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T-370-88
Joseph Emmerson Porter (demandeur)
c.
La Reine (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: PORTER C. CANADA (1' e INST.)
Section de première instance, juge Joyal—Halifax, 13 décembre 1988; Ottawa, 14 mars 1989.
Douanes et accise Loi sur l'accise Confiscation Camion saisi en vertu de l'art. 163(3) lorsque le propriétaire a été appréhendé alors qu'il transportait de l'eau-de-vie illéga- lement fabriquée Théorie historique et contemporaine du droit de la confiscation Distinction entre une confiscation de nature réglementaire et une confiscation à caractère répressif La Charte ne rend pas inopérante la confiscation Il est déconseillé de rompre l'équilibre entre les droits privés et individuels que garantit la Charte et le devoir du législateur de protéger l'intérêt de la collectivité Il convient de mettre en balance les intérêts de l'État avec les préoccupations des individus au sein même des dispositions qui définissent des droits.
Droit constitutionnel Charte des droits Procédures criminelles et pénales Le camion du demandeur a été saisi en vertu de l'art. 163(3) de la Loi sur l'accise lorsque le demandeur a été appréhendé alors qu'il transportait de l'eau-de-vie illégalement fabriquée Déclaré coupable et condamné à une amende sous le régime de l'art. 163(1)a) L'art. 11 de la Charte n'est d'aucun secours puisqu'il ne s'applique qu'aux inculpés La procédure de confiscation est dirigée contre le camion lui-même Il n'y a pas eu double incrimination puisque l'inculpé n'est définitivement puni que lorsque toutes les conséquences pénales possibles de l'infrac- tion sont épuisées La loi permet d'appliquer diverses sanc tions conjointement avec d'autres formes de châtiment La peine cruelle et inusitée doit -être excessive et exagérément disproportionnée La confiscation n'est pas inusitée compte tenu de sa longue histoire au Canada, et n'est pas «excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine» L'art. 8 de la Charte (protection contre les saisies abusives) vise à protéger le droit à la vie privée des personnes physiques Il n'est nullement allégué qu'il y a eu violation du droit à la vie privée Il n'y a pas eu violation de la présomption d'innocence La confiscation du véhicule est fondée, de par la loi, non pas sur la condamnation ultime du demandeur, mais sur le fait que le véhicule a été utilisé pour transporter de l'alcool illicite.
Droit constitutionnel Charte des droits Clause limita- tive La confiscation sous le régime de l'art. 163(3) de la Loi sur l'accise est justifiée en tant que mesure raisonnable conçue pour déjouer d'autres entreprises criminelles, protéger le bien- être de la collectivité et garantir les recettes de la Couronne.
Il s'agit, en l'espèce, de trancher un point de droit. Le camion Toyota 1986 du demandeur, d'une valeur estimée de 14 000 $, a été saisi en vertu du paragraphe 163(3) de la Loi sur l'accise lorsque le demandeur a été appréhendé alors qu'il transportait de l'eau-de-vie illégalement fabriquée. Il s'est par la suite
reconnu coupable de l'infraction et a été condamné à une amende. Le paragraphe 163(3) prévoit que toute eau-de-vie de ce genre et tous véhicules qui ont servi aux fins de transporter cette eau-de-vie sont confisqués au profit de la Couronne. Le demandeur soutient que le paragraphe 163(3) va à l'encontre de la Charte, particulièrement aux articles 8 (protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives), 11d) (pré- somption d'innocence), h) (protection contre une double incri mination) et 12 (protection contre les peines cruelles et inusi- tées). La question se pose de savoir si les dispositions de la Charte ont rendu inopérante la disposition relative à la confiscation.
Jugement: l'action devrait être rejetée.
La Cour a examiné les dispositions de la Charte ainsi que la théorie historique et contemporaine du droit de la confiscation, notamment l'expérience américaine, afin de résoudre l'affronte- ment entre l'ancienne coutume de la confiscation et l'élévation récente des droits et libertés individuels. Historiquement, les tribunaux ont reconnu la nécessité de la confiscation «pour le bien de la collectivité», notamment pour la protection des recettes et de la santé publique. Les tribunaux américains ont conclu que la confiscation était trop solidement implantée dans la jurisprudence en matière de mesures répressives et de redres- sement pour être supprimée. Au Canada, la légitimité des dispositions de confiscation n'avait jamais été mise sérieuse- ment en doute avant l'avènement de la Charte.
L'article 11 ne s'applique qu'aux inculpés. Au moment de la confiscation du camion, la poursuite était intentée contre le camion lui-même en raison de son utilisation comme moyen de transport d'alcool illicite. La confiscation ne constitue pas un double châtiment interdit par l'alinéa 11h) de la Charte parce que, en droit, une action in rem est indépendante des considéra- tions de propriété.
La confiscation peut servir à 1) réglementer les activités illégales ou 2) punir ceux qui se livrent à de telles activités. En l'espèce, il est difficile de qualifier la loi de loi de nature réglementaire puisqu'elle évite l'imposition d'une confiscation à l'innocent. Si sa principale fonction était de réglementer le transport d'alcool illicite, la confiscation serait imposée dans tous les cas. Même si la disposition contestée comportait un aspect punitif, le demandeur ne saurait invoquer l'alinéa I Ih) parce que la peine ne constitue pas une double incrimination, l'inculpé n'étant définitivement puni que lorsque toutes les conséquences pénales possibles de l'infraction sont épuisées. On ne saurait s'appuyer sur l'article 12 parce que la confiscation n'est pas cruelle et inusitée. La peine cruelle et inusitée est non seulement excessive, mais elle est aussi exagérément dispropor- tionnée. La confiscation n'est pas inusitée, et, compte tenu de sa longue histoire, n'est pas excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine. Les lois d'un corps législa- tif sont présumées constitutionnelles jusqu'à preuve contraire. Le demandeur n'a pas démontré que les dispositions de confis cation sont inconstitutionnelles.
