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A-167-87
Procureur général du Canada (appelant) (intimé)
c.
Neil Anderson Davidson (intimé) (requérant)
RÉPERTORIÉ: DAVIDSON C. CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)
Cour d'appel, juges Mahoney, Stone et MacGui- gan, J.C.A.—Vancouver, 26 janvier; Ottawa, 6 février 1989.
Protection des renseignements personnels Une demande d'accès à des renseignements personnels contenus dans des dossiers de la GRC a été rejetée Le responsable d'une institution fédérale est lié par les motifs qu'il a initialement allégués dans l'avis de refus, sans qu'il y ait possibilité de modification ultérieure L'art. 36.1 de la Loi sur la preuve au Canada ne s'applique pas à la divulgation de renseigne- ments à une personne qui ne constitue pas «un tribunal, un organisme ou une personne ayant le pouvoir de contraindre à la production de renseignements. L'art. 22(1) n'abroge pas la règle de common law interdisant la révélation de l'identité des indicateurs de police.
Droit constitutionnel Charte des droits Droits à l'égalité Taxation des frais lorsque la partie qui a gain de cause est un avocat qui agit pour son propre compte Le concept de l'égalité devant la loi exige que tous les plaideurs qui agissent pour leur compte soient traités sur la même base.
Pratique Frais et dépens Adjudication des frais lorsque la partie qui a gain de cause est un avocat agissant pour son propre compte Elle est traitée comme un plaideur qui agit pour lui-même pour la taxation des frais Un traitement différent ferait violence au concept de l'égalité devant la loi.
À la suite d'une enquête, qui n'a pas conduit à des accusa tions criminelles, sur les activités illégales auxquelles il se serait livré en tant que maire de Vernon (Colombie-Britannique), l'intimé a demandé à avoir accès à tous renseignements person= nels le concernant contenus dans des dossiers opérationnels de la GRC. Cette requête a été rejetée pour le motif prévu au paragraphe 22(2) de la Loi sur la protection des renseigne- ments personnels—à savoir l'existence, entre la GRC et la Colombie-Britannique, d'une entente par laquelle la GRC s'en- gageait à ne pas divulguer les renseignementts personnels obte- nus pendant qu'elle exerçait des fonctions de police pour la province. On a découvert, à la veille de l'audition de la demande de révision du rejet de la plainte déposée auprès du Commissaire à la protection de la vie privée, qu'il n'existait à l'époque en cause aucune entente de ce genre.
Il s'agit d'un appel de la décision par laquelle le juge de première instance a accueilli la demande et a ordonné la communication avec les suppressions appropriées pour protéger l'identité de(s) l'indicateur(s) de police, et d'un appel incident de la restriction de la divulgation. L'intimé étant un avocat agissant pour son propre compte, les parties demandent égale- ment des directives quant à la taxation des frais.
Arrêt: l'appel et l'appel incident devraient être rejetés, et la taxation devrait être effectuée en tenant pour acquis que l'in- timé est un plaideur qui agit pour son propre compte.
Le responsable de l'institution est lié par les motifs initiale- ment exposés dans l'avis de refus sans qu'il y ait possibilité de modification ultérieure. Permettre que de nouveaux motifs d'exemption soient présentés à l'instruction reviendrait à priver le plaignant de l'avantage des procédures d'enquête et de l'assistance du Commissaire. Les articles 48 et 49 de la Loi, qui permettent à la Cour de rendre une ordonnance si elle l'estime indiqué, ne visent pas à autoriser la Cour à renvoyer au Commissaire une affaire à propos de laquelle il vient de finir son enquête.
L'article 36.1 de la Loi sur la preuve au Canada, en vertu duquel le gouvernement peut s'opposer à la divulgation de renseignements devant un tribunal, un organisme ou une per- sonne ayant le pouvoir de contraindre à la production de renseignements, ne s'applique_pas en l'espèce. Cet article ne vise ni les circonstances de l'espèce _ ni celui qui reçoit les renseignements.
