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A-856-88
Procureur général du Canada (requérant)
c.
Judith L. Penner (intimée)
RÉPERTORIÉ: CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL) c. PENNER
(C.A.)
Cour d'appel, juges Pratte, Marceau et MacGui- gan, J.C.A.—Ottawa, 25 avril et 30 mai 1989.
Fonction publique Fin d'emploi Stage Inconduite au cours d'un stage L'employeur a renvoyé l'employée, en déclarant qu'il considérait non satisfaisante l'aptitude de cette dernière à exercer les fonctions du poste en cause S'agit-il d'un congédiement pour motifs disciplinaires qui ressortirait à la compétence détenue par un arbitre sous le régime de la L.R.T.F.P., ou s'agit-il d'un renvoi en cours de stage effectué sous le régime de la L.E.F.P.? Le rapport entre ces deux lois est incertain, considérant les interprétations différentes auxquelles se prête l'arrêt Jacmain L'arbitre est sans compétence à l'égard d'un renvoi en cours de stage lorsqu'il est établi que l'employeur a conclu de bonne foi que l'employé ne possédait pas les aptitudes requises, même si l'insatisfaction éprouvée par l'employeur à l'égard de l'aptitude de l'employé résulte de l'inconduite de ce dernier.
Après avoir complété sept mois d'un stage dans un poste de secrétaire au ministère des Transports, l'intimée a été remerciée de ses services. L'employeur a avisé l'intimée qu'elle avait manqué de satisfaire aux normes applicables à l'exercice de ses fonctions. Cette décision a été prise à la suite d'une discussion relative à une appréciation de rendement au cours de laquelle l'intimée s'est comportée de façon abusive et irrespectueuse et a manifesté une attitude négative à l'égard de ses collègues. Le grief de l'intimée, qui voulait que son renvoi fût injustifié, a été soumis à un arbitre. Après avoir confirmé sa compétence, l'arbitre est venu à la conclusion que la mesure présentée comme un renvoi en cours de stage était en fait un congédie- ment fondé sur des motifs disciplinaires. Il a également décidé que son inconduite ne justifiait au plus qu'une suspension de quinze jours. La demande en l'espèce, fondée sur l'article 28, sollicite la révision et l'annulation de cette décision. La question en litige est de savoir s'il y a eu un congédiement fondé sur des motifs disciplinaires qui serait arbitrable sous le régime de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (cette Loi étant applicable aux personnes— en stage ou non—employées depuis plus de six mois), ou s'il y a eu renvoi en cours de stage sous le régime de l'article 28 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique.
Arrêt: la demande devrait être accueillie.
Le juge Marceau, J.C.A.: La décision rendue par la Cour suprême dans l'affaire Jacmain, qui traite de la présente ques tion, a été interprétée par certains arbitres comme signifiant que, dès que le motif ayant conduit au renvoi en cours de stage pouvait être considéré comme disciplinaire, ils pouvaient exami ner les circonstances ayant donné lieu à la cessation d'emploi et accorder un redressement à l'employé lorsqu'une telle mesure était appropriée. D'autres arbitres l'ont interprétée comme-
signifiant que, dès le moment ils sont convaincus que la décision contestée procédait d'une insatisfaction éprouvée de bonne foi à l'égard de l'aptitude de l'employé, ils n'ont pas compétence pour examiner la question de savoir si la décision de renvoyer l'employé était appropriée ou était bien fondée. Cette dernière thèse est celle qui exprime correctement le principe mis de l'avant dans l'arrêt Jacmain.
L'article 28 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique vise à permettre à l'employeur d'apprécier l'aptitude d'un employé à occuper un emploi. Au cours de cette période, l'employeur peut renvoyer l'employé au motif qu'il ne présente pas les qualités requises sans que celui-ci ait la possibilité de recourir à l'arbitrage. Ni l'objet d'une période de stage, ni les dispositions légales en cause ne sont conciliables avec la propo sition qu'un congédiement pour des motifs disciplinaires et un renvoi motivé ne sont pas des concepts mutuellement exclusifs. Le premier est la sanction ultime imposé par l'administration à la suite d'un grave écart de conduite, tandis que l'autre est une terminaison d'emploi faisant suite à une insatisfaction éprouvée de bonne foi quant aux aptitudes de l'employé. S'il est possible que cette appréciation négative de l'aptitude de l'employé ait été faite à la suite d'une inconduite ou d'un écart de comporte- ment, cette circonstance n'atténue en rien la réalité ou la légitimité de l'insatisfaction éprouvée, et elle ne justifie pas la Cour de confondre le renvoi en cause avec une sanction disciplinaire.
