Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-2395-88
Toronto Independent Dance Enterprise (requé- rante)
c.
Conseil des arts du Canada (intimé)
RÉPERTORIÉ: TORONTO INDEPENDENT DANCE ENTERPRISE C. CONSEIL DES ARTS DU CANADA (1 fe INST.)
Section de première instance, juge Rouleau— Toronto, 9 et 10 mai; Ottawa, 20 juin 1989.
Compétence de la Cour fédérale Section de première instance Demande d'annulation de la décision par laquelle le Conseil des arts du Canada a cessé son financement La Cour fédérale n'a pas compétence pour examiner la décision du Conseil Le Conseil n'est pas un «office, commission ou autre tribunal fédéral» Il est sans lien de dépendance avec le Parlement Il dispose d'un pouvoir discrétionnaire absolu pour établir la façon dont il procède et des normes qu'il applique dans l'exécution de son mandat.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Certiorari Demande d'annulation de la décision par laquelle le Conseil des arts du Canada a mis fin à son financement La compagnie de danse a, à deux reprises, été avisée de l'éventua- lité d'un arrêt de financement Le Conseil s'appuie sur les recommandations du Service de la danse, lesquelles reposent sur des rapports confidentiels établis par des appréciateurs indépendants Des copies d'appréciations défavorables ont été fournies par le Conseil La requérante s'est vu refuser la possibilité de faire des observations orales avant que le Conseil ne rende sa décision Bien que les décisions du Conseil soient finales à moins que de nouveaux facteurs ne modifient sensi- blement le fondement de la décision, le Conseil a officieuse- ment entendu les observations de la requérante Il y a lieu à la délivrance possible d'un bref de certiorari si la décision touche les droits des Canadiens en général Aucun droit n'a été créé sous le régime de la Loi sur le Conseil des arts du Canada Le contenu des principes de justice naturelle et d'équité varie selon les circonstances Étant donné le grand nombre de demandes, les procédures en cause sont acceptables La requérante connaît ces procédures Les avertissements et la nouvelle audition respectent les exigences d'équité L'omission de donner l'identité des appréciateurs ne constitue pas une violation de l'équité Il est nécessaire d'apprécier l'importance de la communication par rapport au tort que celle-ci pourrait causer à l'économie de la Loi Application de la loi de façon réaliste et pratique.
Il s'agit d'une demande de bref de certiorari qui annulerait la décision de l'intimé de refuser son financement pour l'année 1988-1989. La requérante, une compagnie de danse contempo- raine, avait été financée par le Conseil des arts du Canada pendant plusieurs saisons. On a avisé la requérante que les subventions étaient accordées pendant une période d'essai, étaient destinées aux compagnies qui en faisaient la demande pour la première fois et dépendaient d'une nouvelle demande annuelle. Pour toutes les demandes de financement, le Conseil s'appuie sur les recommandations du Service de la danse, qui
est composé de professionnels et d'un personnel de soutien. Le Service de la danse se fonde notamment sur des rapports confidentiels établis par des appréciateurs indépendants. Il s'agit de l'un des facteurs les plus importants dont le Conseil doit tenir compte en rendant ses décisions. Les décisions du conseil d'administration du Conseil sont finales à moins que de nouveaux facteurs ne modifient sensiblement le fondement de la décision. On a constaté que la requérante ne continuait pas de croître sur le plan artistique. Son financement a été gelé pour la saison 1986-1987 et elle a été avisée de l'éventualité d'un arrêt de financement. Le financement a été réduit en 1987-1988, et l'avertissement a été réitéré. Bien que le Conseil n'ait pas autorisé la requérante à faire des observations orales avant qu'elle ne rende sa décision, il lui a effectivement fourni des copies de tous les rapports défavorables après avoir sup- primé l'identité des appréciateurs. Le Conseil a adopté cette pratique pour protéger les appréciateurs contre les procédés injurieux de la part de candidats déçus. Par la suite, des représentants du conseil d'administration ont officieusement rencontré ceux de la requérante qui ont pleinement présenté les arguments de celle-ci. Le conseil d'administration a décidé qu'il n'existait pas de nouveaux motifs suffisants pour réexaminer la demande.