Quant à l'appel incident, en ordonnant la communication avec les suppressions appropriées pour protéger l'identité de(s) l'indicateur(s) de police, le juge de première instance est arrivé au bon résultat pour un motif erroné. La règle de fond en common law interdisant la révélation de l'identité des indica- teurs de police demeure intacte et constitue le fondement qui justifie, qui en fait impose, la restriction de la divulgation. Elle n'a été ni codifiée ni abrogée par le paragraphe 22(1) de la Loi. La restriction n'était donc pas le fait de l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge sous le régime de l'article 48; elle était requise par la loi.
Aux fins de la taxation, on devrait considérer l'intimé comme un plaideur qui a gain de cause et qui agit pour lui-même. Le concept de l'égalité devant la loi protégé par l'article 15 de la Charte exige que tous les plaideurs qui agissent pour eux- mêmes soient traités de la même façon, lors même que certains pourraient être avocats et procureurs. L'intimé a donc droit à tous les frais habituellement adjugés à une partie qui agit pour elle-même et qui a gain de cause, et non à ceux prévus pour les services des solicitors et conseils (tarif B, paragraphe 2(1)).
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 15.
Code de procédure civile, L.R.Q., chap. C-25, art. 308. Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10,
art. 36.1 (ajouté par S.C. 1980-81-82-83, chap. 111,
art. 4).
Loi sur la protection des renseignements personnels, S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, annexe II, art. 2, 19(1), 22(2), 29(1)b), 31, 33(2), 34, 35, 41, 42, 45, 48, 49.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Smith, Kline & French Laboratories Ltd. c. Canada
(Procureur général), [1987] 2 C.F. 359 (C.A.); Bisaillon c. Keable, [1983] 2 R.C.S. 60; Ternette c. Solliciteur général du Canada, [1984] 2 C.F. 486 (1" inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Rentokil Group Ltd. v. Barrigar & Oyen (1983), 75 C.P.R. (2d) 10 (C.F. 1"° inst.); McBeth v. Governors of Dalhousie College & University (1986), 26 D.L.R. (4th) 321 (C.A.N.-E).
DÉCISIONS CITÉES:
Commissaire à l'information (Canada) c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 3 C.F. 63; (1986), 5 F.T.R. 287 (1' inst.).
AVOCATS:
H. J. Wruck et Jacques Courteau pour rap- pelant (intimé).
Neil A. Davidson, c.r. pour son propre compte.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour l'appelant (intimé).
Davidson & Company, Vernon (Colombie- Britannique), pour l'intimé (requérant).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY, J.C.A.: J'ai pris connais- sance du projet des motifs de jugement du juge MacGuigan. Je souscris à ces motifs et à la manière de statuer sur l'appel et l'appel incident qu'il a proposée. Je vais trancher uniquement la question de la taxation des dépens à propos de laquelle les parties ont demandé des directives.
L'intimé est avocat et procureur agissant pour son propre compte. La Section de première ins tance lui a adjugé les dépens et il demande à avoir droit à ses dépens en appel. Il dit qu'il a droit, à l'occasion de la taxation, aux sommes accordées par le paragraphe 2(1) du tarif B [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] «Pour les servi ces des solicitors et conseils», ainsi qu'aux débours prévus au paragraphe 2(2).
La seule décision publiée portant sur ce sujet semble être celle du juge Cattanach de la Section de première instance, qui s'est prononcé en ces
termes dans l'affaire Rentokil Group Ltd. c. Bar- rigar & Oyen (1983), 75 C.P.R. (2d) 10 (C.F. Ire inst.), à la page 20:
Pour les raisons données ci-dessus, l'appel est rejeté. Le cabinet d'avocats, assignés à juste titre comme intimés, a comparu en son propre nom et n'a donc pas droit aux dépens pour les services rendus au nom d'un client. Les dépens en faveur de l'intimée seront donc limités aux débours versés au registraire des marques de commerce pour la demande d'avis et aux droits versés au greffe de la Cour.
Cette décision a énoncé et appliqué exactement la pratique devant cette Cour.
