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T-210-88
Sa Majesté la Reine (demanderesse) (appelante)
c.
Marcel Dumais (défendeur) (intimé)
RÉPERTORIE: DUMAIS C. M.R.N. (Ire INST.)
Section de première instance, juge Dubé—Québec, 12 octobre; Ottawa, 23 novembre 1989.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Gain en capital Effet de l'art. 1292 du Code civil sur la responsabilité à l'égard de l'impôt sur le gain en capital découlant de la disposition d'un bien immobilier qui faisait partie de la masse commune de biens en vertu du régime matrimonial québécois de la communauté de biens et d'acquêts En vertu de ce régime, le mari et la femme sont copropriétaires du terrain Toutefois, puisque le mari administre les biens de la commu- nauté et qu'il a la jouissance sans restrictions des revenus que la communauté produit, dont le gain en capital, il doit payer l'impôt sur tous les gains en capital La femme n'est pas assujettie à l'impôt sur le gain en capital puisqu'elle n'a pas la libre disposition des revenus réalisés lors de la vente L'arrêt rendu par la Cour suprême en 1961 dans l'affaire Sura v. The Minister of National Revenue s'applique encore malgré les modifications apportées en 1964 au Code civil L'impôt devrait atteindre tous les Canadiens également; il est inéquita- ble que les contribuables d'une province soient favorisés par le biais d'une loi provinciale face à l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu.
L'intimé s'est marié au Québec en 1950 sous le régime matrimonial légal de la communauté de biens, qui a changé de nom pour devenir depuis la communauté de meubles et acquêts. En 1973, l'intimé a acquis un terrain dont il a vendu une partie en 1982, réalisant un gain de 63 118 $ dont la partie imposable était de 31 559 $. Dans sa déclaration d'impôt de 1982, il a indu seulement la moitié de cette somme. Le ministre établi une nouvelle cotisation en partant du principe que l'intimé était redevable de l'impôt sur tout le gain en capital imposable. Il s'agit d'un appel formé contre la décision par laquelle la Cour canadienne de l'impôt a statué que l'intimé n'était redevable de l'impôt que sur la moitié du gain en capital imposable.
Jugement: l'appel devrait être accueilli.
Il s'agit de déterminer si la notion de propriété dans la Loi est déterminante du sort du litige, ou si elle est subordonnée aux règles du Code civil (particulièrement son article 1292) régissant la communauté de meubles et acquêts. L'arrêt rendu en 1961 par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Sura c. The Minister of National Revenue s'applique encore. Dans cette affaire, la question était de savoir si, pour les fins de l'impôt, le revenu de la communauté des biens provenant du salaire et des loyers immobiliers du contribuable était à lui seul, ou si ce revenu était pour moitié celui de sa femme. Il a été tout d'abord énoncé que la Loi de l'impôt sur le revenu visait généralement à frapper d'impôt sur le revenu la personne et non les biens, et que seul devait payer l'impôt sur le revenu celui qui en avait la jouissance absolue. Bien qu'on ait reconnu que la femme était copropriétaire des biens de la communauté, la
Cour a conclu que puisqu'elle ne touchait aucun revenu des biens de la communauté avant la dissolution de celle-ci, elle n'était pas assujettie à l'impôt sur le revenu de la communauté.
Il y a à déterminer en l'espèce qui a réalisé le gain en capital et par conséquent qui était imposable. En dépit d'une modifica tion apportée en 1964 au Code civil, restreignant ainsi le pouvoir du mari de disposer des biens communs, c'est toujours lui qui administre les biens de la communauté et qui a la jouissance sans restrictions des revenus que la communauté produit, dont le gain en capital. Il s'ensuit que pour la femme commune en biens ne peut être assujettie à l'impôt sur le gain en capital du seul fait qu'elle est copropriétaire d'un bien si elle ne jouit pas du droit à la libre disposition des revenus réalisés lors de sa vente.
Il convient de souligner qu'il serait inéquitable que les contri- buables d'une province soient favorisés par le biais d'une loi provinciale face à l'application de la Loi, qui doit viser égale- ment tous les contribuables canadiens.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Code civil du Bas-Canada, art. 1292 (S.Q. 1930-31, chap, 101, art. 16; mod. par S.Q. 1964, chap. 66, art. 12; 1974, chap. 70, art. 443), 1268 à 1450.
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 39, 40(4)a), 54c),e),n,h).
