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T-2696-80
Smith, Kline & French Laboratories Limited, Smith, Kline & French Canada Ltd., Graham John Durant, John Colin Emmett et Charon Robin Ganellin (demandeurs) (intimés)
c.
Procureur général du Canada (défendeur) (requé- rant)
RÉPERTORIÉ: SMITH, KLINE & FRENCH LABORATORIES LTD. c. CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL) (I" INST.)
Section de première instance, juge MacKay— Ottawa, 2 novembre 1988 et 10 mars 1989.
Pratique Communications privilégiées Engagements pris à l'étape des interrogations préalables concernant le caractère confidentiel de certains documents et témoignages Documents subséquemment scellés pour motif de confidentia- lité lors de l'instruction de l'action mettant en cause la validité de l'art. 41(4) de la Loi sur les brevets Le M.R.N., qui n'était pas partie à cette instance, demande maintenant accès aux documents pour fins de vérification La présomption de transparence des dossiers judiciaires, tel qu'exprimée à la Règle 201(4), n'est pas un motif suffisant pour modifier une ordonnance de non-divulgation L'examen de l'assujettisse- ment à l'impôt ne constitue pas un changement dans les circonstances ni une raison impérative Les intérêts de la justice exigent qu'une ordonnance de non-divulgation ne soit modifiée que dans des cas exceptionnels Permettre l'accès conduirait les parties à refuser la divulgation dans des pour- suites instituées par la Couronne ou contre elle.
Impôt sur le revenu Pratique Le M.R.N. demande l'accès, pour fins de vérification, à des documents scellés par ordonnance pour cause de confidentialité, dans une action concernant la validité d'une disposition de la Loi sur les brevets Il faut qu'il y ait un changement dans les circons- tances ou une raison impérative pour justifier la modification d'une ordonnance de non-divulgation L'examen de l'assu- jettissement à l'impôt ne constitue pas un changement dans les circonstances mais une circonstance nouvelle L'intérêt public que représente le M.R.N. ne constitue pas une raison impérative de modifier l'ordonnance.
Au nom du ministre, le procureur général demande en l'espèce l'émission d'une ordonnance autorisant les fonctionnai- res du ministère du Revenu national à prendre connaissance de certains documents dont la Section de première instance et la Cour d'appel avaient ordonné qu'ils soient scellés pour cause de confidentialité, dans une action visant l'obtention d'un juge- ment déclarant le paragraphe 41(4) de la Loi sur les brevets ultra vires et contraire à la Déclaration canadienne des droits ainsi qu'à la Charte canadienne des droits et libertés. Le ministre du Revenu national n'était pas partie à cette instance.
La présentation de cette requête du procureur général s'ex- plique par la vérification à laquelle procède le ministre du Revenu national à l'égard des déclarations d'impôt de l'un des intimés, Smith, Kline & French Canada Ltd., pour les années
1981 à 1983. Aux termes de leur mandat, les vérificateurs sont tenus de prendre connaissance de tout renseignement pouvant se rapporter aux prix qu'a payés cette société pour se procurer un médicament connu sous le nom générique de cimétidine auprès de fournisseurs liés non résidants.
Les ordonnances de non-divulgation dont le requérant veut obtenir la modification ont été rendues à la suite des engage ments que les avocats ont pris, préalablement à l'instruction, de garder confidentiels certains documents et renseignements four- nis à l'étape des interrogatoires préalables.
Jugement: la requête devrait être rejetée.
Bien qu'elle soit d'application générale dans les procédures des tribunaux, la présomption de transparence ou de caractère public des dossiers judiciaires, sur laquelle s'appuie le requé- rant, n'est d'aucun secours à une partie qui, après avoir con- senti à ce que des documents soient scellés pour motif de confidentialité, cherche maintenant à en recevoir communica tion à des fins n'ayant pas, de l'aveu général, été prises en compte à l'époque l'ordonnance a été rendue. En pareil cas, le fardeau de convaincre la Cour d'octroyer un droit d'accès incombe à la partie qui veut faire modifier l'ordonnance.
Le requérant n'a pas satisfait au critère qu'a établi le juge Reed dans la décision Apotex Inc. c. Procureur général du Canada et al. (1986), 10 C.P.R. (3d) 310 (C.F. 1te inst.) en ce qui concerne la modification des termes d'une ordonnance de non-divulgation. Selon le juge Reed, le principe de la transpa- rence des procédures judiciaires, exprimé à la Règle 201(4) de la Cour fédérale, ne constitue pas un motif suffisant pour changer une ordonnance de non-divulgation. Pour reprendre ses mots, il aurait fallu invoquer à cet égard «certains changements dans les circonstances ou une raison impérative qui n'ont pas été examinés directement lorsque l'ordonnance a été prise». Il faut une raison vraiment impérative pour modifier une ordon- nance de non-divulgation, surtout dans les cas le motif de la demande d'accès n'est aucunement relié—et est, dans ce sens, accessoire ou ultérieur—à l'action au cours de laquelle les documents sont produits et scellés, et le procureur général est partie à une action dans laquelle une ordonnance non-divul- gation a été rendue. L'examen de l'assujettissement à l'impôt de l'intimée ne constitue pas un changement dans les circonstances se rapportant aux questions en litige dans l'action aux fins de laquelle les renseignements ont été fournis. Il s'agit d'une situation nouvelle dans la mesure l'examen de l'assujettisse- ment à l'impôt n'est pas un facteur ayant été retenu lorsque les ordonnances de non-divulgation ont été prises. Cette situation ne constitue pas une raison impérative pour modifier les ordonnances.
Si, par l'entremise de son avocat, le procureur général con sent à une ordonnance protégeant la confidentialité d'une preuve, ou même s'il y est assujetti sans son consentement, cette ordonnance ne devrait pas être modifiée simplement parce qu'on soulève un autre intérêt public, accessoire à l'action en cours. Sinon, les intérêts de la justice, que vise à assurer la procédure actuelle de la communication préalable, pourraient être compromis: les parties engagées dans des poursuites insti- tuées par la Couronne ou contre elle chercheraient à éviter la divulgation de renseignements dont cette dernière tenterait de se servir, par la suite et quel que soit le résultat de l'instance originale, pour quelque autre fin non reliée à cette première action.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.).
Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appen- dice III.
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 69(2), 152(1),(4),(7), 241.
Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, chap. P-4, art. 41(4). Règles de la Cour fédérale, C.R.C. chap. 663, Règles 201, 319.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Apotex Inc. c. Procureur général du Canada et al. (1986), 10 C.P.R. (3d) 310 (C.F. 1fB inst.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Procureur général de la Nouvelle-Écosse et autre c. MacIntyre, [1982] 1 R.C.S. 175; Samuel Moore & Co. c. Commissaire des brevets, [1980] 2 C.F. 350; (1979), 45 C.P.R. (2d) 185 (C.A.); Atwal c. Canada, [1988] 1 C.F. 107 (C.A.); Amp of Canada, Ltd. c. La Reine (1987), 87 DTC 5157 (C.F. 1fB inst.).
DECISIONS EXAMINEES:
Halliburton Co. et al. c. Northstar Drillstem Ltd. et al. (1982), 65 C.P.R. (2d) 122 (C.F. 1" inst.); Algonquin Mercantile Corp. c. Dart Industries Canada Ltd., T-831-82, juge McNair, ordonnance en date du 4-11-83, non publiée; Control Data Canada Ltd. c. Senstar Corp., T-1583-84, protonotaire-chef adjoint Giles, ordonnance en date du 6-5-88, non publiée; conf. par le juge en chef adjoint Jerome, ordonnance en date du 6-6-88, non publiée.
DÉCISIONS CITÉES:
Smith, Kline & French Laboratories Limited c. Procu- reur général du Canada, [1986] 1 C.F. 274; (1985), 24 D.L.R. (4th) 321 (lfe inst.); conf. par [1987] 2 C.F. 359 (C.A.); autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée [1987] 1 R.C.S. xiv; Smith, Kline & French Laboratories Ltd. et autres c. Procureur général du Canada (1984), 1 C.P.R. (3d) 268 (C.F. 1' inst.); inf. par le juge Mahoney, A-957-84, jugement en date du 1I-1-85, non publié; Smith, Kline & French Laboratories Ltd. c. Procureur général du Canada, A-909-85, juge Heald, jugement en date du 25-8-86, non publié; Smith, Kline & French Canada Ltd. c. Frank W. Horner, Inc. (1982), 70 C.P.R. (2d) 128 (C.F. l'e inst.); Distillers Co (Biochemicals) Ltd v Times Newspapers Ltd, [1975] 1 All ER 41 (Q.B.D.); Riddick v. Thames Board Mills Ltd., [1977] 1 Q.B. 881 (C.A.); Crest Homes plc v Marks, [1987] 2 All ER 1074 (H.L.); Home Office v Harman, [1982] 1 All ER 532 (H.L.); Lac Minerals Ltd. v. New Cinch Uranium Ltd. et al. (1985), 50 O.R. (2d) 260 (H.C.).
AVOCATS:
Gordon F. Henderson, c.r., Emma A. C. Hill et Guy Du Pont pour les demandeurs (intimés).
Robert McMechan pour le défendeur (requé- rant).
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Ottawa, pour les demandeurs (intimés).
Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur (requérant).
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MACKAY: Au nom du ministre du Revenu national, le procureur général du Canada demande en l'espèce l'émission d'une ordonnance autorisant les fonctionnaires dudit ministère à exa miner et à photocopier certaines pièces dont cette Cour et la Cour d'appel, lors de l'instruction de l'action originale entre les mêmes parties et les appels y relatifs, avaient ordonné qu'elles soient scellées pour cause de confidentialité.
Dans cette action que les demandeurs ont inten- tée en 1980, le procureur général du Canada, à titre de défendeur, s'est opposé à ce que le para- graphe 41(4) de la Loi sur les brevets [S.R.C. 1970, chap. P-4] (aujourd'hui le paragraphe 39(4) de la même Loi, L.R.C. (1985), chap. P-4) soit, par jugement déclaratoire, déclaré invalide. Aux termes de ce paragraphe, le commissaire des bre- vets est tenu, sur demande, de délivrer une licence en vertu d'un brevet relatif à un procédé de pro duction de médicaments, et d'autoriser ainsi la production légale des médicaments appelés «géné- riques» par des personnes autres que le titulaire du brevet ou ceux qui l'exploitent en vertu d'une licence du propriétaire. Les particuliers faisant partie des demandeurs à l'action sont les inven- teurs de deux inventions consistant dans le procédé utilisé dans la production d'un médicament dont le nom générique est cimétidine. Ils ont cédé leurs droits sur lesdites inventions à leur employeur Smith, Kline & French Laboratories Limited, une compagnie du Royaume- Uni, propriétaire des bre- vets canadiens à l'égard de ces procédés. Smith, Kline & French Canada Ltd. est une société cana-
dienne qui détient une licence des titulaires du brevet pour vendre le médicament au Canada, ce qu'elle fait sous le nom du médicament d'ordon- nance Tagamet. Les deux sociétés font partie d'une plus grande entreprise et sont toutes deux des filiales exclusives d'une compagnie américaine qui, de son côté, est la filiale d'une autre compa- gnie américaine. Au moment de l'introduction de l'action, la cimétidine faisait l'objet au Canada de plusieurs licences obligatoires délivrées conformé- ment à ce qui était alors le paragraphe 41(4) de la Loi sur les brevets.
Dans l'action intentée à l'origine, les deman- deurs cherchaient à obtenir un jugement déclara- toire portant que cette dernière disposition de la Loi sur les brevets était invalide parce qu'ultra vires de l'autorité législative du Parlement, con- traire à la Déclaration canadienne des droits [S.R.C. 1970, Appendice III] et enfin incompati ble avec la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitution- nelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]. En première instance, le juge Strayer a rejeté l'action des demandeurs ([1986] 1 C.F. 274; (1985), 24 D.L.R. (4th) 321 (1'e inst.)). Ce jugement a été confirmé par la Cour d'appel fédérale ([1987] 2 C.F. 359 (C.A.)), et l'autorisation de pourvoi a été refusée par la Cour suprême du Canada ([1987] 1 R.C.S. xiv, 9.4.87).
On aurait pu croire que l'affaire trouvait sa conclusion finale. Aujourd'hui, cependant, le pro- cureur général du Canada, défendeur à l'action originale en sa qualité de représentant de l'intérêt public fédéral, demande accès, conformément aux Règles 201 et 319 de la Cour fédérale [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap 663], des docu ments scellés sur ordonnance de la Cour pour motif de confidentialité et ce, au nom du ministre du Revenu national qui n'était pas partie à l'ins- tance et n'avait aucun intérêt particulier à y être représenté.
