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A-167-89
Cargill Grain Company, Limited (requérante) c.
Conseil canadien des relations du travail, Travail- leurs unis de l'automobile, de l'aérospatiale et de l'outillage agricole d'Amérique (intimés)
RÉPERTORIE: CARGILL GRAIN CO. c. CANADA (CONSEIL DES RELATIONS DU TRAVAIL) (CA.)
Cour d'appel, juges Hugessen, MacGuigan et Des- jardins, J.C.A.—Ottawa, 17 août et 17 octobre 1989.
Droit constitutionnel Partage des pouvoirs Il s'agit de savoir si le C.C.R.T. avait compétence pour accréditer un syndicat comme représentant des employés de bureau onta- riens de la filiale d'une société céréalière de Winnipeg en Ontario Trois silos situés en Ontario ont été déclarés être des ouvrages à l'avantage général du Canada La plupart sont assujettis au contrôle provincial S'agit-il d'une entre- prise fédérale? Distinction entre les ouvrages et les entre- prises eu égard au pouvoir déclaratoire fédéral prévu à l'art. 92(10) de la Loi constitutionnelle Cargill est un marchand de grain et non un exploitant de silos Les silos sont accessoires à l'entreprise L'entreprise a un caractère entiè- rement provincial bien qu'une partie de ses installations ait été déclarée à l'avantage général du Canada Il n'existe pas d'«entreprise principale fédérale» susceptible de justifier la compétence fédérale dans le secteur provincial privilégié des relations du travail.
Relations du travail Demande d'annulation de l'accrédi- tation d'un syndicat par le C.C.R.T. pour représenter les employés de bureau ontariens de la filiale d'une société céréa- lière de Winnipeg Compétence Le syndicat a demandé l'accréditation devant une commission du travail provinciale et devant un Conseil fédéral La C.R.T.O. a décliné compétence Le C.C.R.T. n'a pas compétence car il n'y a pas d'aentre- prise principale fédérale» susceptible de justifier la compé- tence fédérale dans le secteur provincial privilégié des relations du travail.
La demande fondée sur l'article 28 vise la révision, pour absence de compétence, de l'accréditation qu'a accordée le C.C.R.T. aux Travailleurs unis de l'automobile, de l'aérospa- tiale et de l'outillage agricole d'Amérique pour représenter les 28 employés de bureau travaillant au siège de la requérante à Chatham, en Ontario.
La requérante, filiale d'une société de Winnipeg, agit à titre de marchand et de négociant en grains dans l'Est du Canada et elle exploite des silos en Ontario. Les employés travaillant au centre administratif de l'Est fournissent les services de soutien essentiel à l'exploitation des silos. Des demandes d'accrédita- tion ont été déposées tant devant la Commission des relations du travail de l'Ontario (C.R.T.O.) que devant le C.C.R.T. À l'instance du syndicat requérant, la C.R.T.O. a rejeté la demande pour absence de compétence. Le C.C.R.T. s'est quant à lui déclaré compétent en s'appuyant principalement sur le fait que les activités de la société comprenaient «plusieurs» silos au
sens du paragraphe 43(1) (maintenant le paragraphe 55(1)) de la Loi sur les grains du Canada, ainsi que des minoteries et des entrepôts au sens de l'article 45 (maintenant l'article 76) de la Loi sur la Commission canadienne du blé.
Arrêt (le juge MacGuigan, J.C.A., étant dissident): la demande devrait être accueillie.
Le juge Hugessen, J.C.A.: Le C.C.R.T. n'a pas compétence pour accréditer le syndicat. Il n'y a pas d'«entreprise principale fédérale». Seuls trois des 27 silos appartenant à la société sont visés par le paragraphe 55(1) de la Loi sur les grains du Canada. Le renvoi par la Commission à «plusieurs» silos est trompeur. La portée de l'article 76 de la Loi sur la Commission canadienne du blé ne doit pas être étendue au-delà de ce qui est énoncé. Les entrepôts et les fabriques ne constituent qu'un appoint à l'exploitation de silos qui n'ont pas fait l'objet d'une déclaration fédérale et qui, dans les faits, sont régis et agréés par les autorités provinciales de l'Ontario. Tout en reconnais- sant que cinq de ces 25 silos étaient assujettis à la réglementa- tion provinciale, le C.C.R.T. a passé sous silence le fait que les vingt autres silos sont également assujettis à la réglementation provinciale exclusive. L'entreprise de Cargill est celle d'un commerçant en grains qui achète, vend et négocie le grain en Ontario et qui, accessoirement, exploite des silos. Une telle entreprise est entièrement provinciale, même si une partie de ses activités se rapporte au commerce international ou interpro- vincial et si certaines de ses installations matérielles ont été déclarées être à l'avantage général du Canada.
