Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-787-87
Allied Corporation (appelante) (requérante devant le Bureau des marques de commerce)
c.
Canadian Olympie Association—Association Olympique Canadienne (intimée) (opposante devant le Bureau des marques de commerce)
RÉPERTORIÉ: Assoc. OLYMPIQUE CANADIENNE C. ALLIED CORP. (CA.)
Cour d'appel, juges Urie, Hugessen et MacGui- gan, J.C.A.—Ottawa, 13 et 18 décembre 1989.
Marques de commerce Enregistrement Appel interjeté d'une décision de première instance portant que la marque de commerce de l'appelante n'est pas enregistrable L'appelante prétend avoir adopté et employé la marque «Olympian» en liaison avec des fontes de caractères depuis 1977 Avis public de l'adoption et de l'emploi par l'intimée de la marque «Olympian» comme marque officielle en 1980 Demande d'enregistrement en 1982 L'art. 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce interdit l'adoption d'une marque «dont la ressemblance est telle qu'on pourrait vraisemblablement la confondre avec» une marque adoptée par une autorité publique comme marque officielle L'art. 9(1)n)(iii) n'interdit pas rétroactivement l'adoption d'une marque Il a une applica tion prospective Une marque adoptée avant un avis public ne serait pas adoptée contrairement à l'art. 9 L'art. 12(1)e) prévoit qu'une marque est enregistrable si son adoption n'est pas interdite par l'art. 9 L'art. 12 rend non enregistrable une marque dont l'adoption serait contraire à l'art. 9, même si celle-ci a été adoptée et employée avant que ne soit donné l'avis public Le droit d'enregistrer n'existe plus à compter du moment l'avis public est donné L'interprétation de l'art. 9(1)n)(iii) donnée en obiter dans Insurance Corporation of British Columbia c. Registraire des marques de commerce va bien au- delà de la véritable intention du Parlement Appel rejeté.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la concurrence déloyale, S.R.C. 1952, chap. 274, art. 14(1)j).
Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10, art. 3, 9(1), 11, 12(1)e).
JURISPRUDENCE
DECISION EXAMINÉE:
Insurance Corporation of British Columbia c. Regis- traire des marques de commerce, [1980] 1 C.F. 669; (1979), 44 C.P.R. (2d) 1 (1" inst.).
AVOCATS:
Angus J. S. Davidson pour l'appelante.
Kenneth D. McKay et Arthur B. Renaud pour l'intimée.
PROCUREURS:
Angus J. S. Davidson, Ottawa, pour l'appe- lante.
Sim, Hughes, Dimock, Toronto, pour l'inti- mée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: L'appelante pré- tend avoir, par l'intermédiaire de son prédécesseur en titre, adopté et employé la marque de com merce «Olympian» au Canada en liaison avec des fontes de caractères dès juin ou juillet 1977, puis avoir, lorsqu'elle a produit une demande d'enregis- trement de cette marque en 1982, été mise au fait de l'opposition de l'intimée à sa demande, cette dernière ayant déjà obtenu que le registraire des marques de commerce donne un avis public, le 5 mars 1980, de l'adoption et de l'emploi par elle de la marque «Olympian» (avec plusieurs autres mar- ques liées à l'olympisme) à titre de marque officielle.