JURISPRUDENCE
DECISION SUIVIE:
Sura v. The Minister of National Revenue, [1962] R.C.S. 65; (1961), 32 D.L.R. (2d) 282; [1962] C.T.C. 1; 62 DTC 1005.
DECISION INFIRMÉE:
Dumais (M.) c. M.R.N., [1988] 1 C.T.C. 2205; 88 DTC 1229.
DISTINCTION FAITE AVEC:
R. v. Poynton, [1972] 3 O.R. 727; (1972), 29 D.L.R. (3d) 389; 9 C.C.C. (2d) 32; [1972] CTC 412; 72 DTC 6329 (CA.); R. c. Savage, [1983] 2 R.C.S. 428; [1983] CTC 393; 83 DTC 5409; 50 N.R. 321; Gagnon c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 264; (1986), 25 D.L.R. (4th) 481; [1986] 1 CTC 410; 86 DTC 6179; 65 N.R. 321; 1 R.F.L. (3d) 113.
DECISION EXAMINÉE:
Laporte, R. c. M.R.N. (1984), 84 DTC 1208; [1984] CTC 2260 (CCI).
DÉCISIONS CITÉES:
MRN c. Faure F., succession, [ 1975] CTC 136; 75 DTC 5076; 9 N.R. 61 (C.A.F.); Curlett v. Minister of Natio nal Revenue, [1962] R.C.S. vii; 62 DTC 1320; Ministre du Revenu national c. Simon et autre, [1977] 2 R.C.S. 812; (1977), 76 D.L.R. (3d) 562; [1977] CTC 340; 77
DTC 5228; 15 N.R. 589; 28 R.F.L. 363; Garant (I) c. La Reine, [1985] 1 CTC 153; (1985), 86 DTC 6256 (C.F. 1"° inst.); dossier en appel A-287-85.
DOCTRINE
Baudouin, Jean-Louis. «Examen Critique de la Réforme sur la Capacité de la Femme Mariée Québécoise» (1965), 43 R. du B. Can. 393.
Beauregard, Pierre-Jean. «Interaction du droit civil et de la Loi de l'impôt», Report of Proceedings of the Thirty-seventh Tax Conference. L'Association Cana- dienne d'Études Fiscales, 1985.
Caparros, Ernest. Les régimes matrimoniaux au Québec, éd., Montréal: Wilson & Lafleur, 1985.
Comtois, Roger. Traité théorique et pratique de la com- munauté de biens, Montréal: Le Recueil de droit et de jurisprudence, 1964.
Dionne, André et Turcot, Michel. «Aspects fiscaux des diverses étapes de la vie conjugale selon le nouveau droit familial: IV Imposition pendant la durée du régime», [1981] C.P. du N. 401.
Mayrand, Albert. «Commentaires, Impôt sur le revenu— Revenu du mari commun en biens—Nature du droit de la femme sur les biens de la communauté» (1962), 40 R. du B. Can. 256.
Pineau, Jean et Burman, Danielle. Effets du mariage et régimes matrimonaiux, Montréal: Thémis, 1984.
AVOCATS:
Roger Roy pour la demanderesse (appelante). Daniel Dumais pour le défendeur (intimé).
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la demanderesse (appelante).
Daniel Dumais, Chicoutimi (Québec) pour le défendeur (intimé).
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE DUBÉ: Cet appel cherche à infirmer une décision de la Cour canadienne de l'impôt', selon laquelle l'intimé n'était redevable de l'impôt que sur la moitié du gain en capital imposable provenant de la disposition en 1982 d'un bien immobilier faisant partie de la masse commune de biens en vertu du régime matrimonial québécois de la communauté de meubles et acquêts 2 .
' Dumais (M.) c. M.R.N., [1988] 1 C.T.C. 2205; 88 DTC 1229.
2 Code civil du Bas-Canada, art. 1268à 1450.
Selon l'appelante, l'intimé doit être imposé sur la totalité du gain en capital imposable.
Les faits ne sont pas contestés. L'intimé s'est marié en 1950 sans contrat de mariage, alors que le régime légal était celui de la communauté de biens. Ce régime matrimonial est demeuré inchangé depuis. En 1973, l'intimé a acquis à même le produit de son travail un terrain dont il a revendu une partie en 1982, réalisant un gain de 63 118 $ dont la partie imposable était de 31 559 $. Dans le calcul de son revenu pour l'année d'imposition 1982, l'intimé n'a inclus que la moitié de cette somme.
