avis, le Règlement sur la protection des phoques est de la compétence du Parlement, c'est-à-dire qu'il est conforme à l'objet et aux dispositions de la Loi sur les pêcheries du fait qu'il s'agit d'un Règlement édicté pour la gestion et le contrôle adéquats des pêches côtières et pour la conservation et la protection des phoques. En conséquence, l'argument des demandeurs en ce qui concerne l'inconstitution- nalité doit être rejeté.
Je suis en accord avec l'exposé de la question du juge de première instance ainsi qu'avec sa conclusion.
II
Le juge de première instance a suivi le même cheminement analytique pour les deux dispositions contestées du Règlement. L'exposé ci-dessous s'ap- plique donc aux deux questions (pages 256 à 264):
Il est maintenant établi hors de tout doute que la Charte est un document constitutionnel «vivant» dont l'interprétation doit être vaste et libérale et doit répondre à un objet précis en ce qui concerne les droits qui y sont garantis.
En ce qui concerne la question de la constitutionnalité, les demandeurs prétendent que les dispositions contestées du Règlement sur la protection des phoques empiètent sur leur liberté d'accès à l'information, ce qui contrevient à l'alinéa 2b) de la Charte. En outre, ils affirment que les interdictions par le Règlement d'atterrir ou de survoler en hélicoptère ou autre aéronef à proximité d'un phoque qui se trouve sur la glace ont pour effet d'enlever tout sens au permis ou à la permission d'approcher dans un rayon d'un demi-mille marin d'un endroit a lieu une chasse du phoque. Les demandeurs prétendent également que le FIDA est membre des médias. Je ne puis accepter cette dernière prétention. Les défendeurs, par contre, affirment que la liberté d'expression est limitée à la diffusion des idées et des croyances et n'englobe pas l'aspect plus vaste de l'accès à l'information comme source d'expression de ces idées et croyances. Il est allégué, subsidiairement, que si une telle liberté d'accès à l'information existe, alors les restrictions impo-
sées par le Règlement sont justifiables au sens de l'article premier de la Charte.
Un examen détaillé et précis de l'alinéa 2b) [de la Charte) mène, à mon avis, inévitablement à la conclusion que la liberté d'expression doit inclure la liberté d'accès à toute information pertinente aux idées ou aux croyances que l'on cherche à exprimer, sous réserve des restrictions raisonnables et nécessai- res pour la sécurité nationale, l'ordre public, la santé ou les moeurs publics ou les droits et libertés fondamentaux d'autrui.
La question ainsi posée est la suivante: le Règlement vise-t-il la conservation et la protection des phoques ainsi que la gestion et le contrôle adéquats de la chasse du phoque, compte tenu des origines ancestrales et traditionnelles de cette chasse et des droits des personnes dont la subsistance dépend de cette acti- vité, ou l'objet principal de ce Règlement est-il de supprimer la liberté d'expression? A mon avis, l'objet du Règlement est parfaitement valable. Néanmoins, son véritable effet a été d'empiéter sur la liberté d'expression des demandeurs, garantie par la Charte, dans le sens large de liberté d'accès à l'informa- tion. A prime abord, leur droit a été violé et il devient néces- saire maintenant d'examiner l'article premier de la Charte afin de déterminer si les limites imposées sont «raisonnables» et si leur «justification [peut] se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique».
Le fardeau de prouver la justification incombe aux défen- deurs en leur qualité de partisans de la législation contestée. Quelle sorte de preuve s'impose? La réponse est loin d'être claire. L'opinion prédominante est qu'il faudrait une preuve suffisamment forte pour convaincre la cour du caractère raison- nable des limites, c'est-à-dire de l'équilibre entre les intérêts légitimes de la société et les droits de l'individu, sauf dans les cas cela est évident (voir la décision du juge en chef Dickson dans l'arrêt R. c. Oakes, précité, à la page 138) et alors, des arguments convaincants suffiraient probablement à l'emporter. Dans d'autres affaires, la preuve de la justification pourrait prendre la forme de rapports ou d'études en sciences sociales. La forme de la preuve variera sans doute selon les circonstances de chaque cas.
Dans une déclaration sur la condamnation de Brian Davies en 1977, le Premier Ministre a précisé que les interdictions du Règlement, relativement à l'atterrissage ou au survol en aéronef près d'un phoque qui se trouve sur la glace, visaient à mettre fin à la pratique, non réglementée et extrêmement dangereuse, consistant à chasser les phoques par aéronef. Désormais, les chasseurs ne pourront s'approcher de l'endroit de la chasse que par navire. Il existe d'autres preuves qui abondent dans le même sens. Aucune preuve ne nous oblige à conclure que le Règlement vise à refuser l'accès à la presse. En fait, tout indique le contraire. En 1982, quarante-neuf demandes de permission d'observer la chasse ont été présentées, huit ont été refusées dont celles des trois représentants du FIDA. Les qua- rante et une demandes acceptées émanaient pour la plupart des représentants des médias. De même, en 1983, dix-neuf deman- des de permission ont été présentées dont quinze ont été acceptées et quatre refusées. Parmi celles qui ont été acceptées, neuf émanaient de représentants des médias.
Quelles autres raisons justifiaient l'interdiction stricte d'at- terrir ou de survoler en aéronef près d'un phoque qui se trouve sur la glace? Selon la preuve, je conclus que le survol d'un aéronef à basse altitude disperserait les troupeaux de phoques. Le D' David Lavigne, expert (en phoques) principal des deman- deurs, a confirmé ce point au cours de son témoignage. B. Davies lui-même le reconnaît honnêtement. Le fait a été aussi corroboré clairement par les témoignages de MM. Renaud et Small, capitaines experts en chasse du phoque ayant à leur actif une expérience de nombreuses années. La preuve a également établi que le bruit d'un aéronef perturberait la maman phoque allaitant son bébé, mais on n'a pu évaluer l'étendue des domma- ges réels causés par ce genre de perturbation autrement que par la déduction et en se réduisant aux conjectures. Il est conceva- ble qu'il doit y avoir certains dommages.
