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A-827-88
Procureur général du Canada (requérant)
C.
Marlene McAlpine, Commission canadienne des droits de la personne (intimées)
RÉPERTORIÉ: CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL) c. MCALPINE
(CA.)
Cour d'appel, juges Heald, Urie et Marceau, J.C.A.—Ottawa, 20 avril et 18 mai 1989.
Droits de la personne Le Tribunal des droits de la personne a ordonné à l'employeur de verser une somme en compensation de la perte des prestations d'assurance-chômage résultant d'un acte discriminatoire L'art. 41(2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne ne permet pas d'ac- corder une telle indemnité Le tribunal s'est trompé dans l'évaluation des dommages-intérêts lorsqu'il a appliqué le principe restitutio in integrum sans tenir compte du caractère prévisible ou de la prévisibilité raisonnable des dommages.
Assurance-chômage Le Tribunal des droits de la per- sonne a ordonné à l'employeur d'indemniser l'employée de la perte des prestations d'assurance-chômage résultant d'un acte discriminatoire L'art. 41(2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne ne permet pas d'accorder une telle indemnité Distinction établie avec les cas la preuve permet clairement d'inférer l'admissibilité aux prestations.
Il s'agit d'une demande visant à faire annuler une décision du Tribunal canadien des droits de la personne ordonnant à un employeur, qui a admis avoir commis un acte discriminatoire, de verser à une employée des dommages-intérêts en raison de la perte de prestations d'assurance-chômage. L'employeur a retiré son offre d'emploi conformément à la politique alors existante lorsqu'il a appris que l'employée était enceinte. A cause de cet acte discriminatoire, l'employée n'a pas travaillé et elle n'était donc pas admissible aux prestations d'assurance-chômage. En adjugeant des dommages-intérêts, le Tribunal a appliqué le principe restitutio in integrum. Le requérant a fait valoir que le paragraphe 41(2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne n'autorise pas un dédommagement pour la perte de prestations d'assurance-chômage et même s'il était autorisé à le faire, le Tribunal s'est fondé sur des principes erronés pour évaluer les dommages-intérêts.
Arrêt: la demande devrait être accueillie.
L'acception logique et courante du paragraphe 41(2) n'auto- rise pas la réparation accordée par le Tribunal. La seule réparation autorisée par l'alinéa 41(2)b) est l'exécution inté- grale. On a établi une distinction avec l'arrêt Druken dans lequel le tribunal a ordonné à la Commission d'assurance-chô- mage de verser des prestations d'assurance-chômage perdues à la suite d'un acte discriminatoire. Dans cette affaire, les presta- tions avaient été payées et l'admissibilité pouvait 'raisonnable- ment découler de la preuve. Le tribunal avait ordonné à la Commission de faire ce qu'elle devait faire en vertu de la Loi. En l'espèce, l'intimée n'avait acquis aucun droit à l'égard duquel elle aurait été fondée à obtenir une ordonnance d'exécu- tion intégrale. Le tribunal n'avait pas le pouvoir d'accorder des
dommages-intérêts en vertu de l'alinéa 41(2)c). Même si ces prestations peuvent être considérées comme une conséquence du contrat d'emploi, elles ne constituaient pas un salaire. L'alinéa 41(2)d) se limite à prévoir le remboursement des dépenses engagées pour obtenir d'autres biens, services, instal lations ou moyens d'hébergement. Le pouvoir discrétionnaire que le législateur a conféré au Tribunal ne peut s'exercer que dans les limites de la compétence qui lui est attribuée par les alinéas 41 (2)b),c) et d).
Le Tribunal a commis une erreur en ne soulevant pas la question de la prévisibilité raisonnable dans l'évaluation des dommages-intérêts. Seules les pertes subies qui sont raisonna- blement prévisibles sont recouvrables.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33, art. 7a), 41 (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 143, art. 20).
Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), chap. H-6, art. 53(2).
Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, chap. 48.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 28.
