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T-320-88
Syndicat des travailleurs en communication et en électricité du Canada, Syndicat des travailleurs en télécommunications (demandeurs)
c.
Procureur général du Canada (défendeur)
et
Call-Net Telecommunications Limited (interve- nante)
RÉPERTORIÉ: S.T.C. c. CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)
Division de première instance, juge Denault— Ottawa, 27 juin et 21 juillet 1988.
Interprétations des lois Loi nationale sur les attributions en matière de télécommunications, art. 64(1) L'art. 64(1) visait à donner au gouverneur en conseil un pouvoir discrétion- naire étendu de modifier les décisions du CRTC pour des raisons politiques L'art. 64(1) doit s'interpréter de façon juste, large et libérale de manière à ne pas restreindre les pouvoirs conférés au gouverneur en conseil par le législateur Une stricte interprétation, conférant un pouvoir législatif de modifier ou d'annuler une seule fois, détruirait la capacité du gouverneur en conseil de réagir aux préoccupations politiques du jour Sens de l'expression «à toute époque++ par opposi tion à l'expression «à l'occasion» ou «au besoin. Applica tion des art. 3 et 26 de la Loi d'interprétation L'expression «à tout moment» employée dans la version française de l'art. 64 de la Loi nationale de 1987 sur les transports correspond à l'expression vat any time+.
Contrôle judiciaire Recours en equity Jugements déclaratoires Lorsque le gouverneur en conseil agit en vertu de l'art. 64(1) de la Loi nationale sur les attributions en matière de télécommunications, son pouvoir n'est pas limité à la prise d'un seul décret portant modification ou abrogation d'une ordonnance particulière du CRTC L'art. 64(1) vise à donner au gouverneur en conseil un pouvoir discrétionnaire étendu de modifier les décisions du CRTC pour des raisons politiques L'expression functus officio ne s'applique pas au gouverneur en conseil lorsqu'il exerce des fonctions législatives en vertu de l'art. 64(1) Les décrets ne modifient pas le décret antérieur, mais modifient la décision du CRTC La Cour se borne à déterminer si les exigences législatives ont été respectées.
Télécommunications Le gouverneur en conseil tient de l'art. 64(1) de la Loi nationale sur les attributions en matière de télécommunications le pouvoir de modifier ou d'abroger toute ordonnance du CRTC Son pouvoir n'est pas limité à la prise d'un seul décret portant modification ou abrogation d'une décision du CRTC.
11 s'agit d'une action en jugement déclaratoire portant que deux décrets étaient nuls parce que le gouverneur en conseil a épuisé les pouvoirs que lui confère le paragraphe 64(1) de la Loi nationale sur les attributions en matière de télécommuni- cations. La décision 87-5 du CRTC a eu pour effet de mettre
fin à la plus grande partie de l'entreprise de l'intervenante, et a donné à cette dernière trente jours pour se conformer aux exigences du CRTC. A la révision de sa décision, en vertu de l'article 63, le CRTC a rejeté la demande (CRTC 87-14), mais il a prorogé le sursis d'exécution de la décision CRTC 87-5. A la révision fondée sur l'article 64, le gouverneur en conseil a refusé de modifier la décision CRTC 87-5, mais il a modifié la décision 87-14 du CRTC en prolongeant le sursis d'exécution de la décision CRTC 87-5. Au moyen d'un deuxième décret, le gouverneur en conseil a abrogé sa décision antérieure et modifié la décision 87-14 du CRTC en prolongeant encore une fois le sursis. En dernier lieu, au moyen d'un troisième décret, le gouverneur en conseil a abrogé le deuxième décret et modifié la décision 87-14 du CRTC en prorogeant de nouveau le sursis d'exécution. Les demandeurs soutiennent que le gouverneur en conseil a épuisé le pouvoir qu'il tient du paragraphe 64(I), et qu'il est devenu functus officio lorsqu'il a pris le premier décret. Ils soutiennent en outre que, selon une interprétation stricte du paragraphe 64(1), le gouverneur en conseil ne pouvait réexaminer ni annuler sa propre décision. Ils soutiennent en dernier lieu que l'emploi au paragraphe 64(1) de l'expression «à toute époque», plutôt que l'expression «à l'occasion» ou «au besoin» (il a été jugé que cette expression permettait une modification ultérieure ou une annulation d'ordonnances), indi- que que le législateur n'envisageait pas la possibilité pour le gouverneur en conseil d'annuler une ordonnance antérieure, mais voulait simplement qu'il n'y ait aucune limite de temps pour procéder à l'examen initial d'une ordonnance ou d'une décision de la Commission. A l'appui de cet argument, les demandeurs mentionnent l'article 49 de la Loi, qui permet à la Commission d'agir «au besoin», et le délai d'un mois pour interjeter appel figurant au paragraphe 64(2).
