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T-7186-82
John Ernest Kenney (demandeur) c.
Le navire Cape York, ses propriétaires et toutes les autres personnes ayant un droit sur lui, ainsi que National Sea Products Limited, personne morale (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: KENNEY c. CAPE YORK (LE) (I" INST.)
Section de première instance, juge McNair— Ottawa, 28 mars 1989.
Pratique Frais et dépens Le jugement a accordé au demandeur des dommages-intérêts au montant de I 071 $ plus l'intérêt couru avant comme après jugement, à compter de la date à laquelle le préjudice avait été causé Les défendeurs avaient consigné un montant de 5 000 $ à la Cour avant le procès La Cour n'avait pas connaissance de ce paiement Les défendeurs réclament les frais de l'action à compter de la date du paiement au motif que les dommages-intérêts accor dés sont inférieurs au montant consigné La Cour accepte la pratique voulant que la consignation d'un montant à la Cour ne soit pas révélée Questions à examiner lors de la détermi- nation de la question de savoir si les frais et dépens doivent être accordés à compter de la date de la consignation.
Le demandeur, qui avait intenté une action pour compenser le préjudice subi à la suite du pilotage négligent du chalutier arrière des défendeurs, a obtenu un jugement lui accordant des dommages-intérêts au montant de 1 072 $ plus l'intérêt couru avant comme après jugement, à compter de la date à laquelle le préjudice avait été causé, ainsi que ses frais taxés. Avant le procès, les défendeurs avaient consigné un montant de 5 000 $ à la Cour pour indemniser le demandeur à l'égard de toutes ses causes d'action. Cette consignation n'a été révélée à la Cour qu'après le prononcé du jugement qui a statué sur la responsa- bilité et adjugé des dommages-intérêts. Alléguant que le mon- tant adjugé était considérablement inférieur au montant consi gné, les défendeurs réclament les frais qu'ils ont engagés dans l'action à compter de la date de la consignation d'argent à la Cour.
Jugement: l'adjudication des dépens sera modifiée pour accorder au demandeur les frais taxables qu'il a engagés jus- qu'à la consignation d'argent à la Cour et pour refuser tous frais à qui que ce soit après cette date.
Les Règles de la Cour fédérale traitant de la consignation d'un montant à la Cour ont été conçues pour promouvoir le règlement des litiges en obligeant les demandeurs à réexaminer leur position compte tenu du risque qu'ils courent d'être pénali- sés au niveau des dépens.
De plus, il est préférable qu'aucune communication du fait de la consignation d'argent à la Cour ne soit faite au juge avant que toutes les questions relatives à la responsabilité et au montant des dommages-intérêts n'aient été tranchées.
Le calcul du montant accordé par le jugement du demandeur devrait comprendre l'intérêt couru avant jugement lorsqu'il s'agit de déterminer si, relativement à la question des dépens, le
montant de ce jugement était inférieur ou supérieur au montant consigné à la Cour. Lorsqu'il s'agit de déterminer si un défen- deur devrait se voir accorder des frais à compter de la date de la consignation d'argent à la Cour, l'augmentation de la durée du litige qui est due à la contestation ainsi que la complexité des questions à trancher sont au nombre des facteurs addition- nels qui doivent être examinés.
LOIS ET RÈGLEMENTS
England, Rules of the Supreme Court (No. /) 1933, Ord. 22, Règles 1, 6 (mod. par les Rules of the Supreme Court (No. 1) 1934).
Nova Scotia, Civil Procedure Rules, Règle 41.07. Ontario, Rules of Civil Procedure, Règle 49.06. Ontario, Rules of Practice, 1977, Règles 306, 317. Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles
324, 337(2)a),b),(5)b), 344(1) (mod. par DORS/87-221, art. 2), (3), 441, 442, 443.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
Klaus v. Beck (1966), 59 D.L.R. (2d) 284; 58 W.W.R. 361 (C.A. Man.); Rushton v. Lake Ontario Steel Co. Ltd. (1980), 29 O.R. (2d) 68 (H.C.); Ryan v. McGregor, [1926] I D.L.R. 476 (C.A. Ont.).