La présentation de cette requête inhabituelle s'explique par le fait que le ministre du Revenu national procède présentement à une vérification des déclarations d'impôt de l'une des demanderes- ses originales, Smith, Kline & French Canada Ltd., à l'égard des années d'imposition 1981, 1982 et 1983. Pour les fins de cette vérification que le
ministre a le pouvoir et la responsabilité d'entre- prendre (Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, chap. 148, paragraphes 69(2), 152(1), 152(4) et 152(7), modifiée par S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 1), les vérificateurs souhaitent pren- dre connaissance de tout renseignement pouvant se rapporter aux prix qu'a payés ladite demanderesse pour se procurer de la cimétidine auprès de four- nisseurs liés non résidants. Dans une lettre qu'ils lui faisait parvenir au nom du ministre au mois de février 1988, les vérificateurs enjoignaient à la société de consentir à la communication des pièces en litige ou des renseignements qui y sont contenus.
C'est à la suite du refus de la société de donner son consentement que la présente requête a été déposée au mois d'août 1988. Les demandeurs, intimés en l'espèce, s'y opposent pour plusieurs motifs. Avant d'examiner les arguments des par ties, il est cependant essentiel de revenir à l'histori- que de l'action à l'égard des pièces ayant fait l'objet des ordonnances de non-divulgation.
L'action—Les interrogatoires préalables
Lors des interrogatoires préalables à l'instruc- tion, l'avocat représentant le procureur général a pris certains engagements concernant le caractère confidentiel de témoignages ou de documents pro- duits dans le dossier d'au moins l'un des particu- liers demandeurs et d'un ou plusieurs dirigeants d'une des sociétés demanderesses, ou les deux. D'après la transcription des interrogatoires, ces engagements paraissent avoir une vaste portée.
Au cours de l'interrogatoire de l'un des particu- liers demandeurs, l'avocat des demandeurs a fait inscrire ce qui suit au dossier:
[TRADUCTION] ... nous sommes convenus d'un engagement relatif à la confidentialité, à savoir que les documents et les renseignements qui seront fournis et feront l'objet de discus sions pendant le présent interrogatoire devront rester confiden- tiels. Nous voudrions que la transcription en soit scellée, c'est-à-dire qu'elle ne puisse pas être utilisée. Les renseigne- ments ne devront être communiqués à quiconque n'est pas relié directement à l'affaire et ne devront être utilisés que pour les fins de l'action, conformément à l'engagement.
Ce à quoi l'avocat du défendeur, le procureur général du Canada, a répondu:
[TRADUCTION] Je peux certainement ... vous donner l'assu- rance que les renseignements fournis lors du présent interroga- toire, que ce soit oralement ou sous forme de documents, ne seront pas communiqués à l'extérieur du ministère de la Justice
et ou du ministère de la Consommation et des Corporations, en particulier le Bureau des brevets, et que le défendeur ne s'en servira pas à d'autres fins que celles de la présente action.
L'échange suivant s'est ensuite déroulé entre les procureurs:
[TRADUCTION] (Pour les demandeurs): Lorsque vous discute- rez des renseignements fournis avec d'autres personnes que vos collègues intéressés dans l'action, ces personnes seraient avisées qu'elles ne peuvent à leur tour transmettre ces renseignements en raison de leur caractère confidentiel.
(Pour le défendeur): Oui, j'en prends également l'engagement.
Au cours de l'interrogatoire de l'un des diri- geants de la société britannique faisant partie des demandeurs, l'avocat de ces derniers a fait inscrire au dossier l'engagement à la confidentialité pris lors de l'interrogatoire précédent, en demandant que cet engagement vaille également pour ce nouvel interrogatoire. L'avocat du défendeur a reconnu que le même engagement s'appliquerait à la preuve recueillie, qu'elle soit orale ou écrite.
Lors d'un autre échange au cours de l'interroga- toire de l'un des particuliers demandeurs, le témoin a refusé de répondre au motif que les renseignements étaient confidentiels. Voici ce qu'ont alors déclaré les procureurs des parties:
[TRADUCTION] (Pour le défendeur): Je dois vous demander [de révéler les renseignements] puisqu'aucun privilège particulier ne s'attache évidemment à ce genre de renseignements.
(Pour les demandeurs): Nous estimons qu'il s'agit d'informa- tions hautement confidentielles, hautement pertinentes pour les concurrents désirant savoir s'il y a expansion, compression ou simplement maintien de nos entreprises. Nous étudierons la demande de dossier que vous avez présentée.
(Pour le défendeur): Je me rends compte que les renseigne- ments peuvent très bien avoir un caractère confidentiel, et je croyais que c'était pour cette raison que vous avez exigé de moi un engagement avant que nous procédions.
(Pour les demandeurs): Pour certains aspects, les renseigne- ments seront contenus dans des documents que vous verrez. (Pour le défendeur): Vous et moi savons ...
(Pour les demandeurs): Il n'est pas nécessaire d'accroître inuti- lement le risque.
(Pour le défendeur): J'ai le privilège d'interroger [le particulier demandeur] sur le sujet dont il semble avoir personnellement connaissance. Ce que je lui demande maintenant, c'est de me dire ce qu'il sait à ce propos.
Le requérant s'appuie sur ce dernier échange pour en arriver à la conclusion, fondée sur le souvenir et la conviction de l'un des premiers avocats du défendeur au dossier, que c'est parce que les demandeurs s'inquiétaient de la concur rence qu'ils ont cherché à obtenir des engagements
à l'égard de la confidentialité de la preuve recueil- lie au préalable et de la correspondance ultérieure, mentionnée plus bas.
Par la suite, en reconnaissance des engagements pris, l'avocat du défendeur a, dans un avis écrit, déclaré qu'il s'attendait à la collaboration de ceux à qui il serait nécessaire de montrer les pièces considérées par les demandeurs comme confiden- tielles; il s'y engageait à faire en sorte que [TRA- DUCTION] «toute personne avec qui [il pourrait] discuter de l'affaire soit au courant de l'engage- ment portant sur la nécessité de garder les rensei- gnements strictement confidentiels». Ultérieure- ment, l'avocat a donné avis écrit de son intention de transmettre au ministre de la Consommation et des Corporations les renseignements obtenus confi- dentiellement lors de l'interrogatoire préalable d'un dirigeant de la société canadienne demande- resse. Par déduction, je présume qu'il a ainsi cher- ché à étendre la protection couvrant la communi cation des renseignements fournis sous le sceau de la confidence.
Dans son argumentation, l'avocat des deman- deurs a fait valoir que la Cour ne pouvait relever les avocats des obligations découlant d'engage- ments contractés avant l'instruction. Je souscris à cet argument mais, à mon avis, il n'est pas directe- ment pertinent à la requête.