Les demandeurs soutiennent subsidiairement que le gouver- neur en conseil, ayant expressément refusé de modifier la décision CRTC 87-5, ne pouvait procéder à la modification de cette décision en exigeant que Bell Canada et CNCP fournis- sent à l'intervenante d'autres services sous-jacents. Ils soutien- nent en outre que le gouverneur en conseil n'avait pas compé- tence pour rendre une telle ordonnance à l'égard de Bell Canada et de CNCP, puisqu'il n'avait aucun pouvoir légal sur ces organismes. La question se pose de savoir si le gouverneur en conseil, agissant en vertu du paragraphe 64(1), ne pouvait prendre qu'un seul décret portant modification ou annulation d'une ordonnance ou d'une décision particulière du CRTC.
Jugement: l'action devrait être rejetée.
Il a été établi de façon concluante que le paragraphe 64(l) vise à donner au gouverneur en conseil un pouvoir discrétion- naire étendu de modifier les décisions du CRTC pour des raisons purement politiques. Le paragraphe 64(I) n'impose pas de règles au gouverneur en conseil. La fonction de ce dernier constitue un acte législatif sous la forme la plus pure. La Cour n'a qu'à décider si les exigences du paragraphe 64(1) ont été respectées.
Pour ce qui est de l'argument selon lequel le gouverneur en conseil n'avait pas compétence pour réexaminer un décret, aucun des deux décrets attaqués ne modifie ou ne rescinde un décret antérieur. Ils modifient tous deux une décision du Con- seil en changeant la durée du sursis d'exécution. En deuxième lieu, la Cour n'a pas le pouvoir d'examiner et d'étudier les raisons pour lesquelles le gouverneur en conseil a décidé de
prendre trois décrets successifs, pourvu qu'ils aient été pris en conformité avec les lois habilitantes.
Le gouverneur en conseil n'a pas réexaminé sa décision, mais il a jugé qu'il était dans l'intérêt public de modifier de nouveau la décision 87-14 du CRTC. Le paragraphe 64(1) autorise certainement le gouverneur en conseil à modifier de nouveau un décret antérieur.
L'expression »functus officio» ne devrait s'appliquer qu'aux personnes et organismes qui exercent des fonctions purement administratives, ainsi qu'aux tribunaux qui exercent des fonc- tions judiciaires ou quasi judiciaires. Le pouvoir exercé en vertu du paragraphe 64(1) est de nature législative, et il ne convient donc pas d'appliquer l'expression «functus officio». Il s'agit d'une question d'interprétation consistant à se demander si un pouvoir légal d'agir peut être exercé plus d'une fois.
Le paragraphe 64(1) devrait s'interpréter de la façon juste, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation de ses objets. La Loi d'interprétation prévoit que les fonctions législa- tives doivent exercées à l'occasion selon que les circonstances l'exigent, et que le pouvoir d'établir des règlements inclut le pouvoir de les modifier. Ces règles s'appliquent à moins qu'une intention contraire n'apparaisse. Une interprétation qui confé- rerait un pouvoir législatif de modifier ou d'annuler une seule fois détruirait la capacité du gouverneur en conseil de réagir aux préoccupations politiques immédiates qui transcendent les intérêts individuels. Une interprétation large du paragraphe 64(1) est également étayée par l'emploi de l'expression «à tout moment», qui implique un pouvoir continu d'agir, dans la version française du nouvel article 64 de la Loi nationale de 1987 sur les transports, dont la version anglaise accorde tou- jours au gouverneur en conseil le pouvoir de modifier toute décision de l'Office national des transports «at any time». Le pouvoir d'agir à sa propre discrétion, peu importe que la décision ait été rendue inter partes, appuie également une telle interprétation large.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. 1-23, art. 3(1), 26(3),(4).
Loi nationale de 1987 sur les transports, S.C. 1987, chap. 34, art. 64.
Loi nationale sur les attributions en matière de télécom- munications, S.R.C. 1970, chap. N-17 (mod. par S.C. 1987, chap. 34, art. 302), art. 49, 64(1),(2).
The Ontario Municipal Board Act, R.S.O. 1970, chap. 323, art. 64.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735; Re Davisville Investment Co. Ltd. and City of Toronto et al. (1977), 15 O.R. (2d) 553 (C.A.); Action Travail des Femmes c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1987] 1 R.C.S. 1114; Schavernoch c. Commission des réclamations étrangères et autres, [1982] 1 R.C.S. 1092.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Organisation nationale anti -pauvreté c. Canada (Procu- reur général), [1989] I C.F. 208 (lie inst.); The King v. Minister of Finance, [1935] R.C.S. 70; Lodger's Interna tional Ltd. v. New Brunswick Human Rights Commis sion (1983), 4 C.H.R.R. D/1349 (C.A.N.-B.).
DECISION EXAMINÉE:
Lawrie v. Lees (1881), 7 App. Cas. 19 (H.L.).
DÉCISIONS CITÉES:
CSP Foods Ltd. c. Commission canadienne des trans ports, [1979] 1 C.F. 3 (C.A.); Melville (City of) c. Procureur général du Canada, [1982] 2 C.F. 3; (1981), 129 D.L.R. (3d) 488 (1« inst.); Ministre des Transports du Québec c. Procureur général du Canada, [1982] 2 C.F. 17 (1'e inst.); Singh et autres c. Ministre de l'Em- ploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177.