Toutefois, l'arrêt McBeth v. Governors of Dal- housie College & University (1986), 26 D.L.R. (4th) 321, à la page 328 et suiv., rendu par la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse, exige de réexaminer cette pratique. Il s'agissait dans cette affaire d'un plaideur qui avait eu gain de cause et qui n'était pas avocat et procureur. Le juge de première instance avait refusé les dépens excepté les débours. La Cour d'appel a conclu que cette prati- que allait à l'encontre de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] et n'était pas couverte par l'article 1. On trouve l'essentiel de son raisonnement à la page 329.
[TRADUCTION] . la pratique en common law consistant à.
refuser des dépens à un plaideur qui comparaît en personne lorsque ces dépens suivent l'issue de la cause dans le cas des plaideurs qui se font représenter par avocat est clairement discriminatoire. Le traitement réservé au plaideur qui compa- raît en personne est inégal. On refuse au plaideur les dépens que le plaideur qui se fait représenter par avocat peut se voir accorder. À la longue, cette pratique peut donner lieu à une discrimination à l'égard du plaideur dans la mesure il ou elle hésiterait à saisir le tribunal d'une affaire sans se faire repré- senter par avocat.
C'est à la page 330 qu'on trouve réellement l'adju- dication des dépens:
[TRADUCTION] ... j'ordonne que l'appelante ait droit à ses dépens devant cette Cour et devant la cour inférieure qui doivent être taxés entre parties conformément au tarif des frais et droits. Il se peut que l'officier taxateur ait de la difficulté à accorder certains frais qui sont propres à un conseiller juridi- que. Toutefois, il s'agit d'une question qui sera tranchée par l'officier taxateur et peut-être ultérieurement par les tribunaux.
Trois catégories distinctes de frais taxables sem- blent avoir été reconnues: 1) les débours, auxquels un plaideur qui agit pour lui-même et qui a gain de cause a ordinairement droit, même en common
law; 2) «les frais qui seraient propres à un conseil- ler juridique»; évidemment, ces frais ne devraient pas être accordés à un plaideur profane qui a agi pour lui-même et qui a eu gain de cause et 3) les frais qui ne sont ni des débours ni des frais «pro- pres à un conseiller juridique»; ces frais devraient être accordés à ce plaideur.
Si je comprends bien, la pratique actuelle de cette Cour quant aux plaideurs profanes qui agis- sent pour eux-mêmes est bien claire, puisque tous les articles du paragraphe 2(1) du tarif B se trouvent sous la rubrique «Pour les services des solicitors et conseils». En tant que tels, à mon avis, ils sont, par définition, clairement «propres à un conseiller juridique». Les seuls autres frais qui puissent être accordés sont les débours. Toutefois, en l'espèce, il ne s'agit pas d'un profane, mais d'un avocat et procureur qui agit pour lui-même.
L'article 15 de la Charte porte:
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimina tion, notamment des discriminations fondées sur la race, l'ori- gine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.
La démarche fondamentale adoptée par cette Cour dans l'interprétation de cet article a été énoncée dans la décision Smith, Kline & French Laborato ries Ltd. c. Canada (Procureur Général), [1987] 2 C.F. 359 (C.A.), à la page 368.
Il [l'article 15] interdit seulement la discrimination parmi les membres de catégories qui sont elles-mêmes analogues. Par conséquent, la question dans chaque cas sera de savoir quelles catégories permettent de déterminer la similitude de situation et quelles ne le permettent pas. C'est seulement dans ces cas les catégories elles-mêmes ne le permettent pas, les égaux ne sont pas traités également, qu'il y aura une atteinte aux droits à l'égalité.
La question qui se pose en l'espèce est de savoir si un avocat et procureur qui agit pour lui-même dans un litige se rapproche davantage, dans le contexte de l'article 15, du plaideur profane qui agit pour lui-même ou du plaideur qui se fait représenter par un professionnel.
À mon avis, cet avocat et procureur est principa- lement un plaideur qui agit pour lui-même et, aux fins de la taxation des frais et des dépens, il doit être traité comme tel. A mon sens, réserver à un plaideur qui agit pour lui-même un traitement différent de celui qu'on réserve à un autre seule-
ment parce que le premier est avocat et procureur, c'est faire manifestement plus violence au concept de l'égalité devant la loi que de traiter deux plai- deurs qui agissent pour eux-mêmes de la même manière lors même que l'un serait avocat et procureur.
