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A-173-89
C. Justin Griffin (requérant) c.
Comité d'appel de la Commission de la fonction publique (intimé)
RÉPERTORIÉ: GRIFFIN c. CANADA (COMITÉ D'APPEL DE LA COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE) (CA.)
Cour d'appel, juge en chef Iacobucci, juges Heald et Stone, J.C.A.—Ottawa, 5 et 12 décembre 1989.
Fonction publique Procédure de sélection Concours Demande fondée sur l'art. 28 en vue de la révision et de l'annulation d'une décision par laquelle le Comité d'appel de la Commission de la fonction publique a rejeté un appel formé contre des nominations faites à la suite d'un concours interne interministériel qui a été tenu conformément au Règlement sur l'emploi dans la Fonction publique pour des postes d'agent d'audition des demandes du statut de réfugié Le requérant s'est préparé au concours en étudiant de la documentation en français seulement Sujet d'ordre très technique Le requérant s'est vu remettre la version anglaise de l'examen il ne s'y est pas opposé, afin de ne pas se mettre les fonction- naires à dos Le requérant a été éliminé Le Comité d'appel a jugé que le requérant avait consenti à passer l'exa- men en anglais Demande accueillie Il existe un lien entre l'art. 10 de la Loi, qui prévoit que la sélection se fait sur la base du mérite, et l'art. 16(2), qui permet au candidat de choisir la langue dans laquelle se déroulera l'examen, l'épreuve ou l'entrevue Le Comité a mal interprété l'art. 16(2) de la Loi Lors de la tenue d'un concours, il faut évaluer le mérite du candidat en utilisant des moyens qui respectent la langue préférée du candidat Il en résulte que ceux qui tiennent les examens doivent respecter le droit du candidat de choisir la langue d'évaluation On ne devrait admettre un changement de la langue d'évaluation que lorsque le candidat l'autorise clairement et expressément Il incombe à ceux qui tiennent les examens et les entrevues d'établir une procédure particulière afin que le choix de la langue d'évaluation soit fait clairement, confirmé et respecté.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 28.
Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), chap. P-33, art. 10, 16(2), 21.
Règlement sur l'emploi dans la Fonction publique, C.R.C., chap. 1337.
AVOCATS:
Andrew J. Raven pour le requérant. Yvonne E. Milosevic pour l'intimé.
PROCUREURS:
Soloway, Wright, Ottawa, pour le requérant. Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE EN CHEF IACOBUCCI: La présente demande fondée sur l'article 28 [Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7] vise à la révi- sion et à l'annulation d'une décision qu'un Comité d'appel (le «Comité») constitué par la Commission de la fonction publique a rendue le 31 mars 1989 à la suite d'un appel formé par le requérant en vertu de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), chap. P-33 (la «Loi»). L'appel du requérant s'élevait contre des nominations, faites selon un mode de sélection du personnel, à des postes d'«agent d'audition». à la Commission de l'immigration et du statut de réfu- gié (le «Ministère») à Montréal. Ces nominations ont été faites à la suite d'un concours interne interministériel qui s'est tenu conformément au Règlement sur l'emploi dans la Fonction publique (C.R.C., chap. 1337). Le concours avait pour but d'établir une liste d'admissibilité qui devait servir à combler des postes vacants.
Le requérant a présenté sa demande le 4 mai 1987 en français et a supposé que l'examen de ses titres et qualités se ferait dans cette langue. La nature du poste visé par le concours était telle que les réponses recherchées dans l'examen écrit et l'examen oral étaient très techniques, et ces exa- mens exigeaient donc une préparation sérieuse. Le requérant s'est préparé en étudiant de la documen tation rédigée en français.
Lorsque le requérant s'est présenté à Toronto pour subir l'examen écrit, on lui a remis la version anglaise de cet examen. Malgré sa préparation à l'examen en français et la conviction qu'il aurait mieux répondu dans cette langue, le requérant n'a formulé aucune objection au sujet de l'examen qui lui était remis, car il ne voulait apparemment pas se mettre à dos les fonctionnaires du Ministère. Le requérant a témoigné que l'examen écrit compre- nait certains termes techniques avec lesquels il était familier en français seulement. Il a également
soutenu que le fait de devoir répondre en anglais à des questions posées dans cette langue avait influé sur son niveau de concentration.
Après l'écrit, le requérant a été convoqué à une entrevue qui s'est déroulée en anglais. Il y a eu une certaine divergence dans les témoignages au sujet de ce qu'on a dit au requérant immédiatement avant l'entrevue, mais, comme rien ne s'appuie sur l'entrevue du requérant, nous n'avons pas besoin d'en dire plus pour les fins de sa demande.