Il est allégué qu'il était abusif de saisir un bien d'une telle valeur à la suite de cette violation de la Loi sur l'accise. Toutefois, l'article 8 de la Charte vise principalement à proté- ger la vie privée des personnes physiques, et il ne protège les biens que lorsque cela est nécessaire pour confirmer la protec tion du droit à la vie privée. Il n'est nullement allégué qu'il y a eu violation du droit du demandeur à la vie privée.
Le demandeur soutient également que, puisque les disposi tions de confiscation s'appliquent avant que le propriétaire du véhicule ait été jugé pour l'infraction et en ait été déclaré coupable, il y a présomption de culpabilité. La confiscation est fondée, non pas sur la condamnation ultime, mais sur le fait que le véhicule a été utilisé pour transporter de l'alcool illicite.
Le souci de protéger les recettes réalisées grâce aux taxes d'accise, qui est consacré par une ancienne doctrine et une légitimité historique, mérite qu'on continue à le respecter, puisque, au fil des ans, aussi radicale qu'elle puisse sembler à l'occasion, la confiscation est une mesure qu'il est bon et nécessaire de conserver. Le tribunal qui intervient dans la politique législative risque toujours de rompre le fragile équili- bre qui doit être maintenu entre les droits privés et individuels que garantit la Charte et le devoir du législateur de garantir et de protéger l'intérêt de la collectivité. Puisque l'article 12 est libellé en des termes qui comportent des adjectifs qualificatifs, il doit être sujet à certaines limites, dont le respect des intérêts légitimes de l'État. Ce qui est cruel et inusité peut varier selon les circonstances, et la Couronne n'est pas toujours tenue d'en faire la preuve stricte dans le contexte de l'article premier. Le juge peut cependant en tenir compte pour définir le droit garanti.
Il n'y a rien d'incorrect à mettre en balance les intérêts de l'État avec les préoccupations des individus au sein même des dispositions qui définissent des droits. En tout état de cause, on reconnaîtrait l'existence d'une limite semblable à ce droit pro- tégé si l'analyse était faite dans le cadre de l'article premier. La légitimité de la confiscation pourrait aisément être justifiée en tant que mesure raisonnable conçue pour déjouer d'autres entreprises criminelles, protéger le bien-être de la collectivité et garantir les recettes de la Couronne.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. I1 (R.-U.), art. 1, 8, 11d),h), 12.
Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appen- dice III.
Loi sur l'accise, S.R.C. 1970, chap. E-12, art. 115, 163(1)a) (mod. par S.C. 1976-77, chap. 28, art. 49), (3).
Loi sur les douanes, S.C. 1986, chap. I.
Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N-1, art. 10(9).
Lord Campbell's Act, 9 & 10 Vict., chap. 62.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
Re Regina and Green (1983), 5 C.C.C. (3d) 95; 41 O.R. (2d) 557 (H.C.); R. c. Smith (Edward Dewey), [1987] I R.C.S. 1045.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Regina v. Woodrow (1846), 153 E.R. 907 (Exch.); United States v. Balint, 258 U.S. 250 (1922); U.S. v. One
1963 Cadillac Coupe de Ville, Two-Door, 250 F. Supp. 183 (W.D. Mo. 1966); Calero-Toledo v. Pearson Yacht Leasing Co., 416 U.S. 663 (1974); The Palmyra, 12 Wheat. 1 (1827); Goldsmith, Jr.-Grant Co. v. United States, 254 U.S. 505 (1921); The King v. Krakowec et al., [1932] R.C.S. 134; In re Gittens, [1983] I C.F. 152; (1982), 137 D.L.R. (3d) 687 (1 inst.); R. v. Simon (No. 3) (1982), 5 W.W.R. 728 (C.S.T.N.-O); R. v. Mitchell (1987), 39 C.C.C. (3d) 141 (C.A.N.-E); F.K. Clayton Group Ltd. c. M.R.N., [1988] 2 C.F. 467; (1988), 82 N.R. 313 (C.A.F.); Bertram S. Miller Ltd. c. R., [1986] 3 C.F. 291; 28 C.C.C. (3d) 263 (C.A.F.); R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495.
DÉCISIONS CITÉES:
Mayberry, Herbert Frederick v. The King, [1950] R.C.E 402; Koschuk, John v. The King, [1950] R.C.E 332; Re Vincent et Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1983), 148 D.L.R. (3d) 385 (C.A.F.); Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; (1984), 55 N.R. 241.
DOCTRINE
Clark, J. Morris «Civil and Criminal Penalties and For- feitures: A Framework for Constitutional Analysis» (1976), 60 Minn. L. Rev. 379.
Finkelstein, Jacob «The Goring Ox: Some Historical Perspectives on Deodands, Forfeitures, Wrongful Death and the Western Notion of Sovereignty» (1973), 46 Temple L.Q. 169.
AVOCATS:
Christene H. Hirschfeld pour le demandeur. Michael F. Donovan pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Cooper & McDonald, Halifax, pour le demandeur.
Le sous -procureur général pour la défende- resse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE JOYAL:
FAITS À L'ORIGINE DU LITIGE
Les faits de la présente espèce ne sont pas contestés et sont relativement simples. Le deman- deur a été appréhendé le 4 septembre 1987 alors qu'il transportait de l'eau-de-vie illégalement fabriquée en violation de l'alinéa 163(1)a) de la Loi sur l'accise, S.R.C. 1970, chap. E-12 [mod. par S.C. 1976-77, chap. 28, art. 49].
Le même jour, son camion, un camion Toyota 1986 d'une valeur estimée de quelque 14 000 $, a été saisi en vertu du paragraphe 163(3) de la Loi.
Le demandeur s'est par la suite reconnu coupa- ble de l'infraction et a été condamné à une amende de 650 $ et à des frais. Dans l'intervalle, il avait donné avis de son intention de contester la saisie en vertu de l'article 115 de la Loi.
Finalement, la Couronne a déposé devant notre Cour une dénonciation pour demander la confisca tion du camion Toyota. Le demandeur s'y est opposé en faisant valoir que le paragraphe 163(3) de la Loi allait à l'encontre des articles 8, 11 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)].
