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T-639-88
Société canadienne des postes, Harold Dunstan, Robert Boisvert, Ron Hardowa et Robert Sanders (demandeurs)
c.
Syndicat des postiers du Canada, Union des fac- teurs du Canada, Congrès du travail du Canada, Mediacom et Union Communications (défen- deurs)
RÉPERTORIÉ: SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES C. S.P.C.
Division de première instance, juge Rouleau Ottawa, 10 et 13 mai 1988.
Compétence de la Cour fédérale Division de première instance Les défendeurs ont publié des annonces qui criti- quaient l'état du service postal sous le gouvernement Mulro- ney, semblait-il au nom des employés de la Société canadienne des postes - Demande d'injonction pour empêcher la violation de la Loi sur la Société canadienne des postes (qui accorde à la société demanderesse le droit à l'utilisation exclusive du nom «Postes Canada»), le Code canadien du travail et la Charte Les demandeurs allèguent que ces annonces sont fausses et trompeuses en ce qu'elles n'expriment pas le sentiment de tous les employés de Postes Canada L'action relève de la res- ponsabilité civile délictuelle et non de lois fédérales L'art. 23 de la Loi sur la Cour fédérale exige que la demande soit faite en vertu d'une loi du Parlement et qu'elle se rapporte à l'une des matières énumérées Aucune attribution expresse de compétence dans la Loi ni dans le Code La question de l'existence d'une loi fédérale existante et applicable dépend de la question de savoir si l'action concerne ou non la bonne exécution des lois du Canada Le Code canadien du travail ne laisse pas entendre que l'affaire concerne les relations de travail Le Code ne prévoit aucune cause civile d'action L'existence d'une infraction quasi-criminelle dans la Loi sur la Société canadienne des postes pour prévenir l'usage abusif des mots «Postes Canada» ne crée pas une cause civile d'action Aucun délit civil spécial fondé sur la violation seule de la Loi Bien que les opérations du Bureau de poste relèvent de la législation fédérale, cette question est loin de l'acheminement du courrier L'art. 2 de la Charte à lui seul ne saurait constituer le fondement de la compétence de la Cour car il ne s'agit pas d'une mesure législative du gouvernement fédéral.
Droit constitutionnel Charte des droits Libertés fon- damentales Allégation que les libertés d'association et d'expression sont abrogées par la publication par les syndicats des annonces critiquant le service postal et le gouvernement au nom des employés de Postes Canada L'art. 2 de la Charte n'est pas applicable La Charte protège les droits des individus contre leur suppression par l'État, et non les droits des employés de la Couronne contre leur suppression par les syndicats C'est la nature de la partie qui viole ses obliga tions qui est importante, et non celle de la victime Les syndicats n'ont pas d'obligations en vertu de la Charte La Charte ne s'applique pas aux litiges entre particuliers L'art. 2 de la Charte ne constitue pas à lui seul le fondement de la
compétence de la Cour car il ne s'agit pas d'une mesure législative du gouvernement fédéral.
Service postal La Société canadienne des postes et des employés non syndiqués poursuivent les syndicats pour avoir publié des annonces prétendument au nom des employés de Postes Canada, qui critiquaient le gouvernement Mulroney Requête en radiation de la déclaration au motif qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action Manque de com- pétence de la Cour La question ne peut être décidée ni en vertu de la Loi sur la Société canadienne des postes ni en vertu du Code canadien du travail Il ne s'agit pas de relations de travail au Bureau de poste L'interdiction prévue par la loi de faire un usage non autorisé des mots «Postes Canada» ne crée pas une cause civile d'action La question est loin de l'obligation de la Société d'acheminer le courrier Les syndicats n'ont aucun devoir envers les demandeurs en vertu de la Charte.
Il s'agit d'une requête visant la radiation de la déclaration au motif qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action. Les défendeurs ont publié des annonces qui critiquaient le service postal sous le gouvernement Mulroney, au nom «des employés de Postes Canada». Les demandeurs réclament une injonction pour mettre fin aux violations continues du Code canadien du travail en raison des abus des droits et des obligations prévus par le Code et la Loi sur la Société canadienne des postes, qui accorde à la Société l'usage exclusif du nom «Postes Canada». Les demandeurs allèguent que ces annonces sont fausses et trompeuses en ce qu'elles n'expriment pas le sentiment de tous les employés de Postes Canada. Des milliers d'employés de Postes Canada ne sont pas représentés par les syndicats défen- deurs. Les défendeurs allèguent que la plainte des demandeurs relève de la responsabilité civile délictuelle et qu'à défaut d'une attribution précise de compétence dans une loi fédérale, l'action des demandeurs ne devait pas être jugée par cette Cour. Les demandeurs affirment que le redressement recherché est fondé sur deux lois fédérales. Ils soutiennent que les syndicats n'avaient pas le droit de représenter ces employés, pris indivi- duellement, particulièrement dans l'arène politique. Ils affir- ment que la liberté fondamentale d'expression de chacun des employés, garantie par la Charte, a été supprimée. La question est de savoir si cette action relève de la législation fédérale ou de la responsabilité civile délictuelle; dans ce dernier cas, l'action ne pourrait être engagée que devant les tribunaux des provinces.
Jugement: la requête devrait être accueillie.
Cette question ne peut être tranchée ni en vertu de la Loi sur la Société canadienne des postes ni du Code canadien du travail puisque ces lois ne régissent pas les relations entre les parties eu égard au redressement recherché. Les demandeurs ne visent pas à faire appliquer les dispositions d'une loi fédérale, mais à déposer une action civile devant un tribunal non compé- tent à entendre la question.
La Cour .fédérale a été créée par une loi, et les conditions suivant lesquelles une question relève de sa compétence doivent être formulées strictement, selon les termes de la Loi sur la Cour fédérale et de toute autre loi qui lui donne compétence. La compétence de la Cour fédérale n'est pas aussi large que le champ de compétence législative du gouvernement fédéral. Dans les questions entre parties, la Cour n'a pas compétence à moins que celle-ci lui soit attribuée de façon spécifique. Le fait
que des questions qui sont par ailleurs en dehors du champ de compétence de la Cour fédérale puissent être liées à d'autres dont elle est régulièrement saisie ne justifie pas une extension de sa compétence. Dans les cas il y a plusieurs parties et plusieurs causes d'action, il est essentiel que chacune d'elles relève indépendamment de la compétence de la Cour.
