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T-4853-77
W.H. Brady Co. (demanderesse)
c.
Letraset Canada Limited (défenderesse)
RÉPERTORIE: W.H. BRADY CO. c. LETRASET CANADA LTD. (1" INST.)
Section de première instance, juge Cullen— Ottawa, 11 et 17 octobre 1989.
Pratique Frais et dépens Taxation La partie qui a eu gain de cause n'a pas droit à la taxation des frais qui lui ont été adjugés en première instance lorsque c'est sa société mère qui avait en fait payé les frais de procureur.
Dans une action en contrefaçon de brevet, la demande recon- ventionnelle de la défenderesse selon laquelle le brevet était invalide a été accueillie, et celle-ci s'est vu adjuger les dépens. Devant le protonotaire, la demanderesse s'est opposée à la taxation des frais pour le motif que la défenderesse n'était pas responsable envers ses procureurs, Gowling & Henderson, et n'avait pas elle-même payé les frais du présent litige. Il est allégué que les frais ont en fait été payés par la société mère de la défenderesse et que, en conséquence, celle-ci n'était pas en droit de les recouvrer de la demanderesse. Le protonotaire a rejeté l'objection et il a procédé à la taxation. Il s'agit d'une requête fondée sur la Règle 346(2) et visant à obtenir une ordonnance portant annulation du certificat du protonotaire et déclarant que les frais que la défenderesse peut recouvrer de la demanderesse sont taxés à un montant nul.
Jugement: la requête devrait être accueillie.
La décision du protonotaire est discrétionnaire et ne saurait être cassée que si elle est clairement erronée quant aux faits ou repose sur un principe erroné de droit ou a causé une injustice à l'appelante.
La seule question à trancher est de savoir si la défenderesse était tenue de payer les frais du cabinet Gowling & Henderson. En fait, la défenderesse n'a payé ces frais qu'après que la question de la responsabilité de ceux-ci eut été soulevée par la demanderesse. Il appert que ce paiement visait à saper la demande de la demanderesse.
Le protonotaire a eu tort quant aux faits parce que rien ne prouve que le cabinet Gowling & Henderson occupait pour la défenderesse. En fait, ce cabinet agissait pour le compte de la société mère, recevant les instructions de celle-ci et se faisant payer par elle. Le cabinet Gowling & Henderson n'avait aucun mandat écrit de la défenderesse, et il n'a présenté aucun compte à payer à celle-ci. La preuve n'établit pas que l'agent de brevet de la société mère, qui était son représentant pour toutes les questions relatives à cette affaire, était également l'agent de la défenderesse.
Confirmer la décision causerait une injustice à l'appelante. Le paiement direct destiné à la société mère était très suspect, étant donné qu'il a été effectué après que la question eut été soulevée et qu'il a été présenté sous une forme inhabituelle. Il n'y a pas non plus eu de paiements indirects en vertu d'une entente à cet égard puisque l'existence d'une telle entente n'a
pas été établie. D'ailleurs la défenderesse était une partie parfaitement passive. Ainsi donc, la société défenderesse n'était nullement tenue d'indemniser le cabinet Gowling & Henderson.
Il se peut que, lorsqu'il est établi qu'un procureur a repré- senté une partie qui en avait connaissance et qui y consentait, cette partie soit responsable des dépens envers le procureur en question. Malheureusement, la défenderesse n'a pas réussi à établir en l'espèce que le cabinet Gowling & Henderson occu- pait pour elle avec sa connaissance et son consentement.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 346(2).
JURISPRUDENCE DÉCISION APPLIQUÉE:
Simpson v. Local Board of Health of Belleville (1917-18), 41 O.L.R. 320 (H.C.).
DÉCISION INFIRMÉE:
W.H. Brady Co. c. Letraset Canada Ltd., [1990] 1 C.F. 46 (1" inst.).
DOCTRINE
Orkin M. M. The Law of Costs 2e éd. Aurora, Ontario: Canada Law Book Inc., 1987.