Les restrictions imposées par le gouvernement aux protesta- taires militants étaient-elles raisonnables dans les circons- tances? Il y a une distinction très subtile entre le fait de chercher de l'information afin de mener une campagne efficace de protestation contre une activité commerciale légale et le fait de protester contre cette activité sur les lieux mêmes elle se déroule. Les chasseurs de phoques devenaient sensibles à toute cette publicité et refusaient de se laisser photographier. Le gouvernement les considérait comme un important groupe social, économique et politique et il désirait reconnaître leur droit de gagner leur vie, loin de l'intervention des protestataires. La banquise n'était guère un endroit indiqué pour faire des protestations. M. Stanley Dudka en était d'ailleurs fermement convaincu, lui qui était agent supérieur de protection des pêches et qui avait acquis une grande expérience en la matière en assistant à de nombreuses chasses. Il a mentionné cinq occa sions il a aller à la rescousse de B. Davies et de ses congénères, notamment en raison des mauvaises conditions atmosphériques.
Le D' Lavigne a raconté l'étrange aventure qu'il a vécue personnellement en traversant la banquise un matin pour s'en aller à la chasse et en revenant par le même chemin l'après- midi pour découvrir que la trace de ses pas avait disparu parce que la glace s'était complètement retournée dans les eaux du chenal. La sécurité justifierait à elle seule l'imposition de certaines restrictions à la liberté d'accès.
Compte tenu de l'ensemble de la preuve, je suis d'avis que _ l'intérêt collectif du gouvernement de protéger les phoques, ainsi que le droit fondamental des chasseurs de phoques d'exer- cer leur métier ancestral, l'emportent nettement sur la liberté d'accès à l'information des demandeurs, garantie par la Charte. En conséquence, les restrictions prévues par le Règlement sur la protection des phoques sont raisonnables dans les circons- tances et leur justification peut se démontrer dans le cadre normal d'une société libre et démocratique.
Selon moi, il ne fait aucun doute que le juge de première instance a eu raison dans son «examen détaillé et précis» de la liberté d'expression garan- tie par la Charte. Je crois qu'il a eu aussi raison en concluant que «la liberté d'expression doit inclure la liberté d'accès à toute information pertinente aux idées ou aux croyances que l'on cherche à exprimer». Pour en arriver à cette conclusion, il a
cité l'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques avec Protocole facultatif [[19761 R.T. Can., 47], auquel le Canada a adhéré, qui se lit comme suit :
ARTICLE 19
1. Nul ne peut être inquiété pour ses opinions.
2. Toute personne a droit à la liberté d'expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considéra- tion de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix.
3. L'exercice des libertés prévues au paragraphe 2 du présent article comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales. Il peut en conséquence être soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires:
a) Au respect des droits ou de la réputation d'autrui;
b) À la sauvegarde de la sécurité nationale, de l'ordre public, de la santé ou de la moralité publiques.
La liberté de rechercher des informations dont il est question au paragraphe 19(2) a été délibéré- ment incluse, à l'encontre des vues de ceux qui préconisaient une protection restreinte au rassem- blement passif d'informations: le professeur Karl Josef Partsch, «Freedom of Conscience and Expression, and Political Freedoms», The Interna tional Bill of Rights, New York: Columbia Uni versity Press, 1981, page 218.
Il ne fait aucun doute que, pour emprunter les mots du juge en chef Dickson dans le Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313, aux pages 349 et
350; 38 D.L.R. (4th) 161, la page 185, «ces normes constituent une source pertinente et per suasive d'interprétation des dispositions de cette dernière [la Charte].» La formulation large du paragraphe 19(2) du Pacte international est en fait presque identique à l'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme [A.G. Rés. 217A (III), Doc. A/810 N.U. (1948)], proclamée plus tôt et dont le Canada est également signa- taire. Ledit article se lit comme suit:
19. Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expres- sion, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit.
La seule décision de la Cour suprême du Canada sur la liberté d'expression semblerait sou- tenir cette conclusion: SDGMR c. Dolphin Deli-
very Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573; 33 D.L.R. (4th) 174. L'arrêt Dolphin Delivery traite de l'autre pôle de la question de la liberté d'expression, c'est-à- dire la liberté de répandre plutôt que de rechercher des informations. Parlant au nom de la majorité, le juge McIntyre (pages 786 R.C.S.; 791 D.L.R.) semble être d'avis que toute forme de piquetage paisible s'inscrit dans la liberté d'expression proté- gée par l'alinéa 2b) de la Charte. Sur cette ques tion, voir les notes du professeur Brian Etherington sur la cause dans (1987), 66 R. du B. Can., p. 818. Cet élargissement de la liberté d'expression tradi- tionnellement reconnue au droit de répandre des informations favoriserait, par analogie, un élargis- sement de l'interprétation en ce qui concerne la source.
Compte tenu de cette interprétation élargie, je serais aussi d'accord avec le juge de première instance que la clause limitative relative au lieu énoncée au paragraphe 11(6) du Règlement, en vertu de laquelle une personne non titulaire d'un permis ne peut approcher à moins d'un demi-mille marin du lieu une chasse au phoque est en cours, empiète sur la liberté d'expression. Cet empiétement diffère de celui qui a été invoqué devant cette Cour dans l'affaire Comité pour la République du Canada c. Canada, [1987] 2 C.F. 68; 36 D.L.R. (4th) 501, en ce que, comme l'a constaté le juge de première instance, il découle apparemment, non pas du but de la loi, mais de son effet.