L'appelante ne conteste pas la qualification du terrain comme étant un bien commun'.
Dans la décision dont appel, la Cour était d'avis que l'épouse de l'intimé était devenue coproprié- taire du terrain au moment de son acquisition et qu'elle l'était encore au moment de sa disposition. Elle devait alors être imposée sur l'autre moitié du gain en capital imposable, conformément aux arti cles 39 et suivants de la Loi de l'impôt sur le revenu du Canada 4 (la «Loi»).
L'alinéa 39(1)a) en vigueur en 1982 se lisait comme suit:
39. (1) Aux fins de la présente loi,
a) un gain en capital d'un contribuable, tiré, pour une année d'imposition, de la disposition d'un bien quelconque, désigne le gain, déterminé conformément aux dispositions de la pré- sente sous-section (jusqu'à concurrence du montant de ce gain qui ne serait pas, si l'on supprimait, dans l'alinéa a) de l'article 3, l'expression «autre qu'un gain en capital imposable résultant de la disposition d'un bien» et si l'on supprimait l'alinéa b) de ce même article 3, inclus dans le calcul de son revenu pour l'année ou pour toute autre année d'imposition) que ce contribuable a tiré, pour l'année, de la disposition d'un bien lui appartenant, autre ... [Mon soulignement.]
Les alinéas 40(4)a) et 54e) et f) auxquels réfère le jugement relient également les notions de gain en capital et de propriété.
Les gains en capital n'étaient pas imposables avant la nouvelle Loi de 1972.
Il s'agit essentiellement de déterminer si la notion de propriété dans la Loi est effectivement déterminante du sort du litige, ou bien si elle doit être subordonnée aux règles régissant la commu-
' Art. 1272 C.c.
4 S.C. 1970-71-72, chap. 63, tel que modifié.
nauté de meubles et acquêts. Pour les fins de la présente, la plus importante de ces règles se trouve à l'article 1292 C.c. lequel depuis 1974 5 se lit comme suit:
Art. 1292. Le mari administre seul les biens de la commu- nauté sous réserve de dispositions de l'article 1293 et des articles 1425a et suivants.
Il ne peut, sans le concours de sa femme, vendre, aliéner ou hypothéquer les immeubles de la communauté mais il peut, sans ce concours, vendre, aliéner ou nantir les biens meubles autres que les fonds de commerce et les meubles meublant affectés à l'usage du ménage.
Le mari ne peut, sans le concours de sa femme, disposer entre vifs à titre gratuit des biens de la communauté, excepté de sommes modiques et de présents d'usage.
Le présent article ne limite pas le droit d'un mari de désigner un propriétaire selon l'article 2540 ou de désigner un tiers bénéficiaire d'une rente, d'une pension de retraite ou d'une assurance sur la vie, et aucune récompense n'est due en raison des sommes ou primes payées à même les biens de la commu- nauté si le conjoint ou les enfants du mari ou du conjoint sont bénéficiaires ou propriétaires. [Mon soulignement.]
La Cour suprême a rendu la décision fondamen- tale en ce domaine dans Sura v. The Minister of National Revenue 6 , laquelle a été citée par les deux parties pour étoffer leurs prétentions respectives.
Dans cette affaire, la question était de savoir si, pour les fins d'impôt, le revenu de la communauté de biens provenant du salaire du contribuable et des loyers immobiliers était le revenu seul de celui-ci, ou si ce revenu était pour moitié le revenu
du contribuable et pour l'autre moitié le revenu de sa femme.
Au nom de la Cour, le juge Taschereau a révisé la définition du terme «revenu» dans la loi fédérale
en vigueur à l'époque. Il conclut la page 68 R.C.S.):
Rien dans les amendements subséquents apportés à la loi, ne change le principe que ce n'est pas la propriété d'un bien qui est taxable, mais que la taxe est imposée sur un contribuable, et est déterminée par le revenu que l'emploi, les entreprises, les biens, ou la propriété procurent à celui qui en est le bénéficiaire légal. Comme l'a dit M. le Juge Mignault dans la cause de McLeod v. Minister of Customs and Excise ([1926] S.C.R. 457 la p. 464, 1 D.T.C. 85 (1917-27) C.T.C. 290):
All of this in accord with the general policy of the Act which imposes the Income Tax on the person and not on the property.