AVOCATS:
A. David Morrow pour la demanderesse. Neil R. Belmore pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Smart & Biggar, Ottawa, pour la demande- resse.
Gowling, Strathy & Henderson, Toronto, pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE CULLEN: Il s'agit d'une requête intro- duite en vertu de la Règle 346(2) [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663], dans sa version antérieure à l'ordonnance modificatrice 11 [DORS/87-221], afin d'obtenir une ordonnance portant annulation du certificat délivré par le pro- tonotaire J. A. Preston le 1°r août 1989 [[1990] 1 C.F. 46] et déclarant que les dépens que la défen- deresse peut recouvrer de la demanderesse sont taxés à un montant nul.
Il est invoqué dans la requête le motif que la défenderesse n'était pas responsable envers ses pro- cureurs, soit Gowling & Henderson, des dépens dans la présente action et, dans les faits, n'a versé aucuns frais, ce qui fait qu'elle n'est pas en droit de recouvrer des dépens de la demanderesse.
Au- procès, la défenderesse s'est vu adjuger les dépens dans une action en contrefaçon de brevet après que sa demande reconventionnelle selon laquelle le brevet était invalide eut été accueillie.
D'après la preuve, il ne fait pas de doute que Letraset Canada Limited est une filiale en pro- priété exclusive de sa société mère Letraset R.-U. Au moment du présent litige, le cabinet connu était le cabinet Gowling & Henderson, et, pour ce qui est des honoraires et des débours afférents au litige, il a envoyé ses factures à une société appelée Stentap Limited qui est la société de l'avocat de brevet de l'organisation Letraset, M. Gallafent.
À la page 15 du contre-interrogatoire de. M. R. Scott Joliffe qui a eu lieu le 15 avril 1988, question 79:
[TRADUCTION] Q. Vous ne traitez pas Stentap Limited dif- féremment du cabinet d'agence de brevet même de Gallafent aux fins de cette facturation?
R. Non.
D'après la preuve, il ne fait pas de doute que Stentap Limited/Gallafent était l'agent de brevet de Letraset R.-U. L'avocat de la défenderesse soutient que Stentap Limited/Gallafent devrait également être considérée comme agent de la défenderesse. Je ne saurais souscrire à cet argu ment, car rien dans la preuve ne le corrobore.
Il s'agit d'un appel de la décision d'un protono- taire et non, après tout (on me l'a rappelé), d'une audition de novo. Sa décision est une décision discrétionnaire et je ne peux la casser que si le protonotaire a eu tort quant aux faits, ou s'il s'est fondé sur un principe de droit erronné, ou si la décision a causé une injustice à l'appelante. À mon avis, il existe un quatrième facteur en l'espèce, savoir que le protonotaire semblait se sentir lié par le jugement qui a adjugé les dépens à la défende- resse. Normalement, cela serait acceptable, mais les motifs de l'appel de la demanderesse ne se sont révélés qu'après le jugement et au cours du contre- interrogatoire de R. Scott Joliffe sur son affidavit déposé à l'appui du mémoire de frais préparé par
le cabinet Gowling & Henderson. Si ce renseigne- ment, c.-à-d. que tous les frais de la défenderesse ont été payés par Letraset R.-U., avait été connu plus tôt, j'ajoute foi à la remarque de l'avocat de la demanderesse selon laquelle il aurait demandé la permission de présenter une [TRADUCTION] «con- clusion spéciale» pour ce qui est des dépens.