Je suis d'avis d'ordonner que, dans la taxation de ses frais, devant cette instance et devant la Section de première instance, l'intimé n'ait pas droit aux frais prévus au paragraphe 2(1) du tarif B.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: Il s'agit d'un appel formé contre une décision du juge en chef adjoint [[1987] 3 C.F. 15] relativement à une demande de révision sous le régime de l'article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels [S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, annexe II] («la Loi»). À la suite de reportages selon lesquels la Gendarmerie Royale du Canada («GRC») menait une enquête sur les activités illé- gales et contraires à l'éthique auxquelles il se serait livré en tant que maire de la ville de Vernon (Colombie-Britannique), enquête qui n'a jamais conduit à une accusation criminelle, l'intimé a demandé à avoir accès à tous renseignements per- sonnels le concernant et contenus dans des dossiers opérationnels de la GRC. Par lettre en date du 9 décembre 1983, signée par le surintendant princi pal P. E. J. Banning de la GRC, cette demande a été rejetée pour le motif prévu au paragraphe 22(2) de la Loi, à savoir l'existence, entre la GRC et la province de la Colombie-Britannique, d'une entente par laquelle la GRC s'engageait à ne pas divulguer tous renseignements personnels obtenus pendant qu'elle exerçait des fonctions de police pour la province. À la veille de l'instruction, l'ap- pelant a découvert, et il a immédiatement révélé ce fait, qu'il n'existait à l'époque en cause aucune entente de non-divulgation de renseignements, et il a reconnu tant en première instance que dans le présent appel qu'il ne pouvait s'autoriser de ce motif d'exemption.
Entre-temps, après le premier rejet de sa demande, l'intimé a déposé une plainte auprès du Commissaire à la protection de la vie privée («le
Commissaire») qui, après avoir fait enquête comme l'exige l'alinéa 29(1)b) de la Loi, a conclu que la plainte de l'intimé n'était pas fondée. L'in- timé a par la suite déposé la présente demande de révision fondée sur l'article 41.
Au sujet du point litigieux principal dont il était saisi, le juge de première instance a, suivant la décision rendue par le juge Strayer dans l'affaire Tc. - -nette c. Solliciteur général du Canada, [1984] 2 C.F. 486 (lie inst.), à la page 497, statué que le responsable d'une institution fédérale est lié par les motifs qu'il a au début allégués dans l'avis de refus. Le juge Strayer s'est exprimé en ces termes:
En vertu de l'alinéa 16(1)b) de la Loi, le responsable de l'institution est tenu, s'il refuse la communication, d'indiquer la disposition précise de la Loi sur laquelle il fonde son refus. À mon avis, il est fondamental pour l'exercice par le requérant de tous les recours subséquents, que le responsable soit lié par les motifs qu'il allègue dans son avis de refus.
Le juge de première instance s'est également appuyé sur sa propre décision relative à la loi quelque peu semblable examinée dans l'affaire Commissaire à l'information c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 3 C.F. 63; (1986), 5 F.T.R. 287 (1" inst.).
L'appelant soutient que le juge de première instance a commis une erreur de droit en statuant ainsi, et qu'il aurait lui permettre de remplacer le motif invoqué par les autres motifs d'exemption contenus dans les affidavits supplémentaires en date du 18 novembre et du 20 décembre 1985 du surintendant principal Banning (dossier d'appel, à la page 104 et suiv.). À son avis, l'intimé ne subirait aucun préjudice puisque ce dernier aurait largement le temps de déposer ses plaidoiries écri- tes après avoir été avisé des nouveaux motifs invo- qués par la GRC. L'appelant a également insisté sur l'ampleur du pouvoir que, selon lui, le juge de première instance tenait des articles 48 et 49 pour rendre pleinement justice à l'intimé.