Devant cette contestation constitutionnelle, les parties ont, sur la base d'un exposé conjoint des faits, convenu de faire trancher un point de droit et, aux termes d'une ordonnance prononcée le 23 novembre 1988 par le juge en chef adjoint de notre Cour, l'affaire a été entendue à Halifax le 13 décembre 1988.
LES QUESTIONS EN LITIGE
Le paragraphe 163(3) de la Loi sur l'accise est ainsi conçu:
163... .
(3) Toute eau-de-vie mentionnée au paragraphe (1), en quel- que lieu qu'elle se trouve, et tous chevaux et véhicules, tous vaisseaux et autres appareils, qui ont servi ou servent aux fins de transporter l'eau-de-vie ainsi fabriquée, importée, sortie, aliénée ou détournée ou dans lesquels ou sur lesquels on la trouve, sont confisqués au profit de la Couronne et peuvent être saisis et détenus par tout préposé, et il peut en être disposé en conséquence.
Pour le chauffeur de camion ordinaire ou le voyageur canadien qui reviennent par la route d'un voyage à l'étranger et qui voient la chose d'un mauvais oeil, cette disposition de «confiscation» de la Loi sur l'accise ou de la Loi sur les douanes [S.C. 1986, chap. 1] comporte un certain aspect draconien. Bien qu'elle existe depuis des siècles, la pratique de la confiscation évoque à l'esprit l'idée d'une peine ou d'une sanction qui dans de nom- breux cas semble aller bien au-delà des exigences de la punition et du châtiment. Il y a apparemment
une disproportion entre les recettes que perd la Couronne et, comme en l'espèce, la valeur du véhicule confisqué dans lequel les biens illicites étaient transportés.
Ce genre de disproportion devient un problème plus frustrant lorsqu'on l'examine dans le contexte des droits et libertés déclarés dans la Charte et du but évident qu'a cette dernière de garantir un certain degré d'équité ou de bon sens dans l'exer- cice des pouvoirs publics face aux agissements illégaux des citoyens.
La question posée par les parties soulève une foule de questions complexes, parmi lesquelles la question de l'affrontement entre l'ancienne cou- tume de la confiscation et celle de l'élévation plus récente des droits et libertés individuels ne sont pas les moindres. En cette période cruciale de la Charte, y a-t-il encore de la place pour une mesure aussi brutale que la confiscation d'un véhicule, lorsque son propriétaire est aussi condamné à des amendes, à une peine d'emprisonnement et qu'il perd les biens saisis? En revanche, dans quelle mesure la vénérable coutume de la confiscation peut-elle être rayée des recueils de loi au motif qu'elle contrevient à la Charte, niant ainsi aux pouvoirs publics leur outil de contrainte le plus efficace?
La constitutionnalité de la clause de confiscation de la Loi sur l'accise nécessite donc un examen de la Charte, de ses termes et de sa signification, et nous oblige à définir les divers droits individuels que l'on veut protéger. On doit également exami ner la théorie historique et plus contemporaine du droit de la confiscation, en déterminer le sens, la nature et surtout les répercussions sur les particu- liers pour pouvoir décider si elle est incompatible avec la Charte.
HISTORIQUE DE LA CONFISCATION
Jacob Finkelstein, un professeur d'assyriologie et de littérature babylonienne à l'Université Yale a écrit ce qui, à mes yeux de profane, semble être un article qui fait autorité: «The Goring Ox: Some Historical Perspectives on Deodands, Forfeitures, Wrongful Death and the Western Notion of Sove reignty» dans (1973), 46 Temple L.Q. 169.
L'auteur suggère que le concept de la confisca tion remonte à la prescription biblique que l'on
trouve au livre de l'Exode (Ex 21,28): «Si un boeuf encorne un homme ou une femme et cause sa mort, le boeuf sera lapidé et l'on n'en mangera pas la viande». Le professeur Finkelstein trouve la véritable application de la loi d'expiation dans l'abandon de l'objet fautif et dans sa destruction finale.
Le concept a subi divers changements subtils au cours des siècles qui ont suivi. Au neuvième siècle, sous le règne d'Alfred le Grand, il avait pris la forme du concept de «noxal surrender» par lequel un parent cédait au parent lésé l'objet qui avait été la cause de la mort accidentelle, pour empêcher le parent lésé de le poursuivre.
Au moment de son incorporation dans le droit anglais, le concept était connu sous le nom de «deodand», du latin «deo dandum» qui signifie «donné à Dieu», ce qui démontre qu'il existe à tout le moins un rapport étymologique avec le boeuf des temps bibliques. Le rapport philosophique était toutefois moins évident. L'objet fautif n'était plus remis à Dieu ou au plus proche parent, mais plutôt au roi. Comme la Couronne supplantait de plus en plus l'Église en tant qu'autorité suprême du pays, l'institution du deodand s'est de plus en plus sécu- larisée et est devenue au fil des ans une source ou une garantie importante de recettes, tout en con- servant en même temps certains éléments de sa fonction expiatoire initiale.
Vu sa totale inefficacité à indemniser d'un décès accidentel, l'institution du «deodand» a été finale- ment abolie en 1846 par l'adoption de la Lord Campbell's Act [9 & 10 Vict., chap. 62]. Néan- moins, l'outil de la confiscation au profit de la Couronne a été conservé, puisqu'il était alimenté par d'autres principes de common law, comme par exemple dans le cas de la confiscation par la Couronne du patrimoine d'une personne condam- née.
Il a également trouvé application dans ce qu'on est convenu d'appeler les affaires relatives ou «bien-être de la collectivité» comme l'arrêt Regina v. Woodrow (1846), 153 E.R. 907 (Exch.), dans lequel du tabac frelaté a été confisqué au profit de Sa Majesté même si son propriétaire était morale- ment innocent de l'affaire. Le juge en chef Pollock a noté dans cette affaire la page 911] le carac- tère sévère de la loi, mais l'a jugé nécessaire
[TRADUCTION] «pour le bien de la collectivité». Je conclus par déduction de ce jugement que la pro tection des recettes était, en ce qui concerne le bien-être de la collectivité, aussi importante que la protection de la santé publique.