La seule question à trancher est de savoir si la défenderesse était «tenue» de payer les frais du cabinet Gowling & Henderson. En fait, elle n'a payé ces frais qu'après que la question de la res- ponsabilité de ces frais eut été soulevée par la demanderesse. On a laissé entendre que ce paie- ment tardif a été effectué par excès de prudence. J'estime que ce paiement visait plutôt à saper la demande de la demanderesse. Le paiement en soi était inusité, c'est-à-dire qu'il ne s'agit pas d'un mémoire de frais entre procureur et client du genre envoyé par le cabinet Gowling & Henderson à Stentap, mais d'un projet de mémoire de frais que la défenderese avait soumis à la taxation. La défenderesse n'a produit aucun document indi- quant l'existence d'une entente entre Letraset R.-U. et la défenderesse en vertu de laquelle cel- le-ci assumerait la responsabilité des frais entre parties et Letraset, le solde de la facture du procu- reur. Le cabinet Gowling & Henderson savait certainement qui devait payer toutes ses factures, savoir Letraset R.-U. Transcription du contre- interrogatoire de R. Joliffe qui a eu lieu le 16 novembre 1988:
[TRADUCTION] M. MORROW: Mais ces dépenses ont initiale- ment passé par Letraset R.-U., n'est-ce pas?
LE DÉPOSANT: Oui.
Ainsi donc, aucun paiement n'a été effectué par la défenderesse ni n'a passé par celle-ci.
Au cours de la présente action, la défenderesse s'est efforcée de se démarquer de Letraset R.-U. et maintenant, quelque peu tardif, son argument selon lequel l'agent de brevets de Letraset R.-U. est également son agent constitue un volte-face surprenant. Un autre commentaire révélateur figure à la page 171 du contre-interrogatoire du 16 novembre 1988 (lors de la remarque faite au sujet de la question de savoir si M. Gallafent devait être aux, É.-U. à l'occasion d'une requête particulière):
[TRADUCTION] Est-ce que vous dites que M. Gallafent devait y être pour cette requête, pour cette requête ex parte aux É.-U.?
R. Eh bien, je ne dis pas qu'il devait y être. Il n'était pas un témoin ou quelque chose du genre.
Q. D'accord.
R. Je ne peux dire qu'il devait y être. Je veux dire, il était essentiellement le représentant du client en ce qui concerne les questions relatives à cette affaire. [C'est moi qui souligne.]
M. Gallafent était l'agent de Letraset R.-U. et M. Joliffe l'appelle «le représentant du client en ce qui concerne toutes les questions relatives à cette affaire».
L'avocat de la demanderesse a qualifié la posi tion de la défenderesse de position à [TRADUC- TION] «2 lignes de défense»: 1) indirectement—en raison de l'entente entre Letraset R.-U. et la défenderesse; 2) directement—le paiement direct versé par la défenderesse à Letraset R.-U. après que cette question a été soulevée. Il estime que s'en tenir au moyen de défense qu'est le paiement direct ne suffit simplement pas. Je suis d'accord.
Qui a donné au cabinet Gowling & Henserson l'instruction de soumettrre des factures à Stentap? Bien que M. Joliffe dise que ces instructions prove- naient de la défenderesse par l'entremise d'un cer tain monsieur Miles, c'était du ouï-dire en ce sens qu'il suivait encore le cours d'admission au barreau.
La transcription du 16 novembre, qui commence à la page 195, porte notamment:
[TRADUCTION] LE DÉPOSANT: 11 est presque impossible de répondre à la question avec le détail que vous désirez mainte- nant, mais d'après notre dossier, le 4 janvier 1978, cette question s'est posée pour la première fois en ce qui concerne notre entreprise. Et ce jour, nous avons parlé à M. Miles, Wayne Miles, et à M. Gallafent.
QUESTIONS POSÉES PAR M. MORROW:
Q. Par le mot «parlé», vous voulez dire au téléphone?
R. Au téléphone.
Q. Oui.
R. Ce jour. Je ne peux dire qui—
Q. Est-ce que ça n'aurait pas été vous?
R. C'était à la fois M. McClenahan et Roma Colbert.
R. Et il semble que les premières instructions viennent de M. Miles et qu'il ait proposé que nous nous mettions en rapport avec leurs avocats américains, Darby & Darby, et Stentap, M. Gallafent en Angleterre, pour avoir de l'aide.
