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A-684-88
Sous-ministre du Revenu national pour les Doua- nes et Accise (appelant)
c.
J.B. Williams Inc. (intimée)
et
Beecham Canada Inc. (intervenante)
RÉPERTORIÉ: SOUS-MINISTRE M.R.N., DOUANES ET ACCISE c. J.B. WILLIAMS INC. (CA.)
Cour d'appel, juges Pratte, Mahoney et Stone, J.C.A.—Ottawa, 14 et 19 mars 1990.
Douanes et accise Loi sur la taxe d'accise Appel interjeté d'une décision de la Commission du tarif déclarant qu'Acu- Test, un nécessaire de test de grossesse, à faire chez- soi, était une préparation pour servir au diagnostic d'un «trou- ble physique ou d'un état physique anormal» au sens de l'art. 1 de la Partie VIII de l'annexe III de la Loi sur la taxe d'accise et qu'il était en conséquence exonéré de la taxe de consommation ou de vente Appel rejeté La Commission a commis une erreur de droit en décidant, sur la base de considérations sociologiques, que la grossesse est un état phy sique anormal, sauf pour les personnes qui la recherchent La disposition législative n'envisage qu'une anomalie au sens médical du terme Cependant, il y avait des éléments de preuve permettant à la Commission de conclure qu'Acu-Test était vendu pour servir au diagnostic d'une maladie, d'un trouble physique ou d'un état physique anormal Le dépliant recommande à l'utilisatrice de refaire le test pour ensuite consulter sans plus tarder un médecin lorsque le test est négatif et qu'au bout d'une semaine, les règles n'ont pas encore commencé puis qu'il «pourrait exister d'autres raisons importantes».
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la taxe d'accise, S.R.C. 1970, chap. E-13, art. 27 (mod. par S.C. 1970-71-72, chap. 62, art. 1; 1973-74, chap. 24, art. 3; 1974-75-76, chap. 24, art. 13; 1976-77, chap. 6, art. 3; chap. 15, art. 7; 1980-81-82-83, chap. 68, art. 10; 1985, chap. 3, art. 16), 29 (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 104, art. 9), 60(1) (mod. par S.R.C. 1970 (2 ° Supp.), chap. 10, art. 65), annexe III, Partie VIII, art. 1 (mod. par S.C. 1973-74, chap. 24, art. 5(6)).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 1312.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS CITÉES:
Sous-ministre du Revenu national pour les douanes et l'accise c. G.T.E. Sylvania Canada Ltd., [1986] 1 C.T.C. 131; (1985), 64 N.R. 322 (C.A.F.); The Dentists' Supply
Co. of New York v. Deputy Minister of National Reve nue for Customs and Excise, [1956-1960] R.C.É. 450; (1960), 42 D.L.R. (2d) 88.
AVOCATS:
Susan D. Clarke pour l'appelant.
John W. Adams, c.r. et Clayton W. Caverly
pour l'intimée et l'intervenante.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour l'appelant.
Fraser & Beatty, Toronto, pour l'intimée et l'intervenante.
Ce qui suit est la version française du jugement rendus par
LE JUGE STONE, J.C.A.: La Cour statue sur un appel interjeté d'une décision de la Commission du tarif rendue le 5 février 1988. La Commission a déclaré qu'Acu-Test, un nécessaire de test de gros- sesse à faire chez soi, était «une préparation vendue pour servir au diagnostic d'un trouble phy sique ou d'un état physique anormal ou de leurs symptômes chez l'homme, ou représentée comme pouvant être utilisée à ces fins» au sens de l'article premier de la Partie VIII de l'annexe III de la Loi sur la taxe d'accise, S.R.C. 1970, chap. E-13, modifiée [par S.C. 1973-74, chap. 24, art. 5(6)]' et qu'il était en conséquence exonéré de la taxe de consommation ou de vente imposée par l'article 27 [mod. par S.C. 1970-71-72, chap. 62, art. 1; 1973-74, chap. 24, art. 3; 1974-75-76, chap. 24, art. 13; 1976-77, chap. 6, art. 3; chap. 15, art. 7; 1980-81-82-83, chap. 68, art. 10; 1985, chap. 3, art. 16] de la Loi en vertu du paragraphe 29(1) [mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 104, art. 9] de celle-ci.
L'article premier de la Partie VIII de l'annexe III de la Loi sur la taxe d'accise dispose:
ANNEXE III PARTIE VIII SANTÉ
1. Les matières, substances, mélanges, composés ou prépara- tions, quelle que soit leur composition ou leur forme, y compris les matières devant servir exclusivement à leur fabrication, vendus pour servir au diagnostic, au traitement, à l'atténuation
' Maintenant L.R.C. (1985), chap. E-15.
ou à la prévention d'une maladie, d'un trouble physique, d'un état physique anormal ou de leurs symptômes, chez l'homme ou les animaux, ou à la restauration, à la correction ou à la modification des fonctions organiques de l'homme ou des ani- maux, ou représentés comme pouvant être utilisés à ces fins, mais à l'exclusion des cosmétiques.