DECISIONS EXAMINÉES:
Milligan v. Carter, [1935] 2 W.W.R. 662 (C.S. Alb.); Fraser et al. v. Lochead et al. (1981), 126 D.L.R. (3d) 86 (H.C. Ont.); Findlay v. Railway Executive, [1950] 2 All E.R. 969 (C.A.).
DOCTRINE
Sgayias, David et al., Federal Court Practice /988, Toronto: Carswell, 1987.
AVOCATS:
Walton W. Cook, c.r. pour le demandeur. Mark E. MacDonald pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Walton W. Cook, c.r., Lunenburg (Nouvelle- Écosse), pour le demandeur.
Stewart MacKeen & Covert, Halifax, pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MCNAIR: Des motifs de jugement ont été déposés en l'espèce avec le prononcé d'un juge- ment formel le 10 janvier 1989. L'action intentée par le demandeur visait à compenser le préjudice
subi à la suite du pilotage négligent du chalutier arrière des défendeurs qui, le 14 septembre 1981, en mer, était passé à proximité de son navire de pêche et avait été à l'origine d'un emmêlement de câbles. Le jugement a accordé au demandeur des dommages-intérêts au montant de 1 072 $ plus l'intérêt couru avant comme après jugement, à compter de la date à laquelle le préjudice avait été causé, au taux annuel de 8 %, ainsi que ses frais taxés.
Le 5 octobre 1988, cinq jours avant le début du procès, les défendeurs ont consigné à la Cour une somme de 5 000 $ destinée à indemniser le deman- deur à l'égard de toutes les causes d'action visées par sa réclamation, y compris les intérêts et les dépens. Le demandeur a été dûment avisé de cette consignation, mais il a choisi de ne pas accepter l'argent offert en règlement de sa cause d'action, comme il était en droit de le faire. Les avocats des défendeurs ont considéré qu'il était préférable que je ne sois pas informé de cette consignation, et ce fait ne m'a été communiqué qu'une fois prononcé le jugement statuant sur la responsabilité et adju- geant des dommages-intérêts. J'ai été avisé pour la première fois de cette consignation dans une note reçue du greffe d'Ottawa vers le 9 février 1989. Cette note expédiait sous pli séparé le jugement formel ainsi que ses motifs, une lettre en date du 16 janvier 1989 adressée par les procureurs des défendeurs au greffe de Halifax et une lettre en date du 31 janvier 1989 adressée à ce même greffe par le procureur du demandeur. Les signataires de ces lettres sont les avocats mêmes qui ont repré- senté les parties lors du procès, et ils ont tous deux convenu que ces lettres devaient être considérées comme énonçant leurs prétentions respectives au sujet de l'adjudication des dépens. Comme je l'ai dit, le jugement a accordé au demandeur les frais qu'il a engagés tout au long de l'instance.
L'avocat des défendeurs souligne que les dom- mages-intérêts accordés, qui comprennent les inté- rêts courus et les frais engagés jusqu'à la date de la consignation du montant de 5 000 $ à la Cour, sont considérablement moins élevés que ce montant. En conséquence, prétend-il, les défendeurs devraient avoir droit aux frais qu'ils ont engagés dans l'ac- tion à compter de la date de la consignation à la Cour.
L'avocat du demandeur soutient que les vérita- bles frais du procès pourraient être supérieurs à ceux auxquels le demandeur aurait droit jusqu'au jour de la consignation, et il souligne que l'adjudi- cation des dépens fait l'objet d'une discrétion judi- ciaire qui doit être exercée en tenant compte des circonstances particulières de l'espèce. Il s'appuie également sur le fait que le demandeur a présenté
une réclamation de dommages-intérêts punitifs fortement appuyée qui, bien qu'ayant échoué,
devrait être prise en compte lors de l'exercice du pouvoir discrétionnaire en cause et contribuer à justifier le refus de [TRADUCTION] «tous dépens à la puissante partie défenderesse».