DOCTRINE
Walker, David M. The Oxford Companion to Law Oxford: Clarendon Press, 1980.
AVOCATS:
T. Gregory Kane et Rowland J. Harrison pour les demandeurs.
Eric A. Bowie, c.r. et Wendy Burnham pour le défendeur.
Lawrence J. E. Dunbar et J. Aidan O'Neill pour l'intervenante.
PROCUREURS:
Stikeman, Elliot, Ottawa, pour les deman- deurs.
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.
Johnston & Buchan, Ottawa, pour l'interve- nante.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE DENAULT: Il s'agit d'une action en jugement déclaratoire. Les demandeurs sollicitent un jugement déclaratoire portant que deux décrets (C.P. 1987-2349 et C.P. 1988-265) sont nuls et de nul effet parce que le gouverneur en conseil a épuisé les pouvoirs que lui confère le paragraphe 64(1) de la Loi nationale sur les attributions en matière de télécommunications'.
' L'ancienne Loi nationale sur les transports, S.R.C. 1970, chap. N-17, modifiée par S.C. 1987, chap. 34, art. 302.
La question litigieuse à résoudre dans la pré- sente instance est de savoir si, lorsqu'il agit en vertu dit paragraphe 64(1) de cette Loi, le gouver- neur en conseil ne peut prendre qu'un seul décret qui a pour effet de modifier ou d'abroger une ordonnance ou une décision particulière du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC). À cet égard, les demandeurs sollicitent un jugement déclaratoire portant que les décrets C.P. 1987-2349 et C.P. 1988-265 sont nuls et de nul effet parce que le gouverneur en conseil avait déjà examiné et modifié une décision du CRTC par le décret C.P. 1987-2134.
Les syndicats demandeurs comprennent des tra- vailleurs de Bell Canada et de la British Columbia Telephone Company Ltd. À la suite de la décision 84-18 du CRTC, Call-Net Telecommunications Limited a offert dans un but lucratif un service au public en utilisant les services sous-jacents de télé- communications fournis par Bell et CNCP. Elle a été autorisée à intervenir dans la présente instance par ordonnance de notre Cour.
Les faits ont été brièvement résumés dans le mémoire du défendeur et le mieux que je puisse faire dans les circonstances actuelles est de repro- duire ce résumé.
[TRADUCTION] 1. L'intervenante a, relativement à son entre- prise, subi un préjudice en raison d'une décision du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (ci- après appelé ale CRTCD). Cette décision, la décision CRTC 87-5, a eu pour effet de mettre fin à la plus grande partie de l'entreprise de l'intervenante et a donné à cette dernière 30 jours pour rendre son entreprise conforme aux exigences du CRTC.
2. L'intervenante a alors présenté au CRTC une demande fondée sur l'article 63 de la Loi nationale sur les transports, S.R.C. 1970, chap. N-17, afin d'obtenir la révision de la décision CRTC 87-5. Cette demande a été rejetée au fond par le CRTC. Le CRTC a cependant prolongé la durée du sursis d'exécution de la décision CRTC 87-5 jusqu'au trentième jour suivant la date de sa décision sur la demande de révision. La décision concernant la demande de révision a été rendue le 23 septembre 1987 et le sursis de trente jours devait donc expirer le 23 octobre 1987.
3. L'intervenante a alors présenté une requête au gouverneur en conseil, en vertu du paragraphe 64(1) de la Loi nationale sur les transports, afin d'obtenir la modification de la décision CRTC 87-14 (la décision faisant l'objet de la révision) et le sursis de l'exécution de la décision CRTC 87-5 en attendant que cette décision soit révisée en vertu du paragraphe 64(1).
4. Par le décret C.P. 1987-2134 (le décret 1), le gouverneur en conseil a modifié la décision CRTC 87-14 en prolongeant de trente jours après la date du 23 octobre le sursis d'exécution de la décision CRTC 87-5. Aux termes de la même décision, il a
interdit à Bell Canada et aux Télécommunications CNCP de fournir à l'intervenante d'autres services et installations sous- jacents que ceux qui étaient fournis. En d'autres mots, cette décision devait maintenir le statu quo pour une période de 60 jours après la seconde décision du CRTC (la décision CRTC 87-14).
5. Par le décret C.P. 1987-2349 (le décret 2), le gouverneur en conseil
a) a refusé de modifier la décision CRTC 87-5 (c'est-à-dire la première décision du CRTC);
b) a abrogé sa propre décision antérieure, le décret 1;
c) a modifié une fois de plus la décision CRTC 87-14 (la seconde décision du CRTC) en portant de 30 jours à 240 jours le sursis d'exécution accordé par le CRTC.
6. En février 1988, par le décret C.P. 1988-265 (le décret 3) le gouverneur en conseil
a) a une fois de plus refusé de modifier la décision CRTC 87-5;
b) a abrogé le décret 2;
c) a modifié la seconde décision du CRTC (CRTC 87-14) en modifiant une fois de plus la durée totale du sursis en portant celui-ci de 30 jours à 330 jours;
d) a obligé Bell Canada et Télécommunications CNCP à fournir à l'intervenante des services sous-jacents supplé- mentaires en conformité avec leurs tarifs.