À une étape postérieure des procédures préala- bles à l'instruction, le défendeur a demandé aux sociétés demanderesses certains documents, y com- pris semble-t-il des renseignements à caractère financier, dont il avait été question lors de l'inter- rogatoire de certains dirigeants de ces sociétés. La requête visant à obtenir la production des docu ments en cause a été rejetée par le juge Strayer (Smith, Kline & French Laboratories Ltd. et autres c. Procureur général du Canada) (1984), 1 C.P.R. (3d) 268 (C.F. ire inst.)). La Cour d'appel a ensuite ordonné que ces documents, qui avaient déjà été produits et cotés au préalable, soient produits «sous réserve toujours des mesures de confidentialité sur lesquelles les parties pourront s'entendre ou que la Division de première instance pourra, à défaut d'entente, ordonner» (par le juge Mahoney au nom de la Cour, non publié, C.F. A-957-84, 11 janvier 1985).
L'action—Les «ordornances de non-divulgation»
Par la suite, conformément à la Règle 324 et avec le consentement des parties, le juge en chef adjoint a rendu, le 14 février 1985, une ordon- nance portant que les documents seraient produits et gardés confidentiels. Après avoir établi que le terme «renseignements confidentiels» s'entend de certains documents et «avocat assigné au procès», de l'avocat qui représentait alors le procureur général «ou tout autre avocat, au service du sous- ministre de la Justice, à qui est confiée la conduite de la présente action», l'ordonnance comporte notamment les dispositions suivantes:
3. Chaque document des renseignements confidentiels porte un avis indiquant qu'il est visé par la présente ordonnance de non-divulgation.
4. Lorsqu'usage en est fait en cour, les renseignements confi- dentiels sont déposés dans des enveloppes scellées ou autres contenants indiqués sur lesquels sont inscrits l'en-tête du pré- sent litige, la nature des pièces qui y sont contenues, le mot «Confidentiel», ainsi qu'une déclaration portant essentiellement ce qui suit:
«Cette enveloppe ne sera ouverte et son contenu n'en sera montré ou divulgué que sur ordonnance de la Cour ou consentement des parties.»
5. Sous réserve des dispositions de la présente ordonnance, les renseignements confidentiels restent sous la garde des avocats assignés au procès, aux bureaux de ces derniers, lesquels ne peuvent s'en servir que pour les fins de la présente action. Interdiction leur est faite de communiquer ces documents ou renseignements, sauf aux personnes, y compris les experts externes, pour lesquelles ils l'estiment nécessaire et uniquement pour les fins de la présente action. Les renseignements confi- dentiels peuvent être remis aux bureaux de ces personnes, sous réserve des dispositions de la présente ordonnance.
6. Avant qu'il ne soit procédé à toute communication confiden- tielle autorisée en vertu du par. 5, la personne visée devra reconnaître, dans un écrit dûment signé et remis aux avocats assignés au procès, qu'elle a lu et compris les termes de la présente ordonnance, qu'elle accepte de s'y conformer et s'y déclare liée. Elle devra également, en tout temps, faire en sorte que les renseignements confidentiels soient gardés dans un endroit sûr et qu'ils ne soient communiqués qu'à ceux qui auront reconnu la présente ordonnance par écrit.
7. Les avocats assignés au procès, ainsi que les personnes à qui les renseignements confidentiels sont communiqués conformé- ment aux par. 5 et 6 de la présente ordonnance, ne peuvent, directement ou indirectement, divulguer ces renseignements, leur teneur ou leur objet, à d'autres personnes, entreprises ou sociétés sans nouvelle ordonnance de la Cour ou le consente- ment écrit des demandeurs.
8. Les avocats assignés au procès, ainsi que les personnes à qui les renseignements confidentiels sont communiqués conformé- ment aux par. 5 et 6 de la présente ordonnance, ne peuvent s'en servir, ou en utiliser la teneur ou l'objet, que pour les fins de la présente action et sous réserve des dispositions de la présente ordonnance.
9. Lors de la conclusion définitive du présent litige, le défen- deur et toute autre personne assujettie aux termes des présentes devra rassembler et renvoyer aux demandeurs tous les rensei- gnements confidentiels et les copies de ceux-ci.
10. Rien dans la présente ordonnance, ni aucun acte fait conformément à celle-ci, ne constitue une renonciation par les demandeurs à la confidentialité de tout renseignement ou docu ment qui y est visé.
Lorsque s'est ouverte l'instruction, l'avocat des demandeurs, après une brève description de la preuve qu'il entendait présenter, a évoqué le carac- tère confidentiel de certains éléments de l'affaire. Voici à cet égard un extrait de la transcription:
[TRADUCTION] ... il y a une ordonnance conservatoire en vigueur dans cette affaire, particulièrement en ce qui concerne l'aspect monétaire. Mon confrère et moi-même sommes d'ac- cord pour que cette ordonnance conservatoire s'applique aussi bien à l'instruction qu'aux procédures préalables.
Il se peut que lorsque nous en viendrons à cet aspect plus délicat de l'affaire, nous demandions à votre seigneurie de bien vouloir décréter le huis clos. Je présume que mon confrère est d'accord avec cette suggestion.
Le procureur du défendeur a reconnu qu'il n'avait pas d'objection et le juge a convenu qu'il y avait lieu de procéder ainsi. Ceci étant, le procès a suivi son cours, certains témoignages étant entendus à huis clos et les documents visés par l'ordonnance du 14 février 1985 continuant à être traités confi- dentiellement. Certains autres documents, dont deux que le requérant cherche à obtenir en l'es- pèce, ont été scellés pour motif de confidentialité au cours du procès.
Dans les procédures d'appel qui ont suivi, l'avo- cat des demandeurs a obtenu, sur requête présen- tée avec le consentement de l'avocat du défendeur et conformément à la Règle 324, une ordonnance maintenant l'ordonnance antérieure du 14 février 1985 et en étendant la portée (le juge Heald, 25 août 1986, C.F. A-909-85):
(1) Que les termes de l'ordonnance (ci-après «l'ordonnance de non-divulgation»), rendue en l'espèce par le juge en chef adjoint le 14 février 1985, continuent à s'appliquer pendant la durée du présent appel à chacun des documents mentionnés dans ladite ordonnance;
(2) Que la partie du dossier d'appel consistant dans la trans cription des témoignages rendus à huis clos devant le juge Strayer lors de l'instruction de la présente action ou dans les documents confidentiels admis en preuve lors de ladite instruc tion, savoir les volumes cotés Volume confidentiel I, Volume confidentiel II, Volume confidentiel III, Volume confidentiel IV, Volume confidentiel V et Volume confidentiel VI du dossier d'appel (ci-après le «dossier d'appel confidentiel»), soit scellée pour motif de confidentialité et qu'accès en soit interdit au public, sauf sur ordonnance de la Cour ou consentement des parties;
(3) Que l'exposé des faits et du droit de l'intimée, et tout autre document déposé dans la présente affaire faisant référence à un document visé par l'ordonnance de non-divulgation ou à un élément du dossier d'appel confidentiel, portent la cote «confi- dentiel» et soient scellés, et qu'accès en soit interdit au public, sauf sur ordonnance de la Cour ou consentement des parties.