Q. D'accord. Y a-t-il quelque chose qui vous dise que Miles avait demandé à Gowling & Henderson à cette époque d'en- voyer la facture à Stentap?
R. Non.
Q. Non. Et vous n'avez pas participé à ces discussions, vous ne pouvez donc me dire qu'il a donné ces instructions à l'époque?
R. C'est exact.
Q. D'accord.
R. Tout ce que je peux vous dire est que les premières instructions venaient de lui.
Q. Certainement, parce qu'il a reçu la signification—c'est sa société qui a reçu la signification de la déclaration.
R. Oui.
Q. Exact?
R. Oui. Et il nous a donnés l'ordre de traiter avec Gallafent.
Q. Et rien dans votre dossier qui vous dise, à ce que je vois, d'où provenaient les instructions de facturation mêmes, quand et de qui?
R. C'est exact.
Q. Et vous ne vous rappelez pas particulièrement cela?
R. On nous a dits de recevoir nos instructions de M. Gallafent.
Q. D'accord.
R. Et de toujours en tenir M. Miles au courant. Q. D'accord.
Et plus loin, à la page 198:
Q. Ainsi, je suppose que vous ne savez réellement pas qui vous a donné l'instruction d'envoyer la facture à Stentap?
R. Je pense qu'elle provenait à la fois de Miles et de Gallafent, ou de Gallafent lui-même.
J'estime que le résumé fait par l'avocat de la demanderesse à la page 1984 du contre-interroga- toire du 16 novembre 1988 est probablement plus exact:
[TRADUCTION] Q. Et la question que je vous pose est sim- plement la suivante: étant donné que la première note de débit a été adressée à Stentap, que vous avez manifestement eu un entretien avec M. Gallafent, n'est-il pas possible que vos ins tructions d'envoyer la facture à Stentap viennent de Gallafent?
De même, les factures soumises à Stentap indi- quent que le cabinet Gowling & Henderson faisait des rapports à Gallafent, avec des copies à Miles. Les mots tels que [TRADUCTION] «pour, de façon générale, agir pour votre compte» (c.-à-d. Galla- fent, agent de Letraset R.-U.), et [TRADUCTION] «recevant vos instructions» semblent indiquer qui était le vrai client. L'employé de la société R.-U. et son agent de brevet lui causent une dépense importante.
Compte tenu des éléments de preuve, qui sont tous produits par la demanderesse, il semble que la mise en cause de la défenderesse dans les présentes
procédures soit de peu d'importance ou intervienne seulement sur le plan technique, sauf qu'elle a reçu la déclaration et donné l'instruction au cabinet Gowling & Henderson d'envoyer des avis à Miles. La preuve semble indiquer clairement que c'est Letraset R.-U. qui donnait les ordres et payait les factures. Rien ne prouve que le cabinet Gowling & Henderson avait un mandat écrit de la société défenderesse, et ce qui est certain est qu'il n'a présenté aucun compte à payer à Letraset Canada Limited. Selon toute probabilité, toutes les instruc tions à l'intention du cabinet Gowling & Hender- son ont été données par Gallafent, et bien que sa présence à New york ne fût pas requise à l'occa- sion d'une requête antérieure mentionnée, il y était. De même, M. Scrutton, employé de Letraset R.-U. a joué un rôle important dans l'affaire. Le paiement «tardif» fait par la société défenderesse à Letraset R.-U. est très suspect, puisqu'il a été effectué après_ le contre-interrogatoire de M. Joliffe.
Toutefois, la question se pose toujours de savoir si—malgré les paiements versés par Letraset R.-U.—la défenderesse était en fin de compte responsable des frais du cabinet Gowling & Hen- derson? Certainement ce cabinet considérait la défenderesse comme définitivement responsable de ses frais. Voici le résumé fait par l'avocat de la défenderesse dans son engagement figurant à la page 22 du contre-interrogatoire de R. Scott Joliffe qui a eu lieu le 15 avril 1988:
[TRADUCTION] Je suppose que la réponse de M. Joliffe est que, indirectement—selon ses renseignements, Letraset Canada a, indirectement, payé les frais de la présente action. Nous tente- rons de trouver des éléments de preuve qui étayeraient cette croyance. [C'est moi qui souligne.]
