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A-761-86
CN Marine Inc. (appelante) (défenderesse) c.
Carling O'Keefe Breweries of Canada Limited et Norlab Ltd. (intimées) (demanderesses)
et
The Labrador Shipping Co. Ltd., Le navire «New- foundland Coast» et Roger Sirois (intimés) (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: CARLING O'KEEFE BREWERIES OF CANADA LTD. c. CN MARINE INC. (CA.)
Cour d'appel, juge en chef Iacobucci, juges Heald et Stone, J.C.A.—Halifax, 31 octobre et 1°' novembre; Ottawa, 21 décembre 1989.
Droit maritime Transport de marchandises Perte d'une cargaison par mer houleuse due au fait que les mar- chandises avaient été mal arrimées et attachées Les dispo sitions d'exclusion de responsabilité contenues au connaisse- ment ne peuvent exonérer l'affréteur à temps car elles sont nulles et non avenues en vertu des Règles de La Haye La défense fondée sur les périls de la mer est irrecevable car les conditions de la mer n'avaient rien d'inhabituelles -- Il n'y a pas eu d'erreur comme telle dans la navigation ou l'adminis- tration du navire, seulement une erreur dans la prise en charge de la cargaison La responsabilité n'est pas limitée à 500 $ par conteneur car le connaissement indiquait le nombre de colis expédiés.
Droit maritime Pratique Intérêt Action en domma- ges-intérêts pour la perte d'une cargaison en mer Le juge de première instance a commis une erreur en n'accordant pas d'intérêt antérieur au jugement à compter de la date de la perte Rien ne permet d'écarter la règle d'amirauté suivant laquelle l'intérêt fait partie intégrante des dommages-intérêts.
Il s'agit de l'appel d'un jugement de la Section de première instance aux termes duquel les intimés-défendeurs ont été tenus responsables des dommages ayant résulté de la perte en mer de 4 240 caisses de bière chargées dans trois conteneurs de 20 pieds à bord du Newfoundland Coast pour livraison de St. John's à Happy Valley/Goose Bay au Labrador, en vertu d'un connaissement libellé «reçu» et délivré en octobre 1980. Le navire avait été affrété à temps par l'appelante CN Marine (CN). L'intimé Sirois, capitaine du navire, et CN ont tous deux décidé que les conteneurs devraient être arrimés transversale- ment sur le pont, l'un des bouts des conteneurs dépassant d'environ deux pieds le côté du navire. Les conteneurs ont ensuite été fixés à l'aide de câbles d'acier plutôt qu'avec d'autres accessoires disponibles qui leur étaient de loin supérieurs.
Pendant la traversée, la mer houleuse ce qui n'était pas inhabituel pour cette région à cette époque de l'année frappait le dessous des conteneurs, ce qui a entraîné le bris des câbles d'acier et la perte en mer des conteneurs.
L'appelante a fait valoir que le juge de première instance avait commis une erreur (1) en refusant de donner effet à la clause 18 du connaissement qui visait à faire porter exclusive- ment au propriétaire du navire transporteur les obligations du transporteur, en l'espèce Labrador Shipping Co. Ltd.; (2) en rejetant les moyens de défense fondés sur les erreurs «dans la navigation ou dans l'administration du navire», sur les «périls de la mer» et sur «toute autre cause», prévus aux règles 2a),c) et q) de l'article IV des Règles de La Haye; et enfin (3) en fixant la limitation de responsabilité «par colis» en fonction du nombre de caisses de bière transportées plutôt que du nombre de conteneurs. L'expéditeur, Carling O'Keefe, attaque pour sa part, par voie d'appel incident, la décision du juge de première instance de limiter l'intérêt antérieur au jugement à une période de deux ans à compter de la date d'introduction de l'action, au lieu de l'accorder pour toute la période écoulée à compter de la perte.
Arrêt: l'appel devrait être rejeté et l'appel incident accueilli.
Il n'y a aucune «erreur manifeste et dominante» susceptible d'avoir faussé les conclusion de faits du juge de première instance.
À l'exception de la clause 18, ou clause d'affrètement coque nue, tout indique qu'il existait un contrat de transport entre l'intimée, Carling O'Keefe, et l'appelante, CN, faisant de cette dernière le «transporteur». De même, une interprétation juste du connaissement amène à conclure qu'en délivrant ce docu ment, CN a signé le contrat de transport en sa qualité person- nelle et, qu'à titre d'affréteur à temps, elle est devenue dès lors un «transporteur» au sens du connaissement ainsi que des Règles de La Haye. En outre, le rôle qu'a joué l'affréteur à temps relativement au chargement et à l'arrimage de la cargai- son à bord du navire était compatible avec l'exécution de l'obligation qui lui incombait à titre de «transporteur» aux termes d'un contrat de transport soumis aux Règles de La Haye.
Le juge de première instance a également conclu à bon droit que la clause 18 était nulle, non avenue et sans effet entre l'expéditeur et l'affréteur à temps puisque, contrairement à la règle 8 de l'article III des Règles de La Haye, cette clause visait à exonérer l'affréteur à temps des droits et obligations qui lui incombaient, aux termes de la règle 2 du mêmearticle, de procéder de façon appropriée et soigneuse à l'arrimage des marchandises transportées.
Les conditions dans lesquelles s'est effectuée la traversée n'étaient pas telles qu'elles pouvaient justifier le moyen de défense fondé sur les «périls de la mer» que prévoit la règle 2c) de l'article IV, le juge de première instance ayant conclu que ces conditions étaient exactement celles auxquelles il fallait s'attendre. Aucun acte, négligence ou défaut dans l'administra- tion du navire ne pouvait non plus étayer une défense fondée sur la règle 2a) car il y a eu en l'espèce manque de vigilance à l'égard de la cargaison et non manque de vigilance à l'égard du navire mettant indirectement en danger la cargaison. Enfin aucune «autre cause» ne permettait d'invoquer la défense fondée sur la règle 2q).
Le juge de première instance n'a pas commis d'erreur en concluant, sur la foi des documents de transport, des déclara- tions des parties et des négociations intervenues entre elles, que la cargaison se composait de 4 240 colis, soit le nombre de
caisses de bière transportées. La responsabilité ne saurait donc être limitée à 500 $ le conteneur aux termes de la règle 5 de l'article IV.
Étant donné le délai de six ans écoulé avant que l'affaire ne soit mise en état, le juge de première instance, sans d'abord demander d'explications à Carling O'Keefe à ce sujet, a limité le paiement de l'intérêt antérieur au jugement à une période de deux ans à compter de la date d'introduction de l'action au lieu de l'accorder pour toute la période écoulée depuis la perte. Le juge de première instance a commis une erreur à cet égard. En vertu des principes du droit de l'amirauté, l'intérêt est alloué à titre de partie intégrante des dommages subis. En l'espèce, rien ne permettait d'écarter la règle normale en matière d'allocation d'intérêt antérieur au jugement en cas de perte totale. II y a donc lieu d'accorder l'intérêt à compter de la date la perte est survenue.
Rien ne permet de retenir l'argument du capitaine portant qu'il a été privé du droit à la justice naturelle en ce qu'il n'a pas eu, lors du procès, la possibilité de présenter une défense. En fait, c'est de son propre gré que le capitaine a quitté la salle d'audience. Même si les avocats de l'expéditeur et de l'affréteur à temps ont indiqué qu'ils ne s'attendaient pas à recouvrer de lui quoi que ce soit, compte tenu de sa situation financière, cela ne signifiait pas qu'il n'y aurait pas enquête sur sa responsabi- lité éventuelle et encore moins que jugement ne serait pas rendu contre lui.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi du transport des marchandises par eau, 1936, S.C. • 1936, chap. 49.
Loi sur le transport des marchandises par eau, S.R.C. 1970, chap. C-15, ann., art. la), III(2),(8), IV(2)a),c),q), 5.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
Stein et autres c. Le navire «Kathy et autres, [ 1976] 2 R.C.S. 802; Samuel, Samuel & Co. v. West Hartlepool Steam Navigation Company (1906), 11 Com. Cas. 115 (S.C.); The Ferro, [1893] P. 38 (Div. Ct.); The Gleno- chil, [1896] P. 10 (Div. Ct.); International Factory Sales Service Ltd. c. Le «Alexandr Serafimovich», [1976] 1 C.F. 35 (1" inst.); In re the «Dundee» (1827), 2 Hagg. 137 (Adm.); In re the «Gazelle» (1844), 2 W. Rob. 279 (Adm.); In re the «Hebe» (1847), 2 W. Rob. 530 (Adm.); Canadian Brine Ltd. v. The Ship Scott Misener and Her Owners, [1962] R.C.É. 441; The Joannis Vatis (No. 2), [1922] P. 213 (P.D.A.); The Northumbria (1869), L.R.A. & E. 6; The Berwickshire, [1950] P. 204; Cana- dian General Electric Company Limited c. Pickford & Black Limited, [ 1972] R.C.S. 52; Drew Brown Limited c. Le navire «Orient Trader» et autres, [1974] R.C.S. 1286; Bell Telephone Co. c. Le «Mar- Tirenno», [1974] 1 C.F. 294 (l'a inst.); Davie Shipbuilding Limited c. La Reine, [1984] 1 C.F. 461 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Cormorant Bulk-Carriers Inc. c. Canficorp (Overseas Projects) Ltd. (1984), 54 N.R. 66 (C.A.F.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Paterson SS Ltd. c. Aluminum Co. of Can., [19511 R.C.S. 852; [1952] 1 D.L.R. 241.