L'appelante soulève deux questions, à savoir:
(1) La grossesse est-elle un «état physique anor- mal» au sens de la Loi sur la taxe d'accise?
(2) Peut-on affirmer que la confirmation que l'ab- sence de règles n'est pas attribuable à une gros- sesse constitue le diagnostic d'une maladie ou d'un état physique anormal au sens de la Loi sur la taxe d'accise?
L'intimée et l'intervenante font également valoir deux autres moyens pour confirmer la décision de la Commission. Elles prétendent qu'Acu-Test sert à la prévention des maladies et des troubles physi ques chez le foetus, ainsi qu'au diagnostic de gros- sesses difficiles ou à haut risque, qui constituent un état physique anormal. En second lieu, le test sert au diagnostic d'une maladie ou d'un trouble physi que qui peut causer l'infertilité. Suivant l'opinion que j'ai de la présente affaire, il n'est pas néces- saire d'examiner ces moyens.
Je peux trancher rapidement la première ques tion litigieuse. Il s'agit de savoir si la grossesse est un «état physique anormal» au sens de la Loi. Il est évident que la conclusion de la Commission est fondée sur son appréciation du sens de ce terme d'un point de vue sociologique, car à la page 21 de la décision 2 des commissaires majoritaires, on lit le passage suivant:
[TRADUCTION] Même s'il est vrai que personne ne contesterait que la grossesse est l'état physique normal résultant de la rencontre du sperme et de l'ovule des couples vivipares, que ce soit in utero ou, maintenant, in vitro, et que personne ne contesterait l'opinion des experts suivant laquelle la grossesse est un état physique normal pour une femme fertile faisant l'objet d'une telle rencontre au moment approprié par rapport à ses règles, le taux de natalité de 1,6 enfant par femme dans notre société établit, sans aller plus loin, que la grossesse n'est plus la règle normale dans la vie d'une femme, indépendam- ment de son activité sexuelle ou du caractère normal de ses règles. Selon la philosophie et les pratiques personnelles de notre société, la grossesse est devenue un état physique anormal sauf pour les personnes qui la recherchent.
2 Dossier d'appel, vol. 3, à la p. 469.
En toute déférence, j'estime que la Commission a commis une erreur de droit sur cet aspect de l'affaire. Le texte de l'exception fait référence «au diagnostic, au traitement, à l'atténuation ou à la prévention d'une maladie, d'un trouble physique, d'un état physique anormal ou de leurs symptô- mes, chez l'homme ou les animaux». Je ne suis pas persuadé que l'on ait envisagé ici autre chose qu'une anomalie physique au sens médical du terme. Les médecins qui ont témoigné pour l'une et l'autre des deux parties s'accordent pour dire que la grossesse est un état physique normal. Le dépistage de cet état par l'utilisation d'Acu-Test ne donne pas lieu au diagnostic d'un «état physique anormal» au sens ces mots sont employés dans la Loi.
Ceci étant dit, j'ai de la difficulté à accepter le second moyen qu'invoque l'appelante pour contes- ter la décision de la Commission. Elle prétend que la Commission ne disposait d'aucun élément de preuve lui permettant de conclure que les articles sont «vendus pour servir au diagnostic d'une mala- die, d'un trouble physique, d'un état physique anormal ... ou représentés comme pouvant être utilisés à ces fins». Tout ce que la preuve démontre, prétend-elle, c'est que, dans certaines limites, les articles peuvent servir au diagnostic de l'existence d'une grossesse ou, plus précisément, de la pré- sence dans l'organisme humain d'une certaine hor mone (la GCH) qu'on trouve ordinairement dans l'organisme de la femme enceinte. Si, comme je l'ai conclu, la Commission a effectivement commis une erreur en interprétant l'expression «état physi que anormal», sa décision devrait néanmoins être confirmée si elle a tranché correctement le point litigieux à l'examen.
Les deux parties ont fait témoigner des experts sur cette question. Leur témoignage démontre plutôt qu'Acu-Test ne permet de diagnostiquer que l'existence d'une grossesse et qu'il ne permet pas de diagnostiquer d'autres causes possibles d'ab- sence de flux menstruel. D'autre part, le dossier soumis à la Commission comprenait le dépliant qui accompagne les articles au moment de l'achat. Il renferme le message suivant qui s'adresse de toute évidence à l'utilisatrice de l'Acu-Test:
[TRADUCTION] INTERPRÉTATION DU RÉSULTAT
Un résultat positif indique que votre urine contient de la GCH et que vous pouvez présumer que vous êtes enceinte. Vous devriez maintenant consulter votre médecin, qui est la personne la mieux placée pour vous guider.