Et puis, en réponse à l'engagement, le cabinet Gowling & Henderson a envoyé une lettre en date du 7 juillet 1988 qui porte notamment:
[TRADUCTION] Letraset Canada paye les frais de la présente action. Dans les cas le cabinet Gowling & Henderson a engagé des dépenses ou reçu des factures, on les a transmises à Stentap ou on les lui a fait payer. Ces sommes, ainsi que les dépenses et les factures que Stentap a réglées, ont été payées par Letraset R.-U. Letraset R.-U. envoie maintenant des factu- res à Letraset Canada. Elle est, en dernière analyse, responsa- ble des frais de la présente action. [C'est moi qui souligne.]
De nouveau, à la page 148 du contre-interrogatoire de R. Scott Joliffe qui a eu lieu le 16 novembre 1988:
[TRADUCTION] LE DÉPOSANT: Ces dépenses ont été toutes définitivement réglées de la même façon. Autrement dit, que
nous ayons payé la somme, que Gallafent ou Stentap aient payé la somme, ou que Letraset R.-U. ait payé la somme, c'est en fin de compte à Letraset Canada qu'incombe l'obligation de payer en ce sens qu'elle règle soit directement soit indirectement les frais de tout litige au Canada.
Ce point de vue ferme a été quelque peu affaibli par le fait que le témoin a mentionné Gallafent comme le «représentant du client».
Bien qu'il y ait eu atteinte à sa crédibilité en contre-interrogatoire, M. Joliffe semblait con- vaincu dans son for intérieur que Miles et Galla- fent avaient donné l'instruction d'envoyer les fac- tures à Stentap (ainsi que je l'ai dit, j'ai trouvé les remarques de la demanderesse plus vraisembla- bles).
Selon l'avocat de la défenderesse, dès réception de la déclaration, c'est au cabinet Gowling & Henderson que le représentant de la défenderesse a demandé d'occuper pour celle-ci, et si Letraset R.-U. refusait une facture, le cabinet Gowling & Henderson serait tenu de s'adresser à la société défenderesse pour se faire rembourser. Selon l'avo- cat, tout dans la preuve indiquait que la défende- resse était responsable envers ses procureurs.
L'avocat de la défenderesse laisse entendre que celle-ci n'était pas une défenderesse passive et, à cet égard, fait état du contre-interrogatoire du 18 avril 1988 de Joliffe, à la page 17:
[TRADUCTION] Q. Dans les pièces produites dans l'action, je n'ai trouvé rien qui fasse état de Letraset Canada Limited, mais laissez-moi vous poser une question et vous pouvez y répondre dans les termes que j'emploie. À part la participation de M. Miles aux procédures d'interrogatoire préalable, est-ce que Letrasat Canada Limited a activement participé à la préparation du procès?
R. Ils ont activement participé aux différentes parties de l'affaire.
Q. Pouvez-vous me dire de quelles parties il s'agissait et du moment de leur participation?
R. La partie initiale.
Q. Par le mot «initiale», vous voulez dire avant l'interroga- toire préalable de Miles?
R. Oui. L'interrogatoire préalable de Miles, divers points portent sur l'effort déployé pour obtenir des éléments de preuve pour l'instruction. Et les tenir régulièrement informés du progrès.
Q. Rien dans le mémoire de frais ne permet de dire que vous demandez des débours concernant quelque chose que Letraset Canada a fait pour la préparation du procès. Y a-t-il quelque chose qui m'ait échappé?