DÉCISIONS CITÉES:
The Berkshire, [1974] 1 Lloyd's Rep. 185 (Q.B.D.); The Vikfrost, [1980] 1 Lloyd's Rep. 560 (C.A.); Kenya Rail ways v. Antares Co. Pte. Ltd. (The Antares) (No. 1), [1986] 2 Lloyd's Rep. 626 (Q.B. Corn. Ct.); Ngo Chew Hong Edible Oil Pte. Ltd. v. Scindia Steam Navigation Co. Ltd. (The Jalamohan), [1988] 1 Lloyd's Rep. 443 (Q.B. Corn. Ct.); Kaleej International Pty Ltd v Gulf Shipping Lines Ltd (1986), 6 NSWLR 569 (C.A.); Anderson's (Pacific) Trading Co Pty Ltd v Karlander New Guinea Line Ltd, [ 1980] 2 NSWLR 870 (Com. Law Div.); Epstein v. U.S., 86 F. Supp. 740 (D.C.N.Y., 1949); Blanchard Lumber Co. v. S. S. Anthony II, 259 F. Supp. 857 (D.C.N.Y., 1966); The Iristo, 43 F. Supp. 29 (D.C.N.Y., 1941); conf., 137 F. 2d 619 (2d Cir., 1943); cert. refusé, 320 U.S. 802 (1943); Aris Steamship Co. Inc. c. Associated Metals & Minerals Corporation, [1980] 2 R.C.S. 322; (1980), 101 D.L.R. (3d) l; 31 N.R. 584; Apex (Trinidad) Oilfields, Ltd. v. Lunham & Moore Shipping, Ltd., [1962] 2 Lloyd's Rep. 203 (C. de l'E. Can.); Delano Corp. of America v. Saguenay Terminals Ltd., [1965] 2 R.C.E. 313; Kennedy & Co., Ltd., v. Canada Jamaica Line, Canada West Indies Shipping Company, Ltd., and Aldag, [ 1967] 1 Lloyd's Rep. 336 (C.S. Qué.); Atlantic Traders Ltd. v. Saguenay Shipping Ltd. (1979), 38 N.S.R. (2d) 1; 69 A.P.R. 1 (C.S. I re inst.); Weyerhaeuser Co. et autres c. Anglo Canadian Shipping Co. et autres (1984), 16 F.T.R. 294 (lr` inst.); Canadian Klockner Ltd. c. D/S A/S Flint, [1973] C.F. 988 (I re inst.); Farr Inc. c. Tourloti Compania Naviera S.A., T-5847-80, juge Pinard, jugement en date du 3-7-85, C.F. I re inst., non publié; conf. A-645-85, juge Marceau, J.C.A., jugement en date du 30-5-89, C.A.F., encore inédit; Q.N.S. Paper Co. c. Chartwell Shipping Ltd., [1989] 2 R.C.S. 683; Falconbridge Nickel Mines Ltd. et al. v. Chimo Shipping Ltd. et al., [1969] 2 R.C.E. 261; Gosse Millard v. Canadian Government Merchant Marine, [1928] 1 K.B. 717 (C.A.); conf. [1929] , A.C. 223 (H.L.).
DOCTRINE
Tetley, William Marine Cargo Claims, 3 e éd., Toronto: Butterworths, 1988.
AVOCATS:
James D. Youden et E. A. Gores, pour l'appe- lante (défenderesse) CN Marine Inc.
Kristine Arnet Connidis, pour l'intimée (demanderesse) Carling O'Keefe Breweries.
D. Peter Mancini, pour l'intimé (défendeur) Roger Sirois.
PROCUREURS:
James D. Youden, Halifax, pour l'appelante (défenderesse) CN Marine Inc.
Campbell, Godfrey & Lewtas, Toronto, pour l'intimée (demanderesse) Carling O'Keefe Breweries.
Nova Scotia Legal Aid, Sydney, pour l'intimé (défendeur) Roger Sirois.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STONE, J.C.A.: Il s'agit en l'espèce de l'appel d'un jugement du juge Martin de la Section de première instance, rendu le 31 août 1987 [[1987] 2 C.F. 107], et aux termes duquel l'appe- lante et les intimés (défendeurs) ont été tenus responsables des dommages ayant résulté de la perte en mer de 4 240 caisses de bière chargées dans trois conteneurs de 20 pieds à bord du navire intimé Newfoundland Coast pour livraison de St. John's à Happy Valley/Goose Bay au Labrador, en vertu d'un connaissement libellé «reçu» et délivré à St. John's le 29 octobre 1980. Pour plus de clarté, je désignerai désormais l'appelante comme l'«affré- teur à temps», la première intimée (demanderesse) comme l'«expéditeur», la première intimée (défen- deresse) comme les «propriétaires du navire» et le capitaine Sirois comme le «capitaine».
En rendant jugement en faveur de l'expéditeur contre l'affréteur à temps, le juge de première instance a conclu que ce dernier était un «transpor- teur» de la cargaison, malgré la présence, au nombre des conditions imprimées sur le connaisse- ment, d'une clause (la clause 18) visant à faire porter exclusivement au propriétaire du navire transporteur les obligations du «transporteur». Le juge de première instance a également rejeté les autres moyens de défense. Il a en outre jugé que le droit à la limitation «par colis» aux termes du contrat de transport devait être fondé sur le nombre de caisses de bière comprises dans le char- gement plutôt que sur le nombre de conteneurs dans lesquels ces caisses ont été transportées.
Les questions en litige
Le présent appel soulève la question de savoir si le juge de première instance a commis une erreur en refusant de donner effet à la clause 18, en rejetant les moyens de défense fondés sur les erreurs «dans la navigation ou dans l'administra-
Lion» du navire, sur les «périls de la mer» et sur «toute autre cause», prévus aux règles 2a),c) et q) de l'article IV des Règles (les «Règles de La Haye») annexées à la Loi sur le transport des marchandises par eau, S.R.C. 1970, chap. C-15', et en fixant la limitation de responsabilité «par colis» en fonction du nombre de caisses de bière plutôt qu'en fonction du nombre de conteneurs. Par voie d'appel incident, l'expéditeur attaque pour sa part la décision du juge de première instance de limiter l'intérêt antérieur au jugement, accordé sur les dommages-intérêts, à une période de deux ans à compter de la date d'introduction de l'action, savoir le 21 octobre 1981.
Les faits ayant entouré le chargement et la perte
Pour trancher les questions en litige, il importe d'examiner la preuve documentaire et circonstan- cielle sur laquelle le juge de première instance a appuyé ses conclusions. Ainsi, le libellé du connais- sement revêt une importance toute particulière car son interprétation est cruciale. Il s'agit d'une for- mule combinée destinée tant au transport par eau qu'au transport ferroviaire. L'intitulé «CANADIAN NATIONAL RAILWAYS» y est suivi de la reconnais sance de la réception, le 29 octobre 1980, de la cargaison [TRADUCTION] «pour livraison en con- formité et sous réserve de toutes les conditions stipulées au recto et au verso du présent titre, au lieu habituel de livraison à la destination désignée». Des espaces sont ensuite prévus pour y inscrire le nom du destinataire, le lieu de destination des marchandises ainsi que le nom du bâtiment trans- porteur. Juste après se trouve l'espace réservé aux précisions sur les marchandises (fournies par l'ex- péditeur), puis suivent une série de dispositions imprimées ainsi libellées:
[TRADUCTION] Les dispositions de la Partie A font partie des conditions régissant le transport des marchandises pendant tout le temps celles-ci sont sous la garde de la compagnie et de ses transporteurs associés, en tant que transporteur par eau; les dispositions de la partie B font partie des conditions régissant le transport des marchandises pendant tout le temps celles-ci sont sous la garde de la compagnie et de ses transporteurs associés, en tant que transporteur ferroviaire. Dans le cas les marchandises doivent être transportées par rail après leur transport par eau, les dispositions de la Partie A s'appliquent à compter du moment les marchandises sont déchargées des wagons.
'Anciennement la Loi du transport des marchandises par eau, 1936, S.C. 1936, chap. 49.
Dans le cas les marchandises, en tout ou en partie, ne sont pas chargées, pour quelque cause que ce soit, sur le ou les navires auxquels elles étaient destinées, ou sont transportées au-delà de leur destination ou débarquées dans un port intermé- diaire, il sera loisible au transporteur de les charger ou de les retourner conformément aux conditions du présent connaisse- ment sur le premier navire disponible lui appartenant ou, à son choix, sur celui de toute autre société de navigation.
Il est entendu que la garde et le transport des marchandises sont assujettis à toutes les conditions du présent connaissement stipulées au recto et au verso du présent titre, lesquelles condi tions régissent les relations, quelles qu'elles soient entre, d'une part, l'expéditeur et le destinataire et, d'autre part, les transpor- teurs, le capitaine et le navire, dans toute éventualité, en quelque lieu et à quelque moment qu'elle se produise, et aussi en cas de déroutement ou d'innavigabilité du navire au moment du chargement ou du début du voyage et par la suite. Aucune des conditions du présent connaissement ne sera réputée avoir fait l'objet d'une renonciation de la part des transporteurs, sauf par écrit signé par un mandataire dûment autorisé des transporteurs.
