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A-659-88
Guy Poirier (requérant) c.
Ministre des Affaires des anciens combattants (intimé)
RÉPERTORIE: POIRIER C. CANADA (MINISTRE DES AFFAIRES DES ANCIENS COMBATTANTS) (C.A.)
Cour d'appel, juges Pratte, Marceau et Desjardins, J.C.A.—Montréal, 23 janvier; Ottawa, 29 mars 1989.
Anciens combattants Admissibilité à une allocation Payable à l'âge de soixante ans pour les anciens combattants de sexe masculin et à l'âge de cinquante-cinq pour les anciens combattants de sexe féminin Y a-t-il une distinction con- traire à l'art. 15 de la Charte? Le Tribunal d'appel des anciens combattants peut-il se prononcer sur la constitution- nalité de la Loi?
Contrôle judiciaire Demandes de révision Allocations aux anciens combattants Le fait qu'une allocation soit payable aux anciens combattants de sexe masculin âgés de soixante ans et aux vétérans de sexe féminin âgés de cin- quante-cinq viole-t-il l'art. 15 de la Charte? Les tribunaux administratifs sont-il habilités à se prononcer sur la constitu- tionnalité des lois qu'ils sont chargés d'appliquer? La distinction entre le pouvoir des tribunaux administratifs de refuser d'appliquer une loi jugée inconstitutionnelle et le pou- voir d'accorder un redressement sous le régime de l'art. 24 de la Charte est-elle valide?
Droit constitutionnel Charte des droits Droits à l'égalité Discrimination en raison de l'âge La différence d'âge entre les hommes (60) et les femmes (55) pour l'admissi- bilité à une allocation d'anciens combattants en vertu de la Loi sur les allocations aux anciens combattants va-t-elle à l'en- contre de l'art. 15 de la Charte?
Droit constitutionnel Charte des droits Recours La constitutionnalité de la disposition de la Loi sur les allocations aux anciens combattants, qui établit une distinction entre hommes et femmes pour l'admissibilité à une allocation d'an- ciens combattants, est contestée devant le Tribunal d'appel des anciens combattants La distinction entre le pouvoir des tribunaux administratifs, sous le régime de l'art. 52 de la Constitution, de refuser d'appliquer une loi jugée inconstitu- tionnelle et le pouvoir d'accorder un redressement sous le régime de l'art. 24 de la Charte est-elle valide?
La Loi sur les allocations aux anciens combattants prévoit qu'une allocation est payable aux anciens combattants de sexe masculin âgés de soixante ans et aux anciens combattants de sexe féminin âgés de cinquante-cinq ans. Le requérant s'est présenté pour réclamer une allocation quelques semaines après avoir atteint l'âge de cinquante-cinq ans. Il a prétendu que la distinction allait à l'encontre de l'article 15 de la Charte et qu'elle devrait être jugée inopérante en vertu de l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982. Le Tribunal d'appel des anciens combattants a rejeté la demande, disant que même si la disposition allait à l'encontre de l'article 15 de la Charte et
même s'il pouvait déclarer inopérants les mots qui font problè- me, il n'avait pas compétence pour modifier la Loi de manière à permettre au requérant d'avoir droit à l'allocation. La demande fondée sur l'article 28 conteste cette décision au motif que le Tribunal a eu tort de refuser d'exercer sa compétence.
Arrêt: la demande devrait être rejetée.
Le juge Marceau, J.C.A.: L'espèce soulève la question de savoir si les tribunaux administratifs sont habilités à se pronon- cer sur la constitutionnalité des lois qu'ils sont chargés d'appli- quer. Seules les cours de justice, qui forment la branche judiciaire de gouvernement, ont le pouvoir de contester la validité des édits du pouvoir législatif et d'en éliminer les effets: Canada (Procureur général) c. Vincer. Le point de vue adopté par cette Cour dans l'affaire Tétreault-Gadoury selon lequel en refusant simplement d'appliquer une disposition législative qu'il juge incompatible avec la Charte, le tribunal ne fait que se conformer au paragraphe 52(1) de la Constitution (qui rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit) n'est pas convaincant. Le paragraphe 52(1) n'édicte pas une sanction autonome et indépendante de celles définies au paragraphe 24(1) de la Charte. Son application dépendrait entièrement du langage de la disposition . Certes, le paragraphe 52(1) ne règle pas la question de savoir qui est habilité à juger de l'incompatibilité et à dire que la disposition est inopérante; mais les organismes administratifs ne devraient pas avoir ce droit.
Le raisonnement qui cherche à opposer exercice incident et exercice principal de compétence implique qu'entre une déci- sion qui affirme l'inconstitutionnalité d'une loi pour asseoir sa conclusion et une décision qui conclut par déclaration à l'in- constitutionnalité, il y ait une différence de principe. L'argu- ment invoqué est que le premier cas ne dépasse pas le cadre de l'espèce alors que le second atteint les tiers. Cette idée est contestable. Le principe de l'effet relatif des jugements s'appli- que aux jugements déclaratoires. Face aux tiers, les jugements n'ont que la force de précédents et leur ratio decidendi a la même autorité que leur conclusion.
