Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-676-88
Joseph Adjei (requérant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
RÉPERTORIÉ: ADJE! C. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION)
Cour d'appel, juges Mahoney, Stone et MacGui- gan, J.C.A.—Vancouver, 25 et 27 janvier 1989.
Immigration Statut de réfugié La Commission d'appel de l'immigration a conclu que le requérant n'était pas un réfugié au sens de la Convention Elle a conclu que la preuve ne lui permettait pas de conclure «qu'il y a des raisons suffisantes de penser que M. Adjei serait persécuté. Le témoignage irréfuté du requérant à l'appui de sa crainte subjective d'être persécuté n'a pas été considéré, bien qu'il y ait une preuve documentaire ayant trait au fondement objectif d'une telle crainte Le critère applicable consiste à savoir si le requérant «[craint] avec raison» ou s'il court une «possibi- lité raisonnable+ d'être persécuté Il doit exister davantage qu'une possibilité minime, mais il n'y a pas à y avoir une probabilité Bien que l'expression «des raisons suffisantes de penser» ait été sanctionnée par la Chambre des lords, elle est trop ambiguë pour être acceptée dans un contexte canadien L'emploi par la Commission du verbe «serait» plutôt que «pourrait être» et sa conclusion rigoureuse à l'égard des faits indique qu'elle a été induite en erreur par cette expression.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 28.
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 2(1).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Seifu c. Commission d'appel de l'immigration (A-277-82, juge Pratte, J.C.A., jugement en date du 12 janvier 1983, C.A.F., non publié); Arduengo c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1981), 40 N.R. 436 (C.A.F.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Reg. v. Governor of Pentonville Prison, Ex Parte Fer- nandez, [1971] 1 W.L.R. 987 (H.L.); R v Secretary of State for the Home Dept, ex p Sivakumaran, [1988] I All ER 193 (H.L.).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés à l'audience par
LE JUGE MACGUIGAN, J.c.A.: Cette demande fondée sur l'article 28 [Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10] vise la bonne interprétation de la définition de l'expression «réfu- gié au sens de la Convention» contenue au paragra- phe 2(1) de la Loi sur l'immigration de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52] («la Loi»). La définition est ainsi libellée:
2. (1) ...
«réfugié au sens de la Convention» désigne toute personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques
a) se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne
peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la
protection de ce pays ...
Le requérant a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention en raison de ses opinions politiques et de son appartenance à deux groupes sociaux, le Trade Union Congress et le People's National Party, au Ghana. Des éléments de preuve irréfutés montrent que le mouvement syndical au Ghana avait un aspect politique aussi bien qu'éco- nomique (dossier d'appel, pages 152 et 153), mais en tout état de cause aucune question n'a été soulevée à l'égard du motif pour lequel le requé- rant pouvait être considéré comme étant un réfugié au sens de la Convention.
Dans sa décision du 19 mai 1988 [I.A.B. 87-6495, encore inédite], la Commission d'appel de l'immigration («la Commission») a conclu que le requérant n'était pas un réfugié au sens de la Convention pour les motifs suivants (dossier d'ap- pel, pages 357 et 358):
La définition de «réfugié au sens de la Convention» dans la Loi sur l'immigration de 1976, sur laquelle se guide la Com mission dans les affaires de ce genre, a été citée aux pages huit et neuf. La Commission note qu'il n'est pas nécessaire que M. Adjei établisse qu'il est vraisemblable qu'il sera persécuté. D'autre part, la simple possibilité de persécution ne permet pas de conclure qu'il est un réfugié au sens de la Convention. La question est de savoir s'il y a une possibilité raisonnable ou des raisons suffisantes de penser qu'il puisse être persécuté. On trouvera une discussion de la pertinence du critère de «possibi- lité sérieuse», de «possibilité raisonnable» et de «raisons suffisan- tes de penser» dans l'opinion dissidente dans Satiacum, Robert c. M.E.I. (I.A.B. 85-6100), Chambers, Howard, Anderson (dissident), le 10 juillet 1987. L'opinion dissidente est datée du 25 mars 1988. Voir également Lord Keith dans R y Secretary of State for the Home Dept, ex p Sivakumaran, [1988] 1 All ER 193 (H.L.), à la p. 196.)