R. Non, il n'y avait rien qu'ils pouvaient faire à cause des questions soulevées dans l'action.
Rien ne prouve qu'il y a eu entre le cabinet Gowling & Henderson et la défenderesse une entente en vertu de laquelle celle-ci ne serait pas responsable des frais du procès, et je conviendrais de l'inexistence de la preuve d'une telle entente. Toutefois, le cabinet Gowling & Henderson avait reçu l'instruction d'envoyer des factures à Stentap, et l'avait fait à maintes reprises. J'estime que tant le cabinet Gowling & Henderson que la socitété défenderesse ont trouvé qu'une telle entente n'était pas nécessaire.
L'avocat de la défenderesse cite le protonotaire: «À mon avis, lorsqu'il est établi que des procureurs représentent une société qui en a connaissance, celle-ci est responsable des dépens envers les pro- cureurs en question». J'en conviens, mais, en l'es- pèce, a-t-il été établi que le cabinet Gowling & Henderson occupe pour la société défenderesse?
CONCLUSIONS:
Compte tenu des éléments de preuve, j'estime que le présent appel formé contre la délivrance par le protonotaire du certificat devrait être accueilli. Tout d'abord, le protonotaire a eu tort quant aux faits, parce que rien ne prouve que le cabinet Gowling & Henderson occupait pour la défende- resse. En fait, tout tend à indiquer qu'il agissait pour le compte de Letraset R.-U., recevant les instructions de celle-ci, se faisant payer par elle, et ne tenant la défenderesse au courant des affaires que par l'entremise de Miles cet égard, il s'agit également d'une directive de Gallafent). Le cabi net Gowling & Henderson n'avait aucun mandat écrit de la défenderesse, chose curieuse pour une affaire judiciaire qui pourrait faire que les dépens seulement s'élèveraient à environ un demi-million de dollars. M. Joliffe n'a pas pu dire, à sa connais- sance, que Miles avait ordonné que les factures soient envoyées à Stentap. Il n'a pas formulé son affidavit dans les termes suivants [TRADUCTION] «J'ai été avisé par M. McClanahan et Mme Colbert, et je le crois vraiment». Ainsi qu'il a été indiqué ci-dessus, j'estime qu'il est plus probable que Gal- lafent a donné cette directive nommant sa propre société. Il est probable que si Miles avait donné la directive, il aurait suggéré Letraset R.-U, et non l'agent de brevet.
En deuxième lieu, j'estime que la décision du protonotaire ne saurait être confirmée, parce que le faire causerait une injustice à l'appelante.
Le paiement direct était très suspect, étant donné qu'il a été effectué après que la question eut été soulevée, et la somme facturée figurait dans un «projet» de mémoire de frais que la défenderesse devait faire taxer. De même, il s'agit d'une base entre parties, mais non de la facture normale entre procureur et client.
La demanderesse éprouverait les plus grandes difficultés à trouver entre le cabinet Gowling & Henderson et la défenderesse une entente en vertu de laquelle ce cabinet ne compterait pas sur la socitété défenderesse pour ses frais—parce que je suis convaincu qu'il n'en existe aucune. Toutefois, ce que la demanderesse a établi est qu'aucune entente de ce genre n'était nécessaire parce que les factures (sommes établies sur la base procureur et client) ont été soumises à leur véritable client et payées par Letraset R.-U.
La défenderesse laisse entendre qu'elle était une partie active et non passive. La preuve indique le contraire. À l'exception d'un petit rôle technique qu'elle a joué au début, la société défenderesse n'était pas «active». Dans The Law of Costs, 2 ° éd., Orkin, 1987, paragraphes 204 et 209.14, sous la rubrique «CosTs AS INDEMNITY» (Frais au titre d'indemnité):
[TRADUCTION] Le principe fondamental des frais entre parties repose sur l'idée que c'est le tribunat qui les accorde au titre d'indemnité à la personne qui y a droit; ils ne sont pas imposés comme sanction à la personne qui est tenue de les verser. Les frais entre parties sont en fait des dommages-intérêts qui sont accordés à la partie qui a gain de cause pour la dédommager des dépenses qu'elle a engagées en raison du litige.
