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T-1878-86
Elizabeth C. Symes (demanderesse)
c.
Sa Majesté la Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: SYMES c. CANADA (1' e INST.)
Section de première instance, juge Cullen— Toronto, 21 février et 27 avril; Ottawa, 11 mai 1989.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Déductions Frais de garde d'enfants engagés par une mère mariée ayant deux enfants L'associée d'un cabinet d'avocats peut récla- mer, à titre de dépense engagée pour tirer un revenu d'une entreprise ou pour faire produire un revenu à une entreprise au sens de l'art. 18(1)a), une déduction pour le salaire versé à une bonne d'enfants Interprétation libérale de l'art. 18(1)a) à la lumière des réalités sociales et économiques actuelles Le raisonnement adopté dans la décision de 1891 Bowers v. Harding est suranné La contribuable a l'obligation légale de s'occuper de ses enfants Les droits à l'égalité des femmes et des parents garantis par l'art. 15 de la Charte exigent d'interpréter la Loi comme permettant une déduction des frais de garde d'enfants à titre de dépenses d'entreprises.
Droit constitutionnel Charte des droits Droits à l'égalité Frais de garde d'enfants Déductions fiscales Ces frais sont-il susceptibles de déduction, à titre de dépense d'entreprise, pour l'associée d'un cabinet d'avocats? Compte tenu des responsabilités des femmes et des parents en matière de garde d'enfants et des désavantages fiscaux en découlant, l'art. 15 de la Charte exige d'interpréter la Loi de l'impôt sur le revenu comme permettant la déduction de frais de garde d'enfants à titre de dépenses d'entreprise.
Droit constitutionnel Charte des droits Clause restric tive Déduction, en matière d'impôt sur le revenu, des frais de garde d'enfants engagés pour tirer un revenu d'une entre- prise Droits à l'égalité des femmes et des parents Absence d'objectif «réel et urgent» justifiant le recours à la clause restrictive.
La demanderesse, mère mariée de deux enfants d'âge présco- laire, était associée dans un cabinet d'avocats de Toronto. Dans ses années d'imposition 1982 à 1985, elle a engagé une bonne d'enfants. La demanderese a délivré des feuillets T-4, a retenu l'impôt, des cotisations au RPC et - des primes d'A-C. La question se pose de savoir si le salaire de la bonne d'enfants— qui s'élève à 47 000 $—est déductible à titre de dépenses d'entreprise sous le régime de l'alinéa 18(1)a) de la Loi ou si la contribuable a seulement le droit de déduire une somme de 9 000 $, soit les montants accordés pour des frais de garde d'enfants en vertu du paragraphe 63(1) de la Loi. Il s'agit de déterminer, en premier lieu, si on devrait interpréter la Loi comme permettant ou refusant la déduction et, en deuxième lieu, si rejeter la déduction viole les droits à l'égalité garantis par l'article 15 de la Charte.
Jugement: l'action devrait être accueillie.
L'approche appropriée à adopter lorsqu'il s'agit de savoir quelles dépenses doivent être considérées comme des dépenses
d'entreprise dans le calcul des bénéfices d'entreprise consiste à se demander si la dépense ou le débours était conforme aux principes ordinaires des affaires commerciales ou aux principes bien reconnus de la pratique courante des affaires. Les princi- pes comptables sont utiles à cet égard, mais ils ne sont pas déterminants. La dépense doit également avoir été engagée en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou de faire produire un revenu à une entreprise. A ce sujet, on a de plus en plus tendance à interpréter l'alinéa 18(1)a) de façon plus libérale. Le raisonnement qui sous-tend les décisions des années 1950 et 1960 qui ont rejeté les dépenses relatives à l'engagement de bonnes d'enfants provient de celui adopté dans l'affaire Bowers v. Harding, [1918] 1 Q.B. 560, maintenant désuète. Cette affaire provenait d'un autre âge on imposait de sévères restrictions aux femmes et elles occupaient une position subalterne dans la société et sous le régime de la loi.
Compte tenu des faits de l'espèce, la demanderesse a fait preuve de bon sens commercial en décidant de consacrer une partie des ses ressources tirées de la pratique du droit au soin de ses enfants. De plus, on peut dire qu'il existe un rapport de cause à effet entre la consécration des ressources provenant de l'exercice de sa profession au soin des enfants et la production de ces ressources. Et il importe peu que la demanderesse ait déclaré les dépenses liéesà l'engagement d'une bonne d'enfants sur sa formule personnelle de déclaration d'impôt sur le revenu plutôt que sur l'état financier de la société, pourvu qu'il s'agisse d'une déduction appropriée.
Ce qui rend ce cas unique est que la demanderesse a l'obliga- tion légale de s'occuper de ses enfants, et que c'est cette obligation légale qui distingue le coût du soin des enfants d'autres types de dépenses qui ont été qualifiés de frais de subsistance personnels.
L'argument de la demanderesse fondé sur l'article 15 de la Charte ne saurait être invoqué qu'en ce qui concerne le reste de l'année d'imposition 1985 ultérieur au 15 avril, date de l'entrée en vigueur de l'article 15, et les années d'imposition ultérieures. Si dans notre société nous devons favoriser l'égalité des femmes, ce que vise clairement l'article 15, alors une interprétation de la Loi de l'impôt sur le revenu qui permet aux femmes entrepre neurs (dans les circonstances appropriées) de déduire leurs frais de garde d'enfants pour qu'elles s'engagent dans une entreprise est clairement dans les règles. La demanderesse a, compte tenu de l'arrêt Andrews de la Cour suprême du Canada, établi l'effet particulier de la loi ainsi que la discrimination requise fondée sur ses caractéristiques personnelles que sont le sexe et l'état familial ou parental. À la lumière de l'arrêt Andrews, une interprétation de la Loi de l'impôt sur le revenu qui ne tient pas compte du fait que les femmes sont principalement responsa- bles du soin des enfants et que les frais de garde d'enfants constituent un obstacle important à la participation des femmes violerait l'article 15 de la Charte.
Il ressort d'un examen de la preuve produite par la défende- resse qu'il n'existait aucun objectif «réel et urgent» pour justi- fier, sous le régime de l'article premier de la Charte, le refus de la déductibilité, à titre de dépense d'entreprise, des dépenses faites par la demanderesse pour l'engagement d'une bonne d'enfants.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 15.
Child Welfare Act, R.S.O. 1980, chap. 66, art. 19(1)b)(ii),(iii).
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 197, 234.1 (édicté par S.C. 1974-75-76, chap. 93, art. 15). Employment Standards Act, L.R.O. 1980, chap. i 37.
Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, chap. 148, art. 12(1)a), 27(1)a).
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 9, 18(1)a) (mod. par S.C. 1985, chap. 45, art. 126, ann. III, art. 26), h), 63(1) (mod. par S.C. 1984, chap. 1, art. 25; chap. 45, art. 22), 67.
O. Reg. 75/84, art. 1.
O. Reg. 39/85, art. 1.
R.R.O. 1980, Règ. 283 (Employment Standards Act).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Royal Trust Co. v. M.N.R. (1957), 57 DTC 1055 (C. de l'E.); Neonex International Ltd. c. Sa Majesté la Reine (1978), 78 DTC 6339 (C.A.F.); Mattabi Mines Ltd. c. Ontario (Ministre du Revenu), [1988] 2 R.C.S. 175; Premium Iron Ores Ltd. v. Minister of National Reve nue, [1966] R.C.S. 685; 66 DTC 5280; Olympia Floor & Wall Tile (Quebec) Ltd. v. M.N.R. (1970), 70 DTC 6085 (C.de l'É); Aluminium Company of Canada Ltd. c. La Reine, [1974] 1 C.F. 387; 74 DTC 6408 (1" inst.); Holmes c. La Reine, [1974] 1 C.F. 353; 74 DTC 6143 (l'e inst.); Imperial Oil Ltd. v. Minister of National Revenue, [1947] R.C.É. 527; 3 DTC 1090; Parkinson v. M.N.R. (1951), 51 DTC 323 (CAI); Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; R. v. Seo (1986), 54 O.R. (2nd) 293 (C.A.)
DÉCISION REJETÉE:
Bowers v. Harding, [1891] 1 Q.B. 560.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Associated Investors of Canada Ltd. v. Minister of National Revenue, [1967] 2 R.C.É. 96; Mandel c. La Reine, [1977] I C.F. 673; (1976), 76 DTC 6316 (1" inst.); confirmé par [1979] 1 C.F. 560; (1978) 78 DTC 6518 (C.A.); La Banque de Nouvelle-Écosse c. R., [1980] 2 C.F. 545; (1979), 80 DTC 6009 (1" inst.); confirmé par [1982] 1 C.F. 311; (1981), 81 DTC 5115 (C.A.); Canadian General Electric Company v. The Minister of National Revenue, [ 1962] R.C.S. 3; Minister of National Revenue v. Anaconda American Brass Ltd., [ 1956] A.C. 85 (P.C.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Smith, Kline & French Laboratories Ltd. c. Canada (Procureur Général), [1987] 2 C.F. 359 (C.A.).