La requérante soutient que le Conseil, en tant qu'organisme créé par le Parlement pour distribuer des fonds gouvernemen- taux et responsable devant celui-ci, est tenu à l'obligation d'équité. Elle prétend que, financièrement, elle dépendait des subventions, et qu'on aurait lui donner la possibilité de faire des observations avant de décider de mettre fin au financement. Toujours selon elle, il n'est pas juste que le Conseil s'appuie si largement sur l'opinion d'appréciateurs indépendants en l'ab- sence de ses observations. Qui plus est, en adoptant cette attitude, le Conseil a entravé l'exercice de son pouvoir discré- tionnaire. L'intimé fait valoir qu'il n'est pas susceptible de contrôle judiciaire puisqu'il n'est pas un office, commission ou un autre tribunal fédéral, et qu'il est indépendant du contrôle gouvernemental et dispose d'un pouvoir discrétionnaire absolu dans l'établissement de la façon dont il procède. La Loi sur le Conseil des arts du Canada autorise le Conseil à prendre des règlements administratifs qui régissent son activité, et elle prévoit que le Conseil n'est pas mandataire de la Couronne. En l'espèce, il s'agit de savoir si le Conseil est un office, une commission ou un autre tribunal fédéral et, dans l'affirmative, il s'agit de déterminer quelles sont, dans les circonstances, les exigences d'équité et les règles de justice naturelle, et si celles-ci ont été respectées.
Jugement: la demande devrait être rejetée.
La Cour n'a pas compétence pour examiner les décisions du Conseil des arts du Canada. Il est douteux qu'il soit un office, une commission ou un autre tribunal fédéral au sens de l'alinéa 2g) de la Loi sur la Cour fédérale. En créant cet organisme, on a voulu qu'il soit un organisme sans lien de dépendance avec le gouvernement. Il a le mandat général de favoriser les arts au Canada, et il dispose d'un pouvoir discrétionnaire absolu pour établir la façon dont il procède et des normes qu'il applique dans l'exécution de son mandat.
Un bref de certiorari peut être accordé seulement lorsqu'un organisme public a le pouvoir de décider des questions qui touchent les droits, les intérêts, les biens, les privilèges ou la liberté des Canadiens en général. Les actes du Conseil n'entrai-
nent pas ces conséquences. La subvention de projet est un avantage dont un candidat ne peut bénéficier que s'il remplit chaque année les conditions requises. La Loi ne crée aucun droit.
Le contenu des principes de justice naturelle et d'équité varie avec les circonstances. Compte tenu des milliers de demandes qui sont soumises chaque année, la procédure et les lignes directrices établies par le Conseil sont acceptables. La requé- rante en était bien au courant. Elle a été avertie de sa situation précaire et, ultérieurement à la décision, elle a eu la possibilité de fournir des renseignements supplémentaires pour tenter de faire tomber la conclusion du Conseil. On peut parfois se montrer équitable en fournissant l'essentiel d'une affaire sans divulguer la preuve précise ou les sources de l'information. Il est peut-être nécessaire d'apprécier l'importance de la commu nication exigée par la justice naturelle par rapport au tort que la communication pourrait causer à l'économie de la Loi. Il n'y a pas eu privation de droit, et le caractère confidentiel des sources d'information est essentiel à la pratique légitime du Conseil de s'en remettre à des pairs professionnels dans ses appréciations. La nouvelle audition remédiait à tout vice possible.
Les règles d'équité doivent s'appliquer de façon réaliste eu égard à la tâche. le Conseil a établi ses propres normes artisti- ques ainsi que la méthode de répartition des fonds. Il est peu probable que la Cour intervienne dans ce cas. Le Conseil est le mieux placé pour décider des critères à appliquer. En pratique, il serait impossible d'accorder une audience à tous les candidats.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Business Corporations Act, S.R.O. 1980, chap. 54.
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63. Loi sur l'accès à l'information, S.C. 1980-81-82-83,
chap. I 11, annexe I.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 2g), 18.