Bien que le requérant ait déclaré avoir éprouvé des difficultés avec la langue utilisée, il a réussi le concours, et son nom a été proposé pour un des postes en question. Toutefois, il a été interjeté appel avec succès des résultats du concours, à la suite de quoi la Commission de la fonction publi- que a constitué un comité consultatif [TRADUC- TION] «pour étudier les mesures à prendre» afin de corriger les erreurs survenues dans le déroulement du concours. En se fondant sur les recommanda- tions du comité, la Commission a donné des ins tructions au Ministère de supprimer huit questions de l'examen écrit. Les notes des candidats ont alors été calculées de nouveau sur la base des points accordés aux autres questions. À la suite de cette nouvelle évaluation, la note du requérant pour la partie de l'examen écrit portant sur les capacités des candidats est passée à 13 sur 27, soit un point en dessous de la note de passage. L'échec du requérant dans la partie de l'examen écrit portant sur les capacités, qui représentait une part impor- tante de l'examen, a entraîné son élimination du concours. Le requérant a, par la suite, exercé son droit d'appel en vertu de l'article 21 de la Loi.
En examinant les allégations relatives au droit du requérant de passer l'examen en français, la Commission a abouti à la conclusion suivante:
[TRADUCTION] L'autre question soulevée par l'appelant con- cerne son choix de la langue officielle pour l'examen écrit et l'entrevue. À mon avis, on peut considérer que l'appelant a choisi de passer l'examen écrit et l'entrevue en français étant donné qu'il a rempli sa demande en français. Que cela suffise ou non, le Ministère aurait essayer d'obtenir des précisions. Cependant, je ne suis pas d'accord avec M. Amyot lorsqu'il affirme que le Ministère pouvait faire le choix à la place de l'appelant.
De toute façon, M. Amyot ne faisait que se demander pourquoi l'appelant a passé l'examen en anglais. Je trouve plus plausible l'explication de M. Deleu selon laquelle le Ministère a commis une erreur administrative. L'erreur aurait pu être
corrigée tant pour l'examen écrit que pour l'entrevue si l'appe- lant l'avait portée à l'attention du Ministère. Il aurait notamment penser à confirmer la langue de l'entrevue après ce qui s'était produit à l'examen écrit. Sa décision finalement de passer l'examen en anglais ne pouvait qu'inciter davantage le Ministère à supposer qu'il voulait que l'entrevue se déroule en anglais. Les erreurs administratives abondent dans les grandes bureaucraties, et c'en fut une de remettre à l'appelant la version anglaise de l'examen écrit. Il avait ses raisons de ne pas parler franchement à ce moment-là, mais je dois ajouter que ce n'étaient pas de très bonnes raisons. En outre, il ressort claire- ment de la preuve que, si l'appelant avait parlé franchement, le Ministère aurait pu lui fournir la version française de l'examen dans un délai de quelques minutes tout au plus.
Quant à l'entrevue, il est manifeste encore une fois que, si l'appelant avait parlé franchement, même encore au moment de l'entrevue, le Ministère aurait été disposé à ce qu'elle se déroule en français.
Je ne puis conclure que le Ministère a enfreint le paragraphe 16(2) de la Loi. En acceptant un examen et une entrevue en anglais, lorsqu'il n'était pas obligé de le faire, l'appelant a effectivement modifié son choix quant à la langue officielle dans laquelle il préférait être évalué.
Je suis entièrement d'accord avec les décisions Fiorgi et Page qu'a citées le représentant de l'appelant. Toutefois, ces affaires portent sur des cas on a, de fait, empêché un candidat de passer des examens dans la langue de son choix. Ce n'est pas le cas de l'appelant.
Pour les motifs susmentionnés, l'appel de C. Justin Griffin est rejeté'.
L'avocat du requérant a soutenu devant nous que le Comité a outrepassé sa compétence et a commis une erreur de droit en ne se posant pas la bonne question, à savoir si le requérant aurait mieux réussi dans le cadre du concours et aurait été considéré comme compétent s'il avait passé son évaluation en français. Par ailleurs, l'avocate du Comité intimé a prétendu que la question prélimi- naire dont le Comité était saisi était de savoir si le Ministère avait enfreint le paragraphe 16(2) de la Loi. Pour trancher cette question, le Comité s'est demandé à juste titre si le requérant avait fait un choix au sujet de la langue officielle dans laquelle il voulait que se déroulent son examen et son entrevue et, advenant le cas, s'il avait fait connaî- tre ce choix au Ministère. En se fondant sur ses conclusions selon lesquelles le requérant avait choisi initialement de passer son examen et son entrevue en français mais avait opté par la suite pour l'anglais, le Comité a jugé qu'il n'y avait pas eu violation du paragraphe 16(2) de la Loi et il a dûment mis fin à son enquête. Par conséquent,
Dossir, vol. 2, p. 200 et 201.
l'avocate de l'intimé allègue que le Comité n'était nullement justifié de se demander si le requérant aurait mieux réussi dans le cadre de l'examen final s'il avait été évalué en français.
Je suis d'accord avec la position de l'avocate de l'intimé selon laquelle la première question à se poser est de savoir si on a enfreint ou non les dispositions du paragraphe 16(2) en l'espèce. Tou- tefois, je ne suis pas d'accord pour dire que le Comité a eu raison de statuer qu'il n'y a pas eu infraction.
