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A-13-86
Pizza Pizza Limited (appelante)
c.
Registraire des marques de commerce (intimé)
RÉPERTORIÉ: PIZZA PIZZA LTD. c. CANADA (REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE) (CA.)
Cour d'appel, juges Pratte, Urie et MacGuigan, J.C.A—Toronto, 25 mai; Ottawa, 6 juin 1989.
Marques de commerce Enregistrement Appel du jugement qui rejetait l'appel formé contre le refus d'enregis- trer la combinaison «967-1111» comme la marque de com merce d'une entreprise qui offre des pizzas à emporter La combinaison «967-l111» est le numéro de téléphone des points de vente dans la région torontoise Ce numéro figure sur toutes les boites contenant le produit, dans tous les dépliants publicitaires et les enseignes Il y a eu une publicité impor- tante Appel accueilli C'est à tort que le juge de première instance et le registraire ont décidé que ce numéro n'était pas une marque de commerce au sens de la définition figurant à l'art. 2 Le fait qu'il s'agisse d'un numéro de téléphone n'empêche pas l'enregistrement La combinaison n'est pas uniquement fonctionnelle La marque est hautement indica- trice de l'appelante et de ses produits Elle remplit les trois conditions de marque de commerce posées par l'art. 2 Le juge de première instance a également commis une erreur en statuant qu'un numéro de téléphone n'est pas enregistrable L'enregistrement d'une marque de commerce confère un mono- pole uniquement pour son usage en liaison avec les marchan- dises et services pour lesquels l'enregistrement est accordé.
Appel est interjeté de la décision par laquelle la Section de première instance a rejeté l'appel formé contre le refus du registraire d'enregistrer la combinaison «967-1I11» comme la marque de commerce de l'entreprise de l'appelante qui offre des pizzas à emporter. Les points de vente de la région torontoise utilisent la combinaison «967-1 I I sur toutes les boîtes conte- nant le produit, dans tous les dépliants publicitaires et les enseignes. Il s'agit également du numéro de téléphone de tous ces points de ventes. Le registraire et le juge de première instance ont décidé que la combinaison 0967-11 II» ne corres- pondait pas à la définition de marque de commerce figurant dans la loi. Le juge de première instance a conclu en outre que nul ne peut conférer un monopole à une séquence de sept chiffres et pouvant constituer un numéro de téléphone. La question se pose de savoir si la combinaison numérique est une marque de commerce enregistrable.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
Le juge Pratte, J.C.A.: La jurisprudence invoquée pour étayer l'idée qu'un numéro de téléphone n'est pas enregistrable peut faire l'objet d'une distinction. Les marques qui ont été jugées fonctionnelles faisaient partie des marchandises à l'égard desquelles l'enregistrement a été demandé, de sorte que l'enre- gistrement de ces marques aurait conféré aux requérants un monopole sur les éléments fonctionnels de leurs marchandises; les requérants auraient obtenu des brevets sous forme de mar- ques de commerce. Comme la marque de commerce en l'espèce
n'est pas fonctionnelle dans ce sens, son caractère fonctionnel n'empêche pas l'enregistrement.
Le juge Urie, J.C.A. (avec l'appui du juge MacGuigan, J.C.A.): Le fait qu'un numéro de téléphone ait pour but de permettre à une personne d'établir une communication à l'aide d'un appareil en particulier n'empêche pas l'enregistrement de ce numéro, compte tenu de la jurisprudence invoquée par le registraire et le juge de première instance. La combinaison «967-l111» n'était pas uniquement fonctionnelle. Elle n'était pas utilisée uniquement pour indiquer la qualité, la grosseur ou quelque chose de ce genre. Bien qu'il existât un élément fonctionnel dans son utilisation comme numéro de téléphone, telle n'était pas son unique fonction. La combinaison a délibéré- ment été choisie parce qu'elle était propre à faire reconnaître la source des produits de l'appelante et les niveaux de qualité qui sont liés à ces produits, et la marque est maintenant hautement indicatrice de Pizza Pizza Limited et de ses produits et distin- gue les produits et services de celle-ci de ceux d'autrui. Elle remplit les trois conditions de la définition de marque de commerce figurant à l'article 2.