Loi sur la pension de la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-36.
Loi sur le Conseil des arts du Canada, L.R.C. (1985), chap. C-2, art. 3, 5, 8, 12, 20, 21.
Loi sur le Conseil des arts du Canada, S.R.C. 1970, chap. C-2.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; Regina v. Gaming Board for Great Britain, Ex parte Benaim and Khaida, [1970] 2 Q.B. 417 (C.A.); Russell v. Duke of Norfolk, [1949] 1 All E.R. 109 (C.A.); Pearlberg v. Varty, [1972] 1 W.L.R. 534 (H.L.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Re Webb and Ontario Housing Corporation (1978), 22 O.R. (2d) 257 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Paine v. University of Toronto et al. (1981), 34 O.R. (2d) 770 (C.A.); Harelkin v. University of Regina, [1979] 2 R.C.S. 561.
DOCTRINE
Wade, H. W. R. Administrative Law, 5' éd. Clarendon Press: Oxford, 1982.
AVOCATS:
John J. Chapman pour la requérante.
David W. Scott, c.r. et Guy J. Pratte pour
l'intimé.
PROCUREURS:
Miller, Thomson, Sedgewick, Lewis & Healy,
Toronto, pour la requérante.
Scott & Aylen, Ottawa, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE ROULEAU: La requérante conclut à un bref de certiorari annulant la décision par laquelle l'intimé a refusé de la financer au cours de l'année 1988-1989, ainsi qu'à un bref de mandamus for- çant l'intimé à réexaminer l'affaire conformément aux exigences d'équité.
En l'espèce, la question se pose de savoir si le Conseil des arts du Canada est un «office, commis sion ou autre tribunal fédéral» assujetti au contrôle judiciaire sous le régime de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10] et, dans l'affirmative, il s'agit de déter- miner quelles sont, dans les circonstances, les exi- gences d'équité et les règles de justice naturelle, et si celles-ci ont été respectées.
La Toronto Independent Dance Enterprise («TIDE») est une compagnie de danse contempo- raine qui donne des représentations dans tout le Canada depuis 1978. Elle a été constitutée en compagnie en vertu de la Business Corporations Act [S.R.O. 1980, chap. 54], et elle est également un organisme de charité enregistré en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, chap. 63]. Depuis la saison 1981-1982, elle a reçu un financement annuel du Conseil des arts du Canada, qui lui a été refusé pour la saison 1988-1989.
Le Conseil des arts du Canada («le Conseil») a été créé en 1957 en vertu de la Loi sur le Conseil des Arts du Canada (S.R.C. 1970, chap. C-2; actuellement L.R.C. (1985), chap. C-2) en vue de «favoriser et de promouvoir l'étude et la diffusion des arts ainsi que la production d'oeuvres d'art ...» (article 8). A cette fin, il offre notamment des subventions à diverses compagnies de danse telles que la requérante. C'est le gouverneur en conseil qui nomme ses vingt et un membres et ses deux directeurs (articles 3 et 5). La Loi dit expressé- ment que le Conseil n'est pas mandataire de Sa Majesté et, excepté pour les fins de la Loi sur la pension de la Fonction publique [S.R.C. 1970, chap. P-36], il ne fait pas partie de l'administra- tion publique fédérale (article 12). Il rend compte au Parlement en déposant un rapport annuel (arti- cle 21) et au vérificateur général du Canada au moyen d'une vérification annuelle (article 20).
Voici, en résumé, les activités du Conseil: le Conseil des arts du Canada offre des subventions dont le montant annuel s'élève approximativement à 100 000 000 $. Chaque année, il reçoit environ 15 000 demandes dont environ 10 500 sont reje- tées. Il existe deux types de subventions: les sub- ventions de projet et les subventions de fonctionne- ment. Les subventions de projet, que TIDE recevait et que le Conseil décrit comme étant accordées «pendant une période d'essai», sont desti nées aux compagnies qui en font la demande pour la première fois et, sous réserve d'une nouvelle demande annuelle, sont renouvelables pendant un certain nombre d'années. Par contre, les subven- tions de fonctionnement constituent un engage ment à long terme du Conseil. Dans l'année 1987- 1988, il a reçu d'organismes de danse 112 deman- des dont 68 ont été accueillies en tout ou en partie.