L'article 10 de la Loi prévoit que les nomina tions internes ou externes à des postes de la fonc- tion publique se font sur la base du mérite et, en outre, que ces nominations se font soit par con- cours soit par tout autre mode de sélection fondé sur le mérite des candidats 2 . Le paragraphe 16(2) de la Loi 3 prévoit que, lorsqu'une nomination doit se faire par voie de concours, les examens, épreu- ves ou entrevues qui ont pour objet de déterminer, entre autres, les titres et qualités d'un candidat se tiennent en français ou en anglais, ou dans les deux langues, au choix du candidat.
Il existe donc un lien entre l'article 10 et le paragraphe 16(2) de la Loi étant donné que, lors- qu'a lieu un concours, on doit évaluer le mérite du candidat en utilisant des moyens qui respectent sa langue préférée. Il s'ensuit que la langue de l'éva- luation est un élément pertinent pour savoir si un candidat a bien été évalué selon le mérite, seule- ment dans les cas l'on ne s'est pas conformé au paragraphe 16(2) de la Loi.
Z L'article 10 de la Loi prévoit ce qui suit:
Les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se font sur la base d'une sélection fondée sur le mérite, selon ce que détermine la Commission, et à la demande de l'administrateur général interessé, soit par con- cours, soit par tout autre mode de sélection du personnel fondé sur le mérite des candidats que la Commission estime le mieux adapté aux intérêts de la fonction publique.
3 Le paragraphe 16(2) de la Loi est libellé ainsi:
Les examens, épreuves ou entrevues prévus au présent article lorsqu'ils ont pour objet d'établir les titres et qualités d'un candidat visé à l'article 12, l'exception de la langue, se tiennent en français ou en anglais, ou dans les deux langues, au choix du candidat.
Le paragraphe 16(2) accorde à un candidat le droit de choisir la ou les langues officielles dans lesquelles doivent se dérouler son examen ou son entrevue. En conséquence, on peut raisonnable- ment en déduire que ceux qui tiennent les examens doivent respecter le droit du candidat de choisir la langue de l'évaluation. Bien que la Loi ne men- tionne pas comment ni quand doit être déterminée la langue préférée d'un candidat, le Comité a constaté qu'[TRADUCTION] «on peut considérer que le requérant a choisi de passer l'examen et l'entrevue en français étant donné qu'il a rempli sa demande en français» et il a ajouté: «que cela suffise ou non, le Ministère aurait essayer d'obtenir des précisions».
Après cette constatation, le Comité en est égale- ment venu à la conclusion qu'«en consentant» à passer un examen et une entrevue en anglais lors- qu'il n'était pas tenu de le faire, le requérant a «effectivement» modifié son choix.
À mon avis, le Comité a mal interprété le para- graphe 16(2) de la Loi. Ainsi qu'il a déjà été mentionné, le paragraphe 16(2) confère un droit au candidat en ce qui a trait au choix de la langue d'évaluation et, en raison de son lien avec le prin- cipe du mérite exposé à l'article 10, on ne devrait admettre un changement de la langue choisie que lorsque le candidat l'autorise clairement et expres- sément. Je ne crois pas que le comportement du requérant lors de l'examen équivalait en l'espèce à l'expression claire d'un tel changement quand on prend en considération premièrement le témoi- gnage admis du requérant selon lequel il s'est préparé à l'examen en s'attendant à une version française des questions et selon lequel l'examen lui-même contenait un grand nombre de termes juridiques qu'il avait appris en français'', et deuxiè- mement le motif invoqué par le requérant comme quoi il ne voulait pas se mettre à dos les fonction- naires du Ministère. Souvent qui ne dit mot con sent, mais le silence du requérant dans le contexte du stress d'un examen n'équivaut pas au consente- ment requis en vertu du paragraphe 16(2) de la Loi.
Je me rends compte que mon interprétation du paragraphe 16(2) en ce qui a trait à un change- ment de choix est plutôt stricte, mais elle est en
Voir l'examen écrit, Dossier, vol. I, p. 55, qui se poursuit pendant plusieurs pages et est plutôt ardu.
accord avec l'importance du choix de la langue dans l'application du principe du mérite aux nomi nations de personnel. Cette opinion peut peut-être signifier que ceux qui tiennent des examens et des entrevues de ce genre voudront établir une procé- dure particulière afin de s'assurer que le choix de la langue est fait clairement, confirmé et respecté, mais cela ne fera sûrement qu'engendrer une plus grande équité pour toutes les personnes concernées et, de façon tout aussi importante, accroître la chance que soit respecté le principe du mérite dans les nominations de personnel.
Par conséquent, la demande fondée sur l'article 28 sera accueillie, la décision du Comité sera annulée, et l'affaire sera renvoyée devant le Comité pour qu'il tienne compte du fait qu'il y a eu, en l'espèce, violation du paragraphe 16(2) de la Loi.
LE JUGE HEALD, J.C.A.: Je souscris aux pré- sents motifs.
LE JUGE STONE, J.C.A.: Je souscris aux pré- sents motifs.
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