En l'espèce, il ne fait aucun doute que la décision visée a été prise de bonne foi et avait pour motif que l'employée ne semblait pas posséder les qualités requises pour occuper l'em- ploi en question, en partie en raison des carences constatées dans ses habiletés techniques, et principalement en raison des carences de sa personnalité. Dans ces circonstances, l'arbitre n'avait pas la compétence voulue pour juger l'affaire.
Le juge Pratte, J.C.A.: Le membre de phrase «une mesure disciplinaire entraînant le congédiement» du paragraphe 92(1) de la L.R.T.F.P. vise des mesures disciplinaires prises par l'employeur dans l'exercice des pouvoirs conférés en vertu de l'alinéa 11(2)f) de la Loi sur la gestion des finances publiques; ces mots ne renvoient point à une cessation d'emploi attribuable à une violation des règles disciplinaires par l'employé. Le grief pris par un employé à l'encontre de la terminaison de son emploi autrement que par congédiement ne peut être renvoyé à l'arbitrage même si on a mis fin à son emploi pour des motifs disciplinaires. Dans certaines circonstances, l'employeur peut avoir le droit soit de renvoyer, soit de congédier l'employé stagiaire. L'inconduite de l'employé peut aussi bien constituer un motif de renvoi que justifier un congédiement. Dans de telles circonstances, l'employeur peut choisir soit de congédier, soit de renvoyer l'employé.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 28.
Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), chap. F-11, art. 11 (2)f).
Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), chap. P-33, art. 28, 29, 31.
Loi sur les relations de travail dans la Fonction publi-
que, S.R.C. 1970, chap. P-35, art. 91(1).
Loi sur les relations de travail dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), chap. P-35, art. 2, 91(1), 92(1).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS EXPLIQUÉES ET APPLIQUÉES:
Jacmain c. Procureur général (Can.) et autre, [1978] 2 R.C.S. 15, confirmant [1977] I C.F. 91 (C.A.), intitulée Procureur général du Canada c. Commission des rela tions de travail dans la Fonction publique.
DÉCISIONS CITÉES:
Gloin c. Procureur général du Canada, [1978] 2 C.F. 307 (C.A.); Procureur général du Canada c. Brent, [ 1980] I C.F. 833 (C.A.); Vachon c. R., [1982] 2 C.F. 455 (C.A.); Wright c. Commission des relations de travail dans la Fonction publique, [1973] C.F. 765 (C.A.); R. c. Guimet, [1979] 1 C.F. 55 (C.A.).
AVOCATS:
Harvey A. Newman pour le requérant. Andrew J. Raven pour l'intimée.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour le requérant.
Soloway, Wright, Houston, Greenberg, O'Grady, Morin, Ottawa, pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE, J.C.A.: J'ai eu le privilège de lire les motifs de jugement rédigés par mon collè- gue le juge Marceau. Je souscris à son opinion et désire seulement ajouter quelques observations visant à montrer que la solution qu'il propose est la seule qui soit conciliable avec les dispositions applicables des lois concernées.
Dans les arrêts Wright c. Commission des rela tions de travail dans la Fonction publique' et R. c. Ouimet 2 , le juge en chef Jackett a cité les différen- tes dispositions statutaires en vertu desquelles il peut être mis fin à un emploi dans la fonction publique. Il est intéressant de noter que ces dispo sitions ne prévoient pas seulement que l'emploi d'un fonctionnaire peut prendre fin de diverses façons, pour des raisons variées et, souvent, avec
' [1973] C.F. 765 (C.A.).
2 [1979] 1 C.F. 55 (C.A.).
des conséquences différentes: dans leur version anglaise, elles confèrent également un nom parti- culier à chacune des formes revêtues par cette cessation. Ainsi, par exemple:
en vertu de l'article 28 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), chap. P-33, un stagiaire peut être «rejected» [dans la version française: «renvoyé»];
aux termes de l'article 29 de cette même Loi, l'administrateur peut «lay off» [dans la version française: «mettre en disponibilité»] un employé;
selon l'article 31, un employé incompétent ou incapable de remplir ses fonctions peut être «released» [dans la version française: «renvoyé»];
finalement, en vertu de l'alinéa 11(2)f) de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), chap. F-11, un employé peut être «dis- charged» [dans la version française: «congédié»] pour manquement à la discipline ou inconduite.