Puisque les frais constituent uniquement une indemnité, il s'ensuit qu'ils ne sauraient devenir une source de profit pour la partie qui a gain de cause. Ainsi donc, si des frais n'ont pas été engagés ou si la partie n'est pas tenue à un article de dépense ou à des honoraires en particulier, elle ne saurait les recouvrer en tant que partie des frais du litige; elle ne peut pas non plus, au moyen d'un paiement volontaire, alourdir le fardeau qui incombe à son adversaire. La raison en est simple: lorsque la partie qui a gain de cause ne subit aucune perte pécunaire, il n'y a rien qui puisse faire l'objet d'une indemnisation pour son compte. [C'est moi qui souligne.]
À mon avis, la société défenderesse n'était nulle- ment tenue d'indemniser le cabinet Gowling & Henderson, et on peut charitablement qualifier le
paiement tardif de «paiement volontaire». Si ce paiement très suspect n'avait pas été effectué, le paiement à la société défenderesse du montant du mémoire de frais taxé aurait été un profit ou une prime, parce que la défenderesse n'était pas res- ponsable envers le cabinet Gowling & Henderson, n'a jamais payé celui-ci, et qu'un paiement volon- taire a été effectué uniquement pour tenter déses- pérément de faire échec au présent appel.
Dans l'affaire Simpson v. Local Board of Health of Belleville (1917-18), 41 O.L.R. 320 (H.C.), aux pages 321 et 322, le juge Middleton s'est prononcé en ces termes:
[TRADUCTION] Il existe un principe fondamental qui a été reconnu dans de nombreuses causes devant nos tribunaux, principe selon lequel les frais constituent une indemnité et seulement une indemnité et ils ne sauraient devenir une source de profit pour la partie en cause; en outre, une partie ne peut non plus au moyen d'un paiement volontaire qu'elle peut faire, alourdir le fardeau qui incombe à son adversaire qui a reçu l'ordre de payer les dépens.
Voici les propos du juge en chef Draper dans l'affaire Jarvis v. Great Western R.W. Co. (1859), 8 U.C.C.P. 280, page 285: «Si le client n'est pas tenu de payer les dépens à son avocat, il ne peut obtenir un jugement lui permettant de les recouvrer, contre la partie adverse».
Ce principe s'applique de diverses façons. Par exemple, lors- qu'un avocat a accepté de s'occuper d'un litige pour son client et s'est adressé à un autre pour être payé, aucuns frais ne sauraient être recouvrés: Meriden Britannia Co. v. 'Braden (1896), 17 P.R. 77; Gundry v. Sainsbury, [1910] 1 K.B. 645 (C.A). Il en est de même lorsque le défendeur a été assuré contre la perte due à un accident causé aux travailleurs et que la compagnie d'assurances a assumé la défense de l'action en constituant ses propres procureurs, qui ont accepté de s'adresser à cette compagnie et non au défendeur pour sa rémunération: Walker v. Gurney-Tilden Co. (1899), 19 P.R. 12. On a invoqué ce principe pour empêcher le recouvrement de frais lorsqu'un procureur a reçu un salaire annuel: Jarvis v. Great Western R. W. (supra); Stevenson v. City of Kingston (1980), 31 U.C.C.P. 333; Ottawa Gas Co. v. City of Ottawa (1902), 4 O.L.R. 656, 5 O.L.R. 246; Ponton v. City of Winnipeg (1909), 41 R.C.S. 366.
L'élément de preuve produit à l'appui du pré- tendu paiement indirect, en raison d'une entente en cours entre Letraset R.-U. et Letraset Canada Limited, n'est pas crédible. Si une telle entente existait vraiment, elle serait consignée dans un écrit et on pourrait se la procurer. Nous n'avons entendu aucun véritable témoignage sur les condi tions de la prétendue entente. Examinons la trans cription du contre-interrogatoire du 15 avril 1988 de Joliffe, à la page 20:
[TRADUCTION] Q. Vous me dites que tous les frais qui figurent dans yore mémoire de frais ont en fin de compte été payés par Letraset Canada Limited?