En sa qualité d'autorité publique, l'intimée a fondé son opposition sur le sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce («la Loi»), S.R.C. 1970, chap. T-10. Le paragraphe 9(1) porte:
9. (1) Nul ne doit adopter à l'égard d'une entreprise, comme marque de commerce ou autrement, une marque composée de ce qui suit, ou dont la ressemblance est telle qu'on pourrait vraisemblablement la confondre avec ce qui suit:
a) les armoiries, l'écusson ou le drapeau de Sa Majesté;
b) les armoiries ou l'écusson d'un membre de la famille royale;
c) le drapeau, les armoiries ou l'écusson de Son Excellence le gouverneur général;
d) un mot ou symbole susceptible de porter à croire que les marchandises ou services en liaison avec lesquels il est employé ont reçu l'approbation royale, vice-royale ou gouver- nementale, ou sont produits, vendus ou exécutés sous le patronage ou sur l'autorité royale, vice-royale ou gouverne- mentale;
e) les armoiries, l'écusson ou le drapeau adoptés et employés à quelque époque par le Canada ou par une province ou corporation municipale au Canada, à l'égard desquels le registraire, sur la demande du gouvernement du Canada ou de la province ou corporation municipale intéressée, a notifié au public leur adoption et leur emploi;
j) l'emblème héraldique de la Croix-Rouge sur fond blanc, formé en transposant les couleurs fédérales de la Suisse et retenu par la Convention de Genève pour la protection des victimes de guerre de 1949, comme emblème et signe distinc- tif du service médical des forces armées et utilisé par la Société de la Croix-Rouge Canadienne; ou l'expression «Croix-Rouge» ou «Croix de Genève»;
g) l'emblème héraldique du Croissant rouge sur fond blanc, adopté aux mêmes fins que celles dont l'alinéa f) fait men tion, par un certain nombre de pays musulmans;
h) le signe équivalent des Lion et Soleil rouges employés par l'Iran pour le même objet que celui dont l'alinéa f) fait mention;
i) les drapeaux, armoiries, écussons ou emblèmes nationaux, territoriaux ou civiques, ou tout signe ou timbre de contrôle et garantie officiels, dont l'emploi comme devise commerciale a été l'objet d'un avis d'opposition reçu en conformité des stipulations de la Convention et publiquement donné par le registraire;
j) une devise ou un mot scandaleux, obscène ou immoral;
k) toute matière qui peut faussement suggérer un rapport avec un particulier vivant;
1) le portrait ou la signature d'un particulier vivant ou qui est décédé dans les trente années précédentes;
m) les mots «Nations Unies» (United Nations), ou le sceau ou emblème officiel des Nations Unies;
n) tout insigne, écusson, marque ou emblème
(i) adopté ou employé par l'une quelconque des forces de Sa Majesté telles que les définit la Loi sur la défense nationale,
(ii) d'une université, ou
(iii) adopté et employé par une autorité publique au Canada comme marque officielle pour des marchandises ou services,
à l'égard desquels le registraire, sur la demande de Sa Majesté ou de l'université ou autorité publique, selon le cas, a donné un avis public d'adoption et emploi; ou
o) le nom «Gendarmerie royale du Canada» (Royal Cana- dian Mounted Police) ou «R.C.M.P.», ou toute autre combi- naison de lettres se rattachant à la Gendarmerie royale du Canada, ou toute représentation illustrée d'un membre de ce corps en uniforme.
L'article 11 de la Loi est également pertinent:
11. Aucune personne ne doit employer relativement à une entreprise, comme marque de commerce ou autrement, une marque quelconque adoptée contrairement à l'article 9 ...
Ces dispositions doivent être liées à l'alinéa 12(1)e), dont la partie pertinente prévoit qu'aune marque de commerce est enregistrable si elle ne constitue pas ... une marque dont l'article 9 .. . interdit l'adoption.»
Enfin, l'article 3 de la Loi indique la portée à donner au mot «adoptée»:
3. Une marque de commerce est censée avoir été adoptée par une personne, lorsque cette personne ou son prédécesseur en titre a commencé à l'employer au Canada ou à l'y faire
connaître, ou, si la personne ou le prédécesseur en question ne l'avait pas antérieurement ainsi employée ou fait connaître, lorsqu'elle a produit, ou qu'il a produit, une demande d'enregis- trement de ladite marque au Canada.
La décision du représentant du registraire des marques de commerce, l'agent d'audition Troicuk, rendue le 13 septembre 1985, a rejeté l'opposition de l'intimée. Cet agent a déclaré ce qui suit sur la question en litige (dossier d'appel, annexe I, aux pages 5 et 6):
[TRADUCTION] J'estime qu'il serait inapproprié de donner à l'alinéa 12(1)e) et au sous-alinéa 9(1)n)(iii) une interprétation rétroactive.
En ce qui a trait à chacune des marques officielles de l'opposante, soit Olympic Games, Olympiad, Olympian, Olym- pic, Olympique, Summer Olympics, Canada's Olympic Teams, Winter Olympics et Winter Olympic Games, l'avis public de leur adoption et de leur emploi n'a pas été donné avant le 5 mars 1980. Puisque cette date est postérieure à la date d'adop- tion par la requérante, je ne crois pas que l'opposante puisse s'y fonder pour appuyer ses motifs d'opposition sous le régime de l'alinéa 12(1)e) et du sous-alinéa 9(1)n)(iii).
Le juge Cullen a accueilli l'appel [Assoc. Olymp. canadienne c. Allied Corp. (1987), 14 C.I.P.R. 126; 16 C.P.R. (3d) 80; 13 F.T.R. 93 (C.F. lre inst.)] interjeté de la décision de l'agent d'audition et conclu que la marque de commerce de l'appelante ne pouvait être enregistrée compte tenu de l'avis public donné, en 1980, pour le compte de l'intimée sous le régime de l'article 9 à l'égard de la marque officielle «Olympian». Le juge de première instance a déclaré ce qui suit (aux pages 131 et 133 C.I.P.R.):
... j'accepte sans réserve qu'une demande d'enregistrement d'une marque de commerce qui ressemble (en l'espèce, il s'agit du mot Olympian) à une marque interdite en vertu de l'art. 9 n'est pas enregistrable à l'encontre d'une marque officielle ou interdite, peu importe à quel moment elle a été utilisée ou employée.