Les trois conditions essentielles à la compétence de la Cour fédérale ont été exposées dans l'arrêt ITO—International Ter minal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752. La première condition, l'attribution de compé- tence par une loi du Parlement fédéral, est remplie si la compétence nécessaire est conférée soit dans la Loi sur la Cour fédérale, soit dans une autre loi fédérale. Les demandeurs se fondent sur les articles 17 et 23 de la Loi sur la Cour fédérale. L'article 17 ne s'applique pas puisqu'il ne traite que des actions contre la Couronne eo nomine, et aucun des défendeurs n'est un agent ou un employé de la Couronne. Pour relever de l'article 23, l'action doit être engagée en vertu d'une loi du Parlement du Canada et elle doit être visée par l'une des matières énumé- rées à l'article 23, c'est-à-dire que le redressement recherché doit concerner une matière assimilable aux «ouvrages et entre- prises reliant une province à une autre ou s'étendant au-delà des limites d'une province». Le seul fait qu'une plainte est déposée contre un syndicat représentant des travailleurs d'une entreprise fédérale ne suffit pas à attribuer compétence à la Cour fédérale, à moins que le redressement recherché soit prévu dans une loi fédérale. La Loi sur la Société canadienne des postes et le Code canadien du travail ne révèlent aucune attribution expresse de compétence.
La seconde condition porte sur l'existence d'une loi fédérale spécifique traitant expressément de la question en litige. La compétence fédérale qui n'est pas consacrée par une loi ne suffit pas. L'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 permet au Parlement d'établir des tribunaux «pour assurer la meilleure exécution des lois du Canada». Il était nécessaire d'établir si l'action concerne ou non la bonne exécution des lois du Canada. Les demandeurs ont tenté de qualifier l'action des syndicats défendeurs de violation des obligations des syndicats en vertu du Code canadien du travail et, par conséquent, de question relevant des relations fédérales du travail. Cependant, aucun article précis du Code ne laisse entendre que la question vise les relations de travail au Bureau de poste. Il n'était pas question d'action exécutoire entre un syndicat et ses membres parce qu'aucun des demandeurs était membre des syndicats défendeurs. Le Code ne prévoit aucune cause civile d'action applicable à un syndicat qui attribue à tort à des personnes qui ne sont pas ses membres des déclarations fausses. Ces alléga- tions semblent clairement être du ressort de la responsabilité civile délictuelle. Une simple récitation d'une loi fédérale ne satisfait pas au deuxième critère de l'arrêt ITO. Les deman- deurs ont également allégué une cause civile d'action fondée sur le paragraphe 52(2) de la Loi sur la Société canadienne des postes (qui érige en infraction l'emploi non autorisé des noms «Postes Canada» et «Bureau de poste»). Les articles 52, 54, 55 et 58 ne peuvent recevoir une extension de façon à créer une cause civile d'action. Il n'y a pas de délit civil spécial fondé sur une violation seule de la loi. Une cause d'action doit exister indépendamment et séparément en vertu des principes de la responsabilité civile délictuelle. En l'absence d'indices dans le Code canadien du travail ou dans la Loi sur la Société canadienne des postes que ces lois envisagent une telle action, on ne peut présumer que la violation de leurs dispositions donne
aux demandeurs une cause civile d'action. De plus, le seul délit dont on pourrait déceler l'existence en l'espèce serait la diffa- mation, qui ne peut être considéré comme nécessaire pour assurer la bonne exécution de la Loi sur la Société canadienne des postes.
La question ne relève pas non plus de la compétence de la Cour fédérale en vertu de l'article 13 de la Loi sur la Société canadienne des postes, qui permet à Postes Canada d'engager des employés pour exécuter les activités de la Société. Aucun des défendeurs n'est un employé de Postes Canada. Cette question est loin de l'acheminement ordonné du courrier, qui constitue la responsabilité première de la Société.
L'argument des demandeurs que les syndicats ont supprimé les libertés garanties d'association et d'expression a être rejeté. La protection accordée par la Charte vise la sauvegarde des droits des individus contre leur suppression par l'État. Elle ne s'applique pas aux litiges entre particuliers. Les demandeurs n'ont pas établi que les syndicats sont des organismes qui ont un devoir envers eux en vertu de la Charte. Le seul fait que les syndicats défendeurs sont accrédités en vertu du Code canadien du travail eu égard à des unités de négociation autres que celle dont font partie les demandeurs individuels n'en fait pas une question qui doit être tranchée selon la Charte. Quoi qu'il en soit, la Charte n'est pas «une loi fédérale existante et applica ble» car elle n'est pas une mesure législative adoptée par le gouvernement fédéral.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 2b),d).
Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-2, art. 136 (mod. par S.C. 1972, chap. 18, art. 1), 184 (édicté, idem), 185 (édicté, idem).
Loi canadienne sur les prêts aux étudiants, S.R.C. 1970, chap. S-17.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R. -U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5 (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1)].
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10, art. 3, 17, 23.
Loi sur la radiodiffusion, S.R.C. 1970, chap. B-1 I.
Loi sur la Société canadienne des postes, S.C. 1980-81- 82-83, chap. 54, art. 22(5), 52(2), 54, 55, 58.
Loi sur le transport aérien, S.R.C. 1970, chap. C-14.
Loi sur les paiements anticipés pour le grain des Prai ries, S.R.C. 1970, chap. P-18.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 419(1)a).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
ITO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752; Rasmus- sen c. Breau, [ 1986] 2 C.F. 500 (C.A.); Bensol Customs Brokers Ltd. c. Air Canada, [1979] 2 C.F. 575 (C.A.);
Quebec North Shore Paper Co. et autre c. Canadien Pacifique Ltée et autre, [1977] 2 R.C.S. 1054; R. du chef du Canada c. Saskatchewan Wheat Pool, [1983] 1 R.C.S. 205.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Lavigne and Ontario Public Service Employees Union et al., Re (1986), 55 O.R. (2d) 449 (H.C.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Varnam c. Canada (Ministre de la Santé et du Bien-être social), [1988] 2 C.F. 454 (C.A.); Mid West Television Ltd. v. S.E.D. Systems Inc., [1981] 3 W.W.R. 560 (B.R. Sask.).