Néanmoins, cette clause limitative restreint complètement la liberté d'expression des appelants en leur interdisant d'assister à la chasse dans toutes les circonstances. Son seul bon côté est la possibilité d'obtenir un permis mais, selon moi, cette procédure ne saurait racheter un empiéte- ment par ailleurs total sur une liberté fondamen- tale prévue à l'article 2. Une restriction au moyen d'un système de permis ne peut être justifiée qu'en vertu de l'article 1 2 . Je suis donc d'accord avec le
' Aucune décision canadienne à cet effet n'a été citée à cette Cour, mais la jurisprudence américaine appuie ma conclusion. Par exemple, dans l'affaire Shuttlesworth v. Birmingham, 394 U.S. 147 (1969), aux p. 150 et 151, le juge Stewart, parlant au nom de la majorité de la Cour suprême, affirme que: [TRAuuc- TION] «une loi qui assujettit l'exercice des libertés du premier Amendement à un système ... de permis, sans normes étroites, objectives et précises pour guider les responsables de l'attribu- tion des permis, est inconstitutionnelle». [C'est moi qui souli- gne.] La question de la suffisance des normes est une considéra- tion qui s'inscrit dans le cadre de l'article 1 de la Charte canadienne (en rapport avec les moyens).
juge de première instance que la clause limitative relative au lieu du paragraphe 11(6) empiète sur la liberté d'expression qui est protégée par le para- graphe 2b) de la Charte. Il est donc nécessaire de faire une analyse à la lumière de l'article 1.
Le cheminement à suivre pour une telle analyse se retrouve dans les motifs des deux décisions maîtresses du juge en chef Dickson, à savoir : R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295; 18 D.L.R. (4th) 321; 18 C.C.C. (3d) 385; 13 C.R.R. 64; et La Reine c. Oakes, [ 1986] 1 R.C.S. 103; 26 D.L.R. (4th) 200; 65 N.R. 87; 24 C.C.C. (3d) 321; 19 C.R.R. 308. Dans ce dernier juge- ment, il énonce les critères applicables qui suivent aux pages 138 et 139 R.C.S.; 227 D.L.R.; 128 et 129 N.R.; 348 C.C.C.; 336 et 337 C.R.R.:
Pour établir qu'une restriction est raisonnable et que sa justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique, il faut satisfaire à deux critères fondamen- taux. En premier lieu, l'objectif que visent à servir les mesures qui apportent une restriction à un droit ou à une liberté garantis par la Charte, doit être «suffisamment important pour justifier la suppression d'un droit ou d'une liberté garantis par la Constitution»: R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, à la p. 352. La norme doit être sévère afin que les objectifs peu importants ou contraires aux principes qui constituent l'essence même d'une société libre et démocratique ne bénéficient pas de la protection de l'article premier. Il faut à tout le moins qu'un objectif se rapporte à des préoccupations urgentes et réelles dans une société libre et démocratique, pour qu'on puisse le qualifier de suffisamment important.
En deuxième lieu, dès qu'il est reconnu qu'un objectif est suffisamment important, la partie qui invoque l'article premier doit alors démontrer que les moyens choisis sont raisonnables et que leur justification peut se démontrer. Cela nécessite l'appli- cation d'aune sorte de critère de proportionnalité»: R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, à la p. 352. Même si la nature du critère de proportionnalité pourra varier selon les circonstances, les tribunaux devront, dans chaque cas, soupeser les intérêts de la société et ceux de particuliers et de groupes. A mon avis, un critère de proportionnalité comporte trois éléments importants. Premièrement, les mesures adoptées doivent être soigneusement conçues pour atteindre l'objectif en question. Elles ne doivent être ni arbitraires, ni inéquitables, ni fondées sur des considéra- tions irrationnelles. Bref, elles doivent avoir un lien rationnel avec l'objectif en question. Deuxièmement, même à supposer qu'il y ait un tel lien rationnel, le moyen choisi doit être de nature à porter «le moins possible» atteinte au droit ou à la liberté en question: R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, à la page 352. Troisièmement, il doit y avoir proportionnalité entre les effets des mesures restreignant un droit ou une liberté garantis par la Charte et l'objectif reconnu comme «suffisam- ment important».
Les appelants ont soutenu que le juge de pre- mière instance n'avait tenu compte que du deuxième critère. Selon moi, il semble avoir conclu, du moins implicitement, que le critère relatif à l'objectif du Règlement était satisfait. Mais, qu'il ait ou non fait cette constatation, la question a été plaidée en profondeur devant cette Cour et elle doit maintenant être tranchée.
Les intimés ont maintenu que le double objectif législatif était de protéger les troupeaux de pho- ques et le droit des chasseurs de gagner leur vie. Les appelants ont soutenu que, selon le Pacte internationnal relatif aux droits civils et politi- ques avec Protocole facultatif, on ne pouvait tenir compte de ni l'un ni l'autre de ces objectifs dans l'application de l'article 1. Ils s'appuient sur le paragraphe 19(3) de ce Pacte qui, comme il est énoncé ci-dessus, ne limite l'exercice de la liberté d'expression que lorsqu'il est nécessaire de le faire pour le «respect des droits ou de la réputation d'autrui ... la sauvegarde de la sécurité nationale, de l'ordre public, de la santé ou de la moralité publiques».