Ontario Human Rights Code, R.S.O. 1980, chap. 340.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la per- sonne), [1987] 1 R.C.S. 1114; Rosanna Torres v. Royalty Kitchenware Limited and Francesco Guercio (1982), 3 C.H.R.R. D/858 (Comm. d'enqu. Ont.); DeJager c. Canada (Ministère de la Défense nationale) (1987), 8 C.H.R.R. D/3963.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Canada (procureur général) c. Druken, [ 1989] 2 C.F. 24; (1988), 9 C.H.R.R. D/5359 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Asamera Oil Corporation Ltd. c. Sea Oil & General Corporation et autres, [1979] 1 R.C.S. 633; B.D.C. Ltd. c. Hofstrand Farms Ltd., [1986] 1 R.C.S. 228; 26 D.L.R. (4th) 1.
DOCTRINE
Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2e éd. Toronto: Butterworths, 1983.
Living Webster Encyclopedic Dictionary of the English Language, «Wage». Chicago: English-Language Insti tute of America, Inc., 1971.
Shorter Oxford English Dictionary, 3e éd., «Wage». Oxford: Clarendon Press, 1978.
AVOCATS:
Bruce S. Russell pour le requérant. James R. Hendry pour les intimées.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour le requérant.
La Commission canadienne des droits de la personne, Ottawa, pour les intimées.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD, J.C.A.: La Cour est saisie d'une demande présentée en vertu de l'article 28 [Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10] pour faire examiner et annuler une décision rendue conformément à l'article 41 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33 (la Loi), par un tribunal chargé d'examiner la plainte déposée par l'intimée McAl- pine contre le ministère de la Défense nationale (MDN). La plaignante allègue que le Ministère a commis un acte discriminatoire en refusant de l'employer pour un motif de distinction illicite prévu à l'alinéa 7a) de la Loi'.
Les procureurs ont confirmé devant le tribunal que l'intimée McAlpine faisait partie de la réserve des Forces canadiennes. Elle a suivi un stage de formation pour devenir commis. Le 22 mai 1985, une offre lui a été faite pour travailler comme commis à l'administration. Cette offre était sujette à la politique des Forces canadiennes en vigueur à ce moment-là, selon laquelle une femme enceinte ne pouvait pas être engagée à ce poste par les Forces canadiennes. Cette politique n'est plus en vigueur. On constata par la suite que l'intimée était enceinte, et l'offre d'emploi lui fut retirée. À l'audience, les procureurs ont également convenu que Marlene McAlpine aurait travaillé du 3 juillet 1985 au 11 octobre 1985 (14 semaines), mais que la politique précitée l'en a empêchée; que seule- ment 10 semaines étaient nécessaires pour la
7. Constitue un acte discriminatoire le fait
a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un
individu, ou
directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite.
rendre admissible aux prestations d'assurance-chô- mage; que si ce n'est qu'elle n'avait pas accumulé de semaines d'emploi assurables, elle aurait payé les primes d'assurance-chômage, comme on l'exige, elle aurait fait une demande de prestations le 27 janvier 1986 et elle aurait reçu des presta- tions d'assurance-chômage à compter de la semaine commençant le dimanche 26 janvier 1986 jusqu'à la semaine se terminant le 7 juin 1986. Le tribunal a noté (Dossier, vol. 1, pages 6 et 7):
[TRADUCTION] Tous les éléments de la cause ont été réglés par une ordonnance de consentement sauf pour ce qui est de son droit à des dommages-intérêts parce qu'elle n'a pas touché les prestations d'assurance-chômage.