5 [Art. 1292 C.c. mod. par] L.Q. 1974, chap. 70, art. 443.
6 [1962] R.C.S. 65; (1961), 32 D.L.R. (2d) 282; [1962] C.T.C. 1; 62 DTC 1005.
On ne peut pas plus mettre en doute cette proposition, qu'on peut entretenir la moindre hésitation pour admettre, sans réserve, que seul doit payer l'impôt sur le revenu, celui qui en a la jouissance absolue, entachée d'aucune restriction concernant la libre disposition qu'il juge à propos d'en faire. (Vide Robert- son Ltd. v. M.N.R. ([1944] Ex.C.R. 170 la p. 180, 2 D.T.C. 655, [1944] C.T.C. 75.)).
Quant à la nature de la communauté de biens, le juge Taschereau constate la page 69 R.C.S.):
Ce régime de communauté assure la prépondérance du mari dans l'administration des biens. Comme conséquence de la volonté du législateur (art. 1292), le mari seul administre les biens de la communauté. Il peut les vendre, aliéner et hypothé- quer, sans le concours de sa femme.
Lui seul peut disposer de ces revenus, lui seul en a la jouissance sans restrictions, et rien ne peut sortir du fonds commun à moins que ce ne soit comme résultat de l'expression de sa volonté. Il reçoit pour lui, et nullement comme mandataire ou fiduciaire pour le bénéfice de son épouse. Cette dernière ne retire aucun revenu, et son bénéfice consiste dans l'augmenta- tion des biens communs dont elle est copropriétaire et dans lesquels elle a un droit éventuel au partage futur.
Cette prépondérance du mari ne lui conférait pas un droit de propriété unique sur les biens de la communauté. En fait, le juge Taschereau a explici- tement rejeté cette théorie'. À l'instar de plusieurs auteurs cités il était d'avis (aux pages 70 et 71 R.C.S.):
Que le mari et la femme soient copropriétaires des biens de la communauté, ne peut faire, il me semble, aucun doute dans l'esprit des juristes. Malgré les hésitations qu'ont pu entretenir certains auteurs, je crois qu'il est maintenant universellement admis que c'est bien la règle qui doit nous régir.
S'il en était autrement, et si la femme n'était pas coproprié- taire des biens communs, elle aurait à payer, lors de la dissolu tion de la communauté, des droits de succession, car il s'agirait alors d'une transmission de biens lui venant de son mari. Mais, il n'en est pas ainsi, car il n'y a pas de transmission mais un partage, elle prend la part qui lui revient et qui lui appar- tient depuis le mariage. Ce qu'elle reçoit ne provient pas du patrimoine de son époux. Vide également les autorités suivantes qui sont au même effet:—LAURENT, Principes de Droit Civil, vol. 21, pp. 224-225; PLANIOL et RIPERT, (Boulanger) Traité Pratique de Droit Civil, 1957, vol. 8, pp. 328, 331, 704; JOSSERAND, Cours de Droit Civil, 1933, vol. 3, 14; HUC, Code Civil, 1896, vol. 9, 72; MARCADE, Droit Civil, 7 e éd., vol. 5, p. 444; DURANTON, Cours de Droit Français, vol. 14, p. 105.
Cependant, le fait que l'épouse était coproprié- taire des biens communs n'était pas déterminant à l'égard du revenu de la communauté pour les fins
Aux p. 72-73 R.C.S.
d'impôt. Le juge Taschereau explique cette dicho- tomie apparente comme suit la page 72 R.C.S.]:
il est également vrai qu'elle n'a pas l'exercice de la plénitude des droits que confère normalement la propriété (C.C. 406). Son droit est informe, démembré, inférieur même à celui de quelqu'un qui a la nue propriété d'un bien et dont un autre a l'usufruit. Il est stagnant, presque stérile, parce qu'improductif durant la vie du conjoint. Ce n'est qu'à la dissolution de la communauté que la femme sera investie de la plénitude de son droit de propriété, qui comporte le jus utendi, fruendi et abutendi, dont sa condition maritale l'avait temporairement dépouillée.