Le juge Desjardins, J.C.A. (motifs au même effet quant à la conclusion): L'article 55 de la Loi sur les grains du Canada ainsi que l'article 76 de la Loi sur la Commission canadienne du blé visent strictement les «ouvrages» qui y sont mentionnés. Les entreprises reliées à ces ouvrages ne tombent pas sous le coup des déclarations. D'après les faits, l'entreprise de la requé- rante a un caractère essentiellement local.
Le juge MacGuigan, J.C.A. (dissident): Il n'y a aucune raison de restreindre la portée générale des termes employés à l'article 76 de la Loi sur la Commission canadienne du blé. La déclaration contenue à l'article 76 doit être interprétée comme visant, dans leur totalité, «les minoteries, les fabriques ou entrepôts d'aliments pour les animaux et les stations de nettoie- ment des semences» situés au Canada. Une entreprise fondée sur un ouvrage fédéral et les relations du travail de cette entreprise sont, pour l'attribution de la compétence, partie intégrale de l'ouvrage fédéral lui-même. Il n'y a aucun fonde- ment factuel permettant à la Cour d'infirmer la décision du Conseil. Le critère applicable pour déterminer s'il y a intégra- tion d'une filiale dans l'entreprise principale de nature fédérale a été rempli.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1, art. 108 (mod. par S.C. 1972, chap. 18, art. 1).
Code canadien du travail, L.R.C. (1985), chap. L-2, art. 2h), 4, 22, 24.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1), art. 92(10).
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict. chap. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1 [L.R.C. (1985), Appendice II, 5], art. 91(29),92(10)c).
Loi sur la Commission canadienne du blé, 1935, S.C. 1935, chap. 53, art. 39 (mod. par S.C. 1947, chap. 15; 1950, chap. 31, art. 8).
Loi sur la Commission canadienne du blé, S.R.C. 1970, chap. C-12, art. 45.
Loi sur la Commission canadienne du blé, L.R.C. (1985), chap. C-24, art. 2, 5, 6, 23, 32, 76.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10, art. 28.
Loi sur les grains du Canada, S.R.C. 1927, chap. 86, art. 173 (mod. par S.C. 1950, chap. 24, art. 10).
Loi sur les grains du Canada, S.R.C. 1952, chap. 25, art. 2.
Loi sur les grains du Canada, S.R.C. 1970, chap. G-16, art. 43(1) (mod. par S.C. 1970-71-72, chap. 7, art. 43).
Loi sur les grains du Canada, L.R.C. (1985), chap. G-10, art. 2a),b),c),d),e) (non encore en vigueur), 3, 13, 55(1),(2),(3) (non encore en vigueur), 121(1).
Loi sur les marchés de grain à terme, L.R.C. (1985), chap. G-11.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Northern Telecom Ltée. c. Travailleurs en communica tion du Canada, [1980] 1 R.C.S. 115; (1979), 28 N.R. 107; Conseil canadien des relations du travail et autre c. Paul l'Anglais Inc. et autre, [1983] 1 R.C.S. 147; 146 D.L.R. (3d) 202; (1983), 47 N.R. 351.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Central Western Railway Corp. c. T. U. T., [1989] 2 C.F. 186; (1988), 47 D.L.R. (4th) 161; (1988), 84 N.R. 321 (C.A.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Chamney c. La Reine, [1975] 2 R.C.S. 151; (1973), 40 D.L.R. (3d) 146; 13 C.C.C. (2d) 465; [1974] 1 W.W.R. 493.
DÉCISIONS CITÉES:
R. v. Saskatchewan Wheat Pool (1978), 89 D.L.R. (3d) 755; 43 C.C.C. (2d) 119; [1978] 6 W.W.R. 27 (C.A. Sask.); In Reference re Industrial Relations and Disputes Act, [1955] R.C.S. 529; [1955] 3 D.L.R. 721; The Queen v. Thumlert (1960), 20 D.L.R. (2d) 335; (1959), 28 W.W.R. 481 (C.A. Alb.); Camirand c. R., [1976] C.S. 1294; Antoine Guertin Ltée 1, non publiée Tribunal du travail (Qué), 500-28-000502-831; Cie du trust natio nal Ltée c. Burns, [1985] C.S. 1286; Raymond, Chabot, Martin, Paré & associés c. Association des employés de G.D.I. Inc., 9 juin 1989 (n° 200-09-000461-852) (C.A. Qué.); W.G. Thompson & Sons Limited; Re U.F.C.W.; Re Group of Employees, [1987] OLRB Pub. mai, 787;
C.S.P. Foods Ltd. c. Conseil canadien des relations du travail, [1979] 2 C.F. 23; 25 N.R. 91 (C.A.); Syndicat des employés de production du Québec et de !'Acadie c. Conseil canadien des relations du travail, [1984] 2 R.C.S. 412; 14 D.L.R. (4th) 457; (1984), 55 N.R. 321; 14 Admin. L.R. 72; 84 C.L.L.C. 14,069; Construction Montcalm Inc. c. Commission du salaire minimum, [1979] 1 R.C.S. 754; (1978), 93 D.L.R. (3d) 641; (1978), 25 N.R. 1; 79 C.L.L.C. 14,190; Northern Telecom Ltd. c. Travailleurs en communication du Canada, [1980] 1 R.C.S. 115; (1979), 98 D.L.R. (3d) 1; (1979), 28 N.R. 107; 79 C.C.L.C. 14,211; Attorney -General for Ontario v. Israel Winner, [1954] A.C. 521; [1954] 4 D.L.R. 657 (C.P.); 756 (C.A. Sask.); Code canadien du travail (Re) (1986), [1987] 2 C.F. 30; 34 D.L.R. (4th) 228; (1986), 72 N.R. 348; 87 C.L.L.C. 14,017 (C.A.).