Les pièces auxquelles le requérant demande au- jourd'hui l'accès sont visées par les «ordonnances de non-divulgation» accordées antérieurement avec le consentement de l'avocat du défendeur. Toutes, sauf deux, sont des documents que la Cour d'appel avait enjoint aux demandeurs de produire aux conditions stipulées dans l'«ordonnance de non- divulgation» en date du 14 février 1985. Quant aux deux exceptions, il s'agit du rapport d'un témoin expert du défendeur, fondé sur l'analyse de docu ments que les demandeurs ont été sommés de produire, ainsi que la transcription de certains extraits de l'interrogatoire préalable d'un dirigeant de la société britannique demanderesse, au cours duquel le requérant s'était engagé à garder les renseignements confidentiels et à ne pas s'en servir à d'autres fins que celles de l'action alors en cours. Tous ces documents avaient été scellés au procès et faisaient l'objet de l'«ordonnance de non-divulga- tion» qu'avait rendue la Cour d'appel le 25 août 1986.
Alléguant divers motifs, le requérant sollicite maintenant l'émission d'une nouvelle ordonnance autorisant un représentant du ministre du Revenu national à avoir accès auxdits documents, ce à quoi les intimés s'opposent.
Le principe de la transparence des dossiers judiciaires
On invoque, à l'appui de la requête, le principe de la transparence des dossiers judiciaires, tel qu'il ressort de la Règle 201 des Règles de la Cour fédérale et de la common law.
La Règle 201, qui vise la tenue des dossiers de la Cour, dispose notamment:
Règle 201... .
(4) Toute personne peut, sous réserve d'une surveillance appropriée, et lorsque les installations et les services de la Cour permettent de le faire sans gêner les travaux ordinaires de la Cour,
a) examiner les dossiers de la Cour et leurs annexes; et
b) sur paiement ... obtenir une photocopie de tout document contenu dans un dossier de la Cour ou dans l'annexe de ce dossier.
Cette règle générale est, certes, importante mais elle ne saurait s'appliquer sans l'autorisation de la Cour—que demande le requérant en l'espèce— lorsque cette dernière a elle-même ordonné aupa- ravant que certaines pièces soient gardées confi- dentielles et scellées en conséquence.
Outre les Règles, on soutient qu'il existe, en common law, une présomption en faveur de l'accès public aux tribunaux et aux dossiers judiciaires et que la charge de la preuve incombe à celui qui nie cet accès: le juge Dickson (tel était alors son titre), au nom de la majorité dans l'arrêt Procureur général de la Nouvelle-Écosse et autre c. MacIn- tyre, [1982] 1 R.C.S. 175, la page 189). Voici ce qu'écrit le juge Dickson à la page 186:
A mon avis, restreindre l'accès du public ne peut se justifier que s'il est nécessaire de protéger des valeurs sociales qui ont préséance.
Il est statué, dans cet arrêt, qu'un membre du public a le droit d'examiner les mandats de perqui- sition et les documents justificatifs, délivrés en application de l'article 443 du Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, une fois que ces mandats ont été exécutés. En insistant sur le principe géné- ral de la «transparence» des dossiers judiciaires, le requérant invoque également l'arrêt Samuel Moore & Co. c. Commissaire des brevets, [1980] 2 C.F. 350; (1979), 45 C.P.R. (2d) 185 (C.A.), le juge en chef Jackett (tel était alors son titre) qui se prononçait en appel d'une décision rejetant une demande de brevet, a rejeté une requête visant à ce que soient scellés pour motif de confidentialité des documents soumis à l'appui de ladite demande de brevet. Il cite aussi l'arrêt Atwal c. Canada, [1988] 1 C.F. 107 (C.A.), la Cour d'appel s'est fondée sur ce principe pour infirmer un jugement du juge Heald rejetant la demande qu'avait pré- sentée un accusé dans une procédure criminelle en vue de faire annuler un mandat, ou d'avoir accès aux documents à l'appui de ce mandat, décerné conformément à la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, S.C. 1984, chap. 21.
La présomption de «transparence» des dossiers judiciaires revêt une grande importance et elle s'applique généralement dans les procédures des tribunaux. Les avocats et la Cour l'ont sans doute prise en considération à l'époque les ordonnan- ces, qu'on veut maintenant faire modifier, ont été
rendues sur consentement. Toutefois, aucun des arrêts cités le principe général de la transpa- rence est invoqué, ne porte sur une situation les renseignements demandés sont tenus confidentiels par suite d'une ordonnance que le tribunal a lui- même rendue avec le consentement des parties, et l'une d'elles demande ultérieurement la modifi cation de cette ordonnance. Or, dans la présente requête, la valeur sociale importante en jeu est l'intégrité même du processus judiciaire. Il ne s'agit pas en effet des intérêts d'un membre du public, bien que le requérant, en sa qualité de représentant de l'ensemble des intérêts publics fédéraux, demande accès au nom d'un intérêt public particulier qui n'était pas en litige dans les procédures antérieures. Le principe de l'accès public ne saurait être invoqué tel quel par une partie à l'instance qui, après avoir consenti à ce que des documents soient scellés pour motif de confidentialité, cherche maintenant à en recevoir communication à des fins n'ayant pas, de l'aveu général, été prises en compte à l'époque de l'émis- sion des ordonnances. Dans la présente affaire, la charge de convaincre la Cour d'octroyer un droit d'accès incombe donc clairement au requérant qui veut faire modifier des ordonnances auxquelles il avait auparavant consenti.