DÉCISION CITÉE:
Bailey et al. v. Minister of National Revenue (1980), 1 C.H.R.R. D/193 (T.C.D.P.).
AVOCATS:
Mary Eberts et Wendy M. Matheson pour la demanderesse.
John R. Power, c.r. et Sandra E. Phillips pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Tory, Tory, DesLauriers & Binnington, Toronto, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE CULLEN: Appel est interjeté des nou- velles cotisations établies pour les années d'imposi- tion 1982, 1983, 1984 et 1985 de la demanderesse. Dans ces nouvelles cotisations, le ministre du Revenu national (MRN) a refusé la déduction des sommes de 10 075 $, de 11 200 $, de 13 173 $ et de 13 359 $ versées à l'égard du salaire d'une certaine Mme Simpson (Simpson), déduction faite à titre de dépense d'entreprise pour les années d'imposi- tion 1982, 1983, 1984 et 1985 respectivement, et il a, à la place, accueilli une déduction révisée, pour frais de garde d'enfants, de 1 000 $ à l'égard des dépenses de 1982, une déduction de 2 000 $ à l'égard des dépenses de 1983 et 1984 et une déduc- tion de 4 000 $ à l'égard des dépenses de 1985.
À l'époque en cause, la demanderesse était une avocate exerçant sa profession à temps plein et associée dans un cabinet d'avocats de Toronto. Dans les années d'imposition 1982, 1983 et 1984, la demanderesse était la mère d'une fille et en 1985, de deux filles. Les deux enfants sont d'âge préscolaire. La demanderesse est mariée. Comme elle pratiquait le droit à temps plein, elle a engagé Simpson comme bonne d'enfants pour que ses filles reçoivent des soins appropriés à la maison. On ne conteste pas que les fonctions de Simpson consistaient uniquement et entièrement dans le soin des filles de la demanderese.
Dans chacune des années d'imposition, la demanderesse a délivré un feuillet T-4 à Simpson qui a payé l'impôt sur la somme qu'elle a reçue à titre de salaire. La demanderesse a également déduit du salaire de Simpson et remis à Revenu Canada des versements à titre de revenu, des cotisations au Régime de pensions du Canada [RPC] et des primes d'assurance-chômage [A-C]. Au moment de la production de sa déclaration d'impôt sur le revenu, elle a déduit, à titre de dépense d'entreprise, les sommes versées à Simp- son pour son salaire.
Par avis de cotisations pour les années d'imposi- tion 1983 et 1984, Revenu Canada a accepté la déduction, à titre de dépense d'entreprise, du salaire de Simpson faite par la demanderesse. Tou- tefois, par avis de nouvelles cotisations datées du 9 décembre 1985 et du 7 novembre 1986, on a avisé la demanderesse que les déductions réclamées pour le salaire de Simpson avaient été rejetées et que: 1) une déduction révisée de 1 000 $ pour frais de garde d'enfants avait été accordée pour l'année d'imposition 1982; 2) une déduction révisée de 2 000 $ pour frais de garde d'enfants avait été accordée pour les années d'imposition 1983 et 1984; et 3) une déduction révisée de 4 000 $ pour frais de garde d'enfants avait été accuellie pour l'année d'imposition 1985.
Le rejet des déductions reposait sur le fait que les salaires versés à Simpson n'étaient pas des débours ou des dépenses faites ou engagées en vue de tirer un revenu d'une entreprise, mais qu'ils étaient des frais personnels ou des frais de subsis- tance. Les sommes accordées l'ont été pour les frais de garde d'enfants prévus au paragraphe 63(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, chap. 63 (mod. par S.C. 1984, chap. 1, art. 25; chap. 45, art. 22)] (la Loi).
La demanderesse s'est opposée au rejet des déductions pour toutes les quatre années d'imposi- tion au moyen d'avis d'opposition datés du 7 mars 1986 et du 23 décembre 1986. Les nouvelles coti- sations ont été confirmées par un avis de confirma tion en date du 20 mai 1986.
LA POSITION DE LA DEMANDERESSE:
La demanderesse fait valoir que les dépenses que représentent les salaires réclamées pour chaque année d'imposition en question étaient
régulièrement déductibles puisque ces dépenses faisaient partie du calcul du son revenu tiré d'une entreprise en vertu de l'article 9 de la Loi, et qu'elles ont été engagées en vue de tirer un revenu de l'entreprise au sens de l'alinéa 18(1)a) [mod. par S.C. 1985, chap. 45, art. 126, ann. III, art. 26] de la Loi. Selon la demanderesse, si Simpson ne s'était pas occupée de ses deux filles, elle n'aurait pas pu pratiquer le droit et n'aurait tiré aucun revenu de cette entreprise (c.-à-d. le cabinet d'avo- cats) au cours des années d'imposition en question. En conséquence, il était raisonnable pour la demanderesse d'engager Simpson pour s'assurer que ses filles recevaient des soins appropriés pen dant qu'elle tirait un revenu de l'entreprise. De plus, en le faisant, la demanderesse s'est acquittée de son obligation légale, celle de prendre soin de ses enfants, comme l'exigent l'article 197 du Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, modifié, et les sous-alinéas 19(1)b)(ii) et (iii) de la Child Welfare Act, R.S.O. 1980, chap. 66, modifiée.
La demanderesse soutient que l'article 63 de la Loi (la disposition relative à la déduction pour frais de garde d'enfants) ne porte pas atteinte à sa réclamation parce que: 1) la déduction d'une dépense dans le calcul du bénéfice tiré d'une entre- prise conformément aux articles 9 et 18 de la Loi est un poste distinct pour une déduction fondée sur l'article 63; et 2) l'article 67 de la Loi autorise le contribuable à faire une déduction pour un débours ou une dépense à l'égard de laquelle une somme est par ailleurs déductible «dans la mesure ce débours ou cette dépense était raisonnable eu égard aux circonstances.»
La demanderesse prétend que, en rejetant la déduction des dépenses réclamées, le MRN a violé la garantie de l'égalité prévue au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] (la Charte) pour les motifs suivants: 1) le rejet de la déduction, à titre de dépense d'entreprise, des frais de garde d'enfants engagés pour permettre à un parent de tirer un revenu d'une entreprise, tout en exigeant qu'un parent/employeur fasse des déductions de revenu à la source, fournisse un T-4 et effectue des verse- ments de la partie des primes d'assurance-chômage et des cotisations au Régime de pensions du
Canada que contribuent l'employé et l'employeur, équivaut à une disctinction injuste entre le parent/ employeur et les autres employeurs, qui peuvent déduire du revenu d'entreprise les salaires payés aux employés, ainsi que la part des cotisations à l'assurance-chômage et au Régime de pensions du Canada qui revient à l'employeur. En conséquence, ce rejet constitue un déni du même bénéfice de la loi; et 2) le rejet de la déduction, à titre de dépense d'entreprise, des frais de garde d'enfants engagés pour permettre à un parent de tirer un revenu d'une entreprise a un effet disproportionné sur les femmes, à qui incombe la tâche principale de la garde d'enfants dans notre société, et constitue donc un déni du même bénéfice de la loi fondé sur le sexe.
La demanderesse soutient également que les restrictions de ses droits à l'égalité notées ci-dessus ne constituent pas des limites raisonnables impo sées par la loi dont la justification puisse se démon- trer dans le cadre d'une société libre et démocrati- que (c.-à-d. l'article premier de la Charte).
LA POSITION DE LA DÉFENDERESSE:
La défenderesse soutient que le MRN a à juste titre refusé la déduction, à titre de dépense d'entre- prise, du salaire payé à Simpson, parce que les sommes en question n'étaient pas des débours ou des dépenses faites ou engagées par la demande- resse en vue de tirer un revenu d'une entreprise, au sens de l'alinéa 18(1)a) de la Loi, mais qu'elles étaient des frais personnels ou des frais de subsis- tance au sens de l'alinéa 18(1)h) et du paragraphe 248(1) de la Loi. De plus, le MRN a correctement fixé de nouveau l'impôt à payer par la demande- resse, et il a accordé les déductions de 1 000 $, de 2 000 $ et de 4 000 $ pour les années d'imposition 1982, 1983, 1984 et 1985 respectivement, à titre de frais de garde d'enfants, conformément au paragraphe 63(1) de la Loi.
La défenderesse fait valoir que le rejet de la déduction, réclamée par la demanderesse, des sommes en question en vertu des alinéas 18(1)a) et 18(1)h) n'est pas incompatible avec l'une quelcon- que des dispositions de la Charte. Toujours selon la défenderesse, les dispositions de l'article 15 de la Charte ne s'appliquent pas aux années d'imposi- tion 1982, 1983 et 1984.
En conséquence, ce qu'il faut essentiellement déterminer en l'espèce est la caractérisation appro- priée des paiements faits par la demanderesse à Simpson.