Toute modification, addition ou rature dans le présent connais- sement, au recto ou au verso, doit être signée ou initialée dans la marge par le mandataire du transporteur qui le délivrera, à défaut de quoi, elle sera sans effet et le présent connaissement sera exécutoire selon ses termes originaux.
EN FOI DE QUOI, le mandataire a signé le présent connaisse- ment au nom de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et de ses sociétés de navigation et de voie ferrée qui s'y rattachent, conjointement mais non solidairement.
Et, tout de suite après:
D.M. Mercer
Surveillant du terminal
Mandataire des transporteurs, conjointement mais non solidairement.
Carling O'Keefe, expéditeur
Par: F. Walsh
Cette section du connaissement est suivie de deux parties, la première intitulée [TRADUCTION] «CON- DITIONS DU CONNAISSEMENT Partie A Transport par eau» et la seconde intitulée [TRA- DUCTION] «Partie B Transport ferroviaire». Seule la Partie A est pertinente en l'espèce et je n'en reproduirai ici que les dispositions ayant été invoquées au cours du débat:
[TRADUCTION] 1. (a) Le présent connaissement produira tous ses effets sous réserve des dispositions de la Loi du transport des marchandises par eau, 1936, édictée par le Parlement du Canada, ou en cas d'application des lois des États-Unis, sous réserve des dispositions du Carriage of Goods by Sea Act des États-Unis, lesquelles dispositions sont réputées être incorpo- rées au présent titre. Le transporteur et le navire jouissent de tous les privilèges, droits et exonérations conférés par lesdites lois.
(b) Rien dans le présent titre ne doit être interprété comme une renonciation, par le transporteur, à l'un quelconque de ses droits ou exonérations, ou comme un accroissement de ses responsabilités ou obligations en vertu des lois, règles ou ordon- nances applicables, ou comme privant le transporteur du droit de se prévaloir devant les tribunaux de tout pays d'une limita tion quelconque de la responsabilité que la loi accorde au transporteur ou au navire, ou du droit de limiter toute protec tion ou exonération quelconque. En cas d'incompatibilité entre l'une des dispositions du présent connaissement et l'une quel- conque des lois applicables ou rendues applicables par le pré- sent titre, cette disposition est nulle dans la mesure de l'incom- patibilité mais pas davantage.
(c) Les droits et exonérations énoncés à l'article IV des Règles annexées à la Loi du transport des marchandises par eau, 1936, sont en vigueur avant le chargement et après le déchargement des marchandises, de même que pendant tout le temps elles sont sous la garde du transporteur. Toutefois, en cas de perte ou d'avarie, c'est à la personne invoquant cette perte ou cette avarie qu'il incombe de prouver la faute ou le fait du transporteur ou encore la faute ou la négligence de ses mandataires ou préposés. Le transporteur n'est pas responsable, en quelque qualité que ce soit, pour tout retard, non-livraison ou mauvaise livraison, perte ou avarie des marchandises, quelle qu'en soit la cause, survenu pendant que les marchandises ne sont pas sous sa garde véritable.
2. Dans le présent connaissement, le terme «navire» comprend tout bâtiment substitué, embarcation, chaland ou autres moyens de transport possédés, affrétés ou exploités par le transporteur; le terme «transporteur» comprend le navire, son propriétaire, exploitant, affréteur coque nue, affréteur à temps, capitaine, ainsi que tout transporteur y substitué, que le pro- priétaire, l'exploitant, l'affréteur ou le capitaine agisse à titre de transporteur ou de dépositaire; le terme «expéditeur» com- prend la personne désignée à ce titre dans le présent connaisse- ment et la personne pour le compte de laquelle les marchandi- ses sont expédiées; le terme «destinataire» comprend le porteur du connaissement, régulièrement endossé, ainsi que le récep- tionnaire et le propriétaire des marchandises; le terme «frais» comprend le fret et toutes les dépenses et obligations pécuniai- res engagées et payables par le propriétaire des marchandises, l'expéditeur, le destinataire ou l'un d'eux.
18. Si le navire n'appartient pas au transporteur maritime par lequel les marchandises doivent être transportées en vertu des présentes (comme ce peut être le cas malgré toute disposition contraire) ou ne lui est pas affrété coque nue, le présent connaissement constitue un contrat ne liant que le propriétaire ou l'affréteur coque nue, selon le cas, à titre de mandant, ce contrat étant conclu par l'intermédiaire de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada ou dudit transporteur maritime qui, dans l'un ou l'autre cas, n'agit qu'à titre de mandataire et dont la responsabilité personnelle ne peut en aucun cas être engagée.
L'affréteur à temps était lui-même propriétaire d'une flotte de navires et il en affrétait d'autres. Étant donné que le Newfoundland Coast était affrété à temps et que le connaissement contenait la clause 18, l'affréteur à temps conteste vivement
la conclusion du juge de première instance portant qu'il était un «transporteur» de la cargaison. Si l'arrimage n'a pas été effectué adéquatement, pré- tend-il, c'était en raison de la négligence des pro- priétaires du navire en tant que seul «transpor- teur», et cela n'engageait en aucune façon la responsabilité de l'affréteur à temps. Ce dernier invoque également certaines dispositions de la «Charte-partie à temps» qu'il a conclue le 23 mai 1980 avec les propriétaires du navire à l'égard du Newfoundland Coast. La clause 1 de ce document stipule que l'obligation de charger et de décharger le navire incombe à [TRADUCTION] «l'équipage du navire». Les clauses 8 et 9 méritent d'être repro- duites en entier:
[TRADUCTION] 8. Les affréteurs peuvent, à leurs frais, retenir les services d'un commissaire à bord du navire. Le propriétaire lui fournira la nourriture et le logement. Le commissaire reçoit, signe et prend en charge tous les documents d'expédition, perçoit le fret et voit à ce que les cargaisons soient enlevées ou déchargées aux différents ports d'escale. À cette fin, le commis- saire est réputé agir comme mandataire du capitaine, sans préjudice toutefois à l'autorité de ce dernier quant à l'adminis- tration, à la garde et au contrôle du navire. En l'absence d'un commissaire, le capitaine en remplit les fonctions.
Tous les frais afférents à la manutention de la cargaison entre les ports d'escale devront être payés à l'avance, suivant la pratique de l'affréteur. Les connaissements devront être signés par le capitaine ou le commissaire du navire. Les sommes perçues pour le fret ainsi que les copies de tous les connaisse- ments seront remises par le capitaine ou le commissaire aux mandataires des affréteurs se trouvant dans les ports de destination.
9. Le capitaine et/ou les propriétaires sont responsables de la manutention soigneuse des cargaisons et en cas de perte, d'ava- rie ou de livraison incomplète desdites cargaisons, le navire sera tenu responsable s'il est prouvé que la perte ou l'avarie a été causée par la négligence du capitaine et/ou des propriétaires.
J'évoquerai maintenant brièvement les circons- tances ayant entouré le chargement et le transport de la cargaison de St. John's au Labrador. L'expé- diteur est allé chercher les conteneurs sur les lieux de l'entreprise de l'affréteur à temps pour les apporter à son entrepôt il les a remplis avec les marchandises en cause. Dans le bureau du surveil- lant de l'entrepôt se trouvait une tablette de for- mules de connaissement en blanc. La preuve a démontré que c'est ce surveillant qui avait rempli l'une des formules en y indiquant «St. John's» comme lieu de réception des marchandises, la date de leur réception, le nom de l'expéditeur, celui du destinataire (Norlab Ltd.), la destination et la nature des marchandises. Sous la colonne intitulée [TRADUCTION] «Nombre de colis» et les deux
colonnes situées immédiatement à droite et intitu- lées respectivement [TRADUCTION] «Description des articles et marques spéciales» et [TRADUC- TION] «Poids (sujet à correction)», le surveillant a inscrit le nombre de caisses, les marques de bière et leur poids. Dans la partie inférieure de l'espace réservé aux «précisions» sur les marchandises (enjambant les deux premières colonnes), il a indi- qué le numéro d'identification des trois conteneurs qui ont été perdus. Les conteneurs ont été livrés à l'affréteur à temps le 29 octobre 1980, date à laquelle une secrétaire agissant au nom du surveil- lant du terminal a signé la formule de connaisse- ment dans l'espace prévu au recto et en a fait ainsi la délivrance.
Le nom du navire transporteur n'a en aucun moment été inscrit dans l'espace prévu à cette fin au recto du connaissement. Plusieurs jours se sont écoulés avant que l'affréteur à temps ne choisisse un navire, que les marchandises ne soient chargées à bord et que le navire ne lève l'ancre.