DOCTRINE
Fraser, Ian. «Some Comments on Subsection 92(10) of the Constitution Act, 1867» (1984), 29 R. de D. McGill 557.
Hanssen, Kenneth. «The Federal Declaratory Power Under the British North America Act« (1968), 3 Man. L.J. 87.
Hogg, P. W. Constitutional Law of Canada, éd. Toronto: Carswell, 1985.
Lajoie, Andrée. Le pouvoir déclaratoire du Parlement. Montréal: Les Presses de l'Université de Montréal, 1969.
Laskin, Bora. Canadian Constitutional Law, 5 » éd. par Neil Finkelstein. Toronto: Carswell, 1986.
Schwartz, Phineas. «Fiat by Declaration S. 92(10)(c) of the British North America Act (1960)», 2 O.H.L.J. 1.
AVOCATS:
Mortimer Freiheit et Pierre Jauvin pour la requérante Cargill Grain Company, Limited.
Graham Clarke pour l'intimé le Conseil cana- dien des relations du travail.
Stephen B.D. Wahl pour l'intimé les Travail- leurs unis de l'automobile, de l'aérospatiale et de l'outillage agricole d'Amérique.
PROCUREURS:
Stikeman, Elliott, Montréal, pour la requé- rante Cargill Grain Company, Limited.
Services juridiques, Conseil canadien des relations du travail, Ottawa, pour l'intimé le Conseil canadien des relations du travail.
Koskie & Minsky, Toronto, pour l'intimé les Travailleurs unis de l'automobile, de l'aéro-' spatiale et de l'outillage agricole d'Amérique.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
HUGESSEN, J.C.A.: Il s'agit en l'espèce d'une demande, aux termes de l'article 28 [Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10], de révision et d'annulation de la décision du Con- seil canadien des relations du travail accréditant le syndicat des Travailleurs unis de l'automobile, de l'aérospatiale et de l'outillage agricole d'Amérique (T.U.A.) pour représenter les vingt-huit employés de bureau travaillant au siège de la requérante à Chatham, en Ontario.
Comme seul motif à l'appui de sa demande, la requérante allègue que le Conseil n'avait et n'a pas la compétence constitutionnelle voulue pour sta- tuer à l'égard des employés en cause. Dans ce contexte, la norme de révision qui doit guider la présente Cour est celle du bien-fondé de la décision litigieuse sur le plan constitutionnel. C'est en effet un lieu commun d'affirmer qu'un organe d'un niveau de gouvernement au sein d'un régime fédé- ral ne peut, par suite d'une mauvaise décision en fait ou en droit, s'arroger des pouvoirs conférés à un autre niveau de gouvernement. Aucune clause privative ni aucun principe de retenue judiciaire ne saurait sanctionner une transgression constitution- nelle'.
Filiale de la société Cargill Limited dont le siège est à Winnipeg, la requérante agit à titre de mar- chand et de négociant en grains dans l'Est du Canada. Elle exploite un certain nombre de silos en Ontario mais aucun des employés dont l'accré- ditation est en litige n'y travaille à proprement parler; au contraire, comme le titre de leur poste l'indique, ce sont tous des employés de bureau qui travaillent au centre administratif de la région de l'Est à Chatham. En plus d'être le coeur des activi- tés de commercialisation du grain de la société, ce bureau fournit les services de soutien essentiels à l'exploitation des silos, soit surtout la comptabilité et l'enregistrement des opérations.