C'est ainsi qu'elle ne retire aucun revenu des biens de la communauté, dont le mari est le seul administrateur (C.C. 1292), sans qu'il ait besoin, d'une façon générale, d'obtenir le concours de son épouse. Tous les revenus sont les siens dont il peut disposer, qu'il peut aliéner, même à titre gratuit, sauf les restrictions imposées par la loi (C.C. 1292). Il résulte que la femme ne touche aucun revenu des biens communs, qu'elle n'a «aucun traitement, salaire ou rémunération», que rien ne lui «provient d'entreprises, de biens, de charges ou d'emplois». Or, c'est précisément ce qui est taxable.
La loi, comme je l'ai signalé antérieurement, ne recherche pas le capital ou la propriété d'un bien. Elle s'adresse à la personne, et le montant de l'impôt est déterminé par les bénéfi- ces qu'elle recueille.
Selon le procureur de l'intimé, les conclusions de Sura ont été influencéees par l'article 1292 C.c. dont la version en vigueur en 1962 8 prévoyait la complète liberté de l'époux de disposer des biens communs sans le concours de son épouse. Ces conclusions sont atténuées par la modification introduite en 1964 9 , laquelle est comprise dans le texte reproduit ci-dessus, parce que la disposition des immeubles de la communauté est devenue conditionnelle au concours de l'épouse. Il conclut que Sura ne devrait donc valoir qu'à l'égard du revenu de biens et d'entreprise et non relativement au gain en capital.
Il invoque aussi le fait qu'au moment ce jugement fut rendu, la notion de droit de propriété d'un bien n'existait pas dans la Loi. Le gain en capital n'était pas imposable. Depuis 1972, cepen- dant, la législation fiscale fédérale impose nette- ment au propriétaire le gain en capital réalisé sur la vente des biens dont il y a eu disposition. Selon lui, conclure autrement viderait de sens les termes «appartenant» à l'alinéa 39(1)a), et «acquis» dans
8 S.Q. 1930-31, chap. 101, art. 16.
9 [Art. 1292 C.c. mod. par] S.Q. 1964, chap. 66, art. 12.
toute la partie de la Loi qui s'applique au gain en capital: il serait donc mal fondé en droit de préten- dre que l'imposition du gain en capital est détermi- née en fonction du droit au produit de la disposi tion du bien plutôt que du droit à la propriété du bien.
À l'appui de ses prétentions, il cite Laporte, R. c. M.R.N. 10 , une décision antérieure du même juge de la Cour canadienne de l'impôt sur laquelle se base le jugement faisant l'objet du présent appel. Dans cette affaire il a été décidé que les actions donnant lieu au gain en capital étaient des biens communs, donc la copropriété des époux. Après révision de l'alinéa 39(1)a) et des articles suivants de la Loi, la Cour a conclu (aux pages 1229-1230 DTC):
Il appert clairement à la lecture de ces dispositions et aussi de d'autres non-citées que le contribuable, pour être sujet à la taxation d'un gain en capital, doit être propriétaire du bien dont il y a disposition (réelle ou présumée).
De plus selon l'intimé en établissant le revenu imposable, la disposition 3(b) établi que le gain en capital est considéré comme revenu au même titre que les autres revenus. L'intimé allègue également en s'appuyant sur les affaires Sura et James B. McLeod que la Loi de l'impôt sur le revenu ne cherche pas à imposer la propriété, mais le bénéficiaire du bien.
Lorsqu'en 1972, le législateur, dans la nouvelle Loi de l'im- pôt sur le revenu, pose comme critère fondamental de la taxation d'un gain en capital que le contribuable doit être propriétaire du bien dont il y a disposition, ne vient-il pas poser une condition sine qua non? Et la Cour n'aurait-elle pas à tenir compte en interprétant la loi?
La Cour étant strictement liée par le texte de la loi doit conclure que selon ces articles, le gain en capital résultant de la disposition d'un bien commun doit être taxé entre les mains des propriétaires du bien donc entre les mains des deux époux. Même si l'article 3(b) détermine le revenu taxable, les articles 39(1)(a), 40(4)(a), 54(c) et (f) déterminent eux qui doit porter le fardeau de la taxe, c'est le propriétaire. L'article 3(b), en fait, assume que le contribuable imposé sur un gain en capital était propriétaire du bien dont il y a eu disposition. En interpré- tant l'article 3(b) en effet on doit tenir compte de l'article 39 et suivants, incluant la condition de la propriété du bien.
Le procureur de l'intimé invoque également un article de doctrine" qui conclut à la non-applicabi- lité de l'arrêt Sura à l'égard du gain en capital la page 420):
10 (1984), 84 DTC 1208; [1984] CTC 2260 (CCI), dossier en appel T-959-84.