Les principes de la primauté du droit (rule of law) et de la division des pouvoirs de l'État sont incompatibles avec l'attribu- tion aux organismes administratifs du pouvoir de se prononcer sur la constitutionnalité des lois du Parlement et des législatu- res provinciales.
Cette Cour a déjà rejeté, pour ce qui est des demandes fondées sur l'article 28, la validité de la prétention selon laquelle l'absence de juridiction chez l'autorité administrative ne peut plus avoir d'importance une fois que le litige est parvenu devant une cour qui est compétente pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois. La Cour ne peut pas se prononcer sur une question qui ne se posait pas à l'autorité administrative, ni ordonner à celle-ci de répondre de telle façon à une question qui ne la concerne pas.
Le juge Pratte, J.C.A. (motifs concordants quant à la conclu sion): Il n'est pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si l'affaire Tétreault-Gadoury a été jugée à juste titre et s'il y a lieu de retenir la distinction qui y est faite entre le pouvoir (que posséderait un tribunal administratif) de refuser d'appliquer les textes qu'il juge inconstitutionnels et celui (qu'il ne posséderait pas) d'accorder une réparation en vertu de l'article 24. En l'espèce, le requérant ne demandait pas seule-
ment au Tribunal de ne pas tenir compte d'une disposition législative jugée discriminatoire; il lui demandait plutôt de lui accorder à l'âge de cinquante-cinq ans une allocation à laquelle, suivant la loi, il n'aura droit qu'à l'âge de soixante ans. Le Tribunal ne pouvait accéder à cette demande sans recourir à l'article 24 de la Charte et modifier la Loi, et le Tribunal n'avait pas cette compétence.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 15, 24(1).
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1), art. 91, 92, 96.
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 1 1 (R.-U.), art. 52(1).
Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, chap. 48.
Loi de 1973 sur les allocations familiales, S.C. 1973-74, chap. 44.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 2, 28.
Loi sur le Tribunal d'appel des anciens combattants, S.C. 1987, chap. 25.
Loi sur les allocations aux anciens combattants, S.R.C. 1970, chap. W-5, art. 1.1(1) (ajouté par S.C. 1974- 75-76, chap. 8, art. 2), (2) (ajouté idem), 3 (mod., idem), art. 4.
Loi sur les allocations aux anciens combattants, L.R.C. (1985), chap. W-3, art. 3, 4.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Canada (Procureur général) c. Vincer, [1988] 1 C.F. 714 (C.A.); Canada (Procureur général) c. Alli, [1988] 3 C.F. 444 (C.A.); Canada (Procureur général) e. Sirois (1988), 90 N.R. 39 (C.A.F.); Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada), [1989] 2. C.F. 245 (C.A.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Terminaux portuaires du Québec Inc. c. Association des employeurs maritimes et al. (1988), 89 N.R. 278 (C.A.F.).
DÉCISIONS CITÉES:
Zwarich c. Canada (procureur général), [1987] 3 C.F. 253 (C.A.); Nixon c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), A-649-86, A-728-86, juges Urie, Mahoney et Hugessen, J.C.A., jugement en date du 14-12-87, C.A.F., encore inédit; Emms c. La Reine et autre, [ 1979] 2 R.C.S. 1148.
DOCTRINE
Wade, H. W. R. «Unlawful Administrative Action: Void or Voidable?» (1967), 83 Law Q. Rev. 499; (1968), 84 Law Q. Rev. 95.
Davis, K. C. Administrative Law Treatise, 2nd ed., Vol. 4. San Diego: K.C. Davis Pub. Co., 1983, § 26:6.
AVOCATS:
Mireille Pinard pour le requérant. Jean-Marc Aubry pour l'intimé.
PROCUREURS:
Poirier, Pinard, Bougie & Baillargeon, Mont- réal, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE PRATTE, J.C.A.: Les circonstances qui ont donné lieu à ce pourvoi sont relatées par le juge Marceau. Comme il le dit, cette affaire sou- lève la question de savoir si un tribunal administra- tif peut se prononcer sur la constitutionnalité des lois qu'il est chargé d'appliquer.
À ma connaissance, la Cour s'est déjà prononcée quatre fois sur le sujet, dans les affaires Canada (Procureur général) c. Vincer, [1988] 1 C.F. 714 (C.A.); Canada (Procureur général) c. Alli, [1988] 3 C.F. 444 (C.A.); Canada (Procureur général) c. Sirois (1988), 90 N.R. 39 (C.A.F.); et Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada), [1989] 2 C.F. 245 (C.A.)'.