La Règle 344(1) [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663 (mod. par DORS/87-221, art. 2)] codifie la règle fondamentale voulant que l'ad- judication de dépens soit entièrement laissée à la discrétion de la Cour. Les alinéas du paragraphe (3) de la Règle 344 énumèrent certains des fac- teurs devant être pris en considération par les tribunaux dans l'exercice de leur pouvoir discré- tionnaire d'adjuger des dépens; ainsi les tribunaux doivent-ils notamment tenir compte:
Règle 344. (3) ...
a) du résultat de l'instance;
b) des sommes réclamées et des sommes recouvrées;
e) de l'importance des questions en litige;
f) de toute consignation d'argent à la Cour en vertu des règles 441 et suivantes et du montant de cette consignation;
g) de toute offre de règlement présentée par écrit;
j) de la complexité des questions en litige;
k) de la conduite d'une partie qui aurait abrégé ou prolongé inutilement la durée de l'instance;
La Règle 441 traite de la consignation d'une somme d'argent à la Cour en règlement de la cause d'action faisant l'objet de la demande du demandeur, tandis que les Règles 442 et 443 trai- tent de façon générale des conséquences d'une telle mesure au plan de la procédure. Ces Règles ne prévoient aucune ligne directrice précisant l'effet d'une consignation à la Cour sur l'adjudication des dépens. Néanmoins, je suis d'avis qu'elles sont conçues pour promouvoir le règlement des litiges en obligeant les demandeurs à bien réfléchir avant de poursuivre l'instance et de risquer d'être pénali- sés au niveau des dépens. En disant cela, je ne fais que répéter ce qu'ont dit les nombreuses décisions judiciaires qui ont traité de cette question.
Dans l'arrêt Klaus v. Beck (1966), 59 D.L.R. (2d) 284; 58 W.W.R. 361 (C.A. Man.), le juge d'appel Monnin, énonçant l'opinion que la Cour a dit aux pages 287 D.L.R.; 364 W.W.R.:
[TRADUCTION] Ces arrêts indiquent tous que le juge de première instance est investi d'un pouvoir discrétionnaire inhé- rent à sa fonction en ce qui concerne les dépens mais que, lorsque le défendeur a consigné un montant à la Cour et que le montant adjugé est inférieur au montant consigné, les frais et dépens subséquents à la consignation devraient être accordés au défendeur à moins qu'il n'existe des circonstances justifiant le tribunal d'exercer son pouvoir discrétionnaire dans le sens contraire.
Ce passage, à mon sens, constitue un excellent énoncé de la règle générale qui a actuellement cours.
Dans l'arrêt Milligan v. Carter, [1935] 2 W.W.R. 662 (C.S. Alb.), il était question d'une collision d'automobiles et de négligence grossière de la part du défendeur, qui avait consigné à la Cour une somme de 769,50 $ en règlement de la demande de la partie demanderesse. La partie demanderesse s'est vue accorder des dommages- intérêts de 653 $ plus les dépens. Les parties ont ensuite présenté leurs arguments sur la question des dépens, le défendeur prétendant qu'il devait avoir droit aux frais de procès ainsi qu'à tous les frais de procédure qu'il avait engagés subséquem- ment à la consignation du montant susmentionné à la Cour. La Cour a conclu que le défendeur devait être privé de ces dépens dans les circonstances de cette affaire.
Le juge en chef de la Division de première instance Simmons a dit à la page 663:
[TRADUCTION] En ce qui concerne les frais du procès, je suis d'avis que le défendeur devrait y avoir droit si aucune circons- tance ne lui retirait le droit à ses dépens. Je considère que les circonstances de la présente espèce m'autorisent à priver le défendeur de ses frais de procès. La collision a été causée par une négligence très grossière, ainsi qu'il ressortira des motifs de jugement prononcés à la fin du procès. Seule une manoeuvre très heureuse de la partie demanderesse a permis d'éviter que l'accident ne cause des blessures très graves ou des pertes de vie. Absolument rien ne justifiait le comportement grossière- ment négligent du défendeur, qui a circulé du mauvais côté d'une route très achalandée alors qu'une automobile s'appro- chait et était parfaitement visible. Malgré ces circonstances, il a continué de circuler sur la voie de gauche de la route, de sorte que je me considère justifié d'imposer au défendeur la privation de ses dépens, qui tiendra lieu de dommages-intérêts exemplai- res ou punitifs pour sa conduite téméraire et déréglée.