Motifs présumés à l'origine des ordonnances de non- divulgation
D'après le requérant, les intimés ont cherché à obtenir la confidentialité de certains documents, à la fois par des engagements conclus entre avocats et par des ordonnances de cette Cour avant et pendant l'instruction ainsi qu'avant l'audition de l'appel, parce qu'ils craignaient qu'en révélant des éléments dont le caractère confidentiel devait, à leurs yeux, être protégé des concurrents, ils ne heurtent ainsi leurs propres intérêts. Le requérant se fonde, semble-t-il, sur le souvenir et la convic tion de l'un des avocats du défendeur dans les procédures originales, et en particulier sur le der- nier échange, cité plus haut, entre les avocats lors des procédures préalables. Il s'appuie également sur le motif qu'a invoqué, dans une autre affaire, la société canadienne demanderesse pour deman- der le huis clos aux fins de protéger la confidentia- lité de la preuve (Smith, Kline & French Canada Ltd. c. Frank W. Horner, Inc. (1982), 70 C.P.R.
(2d) 128 (C.F. ire inst.), à la page 132. Cette dernière conclusion, tirée d'une autre action, n'est pas pertinente en l'espèce.
En ce qui a trait à la première conclusion fondée sur le souvenir et la conviction, elle est rejetée par l'avocat des demandeurs. Je ne puis non plus l'ac- cepter, compte tenu de l'ensemble des interrogatoi- res préalables ayant été portés à mon intention. En effet, dans un passage de l'interrogatoire d'une des parties, il ressort clairement que le requérant s'en- gage à ne pas utiliser ce témoignage «à d'autres fins que celles de la présente action». Cet engage ment est spécifiquement mentionné dans l'interro- gatoire préalable d'un dirigeant de l'une des socié- tés demanderesses. De plus, l'avocat du défendeur a par la suite reconnu implicitement que les rensei- gnements fournis à l'étape de la communication préalable et visés par les engagements ne devaient servir qu'aux fins de l'action alors pendante, lors- qu'il a donné l'assurance écrite qu'en étendant la portée de l'engagement, il préviendrait quiconque aurait accès à des renseignements réputés confi- dentiels de l'obligation de préserver cette confiden- tialité.
Il est fort possible, comme l'affirme l'un des avocats du défendeur à l'origine, que [TRADUC- TION] «l'assujettissement à l'impôt sur le revenu de la demanderesse Smith, Kline & French Canada Ltd. [n'ait] pas été invoqué comme motif de pré- server la confidentialité des documents et des ren- seignements». Il en serait de même d'une foule d'autres motifs et il serait hasardeux de tirer à cet égard quelque conclusion que ce soit.
Les transcriptions ne permettent pas de dégager clairement les raisons ayant conduit les parties à demander et à accepter des engagements à l'égard de la confidentialité: il se peut qu'il n'y ait pas eu d'accord véritable à ce sujet. Quoi qu'il en soit, aucun motif n'est donné non plus quant aux ordon- nances de la Section de première instance ou de la Cour d'appel portant toutes deux interdiction com- plète d'accès, sauf pour les fins de l'action pen- dante et ordonnance contraire de la Cour. À mon avis, compte tenu des termes des ordonnances, les raisons pour lesquelles les engagements et ordon- nances ont été demandés, d'une part, et les raisons pour lesquelles ils ont été accordés à différentes
étapes des procédures, d'autre part, ne sont pas pertinentes à la question soulevée par la présente requête.
Autres arguments non directement pertinents
De la même façon, je ne suis pas convaincu que les éléments suivants, soulevés lors de l'argumenta- tion, soient pertinents au litige.
(1) La prétention du requérant selon laquelle la protection de la confidentialité vis-à-vis la con currence est étrangère aux intérêts du ministre du Revenu national dans la tenue d'une vérifica- tion fiscale semble elle-même dépourvue de per tinence à la lumière de la conclusion à laquelle j'en suis venu à propos des motifs et des termes des ordonnances présentement en cause. Même si cette conclusion était contestée, l'argument ne pourrait aider le requérant à obtenir la modifi cation desdites ordonnances. Il se peut, en effet, que la protection de la confidentialité soit tout aussi étrangère à de nombreux autres intérêts que des personnes privées ou publiques pour- raient chercher à promouvoir en ayant accès aux renseignements donnés sous le sceau de la confidence.
(2) L'argument du requérant portant que les fonctionnaires de Revenu Canada, Impôt, sont liés par les dispositions de l'article 241 de la Loi de l'impôt sur le revenu et que la Cour pourrait, le cas échéant, donner des directives limitant l'usage des renseignements recherchés me semble pertinent uniquement dans la mesure la question en litige concernerait les conditions dont la modification des ordonnances originales pourrait être assortie, et non le principe même de cette modification.
Le requérant a invoqué la décision Amp of Canada, Ltd. c. La Reine (1987), 87 DTC 5157 (C.F. lie inst.), comme exemple de restrictions imposées par un tribunal à l'usage de renseigne- ments. Dans cette affaire, on demandait l'accès à des renseignements d'ordre financier et à des déclarations d'impôt de tierces parties—alors en la possession du ministre du Revenu national et non de la Cour—dont le ministre s'était servi pour cotiser à nouveau la requérante. L'une des tierces parties s'est opposée à la divulgation de l'information mais la Couronne n'a pas contesté la requête. Cette décision ne fournit pas d'indi- cations utiles sur les motifs pouvant justifier la
modification d'ordonnances en matière de confi- dentialité. En outre, la société canadienne inti- mée ne trouverait qu'une mince consolation dans les dispositions de l'article 241 de la Loi de l'impôt sur le revenu et d'éventuelles ordonnan- ces de non-divulgation de la Cour, puisque, dans l'un et l'autre cas, rien n'empêcherait les rensei- gnements d'être utilisés contre elle, le but même de la demande d'accès dont nous sommes au- jourd'hui saisis étant d'obtenir des informations en vue de l'établissement de cotisations qui ne peuvent que toucher ladite intimée.
(3) Me semble également non pertinente la pré- tention du requérant selon laquelle il serait iro- nique que l'accès à des renseignements, fournis dans une action la validité de certaines dispo sitions législatives était contestée, soit mainte- nant refusé dans une requête visant à aider le ministre du Revenu national à s'acquitter des responsabilités qui lui incombent en vertu de la loi. Au surplus, cet argument ne tient pas compte du fait que c'est le requérant qui a produit ces renseignements en preuve à l'ins- tance originale, et non l'intimée qui s'est oppo sée à leur production jusqu'à ce qu'elle y soit contrainte par ordonnance de la Cour et sous réserve de non-divulgation.
(4) De la même manière, je ne crois pas à l'existence d'un rapport direct entre les ques tions présentement en litige et l'argument de l'intimée portant qu'en vertu d'un engagement implicite, fondé sur la common law et ayant force exécutoire, la preuve qu'une partie est forcée de produire à l'enquête préalable ne ser- vira qu'aux fins de l'action pour laquelle elle est produite.