DÉCISIONS CITÉES:
Aida Enterprises Ltd. c. R., [1978] 2 C.F. 106 (1"° inst.); R. c. Thomas Fuller Construction Co. (1958) Ltd. et autre, [1980] 1 R.C.S. 695; McNamara Construction (Western) Ltée. et autre c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654; Rhine c. La Reine; Prytula c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 442; SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573; Re Ontario English Catholic Teachers Asso ciation et al. and Essex County Roman Catholic School Board (1987), 58 O.R. (2d) 545 (C. div.); Northern Telecom Canada Ltée et autre c. Syndicat des travail- leurs en communication du Canada et autre, [1983] 1 R.C.S. 733; Association nationale des employés et tech- niciens en radiodiffusion c. R., [1980] 1 C.F. 820 (C.A.).
AVOCATS:
Roy L. Heenan et Thomas Brady pour les demandeurs.
Paul B. Kane et Hugh Blakeney pour le défendeur, Syndicat des postiers du Canada. Phillip G. Hunt pour les défendeurs Union des facteurs du Canada et Congrès du travail du Canada.
Melvin Rotman pour le défendeur Union Communications.
PROCUREURS:
Heenan, Blaikie, Montréal pour les deman- deurs.
Perley-Robertson, Panet, Hill & MacDou- gall, Ottawa, pour le défendeur Syndicat des postiers du Canada.
Soloway, Wright, Houston, Greenberg, O'Grady & Morin, Ottawa, pour les défen- deurs Union des facteurs du Canada et Con- grès du travail du Canada.
Nelligan/Power, Ottawa, pour la défenderesse Mediacom.
Rotman, Zagdanski & Tierney, Toronto, pour le défendeur Union Communications.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE ROULEAU: Voici mes motifs de l'or- donnance que j'ai prononcée à l'audience le 10 mai 1988 dans la présente action de même que mes commentaires en l'espèce. Le défendeur, le Syndi- cat des postiers du Canada, aidé par la défende- resse Union Communications, a comparu devant moi afin de plaider que la déclaration devrait être radiée en entier, conformément à la Règle 419(1)a) des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663], pour le motif qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action de la compétence de cette Cour.
Les défendeurs allèguent que la plainte des demandeurs, exposée à la déclaration, relève de la responsabilité civile délictuelle et qu'à défaut d'une attribution précise de compétence à cette Cour, dans la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap 10] ou dans toute autre loi fédérale, la réclamation des demandeurs ne devrait pas être jugée par cette Cour. Les demandeurs s'opposent énergiquement à la requête, affirmant principale- ment que le redressement recherché est fondé sur deux lois fédérales et que cette Cour a compétence pour décerner une injonction visant à empêcher une violation continue de ces lois. Le procureur des demandeurs plaide que la réclamation en domma- ges-intérêts dans la déclaration n'est qu'accessoire à la demande principale en injonction.
Comme je l'ai dit à l'audience, je crois que les défendeurs ont raison et la déclaration a été radiée conformément à mon ordonnance en date du 10 mai 1988. Comme les procureurs qui ont comparu devant moi ont consacré un temps et des efforts considérables à la préparation et à l'argumentation de la cause de leurs clients, j'ai indiqué que je rendrais des motifs écrits pour expliquer comment j'en suis venu à cette conclusion.
Pour apprécier vraiment la position des parties, il faut revoir brièvement la déclaration et les faits de la cause. Je suis conscient, toutefois, que pour les besoins de la requête en l'espèce, tous les faits de la déclaration doivent être tenus pour avérés.
Les demandeurs en l'espèce sont la Société canadienne des postes, une société de la Couronne formée en vertu de la Loi sur la Société cana- dienne des postes, S.C. 1980-81-82-83, chap. 54 et quatre employés non syndiqués de la Société cana- dienne des postes («Postes Canada»).
Les défendeurs sont deux syndicats représentant certains employés de Postes Canada, notamment, le Syndicat des postiers du Canada (sPc) et l'Union des facteurs du Canada (uFc); le Congrès du travail du Canada (CTC), un groupement de syndicats auquel le SPC et le UFC sont affiliés, ainsi que Mediacom et Union Communications, les représentants de SPC et UFC pour la campagne de publicité en cause. SPC et UFC sont deux syndicats accrédités comme agents négociateurs pour diver- ses unités de négociation des employés de Postes Canada en 'vertu de l'article 136 du Code canadien du travail [S.R.C. 1970, chap. L-2 (mod. par S.C. 1972, chap. 18, art. 1)].
Les demandeurs allèguent qu'environ 21 000 employés de Postes Canada sont représentés par des syndicats autres que SPC et UFC aux fins de négociations collectives et que sur ce nombre, 3 500 employés, tels les demandeurs individuels, ne sont représentés par aucun syndicat.
En avril 1988, des annonces publicitaires ont commencé à paraître dans les journaux et sur des placards, et à être entendues à la radio à travers le pays, annonces qui semblaient critiquer l'état du service postal sous le gouvernement Mulroney et, dans certains cas, laissaient voir un manque de confiance dans le leadership du premier ministre. La publicité se faisait principalement l'interprète de déclarations telles «CANADA POST, IT CAN DELI VER», «A MESSAGE FROM THE PEOPLE WHO MOVE YOUR MAIL. YOUR CANADA POST EMPLOYEES» ou encore, en français, «JE VEUX UN GOUVERNE- MENT AUQUEL JE PUISSE FAIRE CONFIANCE. BRIAN MULRONEY? NON, JAMAIS! UN MESSAGE DES GENS QUI S'OCCUPENT DE VOTRE COURRIER: LES EMPLOYÉS SYNDIQUÉS DE POSTES CANADA». Il est admis que SPC, UFP et CTC sont à l'origine ces annonces publicitaires et non la demanderesse Postes Canada.
Les demandeurs allèguent que ces annonces publicitaires sont fausses et trompeuses en ce qu'elles n'expriment pas le sentiment des deman-
deurs ni de tous les employés de Postes Canada. Au mieux, ils affirment que les annonces publici- taires exposent l'opinion de quelques dirigeants des syndicats défendeurs. Les demandeurs prétendent que les employés de Postes Canada, pris indivi- duellement, n'ont donné aucun mandat, exprès ou implicite aux syndicats défendeurs de les représen- ter dans l'arène politique, et particulièrement aux 21 000 employés qui ne sont même pas membres de ces syndicats.