Il me semble que cet argument ne tient pas compte de la mesure dans laquelle une personne qui demande à avoir accès à des renseignements personnels est autorisée à se prévaloir du méca- nisme de plainte par l'entremise du Commissaire. Le plaignant peut déposer une plainte de refus de donner communication de renseignements person- nels auprès du Commissaire (alinéa 29(1)b)), qui va procéder à une enquête (article 31 et suiv.),
laquelle va permettre tant au plaignant qu'au res- ponsable de l'institution fédérale en cause de faire des observations (paragraphe 33(2)) et peut amener le Commisaire à pénétrer dans les locaux occupés par une institution fédérale, à examiner des documents de l'institution et à obtenir des dépositions sous la foi du serment (article 34). À la suite de l'enquête, le Commissaire peut, en plus de faire rapport au plaignant, faire des recommanda- tions au responsable de l'institution fédérale, et demander qu'il soit avisé de la mise en oeuvre de ses recommandations (article 35).
Il est indubitablement vrai, comme le soutient l'appelant, qu'un juge de première instance de la Cour fédérale a des pouvoirs de révision appropriés sur le refus du responsable d'une institution fédé- rale, appuyé comme en l'espèce par le Commis- , saire, de donner communication de renseignements personnels, bien qu'on doive dire qu'un juge sié- geant à la Cour n'a pas le personnel investigateur et la flexibilité du Commissaire. Il y a plus impor tant encore, si on permettait que de nouveaux motifs d'exemption soient présentés devant le juge après l'achèvement de l'enquête du Commissaire sur des motifs tout autres, comme c'est le cas en l'espèce, le plaignant se verrait refuser l'avantage des procédures du Commissaire. Il aurait ainsi droit à un seul niveau de protection au lieu de deux. L'espèce présente illustre mieux que toute autre affaire les avantages d'un processus à deux stades, parce que ce n'est qu'au deuxième stade que le vice fatal entachant le premier moyen a été découvert.
Mais j'estime que la raison définitive pour laquelle un plaignant ne saurait se voir refuser l'instance devant le Commissaire est que, si ce dernier conclut en sa faveur mais que le responsa- ble de l'institution demeure inflexibe, le plaignant peut bénéficier de la comparution, à la discrétion du Commissaire, de ce dernier devant la Cour à sa place ou en tant que partie à l'instance (article 42).
L'appelant soutient que le pouvoir de la Cour, prévu aux articles 48 et 49, de «rend[re] une autre ordonnance si elle l'estime indiqué» lui permettrait, par suite d'un remplacement de motifs devant elle, de renvoyer l'affaire au Commissaire à ce moment pour enquête. Mais le pouvoir de révision de la Cour sous le régime de l'article 41 suppose préala-
blement une plainte devant le Commissaire et une enquête par ce dernier.Renvoyer au Commissaire une affaire à propos de laquelle il venait de finir son enquête n'a pas de sens. Une telle «doctrine de la possibilité» revêtirait un caractère beaucoup trop tortueux pour qu'on y voie l'intention du législa- teur, même si on pouvait lui donner une cohérence logique.
L'approche de l'appelant semble supposer que la Loi exerce un équilibre parfait entre le droit du gouvernement de ne pas communiquer des rensei- gnements personnels et le droit des particuliers aux renseignements qui les concernent. Mais telle n'est pas, en fait, l'économie de la Loi. L'article 2 de la Loi, en exposant l'objet de cette dernière, ne parle que de l'accès à des renseignements personnels:
2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en matière de protection des renseignements per- sonnels relevant des institutions fédérales et de droit d'accès des individus aux renseignements personnels qui les concernent.
L'article 12 répète la même idée d'une façon plus détaillée. Les exceptions doivent donc être inter- prétées strictement comme étant des exceptions à l'objet général.
Toutes ces considérations me convainquent de la sagesse avec laquelle le juge de première instance a statué que le responsable de l'institution était lié par les motifs initialement exposés dans l'avis de refus, sans qu'il y ait possibilité de modification ultérieure.