Le professeur Finkelstein y voit, à la page 204 de son article, [TRADUCTION] «une préoccupation évidente pour la protection des recettes de la Cou- ronne» et une acceptation, même de la part de ceux qui avaient salué l'abolition du «deodand», du [TRADUCTION] «droit du souverain d'infliger et d'exiger des confiscations et des amendes, avec ou sans preuve de la mens rea du défendeur ...»
L'EXPÉRIENCE AMÉRICAINE
Le traitement donné aux États-Unis aux règles de droit relatives à la confiscation pourrait être particulièrement pertinent, parce qu'il bat en brèche les solides garanties constitutionnelles de l'application régulière de la loi et de la jouissance des biens. Le professeur Finkelstein cite l'arrêt United States v. Balint, 258 U.S. 250 (1922), comme équivalent américain de l'arrêt Woodrow (précité) parce qu'il exige, à l'égard de la protec tion des recettes, une aussi grande vigilance que celle qui a trait à la protection du public contre les aliments avariés ou les substances nocives.
Dans l'arrêt U.S. v. One 1963 Cadillac Coupe de Ville, Two-Door, 250 F. Supp. 183 (W.D. Mo. 1966), la Cour a exigé que la poursuite visant à obtenir l'exécution d'une confiscation respecte le principe de l'application régulière de la loi, mais elle n'a pas empêché la confiscation sur le fonde- ment de motifs de fond se rapportant à l'applica- tion régulière de la loi.
La reconnaissance stricte et absolue des disposi tions relatives à la confiscation a été rendue mani- feste dans l'arrêt Calero-Toledo v. Pearson Yacht Leasing Co., 416 U.S. 663 (1974), de la Cour suprême des États-Unis. Dans cette affaire, les propriétaires d'un yacht qui avait été saisi après que ses locataires eurent été trouvés en possession d'un stupéfiant illicite, ont contesté la constitution- nalité d'une confiscation effectuée au mépris de leur prétention d'innocence.
Le juge Brennan a fait remarquer que depuis les origines de la République, la confiscation des véhi-
cules utilisés pour déjouer les lois douanières était monnaie courante. Il a déclaré, à la page 683:
[TRADUCTION] [L]'adoption de lois de confiscation n'a pas diminué; les lois contemporaines promulguées par le pouvoir fédéral et par les États en matière de confiscation atteignent pratiquement tous les genres de biens qui pourraient être utilisés pour réaliser des entreprises criminelles.
Le juge Brennan a poursuivi en faisant remar- quer qu'en Angleterre, la confiscation n'était pas liée aux condamnations pour actes délictuels graves lorsque la confiscation se fondait naturelle- ment sur la condamnation. À la page 684, il a cité un extrait du jugement rendu par le juge Story dans l'affaire The Palmyra, 12 Wheat. 1 (1827):
[TRADUCTION] Mais cette théorie n'a jamais été appliquée aux saisies et aux confiscations, créées par loi in rem, et relevant de la compétence du fisc en matière de recettes. La chose est en l'espèce surtout envisagée en fonction du fait que le contreve- nant, ou plutôt l'infraction, se rattache principalement à la chose, et ce, que l'infraction soit un malum prohibitum ou un malum in se .. .
Dans un arrêt antérieur, l'arrêt Goldsmith, Jr.-Grant Co. v. United States, 254 U.S,. 505 (1921), qui a été cité et approuvé dans l'arrêt Calero-Toledo (précité), la Cour suprême des États-Unis a reconnu qu'il pouvait y avoir une certaine fiction juridique dans le fait d'imputer une complicité à un véhicule dans une poursuite ad rem, mais la Cour a conclu que la confiscation était trop solidement implantée dans la jurispru dence du pays en matière de mesures répressives et de redressement pour être maintenant supprimée.
L'EXPÉRIENCE CANADIENNE
Avant l'avènement de la Charte canadienne des droits et libertés, la légitimité des dispositions de confiscation n'avait jamais été mise sérieusement en doute. L'usage anglais consistant à recourir à la confiscation comme moyen efficace de protection des recettes du souverain a trouvé facilement application ici.
Dans l'arrêt The King v. Krakowec et al., [1932] R.C.S. 134, la Cour suprême du Canada a donné effet à la confiscation d'un camion apparte- nant à un propriétaire de bonne foi dont le véhicule avait été utilisé pour transporter de l'alcool illicite. La Cour suprême a statué que la confiscation s'appliquait sans égard à la culpabilité ou à l'inno- cence du propriétaire, à la condition qu'il s'agisse d'une poursuite in rem intentée contre l'objet fautif lui-même.
Il est admis que depuis l'arrêt Krakowec, la loi a été modifiée pour permettre la restitution de l'ob- jet confisqué au propriétaire de bonne foi, mais cela n'a aucun rapport avec les questions litigieu- ses qui me sont soumises.
Il est également admis que dans d'autres affai- res les tribunaux ont reconnu qu'il n'existait pas de pouvoir discrétionnaire qui permette d'accorder un redressement au propriétaire de bonne foi ou à la personne dont la condamnation pour transport d'alcool illicite était finalement annulée. La loi exigeait et exige toujours que le véhicule utilisé pour le transport d'alcool illicite soit confisqué au profit de Sa Majesté (voir Mayberry, Herbert Frederick v. The King, [ 1950] R.C.E. 402; et Koschuk, John v. The King, [ 1950] R.C.E. 332.
En conséquence, la seule question qu'il me reste à résoudre est de savoir si la Charte canadienne des droits et libertés rend inopérante cette disposi tion de confiscation.
LA CONFISCATION DEPUIS LE PROMULGATION DE LA CHARTE
Le demandeur prétend que les dispositions du paragraphe 163(3) de la Loi sur l'accise relatives à la confiscation vont à l'encontre de plusieurs droits et libertés protégés par la Charte.