Lorsque le paragraphe 92(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), chap. P-35 est interprété dans le contexte de telles dispositions législatives, il est clair, à mon avis, que le membre de phrase «une mesure disciplinaire entraînant le congédiement» vise des mesures disciplinaires prises par l'em- ployeur dans l'exercice de pouvoirs conférés en vertu de l'alinéa 11(2)f) de la Loi sur la gestion des finances publiques; ces mots ne renvoient point à une cessation d'emploi attribuable à une viola tion des règles disciplinaires par l'employé. Il s'en- suit que le grief pris par un employé à l'encontre de la terminaison de son emploi autrement que par congédiement ne peut être renvoyé à l'arbitrage même si on a mis fin à son emploi pour des motifs disciplinaires.
Cette interprétation confère-t-elle à l'employeur un moyen de priver l'employé de son droit à l'arbi- trage? Certainement pas. Pour que l'employeur mette validement fin à un emploi pour manque- ment à la discipline autrement que par congédie- ment, il lui faut observer les exigences statutaires ayant trait à la forme de la terminaison d'emploi qu'il a choisie. Par exemple, un employeur ne peut
renvoyer* un employé après l'expiration de la période de stage; s'il le fait, le renvoi ainsi effectué est nul (voir l'arrêt Wright c. Commission des relations de travail dans la Fonction publique, supra).
Dans certaines circonstances, l'employeur peut avoir le droit soit de renvoyer, soit de congédier l'employé stagiaire. Cette possibilité, ainsi que le note mon collègue le juge Marceau, est due au fait qu'un manquement à la discipline ou une incon- duite de l'employé peut constituer un motif de renvoi aussi bien que justifier un congédiement. Dans de telles conditions, l'employeur a le choix de congédier ou de renvoyer l'employé. L'administra- teur général est habilité à la fois à renvoyer et à congédier l'employé; suivant les circonstances de chaque cas, donc, il peut choisir d'exercer l'un ou l'autre de ces deux pouvoirs.
Comme mon collègue le juge Marceau, j'annule- rais la décision attaquée.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE MARCEAU, J.C.A.: L'intérêt particu- lier de la présente demande fondée sur l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), chap. F-7] tient à ce qu'elle fait ressortir nette- ment le lien existant entre la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), chap. P-35 (que nous appellerons L.R.T.F.P.) et la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), chap. P-33, (que nous appellerons L.E.F.P.), deux lois qui, avec la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), chap. F-11, assurent la mise sur pied, l'organisation et la gestion de l'administration publique fédérale. L'espèce concerne en effet un renvoi à l'arbitrage effectué conformément à la L.R.T.F.P. relativement à un renvoi en cours de stage qui a eu lieu sous le régime de la L.E.F.P. Le problème soulevé par ce dernier type de renvoi est loin d'être nouveau. Il fait même l'objet d'une décision bien connue de la Cour suprême. L'inter-
* Note du traducteur: dans la version anglaise, le terme «reject» est utilisé. Au paragraphe 2 des présents motifs, il est souligné que ce terme est particulier à la cessation d'emploi fondée sur l'article 28 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique.
prétation de cet arrêt a cependant donné lieu à des difficultés et, à ma connaissance, la présente espèce est la première dans laquelle notre Cour est appelée à examiner la controverse qui s'est déve- loppée depuis son prononcé'. Le sujet de cette controverse ressortira clairement une fois que nous aurons exposé les faits, rappelé les dispositions légales applicables et examiné brièvement la déci- sion contestée de l'arbitre de la Commission des relations de travail dans la fonction publique.
L'intimée a été embauchée comme secrétaire au sein de la division du Service de la circulation aérienne du ministère des Transports à Winnipeg, le l er août 1986. Cet engagement était à l'essai et avait une durée déterminée, qui devait initialement prendre fin le 6 janvier 1987 mais a alors été prorogée au 3 juillet 1987. Le 11 mars 1987, l'employeur de l'intimée a décidé de mettre fin à son emploi. L'intimée a été avisée par lettre qu'elle était renvoyée en cours de stage pour avoir [TRA- DUCTION] «manqué de satisfaire aux normes applicables à l'exercice des fonctions de secré- taire».