11 André Dionne et Michel Turcot «Aspects fiscaux des diver- ses étapes de la vie conjugale selon le nouveau droit familial: IV Imposition pendant la durée du régime», [1981] C.P. du N. 401,à la p. 411.
119.... En effet, le gain en capital devrait s'ajuster en fonction du droit de propriété déterminé selon les règles du Code civil. Comme le juge Taschereau affirme de façon très nette que les époux étaient déjà à cette époque considérés comme copropriétaires des biens communs, il résulte que le gain en capital devrait être partagé entre le mari et la femme.
Pour toutes ces raisons, il doute que le juge Taschereau tiendrait aujourd'hui les mêmes propos qu'en 1962. Il prétend que l'intimé doit bénéficier de ce doute, et invite la Cour à faire montre de prudence avant d'appliquer Sura au cas présent.
De son côté, le procureur de l'appelante prétend que les conclusions de l'arrêt Sura sont aussi appli- cables aujourd'hui qu'elles l'étaient en 1962. Dans le cas présent, comme dans Sura, le fait que les époux peuvent être désignés copropriétaires des biens communs n'est pas déterminant. D'ailleurs cette désignation ne fait pas l'unanimité dans la jurisprudence 12 . Le point en litige n'est pas de savoir s'il y a copropriété, il s'agit plutôt de déter- miner qui a la jouissance des biens et qui peut en disposer.
Selon lui, la modification apportée à l'article 1292 C.c. en 1964 n'a pas eu pour effet de réduire les pouvoirs du mari. La situation relativement aux biens communs n'a été altérée qu'à l'égard de la disposition des biens immeubles. C'est toujours le mari qui a le droit et le pouvoir de vendre les biens communs et d'administrer seul le revenu provenant de leur disposition. C'est toujours lui qui en est le bénéficiaire légal au sens soulevé dans Sura.
À son dire, la question centrale est de savoir si l'ajout du gain en capital à la Loi a modifié le système d'imposition existant à l'époque de Sura. Il suggère qu'une réponse négative s'infère du fait que la Loi alors en vigueur comprenait plusieurs dispositions la notion d'acquisition était reliée à l'allocation du coût en capital, la dépréciation, etc. En omettant de partager la dépréciation (présu- mée) entre les époux copropriétaires des immeu- bles, l'arrêt Sura a implicitement reconnu que le revenu provenant de bien était le revenu seul de l'administrateur de la communauté.
Il considère que même si l'alinéa 39(1)a) parle de bien «appartenant» au contribuable, l'aspect le
12 MRN c. Faure F., succession, [1975] CTC 136; 75 DTC 5076; 9 N.R. 61 (C.A.F.), aux p. 146-147 CTC (motifs de Pratte J.).
plus important de l'article, c'est que la personne qui réalise un gain en capital est celle qui tire un bénéfice ou un gain de la disposition. De plus, l'intimé ayant été au moins copropriétaire du bien, ce bien lui appartenait au sens de l'alinéa 39(1)a): le gain réalisé sur la disposition doit donc être évalué à 100 % parce que lui seul en a la jouissance et la libre disposition.
L'appelante se réfère également à un arrêt de la Cour d'appel d'Ontario, R. v. Poynton 13 , il fallait déterminer si des sommes obtenues par fraude étaient imposables à titre de revenu. La Cour a conclu que le fraudeur devait effectivement être imposé. Elle attribuait le sens suivant au terme «income» la page 732 O.R.):
[TRADUCTION] La question est de savoir comment il faut désigner un profit, un gain ou un bénéfice avant qu'il puisse être qualifié de «revenu» pour fins d'imposition. Il ne fait aucun doute que le mot «revenu» figurant dans la Loi de l'impôt sur le revenu a une portée suffisamment étendue pour inclure des sommes d'argent autres que celles provenant d'opérations con- clues de bonne foi.