Pour bien comprendre les conséquences légales qui découlent, selon les demandeurs, de ces faits, il faut reproduire en entier les paragraphes 18 30 de la déclaration:
[TRADUCTION] 18. Tel qu'il appert à la Loi, l'utilisation des mots "Postes Canada" est réservée à la Société canadienne des postes et l'usage des mots "Postes Canada" sur toute chose, sans le consentement écrit de la Société, constitue une infraction;
19. Postes Canada n'a jamais consenti à l'utilisation de son nom dans aucune des annonces publicitaires en cause;
20. Les défendeurs Mediacom et Union Communications ont participé au méfait exposé ci-dessus en permettant que des annonces soient publiées alors qu'ils savaient ou auraient savoir qu'elles étaient fausses et au mieux qu'elles constituaient de la propagande, et plus particulièrement en permettant que les annonces publicitaires soient vues et entendues comme représentant l'opinion politique de la demanderesse Postes Canada et/ou de ses employés plutôt que l'opinion politique des défendeurs SPC, UFC ou CTC;
21. En vertu du Code canadien du travail, tous les employés des unités de négociations membres des syndicats défen- deurs SPC et UFC doivent être représentés par ces organis- mes aux fins de négociations collectives, qu'ils le veulent ou non, et ils sont, par conséquent, privés du droit de négocier individuellement. Toutefois, ils ne sont privés d'aucun de leurs droits politiques personnels et les défen- deurs SPC, UFC ou CTC ne peuvent usurper ces droits;
22. Les défendeurs SPC et UFC laissent entendre que les annon- ces publicitaires de nature purement politique dont il est question aux paragraphes 6 à 15 des présentes représentent l'opinion politique de tous les employés de la demanderesse Postes Canada et non seulement des employés qu'ils repré- sentent aux fins de négociations collectives;
23. Les défendeurs SPC et UFC ont supprimé les libertés fonda- mentales d'expression et de conscience de chacun des employés de la demanderesse Postes Canada en laissant entendre qu'ils s'exprimaient sur le plan politique en leur nom; c'est un droit que les défendeurs n'ont pas et ne peuvent constitutionnellement avoir sans un mandat spéci- fique individuel à cet égard de chacun des employés qu'ils prétendent représenter politiquement;
24. Les textes utilisés lors de la campagne de publicité sont susceptibles de tromper, ont trompé ou tromperont le public en laissant croire que les textes représentent l'opi-
nion de la demanderesse Postes Canada et/ou de ses employés;
25. On allègue que la demanderesse Postes Canada a subi, subit et continuera de subir des dommages à sa réputation par l'attribution d'une conduite de la part de ses employés qui est incompatible avec les obligations des employés d'une société de la Couronne;
26. La présentation inexacte des faits dans les annonces publi- citaires laissant croire que le message émane de la deman- deresse Postes Canada et/ou de ses employés cause un tort sérieux et irréparable à la Société et est fondamentalement préjudiciable au rôle de la Société qui est de fournir un service postal à tous les Canadiens de même qu'à sa propre liberté de parole. Les défendeurs n'ont pas le droit d'utili- ser les noms de la Société canadienne des postes ou de ses employés pour embarrasser ladite Société politiquement et aux yeux du public;
27. Il est allégué qu'étant donné les faits exposés aux paragra- phes 1 à 20 des présentes, l'action des défendeurs sPc et UFC constitue un abus du droit qui leur a été conféré par le Code canadien du travail et la Loi de représenter certains employés de la demanderesse Postes Canada aux fins de négociations collectives;
28. Il est de plus allégué que les demandeurs ont subi un préjudice en ce que les annonces publicitaires représentent de façon inexacte la position politique des employés de la demanderesse Postes Canada;
29. Les défendeurs sic et UFC, dans leurs annonces dans les journaux, sur les placards et à la radio laissent entendre que les employés au nom desquels ils prétendent agir, violent leur obligation fondamentale de loyauté envers leur employeur et se sont engagés dans une ligne de conduite incompatible avec leurs obligations d'employés d'une société de la Couronne;
30. Il est de plus allégué qu'aucun redressement réel n'existe si ce n'est par voie d'injonction pour le préjudice et les dommages subis par les demandeurs, tel qu'exposé aux paragraphes 20 28 des présentes.
De prime abord, le libellé des conclusions écrites pourrait nous porter à conclure que le redresse- ment recherché par les demandeurs vise quelque chose de similaire à une action en diffamation, avec un redressement approprié en dommages- intérêts. Naturellement, les demandeurs nient catégoriquement cette proposition et ils tiennent à qualifier leur action de façon tout à fait différente.
En fait, la société demanderesse allègue que le redressement recherché est fondé sur son droit à l'utilisation exclusive du nom «Postes Canada», droit qui lui est conféré en vertu de la Loi sur la Société canadienne des postes, ainsi que sur les abus des syndicats défendeurs de leurs droits et obligations en vertu du Code canadien du travail. On allègue au nom des demandeurs personnels que
les actes des syndicats défendeurs contraires aux dispositions du Code canadien du travail leur ont causé un préjudice et chose encore plus grave, que les libertés fondamentales dont jouissent lesdits demandeurs en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] ont été supprimées.
En somme, il s'agit de décider si les questions soulevées par les demandeurs relèvent du Code canadien du travail, de la Loi sur la Société canadienne des postes et de la Charte canadienne des droits et libertés ou de la responsabilité civile délictuelle. Cette dernière action, qui serait proba- blement similaire à une action en diffamation, ne peut être déposée que devant les tribunaux des provinces, ce que le procureur des demandeurs ne conteste pas sérieusement.
La solution se trouve dans la caractérisation des causes d'action dont font état les demandeurs et l'analyse de ces causes, à la lumière de la jurispru dence relative à la compétence de cette Cour.
Je voudrais dire, pour commencer, que le problè- me de la compétence de la Cour fédérale n'est pas principalement un problème de droit constitution- nel, qui requiert la détermination des champs res- pectifs de compétence du gouvernement fédéral et des provinces pour sa solution. Indépendamment de l'idée que l'on peut se faire du rôle possible d'une Cour fédérale comme tribune pan-cana- dienne, il faut se souvenir que cette Cour, suivant sa constitution actuelle, est un tribunal créé par la loi, et les conditions en vertu desquelles une ques tion entre dans son champ de compétence doivent être formulées strictement, selon les termes de sa loi constitutive et de toute autre loi qui lui donne compétence.
Une fois que cette condition de base est remplie, une étude plus attentive de la cause d'action devant la Cour pourra révéler que le gouvernement fédéral, en légiférant sur la question concernée, a outrepassé son mandat constitutionnel relative- ment à la séparation des pouvoirs de la Loi consti- tutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de
1982, no 1]. Il s'agit, toutefois, d'une toute autre question qui n'est pas soulevée en l'espèce.