Le juge de première instance a manifestement attaché un certain poids à la connaissance que pouvait avoir l'expéditeur de l'identité du navire qui serait chargé d'amener les marchandises à destination. Il ressort des feuilles de route de l'af- fréteur à temps, préparées le 29 octobre 1980 mais reçues par l'expéditeur après le départ du navire, qu'il avait apparemment d'abord été décidé de charger les marchandises à bord du Sir R Bond, l'un des navires de l'affréteur à temps. Quoi qu'il en soit, on a allégué qu'étant donné les négocia- tions antérieures entre les parties et les usages en cours à St. John's, l'expéditeur savait ou aurait savoir que c'est le Newfoundland Coast qui serait utilisé. Aux pages 110 et 111 C.F., le juge de première instance tire des conclusions très précises quant à la connaissance de l'expéditeur à cet égard:
On n'a pas indiqué à Walsh sur quel navire les marchandises seraient chargées et celui-ci ne l'a pas demandé. Le capitaine William Embleton, qui est chef des opérations du service de cabotage de CN, a déclaré que CN n'avait pas pour habitude de donner aux chargeurs le nom du navire sur lequel la cargaison est chargée à moins qu'on ne lui présente une demande spécifique à cet effet. Il a aussi affirmé que CN n'a pas informé la demanderesse, tout comme elle n'informe pas en général les autres chargeurs, que ses marchandises seraient transportées par un navire affrété plutôt que par un navire dont elle était propriétaire.
À mon avis, il ne serait pas opportun pour cette Cour d'intervenir dans des conclusions qu'étayent, de l'aveu même de l'affréteur à temps, certains éléments de preuve. Il n'y a pas lieu non plus de réévaluer cette preuve en l'absence de tout motif valable de le faire. Bref, on n'a démontré aucune «erreur manifeste et dominante» qui aurait faussé l'appréciation des faits au point de nous autoriser à écarter ces conclusions. (Voir Stein et autres c. Le navire «Kathy et autres, [1976] 2 R.C.S. 802).
Peu de temps après le départ du navire de St. John's le 15 novembre 1980, le capitaine a décidé de chercher refuge dans un petit port de la côte après avoir reçu par radio un avis de coup de vent lancé par la Garde côtière canadienne. En fait, cet avis était destiné à la côte ouest de Terre-Neuve, alors que le navire longeait encore la côte nord-est. Quoi qu'il en soit, les conteneurs ont été perdus en mer ce même jour près du cap Bonavista lorsque, selon le capitaine, [TRADUCTION] «de grosses lames de fond et des contre-courants» ont fait que la «mer déchaînée a frappé par-dessous les conte- neurs ... et a provoqué la rupture des saisines», faisant ainsi «passer par-dessus bord trois conte- neurs qui sont partis à la dérive». Le juge de première instance a considéré que ces conditions n'exonéraient pas le «transporteur» de toute res- ponsabilité, estimant qu'elles étaient «exactement celles auxquelles il fallait s'attendre». Il a conclu que la perte avait été causée par l'arrimage inadé- quat de la cargaison. Il s'exprime ainsi aux pages 114 et 115 de ses motifs:
Le capitaine a attribué la perte à la mer houleuse frappant le dessous des conteneurs et les soulevant, et au fait qu'il était possible selon lui que le câble d'acier ait été coupé par une arête tranchante de l'un des conteneurs.
Compte tenu de la vitesse des vents et de celle des vagues produites par ceux-ci ainsi que du roulis du navire et étant donné que les conteneurs dépassaient de chaque côté de celui-ci, je n'ai aucune hésitation à conclure que la perte est due au fait que les conteneurs avaient été arrimés de manière à ce que leurs extrémités dépassent les côtés du navire. Arrimés ainsi, ils constituaient une trappe sur laquelle les vagues, même si elles étaient de hauteur moyenne, heurtaient violemment les côtés du navire et exerçaient une force ascendante énorme sur le fond des conteneurs. Le fait qu'à tout moment la force des vagues pouvait augmenter considérablement par suite de leur déferlement et du roulis descendant du navire renforce ma conclusion que la perte était directement attribuable à l'arri- mage inadéquat des conteneurs.
Le juge de première instance a aussi conclu que les saisines d'acier fournies par l'affréteur à temps, conformément à l'obligation que lui imposait la charte-partie à temps, ne pouvaient suffire à atta- cher les conteneurs ainsi arrimés en travers sur le pont supérieur. Voici ce qu'il affirme, à la page 111, sur cette question du chargement et de l'arri- mage de la cargaison:
Bien que le capitaine ait le dernier mot quant à l'emplace- ment de la cargaison sur son navire et quant à la quantité de marchandises qui sera chargée, en pratique le capitaine Sirois travaillait en collaboration avec le personnel de CN pour déterminer la disposition et la quantité de marchandises char gées à bord de son navire. CN indiquait, par exemple, quels conteneurs elle souhaitait voir arrimés sous le pont. Elle déter- minait la quantité de marchandises qui seraient chargées à bord du navire et Sirois surveillait le chargement effectué par des acconiers engagés par CN. Sirois et CN ont décidé que les conteneurs de 20 pieds devraient être arrimés par le travers, ou transversalement, plutôt que longitudinalement ou de l'avant à l'arrière. En fait, étant donné que CN était déterminé, vers la fin de la saison de la navigation, à utiliser chaque pouce de l'espace disponible sur le navire défendeur, le capitaine n'avait d'autre choix que d'arrimer les conteneurs de cette manière.
J'examinerai maintenant les questions soulevées dans le présent appel, la première étant de savoir si le juge de première instance a commis une erreur en concluant que l'affréteur à temps agissait à titre de «transporteur» de la cargaison au moment de la perte.
La défense fondée sur la clause d'affrètement coque nue
L'affréteur prétend qu'il n'agissait pas comme «transporteur» et c'est en termes simples qu'il explique sa position: il n'était pas partie au contrat de transport constaté par le connaissement et, partant, ne pouvait être considéré comme le «trans- porteur» de la cargaison; le contrat de transport a été conclu entre les propriétaires du navire et l'expéditeur; en signant le connaissement, l'affré- teur à temps a agi uniquement comme mandataire des propriétaires du navire et non pour son propre compte; la clause dite d'affrètement coque nue (clause 18) figurant au connaissement démontre clairement que seuls les propriétaires du navire devaient être liés comme «transporteur»; enfin c'est contre les propriétaires du navire et uniquement contre eux que l'expéditeur doit exercer ses recours pour la perte qu'il a subie.
En concluant, à partir de la preuve, que l'affré- teur à temps était un «transporteur» de la cargai-
son, le juge de première instance s'est appuyé sur l'arrêt qu'a rendu cette Cour dans Cormorant Bulk -Carriers Inc. c. Canficorp (Overseas Pro jects) Ltd. (1984), 54 N.R. 66 (C.A.F.). Je recon- nais, comme l'ont soutenu les avocats des deux parties, que les faits de cette affaire sont tels qu'il y a lieu d'opérer une distinction avec l'espèce. L'avocat de l'expéditeur n'en prétend pas moins que cet arrêt énonce un principe applicable dans la présente affaire, savoir qu'une clause tendant à désigner les propriétaires du navire, au lieu de l'affréteur à temps, comme «transporteur» n'immu- nise pas ce dernier de toute responsabilité à titre de «transporteur» si les faits démontrent qu'il avait en réalité assumé ce rôle aux termes du contrat de transport conclu avec l'expéditeur.
Des clauses de ce genre ont été reconnues vali- des en Angleterre 2 et en Australie 3 , mais semblent avoir été considérées avec méfiance aux États- Unis 4 . Il n'y a pas lieu, en l'espèce, d'examiner cette question à fond sauf peut-être pour souligner que, de façon générale, la jurisprudence cana- dienne a jusqu'à maintenant eu tendance à favori- ser la validité de ces clauses: Paterson SS Ltd. c. Aluminum Co. of Can., [1951] R.C.S. 852; [1952] 1 D.L.R. 241; Aris Steamship Co. Inc. c. Associa ted Metals & Minerals Corporation, [1980] 2
2 Voir not. The Berkshire, [1974] 1 Lloyd's Rep. 185 (Q.B.D.); The Vikfrost, [1980] 1 Lloyd's Rep. 560 (C.A.); Kenya Railways v. Antares Co. Pte. Ltd. (The Antares) (No. 1), [1986] 2 Lloyd's Rep. 626 (Q.B. Corn. Ct.); Ngo Chew Hong Edible Oil Pte. Ltd. v. Scindia Steam Navigation Co. Ltd. (The Jalamohan), [1988] 1 Lloyd's Rep. 443 (Q.B. Corn. Ct.).
3 Voir not. Kaleej International Pty Ltd v Gulf Shipping Lines Ltd (1986), 6 NSWLR 569 (C.A.). Comparer Ander- son's (Pacific) Trading Co Pty Ltd v Karlander New Guinea Line Ltd, [1980] 2 NSWLR 870 (Corn. Law Div.).
° Voir not. Epstein v. U.S., 86 F. Supp. 740 (D.C.N.Y., 1949); Blanchard Lumber Co. v. S. S. Anthony II, 259 F. Supp. 857 (D.C.N.Y., 1966). Comparer The Iristo, 43 F. Supp. 29 (D.C.N.Y., 1941); conf., 137 F. 2d 619 (2d Cir. 1943); cert. refusé, 320 U.S. 802 (1943).