Dans l'arrêt Fraser et al. v. Lochead et al. (1981), 126 D.L.R. (3d) 86 (H.C. Ont.), M. le
juge Lerner a énuméré plusieurs facteurs devant être pris en considération par les tribunaux pour les justifier de s'écarter de la pratique générale d'adjuger au défendeur ses dépens relatifs à la période subséquente à sa consignation d'un mon- tant à la cour lorsque le montant recouvré par le demandeur est moindre que le montant consigné. Parmi ces facteurs figurent les suivants la page 92]:
[TRADUCTION]
(a) la question de savoir si la consignation d'un montant à la Cour a été faite à un moment laissant un délai raisonnable avant le procès;
(b) la question de savoir si le défendeur a contesté sa responsa- bilité et, si tel est le cas, avec quelle vigueur il l'a fait;
(c) l'écart entre le montant consigné à la Cour et le montant accordé par le jugement;
(f) le comportement du défendeur (en particulier la question de savoir si sa conduite était si déréglée qu'elle justifiait l'adjudication d'un équivalent de dommages-intérêts exem- plaires), et ...
Dans les circonstances de cette affaire particu- lière, le juge avait exercé son pouvoir discrétion- naire en accordant aux demandeurs les frais qu'ils avaient engagés jusqu'au moment de la consigna- tion ainsi que les honoraires d'avocat d'une journée de procès et en refusant tous dépens à l'une ou à l'autre partie pour la période subséquente à cette consignation. Les règles dont il était question dans cette espèce étaient les anciennes Règles 306 et 317 des Ontario Rules [Ontario Rules of Practice, 1977], qui étaient ainsi libellées:
[TRADUCTION] 306. Tout défendeur peut, à tout moment, consigner à la cour une somme d'argent en règlement de la demande ou de la cause d'action, ou d'une ou de plusieurs demandes ou causes d'action faisant l'objet d'une réclamation en justice du demandeur.
317. Sauf dans une action à laquelle une défense d'offre antérieure à l'action est opposée ou dans laquelle un paiement est effectué sous le régime de The Libel and Slander Act [Loi sur la diffamation], aucune mention n'est faite dans les actes de procédure de la consignation d'un montant d'argent à la cour aux termes des règles qui précèdent, et ce fait n'est aucunement communiqué au juge ou au jury lors de l'instruction d'une action tant que toutes les questions relatives à la responsabilité et au montant de la dette ou des dommages-intérêts visés ne sont pas tranchées, mais le juge doit, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire qu'il détient à l'égard des dépens, tenir compte de la consignation d'un montant d'argent à la cour, du montant de l'argent consigné, de la date et du moment de la délivrance de l'avis portant la consignation de ce montant et de la question de savoir s'il y a eu admission ou dénégation de responsabilité.
L'arrêt Findlay v. Railway Executive, [1950] 2 All E.R. 969 (C.A.), concernait une action en dommages-intérêts intentée pour blessures corpo- relles dans laquelle les défendeurs avaient admis leur responsabilité et consigné une somme de 920 livres à la Cour. Lors du procès, la partie deman- deresse a recouvré des dommages-intérêts totali- sant 867 livres. L'avocat des défendeurs a réclamé des dépens en alléguant que le montant accordé par le jugement était moindre que le montant consigné. L'avocat de la partie demanderesse a prétendu que cette question était visée par le pou- voir discrétionnaire du juge, et il a demandé des dépens, que le juge a accordés. Un appel a été interjeté de cette décision, et la Cour a décidé que les défendeurs avaient droit à leurs dépens à partir de la date de la consignation.
Le lord juge Somervell a dit à la page 971:
[TRADUCTION] L'objet principal des règles applicables à la consignation est de mettre fin aux litiges: ces règles incitent le demandeur à accepter la somme consignée lorsque celle-ci est raisonnable, en prévoyant que ce dernier sera pénalisé en ce qui concerne la totalité ou une partie des dépens s'il poursuit l'action et obtient une somme moindre que celle consignée.