Il faut insister sur le fait que la compétence de la Cour fédérale n'est pas aussi large que le champ de compétence législative du gouvernement fédé- ral. Le défaut de faire la distinction entre les deux peut nous mener à attribuer à la Cour une compé- tence qu'elle n'a pas.
La source principale de la compétence de cette Cour se trouve évidemment à la Loi sur la Cour fédérale. Comme l'a fait remarquer récemment la Cour d'appel dans l'arrêt Varnam c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1988] 2 C.F. 454, le libellé de la Loi est très précis et, particulièrement dans les questions entre parties, la Cour n'a pas compétence à moins que celle-ci lui soit attribuée de façon spécifique.
Les conditions rigoureuses à remplir sont expo sées dans l'arrêt Varnam (susmentionné): la Cour a conclu que la compétence de la Cour fédérale ne peut être étendue par une entente entre les parties. La Cour déclare à la page 463 de la décision:
J'ai souligné plus haut que c'est à regret que j'ai conclu que la décision dans l'affaire Marshall était erronée. Ce regret ne procède d'aucun souhait d'étendre la compétence de cette Cour. Il trouve plutôt sa source dans le souci que me cause la situation peu enviable du plaideur qui peut, dans certaines circonstances, se voir contraint d'engager des poursuites devant deux tribunaux. Le juge Reed a bien exprimé ce souci dans l'arrêt Marshall, et le juge Collier en a été l'éloquent interprète dans l'arrêt Pacific Western Airlines, susmentionné, dans lequel il a qualifié la situation la page 490] de «lamentable». Pour ma part, cependant, tout en partageant ces vues, je ne puis que répéter les paroles du juge en chef dans l'arrêt sur le poisson salé, susmentionné la page 513]:
... l'avantage qui pourrait être obtenu, le cas échéant, ne constitue pas un motif suffisant pour étendre la compétence de la Cour au-delà des limites prévues par la loi.
De plus, la Cour a jugé que le fait que des questions qui sont par ailleurs en dehors du champ de compétence de la Cour fédérale puissent être liées à d'autres dont elle est régulièrement saisie ne justifie pas une extension de sa compétence. Sui- vant le même raisonnement, on a aussi conclu que dans les cas il y a plusieurs parties et plusieurs causes d'action, il est essentiel que chacune des parties et chacune des causes d'action relève indé- pendamment de la compétence de la Cour (Aida Entreprises Ltd. c. R., [1978] 2 C.F. 106 O re inst.); R. c. Thomas Fuller Construction Co. (1958) Ltd. et autre, [1980] 1 R.C.S. 695).
La décision la plus récente de la Cour suprême du Canada sur la question de la compétence de la Cour fédérale est l'arrêt ITO—International Ter minal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752. Le juge McIntyre conclut, à la page 766 du jugement, qu'une ques tion est à bon droit portée devant la Cour fédérale lorsque trois conditions sont remplies:
1. Il doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral.
2. Il doit exister un ensemle de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l'attribution légale de compétence.
3. La loi invoquée dans l'affaire doit être «une loi du Canada» au sens cette expression est employée à l'art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.
J'entends analyser chacune des trois conditions de l'arrêt ITO et ce faisant, examiner la jurispru dence citée par les parties à l'appui des positions respectives de leurs clients.
1. 11 doit y avoir attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral.
Cette condition est remplie si la compétence nécessaire est conférée à la Cour fédérale soit dans la Loi sur la Cour fédérale ou dans une autre loi fédérale.
Les articles de la Loi sur la Cour fédérale sur lesquels les demandeurs se fondent dans leur factum sont les articles 17 à 23, mais dans les plaidoiries orales, leur procureur a admis que seul l'article 23 conférerait compétence à cette Cour. Il ne fait aucun doute que les paragraphes 17 (1) à (3) ne sont d'aucune aide puisqu'ils ne traitent que des situations dans lesquelles un redressement est recherché contre la Couronne.
Le paragraphe 17(4) prévoit:
17....
(4) La Division de première instance a compétence concur-
rente en première instance
a) dans les procédures d'ordre civil dans lesquelles la Couronne ou le procureur général du Canada demande redressement; et
b) dans les procédures dans lesquelles on cherche à obtenir un redressement contre une personne en raison d'un acte ou d'une omission de cette dernière dans l'exercice de ses fonctions à titre de fonctionnaire ou préposé de la Couronne.
Dans l'arrêt Rasmussen c. Breau, [[1986] 2 C.F. 500] (l'arrêt sur le poisson salé), la Cour d'appel fédérale a conclu que l'article 17 de la Loi sur la Cour fédérale ne traite que des actions
contre la Couronne eo nomine et que l'article n'incluait pas une action par ou contre une société de la Couronne telle l'Office canadien du poisson salé. Aucun des défendeurs n'est un agent ou un employé de la Couronne et, à mon avis, l'article 17 n'attribue, par conséquent, pas de compétence à cette Cour.
L'article 23 prévoit:
23. La Division de première instance a compétence concur- rente en première instance, tant entre sujets qu'autrement, dans tous les cas une demande de redressement est faite en vertu d'une loi du Parlement du Canada ou autrement, en matière de lettres de change et billets à ordre lorsque la Couronne est partie aux procédures, d'aéronautique ou d'ouvrages et entre- prises reliant une province à une autre ou s'étendant au-delà des limites d'une province, sauf dans la mesure cette compé- tence a par ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale.
Le sens de l'article 23 a été étudié sous tous ses aspects dans l'arrêt Bensol Customs Brokers Ltd. c. Air Canada, [1979] 2 C.F. 575 (C.A.), dans lequel la Cour a autorisé une action concernant la perte de certaines marchandises transportées par la défenderesse uniquement parce que les droits et obligations des parties en vertu du contrat de transport étaient régis par la Loi sur le transport aérien [S.R.C. 1970, chap. C-14], une loi repro- duisant les Règles de La Haye. Le juge Pratte déclare à la page 577 de son jugement:
Suivant cet article [23], la Cour est compétente à connaître d'une demande à deux conditions:
(1) la demande doit être faite «en vertu d'une loi du Parle- ment du Canada ou autrement»; et
(2) elle doit se rapporter à l'une des matières énumérées à la fin de l'article.