J'hésiterais à adopter cette interprétation à l'en- contre de la formulation claire et ouverte de l'arti- cle 1 de la Charte, qui parle de «limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique». Si le législateur avait voulu res- treindre les valeurs protégées par la Charte de la façon proposée, il aurait facilement pu le faire; mais il a adopté une autre formule. J'estime que l'utilisation d'une liste semblable («la sécurité, l'or- dre, la santé ou les moeurs publics ou les libertés et droits fondamentaux d'autrui») par le juge en chef Dickson dans un contexte général dans la décision Big M Drug Mart Ltd., précité, aux pages 337 R.C.S.; 354 D.L.R.; 418 C.C.C.; 97 et 98 C.R.R., vise plutôt à illustrer qu'à circonscrire. En fait, dans l'arrêt Oakes (aux pages 136 R.C.S.; 225 D.L.R.; 125 et 126 N.R.; 346 C.C.C.; 334 et 335 C.R.R.) le juge en chef offre une formulation plus large qu'il laisse aussi explicitement libre:
Un second élément contextuel d'interprétation de l'article premier est fourni par l'expression < span> libre et démocrati- que». L'inclusion de ces mots à titre de norme finale de justification de la restriction des droits et libertés rappelle aux tribunaux l'objet même de l'enchâssement de la Charte dans la Constitution: la société canadienne doit être libre et démocrati- que. Les tribunaux doivent être guidés par des valeurs et des principes essentiels à une société libre et démocratique, lesquels comprennent, selon moi, le respect de la dignité inhérente de
l'être humain, la promotion de la justice et de l'égalité sociales, l'acceptation d'une grande diversité de croyances, le respect de chaque culture et de chaque groupe et la foi dans les institu tions sociales et politiques qui favorisent la participation des particuliers et des groupes dans la société.
En outre, le paragraphe 19(3) doit s'interpréter compte tenu du contexte d'ensemble du Pacte international. À cet égard, le préambule est parti- culièrement pertinent:
Reconnaissant que, conformément à la Déclaration univer- selle des droits de l'homme, l'idéal de l'être humain libre, jouissant des libertés civiles et politiques et libéré de la crainte et de la misère, ne peut être réalisé que si des conditions permettant à chacun de jouir de ses droits civils et politiques, aussi bien que de ses droits économiques, sociaux et culturels, sont créées. [C'est moi qui souligne.]
Il faut également tenir compte de l'article 1:
ARTICLE PREMIER
I. Tous les peuples ont le droit de disposer d'eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et . culturel.
2. Pour atteindre leurs fins, tous les peuples peuvent disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles, sans préjudice des obligations qui découlent de la coopération économique internationale, fondée sur le principe de l'intérêt mutuel, et du droit international. En aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance. [C'est moi qui souligne.]
Ces renvois indiquent que cette convention inter- nationale doit être interprétée de concert avec le Pacte international relatif aux droits économi- ques, sociaux et culturels [[1976] R.T. Can., 46] auquel le Canada' est partie, et évidemment en comtemplation des droits protégés par ce pacte, en particulier «l'idéal de l'être humain libre, libéré de la crainte et de la misère» (préambule) et «le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille» (paragraphe 11(1)).
Les constatations du juge de première instance quant aux intérêts publics que le Règlement pro- tège et dont il faut conséquemment tenir compte en vertu de l'article 1 sont claires. Dans un passage (page 264), il y fait référence comme étant le devoir «de protéger les phoques, ainsi que le droit fondamental des chasseurs de phoques d'exercer leur métier ancestral». Dans un autre passage (page 267), il parle des pêcheries «comme une ressource naturelle et publique qui comprend non seulement les animaux marins eux-mêmes, mais
également la chasse du phoque dans la mesure il s'agit du droit d'exploiter légitimement les res- sources à l'endroit on les trouve et le droit est exercé légalement». Je vais appeler les deux intérêts gouvernementaux qu'il a cernés, l'intérêt environnemental et l'intérêt des chasseurs.
Les appelants ont incité la Cour à conclure que le seul intérêt public en jeu avait trait au droit des chasseurs de gagner leur vie, mais ils n'ont pas réussi, selon moi, à démontrer le fondement d'une telle interprétation des faits. En outre, le rapport entre la quantité de poissons et le nombre de phoques, qui se nourrissent de poissons, constitue un phénomène naturel si fondamental qu'il est difficile de voir comment on pourrait ignorer le facteur environnemental.
Dans les décisions Big M et Oakes, la Cour suprême a indiqué que, pour bénéficier de la pro tection de l'article 1, l'objectif gouvernemental doit être suffisamment important pour justifier la sup pression d'une liberté garantie par la Constitution; il doit être important et compatible avec les princi- pes qui constituent l'essence même d'une société libre et démocratique; et il doit se rapporter à des préoccupations urgentes et réelles. Je ne crois pas que le mot urgentes doive s'entendre d'une urgence temporelle, mais plutôt s'entendre d'une préoccu- pation réelle et suffisamment importante.
À mon avis, en l'espèce les objectifs du gouver- nement satisfont à cette norme sévère. Le droit de gagner sa vie est l'un des droits économiques les plus fondamentaux, sinon le plus fondamental, et il peut être considéré comme nécessaire à l'épanouis- sement de l'être humain. En ce sens il peut même être perçu comme un droit social plutôt qu'un simple intérêt économique. De plus, il constitue certainement un aspect du droit à un «niveau de vie suffisant» reconnu au paragraphe 11(1) du Pacte international relatif aux droits économi- ques, sociaux et culturels.