La crainte de la persécution mentionnée dans la définition a un double aspect. D'une part, le demandeur doit avoir une crainte subjective. Un homme de grande force morale peut ne pas avoir de crainte subjective de la persécution tant que les circonstances défavorables ne sont pires pour lui qu'elles ne doivent l'être pour ses concitoyens moins courageux; néan- moins, une telle crainte doit exister dans l'esprit du demandeur pour qu'il réponde à la définition de réfugié au sens de la Convention. Le critère à appliquer pour établir s'il existe ou non une crainte subjective est celui qui convient pour détermi- ner l'existence d'autres questions de fait dans un cas de ce genre, savoir celui de la prépondérance des probabilités.
Le deuxième aspect est l'élément objectif. La crainte subjec tive du demandeur, dont il est question au paragraphe précé- dent, doit avoir un fondement objectif. (Re Naredo et Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1981), 130 D.L.R. (3d) 752 (C.A.F.), aux p. 753-754.) La conclusion de la Commission quant à l'élément objectif du critère n'exige pas qu'elle se prononce plus amplement sur l'élément subjectif de la crainte de M. Adjei.
Ayant examiné tous les éléments de preuve présentés, la Commission est d'avis qu'ils ne lui permettent pas de conclure qu'il y a des raisons suffisantes de penser que M. Adjei serait persécuté s'il devait retourner ou était renvoyé au Ghana. Bien que la Commission reconnaisse, comme il est mentionné précé- demment, qu'il est possible que M. Adjei soit persécuté, elle ne croit pas que ce soit une possibilité sérieuse.
Étant donné le témoignage irréfuté du requérant à l'appui de sa crainte d'être persécuté s'il retourne au Ghana, et la déposition du D' Timothy Shaw de l'Université Dalhousie ainsi que la preuve docu- mentaire (notamment les rapports d'Amnisty International) ayant trait au fondement objectif d'une telle crainte, la répugnance de la Commis sion à même reconnaître la crainte subjective du requérant semble étrange. Cependant, la question soulevée auprès de cette Cour portait plutôt sur le bien-fondé de la crainte subjective, l'élément dit objectif, qui veut que la crainte du réfugié soit appréciée objectivement pour déterminer si elle s'appuie sur des motifs valables.
Il n'est pas contesté que le critère objectif ne va pas jusqu'à exiger qu'il y ait probabilité de persé- cution. En d'autres termes, bien que le requérant soit tenu d'établir ses prétentions selon la prépon- dérance des probabilités, il n'a tout de même pas à prouver qu'il serait plus probable qu'il soit persé- cuté que le contraire. En effet, dans l'arrêt Arduengo c. Ministre de l'Emploi et de l'Immi- gration (1981), 40 N.R. 436 (C.A.F.), à la page 437, le juge Heald, de la Section d'appel, a dit ce qui suit:
Par conséquent, j'estime que la Commission a commis une erreur en exigeant que le requérant et son épouse démontrent
qu'ils seraient persécutés alors que la définition légale précitée exige seulement qu'ils établissent qu'ils «craignent avec raison d'être persécutés». Le critère imposé par la Commission est plus rigoureux que celui qu'impose la loi.
Les parties ont convenu que l'on peut correcte- ment décrire le critère applicable en parlant de [TRADUCTION] «possibilité raisonnable»: existe-t-il une possibilité raisonnable que le requérant soit persécuté s'il retournait dans son pays d'origine?
Nous adopterions cette formulation, qui nous semble équivalente à celle utilisée par le juge Pratte, de la Section d'appel, dans Seifu c. Com mission d'appel de l'immigration (A-277-82, en date du 12 janvier 1983, non publié):
... que pour appuyer la conclusion qu'un requérant est un réfugié au sens de la Convention, il n'est pas nécessaire de prouver qu'il «avait été ou serait l'objet de mesures de persécu- tion; ce que la preuve doit indiquer est que le requérant craint avec raison d'être persécuté pour l'une des raisons énoncées dans la Loi». [C'est moi qui souligne].