Déductibilité du salaire de Simpson sous le régime de la Loi de l'impôt sur le revenu:
En abordant l'aspect imposition de l'espèce, il faut se demander tout d'abord si la salaire payé à Simpson peut être déduit à titre de dépense en vertu de l'article 9 et des alinéas 18(1)a) et 18(1)h) de la Loi. Le paragraphe 9(1) dit que le revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition est le béné- fice qu'il en tire pour cette année. L'alinéa 18(1)a) de la Loi prévoit une restriction générale des déductions permises dans le calcul du revenu qu'un contribuable tire d'une entreprise ou d'un bien en interdisant la déduction des débours ou des dépen- ses sauf dans la mesure elles ont été faites ou engagées par le contribubale en vue de tirer ou faire produire un revenu. L'alinéa 18(1)h) contient une autre restriction en ce qu'il interdit la déduc- tion des frais personnels ou des frais de susbsistance.
La détermination du bénéfice et la question de savoir si une dépense est une véritable dépense d'entreprise qui doit être incluse dans le calcul du bénéfice sont des questions de droit:
Il n'est nullement nécessaire, pour calculer les bénéfices de façon à représenter fidèlement le revenu imposable d'un contri- buable, de fonder le rapprochement des recettes et des dépenses sur les principes comptables généralement reconnus. Que le rapprochement soit fondé ou non sur ces principes, voilà une question de droit qu'il appartient à la Cour de trancher eu égard à ces derniers (voir M.N.R. v. Anaconda Brass Ltd. (1956), A.C. 85; voir aussi Associated Investories of Canada Ltd. v. M.N.R. (1967), 2 R.C.É. 96, aux pages 101 et 102).
Il s'agit des propos tenus par le juge Urie dans l'affaire Neonex International Ltd. c. Sa Majesté la Reine (1978), 78 DTC 6339 (C.A.F.) à la page 6348.
Après avoir examiné la jurisprudence, je con- viens avec l'avocate de la demanderesse que l'ap- proche appropriée à adopter lorsqu'il s'agit de savoir quelles dépenses doivent être considérées comme des dépenses d'entreprise dans le calcul des bénéfices d'entreprise consiste à se demander si la dépense ou le débours était conforme aux principes ordinaires des affaires commerciales ou aux princi-
pes bien reconnus de la pratique courante des affaires. (Royal Trust Co. v. M.N.R. (1957), 57 DTC 1055 (C. de l'É.); Neonex, précité; Mattabi Mines Ltd. c. Ontario (Ministre du Revenu), [1988] 2 R.C.S. 175).
À l'appui de l'idée qu'on ne peut déterminer la «pratique courante des affaires» qu'au moyen d'élé- ments de preuve comptables, la défenderesse a cité de la jusrisprudence suivante (Associated Inves tors of Canada Ltd. v. Minister of National Reve nue, [1967] 2 R.C.É. 96; Mandel c. La Reine, [1977] 1 C.F. 673; (1976), 76 DTC 6316 (1" inst.), portée en appel [1979] 1 C.F. 560; (1978), 78 DTC 6518 (C.A.); La Banque de Nouvelle- Écosse c. R., [1980] 2 C.F. 545; (1979), 80 DTC 6009 (l" inst.), portée en appel [1982] 1 C.F. 311; (1981), 81 DTC 5115 (C.A.); Canadian General Electric Company v. The Minister of National Revenue, [1962] R.C.S. 3; Minister of National Revenue v. Anaconda American Brass Ltd., [1956] A.C. 85 (P.C.)). En général, ces affaires portent sur la tentative par un contribuable d'utili- ser une méthode comptable particulière pour se soustraire à l'obligation fiscale et, pour cette raison, l'accent est mis sur le critère des «principes comptables» plutôt que sur le critère de la pratique courante des affaires. En conséquence, je suis con- vaincu que le critère est un critère des affaires et non un critère comptable. Toutefois, cela ne signi- fie nécessairement pas que les éléments de preuve comptables, s'ils sont produits, ne devraient pas entrer en ligne de compte, seulement qu'ils ne devraient pas trancher la question.
Ainsi donc, les bénéfices tirés d'une entreprise, sous réserve d'une directive spéciale dans la loi, doivent être déterminés conformément aux princi- pes ordinaires des affaires commerciales et à la pratique courante des affaires, compte tenu de toutes les circonstances de chaque cas d'espèce. De plus, pour que la dépense en question soit déducti- ble, elle doit également être faite ou engagée en vue de tirer un revenu de l'entreprise ou de faire produire un revenu à l'entreprise.
La question de savoir si un débours ou une dépense a été faite ou engagée en vue de tirer un revenu a fait l'objet d'une jurisprudence abon- dante. Il n'y a pas lieu d'examiner toute la juris prudence portant sur ce sujet; au lieu de cela, je me propose de souligner qu'on a de plus en plus
tendance à interpréter l'alinéa 18(1)a) de la Loi de façon plus libérale. Dans l'affaire Royal Trust Co. v. M.N.R., précitée, la Cour de l'Échiquier a conclu que la cotisation à un club versée pour ses cadres par la société étaient déductibles. Le prési- dent Thorson s'est prononcé en ces termes à la page 1060:
[TRADUCTION] Ainsi donc, on peut dire catégoriquement que dans une affaire sous le régime de la Loi de l'impôt sur le revenu, la première question à trancher pour déterminer si un débours ou une dépense n'est pas visée par l'interdiction de l'alinéa 12(1)a) de la Loi est de savoir si elle a été faite ou engagée par le contribuable conformément aux principes ordi- naires des affaires commerciales ou aux principes bien reconnus de la pratique courante des affaires. Dans la négative, la question est vidée. Mais dans l'affirmative, le débours ou la dépense est alors régulièrement déductible à moins qu'elle ne soit pas visée par l'exception prévue à l'article 12(1)a) et tombe donc sous le coup de son interdiction.
Il a ajouté à la page 1062:
[TRADUCTION] La limitation essentielle aux exceptions pré- vues à l'article 12(1)a) est que la dépense ou débours doit avoir été consenti par le contribuable «dans le but» de gagner ou de produire un revenu «dérivé de l'entreprise». C'est le but de la dépense ou du débours qui est important. Le but doit être de gagner ou de produire un revenu «dérivé d'une entreprise» à laquelle le contribuable se consacre. Si de telles conditions sont réunies, le fait qu'il peut ne pas en résulter de profit n'empêche nullement la déductibilité du montant du débours ou de la dépense. Ainsi, dans une affaire jugée en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, si une dépense ou un débours est consenti ou subi par un contribuable conformément aux principes des affaires commerciales ou de la pratique courante des affaires et s'il est consenti ou subi dans le but de gagner ou de produire un revenu dérivé de son entreprise, son montant est déductible aux fins de la Loi de l'impôt sur le revenu.
L'espèce est importante en raison du caractère indirect relatif entre la dépense et son but et de l'accent mis sur le but plutôt que sur le résultat.
De plus, dans l'arrêt Premium Iron Ores Ltd. v. Minister of National Revenue, [1966] R.C.S. 685; 66 DTC 5280, la Cour a accueilli la déduction des frais de justice engagés pour protéger un revenu déjà gagné. Les frais en question ont été engagés en vue de prendre des dispositions pour contester une réclamation qui avait été faite par le Internai Revenue Service des États-Unis.
Dans l'affaire Olympia Floor & Wall Tile (Quebec) Ltd. y. M.N.R. (1970), 70 DTC 6085 (C. de l'E.), le président Jackett a statué que toutes les contributions de l'appelante qui dépassaient 100 $ étaient déductibles, sous le régime de l'alinéa
12(1)a) [Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952], dans le calcul de son revenu; le reste des contributions était déductible en vertu de l'alinéa 27(1)a) à titre de dons de charité. Ces contribu tions plus grandes faites à des organisations de charité (environ 8 000 $ en 1962 et 10 000 $ en 1963) étaient des dépenses engagées par la société surtout (pour ne pas dire entièrement) aux fins d'accroître ou de maintenir ses ventes et seulement à tire subsidiaire, si tant est, aux fins de charité. À la page 6089 de son jugement, le président Jackett s'est exprimé en ces termes:
[TRADUCTION] À mon avis, lorsque un contribuable engage une dépense en vue de produire un revenu—c.-à-d. afin de réaliser des bénéfices—même si cette dépense se présente sous la forme d'un «don» à une organisation de charité, il ne s'agit pas d'un «don» au sens que donne à ce terme l'article 27(1)a), qui, d'après le rôle qu'il joue dans la méthode de calcul du revenu imposable, avait certainement pour but de conférer un avantage aux personnes qui ont fait des contributions en les retirant de leur revenu, et non de permettre de déduire des débours engagés en vue de gagner un revenu.
Dans l'affaire Aluminium Company of Canada Ltd. c. La Reine, [1974] 1 C.F. 387; 77 DTC 6408 (1r 2 inst), des paiements effectués par la contribua- ble à sa filiale jamaïquaine par suite d'une pression exercée par le gouvernement de la Jamaïque ont été acceptés comme des dépenses déductibles parce que ces paiements s'imposaient, sur le plan prati- que et commercial, si la contribuable devait jouir des relations amicales avec le gouvernement de la Jamaïque.