Les demandeurs soutiennent que lorsqu'il agit en vertu d'un pouvoir que lui confère la loi, le gouverneur en conseil est un tribunal de compé- tence limitée et que, lorsque les limites de compé- tence fixées par le paragraphe 64(1) de l'ancienne loi ont été outrepassées ou qu'une condition préala- ble n'a pas été respectée, la Cour fédérale peut examiner la façon dont le pouvoir a été exercé. Plus précisément, ils font valoir qu'en prenant le décret C.P. 1987-2134 (le décret 1), le gouver- neur en conseil a épuisé ses attributions législati- ves, et qu'il 2 est de ce fait devenu functus officio. Les demandeurs soutiennent en outre que lorsqu'il agit en vertu du paragraphe 64(1) de la Loi, le gouverneur en conseil n'a pas le pouvoir inhérent de réexaminer sa propre décision et que l'interpré- tation stricte de ce paragraphe ne donne pas au gouverneur en conseil le pouvoir de réexaminer ou d'annuler sa propre décision.
Le défendeur et l'intervenante tiennent tous deux le même discours: le gouverneur en conseil n'est pas limité de la sorte dans l'exercice des pouvoirs législatifs que lui confère la Loi nationale
2 J'ai l'intention d'employer au besoin le pronom ail» pour désigner le gouverneur en conseil.
sur les attributions en matière de télécommu- nications et les décrets contestés sont entièrement valables.
Le paragraphe 64(1) de la Loi dispose que:
64. (1) Le gouverneur en conseil peut à toute époque, à sa discrétion, soit à la requête d'une partie, personne ou compa- gnie intéressée, soit de son propre mouvement et sans aucune requête ni demande à cet égard, modifier ou rescinder toute ordonnance, décision, règle ou règlement de la Commission, que cette ordonnance ou décision ait été rendue inter partes ou autrement, et que ce règlement ait une portée et une applica tion générales ou restreintes; et tout décret que le gouverneur en conseil prend à cet égard lie la Commission et toutes les parties.
Au cours des ans, ce paragraphe et d'autres dispositions législatives similaires ont fait l'objet de nombreux procès. Il a été établi de façon con- cluante que cette disposition vise à donner au gouverneur en conseil un pouvoir discrétionnaire étendu de modifier les décisions du CRTC pour des raisons purement politiques. Dans le document de travail 25 intitulé «Les organismes adminis- tratifs autonomes», la Commission de réforme du droit du Canada a qualifié les procédures prévues au paragraphe 64(1) d'intervention injustifiable dans le processus réglementaire et a recommandé qu'elles soient abolies. La Cour suprême du Canada, par la voix du juge Estey, a déclaré ce qui suit au sujet de cette critique, dans l'arrêt Procu- reur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre 3 :
Certains peuvent considérer inhabituel et même inefficace que, dans une société organisée, le gouverneur en conseil puisse infirmer la décision soigneusement pesée d'un organisme admi- nistratif, rendue au terme d'une audition publique complète au cours de laquelle on a fait valoir plusieurs points de vue. D'autre part, le législateur est apparemment d'avis qu'il s'agit d'un domaine particulièrement vulnérable aux changements des politiques d'intérêt public et il l'a par conséquent réservé à l'Exécutif qui doit en dernier ressort les appliquer. Vu l'inter- prétation du par. 64(1) que j'adopte, le gouverneur en conseil n'a pas à motiver sa décision, à tenir quelque audience que ce soit ni même à accuser réception d'une requête. Il n'appartient pas à cette Cour, cependant, de décider si les appels interjetés au Cabinet sont souhaitables ou non. Je n'ai qu'à décider si les exigences du par. 64(1) ont été respectées.
Moi aussi.
Dans l'arrêt Inuit Tapirisat, la Cour suprême devait décider si le gouverneur en conseil a l'obli- gation d'observer les règles de justice naturelle ou,
3 [1980] 2 R.C.S. 735, la p. 756.
du moins, l'obligation d'agir équitablement lors- qu'il examine une requête que des parties ont présentée en vertu du paragraphe 64(1) de la présente Loi. La Cour a répondu qu'en édictant le paragraphe 64(1), le législateur n'a pas imposé au gouverneur en conseil des normes ou des règles applicables à l'exercice de sa fonction de révision des tarifs et qu'il ne lui a pas imposé non plus de normes de procédure expresses ou même implici- tes. Après avoir examiné en détail cet article, la Cour a qualifié, à la page 754, la fonction du gouverneur en conseil d'«acte législatif sous la forme la plus pure» et a conclu, à la page 756, que «le gouverneur en conseil a entière discrétion dans la mesure il respecte les limites fixées à sa compétence par le par. 64(1)».
Le rôle de la Cour en l'espèce est très différent de celui qui est joué lorsqu'un appel est interjeté en vertu du paragraphe 64(2) d'une décision de la Commission sur une question de droit ou de com- pétence. Son rôle se borne à vérifier si le gouver- neur en conseil a excédé ses pouvoirs ou si une condition préalable n'a pas été respectée.