Par conséquent, la cause d'action sur laquelle les demandeurs se fondent doit être visée par l'une des matières énumérées à l'article 23, c'est-à-dire que le redressement recherché doit concerner une matière assimilable aux «ouvrages et entreprises reliant une province à une autre ou s'étendant au-delà des limites d'une province». Le seul fait qu'une plainte est déposée contre un syndicat représentant des travailleurs d'une entreprise fédé- rale suffit-il à attribuer compétence à la Cour fédérale? Je ne le crois pas, à moins que le redres- sement recherché par les demandeurs soit prévu dans une loi fédérale telle la Loi sur la Société canadienne des postes ou le Code canadien du travail, les deux lois fédérales sur lesquelles les demandeurs s'appuient.
Mon analyse préliminaire de la Loi sur la Société canadienne des postes et le Code canadien du travail ne révèle pas une attribution expresse de compétence. En fait, le paragraphe 22(5) de la Loi prévoit spécifiquement que la Société peut poursui- vre ou être poursuivie devant le tribunal qui a compétence pour juger la question litigieuse. Le paragraphe prévoit:
22....
(5) À l'occasion des droits et obligations qu'elfe assume pour le compte de Sa Majesté sous le nom de celle-ci ou le sien, la Société peut ester sous son propre nom devant les tribunaux qui seraient compétents si elle n'était pas mandataire de Sa Majesté.
Quant au Code canadien du travail, il confère spécifiquement compétence au Conseil canadien des relations du travail à l'égard de nombreuses questions prévues au Code. Même si la question litigieuse touche une des sphères énumérées à l'ar- ticle 23, la Cour n'a pas compétence lorsque cel- le-ci est spécifiquement attribuée à un autre tribunal.
Les demandeurs ne peuvent donc, par consé- quent, prétendre à une compétence conférée à la Cour fédérale par une loi, à moins qu'il ne soit clair que la cause d'action des demandeurs est visée par l'une de ces lois ou fait partie de la common law fédérale traitant des ouvrages ou entreprises dont il est question à l'article 23.
2. I1 doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l'attribution légale de compétence.
Même s'il y avait une attribution générale de compétence à la Cour fédérale qui pourrait inclure le redressement recherché par les demandeurs, le deuxième critère élaboré dans l'arrêt ITO devrait quand même être respecté. Il doit exister une loi fédérale spécifique, traitant expressément de la question en litige, et la compétence fédérale qui n'est pas consacrée par une loi ne suffit pas; voir par exemple les arrêts Quebec North Shore Paper Co. et autre c. Canadien Pacifique Ltée et autre, [1977] 2 R.C.S. 1054 et McNamara Construction (Western) Ltd. et autres c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654. Comme le fait remarquer le juge en chef Laskin à la page 1057 de l'arrêt Quebec North Shore:
Il faut d'abord analyser l'art. 23 la lumière de l'art. 101 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, seule disposition qui autorise le Parlement du Canada à établir des tribunaux de première instance et d'appel en plus de permettre la création de cette Cour. Voici le texte de l'art. 101:
101. Nonobstant toute disposition du présent acte, le Parle- ment du Canada pourra à l'occasion, pourvoir à l'institution, au maintien et à l'organisation d'une cour générale d'appel pour le Canada, ainsi qu'à l'établissement d'autres tribunaux pour assurer la meilleure exécution des lois du Canada.
Aux fins de la présente affaire, les termes pertinents sont «exécution des lois du Canada». Lorsque l'art. 23 de la Loi sur la Cour fédérale parle d'une demande de redressement faite «en vertu d'une loi du Parlement du Canada ou autrement», on ne peut donner à ces termes une interprétation qui leur ferait dépasser la portée de l'expression «exécution des lois du Canada» à l'art. 101.
Le juge en chef Laskin poursuit, aux pages 1065- 1066 du jugement:
Il convient également de souligner que l'art. 101 ne traite pas de la création des tribunaux pour connaître des sujets relevant de la compétence législative fédérale, mais «pour assurer la meilleure exécution des lois du Canada». Le terme «exécution» est aussi significatif que le mot pluriel «lois». A mon avis, ils supposent tous deux l'existence d'une législation fédérale appli cable, que ce soit une loi, un règlement ou la common law, comme dans le cas de la Couronne, sur lesquels la Cour fédérale peut fonder sa compétence. L'article 23 exige que la demande de redressement soit faite en vertu de pareille loi.
À mon avis, presque toute la jurisprudence citée par les deux procureurs illustre les principes expo- sés dans l'arrêt Quebec North Shore et sert à introduire d'importantes modifications qui ne constituent cependant pas une extension de la com- pétence de cette Cour. Je comprends, par exemple, que la cause n'a pas à reposer uniquement sur une loi fédérale, comme dans l'arrêt Bensol Customs Brokers Ltd. c. Air Canada, [1979] 2 C.F. 575 (C.A.), le principe de la subrogation reconnu par la common law a été appliqué dans une cause un contrat régi par la Loi sur le transport aérien était en litige. Toutefois, les droits et obliga tions des parties doivent avoir leur source dans la loi fédérale et devoir leur existence à ladite législa- tion à l'étude, comme dans l'arrêt Rhine c. La Reine; Prytula c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 442, deux causes dans lesquelles les actions pour dette en vertu de la Loi sur les paiements anticipés pour le grain des Prairies [S.R.C. 1970, chap. P-18] et la Loi canadienne sur les prêts aux étudiants [S.R.C. 1970, chap. S-17] ont été jugées faire partie du champ de compétence de la Cour fédérale.
Une fois qu'est commencée l'étude de la ques tion de savoir si l'action devant la Cour concerne ou non la bonne exécution des lois du Canada, à mon avis, le litige devient très clair. Je dois, par conséquent, examiner les réclamations des deman- deurs à la lumière de ces considérations.
D'où naissent les droits et obligations des parties en l'espèce? Les demandeurs prétendent que puis- que les syndicats défendeurs sont des agents négo- ciateurs accrédités en vertu du Code canadien du travail, tous leurs droits et obligations doivent être déterminés conformément à la loi, et que ceci attribue à la Cour compétence à l'égard de toutes les actions entreprises par les syndicats. Cet argu ment ne me semble pas représenter correctement la situation des syndicats défendeurs, parce qu'à mon avis, la compétence de la Cour doit être conférée par les dispositions du Code canadien du travail elles-mêmes et non par la nature juridique des syndicats.