La fiche de renseignements qui accompagne chaque demande décrit les deux types de subven- tions susmentionnés, et explique également en détail le processus suivi. Voici, en bref, ses grands traits: le Service de la Danse du Conseil, composé de quatre professionnels et de trois secrétaires, prépare à l'intention du Conseil des recommanda- tions pour toutes les demandes de financement. Le conseil d'administration du Conseil se réunit quatre fois l'an et, en général, bien que ce ne soit pas dans tous les cas, il accepte les recommanda- tions qui lui ont été soumises. Dans le cas des
compagnies de danse, le Conseil examine la crois- sance, le changement et l'évolution continus dont font preuve leurs réalisations artistiques. En prépa- rant ses recommandations, le Service de la danse s'appuie sur des rapports établis par des apprécia- teurs indépendants. Ces appréciateurs sont des professionnels bien compétents engagés par le Conseil pour apprécier la qualité artistique des candidats, qui est l'un des plus importants facteurs dont doit tenir compte le Conseil en rendant sa décision. Les appréciateurs reçoivent des directives écrites sur les points à traiter dans leurs rapports, et assistent à un minimum de trois spectacles par an donnés par un candidat. Ils soumettent alors au Service de la danse des rapports confidentiels fondés sur leurs observations. A son tour, en pré- parant ses recommandations à l'intention du Con- seil, le Service de la danse examine ces évaluations, ainsi que la situation financière, la compétence administrative et les budgets proposés du candidat, et d'autres facteurs tels que son mérite relatif vis-à-vis d'autres candidats compte tenu des res trictions budgétaires. Le Conseil avise le candidat de sa décision quant au financement au moyen d'une lettre de subvention. Les décisions du conseil d'administration sont finales à moins que de nou- veaux facteurs ne modifient sensiblement l'infor- mation sur laquelle la décision est 'fondée.
Selon l'intimé, on s'attendait à ce que la compa- gnie de danse TIDE continue de croître, de se transformer et d'évoluer dans ses réalisations artis- tiques. Les appréciations ont révélé qu'elle n'avait pas atteint les buts énoncés; elle a par conséquent été avisée de l'éventualité d'un arrêt de finance- ment dans la lettre accompagnant sa subvention pour l'année 1986-1987. Elle a reçu un autre avertissement dans la lettre de subvention pour la saison 1987-1988. Il convient de souligner que son financement a été gelé pour la saison 1986-1987, et diminué en 1987. Selon l'intimé, cela constitue en soi un avertissement. Bien que la requérante conteste que ces lettres contiennent un avertisse- ment, j'estime en fait que, malgré la très grande politesse dont le Conseil a fait preuve dans la formulation de l'avertissement, le tact est de mise dans ces milieux; je suis certain que l'intimé n'était pas tranquille. Par suite de la réception de la lettre de subvention pour 1987, TIDE a demandé un entretien avec un membre du Service de la danse, qui a eu lieu le 23 octobre 1987. C'est à ce
moment-là qu'on l'a indubitablement informée de la gravité de sa situation.
À un autre entretien tenu le 9 juin 1988, on a informé TIDE que le Service de la danse recom- mandait un arrêt de financement. Elle a donc demandé à présenter des observations orales devant le Conseil avant que celui-ci ne rende sa décision. Elle a également demandé qu'on lui four- nisse tous les rapports qui lui étaient défavorables. Conformément à sa pratique passée, le Conseil ne lui a pas permis de comparaître. D'autre part, la demande de communication des rapports défavora- bles a été accueillie dès réception, et on a envoyé ceux-ci à la requérante après avoir supprimé l'identité des appréciateurs, pratique suivie par le Conseil pour protéger l'identité des appréciateurs qui ne sont pas nombreux et qui font souvent l'objet de procédés injurieux de la part de candi- dats déçus. Malheureusement, ces demandes n'ont été soumises au Conseil qu'au jour la décision a été rendue. Plus tard, en se fondant sur la Loi sur l'accès à l'information [S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, Annexe I], la requérante a obtenu copies de toutes les évaluations, tant favorables que défavo- rables.