C'est également à tort que le juge de première instance a statué que nul ne peut conférer un monopole à un numéro de téléphone. L'enregistrement d'une marque de commerce con- fère un monopole sur cette séquence exacte de chiffres, unique- ment pour son usage en liaison avec les marchandises et services pour lesquels l'enregistrement est accordé.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10, art. 2, 12, 36.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Parke, Davis & Co., Ltd. v. Empire Laboratories Ltd., [1964] R.C.É 399; (1963), 41 C.P.R. 121; confirmé, [1964] R.C.S. 351; Elgin Handles Ltd. v. Welland Vale Mfg. Co. Ltd., [1965] 1 R.C.É 3; (1964), 43 C.P.R. 20; W.J. Hughes & Sons «Corn Flower» Ltd. v. Morawiec (1970), 62 C.P.R. 21 (C. de l'É.); Adidas (Canada) Ltd. v. Colins Inc. (1978), 38 C.P.R. (2d) 145 (C.F. 1" inst.).
DÉCISION RENVERSÉE:
Pizza Pizza Ltd. c. Canada (Registraire des marques de
commerce) (1985), 7 C.P.R. (3d) 428 (C.F. l'° inst.).
DOCTRINE
Fox, H. G. The Canadian Law of Trade Marks and Unfair Competition, 3' éd. Toronto: Carswell, 1972.
AVOCATS:
Marilyn Field -Marsham et Donna White
pour l'appelante.
Marlene I. Thomas pour l'intimé.
PROCUREURS:
Osier, Hoskin & Harcourt, Toronto, pour l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE, J.C.A.: Je conviens avec mon collègue le juge Urie que le présent appel devrait être accueilli.
L'avocate de l'intimé a tenté d'étayer la décision de la Section de première instance [(1985), 7 C.P.R. (3d) 428] en invoquant un seul motif, savoir qu'un numéro de téléphone n'est pas enre- gistrable à titre de marque de commerce parce que, selon la jurisprudence', une marque qui est principalement conçue pour remplir une fonction ne peut faire l'objet d'une marque de commerce. Ce point de vue dénote, à mon avis, une interpréta- tion totalement erronée de cette jurisprudence. Dans ces affaires, les marques qui ont été jugées fonctionnelles faisaient, en fait, partie des mar- chandises à l'égard desquelles l'enregistrement a été demandé, de sorte que l'enregistrement de ces marques aurait conféré aux requérantes un mono- pole sur les éléments ou caractéristiques fonction- nelles de leurs marchandises; les requérantes auraient en fait obtenu des brevets sous forme de marques de commerce. La situation est tout à fait différente en l'espèce. La marque de commerce dont l'appelante a demandé l'enregistrement n'est pas fonctionnelle dans ce sens; pour cette raison, son caractère fonctionnel ne la rend pas «non enregistrable».
Je suis d'avis de statuer sur l'appel de la manière proposée par mon collègue le juge Urie.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE, J.C.A.: Appel est interjeté du jugement par lequel le juge Muldoon de la Section
Parke, Davis & Co., Ltd. v. Empire Laboratories Ltd.,
[1964] R.C.É. 399; (1963), 41 C.P.R. 121 confirmé, [1964] R.C.S. 351.
Elgin Handles Ltd. v. Welland Vale Mfg. Co. Ltd., [1965] 1 R.C.É. 3; (1964), 43 C.P.R. 20.
de première instance a rejeté l'appel formé par l'appelante contre une décision du registraire des marques de commerce qui l'a déboutée de sa demande présentée en vue d'enregistrer, à titre de marque de commerce, la combinaison numérique «967-1111». Les faits pertinents, dont aucun n'a été contesté, sont les suivants:
L'appelante possède, exploite des restaurants et offre des repas à emporter, des services de livraison de repas en liaison notamment avec des pizzas, des raviolis, des spaghettis et des sous-marins. Elle accorde également des franchises relativement à ces opérations. À ce que je vois, au moment de l'instruction, plus de soixante points de vente exploités par le propriétaire ou donnés en franchise existaient dans la région de la Communauté urbaine de Toronto. Tous ces points de vente sont essentiellement identiques et utilisent, dans une grande mesure, la marque de commerce «967- 1111» de l'appelante, qui se trouve également être le numéro de téléphone de tous ces points de vente, soit en tant qu'entrepise exploitée par le proprié- taire, soit en vertu de la licence accordée par l'appelante au franchisé pour l'exploitation de ces points de vente.