Le Code a un champ d'application très bien défini. Lorsque des problèmes surgissent dans le cadre d'un contrat collectif entre une société demanderesse et un syndicat, je ne doute pas qu'ils doivent être décidés en vertu du Code canadien du travail. Le Code prévoit de façon complète le règlement de tels conflits, et la question doit être décidée par le Conseil canadien des relations du travail. Si le syndicat, les membres du syndicat ou l'employeur ont l'impression qu'une partie a passé outre à quelque prohibition prévue aux articles 184 [édicté par S.C. 1972, chap. 18, art. 1] ou 185 [édicté, idem] du Code, il s'agit alors de déposer une plainte devant le Conseil. Lorsque les obliga tions en cause, sans être visées par le Code, relè- vent néanmoins du domaine des relations de tra vail, la Cour suprême du Canada a décidé que les parties doivent s'en remettre à la common law pour trancher leurs droits et obligations respectifs (SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [ 1986] 2 R.C.S. 573).
En guise d'aparté important, je souligne que dans l'arrêt Dolphin Delivery, les syndicats appe- lants étaient également des agents négociateurs accrédités par une loi fédérale, le Code canadien du travail, et que l'affaire a été jugée par la Cour suprême du Canada suite à une décision de la Cour d'appel de Colombie-Britannique. Contraire-
ment à ce qu'on fait valoir les demandeurs, le syndicat ainsi accrédité n'a nullement été empêché de comparaître devant les tribunaux provinciaux.
Les demandeurs ont tenté de qualifier l'action des syndicats défendeurs de violation des obliga tions des syndicats en vertu du Code canadien du travail et, par conséquent, de question faisant partie du champ d'application des relations fédéra- les du travail. Bien que le Code ait été cité, les demandeurs n'ont pu indiquer un article précis dudit Code ni toute autre source pouvant laisser entendre que la question devant moi visait les relations de travail au Bureau de poste. Il ne fait aucun doute qu'entre un syndicat et ses membres, il existe de nombreuses obligations exécutoires; toutefois, aucun des demandeurs n'est membre des syndicats défendeurs. Je ne peux cependant admet- tre que dans les circonstances de l'espèce, la Société puisse se présenter devant cette Cour en prétendant parler au nom des membres du SPC et du UFC et affirmer qu'il s'agit de trancher une question de relations de travail.
Le Code canadien du travail ne prévoit aucune cause civile d'action que l'on puisse rattacher à la formulation de la présente action. La question n'est pas de décider si les syndicats défendeurs ont tenté irrégulièrement de représenter les deman- deurs individuels en matière de relations de travail; le litige tient plutôt à ce que les défendeurs ont à tort attribué aux demandeurs des déclarations fausses et leur ont, de ce fait, causé un préjudice. Ces allégations semblent clairement être du ressort de la responsabilité civile délictuelle, des expres sions telles le mot méfait (mischief) apparaissent à la déclaration et ce ne sont pas des matières pouvant être tranchées en vertu d'une loi fédérale quelconque ni pouvant être envisagées par celle-ci. Une simple récitation d'une loi fédérale ne satisfait pas au deuxième critère de l'arrêt ITO.
Les demandeurs ont également allégué une cause civile d'action fondée sur une disposition de la Loi sur la Société canadienne des postes, laquelle prévoit:
52....
(2) Commet une infraction quiconque, sans le consentement écrit de la Société, appose sur une chose une mention ou une marque de nature à faire penser que cette chose:
a) soit a fait l'objet de l'autorisation ou de l'approbation de la Société;
b) soit sert à l'exercice des activités de la Société;
c) soit est semblable ou identique à une autre chose qu'uti- lise la Société pour ses activités.
L'article 54 de la Loi dit:
54. Quiconque enfreint la présente loi ou ses règlements ou commet une des infractions prévues aux articles 42 53 est, selon le cas:
a) coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonne- ment de cinq ans;
b) coupable d'une infraction punissable sur déclaration som- maire de culpabilité.
L'article 55 renvoie de plus à la preuve pouvant être apportée dans une action fondée sur l'article 58.
À mon avis, ces articles décrivent une infraction quasi-criminelle qui n'a été créée que pour empê- cher des personnes de se faire passer pour des agents de Postes Canada en utilisant la mention «Postes Canada» ou «Bureau de poste». Je ne peux accepter l'affirmation des demandeurs selon laquelle ces articles de nature purement punitive fourniraient à la Cour une base solide qui lui permettrait d'élargir sa compétence et d'entendre l'action civile des demandeurs en l'absence d'une attribution claire de compétence.
M'est-il possible de supposer que ces articles adoptés par le Parlement envisageaient de sanc- tionner tant par des poursuites criminelles que civiles les actes prohibés dans les articles de la Loi ci-haut citée? De plus, puis-je conclure qu'une action civile peut être intentée en vertu de ces articles, et élargir la portée desdits actes pour y voir un sens plus étendu que celui qui se trouve dans les dispositions expresses de la Loi? Je crois que les demandeurs me demandent d'adopter une interprétation que le libellé de la Loi ne justifie pas. Selon moi, ces articles font partie de la Loi pour empêcher des tiers de tromper le public en lui faisant croire que la livraison du courrier a été confiée à d'autres entités que Postes Canada. Comment puis-je être convaincu d'étendre davan- tage le sens de ces articles, non seulement de façon à créer une action civile, mais pour y trouver la prohibition de la propagande politique? Je ne crois pas pouvoir le faire. Le seul recours envisagé par le Parlement lorsqu'il a adopté ces dispositions est le dépôt de dénonciations et les poursuites devant les tribunaux provinciaux.
Le procureur des défendeurs attire mon atten tion sur l'arrêt Mid West Television Ltd. v. S.E.D.
Systems Inc., [1981] 3 W.W.R. 560 (B.R. Sask.). Le juge Noble a clairement dit qu'à son avis, bien que la Loi sur la radiodiffusion [S.R.C. 1970, chap. B-11] prévoie une infraction criminelle, c'est-à-dire la diffusion sans un permis, aucune cause d'action civile n'était ainsi créée en faveur de quiconque subissait un préjudice par suite de la violation.