En ce qui concerne l'objectif environnemental, je crois que la récente décision de la Cour suprême du Canada, R. c. Crown Zellerbach Canada Ltd., [[1988] 1 R.C.S. 401, est très pertinente. La com- pétence législative fédérale relative à la protection de l'environnement marin contre la pollution était le point en litige. La Cour a majoritairement décidé (quatre juges sur sept) que la pollution
marine représentait une préoccupation de dimen sion nationale suffisamment importante pour rele- ver de la clause relative à «la paix, l'ordre et le bon gouvernement». Il me semble raisonnable de con- clure que la question connexe visant l'équilibre environnemental entre le poisson et les phoques constitue un objectif législatif réel et suffisamment important pour mériter la protection de l'article premier.
Dès lors qu'un objectif est reconnu comme au moins de prime abord a suffisamment important, la partie qui invoque l'article premier doit alors éta- blir que les moyens choisis sont raisonnables et que leur justification peut se démontrer. Les trois élé- ments du critère de proportionnalité énoncés dans l'arrêt Oakes se résument comme suit: lien ration- nel avec l'objectif en question, atteinte minimale à la liberté en cause et proportionnalité entre les effets et l'objectif. A la lumière de ces éléments, il devient évident que la restriction relative au lieu contient un vice rédhibitoire, et que l'on pourrait également examiner cette limite en fonction de l'exigence voulant que toute restriction d'une liberté protégée le soit par «une règle de droit», comme ce concept a été élaboré par le professeur Dale Gibson dans The Law of the Charter: Gene ral Principles, Toronto: Carswell, 1986, aux pages 152à 155.
Les intimés ont tenté d'établir qu'en vertu du système de permis prévu au paragraphe 11(9) toutes les demandes d'accès seraient accordées. Cependant, une telle interprétation simpliste est contredite par le fait que l'on a refusé des deman- des du FIDA, ou des demandes faites pour le compte du FIDA, probablement durant plusieurs années, mais particulièrement en 1982. En 1981 on a aussi refusé les demandes de B. Davies et S. Best et l'on n'a accordé qu'une seule permission d'une journée à un membre du FIDA pour assister à la chasse en présence d'un fonctionnaire préposé à l'application de la Loi sur les pêcheries (Trans- cription de la preuve, vol. 1, pages 95 et 102; vol. 2, pages 255 et 317; vol. 3, pages 321 et 383). En fait, l'avocat des intimés n'a pas pu soutenir cette prétention dans son argument.
3 À mon avis, l'interprétation du juge en chef Dickson de son troisième élément portant sur le moyen semble faire supposer qu'à la limite de l'analyse du critère de proportionnalité qu'exige l'article 1 on puisse reconsidérer la suffisance de l'objectif. Si tel est le cas, on ne l'a jamais établi que de prime abord.
En fait, la procédure d'attribution de permis qui est prévue par le Règlement représente un pouvoir discrétionnaire officiel au sens large. On n'y retrouve aucune norme, même formulée verbale- ment. La restriction de la liberté d'expression ne peut pas être laissée au bon vouloir d'un fonction- naire; elle doit être énoncée aussi précisément que le permet la question en cause: Re Ontario Film and Video Appreciation Society and Ontario Board of Censors (1983), 147 D.L.R (3d) 58 (C. div. Ont.); confirmé (1984), 5 D.L.R. (4th) 766 (C.A. Ont.); 41 O.R. (2d) 583; confirmé 45 O.R. (2d) 80; permission d'appel à la C.S.C. accordée; désistement le 17 décembre 1985.
La clause limitative relative au lieu ne satisfait pas au moins au deuxième et troisième critères des moyens. Ceux-ci, loin de porter atteinte le moins possible à la liberté d'expression, ne tendent même pas à restreindre l'empiétement autant que possi ble. De plus, les effets du Règlement sont nette- ment disproportionnés à l'objectif législatif en ce qu'ils dépassent de beaucoup ce qui est nécessaire à cette fin.
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Comme je l'ai mentionné, le juge de première instance a suivi le même cheminement analytique pour la clause limitative relative au lieu et la clause limitative relative à l'usage d'un aéronef qui sont prévues au Règlement, et il les a tout au long traitées ensemble. Je crois qu'il a ainsi commis une erreur de droit, étant donné que les effets des deux clauses limitatives ne sont pas les mêmes: la pre- mière constitue un empiétement illimité sur la liberté d'expression et la deuxième, un empiéte- ment partiel et peut-être même minime.
La preuve que j'ai examinée plus tôt démontre que la clause limitative relative à l'usage d'un aéronef est amplement justifiée pour protéger les phoques et, en fait, la vie humaine. Même s'il est reconnu qu'elle a un certain effet sur la liberté d'expression des appelants, ceux-ci doivent néan- moins démontrer que l'effet était suffisant pour constituer une violation de l'article 2. Selon moi, ceci est particulièrement important lorsque la vio lation putative n'a lieu qu'à travers ses effets et qu'elle n'était pas le but visé par le règlement.