Cette même Cour a également déterminé que ce n'était pas la propriété du revenu qui était déter- minante, mais plutôt la jouissance du revenu. Se référant à l'arrêt Curlett ' 4 de la Cour suprême du Canada, elle constata la page 736 O.R.):
[TRADUCTION] La Cour a statué que les sommes d'argent constituaient un revenu de Curlett en dépit de son moyen de défense selon lequel il avait une obligation de rendre compte et son droit n'était pas absolu. Le principe qui se dégage du jugement, selon moi, est que le droit strict de propriété n'est pas l'unique critère de l'assujettissement à l'impôt et qu'en détermi- nant ce qui constitue un revenu pour fins d'imposition, un tribunal doit tenir compte des circonstances entourant la récep- tion de l'argent et de la façon dont celui-ci est détenu.
L'appelante soutient que le raisonnement dans Poynton a reçu l'approbation de la Cour suprême du Canada à au moins deux reprises 15 . Il convient de noter, cependant, que les contextes de ces deux arrêts et de Poynton, diffèrent sensiblement de celui de la présente affaire.
" [1972] 3 O.R. 727; (1972), 29 D.L.R. (3d) 389; 9 C.C.C. (2d) 32; [1972] CTC 412; 72 DTC 6329 (C.A.)
14 Curlett v. Minister of National Revenue, [1962] R.C.S. vii; 62 DTC 1320.
15 R. c. Savage, [1983] 2 R.C.S. 428; [1983] CTC 393; 83 DTC 5409; 50 N.R. 321, la p. 441, R.C.S.; Gagnon c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 264; (1986), 25 D.L.R. (4th) 481; [1986] 1 CTC 410; 86 DTC 6179; 65 N.R. 321; 1 R.F.L. (3d) 113, la p. 275, R.C.S.
À mon sens, il ne s'agit pas ici de déterminer s'il existe un revenu au sens de la Loi. Personne ne conteste le fait que le gain en capital constitue un revenu. Le litige concerne l'identification de la personne qui a réalisé ce gain et qui, de ce fait, est imposable. La résolution du présent litige ne néces- site pas la réouverture du débat relativement au droit de propriété des biens communs. Même s'il est vrai que ce débat n'est pas entièrement clos 16 , il m'appert évident qu'une prépondérance d'autorités jurisprudentielles' 7 et doctrinales 18 conclut à la copropriété des biens communs. Je ne vois pas la nécessité de conclure différemment, vu la décision vers laquelle je me dirige.
Quant à l'article 1292 C.c. je n'accorde pas une importance déterminante à la modification de 1964. J'en conviens qu'au moment la Cour suprême du Canada s'est prononcée dans Sura, l'étendue du pouvoir du mari quant à la disposition de biens communs était plus considérable qu'à la suite de cette modification. Cependant, l'amende- ment, pas plus que la version originale d'ailleurs, ne s'adressait au droit de propriété. Les auteurs québécois reconnaissent que le législateur cher- chait plutôt à faire disparaître la pré-éminence du mari et à exiger l'intervention des deux époux à l'égard des actes de disposition de certains biens, le tout dans l'intérêt de la communauté 19 .
16 MRN c. Faure, F., succession, supra, note 12; Comtois, Roger, Traité théorique et pratique de la communauté de biens, Montréal, Le Recueil de droit et de jurisprudence, 1964, aux pages 23 56; Pineau, J. et D. Burman, Effets du mariage et régimes matrimoniaux, Montréal, Thémis, 1984, aux p. 229-230.
17 Sura v. The Minister of National Revenue, supra, note 6; Ministre du Revenu national c. Simon et autre, [1977] 2 R.C.S. 812; (1977), 76 D.L.R. (3d) 562; [1977] CTC 340; 77 DTC 5228; 15 N.R. 589; 28 R.F.L. 363, aux p. 813-814 R.C.S.; Laporte, R. c. M.R.N., supra, note 10; Garant (I) c. La
Reine, [1985] 1 CTC 153: (1985) 86 DTC 6256 (C.F. inst.), à la p. 6258 DTC, dossier en appel A-287-85.
18 Sura v. The Minister of National Revenue, supra, note 6, aux pp. 70-71 R.C.S.; Baudouin, J-L «Examen Critique de la Réforme sur la Capacité de la Femme Mariée Québécoise»
(1965), 43 R. du B. Can. 393, la p. 409; Mayrand, A. «Commentaires» Impôt sur le revenu—Revenu du mari commun en biens—Nature du droit de la femme sur les biens de la communauté (1962), 40 R. du B. Can. 256 aux p. 258-259; Beauregard, P.-J. «Interaction du droit civil et de la Loi de l'impôt», Report of Proceedings of the Thirty-seventh Tax Conference, 1985.
