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A-614-88
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (appe- lant)
c.
Faruk Ali Abdalla Nabiye (intimé)
RÉPERTORIÉ: CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IM- MIGRATION) C. NABIYE (CA.)
Cour d'appel, juges Marceau, MacGuigan et Des- jardins J.C.A.—Montréal, 15 mai 1989.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Appel d'une décision rejetant une demande de certiorari et de prohibition La Commission d'appel de l'immigration a rouvert une demande de réexamen du statut de réfugié afin d'admettre des éléments de preuve obtenus après l'audience initiale Selon la doctrine dite functus officio, le tribunal qui exerce des pouvoirs décisionnels ne peut réentendre une affaire, à moins qu'il ne soit expressément autorisé à le faire par sa loi constitutive Le pouvoir de la Commission de réexaminer une affaire n'est prolongé qu'aux fins (1) d'accorder le redres- sement prévu à l'art. 72 à un résident permanent faisant l'objet d'une ordonnance d'expulsion, et (2) lorsque la décision initiale a été rendue contrairement aux règles de justice naturelle.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, S.C. 1966-67, chap. 90, art. 14, 15.
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 70, 72 (mod. par S.C. 1984, chap. 21, art. 81).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Singh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion) (1988), 6 Imm. L.R. (2d) 10 (C.A.F.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Grillas c. Ministre de la Main-d'Oeuvre et de l'Immi- gration, [1972] R.C.S. 577; Gill c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [19871 2 C.F. 425 (C.A.).
DÉCISION INFIRMÉE:
Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Nabiye, T-303-88, juge Denault, ordonnance en date du 31-3-88.
AVOCATS:
Serge Frégeau pour l'appelant. Marie-Josée Houle pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour l'appelant.
Bélanger, Houle, Daigneault, Montréal, pour l'intimé.
Voici les motifs du jugement de la Cour pro- noncés à l'audience en français par
LE JUGE MARCEAU, J.C.A.: Cet appel porté à l'encontre d'une décision de première instance [T-303-88, juge Denault, ordonnance en date du 31-3-88, sans motifs] soulève de nouveau le pro- blème de savoir si la Commission d'appel de l'im- migration (ci-après la Commission) a le pouvoir de reconsidérer une demande de réexamen du statut de réfugié après s'être prononcée une première fois à son sujet.
Il n'y a pas lieu de s'attarder sur les faits car les données du problème sont faciles à poser même dans l'abstrait, mais, de toute façon, voici rapide- ment ce dont il s'agit.
Le 8 décembre 1986, au terme d'une enquête et audition formelle, la Commission, par décision finale, rejetait la demande de réexamen de sa revendication du statut de réfugié que l'intimé, un citoyen du Ghana, lui avait présenté aux termes de l'article 70 de la Loi sur l'immigration de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52] («la Loi»). Le 17 juin 1987, la Commission recevait du procureur de l'intimé une requête en réouverture de la demande de réexamen de la revendication de son client, afin de lui permettre de présenter une «preuve obtenue subséquemment à l'audition initiale». La Commis sion accéda à cette requête. C'est alors que le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, con- vaincu que la Commission n'avait pas le pouvoir d'agir comme elle entendait le faire, s'adressa à un juge de première instance pour obtenir l'émission de brefs de certiorari et de prohibition. Débouté en première instance, le ministre fit appel devant nous.
On a pu comprendre par mes mots d'introduc- tion que la difficulté à résoudre se serait présentée à plusieurs reprises déjà. Ce n'est pas vraiment le cas. Si on s'en tient au problème tel que précisé et concrétisé par les faits, ce n'est en fait, à ma connaissance, que la deuxième fois que cette Cour y est confrontée de façon directe et claire, le
premier étant celle qui donna lieu à l'arrêt Singh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion) (1988), 6 Imm. L.R. (2d) 10 (C.A.F.). La question précise à répondre, eu égard aux faits de la cause, est uniquement de savoir si la Commis sion a le pouvoir de réentendre une demande de réexamen du statut de réfugié dans le seul but de recevoir et, le cas échéant, de considérer la preuve de nouveaux faits. Or la Cour, dans cet arrêt Sarwan Singh, a répondu sans équivoque négative- ment. Si un doute subsiste dans l'esprit de certains, c'est sans doute que le pouvoir de la Commission de reconsidérer une affaire après l'avoir jugé peut exister dans certaines circonstances exceptionnel- les, et les décisions qui ont reconnu cette possibilité peuvent porter à confusion si on ne s'emploie pas à bien les distinguer.