Par lettre en date du 20 juillet 1988, TIDE a demandé qu'on lui accorde la possibilité d'interje- ter appel de la décision du Conseil. Bien que la présidente n'ait pas estimé que des informations essentiellement nouvelles avaient été présentées, elle a néanmoins offert de rencontrer des représen- tants de TIDE, ce qu'elle a effectivement fait. Cette réunion a eu lieu à la maison de la prési- dente; y ont assisté deux autres membres du con- seil d'administration ainsi que le directeur adjoint et le secrétaire du Conseil. On a fourni par écrit à chaque participant les observations de la requé- rante. TIDE a eu la possibilité de présenter pleine- ment ses arguments. À la fin de la réunion, la présidente l'a informée qu'on examinerait la ques tion de savoir s'il existait des motifs suffisants pour réexaminer la demande. Par la suite, au moyen d'une lettre en date du 24 novembre 1988, les procureurs du Conseil ont avisé TIDE que la question d'un nouvel examen serait étudiée à la prochaine assemblée du conseil d'administration. Le procureur de TIDE a rejeté cette offre. Néan- moins, le conseil d'administration a effectivement
examiné la question, et il a décidé à l'unanimité qu'il n'existait aucun motif additionnel ni d'infor- mations essentiellement nouvelles justifiant ce nouvel examen. La requérante en a été avisée par écrit.
TIDE soutient que le Conseil des arts du Canada, en tant qu'organisme public créé par une Loi du Parlement, distribuant des fonds gouverne- mentaux et étant responsable devant le Parlement, est tenu à l'obligation d'équité. Financièrement, la requérante dépendait de ces subventions au point de ne pouvoir s'en passer. Depuis 1982, approxi- mativement un tiers de son budget annuel prove- nait de ces subventions. En conséquence, on aurait lui donner la possibilité de faire des observa tions avant de décider de mettre fin au finance- ment. Elle invoque la décision Re Webb and Onta- rio Housing Corporation (1978), 22 O.R. (2d) 257 (C.A.), selon laquelle lorsqu'une expectative légi- time intervient, on ne devrait pas être privé de la possibilité de répondre et on devrait être informé avant qu'une décision ne soit prise et ce, selon la requérante, lors même qu'elle n'aurait peut-être pas «droit» aux subventions.
Il est allégué en outre que le processus décision- nel ne s'est pas conformé aux exigences de la justice naturelle. Il n'est pas juste que le Conseil des arts du Canada prenne ses décisions en l'ab- sence d'observations de la requérante et en s'ap- puyant largement sur l'opinion d'appréciateurs indépendants. Il est en outre allégué que, en adop- tant cette attitude, le Conseil a entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en se fondant pres- que exlusivement sur le critère du mérite artistique établi par les appréciateurs. Le droit d'analyser les documents et de faire des commentaires est fonda- mental. En dernier lieu, la détermination du Con- seil de ne pas réexaminer sa décision ne constituait pas un «nouvel examen» de la question qui remé- dierait à la violation de la justice naturelle.
L'intimé répond que le Conseil des arts du Canada n'est pas un office, commission ou autre tribunal fédéral selon la définition figurant à l'ali- néa 2g) de la Loi sur la Cour fédérale; il soutient en outre que la demande n'est pas visée par l'arti- cle 18 de la Loi sur la Cour fédérale, puisque le Conseil des arts du Canada est un organisme indépendant du contrôle gouvernemental, qui dis-
pose d'un pouvoir discrétionnaire absolu dans l'éta- blissement de la façon dont il procède ainsi que dans l'exécution de son mandat, celui de promou- voir les arts au Canada.