19 Baudouin, J-L, op. cit., note 18, aux p. 408-4U9; Caparros, E. Les régimes matrimoniaux au Québec, édition, Montréal, Wilson & Lafleur, 1985, à la p. 235.
Ceci étant dit, il convient de réitérer les propos suivants du juge Taschereau, lesquels me convain- quent que l'introduction explicite de la notion de propriété dans la législation fiscale n'affecte pas l'application de ses conclusions au gain en capital. Il affirme (aux pages 68 72 R.C.S.):
... la taxe est imposée sur un contribuable, et est déterminée par le revenu que l'emploi, les entreprises, les biens ou la propriété procurent à celui qui en est le bénéficiaire légal.
... seul doit payer l'impôt sur le revenu, celui qui en a la jouissance absolue, entachée d'aucune restriction concernant la libre disposition qu'il juge à propos d'en faire.
Lui seul peut disposer de ces revenus, lui seul en a la jouissance sans restrictions, et rien ne peut sortir du fonds commun à moins que ce ne soit comme résultat de l'expression de sa volonté.
Tous les revenus sont les siens ... Il résulte que la femme ne touche aucun revenu des biens communs, qu'elle n'a «aucun traitement, salaire ou rémunération», que rien ne lui «provient d'entreprises, de biens, de charges ou d'emplois». Or, c'est précisément ce qui est taxable. [Mon soulignement.]
Ces remarques du savant juge visent, on ne peut plus clairement, le bénéficiaire légal du revenu, et non pas le ou les propriétaires des biens d'où découle ce revenu. Or, aucun des amendements apportés à l'article 1292 C.c. n'a modifié l'identité du titulaire de ce rôle: c'est toujours le mari qui administre les biens de la communauté, c'est donc toujours le mari qui a la jouissance sans restric tions des revenus que la communauté produit, dont le gain en capital. Il s'ensuit que pour la femme commune en biens, il ne suffit pas pour les fins de l'imposition du gain en capital d'être copro- priétaire d'un bien, en l'absence du droit à la libre disposition des revenus réalisés lors de sa vente.
Cette conclusion est renforcée par une lecture attentive des alinéas 54c) et h) de la Loi, qui se lisaient comme suit:
54....
c) «disposition de biens» comprend, sauf dispositions con- traires expresses,
(i) toute opération ou tout événement donnant droit au contribuable au produit de la disposition de biens,
h) «produit de la disposition» d'un bien comprend (i) le prix de vente du bien qui a été vendu,
Il faut retenir que dans le régime de la com- munauté de biens l'article 1292 C.c. accorde au mari le droit au produit de la disposition de biens. Et ce n'est pas le bien qui est frappé par l'impôt, mais le contribuable et, en l'espèce, celui qui a entre les mains le produit de la disposition du bien.
Il convient finalement de noter certaines obser vations d'Albert Mayrand extraites de ses «Com- mentaires» sur l'arrêt Sura 20 :
... dans l'affaire Sura nos tribunaux et commentateurs se sont surtout inspirés d'un principe d'équité: dans une fédération, la taxe imposée par l'autorité centrale doit atteindre également les contribuables des divers États ou Provinces, sans égard aux particularités des lois locales. Le Conseil Privé a déjà formulé ce principe dans Minister of Finance v. Cecil R. Smith:
[TRADUCTION] En outre, il est normal que le législateur ait eu l'intention d'imposer tous les contribuables canadiens selon les mêmes principes plutôt que de laisser les incidences de l'impôt dépendre des lois diverses et divergentes des différentes provinces.
La Commission d'Appel de l'Impôt a été plus explicite dans une affaire récente (No. 676 v. M.N.R. (1959), 23 Tax A.B.C. 263, à la p. 266):
[TRADUCTION] Le jugement dans l'affaire Sura, qui a donné gain de cause au ministre, écarte une fois pour toutes la suggestion que pour certains contribuables de la province de Québec, par exemple, qui sont assujettis au régime de la communanté de biens, les règles d'imposition seraient dif- férentes qu'elles ne le sont pour les contribuables des autres provinces.
En effet, il serait tout à fait inéquitable que les contribuables d'une province soient favorisés par le biais d'une loi provinciale face à l'application de la Loi qui doit viser également tous les contribuables canadiens.
Pour ces motifs, l'appel est accueilli avec frais.
20 O p. cit., note 18, aux p. 260-261.
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