R.C.S. 322; (1980), 101 D.L.R. (3d) 1; 31 N.R. 584 5 . Dans l'affaire Paterson par exemple, les conditions de la charte-partie stipulaient que le capitaine du navire était placé sous les ordres des affréteurs pour toute question d'emploi et de mandat, et que ces derniers étaient tenus de char ger et d'arrimer la cargaison à leurs frais, sous la surveillance du capitaine qui devait signer sur présentation les connaissements relatifs aux char- gements effectués conformément aux reçus de bord ou aux reçus du pointeur. Le navire devait demeurer en la possession de ses propriétaires qui étaient tenus de payer la pension et les salaires du capitaine et des membres d'équipage, en plus de conserver la classe du navire. S'exprimant en son nom et en celui de deux de ses collègues, le juge Rand déclare, à la page 854:
[TRADUCTION] Aux termes d'une charte-partie de cette nature et en l'absence d'un engagement de la part de l'affré- teur, le propriétaire demeure le transporteur à l'égard de l'expéditeur et, quand il délivre des connaissements, le capitaine agit en tant que mandataire du propriétaire. En l'espèce, le connaissement a été signé pour le capitaine par les mandataires nommés par les affréteurs très certainement en leur nom et probablement aussi au nom du navire. Ce fait soulève le premier des deux seuls points qui méritent d'être étudiés.
Parlant aussi en son nom et en celui de deux autres collègues, le juge Locke ajoute, aux pages 860 et 861:
[TRADUCTION] Bien que l'affréteur ait ainsi eu le pouvoir de décider de l'utilisation du navire et de nommer des mandataires du navire aux ports d'escale, le navire demeurait en la posses sion de l'appelante par l'intermédiaire du capitaine. La règle applicable a été formulée par le juge Channell dans Wehner v. Dene Steam Shipping Company ([1905] 2 K.B. 92, à la p. 98), savoir qu'en temps normal, lorsque la charte-partie ne prévoit pas le transfert de la gestion nautique et commerciale du navire et que ce dernier demeure en la possession du propriétaire, le contrat est alors conclu avec le propriétaire et non avec l'affréteur.
Voir également Apex (Trinidad) Oilfields, Ltd. v. Lunham & Moore Shipping, Ltd., [1962] 2 Lloyd's Rep. 203 (C. de l'É. Can.); Delano Corp. of America v. Saguenay Terminals Ltd., [1965] 2 R.C.É. 313; Kennedy & Co., Ltd. v. Canada Jamaica Line, Canada West Indies Shipping Company, Ltd., and Aldag, [1967] 1 Lloyd's Rep. 336 (C.S. Qué.); Atlantic Tra ders Ltd. v. Saguenay Shipping Ltd. (1979), 38 N.S.R. (2d) 1; 69 A.P.R. 1 (C.S. 1" inst.); Weyerhaeuser Co. et autres c. Anglo Canadian Shipping Co. et autres (1984), 16 F.T.R. 294 (1" inst.). Comparer Canadian Klockner Ltd. c. DIS A/S Flint, [1973] C.F. 988 (1" inst.); Farr Inc. c. Tourloti Compania Naviera S.A. (T-5847-80, juge Pinard, jugement en date du 3-7-85, C.F. 1" inst., non publié; conf., A-645-85, juge Marceau, J.C.A., jugement en date du 30-5-89, encore inédit (C.A.F.).
Il était manifeste que le contrat de transport conclu dans cette affaire l'avait été avec les pro- priétaires du . navire, lesquels convenaient ainsi d'être liés en tant que «transporteur» de la cargai- son. L'affréteur à temps n'était pas partie à l'instance.
Même s'il ressort de ces décisions de la Cour suprême du Canada que dans les cas un contrat de transport stipule une clause de ce genre, ce contrat sera alors normalement conclu entre l'ex- péditeur et les propriétaires du navire, il serait inapproprié comme on l'a déjà souligné [TRADUC- TION] «d'énoncer une règle ferme et rigide» d'ap- plication générale puisque [TRADUCTION] «les cir- constances et le libellé des documents peuvent varier selon les espèces» 6 . Ce tempérament semble avoir été clairement accepté par la Cour suprême elle-même dans l'affaire Paterson, le juge Rand tire sa conclusion [TRADUCTION] «en l'absence d'un engagement de la part de l'affréteur» et le juge Locke s'en tient à la règle applicable [TRA- DUCTION] «en temps normal». Ainsi dans l'arrêt Cormorant, cette Cour a considéré qu'elle n'était pas en présence d'une affaire normale étant donné que l'ensemble de la preuve démontrait que, par leurs paroles et leurs actions, les affréteurs s'étaient en réalité engagés à agir comme «trans- porteur» de la cargaison et s'étaient par même liés en tant que mandants aux termes du contrat de transport conclu avec l'expéditeur.
Or, s'agit-il en l'espèce d'une affaire normale ou, en d'autres termes, la preuve démontre-t-elle que l'affréteur à temps s'est engagé à agir comme «transporteur»? Pour répondre à cette question, il convient une fois de plus d'examiner la preuve documentaire et circonstantielle. Sur cette der- nière, nous disposons d'importantes conclusions de fait arrêtées par le juge de première instance. Ainsi, bien que l'obligation de signer les connaisse- ments ait été dévolue au capitaine ou au commis- saire (le représentant de l'affréteur à temps à bord du navire) sous l'empire de la charte-partie, le connaissement a en fait été signé par le surveillant du terminal de l'affréteur à temps ou en son nom. Voici ce qu'en conclut le juge de première instance à la page 117 de ses motifs:
6 Le juge Walton dans Samuel, Samuel & Co. v. West Hartlepool Steam Navigation Company (1906), 11 Com. Cas 115 (S.C.).
4. Le connaissement était un connaissement de CN, signé et rempli exactement comme si la cargaison devait être chargée sur un navire appartenant à CN. Il n'est indiquée nulle part sur le connaissement que l'employé a signé celui-ci au nom du capitaine ou des propriétaires du navire; il est seulement dit qu'il l'a signé au nom de CN. Le texte suivant est imprimé sous l'espace réservé à la signature:
Mandataire des transporteurs, conjointement mais non solidairement.
Et le texte qui suit est imprimé juste au-dessus du même espace:
EN FOI DE QUOI, le mandataire a signé le présent connais- sement au nom de la Compagnie des chemins de fer natio- naux du Canada et de ses sociétés de navigation et de voie ferrée qui s'y rattachent, conjointement mais non solidaire- ment.
Il me semble que si un chargeur interprétait correctement cette partie du connaissement, il serait amené à conclure que CN se présentait comme le transporteur et que le contrat de transport devait lier le chargeur et CN. En outre, la clause 2 de la partie A des conditions du connaissement relatives au transport par eau prévoit expressément que le terme «transporteur» qui figure dans le connaissement désigne également l'affréteur à temps 7 .
Le juge de première instance poursuit, à la page 118, en constatant le rôle qu'a joué l'affréteur à temps dans le chargement et l'arrimage de la cargaison à bord du navire:
6. CN a en partie agi comme un transporteur lors du charge- ment et de l'arrimage de la cargaison. Il a fourni les saisines des conteneurs. Il a déterminé la quantité de marchandises qui seraient chargées à bord du navire. Le capitaine s'est contenté d'acquiescer. C'est CN qui a décidé d'utiliser chaque pouce d'espace disponible sur le navire, y compris sur le pont. C'est encore CN qui a déterminé le nombre de conteneurs chargés à bord du navire. Par suite de cette décision, les conteneurs ont inévitablement être arrimés en travers, leurs extrémités dépassant de chaque côté du navire. C'est également CN qui a décidé que les conteneurs ainsi arrimés seraient attachés avec des câbles d'acier plutôt qu'a- vec les «accessoires adéquats».
Ces conclusions de fait ont établi, à la satisfaction du juge de première instance, qu'à l'exception de la clause 18, la page 118] «tout [indiquait] qu'il existait un contrat de transport entre la demande- resse et le CNb.
En ce qui a trait aux documents, l'avocat de l'affréteur à temps soutient qu'il y a un vice fatal dans l'analyse qu'a faite le juge de première ins tance du texte du connaissement. Il affirme en
Comparer les arrêts anglais The Birkshire et The Vikfrost, précités, note 2, portant que lorsque, en vertu de la charte-par- tie, le capitaine est requis de signer un connaissement donné sur ordre de l'affréteur, la signature de ce dernier a le même effet que celle du capitaine, s'agissant simplement d'un [TRADUC- TION] «acte ministériel».
effet que le juge a mal évalué la véritable portée des mots [TRADUCTION] «Mandataire des trans- porteurs, conjointement mais non solidairement» imprimés sous la ligne réservée à la signature, au recto du connaissement, particulièrement lorsqu'on les rapproche du libellé de la clause 18, savoir que le connaissement [TRADUCTION] «constitue un contrat ne liant que le propriétaire ou l'affréteur coque nue, selon le cas, à titre de mandant, ce contrat étant conclu par l'intermédiaire de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada ou dudit transporteur maritime qui, dans l'un ou l'autre cas, n'agit qu'à titre de manda- taire», l'accent étant mis sur ces quatre derniers mots. Selon l'avocat de l'affréteur à temps, il ressort de ce libellé que son client n'a agi qu'à titre de mandataire des propriétaires du navire et non à titre de mandant.