Une autre affaire qui mérite d'être invoquée est l'affaire Holmes c. La Reine, [1974] 1 C.F. 353; 74 DTC 6143 (1f» inst.). Dans cette cause, les contribuables s'associaient dans un cabinet d'avo- cats. Les épouses des associés ont constitué une compagnie de gestion pour s'occuper des fonctions administratives de ce cabinet. En vertu de l'entente entre le cabinet et la compagnie, celle-ci paierait les dépenses engagées par le cabinet d'avocats pour ses services, et ce dernier les lui remboursait et lui versait une commission de gestion de 15 %. La Cour a statué que chacun des contribuables (asso- ciés) était en droit de déduire sa part des commis sions. La Cour était convaincue que, selon la preuve, la mise sur pied d'une compagnie de ges- tion a considérablement augmenté l'efficacité des activités du cabinet d'avocats. Le juge Cattanach s'est prononcé en ces termes aux pages 371 C.F.; 6151 DTC:
Il ressort de la preuve qu'une commission s'élevant à 15% des dépenses faites au nom d'un client correspond au taux normal courant pour des services de ce genre. Pour cette raison, le versement d'une commission de cet ordre ne réduit pas indû- ment le revenu du payeur si la dépense a été engagée pour des raisons commerciales légitimes.
A mon avis, pour déterminer s'il est approprié de déduire les commissions, il faut décider d'abord si le paiement desdites commissions en vertu de ce contrat est motivé par des raisons commerciales admissibles.
En décidant que les paiements des commissions constituaient une dépense engagée en vue de produire ou de gagner un revenu provenant de l'entreprise du demandeur, j'ai conclu en même temps qu'il existait une motivation commerciale réelle impli- quant des avantages commerciaux.
Il n'est pas contesté que les salaires payés aux employés sont déductibles à titre de dépenses d'en- treprise, pourvu qu'ils le soient dans le but de tirer un revenu et qu'ils soient raisonnables. De plus, dans certaines circonstances, des salaires versés à des conjoints ou à des enfants sont également déductibles à titre de dépenses d'entreprise. S'il en est ainsi, selon la demanderesse, pourquoi les salai- res versés à sa bonne d'enfants ne devraient-ils pas être déductibles à titre de dépenses d'entreprise? Certainement, si la demanderesse engageait un avocat en second ou un stagiaire dont les fonctions consistaient également à s'occuper des enfants de l'associé (si par hasard le cabinet fournissait une garderie), il n'y aurait pas contestation du fait que les salaires de l'avocat en second et du stagiaire seraient déductibles à titre de dépense d'entreprise.
Dans son argumentation, l'avocat de la défende- resse a introduit le concept du [TRADUCTION] «cercle des affaires ou de la production de revenu», prétendant que les dépenses qui font que le contri- buable approche du cercle, mais qu'il se trouve encore en dehors de ce dernier, ne sont pas des déductions d'entreprise appropriées et que, en con- séquence, on peut dire que seules celles qui ont été faites «à l'intérieur» du cercle de la production de revenu sont à proprement parler déductibles. L'avocat a qualifié le paiment du salaire de la bonne d'enfants de dépense qui permettait à la demanderesse de sortir et d'exercer sa profession, mais qui n'a pas été faite dans l'exercice de sa profession. Le concept proposé par l'avocat sem- blerait laisser entendre que le cercle des affaires et de la production de revenu a un contenu fixe, c'est-à-dire qu'il se limite à ces articles qui se trouvent à l'intérieur du cercle et qu'on ne saurait y ajouter les autres dépenses.
À mon avis, l'idée d'un cercle à «contenu fixe» va à l'encontre du texte des dispositions pertinentes de la Loi et des tendances dans la jurisprudence qui interprètent ces dispositions. Aucune définition du mot «bénéfice» ne figure dans la Loi. Au lieu de cela, le législateur, en ne définissant pas le terme «bénéfice» ou en ne fixant pas le contenu de ce terme, a voulu que l'interprétation judiciaire dégage du terme le sens qui reflète les réalités de l'époque. De plus, ainsi que je l'ai indiqué plus haut, il ressort de la jurisprudence que les tribu- naux ont donné une interprétation plus progres- siste du texte de l'alinéa 18(1)a) de la Loi. Après les décisions Imperial Oil Ltd. v. Minister of National Revenue, [1947] R.C.É. 527; 3 DTC 1090; Royal Trust (précitée); Parkinson v. M.N.R. (1951), 51 DTC 323 (CAI); Olympia Floor (précitée), des dommages-intérêts, des coti- sations à un club, des dépenses de conférence et des dons de charité respectivement ont été considé- rés comme des déductions acceptables et légitimes du revenu d'entreprise. C'est ainsi que les concepts de «bénéfice» et de ce qui est considéré comme une déduction d'entreprise appropriée ont été adaptés pour refléter la pratique changeante des affaires. En fait, si le législateur n'avait pas permis que le concept fasse l'objet d'une interprétation et d'une nouvelle interprétation de la part des tribunaux, les déductions seraient gelées elles étaient au moment de la l'adoption du prédécesseur de l'ali- néa 18(1)a) de la Loi.
Le D' Patricia Armstrong (Armstrong) a été cité comme témoin d'expert, et je l'ai traitée comme telle après avoir entendu la preuve, suivie des plaidoiries des avocats. L'avocat de la défende- resse a alors adopté la position suivante (page 214 de la transcription):
[TRADUCTION] M. POWER: Monsieur le juge, à la lumière de votre dernière décision et en consultation avec mon collègue pendant la pause, je désire soumettre ce qui suit à votre attention. J'en ai parlé à mon collègue.
Au lieu de me déclarer au nom de la Couronne et de m'opposer à la pertinence de chaque paragraphe, à commencer par le paragraphe 5 de l'affidavit du D' Armstrong, qui va du paragraphe 5 au paragraphe 22, je vais, avec la permission de sa Seigneuirie, à cet état du dossier, m'opposer à la perti nence de chacun de ces paragraphes selon qu'il se rapporte aux circonstances de l'espèce comme je l'avais noté par suite de la question constitutionnelle énoncée par mon collègue.
En conséquence, Monsieur le juge, si on peut considérer que la Couronne s'est opposée à chacun de ces paragraphes, je ne
vais pas me déclarer à moins que d'autres objections survien- nent quant à la question de la pertinence parce que l'objection va être notée maintenant et que cela va faciliter la déposition de ce témoin.
Il ressort du témoignage d'Armstrong que le fait qu'un grand nombre de femmes en âge d'avoir des enfants font preuve d'esprit d'entreprise et se trou- vent en milieu de travail, particulièrement dans les années 1970 et après, a modifié considérablement le paysage et la gestion même des affaires. C'est ainsi que la question de la déductibilité du salaire de Simpson doit être interprétée en tenant compte des réalités sociales et économiques de l'époque.
L'avocat de la défenderesse a cité des décisions rendues dans les années 1950 et 1960 les tribu- naux ont rejeté les dépenses relatives à l'engage- ment de bonnes d'enfants à titre de déduction d'entreprise légitime. Ces dépenses étaient considé- rées comme des frais personnels ou des frais de subsistance au sens de l'alinéa 18(1)h) (de fait, son prédécesseur) de la Loi. Après avoir examiné ces décisions, je souscris aux commentaires de l'avo- cate de la demanderesse selon lesquels le raisonne- ment qui sous-tend ces décisions provient de celui adopté dans l'affaire de 1891 Bowers v. Harding, [1891] 1 Q.B. 560. L'affaire Bowers a eu lieu à une époque on imposait de très sévères restric tions aux femmes et il existait des idées très fixes sur ce qui convenait aux femmes et ce qu'é- tait la position des hommes, en matière d'emploi et de revenu. L'affaire provenait d'un autre âge, d'un autre système portant sur une question fiscale qui était reliée à l'emploi plutôt qu'aux bénéfices tirés d'une entreprise. De plus, l'affaire est pleine d'exemples de la position subalterne des femmes dans cette société et dans cette loi.
Comme le montre le témoignage d'Armstrong, la fin des années 1970 et le début des années 1980 ont connu un changement social important avec l'afflux des femmes en âge d'avoir des enfants dans les affaires et en milieu de travail. Ce changement survient après les causes antérieures qui avaient rejeté les dépenses liées à l'engagement de bonnes d'enfants à titre de déduction d'entreprise légitime et, en conséquence, il ne s'ensuit pas nécessaire- ment que les conditions qui prévalaient dans la société de l'époque de ces décisions antérieures vont s'imposer maintenant. Pour cette raison, je ne vois pas comment je devrais être limité, dans mon
interprétation de ce qui est une dépense d'entre- prise appropriée quant à son rapport avec les dépenses liées à l'engagement de bonnes d'enfants, par un groupe de décisions tranchées dans les anneées 1950 et 1960 sur la base du raisonnement adopté dans une décision rendue en 1891.