Plus précisément, le demandeur invoque l'article 8, qui reconnaît à chacun le droit d'être protégé contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives. Le demandeur invoque également l'alinéa 11d), qui reconnaît à tout inculpé le droit d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un procès public et équitable. Il invoque également l'alinéa 11h), qui accorde à tout inculpé le droit, d'une part de ne pas être jugé de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement acquitté, d'autre part de ne pas être jugé ni puni de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement déclaré coupable et puni. Finalement, le deman- deur s'appuie sur l'article 12, qui garantit le droit de chacun à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.
L'alinéa 11h) de la Charte
Avant d'analyser les droits et libertés susmen- tionnés, il faut d'abord examiner les mots
employés dans la Charte pour déterminer la nature de la protection ou de la garantie que confère le texte de loi et pour déterminer le degré de cette protection ou de cette garantie.
Il est évident que l'article 11 ne s'applique qu'aux inculpés. C'est une condition sine qua non de l'application de la présomption d'innocence, de la protection contre la double incrimination, ainsi que de l'application ou de la pertinence des autres droits énoncés à cet article.
Toutefois, dans le cas de la saisie ou de la confiscation du camion du demandeur, la pour- suite est, du moins suivant la théorie traditionnelle, intentée contre le camion lui-même en tant qu'ob- jet susceptible d'être confisqué au profit de Sa Majesté en raison de son utilisation comme moyen de transport d'alcool illicite. Ainsi que la jurispru dence l'enseigne, la propriété du véhicule n'a aucune incidence sur l'exercice du droit de confis cation. Il se peut très bien que le propriétaire soit innocent de tout méfait; pourtant, son véhicule n'est pas moins susceptible d'être confisqué.
La pensée qui surgit immédiatement à l'esprit à cet égard est qu'il serait effectivement paradoxal d'opposer la confiscation à un propriétaire de bonne foi tout en dédommageant de la confiscation l'auteur réel de l'infraction au motif que les droits que lui reconnaît l'article 11 ont été violés ou niés.
Les réponses rapides ne résoudent cependant pas toutes les questions. Dans son habile plaidoirie, l'avocat soutient essentiellement que la confisca tion, ajoutée à la condamnation dont a fait l'objet le demandeur, constitue le double châtiment qu'in- terdit -l'alinéa 11h) de la Charte. Les faits qui m'ont été soumis donnent certainement à penser qu'il y a eu double châtiment. Non seulement le demandeur a-t-il été condamné à une amende, mais de plus il s'est vu saisir et confisquer son camion de grande valeur.
Tout homme raisonnable souscrirait à cette pro position. Il dirait qu'aucune justification éclecti- que, par laquelle on interprète une action in rem de façon à punir le véhicule fautif comme s'il était l'équivalent contemporain du boeuf qui encorne, ne saurait changer la réalité. Il examinerait la valeur du camion et l'amende infligée et constaterait peu de différence dans la nature de ces deux consé-
quences, qui découlent d'une même infraction. Il conclurait que les peines pécuniaires subies par le demandeur sont cumulatives et que tout argument contraire est de la pure fiction.
Qu'il s'agit de pure fiction est la perception de l'homme raisonnable. Aux yeux de la loi, une action in rem est cependant une réalité bien con- crète qui est entièrement indépendante des consi- dérations de propriété ou de droits et qui, en un sens, insuffle une personnalité à la chose. Cette personnalité est telle que le comportement répré- hensible ou sans tache de son propriétaire n'inté- resse nullement la loi. C'est-à-dire que le lien de droit entre la chose et son propriétaire ne s'appli- que pas ou qu'il est soustrait à l'examen de la loi. C'est-à-dire que nulle part à l'article 11 la chose ou son propriétaire peuvent-ils trouver un abri ou une protection quelconque.
Pourtant, sur la question de la double incrimina tion, l'article 11 parle effectivement de peine. Il dit, à son alinéa h), que l'inculpé qui a été déclaré coupable et puni pour une infraction a le droit de ne pas être jugé ni puni de nouveau pour cette infraction. Si l'on se met à nouveau dans la peau de l'homme raisonnable, on est forcé de considérer la confiscation d'un objet de valeur comme une peine, à tout le moins comme une peine de nature économique, qui est prononcée contre le deman- deur en plus de la peine qui lui est infligée sous forme d'amende. Dans ce cas, le problème se complique: la confiscation peut être considérée comme un double châtiment pour la même infrac tion, ce qui contrevient à l'alinéa 11h) de la Charte et, en supposant que la perte de recettes que subit Sa Majesté à cause de l'alcool illicite soit relative- ment modeste, la confiscation peut également constituer le genre de traitement ou de peine cruels et inusités dont il est question à l'article 12 de la Charte.
L'alinéa 11h) et l'article 12 de la Charte
La Cour doit une fois de plus chercher de l'aide ailleurs que dans la jurisprudence canadienne. Dans son article intitulé «Civil and Criminal Penalties and Forfeitures: A Framework for Cons titutional Analysis», (1976) 60 Minn. L. Rev. 379, J. Morris Clark émet l'idée qu'aux États-Unis, il se peut que les dispositions relatives à la confisca tion aient une double nature et qu'elles servent
d'une part à réglementer les activités illégales et d'autre part à punir ceux qui se livrent à de telles activités. Dans certains cas, la confiscation sert simplement à réglementer et ne constitue aucune- ment un châtiment sur le plan conceptuel. Il en serait ainsi dans le cas de saisies d'alcool, de drogues illicites, d'argent contrefait ou de carabi- nes à canon scié non enregistrées. Il n'y a pas privation de propriété, car ces biens n'ont jamais fait l'objet d'une propriété légale.
L'auteur poursuit en disant, à la page 479:
[TRADUCTION] La confiscation de ces objets n'est pas liée au fait qu'ils ont été utilisés pour commettre un acte illégal, de telle sorte que la sanction de la confiscation ne s'applique pas uniquement aux contrevenants. L'intérêt qu'a l'État à empê- cher les particuliers d'être en possession d'articles dangereux est adéquatement servi par l'interdiction de l'utilisation de ces objets par quiconque, que les intéressés aient ou non commis des infractions et que les articles interdits aient été ou non utilisés pour commettre des infractions.