Dans l'affaire Vincer, décidée le ler décembre 1987, les juges Marceau et Stone jugèrent qu'un comité de révision établi en vertu de la Loi de 1973 sur les allocations familiales [S.C. 1973-74, chap. 44] ne pouvait se prononcer sur la constitutionna- lité des lois. Le juge Marceau en vint à cette
'C'est intentionnellement que je ne mentionne pas les arrêts Zwarich c. Canada (procureur général), [1987] 3 C.F. 253 (C.A.); et Nixon c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration) (Cour d'appel fédérale, A-649-86 et A-728-86, jugement en date du 14 décembre 1987, encore inédit). Les affirmations que l'on y trouve à l'effet qu'un juge arbitre et un conseil arbitral agissant en vertu de la Loi de 1971 sur l'assu- rance-chômage doivent refuser d'appliquer les dispositions législatives qu'ils jugent inconstitutionnelles, si catégoriques qu'elles soient, ne sont que des obiter dicta.
conclusion parce qu'il était d'opinion, et chacun sait qu'il n'en a pas changé, que ce pouvoir est réservé aux seules cours de justice. Le juge Stone, lui, s'appuya sur le texte de la Loi de 1973 sur les allocations familiales pour conclure que le mandat que le législateur avait confié au comité de révision ne comprenait pas le pouvoir en question.
L'affaire Alli fut décidée le 9 mai 1988. On y attaquait encore une fois la validité d'une décision d'un comité de révision établi en vertu de la Loi de 1973 sur les allocations familiales. Ce comité, dans sa décision, n'avait pas simplement tenu pour invalide ou inopérant un texte jugé contraire à la constitution; il avait accordé à l'intimé une répara- tion en vertu de l'article 24 de la Charte cana- dienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]. La Cour fit droit au pourvoi en disant que même en supposant, contrairement à ce qui avait été jugé dans Vincer, que le comité de révi- sion ait pu refuser d'appliquer les dispositions législatives qu'il jugeait inconstitutionnelles, il fal- lait néanmoins conclure qu'il n'était pas un «tribu- nal compétent» au sens de l'article 24 de la Charte.
La troisième décision, prononcée dans l'affaire Sirois le 24 juin 1988, concerne elle aussi une décision d'un comité de révision établi en vertu de la Loi de 1973 sur les allocations familiales. La Cour s'y référa tout simplement à l'arrêt Vincer pour appuyer son affirmation qu'un pareil comité n'avait pas le pouvoir de décider de la constitution- nalité des dispositions législatives qu'il était chargé d'appliquer.
Le dernier arrêt, du 23 septembre 1988, a été prononcé dans l'affaire Tétreault-Gadoury. On s'en prenait à la décision d'un conseil arbitral créé en vertu de la Loi de 1971 sur l'assurance-chô- mage [S.C. 1970-71-72, chap. 48] qui l'on repro- chait d'avoir tenu compte, en décidant une affaire, d'une disposition de la Loi de 1971 sur l'assu- rance-chômage qui était, prétendait-on, clairement inconstitutionnelle. La Cour fit droit au pourvoi. S'inspirant de la distinction suggérée dans l'arrêt Alli, la Cour jugea que si un conseil arbitral n'était pas un tribunal compétent pour accorder une répa- ration en vertu de l'article 24 de la Charte, il pouvait néanmoins se prononcer sur la validité
constitutionnelle des dispositions législatives qu'il était chargé d'appliquer et devait, en rendant ses décisions, tenir pour inopérantes et sans effet les dispositions qu'il jugeait contrevenir à la Charte.
Certains croient, le juge Marceau est de ceux-là, que l'affaire Tétreault-Gadoury a été mal jugée et qu'il n'y a pas lieu de retenir la distinction qui y est faite entre le pouvoir (que posséderait un tribu nal administratif) de refuser d'appliquer les textes qu'il juge inconstitutionnels et celui (qu'il ne pos- séderait pas) d'accorder une réparation en vertu de l'article 24 de la Charte. Il n'est pas nécessaire de se prononcer sur cette question pour décider du litige qui nous est soumis. Il est clair en effet que, en l'espèce, le requérant ne demandait pas seule- ment au Tribunal d'appel des anciens combattants de ne pas tenir compte d'une disposition législative jugée discriminatoire; il lui demandait plutôt de lui accorder à l'âge de 55 ans une allocation à laquelle, suivant la loi, il n'aura droit qu'à l'âge de 60 ans. Il est manifeste que le Tribunal dont le seul rôle était de juger si les décisions portées devant lui avaient été bien prises, ne pouvait accéder à cette demande puisque la loi, même si elle avait été amputée des dispositions que le requérant jugeait invalides, n'aurait pas autorisé le paiement des sommes réclamées.
Je rejetterais la demande.