Les faits de l'espèce me convainquent que la demanderesse a fait preuve de bon sens commer cial en décidant de consacrer une partie de ses ressources tirées de la pratique du droit au soin de ses enfants. Cette décision est acceptable selon les principes commerciaux qui incluent le développe- ment du capital intellectuel, l'amélioration de la productivité, la fourniture des services aux clients et la disponibilité de la ressource qu'elle vend, c'est-à-dire son temps.
De plus, le témoignage d'Armstrong étaye l'idée que la disponibilité du soin des enfants augmente la productivité en ce sens qu'elle accroît la tran- quillité d'esprit des employés. Augmenter la pro- ductivité est quelque chose qui correspond parfai- tement à la pratique bien établie des affaires. Son témoignage fait voir en outre que l'absence de soin des enfants est un obstacle à la participation des femmes à l'économie, pour ce qui est du travail rémunéré et du travail générateur de revenus, et que, en conséquence, lever l'obstacle en arrivant à un moyen satisfaisant de faire face au coût du soin des enfants serait logique sur le plan commercial.
La demanderesse soutient que le travail de Simpson à sa maison a rendu possible son exercice de la profession d'avocat. Il semblerait que se mettre dans la position d'un professionnel pour générer un revenu est conforme aux bons principes commerciaux. Selon la demanderesse, son entre- prise consiste essentiellement dans la vente de son temps et de sa compétence à ses clients. Elle a maximisé le bénéfice provenant de son temps et de sa compétence en pouvant consacrer ce temps et cette compétence à son travail à temps plein. Elle pouvait également respecter son emploi du temps quotidien en adaptant les exigences de son travail, parce que Simpson s'occupait de ses enfants. Par conséquent, on peut dire qu'il existe un rapport de cause à effet entre la consécration des ressources provenant de l'exercice de sa profession au soin des enfants et la production de ces ressources.
Pour ce qui est de la façon dont la demanderesse a déclaré les dépenses liées à l'engagement de la bonne d'enfants, c'est-à-dire comme un poste sur sa formule personnelle de déclaration de son impôt sur le revenu plutôt que sur l'état financier de la société, je souscris à l'argument de la demande- resse selon lequel, dans les cas d'association, l'en- droit on réclame une dépense importe peu, pourvu qu'il s'agisse d'une déduction appropriée (voir Parkinson v. M.N.R. (1951), 51 DTC 323 (CAI)). À mon avis, pour trancher de façon appro- priée la question de savoir si un poste est déducti- ble, il faudrait se fonder sur la nature de la dépense et non sur le morceau de papier sur lequel elle est ou a été réclamée.
De plus, ainsi que je l'ai indiqué plus haut, il ressort de la jurisprudence qu'on n'a pas nécessai- rement à tenir compte des principes comptables pour déterminer le bénéfice en vertu des principes des affaires commerciales. Il en est particulière- ment ainsi dans l'affaire dont je suis saisi, puis- qu'aucun témoignage d'expert comptable n'a été rendu.
Aux termes de l'argument selon lequel la dépense liée à l'engagement d'une bonne d'enfants est visée par l'alinéa 18(1)h) de la Loi, il me semble que, compte tenu des faits de l'espèce, une distinction s'impose entre le soin des enfants qui permet de participer à l'économie et de générer un revenu et le soin des enfants qui permet une vie mondaine ou l'engagement d'une servante pour se rendre la vie plus facile. Ces deux dernières dépen- ses sont clairement des frais de subsistance person- nels et facultatifs.
La défenderesse soutient que les frais engagés par la demanderesse pour avoir les services d'une bonne d'enfants équivalent à n'importe laquelle des dépenses d'entretien personnelles qu'un homme d'affaires doit payer pour travailler, et que les frais liés à l'engagement d'une bonne d'enfants équiva- lent à l'équipement utilisé par un handicapé pour travailler et ne sont donc pas déductibles. Avec égards, je ne souscris pas à ces analogies. Ce qui rend ce cas unique est que, en vertu de la loi, la demanderesse a l'obligation légale de s'occuper de ses enfants, et que c'est cette obligation légale qui distingue le coût du soin des enfants d'autres types de dépenses qui ont été ou pourraient être qualifiés de frais de subsistance personnels.
En conséquence, compte tenu de ce qui précède et des faits particuliers de l'espèce, je conclus que le salaire payé à la bonne d'enfants a le carcatère d'une dépense engagée en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou de faire produire un revenu à une entreprise, au sens de l'alinéa 18(1)a) de la Loi.
Pour ce qui est de l'article 63 de la Loi, j'aime- rais souligner à ce point dans mes motifs que la défenderesse a reconnu que si la dépense liée à l'engagement d'une bonne d'enfants est une dépense d'entreprise appropriée en vertu des arti cles 3, 9 et 18 de la Loi, alors l'article 63 ne saurait l'empêcher d'être accueillie comme telle.
Le caractère raisonnable (l'article 67 de la Loi):
L'article 67 de la Loi impose une restriction au montant d'un débours ou d'une dépense qui peut être déduite. Le critère est ce qui est «raisonnable eu égard aux circonstances». Dans l'affaire dont je suis saisi, il ne fait pas de doute que les salaires versés à Simpson étaient raisonnables. A cet égard, je note que le Règlement [R.R.O. 1980, Reg. 283] pris en vertu de la Employment Standards Act [R.S.O. 1980, chap. 137] de l'Ontario exige qu'une bonne d'enfants travaillant pour une maison privée reçoive un minimum de 757 $ par mois ou 9 084 $ par an (art. 1 du O. Reg. 75/84 et art. 1 du O. Reg. 39/85). Les salaires de Simpson ne pouvaient être considérés comme déraisonna- bles étant donné ce minimum et le fait qu'elle s'est occupée de deux enfants. (En utilisant le terme «raisonnable», j'affirme bien entendu que la somme réclamée n'était pas excessive, mais du point de vue d'une bonne d'enfants ou d'un éducateur dans une garderie, les salaires ne sont pas, dans presque tous les cas, réellement suffisants.)
Les frais de garde d'enfants—l'article 63 de la Loi:
Avant 1972, les frais de garde d'enfants étaient considérés comme des dépenses personnelles non déductibles aux fins de l'impôt sur le revenu. En 1972, dans le cadre d'une réforme fiscale, le Parle- ment a abordé la question de prévoir dans la Loi une disposition portant sur la déductibilité des frais de garde d'enfants en adoptant l'article 63 de la Loi. L'adoption de l'article 63 visait à faciliter l'entrée des femmes dans la population active, favorisant par l'égalité économique entre les sexes et soulageant les familles à faible revenu (Livre blanc sur la réforme fiscale, (1969)).
Au début, on a considéré que la garde d'enfants incombait principalement à la mère, et, par consé- quent, la déduction de frais de garde d'enfants était destinée uniquement aux femmes moins qu'on ne puisse démontrer que la mère, à cause de la maladie ou de l'emprisonnement, ne pouvait s'occuper de l'enfant ou des enfants). Toutefois, en réponse à la décision du Tribunal canadien des droits de la personne dans Bailey et al. v. Minister of National Revenue (1980), 1 C.H.R.R. D193, l'article 63 a été modifié, pour ce qui est de l'année d'imposition 1983 et des années d'imposition ulté- rieures, pour qu'il s' applique également aux con- tribuables du sexe féminin et du sexe masculin. L'article 63, dans sa version de 1985, permettait à un contribuable de déduire du revenu jusqu'à 2 000 $ par enfant (maximum de quatre enfants) à l'égard des frais de garde d'enfants pour l'année. Lorsque les frais ont été engagés par un couple, le conjoint ayant un revenu inférieur devait réclamer la déduction.
L'interprétation du paragraphe 15(1) de la Charte:
La demanderesse s'appuie sur ce paragraphe qui est ainsi rédigé:
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimina tion, notamment des discriminations fondées sur la race, l'ori- gine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.
En fait, le moyen invoqué par la demanderesse réside dans le refus du même bénéfice de la loi. Cet article n'est pas entré en vigueur avant le 17 avril 1985. La jurisprudence est constante sur ce point: le paragraphe 15(1) de la Charte n'a pas d'effet rétroactif.
Dans l'affaire R. v. Seo (1986), 54 O.R. (2d) 293, la Cour d'appel de l'Ontario a fait remarquer que, à l'évidence, l'ajournement de l'application de l'article 15 visait à permettre au Parlement et aux législatures de rendre leur législation conforme à la Charte. Ce n'est qu'après cette période de tran sition que la législation pourrait être contestée en invoquant le motif de la violation de cet article. Ainsi donc, il n'était pas loisible à l'accusé dans cette affaire de contester la validité d'une condam- nation sous le régime de l'article 234.1 [ajouté par S.C. 1974-75-76, chap. 93, art. 15] du Code cri- minel en alléguant que l'omission de proclamer
l'entrée en vigueur de l'article dans tout le Canada créait une inégalité, lorsque l'accusation provenait d'un événement de 1983.
De même, en l'espèce, le motif de défense fondé sur la Charte ne saurait être invoqué pour les années d'imposition 1982, 1983, 1984 et les trois premiers mois et demi de 1985. Les avis de nouvel- les cotisation envoyés par la poste après le 17 avril 1985 n'ont pas pour effet, comme le prétend la demanderesse, de rendre la Charte applicable à ces années. Toutefois, la demanderesse est en droit d'invoquer la Charte pour le reste de l'année d'im- position 1985 et pour les années d'imposition ultérieures.