Selon la preuve, l'appelante a adopté la marque de commerce «967-1111» dans le dessein de l'utili- ser sur tous les produits et dans toutes les annonces afin de distinguer, ou de manière à distinguer ses produits de ceux d'autrui. Cette marque a fait l'objet d'une utilisation et d'une annonce impor- tantes. Elle se trouve sur toutes les boîtes conte- nant le produit utilisées dans la région torontoise, dans tous les dépliants publicitaires et les enseignes et ce, en caractères en relief. L'intimé ne conteste pas le fait que la combinaison numérique «967- 1111», comme l'utilise l'appelante, apparaît comme un élément séparé et distinct, qui a une existence propre et qui crée une distinction réelle ou essentielle entre l'appelante et d'autres com- merçants et entre ses produits et ceux d'autrui. La seule question se pose de savoir si elle est une marque de commerce enregistrable en vertu de la Loi sur les marques de commerce [S.R.C. 1970, chap. T-10] («la Loi»)?
L'appelante, à l'aide d'experts en matière de linguistique et de commercialisation, a produit la preuve qu'un nombre de sept chiffres peut distin- guer les marchandises et services sur le marché de
détail et que, par l'importance de l'utilisation et de l'annonce de la marque par l'appelante, la combi- naison numérique «967-1111» sert effectivement à identifier l'appelante et à distinguer ses marchan- dises et services de ceux d'autrui. À mon avis, le juge de première instance a à juste titre donné peu de poids à cette preuve sous forme d'affidavit. La fonction de la marque et sa capacité d'être une marque de commerce constituent la question même que le registraire doit trancher et, bien qu'il puisse recevoir des éléments de preuve pour l'aider dans sa décision, c'est lui qui décide du poids à leur accorder, s'il en est, comme doit le faire le juge à l'occasion d'un appel devant la Section de première instance.
Le 24 janvier 1984, l'intimé a rejeté la demande présentée par l'appelante en vue de l'enregistre- ment de la combinaison numérique «967-1111» pour le motif que l'objet de la demande n'était pas une marque de commerce au sens de l'article 2 de la Loi. Cet article est ainsi rédigé:
2. Dans la présente loi
«marque de commerce» signifie
a) une marque qui est employée par une personne aux fins ou en vue de distinguer des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par elle, de marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou de services loués ou exécutés, par d'autres,
b) une marque de certification,
c) un signe distinctif, ou
d) une marque de commerce projetée;
Le 20 décembre 1985, le juge Muldoon a débouté l'appelante de son appel formé contre le rejet de sa demande par le registraire. Il a con firmé la décision de celui-ci selon laquelle la com- binaison numérique «967-1111» n'est pas une marque de commerce au sens de l'article 2 et, en outre, il a conclu que nul ne peut enregistrer une marque conférant un monopole, consistant en une séquence de sept chiffres et constituant ou pouvant constituer un numéro de téléphone. C'est contre ce jugement que le présent appel est formé.
La conclusion du juge de première instance se trouve dans les extraits suivants de ses motifs 2:
2 (1985), 7 C.P.R. (3d) 428 (C.F. I" inst.), aux pages 430 et 431.
Il existe de bonnes raisons pour refuser d'assimiler un numéro de téléphone (quelle que soit la séquence de sept chiffres qui le compose) à une marque de commerce. Une marque de commerce confère un monopole dans tout le Canada. Elle doit être employée par, dans le cas qui nous occupe, une société «aux fins ou en vue de distinguer les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par elle, de marchandises fabri- quées, vendues, données à bail ou louées ou de services loués ou exécutés, par d'autres», pour reprendre les termes utilisés dans la définition donnée par l'article 2 de la Loi. Une marque de commerce enregistrée confère au propriétaire et à ceux qui agissent en son nom ou par son intermédiaire, le droit de demander et d'obtenir probablement que des mesures strictes soient prises à l'égard de quiconque la contrefait au Canada.
Un numéro de téléphone est une séquence de signaux électri- ques donnée par l'exploitant du service téléphonique à un abonné de façon que l'appareil de ce dernier puisse recevoir des appels à partir de n'importe quel autre appareil de la région, du système ou du réseau téléphonique. Au fond, cette séquence numérique de sept chiffres appartient au système téléphonique, si ce n'est aux propriétaires et aux exploitants du système. Il s'agit d'un élément essentiel du système téléphonique, parfois composé de lettres de l'alphabet, mais la plupart du temps de chiffres, qui correspond toujours à la séquence de signaux électriques requise pour établir la communication avec l'appa- reil auquel le service public a attribué la séquence.