À la page 478, M. Clark doit toutefois reconnaî- tre qu'il est très difficile de faire une nette distinc tion entre une confiscation de nature réglementaire et une confiscation de caractère répressif. Il cite de nombreuses affaires américaines dans lesquelles des biens confisqués n'étaient ni des articles de contrebande, ni des objets illicites, ni des objets particulièrement faits pour commettre des activités criminelles [TRADUCTION] «et dans lesquelles il a été pourtant statué que la confiscation ne portait pas atteinte aux droits personnels et ne punissait pas leur propriétaire».
Ces observations nous ramènent à la case départ. Confisquer le camion du demandeur qui a été utilisé pour transporter de l'eau-de-vie illicite principalement dans le but de punir le contreve- nant est une chose; le confisquer principalement dans le but de réglementer la circulation de cette eau-de-vie illégale en est une autre.
C'est une question difficile à trancher. Si nous avions affaire à une loi semblable à celle qui était contestée devant la Cour suprême des États-Unis dans l'affaire Calero, je n'aurais aucune hésitation à qualifier la loi de loi de nature principalement réglementaire, malgré le fait que l'une de ces conséquences pourrait être d'appliquer une sanc tion qu'on est convenu d'appeler économique. Tou- tefois, la loi dont il est question en l'espèce n'est pas aussi manifestement réglementaire. Si la prin- cipale fonction de la loi était de réglementer le
transport d'alcool illicite, la meilleure façon d'at- teindre cet objectif serait de garantir la confisca tion dans tous les cas, sans égard à la culpabilité ou à l'innocence du propriétaire ou du conducteur du véhicule. Même s'il est vrai, comme nous l'avons déjà fait remarquer, que la confiscation ne se fonde pas sur une déclaration de culpabilité, il est clair que la loi permet au propriétaire et au titulaire de privilège qui sont entièrement de bonne foi d'échapper aux conséquences qu'ils devraient autrement subir. En d'autres mots, la loi évite l'imposition d'une confiscation à celui qui est moralement sans reproche. Bien que ce fait à lui seul ne suffise pas à nier l'objectif de réglementa- tion qui est à la base de la loi, il écarte effective- ment le problème de savoir si la loi comporte à sa base une intention punitive tout aussi forte.
Ceci étant dit, je dois néanmoins conclure que le demandeur ne peut invoquer l'alinéa 11h) ou l'ar- ticle 12 de la Charte pour aider sa cause. Même en admettant que la disposition contestée comporte un aspect punitif (sans décider si cet aspect est aussi important ou moins important que l'aspect réglementaire de la loi), la peine en question ne constitue pas selon moi une double incrimination ou un châtiment cruel et inusité. Je pourrais résu- mer mon raisonnement de la façon suivante.
Il existe une présomption de droit suivant laquelle les lois adoptées par un corps législatif sont présumées constitutionnelles jusqu'à preuve contraire. Il suffit que je dise que le demandeur a le fardeau de démontrer que les dispositions de confiscation de la Loi sur l'accise sont inconstitu- tionnelles.
La théorie de la confiscation que l'on trouve dans les lois du Canada est demeurée incontestée pendant de nombreuses générations. Elle s'est implantée dans notre conscience en tant qu'outil de respect de la loi et de réglementation et elle reflète les principes séculaires de l'action in rem, qui entraînent la confiscation ou la destruction de la chose qui a été utilisée pour commettre une acti- vité illégale.
Dans l'affaire Re Regina and Green (1983), 5 C.C.C. (3d) 95; 41 O.R. (2d) 557, (analysée à la page 16.7-4 de l'ouvrage Canadian Charter of Rights and Freedoms Annotated), la Haute Cour de l'Ontario a statué que la confiscation d'un
véhicule utilisé pour commettre une infraction à la Loi sur les stupéfiants [S.R.C. 1970, chap. N-1] était autorisée par le paragraphe 10(9) de la Loi sur les stupéfiants et ne contrevenait pas à l'alinéa 11h) de la Charte. La Cour a jugé que le fait que la confiscation n'est pas automatique et qu'elle peut être demandée après qu'une peine d'empri- sonnement a déjà été infligée ne signifie pas que l'inculpé est puni de nouveau pour la même infrac tion. En outre, l'inculpé n'est définitivement puni que lorsque toutes les conséquences pénales possi bles de l'infraction sont épuisées. Le droit canadien permet d'appliquer diverses sanctions conjointe- ment avec d'autres formes de châtiment. Fort de ce jugement, on peut conclure que si la confisca tion du camion du demandeur constitue un châti- ment, il ne s'agit pas du double châtiment pour la même infraction qu'interdit l'alinéa 11h).
Au surplus, en admettant que je sois tenté de qualifier la confiscation de châtiment, je ne pour- rais conclure qu'un tel châtiment est cruel et inu- sité au sens de l'article 12. Il existe une abondante jurisprudence sur cette question qui indique claire- ment l'interprétation étroite qu'il faut donner à cette disposition.
Dans le jugement In re Gittens, [1983] 1 C.F. 152; (1982), 137 D.L.R. (3d) 687, la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada a statué que l'exécution d'une ordonnance d'expul- sion ne constituait pas un traitement ou une peine cruels et inusités. Le même principe a été suivi par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Re Vincent et Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1983), 148 D.L.R. (3d) 385.
Dans le jugement R. v. Simon (No. 3), (1982), 5 W.W.R. 728 (C.S.T.N.-O.), il a été statué que la peine d'emprisonnement pour une période indéter- minée prononcée contre un délinquant dangereux ne contrevenait pas à la disposition équivalente de la Déclaration canadienne des droits [S.R.C. 1970, Appendice III]. Dans le jugement R. v. Mitchell (1987), 39 C.C.C. (3d) 141 (C.A.N.-E), la Cour a jugé qu'une peine minimale d'emprison- nement à perpétuité sans libération conditionnelle pendant une période déterminée ne violait pas la garantie contre les peines cruelles et inusitées.