LE JUGE DESJARDINS, J.C.A.: J'y souscris.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE MARCEAU, J.C.A.: Le problème de savoir si les tribunaux administratifs sont habilités à se prononcer sur la constitutionnalité des lois qu'ils sont chargés d'appliquer a pris dernièrement, en doctrine et en jurisprudence, une importance de premier plan. Le problème n'a pas été créé par l'enchâssement de la Charte canadienne des droits et libertés dans la Constitution, mais il faut bien admettre qu'auparavant personne apparemment n'avait songé devoir s'en préoccuper. La constitu- tionnalité des lois était alors strictement fonction du partage des compétences législatives aux termes des articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C.
1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1)] et peu de tribunaux auraient, je suppose, imaginé être auto- risés à traiter des difficultés juridiques d'interpré- tation qu'une conclusion sur le caractère ultra vires d'une loi implique. Mais l'avènement d'une autre source d'inconstitutionnalité, à contenu imprécis et de nature politique et sociale, donnant lieu à ce que l'on a voulu appeler d'un terme nouveau soit l'inefficacité ou l'inopérabilité, a complètement changé la situation. Il est apparu à certains procureurs qu'une prétention de non-cons- titutionnalité d'une disposition législative au motif qu'elle enfreindrait un précepte de la Charte était à la portée des autorités administratives munies de pouvoirs de décisions, et certaines de ces autorités, encouragées par quelques commentateurs, ont accepté de se prononcer en ce sens. Et le problème ne pouvait plus être ignoré. En fait, on le sait bien, au niveau fédéral, cette Cour en a été saisie à plusieurs reprises dans l'exercice de son pouvoir de révision et de contrôle des décisions des tribunaux administratifs, mais elle n'a pas encore pris, à son sujet, une position arrêtée, et la controverse persiste.
C'est, encore une fois, ce fameux problème que la présente demande sous l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), chap. F-7] sou- lève et elle le soulève de façon directe et exclusive. C'est ce qui la rend plus frappante. Voici, en effet, ce dont il s'agit.
La Loi sur les allocations aux anciens combat- tants [L.R.C. (1985), chap. W-3], après avoir affirmé, à son article 3 (avant la révision des lois de décembre dernier c'était le paragraphe 1.1(1) [S.R.C. 1970, chap. W-5 (ajouté par S.C. 1974- 75-76, chap. 8, art. 2)]), le principe de l'égalité de statut des anciens combattants hommes ou femmes, apporte aussitôt un accroc au principe à l'article suivant (autrefois article 3) en édictant:
4. (1) Sous réserve des autres dispositions de, la présente loi, une allocation est payable aux personnes suivantes qui résident au Canada:
a) toute personne de sexe masculin qui est un ancien com- battant ou un veuf et qui a atteint l'âge de soixante ans;
b) toute personne de sexe féminin qui est un ancien combat- tant ou une veuve et qui a atteint l'âge de cinquante-cinq ans;
c) tout ancien combattant, veuf ou veuve qui, de l'avis du ministre, selon le cas:
(i) est en permanence non employable par suite d'invali- dité physique ou mentale,
(ii) est, par suite d'invalidité ou d'insuffisance physique ou mentale, alliée à des désavantages économiques, incapable et non susceptible de se trouver en état de subvenir à ses besoins,
(iii) est, par suite de la nécessité de pourvoir aux besoins d'un enfant à charge résidant à la maison, incapable de subvenir à ses besoins;
d) un orphelin.
(2) L'article 3 ne s'applique pas au paragraphe (I).
On devine tout de suite les faits. Le requérant, un ancien combattant, se présenta pour réclamer les allocations prévues par la Loi, en juin 1987, quelques semaines après avoir atteint l'âge de 55 ans. Il invoqua naturellement le caractère discrimi- natoire de la disposition qui traitait les vétérans de sexe masculin différemment des vétérans de sexe féminin en les forçant à attendre l'âge de 60 avant de pouvoir toucher leur pension. Cette disposition contraire aux prescriptions du paragraphe 15(1) de la Charte devait, selon son procureur, être tenu pour inopérante aux termes de l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]. Le Directeur général régional, responsable du traite- ment des demandes au premier palier, refusa. Le requérant s'adressa alors au Comité d'appel et de révision qui confirma la décision, mais prit sur lui de référer l'affaire à la Commission des allocations des anciens combattants, «étant donné, expliqua- t-il, la nature de cette contestation». Quelques semaines plus tard (le 14 septembre 1987) la Commission fut remplacée par le Tribunal d'appel des anciens combattants, un organisme que venait de créer la Loi sur le Tribunal d'appel des anciens combattants, S.C. 1987, chap. 25, composé de six membres, sans qualification spéciale, nommés par le gouverneur en conseil pour des termes d'au plus sept ans. C'est ce tribunal qui, siégeant à trois membres, entendit en dernier ressort la demande du requérant. Il la rejeta, lui aussi, en raisonnant comme suit (aux pages 3 et 4 de la décision):
Selon le jugement du juge Pratte 2 , même si le tribunal prétend que l'argument de l'appelant est pertinent et que les mots »Sous réserve de l'article 3(1)» à l'article 1.1(1) de la Loi sur les allocations aux anciens combattants ne s'appliquent pas
2 Dans Zwarich c. Canada (procureur général), [1987] 3 C.F. 253 (C.A.) auquel les membres du Tribunal venaient de se référer.
parce qu'ils ne sont pas conformes aux dispositions de l'article 15 de la Charte, il ne s'ensuit pas nécessairement que le Tribunal peut octroyer une allocation à l'appelant.