Réagissant immédiatement, l'intimée a déposé, conformément au paragraphe 91(1) de la L.R.T.F.P., un grief dans lequel elle prétendait que son renvoi était injustifié. A chacun des paliers de la procédure de griefs, le représentant autorisé de l'employeur a effectivement réitéré son affirmation que l'espèce concerne un renvoi en cours de stage pour défaut de la stagiaire d'exécuter les fonctions de secrétaire en respectant les critères qui leur étaient applicables, et il a affirmé que la décision de l'employeur était justifiée. L'intimée a alors demandé que son grief soit renvoyé à l'arbitrage conformément au paragraphe 92(1) (antérieure- ment le paragraphe 91(1) [S.R.C. 1970, chap. P-35]) de la L.R.T.F.P., une disposition qu'il con- vient de citer à ce point-ci:
92. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonc- tionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief portant sur:
Cette décision de la Cour suprême est l'arrêt Jacmain c. Procureur général (Can.) et autre, [1978] 2 R.C.S. 15, qui a été prononcé en 1977. Je connais trois décisions de notre Cour faisant référence à cet arrêt, mais aucune ne traite de la controverse qui fait l'objet de la présente espèce; ces décisions sont les suivantes: Gloin c. Procureur général du Canada, [1978] 2 C.F. 307 (C.A.); Procureur général du Canada c. Brent, [1980]I C.F. 833 (C.A.); et Vachon c. R., [I982] 2 C.F. 455 (C.A.).
a) l'interprétation ou l'application, à son endroit, d'une dispo sition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;
b) une mesure disciplinaire entraînant le congédiement, la suspension ou une sanction pécuniaire.
Au commencement de l'audition tenue devant l'arbitre, l'avocat de l'employeur s'est opposé à l'application d'une telle procédure en prétendant que l'espèce ne mettait pas en jeu un congédiement pour des motifs disciplinaires pouvant faire l'objet d'un arbitrage conformément à la L.R.T.F.P. et à son paragraphe 92(1); selon cet avocat, la présente affaire concernait un renvoi en cours de stage effectué sous le régime de l'article 28 de la L.E.F.P., qui est ainsi libellé:
28. (1) À partir de la date de sa nomination, le fonctionnaire est considéré comme stagiaire durant la période fixée par la Commission pour lui ou la catégorie dont il relève.
(2) Dans le cas d'une nomination interne, l'administrateur général peut, s'il le juge opportun, réduire la durée du stage ou en dispenser le fonctionnaire.
(3) À tout moment au cours du stage, l'administrateur général peut aviser le fonctionnaire de son intention de le renvoyer, pour un motif déterminé, au terme du délai de préavis fixé par la Commission pour ce fonctionnaire ou la catégorie dont il relève; il en avise également la Commission. Sauf nomination par celle-ci dans un autre poste de la fonction publique avant l'expiration de ce délai, le fonctionnaire perd sa qualité de fonctionnaire au terme de cette période.
(4) Toute décision prise par l'administrateur général aux termes du paragraphe (3) doit être motivée auprès de la Commission.
(5) Le fonctionnaire qui perd sa qualité de fonctionnaire en application du paragraphe (3) est inscrit d'office, dans le cas d'une nomination interne, sur la liste d'admissibilité et au rang que la Commission juge correspondre à ses qualifica tions; dans le cas contraire, il peut l'être, mais à l'appréciation de la Commission.
Comme, en réponse à la prétention de l'employeur, il était allégué que la preuve révélerait clairement qu'en fait un congédiement à caractère discipli- naire avait été effectué au moyen d'un renvoi en cours de stage, l'arbitre a décidé de prendre cette opposition à sa compétence en délibéré et d'enten- dre le grief au fond.
Considérant la preuve qui lui avait été présen- tée, l'arbitre est arrivé à la conclusion que, même
si les supérieurs hiérarchiques de l'employée s'esti- mant lésée avaient des motifs d'être insatisfaits de son travail, leur décision de mettre fin à son emploi était due en réalité à certains incidents discipli- naire qui s'étaient déroulés lors d'une discussion relative à une appréciation de rendement préparée par le supérieur hiérarchique de l'intimée. L'arbi- tre relate ces incidents de la manière suivante (aux pages 14 et 15):
La preuve montre que ce que M. Cottrell souhaitait réelle- ment de Mme Penner jusqu'à l'incident qui s'est produit dans son bureau le 5 mars, c'était qu'elle améliore ses points faibles. Il ne lui a jamais dit que si elle n'y parvenait pas à son entière satisfaction avant telle date, elle serait renvoyée en cours de stage.