Le montant des dommages-intérêts payables s'il y a lieu a été établi, par consentement mutuel, à 4 692 $. Le tribunal a passé en revue ce qu'il a estimé être les dispositions législatives et la juris prudence pertinentes, et a conclu (Dossier, vol. 1, pages 11 et 12):
[TRADUCTION] Marlene McAlpine aurait reçu son salaire si elle avait travaillé et elle aurait eu droit aux prestations d'assu- rance-chômage si son employeur avait fait les déductions vou- lues. S'il n'y avait pas eu de discrimination, Marlene McAlpine aurait touché les prestations d'assurance-chômage ... Marlene McAlpine a fait une demande d'indemnisation. Ici, l'indemnité consiste en un versement de dommages-intérêts. La mesure à prendre, c'est de lui verser les prestations d'assurance-chômage auxquelles elle aurait eu droit si elle n'avait pas été victime de discrimination. Marlene McAlpine a subi une perte en raison d'un acte discriminatoire en matière d'emploi. Comme cette perte est directe et que la Loi a un but essentiellement répara- teur, il s'ensuit que, pour être logique avec les dernières causes entendues par la Cour suprême du Canada, le présent tribunal doit ordonner au mis en cause d'indemniser M" 1 e McAlpine des pertes qu'elle a subies en raison de l'acte discriminatoire du mis en cause.
Le tribunal a donc ordonné aux Forces canadien- nes de verser à Marlene McAlpine la somme de 4 692 $ en compensation de la perte des presta- tions d'assurance-chômage.
La requérante conteste la décision du tribunal pour les motifs suivants: premièrement, le paragra- phe 41(2) [mod par S.C. 1980-81-82-83, chap. 143, art. 20] de la Loi n'autorise pas le tribunal à accorder un dédommagement au titre des presta- tions d'assurance-chômage perdues et, deuxième- ment, même si le tribunal avait été habilité à le faire, celui-ci s'est fondé sur des principes erronés pour évaluer le montant des dommages-intérêts en l'espèce.
Les paramètres du redressement prévu au paragra- phe 41(2) de la Loi
Le paragraphe 41(2) de la Loi (devenu le para- graphe 53(2), L.R.C. (1985), chap. H-6) est ainsi libellé:
41....
(2) À l'issue de son enquête, le tribunal qui juge la plainte fondée peut, sous réserve du paragraphe (4) et de l'article 42, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupa- ble d'un acte discriminatoire
a) de mettre fin à l'acte et de prendre des mesures destinées à prévenir les actes semblables, notamment
(i) d'adopter les programmes, plans ou arrangements spé- ciaux visés au paragraphe 15(1), ou
(ii) de présenter une demande d'approbation et de mettre en oeuvre un programme prévus à l'article 15.1;
ces mesures doivent être prises après consultation de la Commission sur leurs objectifs généraux;
b) d'accorder à la victime, à la première occasion raisonna- ble, les droits, chances ou avantages dont, de l'avis du tribunal, l'acte l'a privée;
c) d'indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu'il juge indiquée, des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l'acte; et
d) d'indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu'il fixe, des frais supplémentaires causés, pour recourir à d'autres biens, services, installations ou moyens d'héberge- ment, et des dépenses entraînées par l'acte.
Les dispositions prévoyant une indemnisation figurent aux alinéas 41(2)b), c) et d). Le requérant soutient qu'elles n'habilitent aucunement le tribu nal à accorder des dommages-intérêts pour com- penser la perte des prestations d'assurance-chô- mage. En ce qui concerne l'alinéa b), le requérant fait valoir qu'il vise des mesures réparatrices non pécuniaires selon le sens grammatical ordinaire des mots qui y sont employés. Quant aux alinéas 41(2)c) et d), le requérant convient qu'ils pré- voient une réparation pécuniaire, mais il ajoute que cette réparation n'est pas générale, mais con- cerne des chefs de réclamation précis.