Enlever ces mots de l'article 1.1 qui font problèmes, ne fait que créer un article portant que les hommes et les femmes doivent avoir les mêmes droits et obligations en vertu de la présente Loi.
Toutefois, selon l'article 3, l'âge minimum pour l'octroi d'une allocation est différente pour les hommes et pour les femmes. Même si l'interprétation de l'article 1.1(2) prévoyait qu'une personne de sexe féminin âgée de 55 ans comprend toute personne de sexe masculin âgée de 55 ans, il faudrait appliquer le corollaire suivant: une personne de sexe masculin âgée de 60 ans comprend toute personne de sexe féminin agée de 60 ans.
Par conséquent, pour autoriser le recours demandé par l'ap- pelant, le Tribunal devrait choisir quel est l'âge le plus appro- prié pour octroyer une allocation aux hommes et aux femmes. Le Tribunal n'a aucune preuve sur laquelle se fonder pour déterminer s'il est préférable d'accorder une allocation à 55 ans ou à 60 ans.
Le Tribunal est d'avis que son rôle est d'interpréter la Loi sur les allocations aux anciens combattants et les autres lois de sa compétence, selon leur libellé. Il croit aussi que seul le Parle- ment peut modifier l'âge auquel les requérants, qu'ils soient de sexe féminin ou de sexe masculin, peuvent recevoir une allocation.
Par conséquent, le Tribunal estime ne pas pouvoir autoriser le recours demandé, soit l'octroi d'une allocation à M. Poirier.
Le Tribunal confirme donc la décision prise par le Comité régional de révision du Québec et statue en conséquence'.
C'est cette décision qui est devant nous. Le requérant prétend toujours que le caractère mani- festement discriminatoire de l'alinéa 3(1)(a) [mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 8, art. 4)], considéré conjointement avec les affirmations de principe des paragraphes 1.1(1) et 1.1(2) 4 [ajoutés par S.C. 1974-75-76, chap. 8, art. 2] au sujet de l'intention
' La décision ayant été rendue avant la mise en vigueur des Lois révisées, la numérotation est celle qui prévalait avant décembre 1988.
4 La numérotation est toujours celle qui existait avant décem- bre 1988. Le paragraphe 1.1(1) est devenu l'article 3 et le paragraphe 1.1(2) n'est pas repris. Ils se lisaient comme suit: 1.1 (1) En vertu de la présente loi, les anciens combat- tants de sexe masculin et de sexe féminin qu'elle vise jouis- sent d'un statut égal et ont, sous réserve du paragraphe 3(1), les mêmes droits et les mêmes obligations.
(2) Aux fins d'assurer un statut égal aux anciens combat- tants de sexe masculin et de sexe féminin quant aux droits et obligations que prévoit la présente loi, toute expression de la présente loi qui vise une personne du sexe masculin peut se lire et s'interpreter comme visant une personne du sexe féminin et réciproquement, à moins que la disposition qui contient une telle expression ne prévoit expressément que la présente disposition ne s'applique pas dans ce cas.
de la Loi quant au traitement réservé aux vétérans des deux sexes, permettait au Tribunal de lui reconnaître son droit à une pension sans avoir à légiférer lui-même. Le Tribunal, soutient-il, a refusé illégalement d'exercer sa compétence.
Le ministre-intimé défend pour sa part l'appro- che et le raisonnement du Tribunal en les ratta- chant à quelques arrêts de cette Cour—dont prin- cipalement l'arrêt Zwarich c. Canada (procureur général) [[1987] 3 C.F. 253 (C.A.)], dont le Tri bunal s'était inspiré, et l'arrêt Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immi- gration du Canada), [[1989] 2 C.F. 245 (C.A.)]. Il s'en exprime clairement au paragraphe 16 de son mémoire:
16. Selon cette jurisprudence, un tribunal administratif a com- pétence pour juger inopérant un texte législatif ou régle- mentaire à cause de son incompatibilité avec la Charte et, par conséquent, de refuser de l'appliquer; par contre, un tel tribunal n'a pas compétence pour ordonner une réparation qu'il estime juste et convenable en application du paragra- phe 24(1) de la Charte parce qu'il n'a compétence que pour disposer des appels dont il est saisi conformément à sa loi constituante.
Ainsi, dit l'intimé, le Tribunal avait bien compé- tence pour déclarer inopérant l'alinéa 3(1)a), mais ne pouvant aller au-delà il était incapable, sur la base de la Loi, de reconnaître un droit à des allocations à un vétéran de sexe masculin agé de 55 ans.