La plus récente décision judiciaire sur l'article 15 de la Charte est l'arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143. Les questions que la Cour devait trancher étaient de savoir si l'obligation d'être citoyen canadien por- taient atteinte aux droits à l'égalité garantis par le paragraphe 15(1) de la Charte et, dans l'affirma- tive, si cette atteinte était justifiée par l'article premier de la Charte. La Cour a, à l'unanimité, conclu que cette obligation violait le paragraphe 15(1), et une majorité a statué qu'elle n'était pas soutenable sous le régime de l'article premier de la Charte. Bien que l'arrêt ne soit pas pertinent, il est intéressant pour ses commentaires sur le paragra- phe 15(1) et l'interaction de l'article premier et du paragraphe 15 (1) de la Charte. Ce qu'il convient de noter au début est le fait que la Cour suprême du Canada a rejeté le «critère de la situation identique», savoir que les personnes qui se trouvent dans une situation identique sont traités de façon identique et que les personnes qui se trouvent dans des situations différentes sont traitées différem- ment, et a, au lieu de cela, choisi les motifs «sem- blables ou énumérés» pour déterminer si des indivi- dus ont fait l'objet d'une discrimination pour les motifs mentionnés au paragraphe 15(1) de la Charte.
Le juge McIntyre, qui rédigeait l'arrêt de la Cour sur la question du paragraphe 15(1) et de l'interaction de ce dernier et de l'article premier, a tout d'abord examiné le concept d'égalité et a fait remarquer aux pages 163 et 164 que le paragraphe 15(1) de la Charte prévoit que la loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et que tous ont droit à la même protection et
au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination. [A la page 144]: «Il ne s'agit pas d'une garantie générale d'égalité; la disposition porte sur l'application de la loi.» (C'est moi qui souligne.)
Dans l'affaire dont je suis saisi, il n'existe aucune difficulté quant au mot «loi» puisque c'est une loi du Parlement qui est en cause. Pour ce qui du concept d'égalité, le juge McIntyre a noté ce qui suit à la page 165:
Pour s'approcher de l'idéal d'une égalité complète et entière devant la loi et dans la loi—et dans les affaires humaines une approche est tout ce à quoi on peut s'attendre—la principale considération doit être l'effet de la loi sur l'individu ou le groupe concerné. Tout en reconnaissant qu'il y aura toujours une variété infinie de caractéristiques personnelles, d'aptitudes, de droits et de mérites chez ceux qui sont assujettis à une loi, il faut atteindre le plus possible l'égalité de bénéfice et de protec tion et éviter d'imposer plus de restrictions, de sanctions ou de fardeaux à l'un qu'à l'autre. En d'autres termes, selon cet idéal qui est certes impossible à atteindre, une loi destinée à s'appli- quer à tous ne devrait pas, en raison de différences personnelles non pertinentes, avoir un effet plus contraignant ou moins favorable sur l'un que sur l'autre.
Le juge McIntyre a continué d'examiner le critère de la situation identique et a conclu à la page 168 que le critère ne peut être accepté comme règle ou formule figée applicable en vue de trancher les questions d'égalité soulevées en vertu de la Charte:
Il faut tenir compte du contenu de la loi, de son objet et de son effet sur ceux qu'elle vise, de même que sur ceux qu'elle exclut de son champ d'application. Les questions qui seront soulevées d'un cas à l'autre sont telles que ce serait une erreur que de tenter de restreindre ces considérations à une formule limitée et figée.
Aux pages 174 et 175, il a décrit la discrimination en ces termes:
J'affirmerais alors que la discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d'un individu ou d'un groupe d'individus, qui a pour effet d'imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d'autres ou d'empêcher ou de restreindre l'accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avanta- ges offerts à d'autres membres de la société. Les distinctions fondées sur des caractéristiques personnelles attribuées à un seul individu en raison de son association avec un groupe sont presque toujours taxées de discriminatoires, alors que celles fondées sur les mérites et capacités d'un individu le sont rarement.
Bien entendu, la Cour doit aborder la question de la discrimination en examinant le terme tel qu'il figure au paragraphe 15(1). Le juge McIntyre a ajouté à la page 175:
Les motifs énumérés au par. 15(1) ne sont pas exclusifs et les restrictions, le cas échéant, que la jurisprudence pourra appor- ter aux motifs de discrimination ne sont pas encore précisées. Les motifs énumérés traduisent cependant les pratiques de discrimination les plus courantes, les plus classiques et vraisem- blablement les plus destructrices socialement, et ils doivent, selon le par. 15(1), recevoir une attention particulière. Les motifs énumérés eux-mêmes et les autres motifs possibles de discrimination reconnus au par. 15(1) doivent, dans les deux cas, recevoir une interprétation large et libérale de manière à refléter le fait qu'il s'agit de dispositions constitutionnelles qu'il n'est pas facile d'abroger ou de modifier, mais qui visent à fournir un «cadre permanent à l'exercice légitime de l'autorité gouvernementale» et, par la même occasion, à «la protection constante» des droits à l'égalité: voir Hunter c. Southam Inc., [ 1984] 2 R.C.S. 145, à la p. 155.
Le juge McIntyre a examiné les trois points de vue principaux dont les tribunaux ont tenu compte pour déterminer le rôle du paragraphe 15(1) de la Charte, le sens du terme discrimination contenu dans cet article et le rapport entre le paragraphe 15(1) et l'article premier de la Charte, et il a conclu que le «point de vue, celui des «motifs énumérés et analogues», correspond davantage aux fins de l'art. 15 et à la définition de la discrimina tion exposée auparavant et renvoie à l'article pre mier les questions de justification» (page 182). À la page 180 de ses motifs, le juge McIntyre a inclus l'extrait suivant de l'arrêt rendu par le juge de la Cour d'appel Hugessen dans l'affaire Smith, Kline & French Laboratories Ltd. c. Canada (Pro- cureur Général), [1987] 2 C.F. 359 (C.A.), aux pages 368 et 369:
Dans la mesure le texte de l'article 15 lui-même est visé, on peut voir s'il y a ou non de la «discrimination», au sens péjoratif de ce terme et si les catégories sont fondées ou non sur des motifs énumérés ou des motifs analogues à ceux-ci. L'exa- men porte en fait sur les caractéristiques personnelles de ceux qui prétendent avoir été traités de manière inégale. L'examen porte principalement sur les questions de stéréotype, de désa- vantage historique, en un mot, de préjudice et l'on peut même reconnaître que pour certaines personnes le terme égalité a un sens différent de ce qu'il a pour d'autres personnes.
Le juge McIntyre a alors ajouté le commentaire suivant à la page 182:
Cependant, pour vérifier s'il y a eu atteinte aux droits que le par. 15(1) reconnaît au plaignant, il ne suffit pas de se concen- trer uniquement sur le motif allégué de discrimination et de décider s'il s'agit d'un motif énuméré ou analogue. L'examen doit également porter sur l'effet de la distinction ou de la classification attaquée sur le plaignant. Dès qu'on accepte que ce ne sont pas toutes les distinctions et différenciations créées par la loi qui sont discriminatoires, on doit alors attribuer au par. 15(1) un rôle qui va au-delà de la simple reconnaissance d'une distinction légale. Un plaignant en vertu du par. 15(1)
doit démontrer non seulement qu'il ne bénéficie pas d'un traite- ment égal devant la loi et dans la loi, ou encore que la loi a un effet particulier sur lui en ce qui concerne la protection ou le bénéfice qu'elle offre, mais encore que la loi a un effet discrimi- natoire sur le plan législatif. [C'est moi qui souligne.]
Ainsi donc, la détermination d'une violation pos sible implique un processus à deux étapes: en premier lieu, la personne qui prétend qu'il y a violation du paragraphe 15(1) devra démontrer que la loi s'applique inégalement et, en deuxième lieu, cette personne devra prouver que l'effet de la loi est discriminatoire. Le juge McIntyre a dit en outre à la page 182:
Lorsqu'il y a discrimination, il y a violation du par. 15(1) et, lorsque le par. 15(2) ne s'applique pas, toute justification, tout examen du caractère raisonnable de la mesure législative et, en fait, tout examen des facteurs qui pourraient justifier la discri mination et appuyer la constitutionnalité de la mesure législa- tive attaquée devraient se faire en vertu de l'article premier. Ce point de vue serait conforme aux directives données par cette Cour dans des arrêts antérieurs portant sur l'aplication de l'article premier et permettrait en même temps d'écarter les revendications manifestement futiles et vexatoires. À cet égard, il constituerait une façon pratique d'aborder le problème.
La distinction ci-dessus est importante (comme l'a souligné le juge McIntyre), parce que c'est à la contribuable dans l'affaire dont je suis saisi d'éta- blir que son droit prévu par la Charte a été violé et que, dans ce cas, c'est à l'État de justifier la violation.