Je partage son opinion. Si l'on examine d'abord l'alinéa 41(2)b) et que l'on interprète les mots qui y sont employés selon leur contexte, dans leur
acception logique courante en conformité avec l'es- prit et l'objet de la Loi et l'intention du législa- teur 2 , on constate que la seule réparation accordée à la victime d'un acte discriminatoire est l'exécu- tion intégrale. La version française confirme cette interprétation. À mon avis, ni la version anglaise («make available to the victim of the discrimina tory practice»), ni la version française («d'accorder à la victime») ne prévoient le versement de dom- mages-intérêts. Si telle avait été l'intention du législateur, il aurait été simple de le dire. Les mots employés dans cet alinéa ne sont pas ceux que le législateur a l'habitude d'utiliser pour conférer le pouvoir d'octroyer un dédommagement en argent. Qui plus est, comme le législateur a expressément prévu un tel dédommagement aux alinéas 41(2)c) et d), il me paraît encore plus évident qu'il faut restreindre à l'exécution intégrale la portée de l'alinéa 41(2)b).
Le procureur des intimées invoque cependant la récente décision rendue par cette Cour dans l'af- faire Canada (Procureur général) c. Druken 3 . Le Tribunal des droits de la personne avait conclu que certaines dispositions de la Loi de 1971 sur l'assu- rance-chômage [S.C. 1970-71-72, chap. 48] con- trevenaient à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Les dispositions attaqués rendaient la plaignante inadmissible à des prestations d'assu- rance-chômage à cause de son état matrimonial (elle avait été employée par son mari). Le tribunal a notamment ordonné à la Commission d'assu- rance-chômage de verser à la plaignante les presta- tions qu'elle aurait reçues si l'acte discriminatoire n'avait pas été commis. Il y a cependant une distinction entre l'arrêt Druken et le cas en l'es- pèce car dans l'arrêt Druken, «chacune des inti- mées avait effectivement reçu des prestations et
. en conséquence, il convenait d'inférer que cha- cune d'elles était par ailleurs admissible» 4 .
Dans son jugement, M. le juge Mahoney a pris soin de restreindre l'admissibilité aux prestations aux cas l'on pouvait raisonnablement la déduire
2 Il s'agit du critère proposé par E. Driedger dans Construc tion of Statutes, éd., Toronto: Butterworths, 1983, la p. 87.
l [1989] 2 C.F. 24, la p. 36; (1988), 9 C.H.R.R. D/5359 (C.A.), à la p. D/5368.
4 Citation tirée du jugement de la Cour rendu par le juge Mahoney, aux p. 36 C.F.; D/5368 C.H.R.R., au paragraphe 40154.
de la preuves. Selon moi, il n'est pas possible d'en arriver à la même déduction que dans l'arrêt Druken, vu les circonstances de l'espèce. Dans l'arrêt Druken, des prestations d'assurance-chô- mage avaient effectivement été versées. En l'es- pèce, l'intimée McAlpine n'a jamais été employée par le Ministère. On ne peut donc raisonnablement déduire de la preuve l'admissibilité à des presta- tions. Dans l'arrêt Druken, le tribunal avait ordonné à la Commission d'assurance-chômage de prendre les mesures qui étaient prévues dans la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage. Comme je le mentionne ci-dessus, l'intimée n'avait acquis, dans la présente affaire, aucun droit à l'égard duquel elle aurait été fondée à obtenir une ordonnance d'exécution intégrale.
En ce qui concerne l'alinéa 41(2)c), les intimées font valoir que les prestations d'assurance-chô- mage, que l'on peut considérer comme une consé- quence du contrat d'emploi, sont visées par les dispositions de cet alinéa. Je ne puis souscrire à ce raisonnement. Même si l'on convenait que ces prestations peuvent être une conséquence du con- trat d'emploi, je ne pense pas que l'on pourrait les considérer comme un salaire. Dans le Shorter Oxford English Dictionary, on définit ainsi le terme «salaire»: [TRADUCTION] «Somme versée à une personne pour un service rendu». Dans le Living Webster Encyclopedic Dictionary of the English Language, on donne, entre autres, la défi- nition suivante: [TRADUCTION] «Rémunération d'un travail ou d'un service, habituellement versée régulièrement, par exemple à l'heure, à la journée ou à la semaine». Compte tenu de ces définitions, je ne pense pas qu'on puisse considérer comme un salaire les prestations d'assurance-chômage. Il s'agit d'une forme d'assurance payable dans certai- nes circonstances à la personne qui ne reçoit aucun salaire. Par conséquent, je ne pense pas que le tribunal avait le pouvoir d'accorder les dommages- intérêts en question en s'appuyant sur l'alinéa 41(2)c) de la Loi.