R. Indirectement.
Q. Indirectement. Comment le savez-vous?
R. D'après le fonctionnement de l'organisme, les filiales comme Letraset Canada versent un pourcentage annuel du produit des ventes à l'organisme Letraset R.-U. pour l'indemni- ser en partie des frais juridiques en matière de marque de commerce et de brevet—c'est-à-dire que l'organisme R.-U. a payé les frais pour leur compte.
Q. Est-ce que cela se fait en vertu d'un type de licence ou d'une autre entente écrite?
R. Je ne me rappelle pas s'il s'agit d'une entente écrite. Il s'agit d'un arrangement. Il se peut qu'il soit consigné sur écrit, je ne sais pas.
Plus loin, à la page 21, l'avocat de la demanderesse exprime, selon lui, ce qui semble être le cas:
[TRADUCTION] Puisque, malgré les efforts que j'ai déployés jusqu'ici, je ne suis pas convaincu qu'elle a payé véritablement les frais du litige, à part ce qui semblait être des frais de licence annuels dont je ne sais pas s'ils se rapportaient aux frais du litige. Il se peut qu'ils aient trait à quelque chose d'entièrement différent. Ils peuvent être reliés aux ventes globales ou à quelque chose du genre. Ce renseignement doit être porté à la connaissance de la cour à un stade donné pour qu'elle tranche la question foidamentale de responsabilité ou de non-responsa- bilité. [C'est moi qui souligne.]
Puis, à la page 22, il y a l'engagement de la défenderesse déjà cité, mais il est reproduit encore une fois:
[TRADUCTION] Je suppose que la réponse de M. Joliffe est que, indirectement—selon ses renseignements, Letraset Canada a, indirectement, payé les frais de la présente action. Nous tente- rons de trouver des éléments de preuve qui étayeraient cette croyance. [C'est moi qui souligne.]
Quelle a été la réponse? Le 7 juillet 1988, dans une lettre mentionnée ci-dessus, il n'est nullement fait état des questions soulevées à la page 20, ni de la partie soulignée à la page 21, mais elle passe complètement sous silence la prétendue entente entre Letraset R.-U. et Letraset Canada Limited concernant l'engagement [TRADUCTION] «de s'oc- cuper des dépenses en matière de propriété intel- lectuelle» (voir pages 19-20, Q. 102).
Rien dans la preuve n'indique qu'une telle entente a existé dans les faits et, réellement, l'ab- sence de réponse laisse entendre qu'elle ne l'a pas été. Il existe seulement une déclaration qui est favorable à son auteur «Letraset R.-U. envoie maintenant des factures à Letraset Canada. Elle est, en dernière analyse, responsable des frais de la présente action».
Ainsi donc, le paiement volontaire ne résussit pas à appuyer l'opposition de la défenderesse à la présente demande, et on ne peut tenir compte du prétendu paiement indirect.
La défenderesse fait valoir que lorsqu'elle a demandé sans sussès une augmentation de ses frais, la demanderesse n'a pas à ce moment pré- tendu qu'elle n'avait droit à aucuns frais quels qu'ils soient. Son moyen a déjà été tranché.
[TRADUCTION] «Lorsqu'il est établi que les pro- cureurs représentaient une partie qui en avait con- naissance et qui y consentait, celle-ci était respon- sable des dépens envers les procureurs en question»: paragraphe 16 de l'argumentation écrite de la défenderesse. Malheureusement, il n'a pas été établi que le cabinet Gowling & Henderson occupait pour la défenderesse qui en avait connais- sance et qui y consentait.
La demande de la demanderesse est accueillie, et le certificat délivré par le protonotaire J. A. Preston le 1°r août 1989 est annulé; les dépens que la défenderesse peut recouvrer de la demanderesse sont taxés et arrêtés à un montant nul.
La demanderesse a droit à ses dépens du présent appel et de la demande antérieure devant ledit protonotaire.
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