Dans la décision Big M, précitée, dans laquelle la Cour examinait un ordre direct, sous peine de sanction, d'observer le dimanche, le juge en chef Dickson a insisté sur la coercition comme élément constitutif de l'empiétement sur la liberté de reli gion (pages 336 et 337 R.C.S.; 354 D.L.R.; 417 et 418 C.C.C.; 97 et 98 C.R.R.):
La liberté peut se caractériser essentiellement par l'absence de coercition ou de contrainte. Si une personne est astreinte par l'État ou par la volonté d'autrui à une conduite que, sans cela, elle n'aurait pas choisi d'adopter, cette personne n'agit pas de son propre gré et on ne peut pas dire qu'elle est vraiment libre. L'un des objectifs importants de la Charte est de protéger, dans des limites raisonnables, contre la coercition et la contrainte. La coercition comprend non seulement la contrainte flagrante exercée, par exemple, sous forme d'ordres directs d'agir ou de s'abstenir d'agir sous peine de sanction, mais également les formes indirectes de contrôle qui permettent de déterminer ou de restreindre les possibilités d'action d'autrui. La liberté au sens large comporte l'absence de coercition et de contrainte et le droit de manifester ses croyances et pratiques. La liberté signifie que, sous réserve des restrictions qui sont nécessaires pour préserver la sécurité, l'ordre, la santé ou les moeurs publics ou les libertés et droits fondamentaux d'autrui, nul ne peut être forcé d'agir contrairement à ses croyances ou à sa conscience. [C'est moi qui souligne.]
Il reprend le même thème dans la décision R. c. Edwards Books and Art Ltd., [ 1986] 2 R.C.S. 713, la page 759; 35 D.L.R. (4th) 1, aux pages 34 et 35; 55 C.R. (3d) 193, aux pages 226 et 227; 30 C.C.0 (3d) 385, aux pages 418 et 419; 28 C.R.R. 1, aux pages 33 et 34:
Cela ne veut pas dire cependant que toute entrave à certaines pratiques religieuses porte atteinte à la liberté de religion garantie par la Constitution. Cela signifie uniquement qu'une entrave indirecte ou involontaire ne sera pas, de ce seul fait, considérée comme non assujettie à la protection de la Charte. L'alinéa 2a) n'exige pas que les législatures éliminent tout coût, si infime soit il, imposé par l'Etat relativement à la pratique d'une religion. Autrement, la Charte offrirait une protection contre une mesure législative laïque aussi inoffensive qu'une loi fiscale qui imposerait une taxe de vente modeste sur tous les produits, y compris ceux dont on se sert pour le culte religieux. A mon avis, il n'est pas nécessaire d'invoquer l'article premier pour justifier une telle mesure législative. L'alinéa 2a) a pour objet d'assurer que la société ne s'ingérera pas dans les croyan- ces intimes profondes qui régissent la perception qu'on a de soi, de l'humanité, de la nature et, dans certains cas, d'un être supérieur ou différent. Ces croyances, à leur tour, régissent notre comportement et nos pratiques. La Constitution ne pro- tège les particuliers et les groupes que dans la mesure des croyances ou un comportement d'ordre religieux pourraient être raisonnablement ou véritablement menacés. Pour qu'un fardeau ou un coût imposé par l'État soit interdit par l'al. 2a), il doit être susceptible de porter atteinte à une croyance ou pratique religieuse. Bref, l'action législative ou administrative qui accroit le coût de la pratique ou de quelque autre manifestation des croyances religieuses n'est pas interdite si le fardeau ainsi
imposé est négligeable ou insignifiant ... [C'est moi qui souligne.]
Dans le passage précité, le juge Dickson décrit les coûts admissibles par les adjectifs «minimes», «négligeables» et «insignifiants», le dernier ayant peut-être un sens plus large que les deux premiers. A mesure que le juge en chef poursuit son analyse, l'accent semble se faire plus insistant (aux pages 762 767 R.C.S.; 36 40 D.L.R.; 229 233 C.R.; 420 424 C.C.C.; 36 40 C.R.R.:
La Loi a des répercussions différentes sur les personnes qui ont des croyances religieuses différentes. Quatre catégories de personnes pourraient être touchées d'une manière différente: celles qui n'observent aucun jour de repos religieux, celles qui observent le dimanche, celles qui observent le samedi et celles qui observent un autre jour de la semaine.
(i) Les personnes qui n'observent aucun jour de repos religieux
Considérons d'abord les personnes qui, sur le plan de leur foi, ne souscrivent à aucune obligation de s'abstenir de travailler ou de faire des courses un jour précis de la semaine.
Toutefois, pour les raisons que j'ai exposées plus haut, les effets de la Loi sur les détaillants non pratiquants sont en général de nature laïque et ne portent pas atteinte à leur liberté de conscience ou de religion, tout au moins en l'absence d'élé- ments de preuve concluants que la volonté de demeurer ouvert est animée par des objectifs de dissidence religieuse plutôt que par des considérations purement commerciales.
(ii) Les personnes qui observent le dimanche
La Loi a des répercussions favorables sur les personnes qui observent le dimanche. En obligeant certains autres détaillants à s'abstenir de faire des affaires un jour qui revêt une impor tance religieuse particulière pour ceux qui observent le diman- che, ces derniers évitent la perte d'une partie du marché aux mains des détaillants qui auraient ouvert leurs portes le diman- che en l'absence de la Loi. L'adoption de la Loi a permis de réduire le coût que l'observance religieuse représente pour ceux qui observent le dimanche.
(iii) Les personnes qui observent le samedi
D'après certaines preuves versées au dossier, c'est un pré- cepte religieux de la foi juive et de celle des adventistes du septième jour que de s'abstenir de travailler ou de faire des affaires le samedi. Il se peut qu'il y ait d'autres confessions qui observent aussi le samedi comme jour de repos religieux, mais pour les fins des présents pourvois, ce sont les effets sur les juifs et les adventistes du septième jour qui seront examinés.
Le procureur général de l'Ontario soutient que tout désavan- tage que peuvent subir les détaillants qui observent le samedi est une conséquence de leurs croyances religieuses et non de la Loi. Même en l'absence de la Loi, les adventistes du septième jour et les juifs dévots fermeraient le samedi. La Loi a pour effet de les obliger, comme tout le monde, sous réserve des exemptions mais indépendamment de leurs convictions religieu- ses, à fermer le dimanche.