Pour ce qui est de l'alinéa 41(2)d), dont le libellé est clair, il m'apparaît évident qu'il se limite à prévoir le remboursement des dépenses engagées pour obtenir d'autres biens, services, installations ou moyens d'hébergement. Même en faisant
5 Voir l'arrêt Druken, aux p. 36 C.F.; D/5368 C.H.R.R., au paragraphe 40155.
preuve de beaucoup d'imagination, on ne saurait conclure qu'il comprend le remboursement des prestations d'assurance-chômage.
Le procureur de l'intimée se réfère cependant aux alinéas 41(2)b), c) et d) pour affirmer que le législateur a donné au tribunal de vastes pouvoirs discrétionnaires quant à l'octroi de dommages- intérêts. Il insiste en particulier sur les mots «de l'avis du tribunal» utilisés à l'alinéa 41(2)b), sur l'expression «qu'il (le tribunal) juge indiquée» men- tionnée à l'alinéa 41(2)d) et sur les mots «qu'il (le tribunal) fixe» employés à l'alinéa 41(2)d). A cause de ce pouvoir discrétionnaire étendu, le pro- cureur de l'intimé considère qu'il s'agit d'un cas d'application du principe du respect judiciaire de la décision du tribunal car rien ne porte à croire en l'espèce que le tribunal n'a pas exercé ce pouvoir de bonne foi ou qu'il s'est appuyé sur des considé- rations étrangères à la question.
Cette prétention me cause des difficultés car le pouvoir discrétionnaire que le législateur a conféré au tribunal ne peut s'exercer que dans les limites de la compétence qui lui est attribuée par les alinéas 41(2)b), c) et d). Pour les motifs donnés ci-dessus, j'en conclus que le sens grammatical ordinaire des mots employés ne permettait pas au tribunal d'ordonner le versement de dommages- intérêts à l'intimée. Pour en arriver à cette conclu sion, je me suis efforcé de donner aux termes que la Loi utilise leur sens ordinaire tout en donnant pleinement effet aux droits qui y sont énoncés 6 .
L'évaluation des dommages-intérêts
Comme j'en conclus que la Loi n'habilite pas le tribunal à accorder des dommages-intérêts au titre des prestations d'assurance-chômage perdues, cela suffit à trancher cette demande fondée sur l'article 28. Toutefois, comme les deux procureurs ont fait valoir de nombreux arguments au sujet du deuxième moyen d'appel de la décision du tribu nal, j'ai décidé d'examiner aussi cette question. Le procureur du requérant prétend que le tribunal a commis une erreur relativement aux principes qu'il a appliqués pour évaluer les dommages-intérêts
6 Telle est l'opinion exprimée par le juge en chef Dickson dans Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114, à la p. 1134.
sous le régime de la loi précitée. Le tribunal a déclaré qu'il fallait appliquer «[les] principes employés par les cours de justice qui accordent des compensations en droit civil» (Dossier, page 10). Il a énoncé ainsi le critère applicable en l'espèce:
Le principe essentiel repose, dans l'octroi de dommages-inté- rêts, sur celui de la «restitutio in integrum»: la partie lésée doit être remise dans la position elle aurait été si le tort qui lui a été causé ne s'était pas produit, dans la mesure l'argent peut dédommager la partie lésée et dans la mesure celle-ci reconnaît son obligation de prendre des mesures raisonnables pour atténuer ses pertes.
Cet énoncé, dans l'anglais, n'est pas tout à fait exact, mais il est clair que le tribunal avait l'inten- tion de se fonder sur la doctrine dite «restitutio in integrum». Quoi qu'il en soit, il aurait également fallu tenir compte du caractère prévisible ou de la prévisibilité raisonnable des dommages, peu importe que l'action intentée soit en responsabilité contractuelle ou en responsabilité délictuelle. En effet, seules les pertes subies qui sont raisonnable- ment prévisibles sont recouvrables'.