Conscient des difficultés d'ordre constitutionnel auxquelles il pourrait se heurter, le syndicat a présenté simultanément deux demandes d'accrédi-
' Voir Northern Telecom Ltée. c. Travailleurs en communi cation du Canada, [1980] 1 R.C.S. 115; (1979), 28 N.R. 107; Conseil canadien des relations du travail et autre c. Paul L'Anglais Inc. et autre, [1983] 1 R.C.S. 147; 146 D.L.R. (3d) 202; (1983), 47 N.R. 351.
tation, l'une devant la Commission des relations du travail de l'Ontario et l'autre devant le Conseil canadien des relations du travail. Assez curieuse- ment, c'est le moins qu'on puisse dire, l'instance s'est d'abord engagée devant la Commission de l'Ontario et le syndicat requérant a soutenu que les employés visés ressortissaient exclusivement à la compétence fédérale, tandis que la société intimée a demandé à la Commission de se déclarer compé- tente. Cette dernière a tenu une audition à l'issue de laquelle elle a décliné sa compétence.
Voici les extraits pertinents de la décision de la Commission de l'Ontario:
[TRADUCTION] 5. Au mois d'avril ou de mai 1988, l'intimée a été formée à la suite de l'acquisition des actifs de la Maple Leaf Mills Grain Company, à Chatham en Ontario, par la société mère de l'intimée, Cargill Limited. Les activités de Cargill Grain Company, Limited se répartissent entre 19 succursales exploitant un total de 25 silos. Chaque succursale est chargée de l'achat du grain et du service aux clients. Chacune gère ses propres affaires et s'occupe de la clientèle locale.
6. Les 19 succursales font toutes rapport au centre adminis- tratif de la région de l'Est, à Chatham. En plus de couvrir la majeure partie de l'Ontario, cette région comprend deux silos situés dans la province de Québec et, aux termes d'une entente de gestion conclue avec Ports Canada, un silo à St. John, au Nouveau-Brunswick. Quatre-vingt pour cent des activités de la région de l'Est consistent dans l'achat de grains et de produits céréaliers des producteurs de l'Ontario, ainsi que dans le stockage, l'entreposage et la mise en marché de ce grain. Les autres vingt pour cent se résument à des services agricoles connexes.
7. La société mère de l'intimée possède et exploite trois silos terminaux dont la région de l'Est a la charge: l'un à Sarnia, le second à Midland et le troisième à Port McNicoll. Ces terminaux, assujettis à la réglementation fédérale, sont sur- tout destinés à l'exportation des grains par navire. L'intimée exploite quant à elle deux fabriques d'aliments pour les animaux de même qu'une station de nettoiement des semen- ces à Chatham. Les produits céréaliers à l'égard desquels l'intimée assure le service comprennent le maïs, la graine de soya et le blé. En ce qui concerne le blé, ses activités sont régies tant par la Ontario Wheat Board que par la Commis sion canadienne du blé.
8. Le bureau régional de l'Est a comme fonction première de tenir un registre des opérations faites dans chacune des succursales et des terminaux. Il est également chargé de la vente des produits que contiennent les différents silos dont elle assure l'exploitation.
(Dossier, aux pages 51 et 52.)
12. Il ressort de la preuve produite en l'espèce que les établissements de l'intimée comprennent des silos au sens du
paragraphe 43(1) 2 de la Loi sur les grains du Canada, ainsi que des entrepôts et fabriques au sens de l'article 45 de la LCCB 3 . Ces installations ont été déclarées par le Parlement être des ouvrages à l'avantage général du Canada. Aussi sommes-nous venus à la conclusion que nous n'avons pas compétence pour statuer sur cette requête, laquelle est par les présentes rejetée 4 .
(Dossier, à la page 55.)
C'est ainsi qu'après avoir été suspendu en atten dant l'issue de l'instance ontarienne, l'examen de la requête déposée auprès du Conseil canadien s'est engagé. Il n'est pas inutile de souligner que dans cette requête, l'employeur est décrit comme un [TRADUCTION] «commerçant en grains» (Dos- sier, à la page 11).
Après enquête, le Conseil canadien a tenu une audition. Dans le rapport d'enquête préparé par le personnel du Conseil se trouve la description géné- rale, que voici, des activités de l'employeur:
[TRADUCTION] L'entreprise de la société se divise essentielle- ment en trois composantes principales:
i) l'exploitation de silos locaux et de centres de fournitures agricoles,
ii) l'exploitation de silos de transbordement,
iii) la commercialisation du grain.
La présente requête vise directement les employés affectés à la commercialisation du grain.
(Dossier, à la page 77.)
Dans sa décision, le Conseil a ainsi formulé les questions dont il était saisi:
[TRADUCTION] Premièrement, existe-t-il une entreprise fédé- rale? Deuxièmement, les activités de bureau de Chatham sont- elles intimement liées à cette entreprise fédérale?