Il y a à cet effet l'arrêt de base Grillas c. Ministre de la Main-d'Oeuvre et de l'Immigra- tion, [1972] R.C.S. 577 qui a affirmé le «conti- nuing power» («le pouvoir prolongé» a traduit l'ar- rêtiste) de la Commission d'accorder le remède humanitaire de l'article 15 de la Loi sur la Com mission d'appel de l'immigration, S.C. 1966-67, c. 90] d'alors, devenu l'article 72, au résident perma nent contre lequel a été prononcé un ordre de déportation. Il y a aussi l'arrêt de cette Cour Gill c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion), [1987] 2 C.F. 425 (C.A.) qui a parlé d'un pouvoir de la Commission d'accéder à une demande de réexamen, lorsqu'il appert que sa décision initiale aurait été rendue contrairement aux règles de justice naturelle ou serait autrement nulle et sans effet. Les distinctions à retenir se comprennent à la lumière de ces deux arrêts.
L'idée de fond, je pense, est qu'un tribunal qui exerce des pouvoirs d'adjudication ne saurait, sans y être expressément autorisé par sa loi constitutive, se ressaisir d'une affaire après en avoir disposé conformément à la Loi. C'est la doctrine bien connue du functus officio. Mais n'oublions pas ses conditions d'application. La doctrine joue d'abord relativement à l'exercice de pouvoir d'adjudication, ce qui explique l'exception de Grillas, le remède de l'article 15 de la Loi d'alors', n'était pas à propre- ment parler un pouvoir d'adjudication; et elle
'Le paragraphe premier de cet art. 15 de la Loi sur la Commission d'appel de l'immigration, [1966-67 (Can.), c. 90, art. 14, 15] (qui se retrouve en substance à l'art. 72 de la Loi sur l'immigration de 1976, [S.C. 1976-77, chap. 52], tel que modifié par S.C. 1984, chap. 21, art. 81), se lisait comme suit:
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implique ensuite, du moins dans sa formulation, que le tribunal ait rendu une décision conformé- ment à la Loi, ce qui est sans doute la motivation de Gill, les juges ayant pensé qu'une décision rendue contrairement aux règles de justice natu- relle pouvait être considérée par le tribunal comme n'ayant que l'apparence d'une décision.
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15. (1) Lorsque la Commission rejette un appel d'une ordonnance d'expulsion ou rend une ordonnance d'expulsion en conformité de l'alinéa (c) de l'article 14, elle doit ordonner que l'ordonnance soit exécutée le plus tôt possible, sauf que
(a) dans le cas d'une personne qui était un résident perma nent à l'époque a été rendue l'ordonnance d'expulsion, compte tenu de toutes les circonstances du cas, ou
(b) dans le cas d'une personne qui n'était pas un résident permanent à l'époque a été rendue l'ordonnance d'ex- pulsion, compte tenu
(i) de l'existence de motifs raisonnables de croire que, si l'on procède à l'exécution de l'ordonnance, la personne intéressée sera punie pour des activités d'un caractère politique ou soumise à de graves tribulations, ou
(ii) l'existence de motifs de pitié ou de considérations d'ordre humanitaire qui, de l'avis de la Commission, justifient l'octroi d'un redressement spécial,
la Commission peut ordonner de surseoir à l'exécution de l'ordonnance d'expulsion ou peut annuler l'ordonnance et ordonner qu'il soit accordé à la personne contre qui l'ordon- nance avait été rendue le droit d'entrée ou de débarquement.
72. (1) Sous réserve du paragraphe (3), toute personne frappée d'une ordonnance de renvoi qui est soit un résident permanent, soit un titulaire de permis de retour valable et délivré conformément aux règlements, peut interjeter appel devant la Commission en invoquant l'un des deux motifs suivants, ou les deux:
a) un moyen d'appel comportant une question de droit ou de fait ou une question mixte de droit et de fait;
b) le fait que, compte tenu des circonstances de l'espèce, elle ne devrait pas être renvoyée du Canada.
(2) Toute personne, frappée par une ordonnance de renvoi, qui
a) n'est pas un résident permanent mais dont le statut de réfugié au sens de la Convention a été reconnu par le Ministre ou par la Commission, ou
b) demande l'admission et était titulaire d'un visa en cours de validité lorsqu'elle a fait l'objet du rapport visé au paragraphe 20(1),
peut, sous réserve du paragraphe (3), interjeter appel à la Commission en invoquant l'un ou les deux motifs suivants:
c) un moyen d'appel comportant une question de droit ou de fait ou une question mixte de droit et de fait;
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Ainsi, la Cour ne peut, en l'espèce, que recon- naître le bien-fondé de la position adoptée dans l'arrêt Sarwan Singh et répéter que la Commission n'a pas juridiction pour rouvrir une demande de réexamen du statut de réfugié dont elle a déjà disposé, au seul motif d'entendre la preuve de faits nouveaux.
J'accueillerais donc l'appel, casserais l'ordon- nance émise en première instance et déclarerais nulle la décision de la Commission accédant à la requête en réouverture de l'intimé.
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d) le fait que, compte tenu de considérations humanitaires ou de compassion, elle ne devrait pas être renvoyée du Canada.
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