Je voudrais également ajouter qu'à mon avis, l'arrêt R. du chef du Canada c. Saskatchewan Wheat Pool, [1983] 1 R.C.S. 205 expose claire- ment qu'il n'y a pas de délit civil spécial fondé sur une violation seule de la loi mais plutôt qu'une cause d'action doit exister indépendamment et séparément en vertu des principes de la responsabi- lité civile délictuelle. En l'absence d'indices dans le Code canadien du travail ou dans la Loi sur la Société canadienne des postes que ces lois envisa- gent une telle action, on ne peut présumer que la violation de leurs dispositions donne aux deman- deurs une cause civile d'action. De plus, à mon avis, le seul délit dont on pourrait déceler l'exis- tence en l'espèce serait la diffamation ou quelque chose de comparable en vertu du Code civil du Québec [Code civil du Bas-Canada], ce qui ne peut être considéré par cette Cour comme étant nécessaire pour assurer la bonne exécution de la Loi sur la Société canadienne des postes.
Le procureur des demandeurs plaide de plus que l'article 13 de la Loi sur la Société canadienne des postes, en permettant à Postes Canada d'embau- cher des employés pour exécuter les activités de la Société, place la question dans le champ de compé- tence de la Cour fédérale. Comme aucun des défendeurs n'est de fait un employé de Postes Canada, je ne vois pas comment les demandeurs pourraient invoquer cet article. Cet argument fai- sait partie des allégations selon lesquelles la société demanderesse étant responsable des opérations du Bureau de poste en vertu d'une loi fédérale, tout ce qu'elle fait entre dans le champ d'application de cette loi et ressortit à la compétence de la. Cour fédérale. Ceci peut être vrai jusqu'à un certain point, mais bien que la question en litige soit fondée sur la publication de déclarations dont les demandeurs estiment qu'elles sont fausses ou trompeuses et préjudiciables à leur réputation et qu'elles leur sont attribuées à tort, étant donné
l'interdiction d'utiliser le nom «Postes Canada», cette question est loin de l'acheminement ordonné du courrier, qui constitue la responsabilité pre- mière de la Société.
Enfin, les demandeurs allèguent que les syndi- cats défendeurs ont supprimé les libertés d'associa- tion et d'expression qui leur sont accordées en vertu des alinéas 2b) et d) de la Charte canadienne des droits et libertés. Je n'ai rien à dire contre la prétention des demandeurs que ces libertés com- prennent le droit de ne pas s'associer ou de demeu- rer silencieux sur une question particulière. Toute- fois, je ne suis pas d'accord avec leur conception de l'application de la Charte à l'espèce.
Dans un argument que je ne peux qualifier que d'extraordinaire, le procureur des demandeurs allègue que la raison pour laquelle les demandeurs individuels bénéficient de la protection de la Charte est qu'ils sont employés d'une société de la Couronne. A mon avis, cet argument est insoute- nable. La protection accordée par la Charte vise la sauvegarde des droits des individus contre leur suppression par l'État et ses émanations. Les obli gations de la Charte reposent sur la nature de la partie ayant violé ces obligations et non sur la nature de la victime.
Afin de démontrer que la Charte s'applique, les demandeurs doivent premièrement montrer que les syndicats sont en fait des organismes qui ont un devoir envers les demandeurs en vertu de la Charte. Aucun fait n'a été plaidé pouvant me porter à conclure que la situation en l'espèce est semblable à celle en cause dans l'arrêt Lavigne and Ontario Public Service Employees Union et al., Re (1986), 55 O.R. (2d) 449 (H.C.), l'on a jugé qu'une telle obligation existait En l'absence de lien entre l'État et la victime comme dans l'affaire Lavigne (où une émanation du gouvernement avait approuvé une clause de «précompte obligatoire» [«mandatory check-off»] dans une convention col lective qui régissait les conditions d'emploi de M. Lavigne), la Charte ne s'applique pas à ce qui doit être tenu pour un litige entre particuliers. (Voir aussi Re Ontario English Catholic Teachers Asso ciation et al. and Essex County Roman Catholic School Board (1987), 58 O.R. (2d) 545 (C. div.).)
Le seul fait que les syndicats défendeurs sont accrédités en vertu du Code canadien du travail eu
égard à des unités de négociation autres que celle dont font partie les demandeurs individuels, n'en fait pas une question qui doit être tranchée selon la Charte.
Même si les demandeurs pouvaient satisfaire à ce critère préliminaire, il a été décidé que la Charte «n'est pas une loi fédérale existante et applicable» car ce n'est pas une mesure législative adoptée par le gouvernement fédéral (Northern Telecom Canada Liée et autre c. Syndicat des travailleurs en communication du Canada et autre, [1983] 1 R.C.S. 733). Par conséquent, une simple déclaration d'invalidité d'une loi fédérale, qui n'est pas jointe à une autre cause d'action, ne peut être prononcée par la Cour fédérale. Étant donné les commentaires du procureur des deman- deurs lors des plaidoiries concernant l'application de la Charte, je crois nécessaire d'ajouter, s'il subsiste des doutes, que la Cour fédérale n'hésitera pas à donner son plein effet aux droits accordés aux parties par la Charte lorsqu'elle a la compé- tence pour le faire.
Le procureur des demandeurs semble également croire que mon analyse de la situation laisse percer un doute sur le pouvoir de la Cour fédérale de décerner une injonction. Ce pouvoir est certain, mais uniquement lorsque la Cour doit juger une question qui est du ressort de sa compétence. L'article 3 de la Loi sur la Cour fédérale ne permet clairement pas de décerner une injonction in vacuo; l'injonction est un complément du pou- voir de la Cour de juger une question dans les limites de sa compétence (Association nationale des employés et techniciens en radiodiffusion c. R., [1980] 1 C.F. 820 (C.A.)).
En résumé, cette question ne peut être tranchée ni en vertu de la Loi sur la Société canadienne des postes ni du Code canadien du travail, puisque ces lois ne régissent pas les relations entre les parties eu égard aux réclamations en l'espèce. Les deman- deurs ne visent pas à faire appliquer les disposi tions d'une loi fédérale, ils tentent de déposer une action civile devant un tribunal qui n'a pas compé- tence pour entendre la question.
Pour ces motifs, je conclus donc que la déclara- tion ne révèle ni de la part de la société demande- resse, la Société canadienne des postes, ni de celle des demandeurs individuels, aucune cause raison-
nable d'action du ressort de cette Cour. La décla- ration doit, par conséquent, être radiée en entier conformément à l'alinéa 419(1)a) des Règles de la Cour fédérale.
Les défendeurs spc et Union Communications ont droit à leurs dépens.
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