Les articles 9 et 12 de la Loi sur le Conseil des Arts du Canada sont ainsi rédigés:
9. Le Conseil peut, par règlement administratif, régir son activité et le déroulement de ses réunions et prévoir notamment la nomination de membres honoraires et la constitution de comités consultatifs.
12. Le Conseil n'est pas mandataire de Sa Majesté, et sous réserve de l'article 11, les conseillers et les membres du person nel du Conseil, le directeur et le directeur adjoint compris, ne font pas partie de l'administration publique fédérale.
Si je devais décider que la Cour a effectivement compétence et que la décision du Conseil est sus ceptible de révision sous le régime de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, l'intimé prétend que la doctrine d'équité ne s'applique pas. La loi ne prévoit pas de droit au financement, celui-ci étant purement facultatif; on ne peut non plus prétendre qu'il existe une expectative légitime à protéger, à la différence de ce qui est énoncé dans l'affaire Re Webb susmentionnée. Il est bien connu que la requérante devait faire sa demande chaque année pour obtenir une subvention et faire l'objet d'un contrôle annuel de la part d'appréciateurs avant d'avoir droit à une subvention. De plus, TIDE a consenti à la façon de procéder du Con- seil, connaissant le processus applicable et ayant soumis des demandes pour les sept années précédentes.
Subsidiairement, si l'équité s'applique, il est allégué que les procédures restrictives adoptées par règlements pris par l'intimé s'imposaient pour pré- server les fonds pour la collectivité des arts plutôt que de les détourner en direction d'une bureaucra- tie embarrassante et coûteuse. Dans le cadre de son mandat, le Conseil dispose d'une autonomie pour établir sa façon de procéder et ses normes, à laquelle la Cour ne saurait faire obstacle.
Pour ce qui est du défaut de communication des évaluations, l'intimé prétend qu'elles n'ont pas à être divulguées dans chaque détail pour satisfaire aux exigences d'équité. La requérante a été infor- mée de l'essentiel des rapports et elle a eu la possibilité de remédier aux difficultés. L'intimé fait valoir également que son recours aux profes-
sionnels indépendants pour évaluer le mérite artis- tique des compagnies de danse est une méthode des plus équitables et objectives, l'évaluation étant faite par les pairs des candidats, qui sont les personnes les plus compétentes en la matière. Tou- jours selon l'intimé, la procédure contradictoire ne conviendrait pas en l'espèce, puisque le personnel a agi pour le compte des candidats et a fait preuve d'objectivité dans la préparation de ses observa tions.
L'intimé soutient en dernier lieu que s'il y avait eu vice sur le plan de la procédure, il y a été remédié lorsque le Conseil a par la suite tenu compte des préoccupations de la requérante, tant à la rencontre qui a eu lieu à la maison de la présidente qu'à l'assemblée plénière ultérieure du conseil d'administration.
Je suis convaincu que cette Cour n'a pas compé- tence pour examiner les actes du Conseil des arts du Canada, et que la présente demande devrait être rejetée avec dépens. Je me propose de statuer sur chacune des questions soulevées.
Je doute que le Conseil des arts du Canada soit un «office, commission ou autre tribunal fédéral» au sens de l'alinéa 2g) de la Loi sur la Cour fédérale, organisme à l'égard duquel cette Cour a compétence. En créant cet organisme, la Loi sur le Conseil des Arts du Canada a délibérément voulu qu'il soit un organisme sans lien de dépendance avec le gouvernement. Il a le mandat général de favoriser les arts au Canada, au moyen d'un finan- cement fixe ou limité. Le gouvernement n'a abso- lument pas la haute main sur la répartition des fonds, et la seule condition imposée est celle d'un rapport et d'une vérification annuels. Surtout, le Conseil dispose d'un pouvoir discrétionnaire absolu pour établir la façon dont il procède et des normes qu'il applique dans l'exécution de son mandat. fait qu'il a été créé par le gouvernement et qu'il distribue des fonds publics n'est pas en soi déterminant.
S'il est décidé que j'ai effectivement compé- tence, quelles sont les exigences d'équité et les règles de justice naturelle applicables dans les circonstances?