Les expressions telles que «[craint] avec raison» et «possibilité raisonnable» signifient d'une part qu'il n'y a pas à y avoir une possibilité supérieure à 50 % (c'est-à-dire une probabilité), et d'autre part, qu'il doit exister davantage qu'une possibilité minime. Nous croyons qu'on pourrait aussi parler de possibilité «raisonnable» ou même de «possibilité sérieuse», par opposition à une simple possibilité.
En étudiant des dispositions législatives sembla- bles mais non pas identiques', la Chambre des lords, par l'entremise de lord Diplock, a statué comme suit dans l'arrêt Reg. v. Governor of Pen- tonville Prison, Ex Parte Fernandez, [1971] 1 W.L.R. 987, à la page 994:
[TRADUCTION] je ne crois pas que le critère ... exige que le tribunal soit convaincu qu'il est plus vraisemblable que pas que le fugitif sera détenu ou verra sa liberté restreinte s'il était renvoyé. A mon avis, un degré inférieur de vraisemblance est suffisant ...«Une possibilité raisonnable,» «des raisons suffisan- tes de penser,» «une possibilité sérieuse»—je ne vois aucune importante distinction entre ces différentes façons de qualifier le degré de vraisemblance de la détention du fugitif ou de la restriction apportée à sa liberté à son retour qui justifie le tribunal de donner effet aux dispositions de l'alinéa 4(1)c).
Ce qui précède a été expressément appliqué plus tard par la Chambre des lords, dans l'arrêt R v
' L'alinéa 4(1)a) du Fugitive Offenders Act 1967 [15 & 16 Eliz. Il, chap. 68] prévoit que nul ne doit être renvoyé dans un pays s'il semble qu'[TRADUCTION]«il pourrait, en cas de renvoi, subir un préjudice à son procès ou être puni, détenu ou voir sa liberté restreinte» [C'est moi qui souligne.]
Secretary of State for the Home Dept, ex p Siva- kumaran, [1988] 1 All ER 193 (H.L.), à la page 196 (lord Keith), à la détermination du statut de réfugié défini en des termes virtuellement identi- ques à ceux que l'on trouve dans notre propre loi 2 .
En dépit de la terminologie sanctionnée par la Chambre des lords pour interpréter la loi britanni- que, nous estimons néanmoins que l'expression «des raisons suffisantes de penser» est trop ambi- guë pour être acceptée dans un contexte canadien. Elle semble aller au-delà de l'expression «[craint] avec raison» employée par le juge Pratte, de la Section d'appel, et même suggérer une probabilité. La variante «une possibilité sérieuse» soulèverait le même problème sauf qu'en tant que possiblité, elle reste clairement en dehors des probabilités.
En l'espèce, la Commission s'est appuyée, à titre de termes équivalents, sur les mots «raisons suffi- santes». À notre sens, c'était introduire un élé- ment d'ambiguïté dans sa formulation. Deux fac- teurs nous portent à croire qu'elle a pu être induite en erreur par cette expression: son emploi du verbe «serait» plutôt que «pourrait être» [persécuté] dans son résumé de ce point; et sa conclusion rigoureuse à l'égard des faits. En tout état de cause, il est impossible d'être convaincu que la Commission a appliqué le bon critère aux faits.
Étant donné nos commentaires sur cette ques tion, il est inutile d'étudier l'argument subsidiaire du requérant fondé sur l'alinéa 28(1)c) de la Loi sur la Cour fédérale.
La demande devrait être accueillie, la décision de la Commission en date du 19 mai 1988 devrait être rejetée, et l'affaire devrait lui être retournée aux fins d'un nouvel examen qui tienne compte de ces motifs.
2 ... craignant avec raison d'être persécutée à cause de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ..
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.