Pourquoi alors Mme Penner a-t-elle été renvoyée en cours de stage le 1 mars 1987? C'était uniquement en raison des incidents qui s'étaient produits dans le bureau de M. Cottrell les 4 et 5 mars 1987. Ces incidents, de nature disciplinaire, ne constituaient pas un motif valable de renvoi en cours de stage. Mme Penner a d'abord rencontré M. Cottrell le 4 mars. Ils ont échangé des propos vifs concernant le rendement de l'employée s'estimant lésée. A un moment donné, cette dernière a décidé de quitter le bureau de M. Cottrell. Elle l'a fait en claquant la porte. Le lendemain, le 5 mars, M me Penner a de nouveau rencontré son superviseur à deux reprises. La première fois, ils ont repris leur discussion animée de la veille. M me Penner a fini par décider qu'elle ne pouvait plus continuer de discuter avec son superviseur. En sortant, elle a une fois de plus claqué la porte. M me Penner est revenue plus tard au bureau de M. Cottrell, qui lui a dit qu'elle serait renvoyée au cours de stage. Elle s'est fâchée et a adressé des paroles injurieuses à son superviseur, après quoi elle a jeté son évaluation à la poubelle. En contre-interrogatoire, M me Penner a déclaré qu'elle avait dit à son superviseur, le 5 mars 1987, qu'il était un «maudit écoeurant» («fucking bastard»). Ce sont les paroles injurieu- ses dont il est fait mention plus haut.
À la suite des incidents susmentionnés, M. Cottrell a écrit ce qui suit, le 5 mars 1987, dans l'évaluation de Mme Penner:
[TRADUCTION] Non disponible pour signature: l'employée s'est mise à argumenter et a refusé d'accepter des critiques objectives à l'égard de ses points faibles et des domaines elle devait se corriger. Elle a commencé à accuser tout le personnel de soutien de lui en vouloir. Elle s'est ensuite mise en colère, claquant les portes, déchirant son évaluation et jetant à la poubelle la documentation courante à classer (elle a plus tard ramassé ces documents).
Il n'est mentionné nulle part dans l'évaluation de M me Penner qu'elle devrait être renvoyée en cours de stage.
Envisageant ainsi les faits, l'arbitre n'a vu aucune difficulté à confirmer sa compétence et à définir la question qui lui était soumise comme étant celle de savoir si «la façon dont Mme Penner s'est conduite les 4 et 5 mars justifiait qu'une mesure disciplinaire soit prise contre elle et, dans l'affirmative, si la mesure en question doit être le
congédiement ou une sanction moins sévère». Sa décision finale fut que, s'il ne faisait aucun doute qu'une mesure disciplinaire s'imposait, le congé- diement était excessif et une suspension de 15 jours eût été suffisante.
Il est maintenant clair que, comme je l'ai men- tionné au commencement des présents motifs, l'es- pèce met directement en question l'interdépen- dance des deux lois traitant de la gestion de la fonction publique. C'est dans la L.E.F.P. qu'il est traité du stage, et le renvoi motivé d'un stagiaire est régi par cette Loi, qui, du moins en apparence, laisse une telle question à la discrétion de l'em- ployeur en ne prévoyant l'intervention d'aucune instance extérieure. D'autre part, une personne employée au sein de la fonction publique durant une période de six mois ou plus est un employé auquel s'applique la L.R.T.F.P. alors même qu'elle est en stage (voir l'alinéa g) de la définition du terme «employé» à l'article 2), et un employé visé par des mesures disciplinaires peut toujours avoir recours à la protection prévue par cette Loi, y compris le droit à l'arbitrage. Comment les dispo sitions prévoyant cette dichotomie doivent-elles être appliquées? En l'espèce, l'arbitre, sans aucu- nement suggérer que l'employeur ait pu être de mauvaise foi, a considéré que les motifs pour lesquels il avait été mis fin à l'emploi avaient un caractère disciplinaire, en sorte de transformer un renvoi en cours de stage effectué de bonne foi, une mesure qui en principe ne donne pas lieu à l'arbi- trage, en un congédiement à caractère disciplinaire entièrement assujetti à sa révision. Cette possibilité est-elle prévue par le système que le Parlement a voulu instaurer?