Le lord juge Denning, développant cette question avec sa verve inimitable, a déclaré à la page 972:
[TRADUCTION] En l'espèce, il m'est facile de comprendre pourquoi le juge a voulu accorder à la demanderesse ses frais d'action. De nos jours, un juge ne sait pas quel montant a été consigné à la cour, et il est particulièrement exaspérant pour celui qui, par exemple a hésité entre un montant de 750 livres et un montant de 1 000 livres, de constater que, parce qu'il a choisi le moindre de ces deux montants, le demandeur non seulement reçoit seulement ce montant moins élevé mais encore doit en remettre une partie importante au défendeur sous forme de dépens. Sachant à quel point il s'en fallait de peu qu'il ne choisisse le montant le plus élevé, il ne veut pas que le deman- deur subisse un préjudice du seul fait qu'il se trouve que le montant consigné à la cour est supérieur au montant adjugé. Il préférerait ne pas tenir compte de la consignation d'argent à la cour, mais les règles applicables l'y obligent.
La perte subie par la demanderesse en l'espèce doit être opposée aux inconvénients reliés au fait de permettre générale- ment aux demandeurs à qui une indemnité raisonnable a été offerte de faire instruire leur action et d'accumuler des frais impunément. Il est préférable pour l'intérêt public que les demandeurs puissent faire instruire le procès mais subissent généralement les risques attachés à une telle décision en ce qui concerne les dépens. Tel est le fondement des règles applicables à la consignation, et je suis d'avis que nous devrions les appliquer à la présente espèce, même si cela signifie que la demanderesse doit remettre une bonne partie des dommages- intérêts qu'elle a reçus aux défendeurs à titre de dépens. La seule question soulevée en l'espèce était celle du montant des dommages-intérêts. Un montant raisonnable a été consigné à la
cour par les défendeurs. La demanderesse a tenté à ses propres risques d'obtenir davantage que le montant offert; ayant perdu son pari, elle doit en subir les conséquences.
Les règles anglaises qui étaient en vigueur au moment l'affaire Findlay v. Railway Executive a été tranchée ressemblaient beaucoup aux ancien- nes Règles 306 et 317 des Ontario Rules: voir Ordonnance 22, Règles 1, 6; Rules of the Supreme Court (No. I) 1933, modifiées par Rules of the Supreme Court (No. 1) 1934. La Règle 41.07 des Civil Procedure Rules de la Nouvelle-Ecosse con- tient une semblable interdiction de communication de la consignation d'argent à la Cour. Cette Règle est ainsi libellée:
[TRADUCTION] 41.07. Sauf lorsqu'une offre effectuée avant le commencement d'une instance est plaidée dans cette même instance en défense à une action, le fait qu'un montant d'argent a été consigné à la cour sur le fondement des dispositions qui précèdent de la présente Règle ne peut être plaidé ou communi- qué à la cour ou au jury lors du procès ou de l'audition relatifs à une instance, ou avant ce procès ou cette audition, qu'une fois que toutes les questions touchant la responsabilité ou le mon- tant de la dette ou des dommages-intérêts ont été tranchées, ou que l'instance a été suspendue conformément aux Règles 41.03(1) ou 41.05(2).
Incidemment, les nouvelles règles de l'Ontario régissant la consignation d'argent à la Cour ne mentionnent aucunement que la communication d'un tel paiement au juge ou au jury soit interdite avant que n'aient été tranchées toutes les questions touchant la responsabilité et le montant de la dette ou des dommages-intérêts. Au lieu de cela, une interdiction ressemblant quelque peu à celle qui précède a été incorporée aux nouvelles Rules of Civil Procedure concernant les offres de règle- ment: voir la Règle 49.06.
Les auteurs de l'ouvrage Federal Court Practice 1988 (Carswell, 1987) notent que les Règles de la Cour fédérale ne prévoient aucune disposition empêchant un avis de consignation à la Cour de parvenir à l'attention du juge. En acceptant que l'objet de nos Règles relatives aux dépens et à la consignation d'argent à la Cour est de favoriser le règlement des litiges, il me semble que les exigen- ces relatives à la bonne marche des procédures dicteraient qu'aucune communication du fait de la consignation d'argent à la Cour ne soit faite au juge avant que toutes les questions relatives à la responsabilité et au montant de la dette ou des dommages-intérêts n'aient été tranchées. Autre-
nient, la connaissance par le juge du fait de la consignation d'argent à la Cour risque d'influencer de quelque manière sa décision finale, ou d'être perçue comme ayant influencé cette décision.