Le traitement différent en cause en l'espèce réside dans le refus par le MRN de permettre à la demanderese de déduire ses frais de garde d'en- fants (c'est-à-dire le salaire de Simpson) à titre de dépense d'entreprise pour les années d'imposition en question. La demanderesse tire un revenu de son entreprise et, conformément au bon sens com mercial ou à la pratique des affaires valable, elle a engagé une bonne d'enfants pour pouvoir générer un revenu. En refusant à la demanderesse sa déduction, le MRN lui réserve un traitement diffé- rent de celui destiné aux autres contribuables pour ce qui est des dépenses qui sont considérées comme nécessaires à la production d'un revenu d'entre- prise.
Ce traitement différent se traduit encore par le fait que le MRN applique au cas de la demande- resse des principes dégagés dans la jurisprudence qui porte sur la déductibilité des dépenses d'entre- prise telles qu'elles se rapportent à la garde d'en- fants, mais que l'application à cette demanderesse
particulière de ces vieux principes a un effet diffé- rent sur celle-ci (page 413 de la transcription). Ainsi que l'a souligné la demanderesse, on ne la traite pas comme une personne sérieuse qui s'en- gage dans des affaires et qui fait une dépense sérieuse en vue d'une fin légitime. Au lieu de cela, elle est traitée [TRADUCTION] «comme une per- sonne frivole qui engage une servante ou qui va se faire faire les ongles», et c'est ce traitement qui va à l'encontre de la protection contre un traitement inégal et un effet particulier (page 414 de la transcription).
La demanderesse doit payer plus d'impôts qu'elle ne le ferait si elle obtenait une déduction, ce qui constitue une injustice qui la touche. De plus, elle doit faire toutes les déductions pour son employée Simpson, c'est-à-dire elle doit déduire à la source le montant de l'impôt, des contributions à l'A-C et au RPC; et elle doit verser ses contribu tions à l'A-C et au RPC en tant qu'employeuse. À cet égard, elle est traitée comme n'importe quel employeur qui engage une dépense d'entreprise et, pourtant, elle n'est pas autorisée à déduire cette dépense. Donc, non seulement elle a un supplé- ment d'impôt, mais elle a aussi des paperasseries et des responsabilités supplémentaires. Selon la demanderesse, il est clair qu'il existe une distinc tion entre le traitement qu'elle reçoit et celui réservé aux autres employeurs, et cette distinction repose sur des motifs afférents aux caractérisques personnelles de cette demanderesse, savoir qu'elle est une femme et une mère. A l'appui de la première distinction alléguée, la demandereresse fait état du témoignage d'Armstrong selon lequel les femmes portent de loin le plus grand fardeau de la garde d'enfants. Ce sont les femmes faisant partie de la population active avec ces responsabili- tés de garde d'enfants qui se trouvent touchées par ce genre de distinction.
Le second aspect de l'argument afférent à la caractéristique personnelle réside dans le fait que la demanderesse est mère. Il est clair que les tribunaux sont disposés à examiner les caractéristi- ques ou catégories autres que celles énumérées à l'article 15 de la Charte pour statuer sur une question de discrimination sous le régime de l'arti- cle 15. Dans l'arrêt Andrews précité, la Cour suprême a fait connaître sa volonté de donner la réplique en déterminant quel type de caractéristi-
ques personnelles constitue un fondement inconsti- tutionnel de la dérogation à la législation sur les droits de la personne. Le témoignage d'Armstrong a indiqué que le sexe de la personne pour laquelle on travaille et la discrimination fondée sur l'état familial, bien que ce ne soit pas universel au Canada, constituent également un motif de discri mination noté dans plusieurs codes des droits de la personne au Canada.
En conséquence, je conviens avec l'avocate de la demanderesse qu'il existe une distinction dans ce cas particulier et une discrimination à l'égard de la demanderesse, relativement aux caractéristiques personnelles telles que le sexe, l'état parental, et ceci fait qu'elle a des charges, des obligations et des désavantages qu'on n'impose pas aux autres.
La demanderesse a l'obligation financière de payer presque tous ses frais de garde d'enfants (étant donné la déduction prévue à l'article 63) avec ce qui lui reste après impôt. Il s'agit d'un fardeau financier, pourtant il n'est pas imposé pour ce qui est d'autres types de dépenses d'entre- prise; et selon le MRN, ce n'est pas un fardeau financier imposé aux employeurs qui offrent des services de garde d'enfants à leurs employés. Ainsi, la demanderesse doit porter le fardeau financier de cette dépense, alors que ce n'est pas le cas des autres générateurs de revenus d'entreprise. Comme d'autres employeurs, elle doit également s'occuper de la même paperasserie, c'est-à-dire remplir les formules, faire des remises et verser les cotisations de RPC et d'A-C en tant qu'employeuse.
Pour ce qui est de la seconde partie du critère de la discrimination, les restrictions imposées à la demanderesse écartent ou limitent l'accès aux chances et aux avantages dont bénéficient d'autres membres de la société. Ainsi qu'il a été indiqué plus haut, on refuse à la demanderesse l'avantage d'une déduction fiscale que reçoivent d'autres per- sonnes qui ont ces obligations. Elle paye l'argent et remplit les exigences administratives, alors que d'autres employeurs n'ont pas à payer l'argent avec ce qui leur reste après impôt et reçoivent l'avantage de la déduction (page 419 de la transcription).
J'estime que, à ce stade, il convient de souligner l'objet véritable de l'article 15 de la Charte, tel
qu'il a été énoncé par le juge McIntyre à la page 171 des motifs qu'il a prononcés dans l'arrêt Andrews:
Il est clair que l'art. 15 a pour objet de garantir l'égalité dans la formulation et l'application de la loi. Favoriser l'égalité emporte favoriser l'existence d'une société tous ont la certi tude que la loi les reconnaît comme des êtres humains qui méritent le même respect, la même déférence et la même considération. Il comporte un aspect réparateur important.
J'estime donc que, si dans notre société nous devons favoriser l'égalité des femmes, ce que vise clairement l'article 15, alors une interprétation de la Loi de l'impôt sur le revenu qui permet aux femmes entrepreneurs (dans les circonstances appropriées) de déduire leurs frais de garde d'en- fants pour qu'elles s'engagent dans une entreprise est clairement dans les règles.
D'après la défenderesse, que quelque chose soit ou ne soit pas une déduction d'entreprise relative- ment aux concepts fondamentaux de la détermina- tion du revenu ne constitue pas une distinction qui est discriminatoire selon l'un quelconque des motifs énumérés à l'article 15 ou des motifs analo gues. Toujours selon la défenderesse, la distinction de ce qui se trouve dans le «cercle des affaires» n'a rien à voir avec les caractéristiques personnelles. Elle se rapporte à la réponse aux questions: «a- t-elle eu lieu au cours de l'exploitation de l'entre- prise?» La distinction n'est donc pas péjorative, c'est une distinction fondée sur les pratiques com- merciales économiques relativement à ce qui cons- titue une déduction d'entreprise. Essentiellement, l'argument porte sur le fait que les dispositions de la Loi concernant le bénéfice sont [TRADUCTION] «neutres d'après leur formulation». Elles s'appli- quent à tous également, que le contribuable réclame des dépenses liées à l'engagement d'une bonne d'enfants ou des dépenses de conférence. En conséquence, elles ne sont pas discriminatoires au sens de l'article 15 de la Charte. En outre, le prétendu «fardeau» que représentent des impôts plus élevés et l'obligation, pour ce qui est de la paperasserie, de faire des déductions, des remises et des paiements s'imposent à tous les Canadiens qui exercent des activités commerciales, et, dans ce sens, on ne saurait dire que la demanderesse fait l'objet d'une discrimination.
À propos des arguments de la défenderesse, je renverrais encore une fois à l'arrêt Andrews de la Cour suprême du Canada, qui a insisté sur l'effet
de la loi sur l'individu ou le groupe concerné. Ainsi donc, une loi qui est neutre d'après sa formulation peut être jugée incompatible avec l'article 15 de la Charte si, dans son application, elle impose des obligations additionnelles à une catégorie ou la soustrait aux avantages dont bénéficient d'autres personnes. Je suis convaincu que, en l'espèce, la demanderesse a, compte tenu de l'arrêt Andrews, établi l'effet particulier de la loi ainsi que la discrimination requise fondée sur ses caractéristi- ques personnelles que sont le sexe et l'état familial ou parental.
La défenderesse a également fait valoir que le législateur, en adoptant l'article 63 de la Loi de l'impôt sur le revenu, a expressément autorisé les déductions de frais de garde d'enfants sous réserve des conditions prévues par la loi. En le faisant, il a de façon appropriée exercé sa fonction législative dans le domaine socio-économique et n'a violé aucun des droits de la demanderesse qui sont prévus à l'article 15. Au lieu de cela, l'article (63) est un article accessoire, et selon la défenderesse, il aborde le problème de la garde d'enfants et aide à le résoudre. Toutefois, le témoignage d'Armstrong semble indiquer que quelque chose «ne vas pas» et que, selon des rapports gouvernementaux, le pré- sent système ne fournit pas des services de garde d'enfants en quantités suffisantes pour les femmes canadiennes. La coût de la garde d'enfants prend une partie considérable du revenu des femmes (environ un cinquième) et est considéré comme un poste coûteux. En tant que poste coûteux, il consti- tue un obstacle à l'accès des femmes à l'économie.