Dans les arrêts invoqués à l'appui de cet argu ment, on examine la question de l'équilibre des intérêts: d'une part, l'intérêt du public dans des procédures judiciaires transparentes et expéditi- ves les parties ont accès à tous les renseigne- ments disponibles de façon à ce que justice soit faite entre elles, et d'autre part, l'intérêt à la fois public et privé dans la protection de la vie privée au regard de l'information, orale ou écrite. Dans le premier cas, on favorise le processus de la communication en vertu duquel les parties peu- vent être contraintes à fournir tous les rensei- gnements ainsi que tous les documents perti- nents au litige dont elles disposent. Dans le
deuxième cas, on tend à reconnaître l'existence implicite d'un engagement, de la part de l'avocat et de la partie ayant accès à des renseignements grâce à la communication préalable, qu'ils n'uti- liseront ces renseignements qu'aux fins de l'ac- tion pour laquelle ils sont produits et non à des fins accessoires ou ultérieures. Quant aux tiers non associés à l'instance qui acquerraient les renseignements produits au préalable, interdic tion pourrait leur être faite de les utiliser à d'autres fins que l'action: Distillers Co (Bioche- micals) Ltd y Times Newspapers Ltd, [1975] 1 All ER 41 (Q.B.D.). En vertu de cet engage ment implicite, il serait interdit de se servir de documents obtenus au préalable dans un litige privé comme fondement pour un autre litige: Riddick v. Thames Board Mills Ltd., [1977] 1 Q.B. 881 (C.A.), bien qu'il y ait possibilité d'une poursuite en outrage pour violation d'une ordon- nance dite «Anton Pillar» rendue dans une action antérieure reliée opposant les parties, si les renseignements obtenus subséquemment grâce à une ordonnance semblable indiquent qu'il y a eu violation de la première ordonnance: Crest Homes plc y Marks, [1987] 2 All ER 1074 (H.L.). L'exécution de l'engagement pour- rait être ordonnée même lorsque les documents, obtenus au préalable et divulgués en séance publique du tribunal, sont par la suite utilisés pour une fin accessoire: Home Office y Harman, [1982] 1 All ER 532 (Hl.).
Il n'y a pas lieu en lieu en l'espèce de trancher la question de savoir si les tribunaux canadiens reconnaissent aussi largement l'existence d'un engagement implicite ou d'une obligation géné- rale de la part des avocats et des parties de n'utiliser les renseignements obtenus lors de l'étape de la communication préalable que pour les fins de l'action pour laquelle ils ont été produits. Le sujet a été abordé dans certaines décisions canadiennes, notamment dans les affaires Lac Minerals Ltd. v. New Cinch Ura nium Ltd. et al. (1985), 50 O.R. (2d) 260 (H.C.) et Control Data Canada Ltd. c. Senstar Corp. (non publiée, C.F. T-1583-84, 6 mai 1988, le protonotaire-chef adjoint Giles, appel rejeté par le juge en chef adjoint Jerome le 6 juin 1988). Toutefois, il ne s'agit pas ici d'enga- gements implicites dont on peut être délié, mais plutôt d'ordonnances de cette Cour et de la Cour
d'appel enjoignant de sceller des documents pour motif de confidentialité. Nous devons déterminer si ces ordonnances, dont l'effet est de renforcer tout engagement exprès ou tacite visant l'usage de documents pour l'unique fin de l'action opposant les parties, devraient mainte- nant être modifiées.
Modification des «ordonnances de non-divulga- tion»
Cette Cour a déjà eu l'occasion de statuer sur des requêtes visant à modifier ses propres ordon- nances de non-divulgation. Dans la décision Halli- burton Co. et al. c. Northstar Drillstem Ltd. et al. (1982), 65 C.P.R. (2d) 122 (C.F. ire inst.), le juge Walsh a refusé d'amender une ordonnance de non-divulgation dans la mesure celle-ci s'appli- quait aux renseignements fournis au préalable; il a, en revanche, autorisé la divulgation d'autres ren- seignements confidentiels à des avocats albertains pour leur permettre d'étudier la possibilité d'inten- ter une action en Alberta, mais non de s'en servir en preuve. Dans l'affaire Algonquin Mercantile Corp. c. Dart Industries Canada Ltd. (non publiée, C.F. T-831-82, 4 novembre 1983), le juge McNair a refusé de modifier les conditions d'une ordonnance de non-divulgation, rendue avec le consentement des parties, pour permettre à des personnes n'y étant pas désignées d'avoir accès à des renseignements confidentiels aux fins de donner un avis. Dans l'arrêt Control Data Canada Ltd. c. Senstar Corp., précité, le protonotaire-chef adjoint Giles a refusé de permettre, par ordon- nance, la divulgation de renseignements fournis au préalable, de même que d'autres informations visées par une ordonnance de non-divulgation, dans un cas le requérant cherchait à obtenir l'avis d'un avocat aux Etats-Unis sur la possibilité d'intenter une action sous le régime des lois de ce pays. Le protonotaire-chef adjoint a jugé que l'ac- tion pourrait donner lieu au triplement des dom- mages-intérêts, résultat de nature pénale à son avis.
Dans la décision Apotex Inc. c. Procureur géné- ral du Canada et al. (1986), 10 C.P.R. (3d) 310 (C.F. lie inst.), madame le juge Reed a rejeté la demande de modification des termes d'une ordon- nance antérieure de non-divulgation, présentée par une partie cherchant à interjeter appel du rejet de sa requête en intervention à l'instance. Dans son
examen de la question, le juge a estimé que le principe général de la transparence des procédures judiciaires, établi à la Règle 201(4), ne constituait pas un motif suffisant pour changer l'ordonnance originale enjoignant de sceller le dossier de la cour pour motif de confidentialité. Ce facteur a être pris en compte à l'époque cette première ordon- nance a été rendue. Voici ce qu'affirme à cet égard le juge Reed la page 312]:
Il faut quelque chose de plus qu'un argument fondé sur le principe général de la nature publique des procédures de la Cour comme motif pour modifier l'ordonnance originale— certains changements dans les circonstances ou une raison impérative qui n'ont pas été examinés directement lorsque l'ordonnance a été prise.