Les contestations de la constitutionnalité des dispositions législatives considérées comme infli-
geant une peine cruelle et inusitée ont surtout porté sur les contraintes physiques et émotionnelles de la personne. Suivant le critère posé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Smith (Edward Dewey), [1987] 1 R.C.S. 1045, pour que l'article 12 de la Charte s'applique, la peine ne doit pas être simplement excessive, mais elle doit être également exagérément disproportionnée. Toute- fois, dans cette affaire, la Cour suprême traitait de la peine minimale de sept ans d'emprisonnement prescrite par la Loi sur les stupéfiants. Elle a jugé que cette disposition allait à l'encontre de l'article 12 en raison de son impuissance à tenir compte des divers facteurs que le tribunal doit prendre en considération pour prononcer une peine juste et appropriée.
En l'espèce, la confiscation du camion fait subir une perte financière au demandeur, mais on ne peut pas dire que cette perte soit cruelle et inusitée au point de donner au demandeur le droit à la protection de la Charte. La confiscation prévue à la Loi sur les douanes et à la Loi sur l'accise n'est certainement pas inusitée et, compte tenu de la longue historique expérience que nous en avons, on ne peut dire, pour reprendre les mots du juge Lamer dans l'arrêt Smith la page 1072] (pré- cité), qu'elle est «excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine». Adopter une position contraire reviendrait à conclure que les critères canadiens de la dignité humaine ont été radicalement modifiés au moment de l'entrée en vigueur de la Charte.
Il me faut donc conclure que même si le para- graphe 163(3) de la Loi sur l'accise comporte un aspect punitif, sa sévérité ne le rend pas cruel et inusité.
L'article 8 de la Charte
Le demandeur soulève une autre question liée à la Charte. Il invoque l'article 8, qui garantit à chacun le droit d'être protégé contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives. Dans le présent litige, il n'est pas allégué que la perquisi- tion qui a précédé la saisie était invalide, mais seulement qu'il était abusif de saisir et de confis- quer un bien d'une telle valeur à la suite de cette violation de la Loi sur l'accise. Par cet argument, le demandeur cherche à démontrer que notre Constitution renferme implicitement un droit de propriété absolu.
Il s'appuie fortement sur l'arrêt prononcé par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire F.K. Clayton Group Ltd. c. M.R.N., [1988] 2 C.F. 467; (1988), 82 N.R. 313, qui portait sur la perquisition et la saisie ultérieure de documents présumés être la preuve d'une infraction à la Loi de l'impôt sur le revenu. Le juge Hugessen a fait remarquer (en conformité avec l'arrêt Hunter et autres c. Sou- tham Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; (1984), 55 N.R. 241, que la saisie, effectuée sans mandat, était à première vue abusive et qu'elle était en outre invalidée par les vagues normes que la loi donnait sur les cas la perquisition était justifiée. La Cour a ordonné la restitution des documents, non cependant parce que leur rétention et leur utilisa tion portaient atteinte à un droit absolu de pro- priété, mais seulement parce que la procédure employée pour les obtenir était abusive, c'est-à- dire qu'elle constituait une atteinte à la vie privée qui ne relevait pas de la Charte. La restitution des biens accompagne nécessairement la protection de la vie privée.
Cette dichotomie droit de propriété/vie privée est encore plus évidente à la lecture de l'arrêt antérieur Bertram S. Miller Ltd. c. R., [1986] 3 C.F. 291; 28 C.C.C. (3d) 263, de la Cour d'appel fédérale. Dans cette affaire, le propriétaire d'une pépinière a consenti à ce que les arbres qu'il avait importés soient inspectés. On a découvert que les arbres étaient infestés et on a ordonné leur des truction. Le propriétaire prétendait que l'article 8 avait été violé. La Cour d'appel fédérale a infirmé la décision rendue par le juge de première instance au sujet du montant des dommages-intérêts. Le juge Hugessen a fait remarquer [aux pages 341 C.F.; 302 C.C.C.] que parce que la perquisition avait été faite de consentement et que la destruc tion des arbres s'appuyait sur une croyance fondée sur des motifs raisonnables, on pouvait qualifier la question litigieuse de «violation d'un droit de pro- priété indépendamment de toute question relative à la vie privée» et que ce droit n'était pas, selon lui, protégé par l'article 8 de la Charte.
Ces affaires nous amènent à conclure que l'article 8 vise principalement à protéger le droit à la vie privée des personnes physiques et qu'il ne protège les biens que lorsque cela est nécessaire pour confirmer la protection du droit à la vie privée. (En ce sens, on pourrait dire qu'il s'agit
d'un droit de propriété «dépendant>). Dans le cas qui m'est soumis, la demanderesse ne prétend pas qu'il y a eu violation de son droit à la vie privée. La perquisition qui a amené la découverte de l'eau-de-vie illicite est présumée valide. Par consé- quent, la saisie et la confiscation ultérieures (qui sont fondées sur la découverte effective de l'alcool et non simplement sur une croyance raisonnable de son existence) ne peuvent être contestées sur le fondement des droits de propriété «dépendants» minimaux que l'on pourrait dire que l'article 8 reconnaît.
L'alinéa 11d) de la Charte
Le demandeur invoque également l'alinéa 11d) de la Charte, qui reconnaît à tout inculpé le droit «d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un procès public et équitable». Si j'interprète bien la plaidoirie faite par l'avocat à cet égard, on me demande de conclure que les dispositions de confis cation de la loi s'appliquent avant que le proprié- taire du véhicule, ou celui qui en a la possession, ait été jugé pour une infraction et en ait été déclaré coupable. On me demande également de conclure que la confiscation constitue, en droit et en fait, une présomption de culpabilité contre le prévenu.
Cette manière de voir ne manque pas d'origina- lité; néanmoins, je dois l'écarter très rapidement. La confiscation du véhicule du demandeur est fondée, de par la loi, non pas sur la condamnation ultime du demandeur, mais sur le simple fait que le véhicule a été utilisé pour transporter de l'alcool illicite. S'il s'était avéré dans une poursuite ulté- rieure que l'alcool n'était pas illicite, les disposi tions de confiscation ne s'appliqueraient évidem- ment pas et aucune question litigieuse ne serait soumise à la Cour. Toutefois, il se trouve que l'alcool découvert dans le véhicule était illicite et, suivant la loi, tout est dit.