Le paragraphe 9(1) constitue une interdiction absolue et la façon dont les produits ou les services sont utilisés importe peu. L'intimée n'a présenté aucune preuve laissant croire que la marque n'était pas employée, ce qui aurait bien pu transférer la charge de la preuve à l'appelante. M. Fox [Canadian Law of Trade Marks and Unfair Competition, 3' éd., 1972 à la p. 198] dit bien qu'il s'agit d'un territoire interdit.
La personne qui tente d'entrer dans ce territoire interdit pourrait bien se retrouver sans marque si l'obiter du juge Cattanach (précité) s'applique, et je crois qu'il s'applique.
L'obiter susmentionné du juge Cattanach se trouve dans la décision Insurance Corporation of British Columbia c. Registraire des marques de commerce, [1980] 1 C.F. 669; (1979), 44 C.P.R.
(2d) 1 (i re inst.), la Cour a conclu que le registraire n'a pas le pouvoir discrétionnaire de refuser de donner un avis public visant une marque demandée par une autorité publique. Dans les motifs de sa décision, le juge Cattanach a déclaré ce qui suit (aux pages 683 et 684 C.F.):
L'interdiction d'adopter et d'employer comme marque de commerce ou autrement, une marque composée de l'un des emblèmes mentionnés à l'article 9 ou y ressemblant, a pour conséquence logique d'en réserver l'usage exclusif aux person- nes ou aux organismes qui y sont précisés.
Tel est l'objet fondamental de l'article, tel qu'il ressort de son libellé.
Manifestement, l'article 9(1)n)(iii) prévoit que lorsqu'une autorité publique a adopté une marque officielle, elle peut seule l'employer. En chargeant le registraire d'aviser le public de l'adoption et de l'emploi de cette marque officielle, il a pour objet de prévenir toute violation à cet égard. A mon sens, et pour les raisons que j'ai déjà exposées, il ne confère au regis- traire aucun pouvoir de contrôle.
Je suis pleinement conscient des conséquences qui en décou- lent. Une autorité publique se lance dans l'entreprise de fournir au public des marchandises et des services et pour ce faire, adopte une marque officielle. Après quoi, tout le monde se voit interdire l'emploi de cette marque. Ce qui revient à dire que, de sa propre initiative, elle s'approprie ladite marque sans aucune autre restriction ou contrôle que sa propre conscience et la volonté que le corps électoral exprimera éventuellement par les moyens dont il dispose.
Je pense que telle est l'intention du Parlement qui ressort du libellé de l'article 9, et que telle est aussi la politique que, dans son pouvoir souverain, il a jugé opportun de mettre en œuvre par voie législative.
Je ne vois pas de quel droit une cour de justice pourrait interpréter un texte pour des considérations de seule politique. A mon avis, lorsqu'une loi est claire, la Cour n'a pas à déterminer si elle est opportune ou inopportune, juste ou injuste. C'est au Parlement qu'il appartient d'en décider; si elle est inopportune, seule une loi peut y remédier et non pas une décision de la Cour. Si une loi est non équivoque, la Cour n'a qu'à s'y conformer, à l'appliquer. Agir autrement équivaut à abandonner les fonctions de juge pour assumer celles de législateur.
Si la véritable intention du Parlement n'est pas celle qui ressort de l'article 9 de la Loi sur les marques de commerce, c'est au Parlement qu'il appartient de remédier à la situation, de l'exprimer en termes clairs et non équivoques.
Il a poursuivi en ces termes la page 686 C.F.):
Il ressort des documents versés à ses archives et qu'il a transmis à la Cour en application de l'article 60 de la Loi sur les marques de commerce, que le registraire était préoccupé de l'effet que l'interdiction consécutive à la notification de l'adop- tion et de l'emploi d'une marque officielle aurait sur les mar-
ques de commerce enregistrées normalemement, avec lesquelles elle risquait d'entrer en conflit. Je ne suis pas saisi de cette question, mais il me semble évident que la marque de com merce ordinaire qu'un commerçant fait enregistrer doit céder le pas à la marque officielle qu'une autorité publique ou un organisme analogue emploie, parce que telle est l'intention du législateur. Je le répète: si le libellé de l'article n'exprime pas la véritable intention du Parlement ou si ce dernier juge la loi politiquement inopportune, c'est à lui qu'il incombe d'y remédier.