Comme nous l'avons indiqué, le jugement formel est strictement conforme aux motifs de jugement déposés concurremment avec lui lorsqu'il accorde au demandeur les frais d'action qu'il a engagés tout au long de l'instance. Alléguant que le montant total adjugé dans le jugement était de beaucoup inférieur au montant de 5 000 $ qui a été consigné, les défendeurs maintiennent qu'ils devraient avoir droit à leurs frais d'action à partir de la date de la consignation d'argent à la Cour. À première vue, cette demande semblerait impliquer la modification des dispositions du jugement pré- voyant l'adjudication des dépens par quelque moyen légitime de procédure, sans que n'entrent en jeu les difficultés habituellement reliées à la modification d'un jugement. Considérant la tour- nure des événements, il eût peut-être été préférable que, en me fondant sur la Règle 337(2)b) et la Règle 324, je demande à l'avocat de la partie gagnante de présenter un projet de jugement et une requête pour obtenir le prononcé d'un juge- ment: l'autre partie aurait ainsi été en mesure de m'aviser de la consignation d'argent à la Cour et de discuter de la question des dépens. Si telle avait été ma façon de procéder, j'aurais pu résoudre le problème posé par l'adjudication des dépens dans les circonstances de la présente espèce avant de prononcer le jugement formel conformément à la Règle 337(2)a).
Le problème auquel je me trouve confronté sou- lève, à mon sens, les questions suivantes: (1) l'ad- judication des dépens devrait-elle être modifiée en raison de la consignation d'argent à la Cour? (2) Quelle est la meilleure manière d'effectuer une telle modification?
Le demandeur s'est vu accorder des dommages- intérêts de 1 072 $, plus l'intérêt couru à partir de la date de l'accident jusqu'à la date du jugement, au taux de 8 % l'an. Cet intérêt couru avant jugement devrait-il être compris dans le calcul du montant du jugement du demandeur aux fins de déterminer, relativement à la question des dépens, si le montant de ce jugement était inférieur ou supérieur au montant consigné à la Cour? À mon sens, oui. Voir l'arrêt Rushton v. Lake Ontario
Steel Co. Ltd. (1980), 29 O.R. (2d) 68 (H.C.). De plus, je considère que cette façon de voir est la plus conforme à la pratique suivie par cette Cour en matière d'amirauté, pratique qui consiste à accor- der l'intérêt comme partie intégrante des domma- ges-intérêts subis en interprétant largement le principe de la restitution intégrale. Dans la pré- sente affaire, un calcul approximatif de l'intérêt couru avant jugement le situe aux environs de 1 910 $, un montant qui, additionné à celui des dommages-intérêts, fait s'élever la dette totale prévue au jugement à 2 982 $, à l'exclusion des dépens. Cette somme est de beaucoup inférieure au montant de 5 000 $ qui a été consigné à la Cour. Par ailleurs, je suis d'avis que la question des dépens ne devrait pas entrer en ligne de compte dans le calcul du montant recouvré par le deman- deur lorsque ce montant est comparé à celui qui a été consigné à la Cour par les défendeurs. Le principe fondamental des dépens entre parties veut que ces dépens soient accordés par la loi à titre d'indemnité à la personne qui y a droit; ils ne sont ni imposés comme une pénalité à la partie qui les paie, ni accordés à titre de prime à la partie qui les reçoit: voir l'arrêt Ryan v. McGregor, [1926] 1 D.L.R. 476 (C.A. Ont.), les motifs du juge Midd- leton, de la Cour d'appel, à la page 477.