(Dossier, à la page 161.)
Il est admis que le Conseil s'est posé les bonnes questions 5 , le litige portant plutôt sur les réponses
2 Aujourd'hui, le paragraphe 55(1) de la Loi sur les grains du Canada, L.R.C. (1985), chap. G-10.
3 Aujourd'hui, l'article 76 de la Loi sur la Commission canadienne du blé, L.R.C. (1985), chap. C-24.
° Nous ne sommes pas saisis en l'espèce d'une demande de révision de la décision de la Commission de l'Ontario et nous n'avons d'ailleurs aucunement compétence à cet égard. Notre silence ne saurait toutefois s'interpréter comme une approba tion, même indirecte, de la conclusion portant que les installa tions qui «comprennent» des ouvrages fédéraux sont en consé- quence exclues de la compétence provinciale en matière de relations du travail.
5 Voir Northern Telecom, précité, note 1.
qui ont été fournies, en particulier à la première question. L'essentiel du raisonnement suivi par le Conseil se trouve dans les paragraphes suivants, que j'ai numérotés pour en faciliter la consultation:
[TRADUCTION] [1] D'après la preuve qui lui a été soumise, le Conseil est convaincu qu'il existe en l'espèce une entreprise fédérale. Certes, ce ne sont pas tous les silos «locaux» de l'exploitation de Cargill qui ont été déclarés à l'avantage général du Canada. Mais il n'en reste pas moins que plu- sieurs l'ont été expressément aux termes de la Loi sur les grains du Canada, L.R.C. (1985), chap. G-10. Ainsi les établissements suivants, propriété de Cargill, sont énumérés à l'annexe II de cette loi comme constituant des ouvrages à l'avantage général du Canada: Midland Simcoe Elevator Co. Limited, à Midland (Ontario), Marathon Realty Company Limited, à Port McNicoll et Maple Leaf Mills Ltd., à Sarnia.
[2] De plus, selon le témoignage du directeur de Cargill pour la région de l'Est, M. S. Guthierrez, cette société possède quinze entrepôts d'aliments pour les animaux en Ontario. Cargill exploite également des stations de nettoiement des semences, entre autres à Princeton et à Wallaceburg, ainsi que quelques petites fabriques d'aliments pour les animaux, notamment à Ayr, Ridgetown et Nelles Corners, en Ontario. Elle possède enfin des stations d'ensachage, comme à Till - bury, également en Ontario.
[3] À la lumière de ces faits, nous sommes disposés à conclure que Cargill exploite une entreprise fédérale, non seulement parce que certains de ses silos ont été déclarés être des ouvrages à l'avantage général du Canada, mais aussi parce que l'article 76 de la Loi sur la Commission cana- dienne du blé, L.R.C. (1985), chap. C-24, établit que les autres aspects des exploitations de Cargill en Ontario ont également été déclarés à l'avantage général du Canada. Tout en reconnaissant ne pas avoir compétence à l'égard de tous les silos de Cargill, nous devons conclure que l'exploitation de l'employeur constitue essentiellement une entreprise fédérale.
[4] Le Conseil est également d'avis que les activités du bureau de Chatham sont intimement liées à l'entreprise principale à caractère fédéral. Le bureau de Chatham admi- nistre les fabriques d'aliments pour les animaux mentionnées ci-dessus, de même que tous les silos locaux que possède Cargill, bien que certains d'entre eux ressortissent à la compétence provinciale. Ces exceptions ne changent rien, cependant, à l'importance que revêt le bureau de Chatham pour les exploitations de Cargill dans l'Est du Canada. Ce bureau s'occupe également de la comptabilité, de la mise en marché du grain, de la collecte de statistiques et de la coordination des activités se déroulant dans plusieurs établis- sements de l'Est du pays, tels la station de nettoiement des semences de Wallaceburg.
[5] Il importe également de souligner que le bureau de Chatham s'occupe activement de commercialisation, c'est-à- dire de l'achat, de la vente et du transport des grains. Une partie de cette activité se rapporte aux marchés de grain à terme des Bourses des grains de Winnipeg et de Chicago. La Bourse des grains de Winnipeg est régie par la Loi sur les marchés de grain à terme, L.R.C. (1985), chap. G-11. C'est
par l'entremise du bureau de Chatham que les courtiers de l'Est du Canada négocient sur ces bourses.
[6] Compte tenu de tous ces facteurs, le Conseil estime que le bureau de Chatham est intimement lié à l'entreprise fédérale. En conséquence, le Conseil a compétence pour connaître de la présente requête en accréditation.
(Dossier, aux pages 161 et 162.)