La seule exception possible à la généralité de cette règle se rapporte, à mon avis, aux motifs d'exemption obligatoires contenus au paragraphe 19(1) «le responsable d'une institution fédérale est tenu de refuser la communication». L'alinéa 19(1)c), qui porte sur les renseignements qui ont été «obtenus à titre confidentiel ... des gouverne- ments des provinces», a été invoqué dans l'affidavit supplémentaire du 18 novembre 1985 du surinten- dant principal Banning, mais l'appelant l'a aban- donné plus tard. Il n'a donc pas été nécessaire d'examiner si le responsable d'une institution fédé- rale devrait avoir le droit d'ajouter un motif d'exemption obligatoire sous le régime du paragra- phe 19(1), et je n'exprime aucune opinion sur ce point.
L'appelant fait également valoir que le juge de première instance a commis une erreur de droit en décidant que l'article 36.1 de la Loi sur la preuve au Canada [S.R.C. 1970, chap. E.10 (ajouté par S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, art. 4)] ne s'appli- quait pas à l'espèce présente. J'estime toutefois que l'article 36.1 n'est pas du tout pertinent. Il permettrait au gouvernement «de s'opposer à la divulgation de renseignements devant un tribunal, un organisme ou une personne ayant le pouvoir de contraindre à la production de renseignements». Mais, en l'espèce, il n'a été nullement question de la divulgation de renseignements dans ces circons- tances. Aucun renseignement n'a été divulgué ou examiné de quelque façon que ce soit dans la procédure de première instance. Tout ce qu'on pourrait dire est que la procédure visait à forcer la divulgation de renseignements, mais celui qui les reçoit, l'intimé, n'est pas «un tribunal, un orga- nisme ou une personne ayant le pouvoir de con- traindre à la production de renseignements». Si, par une hypothèse impossible, l'article 36.1 était d'une pertinence quelconque, il serait en tout cas remplacé par l'article 45 de la Loi sur la protec tion des renseignements personnels, ainsi que l'a décidé le juge de première instance.
Le dernier argument de l'appelant, savoir que le juge de première instance n'a pas reconnu que la règle du secret fondée sur la common law interdi- sant la divulgation de renseignements qui révéle- raient l'identité d'un indicateur de police continue d'exister malgré la Loi sur la protection des ren- seignement personnels, est réellement un argument contre les motifs du juge de première instance, plutôt que contre sa décision, puisque dans celle-ci il a ordonné que «les renseignements doivent être communiqués au requérant avec les suppressions appropriées de manière à protéger l'identité de(s) l'indicateur(s).» Une opposition aux motifs d'une décision n'est bien entendu pas un moyen d'appel valide. Dans la mesure nécessaire, il sera fait état de cette question à l'occasion de l'appel incident.
L'appel devrait donc être rejeté avec dépens.
Quant à l'appel incident, j'estime que, en ordon- nant la communication des renseignements à l'in- timé (appelant par incidence) avec les suppressions appropriées de manière à protéger l'identité de(s) l'indicateur(s) de police, le juge de première ins-
tance est arrivé au bon résultat pour un motif erroné. A mon avis, le paragraphe 22(1) de la Loi n'est pas plus une codification abrogeant expressé- ment et de façon non équivoque la règle de fond en common law interdisant la révélation de l'identité des indicateurs de police que l'article 308 du Code de procédure civile [L.R.Q., chap. C-25], examiné dans l'arrêt Bisaillon c. Keable, [1983] 2 R.C.S. 60, à la page 93, le juge Beetz a décidé que «le principe du secret relatif à l'identité des indica- teurs de police ... est une règle juridique d'ordre public qui s'impose au juge.» Avec déférence, le juge de première instance était tenu par la loi de donner la directive qu'il a donnée; il ne s'agissait pas, comme il l'entendait, d'un pouvoir discrétion- naire conféré par l'article 48 de la Loi. L'idée qu'une personne qui a fait l'objet d'une enquête de police mais qui n'a jamais été inculpée puisse invoquer une exception à la règle dans des procé- dures non criminelles ultérieures est simplement insoutenable.
Compte tenu des suppressions ordonnées par le juge de première instance, l'appel incident doit donc être également rejeté avec dépens.
Je souscris aux motifs de jugement du juge Mahoney concernant la question de la taxation des dépens et à la manière de la trancher qu'il a proposée.
LE JUGE STONE, J.C.A.: Je souscris aux motifs ci-dessus.
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