Dans la présente affaire, les défendeurs ont vigoureusement contesté la question de la respon- sabilité, en soutenant que la perte subie par le demandeur était attribuable à sa seule négligence ou, à défaut par la Cour d'accepter un tel argu ment, était due en grande partie à la négligence du demandeur. J'ai conclu à partir des éléments de preuve présentés que les manoeuvres négligentes des défendeurs, qui ont fait passer leur grand dragueur arrière trop près du bateau de pêche du demandeur, alors que ce bateau était à l'ancre, étaient la seule cause des dommages occasionnés par l'emmêlement des funes des défendeurs et du câble d'ancrage du demandeur. Dans les circons- tances, je n'ai fait aucune répartition des fautes qui retiendrait la responsabilité du demandeur. La durée de l'instance aurait pu être moindre si les défendeurs avaient choisi de reconnaître leur res- ponsabilité et de contester le montant des domma- ges-intétêts réclamés. Toutefois, ils ont choisi de débattre la question de la responsabilité, ce qui était parfaitement légitime. Cette décision a forcé- ment eu pour conséquence d'accroître la complexi-
des questions débattues lors du procès. À mon sens, ces facteurs ont tous à être pris en considéra- tion lorsqu'il s'agit d'examiner la prétention des défendeurs qu'ils ont droit à leurs frais d'action à compter de la date de la consignation d'argent à la Cour.
D'autre part, le demandeur soutient qu'il serait injuste de lui retirer le droit aux frais d'action engagés tout au long de l'instance puisque, même s'il n'a pas obtenu gain de cause à cet égard, il a fait valoir avec force qu'il avait droit à des dom- mages-intérêts punitifs en raison de la négligence et de la témérité manifestées par les défendeurs dans le pilotage de leur chalutier. En fait, j'ai conclu que la négligence des défendeurs n'était pas si outrageuse qu'elle justifiât la Cour d'accorder des dommages-intérêts punitifs, et je ne suis pas prêt à modifier mon jugement à cet égard. Toute- fois, certains des éléments de preuve présentés veulent la sécurité du demandeur ait pu être grave- ment menacée n'eût ét la rupture fortuite du câble d'ancrage emmêlé au moment le bateau du demandeur risquait vraisemblablement d'être englouti ou tiré par le fond. À mon avis, bien que ce facteur puisse être considéré comme augmen- tant la gravité de la conduite négligente, il ne doit pas avoir une influence telle qu'il permette la récupération par le demandeur de ses frais engagés tout au long de l'instance, en remplacement de dommages—intérêts punitifs ou exemplaires.
Considérant tous les facteurs qui précèdent, je suis d'avis que, dans les circonstances de l'espèce, les dépens devraient être adjugés en accordant au demandeur ses frais taxables jusqu'au jour de la consignation de l'argent à la Cour et en refusant tous dépens à une partie ou à l'autre après cette date. Un tel dispositif accorderait au demandeur une indemnité sous forme de dépens, tout en reconnaissant le fait que le montant recouvré selon le jugement était de beaucoup inférieur au mon- tant consigné à la Cour par les défendeurs. En conséquence, le jugement devra être modifié de façon à harmoniser ses dispositions avec la pré- sente adjudication de dépens.
Il me semble que la présente question est régie par l'alinéa 337(5)b) des Règles de la Cour fédé- rale, qui est ainsi libellé:
Règle 337. .. .
(5) Dans les 10 jours de prononcé d'un jugement en vertu de l'alinéa (2)a), ou dans tel délai prolongé que la Cour pourra accorder, soit avant, soit après l'expiration du délai de 10 jours, l'une ou l'autre des parties pourra présenter à la Cour, telle qu'elle est constituée au moment du prononcé, une requête demandant un nouvel examen des termes du prononcé, mais seulement [pour] l'une ou l'autre ou l'une et l'autre des raisons suivantes:
b) on a négligé ou accidentellement omis de traiter d'une question dont on aurait traiter.
La question qui a été «négligée» [la version anglaise des présents motifs utilise l'expression «overlooked» figurant à l'alinéa 337(5)b)] en l'es- pèce est celle de la comparaison du montant recou- vré en vertu du jugement et du montant consigné à la Cour par les défendeurs, dont n'a pas tenu compte l'adjudication des dépens; cette «négli- gence» résultait de ce que la règle ou le principe de pratique applicable prévoyait que le fait de la consignation d'un montant d'argent à la Cour devait être caché au juge saisi du litige. Je n'éprouve aucune difficulté à proroger le délai de 10 jours stipulé à la Règle qui précède au 9 février 1989, la date à laquelle j'ai été informé du problème.
En conséquence, une ordonnance sera prononcée pour modifier l'adjudication des dépens du juge- ment de façon à rendre cette adjudication con- forme aux présents motifs. Aucuns dépens ne seront adjugés en ce qui concerne la présente demande.
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