Le renvoi, au paragraphe [1], à «plusieurs» silos ayant été expressément déclarés à l'avantage géné- ral du Canada est quelque peu trompeur. En effet, le Conseil mentionne explicitement trois de ces silos (ceux de Midland, Port McNicoll et Sarnia), appelés parfois silos terminaux ou de transborde- ment, mais ce sont les seuls à avoir ainsi fait l'objet d'une déclaration dans la Loi sur les grains du Canada. Or, ce point mérite d'être souligné. L'arti- cle 55 de cette Loi s'exprime en ces termes:
55. (1) Toutes les installations du Canada, actuelles et futu res, à l'exception de celles visées aux paragraphes (2) ou (3), constituent, collectivement et séparément, des ouvrages à l'avantage général du Canada.
(2) Les installations actuelles et futures de la région de l'Est, décrites à l'alinéa d) de la définition de «installation» à l'article 2, constituent, collectivement et séparément, des ouvrages à l'avantage général du Canada.
(3) Les installations actuelles et futures de la région de l'Est, décrites à l'alinéa e) de la définition de «installation» à l'article 2, constituent, collectivement et séparément, des ouvrages à l'avantage général du Canada.
Ce texte doit être lu concurremment avec la définition de «installation» ou «silo» de l'article 2, ainsi libellée:
2. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.
«installation» ou «silo». Les installations suivantes, notamment celles qui appartiennent à Sa Majesté du chef du Canada ou d'une province ou à leur mandataire ou qui sont exploitées par l'un d'eux:
a) les installations situées dans la région de l'Ouest et, selon le cas:
(i) équipées pour la réception des grains ou pour leur chargement sur les navires et les wagons ou leur déchargement,
(ii) construites en vue de la manutention et du stockage des grains directement reçus des producteurs, à l'exclusion de celles destinées à l'exploitation agricole d'un producteur particulier, et équipées pour la réception, la pesée, le levage, le stockage et le déchargement des grains,
(iii) construites en vue de la manutention et du stockage de grain dans le cadre de l'exploitation d'une minoterie, d'une fabrique d'aliments pour les animaux, d'une station de nettoiement des semences, d'une malterie, d'une distille- rie, d'une usine d'extraction d'huile ou de toute autre usine
de transformation, et équipées pour la réception, la pesée, le levage et le stockage des grains ainsi que pour leur
déchargement en vue de la transformation notamment;
b) les installations situées dans la région de l'Est, sur les bords des lacs Supérieur, Huron, Sainte-Claire, Érié, Ontario ou des canaux et autres voies navigables reliant ces lacs, ou du fleuve St-Laurent ou des eaux de marées, et équipées pour recevoir des grains directement déchargés de wagons ou navires et pour leur chargement sur ces derniers;
e) la partie des établissements de la région de l'Est énumérés à l'annexe II qui sert au stockage des grains;
d) les installations situées dans la région de l'Est et construi- tes en vue de la manutention et du stockage des grains reçus directement des producteurs, à l'exception de celles destinées à l'exploitation agricole d'un producteur particulier, et équi- pées pour la réception, la pesée, le levage, le stockage et le déchargement des grains;
e) les installations situées dans la région de l'Est et construi- tes en vue de la manutention et du stockage des grains dans le cadre de l'exploitation d'une minoterie, d'une fabrique d'aliments pour les animaux, d'une station de nettoiement des semences, d'une malterie, d'une distillerie, d'une usine d'extraction d'huile ou de toute autre usine de transforma tion, et équipées pour la réception, la pesée, le levage, le stockage des grains
ainsi que pour leur déchargement en vue de la transformation notamment.
Les trois silos terminaux mentionnés par le Con- seil sont explicitement énumérés à l'annexe II de la Loi et sont par conséquent visés par la déclaration contenue au paragraphe 55(1) de même que par l'alinéa c) de la définition de «installation» ou «silo». Quant aux paragraphes 55(2) et (3), ainsi qu'aux alinéas d) et e) de la définition, lesquels viseraient sans nul doute tous les autres silos qu'ex- ploite Cargill dans l'Est du Canada, aucune pro clamation n'a encore fixé leur entrée en vigueur.
Cela m'amène aux paragraphes [2] et [3] de la décision le Conseil arrive à la conclusion que les quinze entrepôts d'aliments pour les animaux, les deux stations de nettoiement des semences, tout comme les trois fabriques d'aliments pour les ani- maux qu'exploite Cargill en Ontario sont visés par la déclaration contenue à l'article 76 de la Loi sur la Commission canadienne du blé:
76. Sans préjudice de la portée générale de toute déclaration faite dans le cadre de la Loi sur les grains du Canada et portant que des silos constituent des ouvrages à l'avantage général du Canada, les minoteries, les fabriques ou entrepôts d'aliments pour les animaux et les stations de nettoiement des semences, actuels—notamment ceux qui figurent à l'annexe—et futurs,
constituent collectivement et séparément des ouvrages à l'avan- tage général du Canada.