Il est évident que ni une loi canadienne ni un fonctionnaire fédéral ni le registraire dans l'exercice des pouvoirs que lui confère cette loi, ne peut accorder un monopole à l'égard d'une marque de commerce correspondant à un numéro de téléphone. Bell Canada, à titre de service téléphonique ayant attribué à l'appelante le numéro 967-1111 dans la région de Toronto, pourrait se voir dans l'obligation, à tout moment, en raison des exigences de ces circuits, de ses centraux locaux ou régionaux ou encore de conventions interprovinciales, de donner un autre numéro à l'appelante et le numéro de celle-ci à un autre abonné, ou peut-être même de rayer le numéro tout simple- ment. Qu'advient-il alors de la marque de commerce enregis- trée? Dans les provinces de l'Ouest, les services téléphoniques sont la propriété de la Couronne du chef de chacune des provinces. Ces entreprises d'État sont-elles liées par la marque de commerce de l'appelante une fois enregistrée? Chaque ser vice téléphonique canadien aurait-il l'obligation de réserver ou de rayer le numéro 967-1111 du fait qu'il s'agit d'une marque de commerce enregistrée et de crainte qu'il ne soit employé en liaison avec des marchandises ou des services de nature commerciale?
Il serait absurde d'en arriver à de telles situations, ce qui justifie amplement la décision du registraire selon laquelle 967-1111, ou tout autre numéro de téléphone au Canada, ne saurait constituer une marque de commerce au sens de la Loi sur les marques de commerce.
Nul ne peut enregistrer une marque conférant un monopole, consistant en une séquence de sept chiffres et constituant ou pouvant constituer un numéro de téléphone, bien que cette règle ne s'applique pas nécessairement à l'égard de séquences plus courtes ou plus longues composées de chiffres, à moins qu'elles aient des caractéristiques identiques ou semblables.
Le registraire intimé a, dans sa décision, exprimé son point de vue quant à la raison pour laquelle la combinaison numérique n'était pas enregistrable à titre de marque de commerce:
Le Webster's New International Dictionary (3» édition) défi- nit un numéro de téléphone de la façon suivante: [TRADUC- TION] «Un numéro associé à un appareil téléphonique et utilisé par une personne pour communiquer avec cet appareil». Je suis d'avis que, par définition, un numéro de téléphone a pour but de permettre à une personne d'établir une communication à l'aide d'un appareil en particulier, qu'il ne peut servir à distin- guer les marchandises et services de la requérante de ceux d'autres personnes et que, par conséquent, il ne peut être visé par la définition d'une marque de commerce donnée par la loi.
Le numéro faisant l'objet de cette demande ne constituant pas une marque de commerce au sens de la Loi sur les marques de commerce, cette demande visant son enregistrement à titre de marque de commerce est donc rejetée.
Dans son mémoire, l'avocate de l'appelante fait valoir en premier lieu que tant l'intimé que le juge Muldoon ont eu tort de décider que la définition de «marque de commerce» figurant à l'article 2 de la Loi n'incluait pas la combinaison numérique «967- 1111» qui faisait l'objet de la demande de l'appe- lante et, en second lieu, que c'est à tort que le juge a confirmé la décision du registraire en se fondant sur les répercussions que pourrait avoir sur le service téléphonique l'enregistrement de l'objet de la demande de l'appelante, alors qu'il n'existe aucune preuve qui étaye une telle spéculation.
Les décisions de l'intimé et du juge de première instance semblent reposer sur l'idée qu'un numéro de téléphone «a pour but de permettre à une personne d'établir une communication à l'aide d'un appareil en particulier». Il n'y a pas de doute que cela est vrai. Mais la question se pose alors de savoir si ce «but» empêche l'enregistrement du numéro sur la base de la jurisprudence dégagée par les affaires suivantes, sur lesquelles tant le registraire que le juge semblent s'être appuyés:
Le juge Noël (tel était alors son titre) de la Cour de l'Échiquier a rendu la décision Parke, Davis & Co., Ltd. v. Empire Laboratories Ltd., [1964] R.C.É. 399; (1963), 41 C.P.R. 121, il a conclu [aux pages 419 R.C.É.; 141 C.P.R.] que la présumée marque, qui était une pellicule de cou- leur qui joignait deux moitiés d'une capsule conte- nant des préparations pharmaceutiques, était inva- lide à titre de marque de commerce parce qu'elle [TRADUCTION] «monopolise sans aucun doute ... toutes les formes des parties fonctionnelles des
capsules scellées par la pellicule de couleur». (C'est moi qui souligne.)