L'avocat des demandeurs maintient que le gou- verneur en conseil n'avait pas compétence pour examiner les requêtes de l'intervenante qui ont mené aux décrets n°` 2 et 3, car elles concernaient la même question que celle au sujet de laquelle le gouverneur en conseil avait pris le décret C.P. 1987-2134 le 15 octobre 1987. Le décret 1 constituait une décision finale sur la question. Suivant l'avocat, le paragraphe 64(1) est clair et non ambigu: le pouvoir conféré au gouverneur en conseil de «modifier ou rescinder toute ordonnance, décision, règle ou règlement» du CRTC ne lui confère pas le pouvoir de réexaminer une telle «ordonnance» alors qu'il l'a déjà fait par la voie d'un décret. Ce pouvoir n'inclut pas non plus celui de modifier ou de rescinder un décret antérieur. Par conséquent, l'avocat fait valoir que le gouver- neur en conseil a épuisé les pouvoirs que lui con- fère le paragraphe 64(1).
Je ne suis pas d'accord avec cette affirmation. En premier lieu, aucun des deux décrets attaqués ne modifie ou ne rescinde un décret antérieur. Ils modifient tous les deux la décision CRTC 87-14 du 23 septembre 1987, en portant de 30 à 240, puis de 30 à 330, le nombre de jours. Quant à la révocation de décrets antérieurs, personne n'a con-
testé le pouvoir du gouverneur en conseil de le faire. En deuxième lieu, la Cour n'a pas le pouvoir d'examiner et d'étudier les raisons pour lesquelles le gouverneur en conseil a décidé de prendre trois décrets successifs sur la même question, pourvu qu'ils aient été pris en conformité avec les lois habilitantes. Dans l'arrêt Inuit Tapirisat, le juge Estey a approuvé l'arrêt Re Davisville Investment Co. Ltd. and City of Toronto et al.' de la Cour d'appel de l'Ontario et a déclaré ce qui suit sur la question la page 755):
Je suis d'avis que le pouvoir de surveillance de l'art. 64, comme celui en cause dans l'arrêt Davisville, précité, est conféré aux membres du Cabinet pour leur permettre de répondre aux préoccupations politiques, économiques et sociales du moment.
Or, le libellé du paragraphe 64(1) donne-t-il au gouverneur en conseil le pouvoir de réexaminer toute ordonnance ou décision de la Commission? On peut soutenir qu'en l'espèce, le gouverneur en conseil a examiné à deux reprises l'objet du décret 1, mais ce faisant, on tire une conclusion à partir d'une série de faits. En réalité, dans les deux décrets attaqués, le gouverneur en conseil n'a pas réexaminé sa décision, mais a jugé qu'ail est dans l'intérêt public de modifier de nou- veau la décision Télécom CRTC 87-14». En habili- tant le gouverneur en conseil à modifier et à rescinder toute ordonnance de la Commission «à toute époque, à sa discrétion, soit à la requête d'une partie, personne ou compagnie intéressée, soit de son propre mouvement et sans aucune requête ni demande à cet égard ... que cette ordonnance ou décision ait été rendue inter partes ou autrement, et que ce règlement ait une portée et une application générales ou restreintes», le législa- teur autorise certainement le gouverneur en conseil à modifier de nouveau un décret antérieur.
Ayant déjà modifié la décision CRTC 87-14 en prenant le décret 1, le gouverneur en conseil a-t-il épuisé les pouvoirs que la loi lui confère et est-il devenu functus officio? Les demandeurs sou- tiennent que le gouverneur en conseil est devenu functus officio et ils fondent leur prétention sur les deux arrêts suivants. Cependant, à mon avis, ni l'un ni l'autre ne s'applique à la présente espèce. Dans l'arrêt The King v. Minister of Finances, la loi qui investissait le lieutenant-gouverneur en con- seil d'un pouvoir déclarait de la façon la plus
4 (1977), 15 O.R. (2d) 553 (C.A.).
5 [1935] R.C.S. 70.
explicite que [TRADUCTION] «les décisions du lieu- tenant-gouverneur en conseil sont finales». Il n'en est pas ainsi avec le paragraphe 64(1) de la Loi. Dans l'affaire Lodger's International Ltd. v. New Brunswick Human Rights Commission l'article [Loi sur les droits de l'homme, L.R.N.-B. 1973, chap. H-11] en vertu duquel la Commission était autorisée à rendre une ordonnance pour donner effet aux recommandations d'une commission d'enquête constituée en vertu de la Loi était libellé comme suit la page D/1350]:
21 (1) Dès réception des recommandations de la commission d'enquête, la Commission
c) peut rendre toute ordonnance qu'elle estime nécessaire pour leur donner effet.
21 (2) Toute ordonnance rendue conformément à l'alinéa (1)c) est définitive et toute personne qui en fait l'objet doit s'y conformer.
Par conséquent, la Cour a statué que la Commis sion n'avait pas le pouvoir de rendre plus d'une ordonnance. Une fois de plus, il n'en est pas ainsi avec le paragraphe 64(1), qui donne au gouverneur en conseil, en des termes larges, le pouvoir d'agir à sa propre discrétion et même de son propre chef.