Je ne puis souscrire à l'argument selon lequel on ne saurait donner à cette déclaration son plein effet de sorte qu'elle vise les fabriques ou entrepôts d'aliments pour les animaux ainsi que les stations de nettoiement de semences situés dans l'Est du Canada. Toutefois, je suis également d'avis qu'on ne doit pas en étendre la portée au-delà de ce qui est énoncé. Une nette distinction est établie dans cet article entre les «silos» et les divers entrepôts et fabriques qui y sont visés, laquelle distinction fait écho à celle que comporte la définition, précitée, de «installation» ou «silo» à l'article 2 de la Loi sur les grains du Canada. Ces textes législatifs repro- duisent la réalité: en effet, il ressort clairement de la preuve 6 produite devant le Conseil que, dans chaque cas, les fabriques ou entrepôts d'aliments pour les animaux de même que les stations de nettoiement des semences appartenant à Cargill en Ontario ne constituent qu'un appoint à l'exploita- tion des silos locaux qui, en tant que tels, ne sont l'objet d'aucune déclaration fédérale et sont, dans les faits, régis et agréés par les autorités provincia- les de l'Ontario. Affirmer, comme le fait le Con- seil, que la déclaration de l'article 76 relative à ces exploitations accessoires
... établit que les autres aspects des exploitations de Cargill en Ontario ont également été déclarés à l'avantage général du Canada ... [C'est moi qui souligne.]
me semble être le monde à l'envers'.
6 Dossier, aux p. 56, 120, 135 et 136. Voir également le paragraphe 6, précité, de la décision de la Commission de l'Ontario, portant que les «services agricoles» fournis par la société, soit les fabriques et entrepôts «fédéraux» en cause en l'espèce, ne représentent que vingt pour cent de son activité globale.
7 Pour une situation semblable, voir R. v. Saskatchewan Wheat Pool (1978), 89 D.L.R. (3d) 755; 43 C.C.C. (2d) 119; [1978] 6 W.W.R. 27 (C.A. Sask.), l'on a jugé qu'un centre de services agricoles, dont l'exploitation était accessoire à celle d'un silo, était assujetti à la Occupational Health Act, une loi provinciale, même si le silo lui-même avait été déclaré être un ouvrage à l'avantage général du Canada. Or, si l'accessoire d'un ouvrage fédérale n'est pas lui-même fédéral, a fortiori une déclaration conférant un caractère fédérale à l'accessoire d'un ouvrage provincial ne vise pas ce dernier.
Quand il a reconnu la compétence provinciale sur certains silos appartenant à Cargill, le Conseil ne parlait vraisemblablement que des silos locaux (cinq sur vingt-cinq semble-t-il) ne possédant pas en annexe d'entrepôts ou de fabriques d'aliments pour les animaux ni de stations de nettoiement de semences. C'est, à l'évidence, ignorer le fait incon testable que les vingt autres installations, du moins en ce qui concerne l'exploitation des silos eux- mêmes, sont également assujetties à la réglementa- tion provinciale exclusive.
Ces remarques suffiraient à mettre sérieusement en doute la conclusion du Conseil portant que Cargill exploite une entreprise fédérale. Mais il y a plus. J'ai déjà 8 examiné la question de la distinc tion à établir, pour l'application du paragraphe 92(10) de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitu- tionnelle de 1982, 1)], entre un ouvrage et une entreprise, et il n'y a pas lieu d'en reprendre l'analyse. Dans cette affaire, la Cour était parta- gée sur la question de savoir si une entreprise, par ailleurs de nature provinciale, dont la seule raison d'être était l'exploitation d'un ouvrage fédéral, devenait par le fait même une entreprise fédérale. Or, les faits de l'espèce sont fort différents de ceux de l'affaire Central Western et militent encore davantage en faveur de la compétence provinciale exclusive en matière de relations du travail.
En effet, les activités de Cargill Grain Com pany, Limited sont loin de se limiter exclusivement à l'exploitation d'un ouvrage fédéral. Ainsi qu'il appert des documents soumis à l'attention du Con- seil, cette société agit à titre de commerçant en grains. Comme le souligne la Commission de l'On- tario au paragraphe [6], précité, de sa décision,
Quatre-vingt pour cent des activités de la région de l'Est consistent dans l'achat de grains et de produits céréaliers des producteurs de l'Ontario, ainsi que dans le stockage, l'entrepo- sage et la mise en marché de ce grain. Les autres vingt pour cent se résument à des services agricoles connexes.