Je conviens, certes, qu'il nous incombe essentiel- lement en l'espèce d'interpréter le texte du con- naissement. Nous ne saurions toutefois nous acquitter correctement de cette tâche en mettant en lumière une partie seulement de la clause 18 à l'exclusion du reste. À mon sens en effet, les mots introductifs de cette clause revêtent une impor tance prépondérante puisque l'ensemble de la clause ne devait s'appliquer que dans des circons- tances très précises, soit dans le cas [TRADUC- TION] «le navire n'appartient pas au transporteur maritime par lequel les marchandises doivent être transportées en vertu des présentes ... ou ne lui est pas affrété coque nue». Il ne fait aucun doute que, dans cette clause comme ailleurs dans les disposi tions pertinentes du connaissement, les mots «le navire» renvoient au «bâtiment» dont le nom devait figurer dans l'espace en blanc prévu au recto: le but visé était de faire en sorte qu'en signant le document rempli, l'affréteur n'agisse «qu'à titre de mandataire» du «propriétaire» du «navire» ainsi désigné. Le défaut d'identifier le navire transpor- teur est d'une importance particulièrement cru- ciale, étant donné la conclusion du juge de pre- mière instance portant que l'expéditeur n'était pas par ailleurs informé du fait que les marchandises seraient transportées à bord du navire affrété à temps plutôt que sur un navire appartenant à l'affréteur à temps. Si «le navire» avait été désigné dans le connaissement, il aurait peut-être été possi ble de soutenir que l'affréteur à temps n'agissait
alors «qu'à titre de mandataire» de ses propriétai- res'. Mais tel n'est pas le cas en l'espèce. Dans le vide ainsi créé, les mots «mandataire», «mandat» et «qu'à titre de mandataire» ne peuvent avoir aucun effet juridique puisque, au moment le connais- sement a été délivré, le seul mandant visé était l'affréteur à temps lui-même 9 . Par conséquent, force m'est de reconnaître qu'en délivrant le con- naissement, l'affréteur à temps a signé le contrat de transport en sa qualité personnelle et, qu'à titre d'affréteur à temps, il est devenu dès lors un «transporteur» au sens de la clause 2 de la Partie A du document ainsi que de l'article 1 des Règles de La Haye 10 . De plus, le rôle qu'il a joué relative- ment au chargement et à l'arrimage de la cargai- son à bord du navire était compatible avec l'exécu- tion de l'obligation qui lui incombait à titre de «transporteur» aux termes d'un contrat de trans port soumis aux Règles de La Haye.
La règle 8 de l'article III; les propriétaires comme «transporteur»
Après être arrivé à la conclusion que l'affréteur à temps avait accepté d'agir à titre de «transpor- teur», le juge de première instance a statué que la clause 18 était nulle, non avenue et sans effet entre lui et l'expéditeur étant donné que, contrairement à la règle 8 de l'article III des Règles de La Haye", cette clause visait à l'exonérer des droits et
e Voir Q.N.S. Paper Co. c. Chartwell Shipping Ltd., [1989] 2 R.C.S. 683.
9 La définition de «navire» figurant à la clause 2 de la Partie A, qui comprend un «bâtiment substitué» ne pouvait manifeste- ment pas englober le navire initialement choisi mais, plutôt, un navire qui lui a été substitué.
Le terme «transporteur» y est défini comme comprenant «le propriétaire ou l'affréteur, partie à un contrat de transport avec un chargeur».
1' La règle 8 de l'article III s'énonce ainsi:
Article III .. .
8. Toute clause, convention ou accord dans un contrat de transport exonérant le transporteur ou le navire de responsa- bilité pour perte ou dommage concernant des marchandises provenant de négligence, faute ou manquement aux devoirs ou obligations édictées dans cet article ou atténuant cette responsabilité autrement que ne le prescrivent les présentes Règles, sera nulle, non avenue et sans effet.
Une, clause cédant le bénéfice de l'assurance au transporteur ou toute clause semblable sera considérée comme exonérant le transporteur de sa responsabilité.
obligations qui lui incombaient, aux termes de la règle 2 du même article 12 , de procéder «de façon appropriée et soigneuse ... à l'arrimage ... des marchandises transportées». Je souscris entière- ment à cette conclusion.
L'affréteur à temps a par ailleurs repris à son compte la conclusion du juge de première instance portant que le navire et ses propriétaires «sont aussi des transporteurs, 'au sens des Règles»: dans ces conditions, a-t-il fait valoir, il ne pouvait être également un «transporteur». Cette qualité lui aurait été attribuée de façon manifestement erro- née puisque, selon l'économie des Règles de La Haye, il ne peut y avoir qu'un seul transporteur agissant à ce titre à un moment et en vertu d'un contrat de transport donnés. Comme j'ai déjà déterminé que c'est en sa qualité personnelle que l'affréteur à temps s'est engagé par contrat à transporter les marchandises, et non en tant que mandataire des propriétaires, je ne puis voir com ment ces derniers pourraient, en vertu de ce même contrat, être considérés comme un «transporteur» étant donné qu'aux termes de l'alinéa la) des Règles de La Haye, il ressort clairement que le propriétaire ou l'affréteur d'un navire ne peut être un «transporteur» que s'il est «partie à un contrat de transport avec un chargeur» 13 . S'il en est ainsi, leur responsabilité en tant que transporteur devrait alors reposer sur un autre fondement. Il n'est pas nécessaire, voire souhaitable, de poursuivre sur ce point pour les fins du présent appel. Les propriétai- res du navire ne sont pas représentés en l'espèce, de sorte que la question de leur responsabilité ne se pose pas en tant que telle. Au surplus, ils sont en pratique à l'abri de tout jugement et quant au navire, il a été perdu en mer.
12 Voici le texte de la règle 2 de l'article III: Article III ...
2. Le transporteur, sous réserve des dispositions de l'article IV, procédera de façon appropriée et soigneuse au charge- ment, à la manutention, à l'arrimage, au transport, à la garde, aux soins et au déchargement des marchandises transportées.
13 0n a toutefois fait valoir que l'affréteur et le propriétaire du navire peuvent devenir tous deux transporteurs si, dans les faits, ils participent à une coentreprise relativement au trans port de la cargaison. Voir notamment Tetley, Marine Cargo Claims, 3` éd. (1988), à la p. 535.
Les moyens de défense fondés sur la règle 2 de l'article IV
L'affréteur à temps a cherché, dans ses plaidoi- ries, à invoquer les dispositions des Règles de La Haye, alléguant que les règles 2a),c) et q) de l'article IV dégageaient sa responsabilité pour toute perte qui pourrait lui être imputée en sa qualité de «transporteur». Ces dispositions sont ainsi conçues:
Article IV ...
2. Ni le transporteur ni le navire ne seront responsables pour perte ou dommage résultant ou provenant:
a) des actes, négligence ou défaut du capitaine, marin, pilote ou des préposés du transporteur dans la navigation ou dans l'administration du navire;
c) des périls, dangers ou accidents de la mer ou d'autres eaux navigables;
q) de toute autre cause ne provenant pas du fait ou de la faute du transporteur ou du fait ou de la faute des agents ou préposés du transporteur, mais le fardeau de la preuve incombera à la personne réclamant le bénéfice de cette exception et il lui appartiendra de montrer que ni la faute personnelle ni le fait du transporteur ni la faute ou le fait des agents ou préposés du transporteur n'ont contribué à la perte ou au dommage.
À mon avis, le juge de première instance a correc- tement disposé du moyen de défense fondé sur la règle 2c) lorsqu'il a estimé que, d'après la preuve, les conditions dans lesquelles s'est déroulée la tra versée étaient «exactement celles auxquelles il fal- lait s'attendre». Quant au moyen fondé sur la règle 2q), rien au dossier ne permet de l'étayer.
Je suis également convaincu que le moyen fondé sur la règle 2a) doit échouer. On a mis ici l'accent sur les mots «actes, négligence ou défaut ... dans l'administration du navire» en prétendant que la négligence dans l'arrimage de la cargaison consti- tuait une erreur de cette nature. La jurisprudence établit la distinction qu'il convient de faire entre une erreur de «navigation» et une erreur d'«administration» ". L'affréteur à temps n'a pas réussi à me convaincre du bien-fondé de ce moyen. Il appert de la décision rendue dans l'affaire The Ferro, [1893] P. 38 (Div. Ct.), sous l'empire de la
14 La distinction est explicitée dans la décision Falconbridge Nickel Mines Ltd. et al. v. Chimo Shipping Ltd. et al., [1969] 2 R.C.É. 261 où, aux pages 285 et s., le juge Kerr renvoie à des décisions sur ce point rendues tant au Canada qu'en Angleterre.
Harter Act, loi américaine de 1893 était utilisée une formulation à peu près semblable, que cette défense ne saurait être invoquée dans un cas de défaut d'arrimage. Cette décision a été citée par le président sir Francis Jeune ainsi que par le juge Gorrell Barnes dans l'arrêt The Glenochil, [1896] P. 10 (Div. Ct.). A la page 18, le juge Gorrell Barnes résume ainsi la décision rendue dans l'af- faire The Ferro:
[TRADUCTION] On prétendait en l'espèce que le propriétaire du navire devait être exonéré, en raison des mots «dans la navigation ou dans l'administration du navire«, de la responsa- bilité pour la faute du manutentionnaire dans l'arrimage; cette Cour a jugé que la négligence du manutentionnaire à cet égard n'était pas visée par ces mots ...