D'autres tribunaux des droits de la personne considèrent eux aussi que la doctrine de la prévisi- bilité raisonnable est un facteur important dans l'évaluation des dommages-intérêts. Je songe en particulier à l'arrêt Torres'. Dans cette affaire, le professeur Peter Cumming a déclaré:
[TRADUCTION] ... quelle est l'étendue des dommages-intérêts qui doivent être accordés en guise de réparation. On peut faire un parallèle avec le droit relatif à la responsabilité délictuelle et, évidemment avec le droit des obligations, la personne fautive n'est tenue qu'aux dommages qu'elle pouvait raisonna- blement prévoir. Il me semble, à première vue, que ces princi- pes sont aussi applicables à l'évaluation des dommages-intérêts payables en vertu du Code. Il y a une limite au montant que la victime peut recevoir à titre de dédommagement. Je dirais que l'auteur du dommage est tenu d'indemniser sa victime durant une période raisonnable seulement, et que cette période «raison- nable» s'apprécie en fonction de ce que la personne prudente et diligente aurait pu raisonnablement prévoir dans les circons- tances, si elle s'était posée la question.
L'arrêt Torres a été rendu sous le régime du Ontario Human Rights Code [R.S.O. 1980, chap.
' Comparer avec: Asamera Oil Corporation Ltd. c. Sea Oil & General Corporation et autre, [1979] 1 R.C.S. 633, aux p. 645, 646 et 673.
Au même effet, voir: B.D.C. Ltd. v. Hofstrand Farms Ltd., [1986] I R.C.S. 228, aux p. 243 246; 26 D.L.R. (4th) 1, aux
p. 13 15.
8 Rosanna Torres v. Royalty Kitchenware Limited and Francesco Guercio (1982), 3 C.H.R.R. D/858 (Comm. d'enqu. Ont.), à la p. D/872, par. 7748.
340]. Un tribunal nommé en vertu de la Loi a suivi le même raisonnement dans l'affaire DeJager c. Canada (Ministère de la Défense nationale) en 1987 9 . Appliquant la théorie de la prévisibilité raisonnable, ce tribunal a accordé au requérant des dommages-intérêts en vertu de l'alinéa 41(2)c) jusqu'à la fin de la période d'enrôlement dans les Forces armées qui, de l'avis du tribunal, constituait une «période raisonnablement prévisible» dans les circonstances.
Vu l'abondante jurisprudence précitée, je suis convaincu que le tribunal a commis une autre erreur susceptible de révision en omettant de tenir compte du critère de la prévisibilité raisonnable dans la présente espèce. Il s'agit, à mon avis, d'un autre motif d'annulation de la décision du tribunal.
Mesure correctrice
La mesure correctrice ordonnée par le tribunal est la suivante (Dossier, vol. 1, pages 12 et 13):
I. DÉCLARE que le mis en cause a commis un acte discrimina- toire à l'endroit de Mme McAlpine et que, ce faisant, il a privé M me McAlpine d'une chance d'emploi pour un motif illicite de discrimination;
2. ORDONNE que Marlene McAlpine soit indemnisée pour avoir perdu le droit aux prestations d'assurance-chômage qu'elle aurait pu recevoir si elle avait travaillé le nombre convenu de semaines d'emploi assurables;
3. ORDONNE que le mis en cause verse à Marlene McAlpine la somme de 4 692 $ en compensation de la perte de prestations d'assurance-chômage.
Pour les raisons susmentionnées, j'accueillerais la demande fondée sur l'article 28 et j'annulerais les paragraphes 2 et 3 de la décision du tribunal en date du 19 juillet 1988.
LE JUGE URIE, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE MARCEAU, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
9 (1987), 8 C.H.R.R. D/3963, aux p. D/3966 et D/3967.
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