Il me semble que cette interprétation va bien au-delà de la véritable intention du Parlement telle qu'elle est exprimée par le libellé du sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi. Le paragraphe 9(1) n'est pas uniforme dans les interdictions qu'il comprend et l'alinéa 9(1)n) comporte des réserves qui ne se retrouvent pas dans la plupart des autres alinéas. Pour les marques officielles telles que les armoiries de Sa Majesté ou divers emblèmes reconnus, il existe une interdiction absolue d'adoption par d'autres personnes, mais le libellé de l'alinéa 9(1)n) n'est pas absolu.
L'article 9 de la Loi porte dans son ensemble sur l'adoption, et l'interdiction d'adoption est exprimée au futur dans la version anglaise («no person shall adopta). Le sous-alinéa 9(1)n) (iii) interdit par conséquent l'adoption d'une marque de commerce «dont la ressemblance est telle qu'on pourrait vrai- semblablement la confondre avec» une marque adoptée par une autorité publique à l'égard de laquelle le registraire «a donné» (passé composé) un avis public. Par conséquent, il n'interdit pas rétroactivement l'adoption de marques de com merce. Il n'a qu'une application prospective.
Je ne puis voir comment cette interprétation peut être modifiée par l'article 11, puisque cette disposition interdit uniquement l'emploi d'une marque adoptée contrairement à l'article 9. Une marque adoptée avant la communication d'un avis public ne serait pas adoptée contrairement à l'article 9.
L'article 12 de la Loi, qui porte sur l'enregistre- ment, emploie le présent ((lune marque dont l'arti- cle 9 .. . interdit l'adoption»). Il rend par consé- quent non enregistrable une marque de commerce qui n'a pas encore été enregistrée et dont l'adop- tion irait à l'encontre de l'article 9, même si cette marque a été adoptée et employée avant que ne soit donné l'avis public visé à l'article 9.
En somme, les libellés respectifs des dispositions d'adoption et d'enregistrement ne sont pas parallè- les. Les droits d'emploi d'une marque qui peuvent découler de son adoption ne sont pas touchés par l'adoption et l'emploi subséquents d'une marque officielle semblable au point de porter à confusion; toutefois, le droit d'enregistrer la marque n'existe plus à compter du moment l'avis public est donné.
Cependant, puisque le point en litige n'est pas l'emploi continu par l'appelante de sa marque de commerce, mais plutôt l'enregistrement de celle-ci, il ressort clairement de ce que j'ai affirmé plus haut qu'il lui est impossible d'enregistrer la marque à l'heure actuelle. En d'autres termes, puisque l'adoption de la marque ne serait plus possible maintenant (depuis le 5 mars 1980), on pourrait dire qu'elle est maintenant interdite par l'article 9, et que la marque est visée par l'interdic- tion de l'article 12 en ce qui a trait à l'enregistrement.
L'appelante a également prétendu que le juge de première instance avait commis une erreur en ne concluant pas que l'intimée aurait prouver l'adoption et l'emploi de sa marque officielle avant de demander que soit donné un avis public. Il n'est toutefois pas nécessaire de remonter au-delà de l'avis public, du moins en l'absence, selon la con clusion du juge de première instance, de toute preuve de l'appelante laissant croire que la marque n'était pas employée.
L'appelante a également prétendu que la Loi devrait être interprétée à la lumière de la Révision de Londres de la convention internationale pour la protection de la propriété industrielle, à laquelle le Canada a adhéré le 30 juillet 1951. Les disposi tions de l'article 6 ter de cette convention prévoient que l'interdiction de l'emploi «des signes ... offi- ciels» par d'autres «s'appliquera seulement dans les cas les marques qui les comprendront seront destinées à être utilisées sur des marchandises du même genre ou d'un genre similaire». En l'espèce, les marchandises n'étaient pas : , similaires. On a également mentionné la disposition antérieure à l'article 9, soit le paragraphe 14(1)j) de la Loi sur la concurrence déloyale, S.R.C. 1952, chap. 274, qui limitait également l'interdiction à des produits similaires. Toutefois, ces prétentions ne peuvent prévaloir sur ce qui est, selon moi, le langage
explicite du sous-alinéa 9(1)n)(iii) actuel qui indi- que le contraire.
Par conséquent, je rejetterais l'appel avec dépens.
LE JUGE URIE, J.C.A.: J'y souscris.
LE JUGE HUGESSEN, J.C.A.: J'y souscris.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.