Voir également Gosse Millard v. Canadian Government Merchant Marine, [1928] 1 K.B. 717 (C.A.), lord juge Greer, à la page 744; confirmé à [1929] A.C. 223 (H.L.). Quoi qu'il en soit, même si l'on arrivait à démontrer que la méthode d'arri- mage utilisée constituait une erreur dans l'admi- nistration du navire, je ne crois pas que cela servi- rait la cause de l'affréteur à temps car il y avait à tout le moins en l'espèce, pour reprendre les mots de sir Francis Jeune dans l'arrêt The Glenochil, à la page 16, [TRADUCTION] «manque de vigilance à l'égard de la cargaison» et non [TRADUCTION] «manque de vigilance à l'égard du navire mettant indirectement en danger la cargaison».
La limitation par colis
L'affréteur à temps soutient qu'il n'est pas tenu de la perte des marchandises au-delà de la somme de 1 500 $, au motif que ce sont les conteneurs et non les caisses de bière qui doivent être considérés comme les «colis» visés par la règle 5 de l'article IV des Règles de La Haye. Cette règle dispose:
Article IV ...
5. Le transporteur comme le navire ne seront tenus en aucun cas des pertes ou dommages causés aux marchandises ou les concernant, pour une somme dépassant cinq cents dollars par colis ou unité, ou l'équivalent de cette somme en une autre monnaie, à moins que la nature et la valeur de ces marchandi- ses n'aient été déclarées par le chargeur avant leur embarque- ment et que cette déclaration ait été insérée au connaissement.
Le juge de première instance a également rejeté cet argument car il a estimé que le calcul devait être fondé sur le nombre de caisses de bière arri- mées dans les trois conteneurs chaque caisse constituant un «colis» plutôt que sur le nombre de conteneurs en cause. Il s'est appuyé sur une
décision de la Section de première instance, Inter national Factory Sales Service Ltd. c. Le «Alexandr Serafimovich», [1976] 1 C.F. 35, l'on a jugé, à la page 49, que la question devait être tranchée en recherchant l'intention des parties «telle qu'elle ressort des documents de transport, des déclarations des parties et des négociations».
Je ne puis déceler aucune erreur dans la conclu sion du juge de première instance à ce sujet, telle qu'il l'exprime aux pages 120 et 121 de ses motifs de jugement:
En l'espèce, le connaissement et les feuilles de route de chaque conteneur constituent les documents de transport. Un total de quatre mille deux cent quarante (4 240) colis est indiqué expressément dans la colonne du connaissement réser- vée au nombre de colis.
Les feuilles de route de chaque conteneur mentionnent le
numéro du conteneur qui est suivi sur chaque feuille de route de
cette autre mention:
[TRADUCTION] Contenant 1 413 c. de bière
ou
Cont. 1 413 c. de bière.
Suivant la règle 3b) de l'article III des Règles, si le transpor- teur délivre un connaissement, il doit y indiquer soit le nombre de colis ou de pièces ou la quantité ou le poids, suivant le cas, tels qu'ils sont fournis par l'expéditeur.
En l'espèce, le connaissement et la lettre de voiture indi- quaient le nombre de caisses de bière ou de colis acceptés par CN. Outre cet élément de preuve, on a expliqué à la Cour comment les parties traitaient entre elles. La demanderesse avait déjà confié plusieurs chargements de ce genre à CN. Il est bien connu que la bière est expédiée par caisse. Il ne fait aucun doute pour moi que CN savait très bien, même si les conteneurs étaient scellés lorsqu'ils lui ont été livrés, qu'elle avait reçu environ 4 000 caisses de bière à transporter à Goose Bay.
L'intérêt antérieur au jugement
J'en viens maintenant à l'appel incident. On y allègue que le juge de première instance a commis une erreur en limitant le paiement de l'intérêt antérieur au jugement à une période de deux ans à compter de la date l'action a été intentée, au lieu de l'accorder pour toute la période écoulée depuis la date de la perte. Il s'agit d'une ques tion de détail certes, mais qui a son importance. Lors du procès, l'avocat de l'affréteur à temps a soutenu qu'il ne devait être accordé aucun intérêt avant jugement vu le temps qui s'était écoulé avant que l'affaire ne soit mise en état. Pour sa part, l'avocate de l'expéditeur a répliqué que tout ce temps avait été indispensable. En tranchant ce point, le juge de première instance s'est exprimé ainsi, à la page 121 de ses motifs:
J'admets, comme l'a prétendu CN, qu'un délai s'est écoulé avant que l'action soit intentée, mais je n'ai pas l'intention de déterminer dans quelle mesure l'une ou l'autre partie est res- ponsable de ce retard. Si l'avocate de la demanderesse était résolue à obtenir un procès rapidement, j'estime qu'elle devait intenter l'action dans un délai de deux ans.
Comme l'attribution d'intérêts antérieurs au jugement relève de l'exercice d'un pouvoir discré- tionnaire, il n'y a pas lieu normalement d'interve- nir à cet égard en appel. Cependant, l'expéditeur soutient qu'une telle intervention s'impose en l'es- pèce puisqu' [TRADUCTION] «en admettant simple- ment qu'il y a eu retard dans la mise en état de l'affaire tout en refusant de s'enquérir des raisons ou de l'origine de ces retards», le juge de première instance n'a pas exercé judicieusement son pouvoir discrétionnaire. L'avocate de l'expéditeur affirme que la responsabilité de son client n'a jamais été alléguée relativement à quelque retard que ce soit. De plus, soutient-elle, un retard ne peut en soi dispenser le défendeur du paiement de l'intérêt sur les dommages-intérêts dont a été privé le deman- deur ayant gain de cause.
À l'appui de ce dernier argument, l'avocate de l'expéditeur invoque un aspect de l'évaluation des dommages-intérêts en matière maritime qui lui paraît propre au droit de l'amirauté depuis de nombreuses années. En effet, en vertu de sa com- pétence en matière d'amirauté, la Cour a le pou- voir d'accorder des intérêts antérieurs au jugement à titre de partie intégrante des dommages subis, que les droits en cause découlent d'un contrat ou d'un délit. Après avoir pris racine dans le droit civil, cette règle s'est développée en Angleterre, elle est appliquée depuis des temps fort anciens (voir notamment In re the «Dundee» (1827), 2 Hagg. 137 (Adm.); In re the «Gazelle» (1844), 2 W. Rob. 279 (Adm.); In re the «Hebe» (1847), 2 W. Rob. 530 (Adm.)), puis a été adoptée au Canada. Elle a été explicitée dans l'affaire Cana- dian Brine Ltd. v. The Ship Scott Misener and Her Owners, [1962] R.C.É. 441 le juge Wells, après avoir fait référence à des décisions anglaises 15 , affirme à la page 452:
15 Dans trois de ces décisions, le fondement de la règle est ainsi expliqué:
Le président, Sir Henry Duke, dans l'affaire The Joannis Vatis (No. 2), [1922] P. 213 (P.D.A.), à la p. 223:
[TRADUCTION] En l'espèce, deux points doivent être exa- minés. Dans la présente juridiction, il existe une règle bien
établie et qui mérite d'être prise en considération en matière d'intérêts alloués sur les dommages. Le registraire
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[TRADUCTION] D'après cette jurisprudence, il semble claire- ment établi qu'une cour d'amirauté peut discrétionnairement accorder des intérêts, que les droits en cause découlent d'un contrat ou qu'ils découlent d'un délit. Il est intéressant de noter que c'est sur le jugement de sir Robert Phillimore dans l'affaire The Northumbria que le lord juge d'appel Martin s'est appuyé pour rendre jugement en première instance dans l'affaire Wins- low Marine Railway and Ship Building Company v. The Ship Pacifico ([1924] R.C.E. 90), dont j'ai cité précédemment le jugement d'appel. Le jugement de première instance a, naturel- lement, été approuvé expressément en appel par le juge MacLean. Certes, il est vrai qu'en l'espèce aucune demande spéciale d'intérêts n'a été faite dans la déclaration mais, si j'ai bien saisi la nature de la compétence en equity dévolue à la cour d'amirauté, il est très clair que ces intérêts ne sont pas adjugés indépendamment des dommages mais comme partie intégrante de ceux-ci.
Ce principe a depuis lors reçu la sanction de la Cour suprême du Canada: Canadian General Electric Company Limited c. Pickford & Black
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et les commerçants incluent dans leur évaluation de l'ava- rie résultant d'un abordage un intérêt sur les sommes demandées à compter du moment de la survenance de l'avarie et jusqu'à la date de l'évaluation. Cet usage a été examiné et confirmé dans The Kong Magnus ([1891] p. 223), et est conforme à ce qu'avait déclaré lord Stowell longtemps auparavant dans l'affaire The Dundee ((1827) 2 Hagg. Adm. 137, la p. 143). La somme ainsi fixée est allouée non pas à titre d'intérêt sur une dette mais à titre de partie des dommages.
Sir Robert Phillimore, dans l'affaire The Northumbria (1869), L.R.A. & E. 6, à la p. 10:
[TRADUCTION] Toutefois, en regard de cette jurispru dence, il suffit à mon avis de souligner que la cour d'amirauté, statuant en equity, applique un principe diffé- rent de celui sur lequel semble se fonder la jurisprudence de common law. Ce principe est celui du droit civil, savoir que l'intérêt est toujours au créancier lorsque le paie- ment n'a pas été fait ex mora du débiteur, et ce, que l'obligation soit d'origine contractuelle ou délictuelle.