La Cour de l'Échiquier a également rendu une décision dans l'affaire Elgin Handles Ltd. v. Wel- land Vale Mfg. Co. Ltd., [1965] 1 R.C.É. 3; (1964), 43 C.P.R. 20. La marque dont on deman- dait la radiation consistait dans un dessin était plus foncée la couleur de la fibre du bois des poignées des outils, dont la surface avait été durcie par la chaleur, pour correspondre à la fin désirée. Le président Jackett (tel était alors son titre) s'est exprimé en ces termes aux pages 7 R.C.E.; 24 C.P.R. du recueil:
[TRADUCTION] Je suis donc arrivé à la conclusion que, d'après la preuve, le procédé de durcissement par la chaleur vise essentiellement à améliorer les poignées de bois en tant qu'articles de commerce et a donc une caractéristique ou un usage fonctionnel. Il s'ensuit que la modification de la forme du bois qui est la conséquence normale du durcissement par la chaleur ne saurait constituer une marque de commerce [C'est moi qui souligne.]
Dans les deux affaires W.J. Hughes & Sons «Corn Flower» Ltd. v. Morawiec (1970), 62 C.P.R. 21 (C. de l'É.); et Adidas (Canada) Ltd. v. Colins Inc. (1978), 38 C.P.R. (2d) 145 (C.F. r e inst.), les présumées marques—il s'agissait d'un dessin incrusté dans la verrerie dans la première et de trois rayures sur les vêtements de sport dans la seconde—remplissaient seulement des fonctions ornamentales dans chaque cas et ne pouvaient être des marques de commerce.
J'estime que toutes ces quatre décisions peuvent facilement faire l'objet d'une distinction. En pre mier lieu, il n'a pas été allégué en l'espèce que la combinaison numérique était destinée à une fin d'ornementation. En deuxième lieu, on ne saurait dire non plus, comme l'avocate l'a indiqué, qu'elle est uniquement fonctionnelle. L'avocate voulait dire par que la combinaison n'était pas utilisée uniquement pour indiquer la qualité, la grosseur ou quelque chose de ce genre concernant les mar- chandises de l'appelante. Si c'était le cas, elle ne serait pas susceptible d'enregistrement en vertu de l'alinéa 12(1)b) de la Loi, parce qu'il s'agit d'une description ou d'une description trompeuse des marchandises. À mon avis, bien qu'il existe certai- nement un élément fonctionnel dans son utilisation par l'appelante, c'est-à-dire que pour passer une commande par téléphone pour l'un quelconque des produits de l'appelante, la combinaison numérique
qui est le numéro de téléphone attribué par le service téléphonique à l'appelante doit être utilisée, telle n'est pas son unique fonction. Plutôt, elle est complètement sans rapport avec les marchandises elles-mêmes, ce qui ne serait pas le cas, par exem- ple, de la partie numérotée d'un produit correspon- dant simplement à un usage fonctionnel. Il est vrai qu'on ne saurait dire que le choix par l'appelante de la combinaison numérique correspondant à son numéro de téléphone a été fortuit. Il s'agissait d'un choix délibéré fait par le président actuel de l'ap- pelante, Michael Overs, parmi les 20 ou 30 choix qui s'offraient à lui [TRADUCTION] «parce qu'elle était en soi propre à être utilisée par Pizza Pizza Limited pour faire reconnaître à ses clients et à ses clients éventuels la source des produits de Pizza Pizza Limited et les niveaux de qualité qui ont été et sont maintenant liés à ces produits» 3 , et la marque est maintenant [TRADUCTION] «haute- ment indicatrice de Pizza Pizza Limited et de ses produits, et distingue les produits et services de celle-ci de ceux d'autrui» 4 .