Vu les caractéristiques du secteur du commerce de détail décrit dans le Report on Sunday Observance Legislation, je me vois dans l'impossibilité de faire une distinction aussi nette entre les avantages dont bénéficient les détaillants qui obser- vent le dimanche et les fardeaux imposés à ceux qui observent le samedi. Le Rapport parle à maintes reprises de la nature extrêmement concurrentielle du commerce de détail, qui fait qu'une augmentation des ventes que connaît un détaillant en raison de ses pratiques de mise en marché a tendance à entraîner une diminution importante des ventes d'autres détail- lants. Il s'ensuit que si la Loi confère un avantage aux détail- lants qui observent le samedi, la Loi impose alors un fardeau à ces derniers.
Une comparaison attentive des effets des lois de fermeture le dimanche sur différents groupes religieux démontre clairement comment ce fardeau découle de ces lois. En l'absence d'inter- vention législative, la personne qui observe le samedi et celle qui observe le dimanche serait à peu près sur un pied d'égalité lorsqu'il s'agirait pour elles de se disputer une partie du pouvoir d'achat des consommateurs. Toutes deux pourraient ouvrir leurs commerces pendant tout au plus six jours par semaine. Toutes deux seraient désavantagées par rapport aux détaillants non pratiquants qui auraient la possibilité d'ouvrir leurs portes sept jours sur sept. À cet égard cependant, elles n'auraient pas de recours en droit puisque leur désavantage découlerait exclu- sivement de leurs principes religieux: je suis d'accord avec le professeur Petter pour dire que l'État n'a normalement aucune obligation en vertu de l'al. 2a) de prendre des mesures positives pour éliminer les coûts normaux des pratiques religieuses. Mais, toute exemption mise à part, la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail a pour effet de placer celui qui observe le samedi dans la même situation de désavantage normal par rapport au non-pratiquant, et d'ajouter le nouveau désavantage, purement légal, d'avoir à fermer un jour de plus par rapport à celui qui observe le dimanche. Tout comme elle rend moins coûteuse la pratique des croyances religieuses pour ceux qui observent le dimanche, la Loi a en même temps pour effet de rendre cette pratique plus onéreuse pour certains détaillants juifs et adventistes du septième jour.
Il ressort de l'analyse qui précède que le désavantage d'ordre concurrentiel que subissent en raison de la Loi les détaillants qui observent le samedi sans pouvoir bénéficier d'une exemp tion, profite aux détaillants qui observent le dimanche. Le Report on Sunday Observance Legislation décrit, à la p. 269, ceux qui vont à l'église le dimanche comme étant [TRADUC- TION] aune minorité importante de la population». D'après les seuls éléments de preuve dont la Cour est saisie, je ne pense donc pas que la pression de la concurrence exercée sur les détaillants non exemptés pour qu'ils cessent d'observer le samedi comme jour de sabbat puisse être qualifiée de peu importante ou de négligeable. Il s'ensuit que leur liberté de religion est diminuée par la Loi.
Il importe de reconnaître cependant que ce ne sont pas tous les détaillants qui observent le samedi qui subissent un préju- dice. La Loi n'est pas seulement neutre quant à ses répercus- sions sur les détaillants juifs et adventistes du septième jour qui peuvent, en pratique, respecter les limites quant au nombre d'employés et à la surface fixées par le par. 3(4). Elle leur profite aussi en les plaçant à peu près sur un pied d'égalité avec les détaillants non pratiquants, leurs concurrents, qui, en l'ab- sence d'intervention législative, seraient libres de faire des
affaires sept jours par semaine. Loin de créer un fardeau systématiquement discriminatoire pour tous les détaillants d'une foi particulière, la Loi a pour effet de profiter à certains tout en désavantageant d'autres.
Enfin, je remarque que la Loi impose aussi un fardeau aux consommateurs qui observent le samedi. Pour les familles monoparentales ou les familles dont les deux conjoints travail- lent du lundi au vendredi, la fin de semaine fournit l'occasion de faire ce qu'on n'a pas le temps de faire pendant la semaine. La Loi ne réduit pas la possibilité de ceux qui observent le dimanche de faire leurs courses ou d'obtenir certains services professionnels le samedi, mais elle la circonscrit pour ceux qui observent le samedi en imposant la fermeture des commerces le dimanche. Quoique la Cour ne soit saisie d'aucun élément de preuve au sujet de la mesure dans laquelle les possibilités de magasinage sont réduites le dimanche, je suis disposé à présu- mer, pour les fins des présents pourvois, que le fardeau imposé aux consommateurs qui observent le samedi est important et constitue une restriction à leur liberté religieuse. Je souligne que ce fardeau peut être particulièrement onéreux pour les consommateurs juifs qui dépendent de détaillants comme Nor - town Foods Ltd. pour ce qui est d'obtenir de la nourriture conforme aux règles diététiques de leur religion quoique, ici encore, je doive faire observer qu'aucun élément de preuve n'a été offert au sujet de la mesure dans laquelle il est possible d'acheter des aliments cascher chez les petits détaillants le dimanche.
(iv) Les personnes qui observent un autre jour de la semaine
En l'absence d'une preuve forte quant à la nature de l'obser- vance du mercredi par les hindous ou de celle du vendredi par les musulmans, je ne veux pas, et d'ailleurs je ne suis pas en mesure de le faire, évaluer les effets de la Loi sur les membres de ces groupes religieux ...
La preuve soumise concernant la foi islamique est encore moins suffisante.