Si la Cour suprême a traité de cette question dans l'arrêt Jacmain c. Procureur général (Can.) et autre, [1978] 2 R.C.S. 15, aucune des trois séries de motifs qui y ont été énoncées n'a emporté l'adhésion de la majorité des juges, de sorte que cette décision a donné lieu à des difficultés d'inter- prétation. Si j'ai bien suivi la jurisprudence de la Commission des relations de travail dans la fonc- tion publique, deux écoles de pensée ont cours aujourd'hui, qui toutes deux veulent prendre appui sur l'arrêt Jacmain. Certains arbitres ont adopté le point de vue que, dès le moment le motif ayant conduit au renvoi en cours de stage pouvait être considéré comme disciplinaire, c'est-à-dire pouvait
être relié à un écart de comportement ou à une inconduite susceptible de faire l'objet d'une sanc tion, ils pouvaient examiner les circonstances ayant donné lieu à la cessation d'emploi et accorder un redressement à l'employé lorsqu'une telle mesure était appropriée. Le point de vue de ce groupe d'arbitres auquel appartient évidemment l'au- teur de la décision assujettie au présent examen a été défendu de façon particulière par M. Bendel dans de nombreuses décisions, et tout spécialement dans l'affaire Tighe (dossier 166-2-15122 de la Commission), il dit:
La mesure disciplinaire et le renvoi pour un motif déterminé ne sont pas des concepts qui s'excluent mutuellement. L'article 91 de la Loi permet à l'employé qui estime avoir fait l'objet d'une mesure disciplinaire ayant entraîné le congédiement, la suspension ou une peine pécuniaire de renvoyer son grief à l'arbitrage. À mon avis, en adoptant cet article, le législateur voulait que, quelle que soit la forme que prenne la mesure disciplinaire et quelle que soit la formule employée pour la décrire, un grief s'y rapportant soit renvoyé à l'arbitrage si cette mesure entraînait le congédiement. Selon moi, il n'est pas incorrect qu'un employé en stage soit renvoyé pour un motif qui a trait à son inconduite. J'estime que l'employeur peut choisir de traiter une telle cessation d'emploi comme un congédiement ou comme un renvoi en cours de stage. Si l'on qualifie un renvoi en cours de stage de «mesure disciplinaire camouflée», comme si l'employeur avait eu recours à un subterfuge en renvoyant l'employé indiscipliné plutôt que de le congédier, c'est qu'on se méprend, à mon avis, sur le rapport qui existe entre l'article 91 de la LRTFP et l'article 28 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique. Si le motif du renvoi en cours de stage peut être considéré comme un motif de nature disciplinaire, un arbitre peut alors enquêter sur la cessation d'emploi et, le cas échéant, accorder un redressement à l'employé.
D'autres arbitres ont adopté une attitude assez différente de celle qui précède: ils ont accepté la thèse selon laquelle, dès le moment ils sont convaincus que la décision contestée était effecti- vement fondée sur un motif réel de renvoi, c'est-à- dire procédait d'une insatisfaction éprouvée de bonne foi à l'égard de l'aptitude de l'employé, les arbitres n'ont pas compétence pour examiner la question de savoir si la décision de renvoyer l'em- ployé était appropriée ou était bien fondée. Dans l'affaire Smith (dossier 166-2-3017 de la Com mission), l'arbitre Norman exprime sans détours sa pensée à ce sujet:
En effet, une fois que l'employeur a présenté à l'arbitre une preuve concluante indiquant un motif de renvoi valable à première vue, l'audition sur le fond dans l'affaire de congédie- ment ne peut alors aboutir qu'à une impasse soudaine. L'arbitre perd ainsi tout pouvoir pour ordonner que l'employé s'estimant lésé soit réintégré dans ses fonctions en faisant valoir à cet égard que l'employeur n'a pas donné de motif valable pour le congédiement.
Réexaminons tout d'abord l'arrêt Jacmain. Comment se situe-t-il à cet égard? En ce qui concerne M. le juge de Grandpré et les trois juges ayant souscrit à son opinion, la réponse ne fait aucun doute, ainsi qu'il ressort des déclarations de base suivantes (aux pages 36 et 37):
Saisie de l'affaire, la Cour d'appel a jugé que l'arbitre n'avait pas la compétence de peser la valeur de la cause du renvoi, une fois établi que cette cause n'était pas frivole et que le renvoi n'avait pas été décidé pour des motifs fondés sur autre chose que la bonne foi ...
Je partage ces vues de la Cour d'appel:
Le droit appartenant à l'employeur de renvoyer un employé au cours du stage est très large. Pour employer les mots de l'art. 28 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique précité, il suffit qu'il y ait un motif, une raison.
Les motifs des deux autres juges de la majorité, qui ont été rédigés par M. le juge Pigeon, ne sont pas aussi directs; cependant, les principes qu'ils établissent n'entrent pas, selon moi, en conflit avec les principes susmentionnés. Le juge Pigeon n'hé- site pas à répondre par l'affirmative à la question laissée ouverte par le juge de Grandpré, qui con- siste à savoir «si l'arbitre a compétence lorsque le renvoi est clairement une mesure disciplinaire». Mais n'est pas pour lui la véritable question soulevée, et, en ce qui concerne cette dernière, sa pensée ne diffère pas fondamentalement de celle du juge de Grandpré. Il écrit la page 42):
Bien que je convienne que dans le cas d'un employé en stage renvoyé par le sous-chef en vertu de l'art. 28, un arbitre a compétence pour examiner si ce qui a l'apparence d'un renvoi est au fond un congédiement disciplinaire, à mon sens, ceci ne confère pas à l'arbitre compétence pour réviser l'évaluation de l'employé par le sous-chef.