J'ai exprimé déjà ma conviction à l'effet qu'un tribunal administratif, rattaché par définition à la branche exécutive de gouvernement, ne pouvait se permettre de refuser d'appliquer une loi du Parle- ment ou d'une Législature au motif que cette loi lui paraîtrait violer la constitution du pays. Le principe même de la rule of law et la division fondamentale des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire de l'État, qui non seulement ont été formellement confirmés dans la Constitution mais, en fait, lui sont préalables en ce qu'ils lui donnent ses assises, à mon avis s'y opposent. Seules les cours de justice, qui forment la branche judiciaire de gouvernement, ont le pouvoir de contester la validité des édits du pouvoir législatif et d'en élimi- ner les effets. Et cela, à mon sens, vaut autant et de la même manière à l'égard d'une disposition législative qui, parce qu'elle irait à l'encontre du partage des compétences établi par les articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867, serait
ultra vires, que pour une disposition législative qui pourrait être vue comme enfreignant une disposi tion de la Charte et qui devrait alors être dite inefficace ou inopérante. J'ai longuement expliqué ma façon de voir à cet égard dans la cause Canada (Procureur général) c. Vincer, [1988] 1 C.F. 714 (C.A.) et ce n'est évidemment pas pour simple- ment me répéter que j'ai voulu écrire les présents motifs 5 .
Il arrive cependant qu'à l'encontre de la position que j'ai cru devoir adopter dans Vincer, on a depuis donné à certaines objections apparentes une portée que je n'avais pas prévue et on a répété en dernière analyse que de toute façon, au niveau de cette Cour, l'absence de juridiction du tribunal serait sans conséquence. Il m'est apparu, dans ces circonstances, qu'appuyer mon opinion à l'effet que cette demande dont nous avons à disposer aujourd'hui doit être rejetée en me référant, sans plus, ce que je disais dans Vincer serait quelque peu insatisfaisant. Quelques commentaires addi- tionnels m'ont semblé de mise, que je ferai d'abord relativement aux objections formulées à l'encontre de la position que j'ai adopté dans Vincer, et ensuite relativement aux conséquences qu'une absence de juridiction chez le tribunal peut avoir au niveau de cette Cour.
1. Dans mes notes sous l'arrêt Terminaux por- tuaires du Québec Inc. c. Association des employeurs maritimes et al. (1988), 89 N.R. 278 (C.A.F.), j'ai déjà exprimé mes doutes quant à la valeur des principaux arguments avancés par ceux
Peut-être convient-il de préciser de nouveau ici que cette position de principe que j'ai fait valoir d'abord dans Vincer (supra) ne s'oppose pas nécessairement par elle-même à la possibilité pour l'autorité législative d'attribuer à un tribunal qu'elle crée le mandat incident de contrôler la constitutionnalité des lois qu'elle le charge d'appliquer. Car, bien sûr, notre système constitutionnel ne prévoit pas une séparation générale des pouvoirs d'État qui interdirait l'exercise de fonctions judi- ciaires par un organisme qui n'est pas une cour de justice, et en fait, on le sait bien, les tribunaux administratifs ont été mis sur pied en partie justement pour exercer des fonctions judiciaires. Mais il faut bien réaliser que cette attribution possible de fonctions judiciaires à des organismes administratifs reste en tout état de cause soumise aux exigences de l'article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 (un obstacle de taille) et ensuite que, si elle doit aller jusqu'au pouvoir le plus fondamental de contrôler la légalité des actes de l'autorité constituante elle- même (une précaution de l'autorité constituante pour le moins étonnante), elle exigerait d'être définie en ce sens dans les termes les plus clairs, si exceptionnelle et même anormale serait la situation.
qui voudraient que les tribunaux administratifs aient le pouvoir de refuser d'appliquer une loi qu'ils jugeraient inconstitutionnelle parce que con- traire aux prescriptions de la Charte. Je voudrais revenir rapidement sur deux de ces arguments.
a) Le premier, j'y reviens parce qu'on le retrouve à la base de l'arrêt de cette Cour dans Tétreault-Gadoury, supra. Il consiste à dire qu'en refusant simplement d'appliquer une disposition législative qu'il juge incompatible avec la Charte, le tribunal ne fait que se conformer à la Loi constitutionnelle de 1982 et à son paragraphe 52(1) qui «rend inopérantes les dispositions incom patibles de toute autre règle de droit>. Ce faisant, le tribunal ne prétend pas pouvoir se prévaloir de l'autorité du paragraphe 24(1) de la Charte pour ordonner une réparation convenable, comme il lui faudrait le faire s'il voulait aller au delà d'un strict refus d'appliquer la disposition incriminée; et il ne prétend pas non plus pouvoir se prononcer par déclaration générale, comme s'il était une cour supérieure. Le tribunal reste dans son domaine et ne s'arroge nullement le rôle d'une cour de justice.