Aucune partie du témoignage précédent n'a été contredite ou même contestée. Cela étant, il s'agit d'une marque de commerce, et je ne vois pas pourquoi le simple fait qu'elle serve également de numéro de téléphone de l'appelante peut la priver de son caractère enregistrable. Elle correspond à la définition de «marque de commerce» figurant à l'article 2 de la Loi parce que
a) elle est une marque qui est employée par une personne (une société)
b) elle est employée aux fins de distinguer les marchandises fabriquées ou vendues par elle, et
c) elle distingue ces marchandises de celles ven- dues par d'autres.
Cela étant, à l'occasion d'une demande d'enre- gistrement, s'il n'est pas convaincu en vertu du paragraphe 36(1) que la marque de commerce ne devrait pas être enregistrée, le registraire doit l'en- registrer', en l'absence d'une opposition qui abou-
3 Dossier d'appel, p. 154, par. 7.
4 Dossier d'appel, p. 155, par. 10.
5 Fox, H. G. The Canadian Law of Trade Marks and Unfair Competition, 3e éd., Toronto: Carswell, 1972, p. 81.
tit, à condition que l'enregistrement de la marque ne soit pas prohibé par le paragraphe 12(1) 6 . Même si elle ne remplit pas les critères du carac- tère enregistrable en vertu de ce paragraphe, il est possible qu'elle soit susceptible d'être enregistrée sous le régime du paragraphe 12(2) si elle a été employée au Canada de façon à caractériser le requérant.
Par tous ces motifs, j'estime que le registraire a eu tort de rejeter la demande d'enregistrement de la marque de l'appelante pour les motifs sur les- quels il a fondé son opposition. En conséquence, j'estime en outre que le juge de première instance a eu tort de débouter l'appelante de son appel du rejet de la demande par le registraire; l'appel dont est saisie cette Cour doit être par conséquent accueilli.
Je ne devrais pas mettre un point final à l'affaire sans faire remarquer que, à mon avis, le juge de première instance s'est trompé lorsqu'il a dit sans réserve la page 431 ] que «Nul ne peut enregis- trer une marque conférant un monopole, consistant en une séquence de sept chiffres et constituant ou pouvant constituer un numéro de téléphone . . .N. Il n'a cité aucune jurisprudence pour étayer cette idée puisque j'ai le sentiment qu'aucune jurispru dence de ce genre n'existe. Il y a plus important encore, l'octroi de l'enregistrement d'une marque de commerce, qu'il s'agisse d'un nombre en combi- naison ou non, confère un monopole sur cette séquence exacte de chiffres, qu'il s'agisse d'un numéro de téléphone ou non, uniquement pour son usage en liaison avec les marchandises et services
6 12. (1) Sous réserve de l'article 13, une marque de com merce est enregistrable si elle ne constitue pas
a) un mot n'étant principalement que le nom ou le nom de famille d'un particulier vivant ou qui est décédé dans les trente années précédentes;
b) peinte, écrite ou prononcée, soit une description claire, soit une description fausse et trompeuse, en langue anglaise ou française, de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l'égard desquels on projette de l'employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui y sont employées, ou du lieu d'origine de ces marchandises ou services;
e) le nom, dans quelque langue, de l'une des marchandises ou de l'un des services à l'égard desquels elle est employée, ou à l'égard desquels on projette de l'employer;
d) une expression créant de la confusion avec une marque de commerce déposée; ou
e) une marque dont l'article 9 ou 10 interdit l'adoption.
pour lesquels l'enregistrement est accordé. Autant que je sache, cet enregistrement n'entravera pas non plus, de quelque façon que ce soit, l'exercice par le service téléphonique de ses droits. Si, après que l'affaire lui a été renvoyée, le registraire juge bon d'accueillir la demande d'enregistrement, l'ar- ticle 36 l'oblige à faire annoncer la demande de la manière prescrite. Le service téléphonique peut, en conséquence, s'opposer à l'enregistrement connu à ce moment. Si ce service n'est pas satisfait de la décision du registraire de permettre l'enregistre- ment malgré son opposition, d'autres voies de recours lui sont ouvertes pour faire redresser le préjudice perçu.
J'accueillerais donc l'appel, j'infirmerais le juge- ment dont appel et je renverrais l'affaire à l'intimé pour qu'il procède à un nouvel examen de la demande d'enregistrement présentée par l'appe- lante.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: Je souscris aux motifs de jugement prononcés par le juge Urie, J.C.A., et à la manière de statuer sur l'affaire qu'il a proposée.
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