Le président lord Merriman, dans l'affaire The Berwickshire, [1950] P. 204, la p. 208:
[TRADUCTION] Comme je l'ai indiqué précédemment, il ne fait aucun doute que le pouvoir discrétionnaire du juge d'inclure dans les dommages résultant d'un abordage un intérêt sur la totalité ou partie de la somme recouvrée, à un taux et pour une période relevant également de sa discré- tion, était solidement ancré dans la juridiction d'amirauté à une époque où, en common law, le droit d'adjuger des intérêts à titre de dommages était soumis au Statute 3 & 4, Wm. IV, chap. 42, art. 28 et 29, ou dépendait des termes exprès du contrat ou des termes importés dans les contrats commerciaux par les usages du commerce, notam- ment dans les lettres de change ou les billets à ordre; voir les notes sur le calcul de l'intérêt dans les actions pour rupture de contrat, dans Bullen and Leake's Precedents of Pleadings (3rd ed.), p. 51 et 52.
Limited, [1972] R.C.S. 52; Drew Brown Limited c. Le navire «Orient Trader» et autres, [1974] R.C.S. 1286. Il a été de nouveau expliqué et appliqué par le juge Addy dans la décision Bell Telephone Co. c. Le «Mar-Tirenno», [1974] 1 C.F. 294 (ire inst.), laquelle a été suivie par cette Cour dans l'arrêt Davie Shipbuilding Limited c. La Reine, [1984] 1 C.F. 461 (C.A.).
Dans l'affaire Canadian Brine, le pouvoir discré- tionnaire avait été exercé en rapport avec la nature de la négligence du défendeur. Il appert toutefois aujourd'hui que ce pouvoir peut également viser la conduite qu'un demandeur adopte en cours d'ins- tance. Dans l'affaire Bell Telephone, le juge Addy s'est dit d'avis que la discrétion pouvait s'exercer largement. Il a énoncé, à la page 312, la règle générale suivante:
... je suis convaincu qu'il convient d'accorder des intérêts à la demanderesse à moins que l'on trouve dans sa conduite ou par ailleurs quelque raison de réduire ou de rejeter sa demande
d'intérêts ... -
Aucune décision n'a été citée à l'appui de l'argu- ment selon lequel la conduite de l'avocat du demandeur serait également visée, mais j'estime que la jurisprudence envisage cette possibilité. Par ailleurs, étant donné que l'intérêt antérieur au jugement est considéré comme un élément ou une partie intégrante des dommages subis, il importe d'exercer soigneusement le pouvoir discrétionnaire, de peur qu'un demandeur ayant gain de cause ne soit privé du droit à l'indemnisation intégrale de son préjudice.
En l'espèce, le juge de première instance s'est expressément abstenu de faire porter à «l'une ou l'autre partie» la responsabilité du retard. Sa déci- sion de limiter le recouvrement de l'intérêt anté- rieur au jugement n'a donc pas été motivée par la conduite de l'expéditeur ou de son avocate. Il semble plutôt s'être fondé sur l'idée qu'une période de deux ans suffisait pour mettre l'affaire en état la page 121] «si l'avocate de la demanderesse était résolue à obtenir un procès rapidement», lais- sant ainsi entendre que celle-ci n'avait pas fait preuve de diligence. Certes, il ne fait pour moi aucun doute que le juge était en droit de considé- rer le temps écoulé par rapport à une quelconque norme raisonnable. Il m'apparaît en revanche incorrect de retenir ce seul élément sans d'abord examiner les explications susceptibles d'être four-
nies. Au demeurant, certaines actions exigent de par leur nature même une préparation beaucoup plus longue que d'autres avant d'être en état pour l'instruction.
Les plaidoiries qu'ont présentées les avocats sur ce point figurent dans les notes sténographiques, mais je ne suis pas convaincu que le juge de première instance ait pu y puiser l'assistance nécessaire 16 . L'affréteur à temps s'est opposé à toute adjudication d'intérêts antérieurs au juge- ment, plaidant à la rigueur dans le sens d'une somme réduite. L'expéditeur a quant à lui réclamé le plein montant et a fait valoir la page 244) qu'aucun «retard inutile» n'avait été créé. Dans les circonstances, j'estime qu'il incombait au juge d'exiger une explication en considérant les facteurs susceptibles de justifier le retard. Il se peut, par exemple, que le nombre de parties à l'action et le fait qu'elles habitaient dans différentes régions du pays aient pu entraîner des délais dans l'échange des actes de procédure, la communication des documents et les interrogatoires préalables. Qu'on pense également aux lieux de résidence des avo- cats, à leur volonté et à leur capacité de collaborer pour faire avancer le litige vers l'instruction, ainsi qu'à tout autre facteur pertinent. S'il avait procédé à cet examen, le juge de première instance aurait, à mon avis, été plus en mesure d'exercer son pouvoir discrétionnaire dans un sens ou dans l'au- tre. Or rien, dans l'état actuel du dossier, ne permet à mon sens d'écarter la règle normale en matière d'allocation d'intérêt antérieur au juge- ment en cas de perte totale. En conséquence, j'ac- corderais à l'expéditeur l'intérêt à compter de la date la perte est survenue. Accorder moins n'équivaudrait pas, comme ce doit normalement être le cas, à la restitutio in integrum en vertu du principe applicable.
L'argument fondé sur la justice naturelle
Avant de disposer de la présente instance, je me dois d'examiner un dernier argument à l'encontre du jugement présenté pour le compte du capitaine. On a fait valoir qu'en raison des circonstances
16 L'avocat de l'affréteur à temps a attiré l'attention sur sa plaidoirie en première instance (voir la transcription, vol. 6, p. 202 204), mais je ne vois rien dans ses arguments ni dans la réplique de l'avocate de l'expéditeur (p. 244 et 245) qui puisse démontrer par une preuve positive que tout retard dans la mise en état de l'action était attribuable à l'expédi- teur ou à son avocate.
ci-après décrites, le capitaine avait été privé du droit à la justice naturelle en ce qu'il n'avait pas eu, lors du procès, la possibilité de présenter une défense. D'après le dossier, le capitaine a comparu pour son propre compte à l'ouverture de l'instruc- tion, mais il s'est vite rendu compte qu'il ne serait pas financièrement en mesure de payer l'indemnité susceptible d'être accordée par jugement. L'avo- cate de l'expéditeur a alors indiqué qu'elle ne ferait aucune tentative pour recouvrer la somme pouvant être adjugée contre le capitaine et en faveur de son client. L'avocat de l'affréteur à temps s'est ensuite exprimé au sujet de la demande reconventionnelle de son client contre le capitaine pour souligner que, dans les circonstances, cette demande ne serait pas poursuivie et qu'à son avis il n'y avait donc pas lieu que le capitaine participe au procès à cette fin. C'est à la suite de ces interventions que le capitaine s'est retiré de la salle d'audience, de sorte que l'instruction s'est poursui- vie en son absence. Dans ses motifs de jugement en date du 17 novembre 1986, le juge de première instance a accordé un délai pour permettre aux parties de faire valoir par écrit leurs observations sur la question de la responsabilité du capitaine. La dernière de ces observations a été déposée par l'avocat du capitaine, au printemps de 1987. Dans ses motifs supplémentaires de jugement, le juge de première instance a conclu à la responsabilité du capitaine et a autorisé l'expéditeur à inscrire juge- ment contre lui également.
Cette objection m'apparaît dénuée de tout fon- dement. Il semble en effet très clair que le capi- taine a quitté la salle d'audience de son propre gré; il aurait pu y demeurer et participer aux débats s'il l'avait voulu. Rien de ce qui s'est passé en sa présence ne pouvait donner à croire qu'il n'y aurait pas enquête sur sa responsabilité éventuelle et encore moins que jugement ne serait pas rendu contre lui. Je dois donc rejeter cette objection.
Dispositif
En conséquence, je suis d'avis de rejeter l'appel avec dépens en faveur de l'expéditeur intimé (demanderesse) et d'accueillir l'appel incident, également avec dépens en faveur de cette partie. Je modifierais le jugement rendu le 31 août 1987 en rayant du paragraphe 1 du dispositif de ce juge- ment les mots «couru depuis deux ans,» et «soit
jugement au total pour la somme de TRENTE SEPT MILLE NEUF CENT QUATRE-VINGT SEPT DOLLARS ET SOIXANTE ET ONZE CENTS (37 987,71 $)», pour leur substituer les mots
à compter du 15 novembre 1980.
Le paragraphe 1 modifié sera donc ainsi libellé:
1. les défendeurs CN Marine Inc., The Labrador Shipping Co. Ltd., le navire NEWFOUNDLAND COAST et Roger Sirois, à payer aux demanderesses Carling O'Keefe Breweries of Canada Limited et Norlab Ltd., la somme de TRENTE ET UN MILLE TROIS CENT QUATRE-VINGT-QUATORZE DOLLARS ET QUATRE-VINGTS CENTS (31 394,80 $) au principal, avec un intérêt avant jugement de dix pour cent (10 %) à compter du 15 novembre 1980.
À tous autres égards, je suis d'avis de confirmer ce jugement.
LE JUGE EN CHEF IACOBUCCI: J'y souscris. LE JUGE HEALD, J.C.A.: J'y souscris.
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