En l'espèce, l'arbitre a décidé qu'il existait des motifs pour juger l'employé inapte. Toutefois, en désaccord à cet égard avec le jugement du sous-chef, il était d'avis que ces motifs, prouvés devant lui, ne constituaient pas une justification suffisante du renvoi. A mon sens, c'est ce qu'il n'était pas autorisé à faire parce qu'il a uniquement compétence pour examiner un congé- diement disciplinaire et non un renvoi. En procédant ainsi, l'arbitre pourrait réviser tous les renvois en décidant que c'est une mesure disciplinaire chaque fois qu'à son avis, ils ne sont pas suffisamment motivés. Tout comme je ne peux admettre que l'employeur puisse priver un employé de la procédure de
grief en baptisant un congédiement disciplinaire de renvoi, je ne peux admettre qu'un arbitre puisse réviser un renvoi au motif que s'il ne le trouve pas adéquatement motivé, il doit être considéré comme un congédiement disciplinaire.
Même les motifs des trois juges dissidents ne m'ap- paraissent pas contredire les aspects fondamentaux de l'opinion de la majorité. M. le juge Dickson [tel était alors son titre] aborde la question de façon différente puisqu'il met l'accent sur le pouvoir de la Cour d'appel de substituer son appréciation à celle de la Commission en ce qui concerne la présence d'une cause de renvoi. Le passage sui- vant, qui est situé à la fin de ses motifs, est le plus révélateur à cet égard (aux pages 32 et 33):
Selon mon interprétation du jugement du juge Heald, son raisonnement semble être le suivant:
1. L'attitude de l'appelant était répréhensible.
2. Ceci justifierait le renvoi pour un motif déterminé.
3. Il ne pourrait y avoir congédiement disciplinaire que s'il n'existait aucun motif valable de renvoi.
4. Par conséquent la cessation de l'emploi constituait un renvoi pour un motif déterminé et l'arbitre n'était pas compétent.
Avec égards, le raisonnement est fondé sur un sophisme. Pre- mièrement, il inverse l'ordre de deux questions qu'il faut bien distinguer: (i) y avait-il congédiement disciplinaire ou renvoi pour un motif déterminé? (ii) la cessation de l'emploi était-elle justifiée? La première question est d'ordre juridictionnel; la seconde touche au fond. Le juge Heald a répondu à la seconde question, puis il a utilisé la réponse pour résoudre la première. La façon convenable de procéder était de répondre à la pre- mière question et ensuite, selon la réponse, d'aborder la seconde. Deuxièmement, ce n'est pas parce que se cache à l'arrière-plan une cause possible de renvoi que la cessation d'emploi doit nécessairement être un renvoi et non un congédie- ment disciplinaire.
Il est clair que cinq des neuf juges ayant rendu le jugement dans l'affaire Jacmain ont exprimé l'opinion qu'un arbitre saisi d'un grief déposé par un employé renvoyé en cours de stage a le droit d'examiner les circonstances de l'affaire pour s'as- surer qu'elle soit réellement ce qu'elle semble être. Cet examen serait effectué en application du prin- cipe selon lequel la forme ne devrait pas l'emporter sur le fond. L'on ne peut tolérer que, par l'effet d'un camouflage, une personne soit privée de la protection que lui accorde une loi. En fait, la question qui entre alors en jeu est celle de la bonne foi, l'exigence légale qui est la plus fondamentale lorsqu'il s'agit de défendre la validité juridique de toute forme d'activité. Mais je ne vois pas du tout comment l'arrêt Jacmain s'interpréterait comme
appuyant la proposition qu'un arbitre agissant sous le régime de l'article 92 de la L.R.T.F.P. est compétent à intervenir à l'encontre d'un renvoi en cours de stage sous le régime de l'article 28 de la L.E.F.P. pour la seule raison que les motifs sous- jacents à la décision de l'employeur étaient liés de quelque manière à une inconduite ou à un écart de comportement de l'employé, et qu'ils auraient pu, en conséquence, donner ouverture à des mesures disciplinaires. Même M. le juge Dickson, selon mon interprétation de son opinion dissidente, rejette clairement un tel point de vue; en effet, le seul avertissement qu'il donne à l'arbitre appelé à vérifier la signification réelle de la décision de l'employeur est, ainsi que nous l'avons vu, le sui- vant: «ce n'est pas parce que se cache à l'arrière- plan une cause possible de renvoi que la cessation d'emploi doit nécessairement être un renvoi et non un congédiement disciplinaire».