Le requérant soutient que l'espèce répond à ce critère: il y aurait, en effet, changement dans les circonstances puisque le ministre du Revenu natio nal tente maintenant de déterminer exactement l'assujettissement de la demanderesse à l'impôt sur le revenu, question qui n'a pas été examinée lors- que l'ordonnance a été prise. De plus, la volonté de permettre au ministre d'examiner les renseigne- ments demandés dans l'exécution des fonctions qui lui incombent en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu constituerait une raison impérative pour modifier les ordonnances.
La vérification qu'a demandée le ministre porte apparemment sur les prix qu'a payés la société canadienne intimée pour s'approvisionner en cimé- tidine auprès de fournisseurs liés non résidants. Le requérant déduit du jugement qu'a rendu le juge Strayer dans l'instance originale, ainsi que des renseignements fournis par son avocat lors de l'au- dition d'appel, que la société canadienne intimée a acheté le médicament à un prix supérieur à celui du marché international. A mon avis toutefois, rien dans les motifs du juge Strayer ou dans le dossier de la Cour concernant les procédures anté- rieures ne permet de voir dans cette déduction autre chose qu'une simple spéculation.
Selon les intimés, les circonstances présentes ne constituent pas une raison impérative de modifier l'ordonnance. Ils soulignent que le requérant n'a pas fait la preuve de l'impossibilité pour le ministre d'arriver à ses fins grâce aux autres renseigne- ments dont il dispose ou aux pouvoirs qui lui sont conférés par la Loi de l'impôt sur le revenu, sans que soient modifiées les ordonnances de non-divul- gation. Ils font également ressortir le fait que les
renseignements demandés découlent d'ordonnan- ces de production visant des intimés autres que la société canadienne dont le ministre vérifie l'assu- jettissement à l'impôt.
Conclusion
Je ne suis pas convaincu que le requérant ait répondu au critère établi dans la décision Apotex. Certes, je conviens que l'examen de l'assujettisse- ment à l'impôt dont fait l'objet la société cana- dienne intimée n'est pas un facteur ayant été retenu du moins lorsque des «ordonnances de non- divulgation» ont été prises; en un sens, il s'agit donc d'une circonstance nouvelle. Mais ce n'est pas un changement dans les circonstances reliées aux questions qui opposaient les parties dans l'action aux fins de laquelle les renseignements ont été fournis. Il s'agit en fait d'une situation entièrement nouvelle et je ne suis pas persuadé qu'elle constitue une raison impérative pour modifier les ordonnan- ces. Encore que je ne doute pas que le ministre du Revenu national ait tout intérêt à avoir accès aux documents demandés en l'espèce, lesquels se trou- vent, par coïncidence, dans les dossiers de la Cour ils ont été scellés pour motif de confidentialité dans le cadre de l'action valablement introduite par les intimés.
En principe, lorsque le tribunal ordonne, avec le consentement des parties, que des documents soient scellés dans le meilleur intérêt de la justice, il faut une raison vraiment impérative pour modi fier ces ordonnances, surtout dans les cas le motif de la demande d'accès n'est aucunement relié—et est dans ce sens accessoire ou ultérieur— à l'action au cours de laquelle les documents sont produits et scellés. Seuls des cas tout à fait excep- tionnels pourraient justifier le changement d'une ordonnance de non-divulgation dans ces circons- tances. En fait, même en l'absence d'une ordon- nance, la Cour pourrait fort bien empêcher l'utili- sation de renseignements obtenus au préalable, ou en interdire l'accès, pour les fins d'une action accessoire, en se fondant sur l'existence d'un enga gement implicite à ne se servir de l'information ainsi obtenue qu'aux seules fins de l'action elle est produite: Riddick, précité. Autrement, la con- fiance dans l'intégrité du processus judiciaire, notamment dans le devoir des tribunaux de proté- ger les intérêts des parties en litige, serait ébranlée.
C'est particulièrement le cas, il me semble, lors- que le procureur général est partie à une action dans laquelle des ordonnances de non-divulgation ont été rendues. Le procureur général est investi de la responsabilité de représenter une vaste gamme d'intérêts publics. Or si, par l'entremise de son avocat, il consent à une ordonnance protégeant la confidentialité d'une preuve, ou même s'il y est assujetti sans son consentement, cette ordonnance ne devrait pas être modifiée simplement parce qu'on soulève un autre intérêt public, accessoire à l'action en cours. Seule une raison exceptionnelle justifierait cette modification, sinon les intérêts de la justice, que vise à assurer la procédure actuelle de communication préalable, pourraient être com- promis. En effet, les parties engagées dans des poursuites instituées par la Couronne ou contre elle chercheraient à éviter la divulgation de rensei- gnements dont cette dernière tenterait de se servir, par la suite et quel que soit le résultat de l'instance originale, pour quelque autre fin non reliée à cette première action. Cela pourrait se produire, en particulier, dans les cas le ministre du Revenu national aurait accès aux renseignements contenus dans des dossiers judiciaires scellés, au moment il entreprend de réévaluer l'assujettissement à l'im- pôt d'une partie à une action intéressant la Couronne.
Cette responsabilité du ministre d'évaluer l'assu- jettissement à l'impôt revêt un caractère continu qui ne dépend aucunement des documents ou autres éléments de preuve produits en cette Cour ou devant tout autre tribunal. En l'espèce, le ministre assumait cette responsabilité à l'égard de la société canadienne intimée avant l'introduction de l'action originale, pendant la durée des procédu- res, et il l'assume encore aujourd'hui. Il ne s'agit pas d'une nouveauté, même si la décision apparem- ment prise de mener une vérification spéciale con- cernant l'assujettissement de cette société à l'impôt peut, en soi, constituer une circonstance nouvelle. A mon avis, il ne s'agit donc pas d'une raison impérative pour modifier aujourd'hui les ordon- nances de non-divulgation rendues antérieurement dans l'action opposant les parties et avec le consen- tement du requérant.
Vu cette conclusion, il n'y a pas lieu d'examiner la question de savoir si cette Cour a compétence pour modifier une ordonnance de la Cour d'appel.
La question ne se poserait, en effet, que s'il conve- nait de modifier des ordonnances émanant de la Section de première instance, ce qui, à mon avis, n'est pas le cas en l'espèce.
En conséquence, la requête du procureur général du Canada est rejetée, avec dépens en faveur des intimés.
À l'audition, les intimés avaient présenté une requête visant à faire exécuter certaines disposi tions de l'ordonnance de non-divulgation du juge en chef adjoint Jerome, en date du 14 février 1985, ainsi qu'à obtenir la remise, en vertu des Règles 201(5) et 342, de renseignements confidentiels déposés aux dossiers de la Cour. Cette requête a été ajournée à une date indéterminée avec le con- sentement des parties.
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