Les demandeurs ont tort d'invoquer la théorie du functus officio en l'espèce. Voici comment The Oxford Companion to Law (1980) définit l'expres- sion «functus officio», à la page 508:
Functus officio [TRADUCTION] (s'étant acquitté de sa charge.) Se dit d'un représentant qui s'est acquitté de sa fonction et qui a épuisé ses attributions et de l'arbitre ou du juge à qui il n'est plus possible de s'adresser de nouveau, parce qu'il a épuisé ses attributions.
Comme cette définition le montre, l'expression «functus officio» ne convient qu'aux personnes et organismes qui exercent des fonctions purement administratives, ainsi qu'aux tribunaux qui exer- cent des fonctions judiciaires ou quasi judiciaires. Dans tous les cas le pouvoir d'agir est conféré par une loi ou un autre document officiel, la question de savoir si le pouvoir peut être exercé une seule fois ou plus d'une fois est une question d'interprétation. Le pouvoir législatif qu'exerce le gouverneur en conseil en vertu du paragraphe 64(1) n'est ni judiciaire ni quasi judiciaire mais est plutôt de nature législative, ainsi qu'on l'a décidé dans l'arrêt Inuit Tapirisat la page 754).
6 (1983), 4 C.H.R.R. D/1349 (C.A.N.-B.).
L'exercice, par le gouverneur en conseil, des pou- voirs conférés par le paragraphe 64(1) n'est pas de la nature d'un appel judiciaire'. L'expression «functus officio» ne convient pas lorsqu'il s'agit de personnes qui exercent des fonctions législatives en vue d'appliquer des politiques d'intérêt public. Tout comme le législateur ne devient pas functus officio lorsqu'il édicte un texte de loi sur un sujet particulier, le gouverneur en conseil ne devient pas functus officio lorsqu'il exerce des fonctions légis- latives en vertu du paragraphe 64(1) et qu'il agit dans les limites de sa compétence, sauf si la loi le précise clairement. La loi qui nous concerne ne contient pas de restrictions claires à cet égard.
À l'audience, l'avocat des demandeurs a fait valoir que le gouverneur en conseil n'avait pas le pouvoir inhérent de réexaminer sa propre décision. L'avocat du défendeur n'a pas contesté cette affir mation, mais l'intervenante s'est dite d'avis que l'exercice de fonctions législatives impliquait que le gouverneur en conseil a le pouvoir inhérent de réexaminer ses décisions. En raison de la conclu sion à laquelle j'en viens quant à l'interprétation législative du paragraphe 64(1), il ne sera pas nécessaire d'exprimer une opinion sur le sujet.
Je passe maintenant à l'interprétation des mots «à toute époque» au paragraphe 64(1), dont voici un extrait:
64. (1) Le gouverneur en conseil peut à toute époque ... modifier ou rescinder toute ordonnance, décision ... de la Commission ...
Les demandeurs prétendent qu'étant donné que le paragraphe 64(1) comprend l'expression «à toute époque» plutôt que «à l'occasion» ou «au besoin», le législateur voulait que le gouverneur en conseil ne soit habilité à rendre qu'une seule déci- sion. Dans ce contexte, l'expression «à toute époque» signifierait qu'aucune limite de temps n'est imposée au moment le gouverneur en conseil peut entreprendre son examen. Mais, pour eux, le sens de ces mots se distingue de celui des mots «à l'occasion» et «au besoin». L'avocat invo- que l'interprétation que la Chambre des lords a fait de cette expression dans l'arrêt Lawrie v. Lees 8 :
' CSP Foods Ltd. c. Commission canadienne des transports,
[1979] 1 C.F. 3 (C.A.), à la p. 9.
8 (1881), 7 App. Cas. 19 (H.L.), à la p. 29.
[TRADUCTION] .. , les mots «à l'occasion. et «au besoin. sont des mots qui sont constamment employés lorsqu'on veut proté- ger une personne qui est autorisée à agir contre le risque de s'être complètement acquittée de sa charge une fois qu'elle a agi et de ne pouvoir de ce fait agir à nouveau dans le même sens. Les mots «à l'occasion» et «au besoin. signifient qu'après que cette personne a rendu une ordonnance, elle peut en prononcer une nouvelle pour lui ajouter ou lui retrancher quelque chose, ou pour l'annuler complètement ...
Les demandeurs font valoir qu'en employant les mots «à toute époque» au paragraphe 64(1), le législateur n'envisageait pas la possibilité que le gouverneur en conseil annule une ordonnance antérieure, mais voulait simplement qu'il n'ait aucune limite de temps pour procéder à l'examen initial d'une ordonnance ou d'une décision de la Commission.
L'avocat a également cité l'article 49 de la Loi nationale sur les transports pour souligner la dis tinction qui existe entre les expressions «au besoin» et «à toute époque». Il a affirmé que l'expression ne signifiait pas que le gouverneur en conseil pouvait agir le nombre de fois qu'il le voulait. Aux termes de l'article 49, le législateur a édicté que: «Tout pouvoir ou toute autorité conféré à la Commission peut, bien que cela ne soit pas dit expressément, être exercé au besoin, suivant que les circonstances l'exigent».