Pour exercer mon pouvoir discrétionnaire et accorder le bref de certiorari demandé, je devrais me laisser guider par le juge Dickson [tel était
alors son titre] qui, dans l'arrêt Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602, a proposé la page 628], et je paraphrase ses idées, qu'il devrait y avoir un recours possible lorsqu'un organisme public a le pouvoir de décider d'une question qui touche les droits, les intérêts, les biens, les privilèges ou la liberté d'une personne. Le Conseil se compose, non pas de fonctionnaires, mais de personnes indépen- dantes rompues aux arts au Canada. Leurs actes ne touchent pas les droits, les intérêts, les biens, les privilèges ou la liberté des Canadiens en général. La subvention de projet est un avantage dont un candidat ne peut bénificier que s'il remplit chaque année les conditions requises. La Loi ne crée aucun droit.
La requérante, soutient que, ayant reçu ces sub- ventions de projet pendant un certain nombre d'an- nées, elle s'attendait légitimement à recevoir cet avantage qui devrait être protégé. Cette dépen- dance est protégée, sur le plan de la procédure, dans l'affaire Re Webb susmentionnée la page 265]:
[TRADUCTION] Une fois devenue locataire, l'appelante a acquis un avantage substantiel bien réel parce qu'elle dépendait de l'aide sociale et y était admissible. La décision de lui accorder cet avantage a été prise lorsqu'elle a été acceptée comme locataire. Il s'agit, à mon avis, d'une décision que la S.L.O. aurait pu prendre sans qu'intervienne une règle ou un principe d'équité dans la procédure. Cependant, une fois qu'elle est devenue locataire et est ainsi devenue «admissible» à l'avantage bien réel d'un loyer réduit et subventionné, avantage qu'elle a reçu, la situation a changé ... J'estime que la S.L.O., en exerçant son pouvoir de résiliation pour priver ainsi l'appelante de l'avantage du bail, était tenue, dans les circonstances, de la traiter équitablement en l'informant de la (des) plainte(s) ou des arguments à son encontre et en lui accordant, si tel était son désir, la possibilité de répondre à ces plaintes.
Dans cette affaire-là, l'appelante a rempli les conditions requises pour obtenir un logement sub- ventionné en conséquence d'un droit légal à des avantages sociaux. Il s'agissait, si vous voulez, d'un droit accessoire.
La requérante prétend qu'elle était en droit de connaître les arguments auxquels elle devait faire face, et qu'elle devrait avoir la possibilité de com- paraître devant le Conseil. On aurait lui fournir des copies des appréciations pour qu'elle puisse les commenter avant que le personnel fasse sa recom- mandation. L'omission de prévoir cette procédure constitue une violation de l'équité et des règles de
justice naturelle. Compte tenu des milliers de demandes qui sont soumises chaque année, je suis persuadé que la façon de procéder et les lignes directrices établies par le Conseil sont acceptables étant donné leur contexte.
Le juge Dickson s'est exprimé en ces termes dans l'arrêt Martineau susmentionné, à la page 630, citant la décision Russell v. Duke of Norfolk, [1949] 1 All E.R. 109 (C.A.), à la page 118:
Le contenu des principes de justice naturelle et d'équité appli- cables aux cas individuels variera selon les circonstances de chaque cas ....
Et voici les propos tenus par la Chambre des lords dans l'arrêt Pearlberg v. Varty, [1972] 1 W.L.R. 534, la page 547 (lord Pearson):
[TRADUCTION] L'équité ... n'exige pas une pluralité d'audi- tions ou d'observations et de réponses à ces observations. S'il existait une trop grande complication des garanties offertes par la procédure, rien ne pourrait se faire simplement, rapidement et à peu de frais. L'efficacité et la bonne gestion administrati- ves ne devraient pas être trop aisément sacrifiées.