La conclusion fondamentale de l'arrêt Jacmain est, à mon avis, qu'un arbitre nommé sous le régime de la L.R.T.F.P. est sans compétence à l'égard d'un renvoi en cours de stage lorsque la preuve présentée le convainc que les représentants de l'employeur ont agi de bonne foi au motif qu'ils ne considéraient pas que l'employé possédait les aptitudes requises pour occuper le poste visé. Et cette conclusion, selon moi, découle inexorable- ment des dispositions législatives actuellement en vigueur.
En fait, la législation dans son ensemble pourrait difficilement s'interpréter comme appuyant une autre façon de voir. Comme l'a dit le juge Heald [1977] 1 C.F. 91 (C.A.), sous l'intitulé Procureur général du Canada c. Commission des relations de travail dans la Fonction publique, à la page 100], dont les propos ont été approuvés par le juge de Grandpré dans ses motifs de l'arrêt Jacmain la page 37), «l'article 28 vise entièrement à permettre à l'employeur d'apprécier l'aptitude d'un employé à occuper un emploi. Si l'employeur conclut durant cette période que l'employé ne présente pas les qualités requises, il peut alors le renvoyer sans que celui-ci ait la possibilité de recourir à l'arbi- trage. Soutenir qu'un employé stagiaire est investi du droit à un arbitrage au cours de son stage équivaut à ignorer complètement le sens évident de l'expression utilisée à l'article 28 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique et à l'article 91
de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique.» Ni l'objet d'une période de stage, ni l'économie des dispositions légales en cause ne sont conciliables avec la proposition qu'un congédiement pour des motifs disciplinaires et un renvoi motivé ne sont pas des concepts mutuelle- ment exclusifs. Le premier est la sanction ultime imposée par l'administration à la suite d'un grave écart de conduite, tandis que l'autre est une termi- naison d'emploi faisant suite à une insatisfaction éprouvée de bonne foi quant aux aptitudes de l'employé. S'il est possible que cette appréciation négative de l'aptitude de l'employé ait été faite à la suite d'une inconduite ou d'un écart de comporte- ment, cette circonstance n'atténue en rien la réalité ou la légitimité de l'insatisfaction éprouvée, et elle ne nous justifie pas de confondre le renvoi en cause avec une sanction disciplinaire.
L'on a prétendu que [TRADUCT►ON] «l'assertion selon laquelle la décision de l'administration n'a pas un caractère disciplinaire parce qu'elle est fondée sur ce qui serait des carences de la person- nalité de l'employée a pour conséquence de saper en grande partie le régime prévu pour l'arbitrage des griefs de la fonction publique». Avec déférence, une telle réaction me semble procéder d'une con ception quelque peu tronquée de l'ensemble de la législation régissant l'organisation et la gestion de la fonction publique. Je suis d'avis que si le Parle- ment a considéré qu'il convenait de mettre sur pied un système d'arbitrage des griefs pour soumettre les pouvoirs détenus par l'administration en matière de discipline au contrôle et à la supervision d'une autorité indépendante, il n'a pas eu l'inten- tion que le régime ainsi instauré limite l'exercice par l'administration de son pouvoir discrétionnaire de choisir les employés lui apparaissant posséder toutes les qualités requises pour occuper les postes dévolus à son personnel permanent, un pouvoir discrétionnaire qui serait diminué de façon grave et irréaliste si le seul motif de renvoi admissible était la qualification technique au sens strict.
Mon désaccord avec la décision rendue par l'ar- bitre dans les circonstances de l'espèce ressortira à présent de façon claire. Bien qu'il soit vrai que les incidents du 4 et du 5 mars ont déclenché la décision de l'administration de mettre fin à l'em- ploi de l'intimée, il ne fait aucun doute que cette décision a été prise de bonne foi et avait pour motif
que l'employée ne semblait pas posséder les quali- tés requises pour occuper l'emploi visé, en partie en raison des carences constatées dans ses habiletés techniques, et principalement en raison des caren- ces de sa personnalité. Dans ces circonstances, l'arbitre n'avait pas la compétence voulue pour juger l'affaire.
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
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