Ce raisonnement ne me convainc pas pour deux motifs. D'une part, il implique que le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 édicte une sanction autonome et indépendante de celles définies au paragraphe 24(1) de la Charte, qui s'appliquerait automatiquement. Une telle inter- prétation des textes créerait une situation où, dans le cas de discrimination spécialement, la possibilité pour le tribunal de donner effet à sa prétention d'inconstitutionnalité serait strictement fonction du langage utilisé (étant nécessaire pour cela en effet que la disposition, amputée des mots créant problème, garde encore un sens immédiatement applicable), ce qui paraît singulièrement peu satis- faisant. Mais d'abord et surtout, une telle interpré- tation des textes confond, à mon avis, je le dis avec égards, une règle de fond avec une règle attributive de compétence: dire qu'une disposition législative incompatible avec la Charte est inopérante ne règle pas la question de savoir qui peut juger de cette «incompatibilité», qui est habilité à dire et à se satisfaire qu'une prescription législative doit être ignorée parce qu'elle contrevient à la Consti tution. On admet, il est vrai, que l'individu qui refuse de se conformer à une prescription législa-
tive en prétextant inconstitutionnalité s'en tirera indemne s'il obtient éventuellement en cour confir mation de sa prétention. Mais, comme je le souli- gnais dans Terminaux portuaires, supra, il en est ainsi parce qu'on reconnaît au citoyen un droit sacré de résister aux actes illégaux de l'État qui l'atteignent dans sa personne et ses intérêts person- nels. (Voir les remarques de Wade à ce sujet dans son étude intitulée «Unlawful Administrative Action: Void or Voidable?» dans (1967), 83 Law Q. Rev. 499 et dans (1968), 84 Law Q. Rev. 95.) Il n'y a certes pas place pour un droit correspondant en faveur de l'exécutif et des organes administra- tifs dans l'exercice des pouvoirs qu'ils peuvent avoir sur les citoyens. (Voir sur ce sujet l'ouvrage américain de K. C. Davis, Administrative Law Treatise, 2 e éd., Vol. 4 (1983) § 26:6, aux pages 434 et suivantes.)
D'autre part, ce raisonnement qui cherche à opposer exercice incident et exercice principal de compétence implique aussi l'idée qu'entre une décision qui affirme l'inconstitutionnalité d'une loi pour asseoir sa conclusion et une décision qui conclut par déclaration à l'inconstitutionnalité, il y a une différence de principe quant à leur portée respective. Dans le premier cas, l'affirmation d'in- constitutionnalité ne dépasserait pas les cadres du litige à résoudre et des parties en cause, alors que dans le second elle atteindrait les tiers. Cette idée me semble sérieusement contestable. Le principe de l'effet relatif des jugements ne s'applique-t-il pas aux jugements déclaratoires comme aux autres. Face aux tiers, les jugements n'ont que la force de précédents et à cet égard leur ratio deci- dendi a la même autorité que leur conclusion. (Voir à ce sujet les remarques du juge Pigeon dans l'arrêt de la Cour suprême Emms c. La Reine et autre, [ 1979] 2 R.C.S. 1148, aux pages 1160 à 1162.)
À mon avis, reconnaître aux tribunaux adminis- tratifs provinciaux ou fédéraux (tribunaux fédé- raux qui, au terme de la définition contenue dans la Loi sur la Cour fédérale (article 2), compren- nent tout «organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus. par une loi fédérale») le droit de refuser d'appliquer une loi qu'ils jugeraient inconstitutionnelle, c'est leur reconnaître le droit de contrôler la légalité des lois
de la Législature provinciale ou du Parlement au même niveau qu'une cour judiciaire. C'est pour- quoi les principes de la rule of law et de la division des pouvoirs d'État me paraissent directement impliqués, et c'est pourquoi aussi le droit de refu- ser d'appliquer une loi jugée inconstitutionnelle me parait, au plan des principes, d'un tout autre ordre que le simple pouvoir de situer des faits par rap port à l'ordre constitutionnel, ou de trancher des difficultés d'interprétation juridique ou même de se prononcer sur la légalité (eu égard aux disposi tions législatives habilitantes ou aux prescriptions de la Charte) d'une disposition quelconque de législation déléguée.