En conséquence, je suis d'accord avec l'argu- ment de la demanderesse selon lequel, compte tenu de l'arrêt Andrews, une interprétation de la Loi de l'impôt sur le revenu qui ne tient pas compte du fait que les femmes sont principalement responsa- bles du soin des enfants et que les frais de garde d'enfants constituent un obstacle principal à la participation des femmes violerait elle-même l'arti- cle 15 de la Charte. De plus, depuis l'arrêt Andrews, la Loi ne saurait être interprétée comme si les parents (du sexe féminin surtout) sont au même titre que les autres travailleurs, ou entrepre neurs (c.-à-d. sans responsabilité de garde d'en- fants); elle doit être interprétée d'une manière qui reconnaît leur expérience particulière en ce sens qu'ils sont principalement responsables de la garde d'enfants.
Justification sous le régime de l'article premier de la Charte:
La troisième démarche dans une réclamation fondée sur l'article 15 consiste à se demander si l'atteinte est justifiée par l'article premier de la Charte. Ainsi que je l'ai indiqué plus haut, il appartient à la partie qui cherche à soutenir la disposition, en l'occurrence la Couronne défende- resse, de justifier l'atteinte. De plus, la justification devrait se faire conformément au critère dégagé dans l'arrêt La Reine c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103.
La défenderesse soutient que le refus de la déduction des dépenses liées à l'engagement d'une bonne d'enfants est justifié sous le régime de l'arti- cle premier de la Charte lorsqu'on le considère dans le contexte des responsabilités fiscales totales du Parlement, de ses actes accomplis jusqu'à main- tenant et des sommes dépensées. La défenderesse soutient en outre que les tribunaux ne devraient pas être appelés à substituer une opinion judiciaire aux opinions législatives quant à l'endroit tracer des lignes de conduite précises pour la répartition des fonds publics limités et des dépenses fiscales. À l'appui de ces arguments, la défendresse invoque les motifs prononcés par le juge McIntyre dans l'arrêt Andrews (pages 183 et 184).
Toutefois, il convient de souligner que, pour ce qui est de la partie des motifs mentionnée par la défenderesse, le juge McIntyre était dans la mino- rité de la Cour. Le juge Wilson (avec l'appui du Juge en chef, des juges Lamer et L'Heureux- Dubé) n'est pas d'accord avec le juge McIntyre pour ce qui est de la déférence à donner au choix législatif. Aux pages 153 à 155 de ses motifs, le juge Wilson décrit en ces termes la méthode d'aborder l'article premier:
Le premier obstacle à franchir en vue de supprimer un droit garanti dans la Charte est que l'objectif visé par la mesure législative contestée doit se rapporter à des préoccupations «urgentes et réelles» dans une société libre et démocratique. Le Juge en chef affirme, aux pp. 138 et 139:
Pour établir qu'une restriction est raisonnable et que sa justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique, il faut satisfaire à deux critères fonda- mentaux. En premier lieu, l'objectif que visent à servir les mesures qui apportent une restriction à un droit ou à une liberté garantis par la Charte, doit être «suffisamment impor tant pour justifier la suppression d'un droit ou d'une liberté garantis par la Constitution.: R. c. Big M Drug Mart Ltd., précité, à la p. 352. La norme doit être sévère afin que les
objectifs peu importants ou contraires aux principes qui constituent l'essence même d'une société libre et démocrati- que ne bénéficient pas de la protection de l'article premier. Il faut à tout le moins qu'un objectif se rapporte à des préoccu- pations urgentes et réelles dans une société libre et démocra- tique, pour qu'on puisse le qualifier de suffisamment important.
À mon avis, il s'agit toujours d'une norme appropriée lorsqu'on reconnaît que ce ne sont pas toutes les distinctions entre des individus et des groupes qui violent l'art. 15. Si toutes les distinctions entre des individus et des groupes avaient pour effet de violer l'art. 15, cette norme pourrait alors fort bien se révéler trop stricte pour s'appliquer dans tous les cas et avoir pour effet de priver l'ensemble de la collectivité des bénéfices liés à des lois socio-économiques justes et souhaitables. Toutefois, cela devient sans intérêt si l'on rejette le point de vue selon lequel toute distinction établie par la loi constitue de la discrimination, comme l'a fait d'ailleurs mon collègue le juge McIntyre dans ses motifs. Étant donné que l'art. 15 est conçu pour protéger les groupes défavorisés sur les plans social, politique et juridique dans notre société, la responsabilité qui incombe au gouverne- ment de justifier le type de discrimination dont sont victimes ces groupes est à juste titre lourde.
La deuxième étape d'un examen fondé sur l'article premier comporte l'application d'un critère de proportionnalité, en vertu duquel la Cour doit soupeser un certain nombre de facteurs. La Cour doit examiner la nature du droit, l'étendue de sa violation et jusqu'à quel point la restriction permet d'atteindre l'objectif légitime contenu dans la mesure législative. Comme l'affirme le Juge en chef dans l'arrêt R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713, à la p. 768:
En second lieu, les moyens choisis pour atteindre ces objectifs doivent être proportionnels ou appropriés à ces fins. La proportionnalité requise, à son tour, comporte normalement trois aspects: les mesures restrictives doivent être soigneuse- ment conçues pour atteindre l'objectif en question, ou avoir un lien rationnel avec cet objectif; elles doivent être de nature à porter le moins possible atteinte au droit en question et leurs effets ne doivent pas empiéter sur les droits individuels ou collectifs au point que l'objectif législatif, si important soit-il, soit néanmoins supplanté par l'atteinte aux droits.
Il ressort donc de l'arrêt Andrews qu'il n'est plus possible de justifier une obligation particulière (refus d'un avantage) simplement parce que cela se fait conformément à un objectif fédéral valable. Ce dernier critère a été remplacé par le critère du caractère justifiable inclus à l'article premier et interprété dans l'arrêt Oakes. C'est ainsi que l'ob- jectif d'une loi qui viole la Charte doit être «réel et urgent» pour subir avec succès l'examen sous le régime de l'article premier.
Après avoir examiné la preuve produite par la défenderesse, j'estime qu'elle n'a présenté aucun objectif «réel et urgent» pour justifier le refus de la déductibilité à titre de dépense d'entreprise des dépenses faites par la demanderesse pour l'engage- ment d'une bonne d'enfants.
De plus, compte tenu des faits de l'espèce, on n'a pas établi que le législateur a fait un choix législa- tif en interdisant la pleine déductibilité des dépen- ses liées à l'engagement d'une bonne d'enfants dans l'espèce présente. Au lieu de cela, on laisse aux tribunaux le soin de décider, en conformité de la Charte, si les concepts de bénéfice et de dépen- ses d'entreprise permettent une telle déduction. Cela ne veut pas dire que les dépenses liées à l'engagement d'une bonne d'enfants vont toujours être considérées comme des dépenses d'entreprise, ni que l'article 63 de la Loi a été rendu inopérant en vertu de l'article 52 de la Charte.
Selon la défenderesse, on m'a demandé de «faire dire» à une disposition de la Loi de l'impôt sur le revenu quelque chose qu'elle ne dit pas pour la rendre conforme à la Charte, pour modifier la définition de bénéfice figurant dans la Loi (qui relève de l'interprétation judiciaire) ou pour rendre inopérant l'article 63 de la Loi. Il n'en est pas ainsi. Le sens à donner au terme de «bénéfice», ainsi que je l'ai indiqué plus haut, est question d'interprétation judiciaire. La tradition voit dans l'interprétation des lois le domaine des tribunaux, dans un contexte constitutionnel ou à l'extérieur de ce contexte. En conséquence, il m'est loisible de donner au terme «bénéfice», tel qu'il se rapporte aux dépenses d'entreprise déductibles (articles 9 et 18 de la Loi), une interprétation qui soit conforme aux exigences de la Charte, sans qu'il soit besoin de faire une «suppression», une «modification» ou de «faire dire à un texte quelque chose qu'il ne dit pas».
Par les motifs invoqués ci-dessus, la demande- resse est autorisée à déduire, à titre de, dépenses d'entreprise, les dépenses liées à l'engagement de sa bonne d'enfants (le salaire de la bonne d'en- fants), conformément aux dispositions applicables de la Loi de l'impôt sur le revenu, pour les années d'imposition 1982, 1983, 1984 et 1985.
De même, conformément à l'intention de la Charte de favoriser l'égalité ainsi qu'aux réalités sociales et économiques du Canada, la demande- resse devrait être autorisée à déduire, à titre de dépense d'entreprise, les dépenses liées à l'engage- ment de sa bonne d'enfants (le salaire de la bonne d'enfants) dans l'année d'imposition 1985 et les années d'imposition ultérieures.
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