Un résultat négatif signifie qu'aucune GCH n'a été décelée et que vous pouvez présumer que vous n'êtes pas enceinte. Si au bout d'une semaine vous n'avez pas encore commencé à avoir vos règles, vous devriez refaire le test. Il est possible que votre urine ait donné un résultat «faux négatif». Si la réaction est encore une fois négative à la suite de ce dernier test, il est peu probable que vous soyez enceinte mais comme qu'il pourrait exister d'autres raisons importantes, vous devriez voir votre médecin sans plus tarder. [C'est moi qui souligne. 3 ]
Le D r Muggah, le médecin expert que l'intimée et l'intervenante ont fait témoigner, a été interrogé au sujet de ce message devant la Commission:
[TRADUCTION] Q. Pour revenir au test et à la situation dans laquelle le résultat est négatif mais qu'il n'y a pas eu de règles; il y a alors aménorrhée. Serait-il alors juste dans ce cas de dire que le test et, je le répète, je ne veux pas exagérer aide à déceler la cause de l'aménorrhée comme point de départ, si vous voulez?
R. Oui, et je pense que J.B. Williams a raison de recommander de répéter le test au bout d'une semaine et la grossesse peut constituer un point qui est acquis sur le plan du diagnostic. En cas de résultat négatif, la femme devrait consulter son médecin pour en connaître la raison et c'est vrai qu'elle ne semble pas être enceinte et c'est un point qui est acquis sur le plan du diagnostic.
Q. Et vous faisiez allusion à je veux simplement m'assurer que j'emploie les bons termes pour la Commission vous faisiez allusion à un extrait de la documentation qui accompa- gne ce test. S'agit-il de celui-ci je veux parler de la section intitulée «INTERPRÉTATION DU RÉSULTAT», à la troisième ligne avant la fin du deuxième paragraphe commençant par les mots:
«Il est possible que votre urine ait donné un résultat "faux négatif". Si la réaction est encore une fois négative à la suite de ce dernier test...»
c'est-à-dire le second test
« ... il est peu probable que vous soyez enceinte mais comme il se peut qu'il existe d'autres raisons importantes, vous devriez voir votre médecin sans plus tarder.»
Êtes-vous d'accord avec cette affirmation, docteur?
R. Oui 4 .
La preuve appuie à mon avis la conclusion qu'Acu-Test est vendu pour servir au diagnostic d'une maladie, d'un trouble physique ou d'un état physique anormal ou qu'il est représenté comme pouvant être utilisé à ces fins. Bien qu'Acu-Test ne. permet pas de diagnostiquer l'existence d'un pro- blème particulier chez une femme qui, selon ce qu'il indique, n'est pas enceinte, cette personne peut néanmoins être amenée à consulter un méde- cin pour expliquer l'absence de règles ce qui, sui-
3 Dossier d'appel, vol. 3, p. 341.
4 Dossier d'appel, vol. 2, aux p. 149 et 150.
vànt la preuve, pourrait fort bien être une maladie, un trouble physique ou un état physique anormal'. Il me semble donc que la Commission disposait de certains éléments de preuve qui pouvait raisonna- blement appuyer sa constatation et sa conclusion sur ce point. Lorsqu'elle est saisie d'un appel comme celui-ci, la Cour est limitée, aux termes du paragraphe 60(1) [mod. par S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, art. 65] de la Loi, aux questions «de droit». Quoiqu'une erreur grossière dans la constatation des faits puisse de ce fait être atta- quée, nous ne devons autrement pas intervenir dans une fonction réservée à la Commission (voir Sous-ministre du Revenu national pour les doua- nes et l'accise c. G.T.E. Sylvania Canada Ltd., [1986], 1 C.T.C. 131 (C.A.F.), aux pages 134 et 135 et The Dentists' Supply Co. of New York v. Deputy Minister of National Revenue for Cus
toms and Excise [1956-1960] R.C.É. 450, la page 455.
L'intimée et l'intervenante ont demandé les dépens. Cependant, comme il s'agit d'un appel auquel la Règle 1312 6 du chapitre C des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663] s'applique et qu'il n'y a pas de «raison spéciale» d'adjuger des dépens, je rejetterais le présent appel sans frais.
LE JUGE PRATTE, J.C.A.: Je suis du même avis.
LE JUGE MAHONEY, J.C.A.: Je suis du même avis.
5 Voir le témoignage du Dr Muggah, dossier d'appel, vol. 2, aux p. 147 et 148.
6 Règle 1312. Il n'y aura pas de dépens entre parties à un appel interjeté sous le régime du présent chapitre, à moins que la Cour, à sa discrétion, ne l'ordonne pour une raison spéciale.
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