L'avocat a également fait valoir qu'en opposant l'expression «à toute époque» du paragraphe 64(1) au délai d'un mois imparti pour interjeter appel devant la Cour d'appel fédérale sur une question de droit ou sur une question de compétence (para- graphe 64(2)), l'on pouvait voir que le législateur voulait simplement n'imposer aucune limite de temps au gouverneur en conseil pour modifier ou annuler les ordonnances de la Commission.
À mon avis, on ne peut donner au paragraphe 64(1) une interprétation aussi étroite. La règle moderne d'interprétation des lois a récemment été énoncée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Action Travail des Femmes c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada 9 dans les termes suivants:
Bien que cela puisse sembler banal, il peut être sage de se rappeler ce guide qu'offre la Loi d'interprétation fédérale lors- qu'elle précise que les textes de loi sont censés être réparateurs et doivent ainsi s'interpréter de la façon juste, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation de leurs objets. Voir
9 [1987] 1 R.C.S. 1114, la p. 1134.
l'article l l de la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23 et ses modifications. Comme Elmer A. Driedger l'a écrit à la p. 87 de Construction of Statutes (2nd ed. 1983):
[TRADUCTION] De nos jours, un seul principe ou méthode prévaut pour l'interprétation d'une loi: les mots doivent être interprétés selon le contexte, dans leur acception logique courante en conformité avec l'esprit et l'objet de la loi et l'intention du législateur.
Non seulement la Loi d'interprétation [S.R.C. 1970, chap. I-23] dispose-t-elle à son paragraphe 26(3) que «Quand un pouvoir est conféré ou un devoir imposé, le pouvoir peut être exercé et le devoir doit être accompli à l'occasion selon que les circonstances l'exigent>, mais encore le paragraphe 26(4) prévoit que «Lorsque le pouvoir d'établir des règlements 10 est conféré, il doit s'interpréter comme renfermant le pouvoir de les abroger, modifier ou changer et d'en édicter d'autres, ce pouvoir devant s'exercer de la même manière et sous réserve des mêmes consentement et condi tions, s'il en est». Ces règles doivent s'appliquer, suivant le paragraphe 3(1) de la Loi d'interpréta- tion, «À moins qu'une intention contraire n'appa- raisse, ... à tout texte législatif, que celui-ci soit édicté avant ou après l'entrée en vigueur de la présente loi.»
Ainsi que la Cour suprême l'a dit dans l'arrêt Schavernoch c. Commission des réclamations étrangères et autres'':
Une cour n'est donc pas fondée à adopter d'autre critère que celui du sens manifeste des mots employés par le gouverneur en conseil dans ce règlement.
Par le passé, les tribunaux n'ont pas interprété restrictivement le libellé clair du paragraphe 64(1) et ont refusé de restreindre artificiellement la portée du pouvoir conféré par le législateur au gouverneur en conseil dans ce paragraphe (Voir Inuit Tapirisat, (précité); Melville (City of) c. Procureur général du Canada, [1982] 2 C.F. 3; (1981), 129 D.L.R. (3d) 488 (lfe inst.); Ministre des Transports du Québec c. Procureur général du Canada, [1982] 2 C.F. 17 (1« inst.).)
Dans un contexte similaire, la Cour d'appel de l'Ontario devait, dans l'affaire Re Davisville Investment Co. Ltd. and City of Toronto et al., précitée, interpréter l'article 94 de The Ontario Municipal Board Act [R.S.O. 1970, chap. 323],
1 ° Cf. art. 2: «règlement comprend une ordonnance, un règle-
ment, un décret du conseil ...D
11 119821 1 R.C.S. 1092, à la p. 1101.
qui prévoit que le lieutenant-gouverneur en conseil peut confirmer, modifier ou rescinder les ordon- nances de la Commission ou exiger qu'elle tienne une nouvelle audience. Le juge d'appel Lacour- ciere a déclaré, à la page 557:
[TRADUCTION] 11 ne faut pas donner à l'article 94 de The Ontario Municipal Board Act une interprétation restrictive comme s'il s'agissait d'un tribunal d'instance inférieure auquel le législateur a confié certaines questions. Je préfère considérer qu'il s'agit d'un pouvoir que le législateur a réservé à l'Exécutif du gouvernement agissant conformément à des règles générales d'intérêt public. Rien ne permet de restreindre et d'atténuer la portée du pouvoir par une interprétation judiciaire étroite.
Comme nous l'avons déjà précisé, la Cour suprême a adopté la même approche dans l'arrêt Inuit Tapirisat, précité (page 755). Je suis d'avis qu'il n'y a pas lieu de donner au paragraphe 64(1) de la Loi nationale sur les attributions en matière de télécommunications une interprétation étroite qui aurait pour effet de restreindre les pouvoirs conférés au gouverneur en conseil par le législa- teur.
Interpréter le paragraphe comme conférant un pouvoir législatif de modifier ou d'annuler une seule fois, comme les demandeurs le suggèrent, aurait pour effet de détruire la capacité du gouver- neur en conseil de réagir aux préoccupations politi- ques immédiates du jour qui transcendent les inté- rêts individuels.