b) Un autre argument invoqué pour défendre l'idée que les tribunaux administratifs devraient avoir le pouvoir de se prononcer sur la constitu- tionnalité des lois est celui d'opportunité tiré des avantages pratiques apparents qui en résulteraient sur les plans temps et coûts. J'y reviens à cause de l'utilisation constante qu'on en fait. Je pourrais d'abord faire remarquer qu'un argument de cette nature ne pourrait de toute façon contrer un empê- chement fondamental de principe comme celui qui, à mon avis, existe. Mais je voulais surtout soulever un doute sur la réalité des avantages prétendus. Dès lors que les parties à un litige mettant en cause la constitutionnalité d'une loi ne seraient pas disposées à se contenter de la décision du tribunal administratif, et sans doute serait-ce la règle étant donné l'importance des litiges de cette nature, les cours de droit commun seraient appe- lées à intervenir. se trouveraient alors les avan- tages en temps et coûts? Il est vrai que les prati- ciens sont encore aujourd'hui dans l'incertitude quant à la façon de procéder, mais leurs difficultés ne viennent pas à cet égard des règles procédurales en vigueur, mais de l'ignorance de celles applica- bles due à l'absence d'une prise de position ferme et acquise. Une fois établi que la prétention d'in- constitutionnalité, qu'elle soit soulevée avant ou après la décision administrative, doit se vérifier devant une cour de droit commun (au niveau fédéral, la Cour fédérale, Section de première instance, en vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale), les praticiens sauront à quoi s'en tenir et n'auront pas plus de difficulté à agir.
2. J'en viens maintenant à cette prétention que l'absence de juridiction chez l'autorité administra-
tive elle-même ne peut plus avoir d'importance une fois que le litige, avec sa question constitutionnelle, est parvenu devant une cour qui, elle, est compé- tente pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois.
Cette Cour a déjà, à deux reprises, rejeté la validité de cette prétention lorsque le recours exercé contre la décision était celui prévu à l'arti- cle 28 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10] (dans les arrêts Vincer, supra et Canada (Procureur général) c. Sirois (1988), 90 N.R. 39. Il en est ainsi à cause de la grande particularité du recours. Les pouvoirs de la Cour, dans l'exercice du rôle de surveillance et de con- trôle de la légalité des décisions administratives que lui attribue l'article 28, sont uniquement ceux d'annuler la décision qui lui paraîtrait ne pas avoir été rendue selon les exigences légales et de deman- der au tribunal de reconsidérer l'affaire en lui donnant les directives appropriées 6 . La Cour ne peut pas se prononcer sur une question qui ne se posait pas à l'autorité administrative, ni ordonner à celle-ci de répondre de telle façon à une question qui ne la concerne pas. La nature même du recours en détermine les limites et les règles procédurales auxquelles il est soumis (requête qui doit être entendue et jugée «à bref délai et selon une procé- dure sommaire» (paragraphe 28(5))) sont en rap port direct avec ces limites.
On n'a pas manqué, ici encore, de faire appel à une objection d'ordre pratique. Pourquoi la Cour refuserait-elle de se prononcer immédiatement sur une question qui est de son ressort, que cette question ait été soulevée ou non devant le tribunal? Pourquoi faudrait-il qu'elle rejette la demande de révision ou qu'elle retourne l'affaire au tribunal, en laissant aux parties la possibilité de s'adresser d'abord à la Section de première instance pour revenir ensuite, de nouveau, devant elle. Pourquoi ce circuit, source évidente de perte de temps et d'argent?
6 Le paragraphe 52d) se lit comme suit: 52. La Cour d'appel peut
d) dans le cas d'une demande de révision et d'annulation d'une décision d'un office fédéral, soit rejeter la demande, soit infirmer la décision, soit infirmer la décision et ren- voyer la question à l'office pour jugement conformément aux directives qu'elle estime appropriées.
L'objection est, à prime abord, plus embarras- sante encore que celle utilisée à l'encontre du refus de reconnaître aux tribunaux administratifs le pouvoir de se prononcer sur la constitutionnalité des lois, mais elle appelle, quand même, des répli- ques de même ordre. Ce n'est pas là, en effet, il me semble, un genre d'objection qui peut contrer une difficulté de principe en même temps qu'un problè- me manifeste de juridiction, et d'ailleurs il faut bien se rendre compte qu'une fois la situation clarifiée, les erreurs de procédures n'auront plus raison d'être. Il y a cependant une réponse de poids qui s'ajoute: la solution d'un problème constitu- tionnel basé sur la Charte est toujours susceptible d'impliquer une preuve plus ou moins élaborée, étant donné l'interprétation et le rôle attribués à l'article 1: n'est-ce pas devant un tribunal de pre- mière instance, présidé par un juge seul, qu'une telle preuve peut le plus commodément, le plus valablement et le plus utilement être produite.
C'étaient les commentaires additionnels que je tenais à faire pour compléter ma pensée telle que je l'exprimais à l'arrêt Vincer, supra. Il me reste à conclure en fonction de cette opinion qui est la mienne à l'effet que, en l'absence d'une déclara- tion d'inconstitutionnalité à eux adressée par une cour de justice, les tribunaux administratifs sont tenus d'appliquer les lois telles qu'elles existent et ne sauraient, dans l'exécution de leur mandat, se permettre d'écarter celles qui leur paraîtraient non conformes à la Constitution. La conclusion est simple: puisque le Tribunal n'a en définitive qu'ap- pliqué la Loi, sa décision ne peut être contestée.
Je rejetterais donc cette demande sous l'article 28.
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