En l'espèce, le Conseil a établi ses propres normes artistiques ainsi que la méthode de réparti- tion des fonds. Il est moins probable que la Cour intervienne dans ces cas (Paine v. University of Toronto et al. (1981), 34 O.R. (2d) 770 (C.A.)), à la page 774. De plus, la requérante connaissait bien cette méthode. Bien qu'elle ait été informée de l'essentiel de la critique après la décision, elle avait connaissance de sa situation précaire en raison des avertissements et des réunions avec un membre du Service de la danse. Ultérieurement, elle a également eu la possibilité de fournir des renseignements supplémentaires pour tenter de faire tomber la conclusion du Conseil. D'après un principe bien connu du droit administratif, on peut parfois se montrer tout à fait équitable en fournis- sant l'essentiel d'une affaire sans divulguer la preuve précise ou les sources de l'information. Il peut être nécessaire d'apprécier l'importance de la communication exigée par la justice naturelle par rapport au tort que la communication pourrait causer à l'économie de la Loi'.
La décision Regina v. Gaming Board for Great Britain, Ex parte Benaim and Khaida, [1970] 2 Q.B. 417 (C.A.), s'applique davantage aux faits de l'espèce. La Cour y a statué qu'il suffisait de
' Wade, H. W. R. Administrative Law, 5e éd., aux p. 481-482.
communiquer au requérant à qui on refusait une licence l'essentiel de l'information sur laquelle reposait la décision. On n'était pas tenu de divul- guer les détails ni les sources, le requérant n'ayant pas à réfuter des accusations, et la divulgation étant susceptible de compromettre les sources. De même, en l'espèce, il n'y a pas eu privation de droit, et le caractère confidentiel des sources d'in- formation est essentiel à la pratique légitime du Conseil de s'en remettre à des pairs professionnels dans ses appréciations. Il convient de se rappeler que, en l'espèce, aucun rapport de type contradic- toire n'existe, et il n'y a pas lieu d'en encourager un.
En dernier lieu, le nouvel examen de cette affaire par le Conseil, à la demande de TIDE, était plus que suffisant pour remédier à n'importe quel vice. Dans la fiche de renseignements accompa- gnant chaque demande, il était dit que les déci- sions du conseil d'administration étaient finales à moins que «de nouveaux facteurs ne modifient sensiblement l'information sur laquelle elles sont fondées». Par lettre en date du 20 juillet 1988, TIDE a demandé la possibilité de faire appel de la décision du Conseil. Bien que la présidente n'ait pas estimé que des informations essentiellement nouvelles avaient été présentées, elle a néanmoins offert de rencontrer des représentants de TIDE, et elle les a effectivement rencontrés. Les observa tions de celle-ci ont également été fournies par écrit à chaque membre du conseil d'administra- tion. À la fin de cette réunion qui a duré trois heures, et à laquelle TIDE a eu la possibilité de présenter pleinement ses arguments, la présidente a informé TIDE qu'il serait procédé à l'examen de la question de savoir s'il existait des motifs suffi- sants pour réexaminer la demande. TIDE a rejeté cette offre, mais le conseil d'administration a néanmoins examiné la question à sa prochaine assemblée, et il a décidé à l'unanimité qu'il n'y avait pas lieu à un nouvel examen. Cette nouvelle audition suffisait à remédier à tout vice possible (Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561).
Étant donné les objectifs du Conseil des arts du Canada et la loi habilitante, il est évident qu'il dispose d'une marge de liberté pour atteindre ses objectifs. Les règles d'équité doivent s'appliquer de façon réaliste eu égard à la tâche. Le Conseil a
établi ses propres normes applicables à l'apprécia- tion artistique et il a élaboré sa façon de procéder. Je suis persuadé qu'il est le mieux placé pour décider des critères à appliquer. De quel droit la Cour peut-elle imposer ses propres vues et normes et faire obstacle au processus décisionnel? En pra- tique, il serait impossible d'accorder une audience à tous les candidats. La règle relative aux activités et aux délibérations du Conseil des arts du Canada devrait s'appliquer de façon réaliste plutôt qu'à un niveau théorique et abstrait.
J'ordonne donc que la présente demande soit rejetée avec dépens.
Il est ordonné en outre que l'ordonnance portant confidentialité reste pleinement en vigueur pour ce qui est des documents actuellement sous scellés.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.