Je suis également d'avis qu'il ne faut pas donner aux mots «à toute époque» l'interprétation restric tive souhaitée par les demandeurs. La version fran- çaise du paragraphe 64(1) parle de «à toute époque». La nouvelle version anglaise de l'article 64 de la Loi nationale de 1987 sur les transports [S.C. 1987, chap. 34] accorde toujours au gouver- neur en conseil le pouvoir de modifier toute déci- sion de l'Office national des transports «at any time», mais la version française prévoit maintenant que ce pouvoir peut être exercé «à tout moment», ce qui signifie «sans cesse», «continuellement» 12 . La version française du texte implique que le gouver- neur en conseil détient un pouvoir continu d'agir, et la formulation du paragraphe 64(1) l'autorise à agir à sa propre discrétion, non seulement à la requête d'une partie, mais de son propre chef, peu
12 Le grand Robert de la langue francaise: dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française (2e éd. 1986), sous les mots: époque, moment, continuel.
importe que l'ordonnance ou la décision ait été rendue inter partes ou autrement. Tout ce qui précède vient appuyer une interprétation large de la Loi.
La Cour en vient donc à la conclusion que le gouverneur en conseil avait le pouvoir législatif de prendre les décrets C.P. 1987-2349 et C.P. 1988-265.
À titre subsidiaire, l'avocat des demandeurs fait tout d'abord valoir qu'ayant expressément refusé de modifier la décision Télécom CRTC 87-5, le gouverneur en conseil ne peut procéder à la modi fication de cette décision, comme il a eu la préten- tion de le faire à l'alinéa d) du décret C.P. 1988- 265. L'avocat soutient également que l'alinéa d) outrepasse la compétence du gouverneur en con- seil, puisqu'il vise à ordonner à Bell Canada et à Télécommunications CNCP de fournir à l'interve- nante d'autres services ou installations sous- jacents, même si le gouverneur en conseil n'a pas un tel pouvoir législatif sur Bell Canada et sur Télécommunications CNCP. Ce faisant, le gouver- neur en conseil excède le pouvoir que la loi lui confère de modifier ou d'annuler les ordonnances et décisions de la Commission. Ce pouvoir ne comprend pas celui d'ordonner à Bell Canada et à Télécommunications CNCP de fournir des services ou des installations.
La Cour n'est pas d'accord pour dire que c'est le sens qu'il faut donner à l'alinéa d) du décret C.P. 1988-265. En obligeant Bell Canada et Télécom- munications CNCP à fournir à Call-Net Telecom Limited d'autres services ou installations sous- jacents pendant la période du sursis d'exécution, le décret ne modifie pas, en fait, la décision du CRTC 87-5, mais clarifie simplement le désir du gouverneur en conseil que Call-Net ait un accès illimité à ces services pendant la durée du sursis, ainsi que le démontre l'exposé de l'analyse des incidences réglementaires qui a été annexé au décret C.P. 1988-265 mais qui n'en fait pas partie. En un sens, il est simplement un complément à la modification de la décision Télécom CRTC 87-14 qui donne un sens au sursis de l'exécution de la décision Télécom CRTC 87-5 et il est simplement une rectification de l'interprétation donnée par le CRTC au décret C.P. 1987-2349 dans sa lettre du 21 décembre 1987.
Le jour même la Cour instruisait la présente affaire, mon collègue, le juge Muldoon, a publié ses motifs de jugement dans l'affaire Organisation nationale anti -pauvreté c. Canada (Procureur général), [1989] 1 C.F. 208 (1" inst.) (la décision ONAP). Vu les commentaires formulés par le juge Muldoon au sujet de l'arrêt Inuit Tapirisat, j'ai demandé aux avocats de chacune des parties de soumettre des observations écrites sur l'applicabi- lité de l'affaire ONAP à la présente action et sur les incidences de cette décision sur la présente affaire.
Après avoir attentivement lu ces observations, j'en suis venu à la conclusion que les faits et les questions examinés dans la décision ONAP sont très différents de ceux de la présente espèce. Je remarque que le juge Muldoon a formulé de sérieuses inquiétudes au sujet de l'applicabilité continue de l'arrêt Inuit Tapirisat, qui a été rendu par la Cour suprême en 1980, car celui-ci doit maintenant être interprété en tenant compte des modifications constitutionnelles de 1982 et de la [TRADUCTION] «revivification de la Déclaration des droits apportée par la Cour suprême du Canada» dans l'arrêt Singh 13 . Toutefois, je suis d'avis qu'il serait peu approprié et prématuré que je siège en appel ou même que j'exprime des commentaires au sujet de cette décision, qui vise à donner au paragraphe 64(1) de la Loi nationale sur les attributions en matière de télécommunica- tions une interprétation différente de celle qu'a donnée le tribunal suprême de notre pays. J'estime qu'il y a lieu de réserver ce rôle aux cours d'appel.
La présente action est rejetée avec dépens.
13 Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion, [1985] 1 R.C.S. 177.
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