Ce qui frappe, c'est le point jusqu'où le juge en chef pousse son analyse en ce qui concerne l'am- pleur du fardeau imposé (ou de l'avantage conféré, dans une situation concurrentielle). Il semble évi- dent que, pour qu'il y ait empiétement sur une liberté de l'article 2, l'entrave imposée à la liberté en cause doit être l'opposé de «insignifiant[e]». Si dans le langage positif «important[e]» constitue une norme trop sévère, peut-être pourrait-on dire au moins «réel[le]» ou «déraisonnable».
À mon avis, le rapport indirect entre le droit contesté et la liberté protégée doit sûrement être pertinent pour établir l'ampleur de l'entrave impo sée à l'exercice de cette liberté. En l'espèce, ce n'est pas la liberté d'expression protégée qui est directement en litige mais plutôt le droit non pro- tégé de se déplacer librement. En l'absence de considérations visant la liberté de réunion et d'as- sociation de l'article 2, une telle liberté de mouve- ment ne mérite la protection de la Charte que dans
la mesure elle est nécessaire à l'exercice de la liberté d'expression. Par conséquent, l'usage d'un mode de transport particulier pour se rendre au lieu les informations peuvent être recueillies ne sera protégé que dans la mesure incidente néces- saire à l'exercice de la liberté d'expression. C'est aux appelants à démontrer cette nécessité, et plus celle-ci est indirecte, plus le fardeau devient oné- reux. L'ampleur du fardeau que l'on croit être imposé reste toujours une question de proportion- nalité.
En l'espèce, on accédait habituellement au lieu de la chasse du phoque par bateau; les chasseurs eux-mêmes s'y rendaient souvent à pied en mar- chant sur la glace à partir du rivage ou d'un bateau (Transcription de la preuve, vol. 1, page 46; vol. 3, page 269). Le juge de première instance fait observer la page 253) qu'en 1981 «l'embâcle transporte les phoques jusqu'aux rivages même de l'Île-du-Prince -Edouard et pousse un grand nombre de profanes et d'amateurs de frissons à se joindre à la chasse».
Comme je l'ai mentionné, il incombe aux appe- lants de démontrer la mesure dans laquelle la clause limitative relative à l'usage de l'aéronef et le fait qu'ils aient à voyager par bateau ou à atterrir par aéronef à au moins un demi-mille marin de la région d'une chasse (ou même de ce qui semble un phoque sur la glace) entravent l'exercice de leur liberté d'expression. On peut présumer que cette restriction incommode les appelants jusqu'à un certain point, mais ceux-ci doivent démontrer qu'il s'agit d'un inconvénient déraisonnable ou plus que négligeable. Nous ne saurons jamais quelle impor tance le juge de première instance aurait attribuée aux facteurs en cause, car il ne s'est pas penché sur cette question. Les intimés se sont gardés de pré- tendre devant cette Cour qu'ils n'avaient pas admis une certaine mesure d'empiétement sur la liberté d'expression, mais les appelants n'ont pas plaidé ce point. Il nous faut donc trouver la réponse dans le dossier, qui semble indiquer que le fardeau qui leur a été imposé était, en fait, minime.
Leur allégation (Transcription de la preuve, vol. 4, page 384) voulant que la photographie aérienne ait été rendue inefficace me semble négligeable, compte tenu de la possibilité de prendre des photo- graphies au sol, abstraction faite de la clause limitative relative au lieu. Le fait que deux réseaux
de télévision américains n'aient pas couvert leurs activités (Transcription de la preuve, vol. 1, page 19) n'a pas vraiment de rapport avec la clause limitative relative à l'usage d'un aéronef. En fait, selon moi, ils ont exagéré en interprétant cette clause restrictive comme une interdiction d'atterrir en toute circonstance [TRADUCTION] «OÙ se trouvait un phoque sous une saillie de glace, ou un phoque montait sur la glace, un phoque était couvert de neige» (Transcription de la preuve, vol. 1, page 102). Il ne s'agit pas d'une Loi qui impose une responsabilité stricte; la preuve qu'ont été prises les mesures que prendrait toute per- sonmne raisonnable serait suffisante.
Il ne fait pas de doute que les appelants, tout comme les chasseurs et les fonctionnaires, ont eu de sérieuses difficultés d'accès, mais celles-ci ont plutôt été causées par la nature de la région en cause que par la clause restrictive du Règlement. Une masse de glace qui se déplace sur une mer dangereuse constitue un site bien différent du milieu terrestre stable les informations sont habituellement recueillies. Les appelants en étaient bien conscients; ils ont même envisagé la construc tion d'un bateau qui serait placé au milieu des phoques et servirait de base aux touristes (Trans- cription de la preuve, vol. 1, page 19).
À l'examen du dossier, je dois conclure que les appelants n'ont pas réussi à démontrer que la clause limitative relative à l'usage d'un aéronef leur a imposé une entrave déraisonnable ou même plus que négligeable dans l'exercice de leur liberté d'expression.
IV
Par conséquent, en ce qui concerne le paragraphe 11(6) du Règlement, j'accueillerais l'appel, annu- lerais le jugement du juge de première instance et rendrais un jugement déclaratoire portant que ce paragraphe est incompatible avec les dispositions de la Charte et, par conséquent, est nul et sans effet.
En ce qui concerne le paragraphe 11(5) du Règlement, je rejetterais l'appel.
Étant donné que les appelants ont gagné une bonne partie de leur appel, je leur accorderais leurs dépens ici et au palier inférieur.
LE JUGE MAHONEY: J'y souscris. LE JUGE HUGESSEN: J'y souscris.
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