CONCLUSION
Comme je l'ai déjà dit, les points litigieux rela- tifs à la Charte qu'a soulevés le demandeur ne sont ni sans importance ni vexatoires. Il semble effecti- vement que la confiscation du véhicule du deman- deur évoque une mesure législative malveillante et sévère imposée dans le but d'assurer le respect des
lois fiscales. On y flaire des relents d'une période historique les recettes du roi dépendaient de quelques sources et la personne qui essayait de se soustraire à un paiement licite devait prendre garde elle-même et à ses biens).
Néanmoins, je n'ai trouvé aucun motif que le demandeur pourrait invoquer pour prouver que les droits que lui garantit la Charte ont _été violés. Le souci de protéger les recettes réalisées grâce aux droits de douanes et aux taxes d'accise, qui est consacré par une ancienne doctrine et une légiti- mité historique, mérite, à mon avis, qu'on continue à le respecter, même si c'est à regret. C'est le genre de respect que le tribunal doit au législateur, qui a estimé au fil des ans qu'aussi radicale qu'elle puisse sembler à l'occasion, la confiscation est une mesure qu'il est bon et nécessaire de conserver.
Toutefois, certains estimeront peut-être que ce genre de respect va à l'encontre de la méthode d'interprétation de la Charte qui consiste à exami ner le but qu'elle vise. Je ne voudrait pas que l'on interprète mes propos comme signifiant que la retenue devrait toujours empêcher le tribunal de s'aventurer dans un domaine d'autres crain- draient de s'engager. J'estime plutôt que le tribu nal qui intervient dans la politique législative risque toujours de rompre le fragile équilibre qui doit être maintenu entre les droits privés et indivi- duels que garantit la Charte et le devoir du législa- teur de garantir et de protéger l'intérêt de la collectivité. Un bref réexamen de la violation pré- sumée de l'article 12 peut rendre manifeste la nécessité d'un tel équilibre.
Pour commencer, il faut bien comprendre que je ne méconnais pas le fait que certains peuvent penser que cette mise en équilibre relève à juste titre de l'article premier de la Charte dans le cadre duquel il faudrait faire la preuve du devoir qu'a le législateur de protéger l'intérêt du public confor- mément à une formule stricte qui met en balance cette obligation avec l'obligation toute aussi impor- tante de ne pas porter atteinte aux droits des individus.
Toutefois, il me semble inéluctable qu'un droit qui est, comme l'article 12, libellé en des termes qui comportent des adjectifs qualificatifs, doit être sujet à certaines limites et que le respect des intérêts légitimes de l'État constitue l'une des limi-
tes dont on peut tenir compte pour définir l'éten- due du droit protégé. En d'autres mots, pour inter- préter des termes comme «cruel et inusité», il n'est ni souhaitable ni nécessaire d'établir une série de critères immuables pour définir la «cruauté». Ce qui est «cruel et inusité» peut varier selon les circonstances et la Couronne n'est pas toujours tenue d'en faire la preuve stricte dans le contexte de l'article premier. Le juge peut cependant en tenir compte pour définir le droit garanti.
Je m'appuie à cet égard sur l'arrêt prononcé par le juge en chef Dickson dans l'affaire R. c. Sim- mons, [1988] 2 S.C.R. 495, dans laquelle une fouille à nu effectuée dans un aéroport par des agents des douanes était contestée au motif qu'elle violait la protection contre les fouilles, les perquisi- tions et les saisies abusives garantie par l'article 8. Dans des motifs auxquels ont souscrit trois autres membres d'une formation collégiale de sept juges, le juge en chef a refusé d'appliquer les critères établis dans l'arrêt Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, pour définir le «carac- tère raisonnable» d'une perquisition. Il a plutôt affirmé la page 537] que «la détermination du caractère raisonnable ... doit dépendre dans une certaine mesure des circonstances dans lesquelles elle [la perquisition ou la fouille] a [eu] lieu», tout en soulignant qu'«il serait erroné d'attacher une importance dominante» à ces circonstances. En tout état de cause, c'est dans le contexte de l'arti- cle 8 et non de l'article premier qu'il a réduit la portée des exigences de l'arrêt Hunter, parce que l'affaire Simmons était une affaire de douanes et qu'il fallait tenir spécialement compte de l'intérêt qu'avait l'État à protéger ses frontières et à faire échec à la circulation de stupéfiants illégaux.
S'il en est ainsi, il n'y a rien d'incorrect à mettre en balance les intérêts de l'État avec les préoccu- pations des individus au sein même de dispositions qui définissent des droits et, dans ce contexte, je répète mon hésitation à rompre l'équilibre auquel le législateur est parvenu, malgré le fait que la mesure semble dure et excessive.
Cependant, même si j'avais tort de voir une telle limite à l'article 12, je demeure persuadé qu'on reconnaîtrait l'existence d'une limite semblable à ce droit protégé, et avec encore plus de vigueur, si l'analyse était faite dans le cadre de l'article pre mier. Sous cette rubrique, la légitimité de la con-
fiscation pourrait aisément être justifiée en tant que mesure raisonnable conçue pour déjouer d'au- tres entreprises criminelles, protéger le bien-être de la collectivité et garantir les recettes de la Cou- ronne. Bien que l'on puisse facilement imaginer une peine moins sévère, et que la sévérité de la peine pourrait à cet égard couvrir une très vaste gamme, ou peut avec raison accorder au législa- teur une certaine latitude en ce qui concerne l'éta- blissement du remède propre à assurer le respect de la loi dans les affaires relatives aux recettes (y compris les douanes, l'accise et l'impôt sur le revenu) dans lesquelles la déclaration volontaire est la règle et l'inspection et les mesures de con- trainte de l'État sont l'exception.
Je dois donc rejeter l'action du demandeur. Compte tenu des circonstances de l'affaire, je ne prononce toutefois aucune ordonnance quant aux dépens.
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