Le Conseil a également reconnu ce fait en souli- gnant, au paragraphe [5] de sa décision,
8 Voir Central Western Railway Corp. c. T.U.T., [1989] 2 C.F. 186; (1988), 47 D.L.R. (4th) 161, (1988), 84 N.R. 321 (C.A.).
... que le bureau de Chatham s'occupe activement de commer cialisation, c'est-à-dire de l'achat, de la vente et du transport des grains 9 .
Ces arguments me semblent exclure de façon déterminante la compétence fédérale sur les rela tions du travail dans ce bureau. L'entreprise de Cargill n'est pas celle d'un exploitant de silos dont la totalité ou la quasi-totalité ont été déclarés être des ouvrages fédéraux, et qui s'engage accessoire- ment dans l'achat, la vente et le transport du grain. Il s'agit au contraire, ainsi qu'il appert de tous les documents produits en preuve, d'un commerçant en grains qui achète, vend et négocie le grain en Ontario et qui, accessoirement, exploite des silos destinés à la réception, au stockage et à la livraison des produits dont il fait le commerce. À mon avis, une telle entreprise est, par essence, entièrement provinciale, même si une partie de ses activités se rapporte au commerce international ou interpro- vincial et si ses installations matérielles compren- nent des ouvrages qui ont été déclarés être à l'avantage général du Canada.
Il s'ensuit, à mon avis, que la réponse du Conseil à la première question n'est pas fondée en raison de l'absence d'une «entreprise principale fédérale» susceptible de justifier la compétence fédérale dans le secteur provincial privilégié des relations du travail. Cela dit, la conclusion du Conseil quant au degré d'intégration fonctionnelle des diverses facettes des activités de Cargill—en réponse à la deuxième question—est tout simplement non pertinente.
J'en arrive à la conclusion que le Conseil n'était pas compétent pour rendre la décision dont l'annu- lation est demandée en l'espèce. Si j'éprouve cer- tains scrupules à l'idée de priver ainsi les employés en cause du syndicat qu'ils avaient choisi pour les représenter, mes regrets sont quelque peu atténués par le fait, auquel j'ai déjà fait allusion, que le
9 Le renvoi que fait plus loin le Conseil aux opérations de Cargill sur les marchés de grain à terme des bourses de Winnipeg et de Chicago, et à la Loi sur les marchés de grain à terme, L.R.C. (1985), chap. G-11, me laisse perplexe. On ne saurait ainsi sous-entendre que la participation au commerce international ou aux opérations d'une bourse assujettie à la réglementation fédérale fait du participant une entreprise fédé- rale. Soutenir une telle proposition reviendrait à revendiquer un accroissement impressionnant de la compétence fédérale dans le domaine des relations du travail.
syndicat a lui-même, dans sa requête concurrente à la Commission de l'Ontario, invité cette dernière à décliner sa compétence.
Je ferais droit à la demande fondée sur l'article 28 en l'espèce et j'annulerais la décision litigieuse au motif qu'elle a été rendue sans compétence.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A. (dissident): Par la présente demande fondée sur l'article 28, la requérante («Cargill Grain») attaque une ordon- nance qu'a rendue l'intimé, le Conseil des relations du travail du Canada (le «CCRT» ou le «Conseil») le 10 mars 1989, aux termes de l'article 24 du Code canadien du travail [L.R.C. (1985), chap. L-2] (le «Code»), laquelle ordonnance accréditait l'intimé, les Travailleurs unis de l'automobile, de l'aérospatiale et de l'outillage agricole d'Amérique (le «syndicat») à titre d'agent négociateur pour une unité comprenant tous les employés de bureau de Cargill Grain Company Limited travaillant à Cha- tham, en Ontario, à l'exclusion des adjoints aux marchands, de l'attaché de direction de la succur- sale, des employés occasionnels, des marchands de grains, des directeurs et de tous ceux occupant un échelon supérieur à ces deux derniers groupes.
Cargill Grain, qui se décrit comme un commer- çant en grains, est une filiale en propriété exclusive de la société Cargill Limited, dont le siège est situé à Winnipeg. C'est au printemps de 1988 que cette dernière a fait l'acquisition de la division céréalière de Maple Leaf Mills Ltd. et qu'elle a changé son nom pour celui de Cargill Grain Company Limi ted. Le bureau administratif de Cargill Grain est situé à Chatham, en Ontario.
Le réseau de silos et de fabriques de Cargill Grain en Ontario comprend trois silos terminaux ou de transbordement et vingt-cinq établissements à vocation plus locale, notamment des entrepôts et fabriques d'aliments pour les animaux, des stations de nettoiement des semences ainsi qu'une station d'ensachage. Cargill Grain possède également un bureau administratif à Chatham dont les employés font l'objet du présent litige. Les vingt-cinq «silos locaux», ainsi qu'on les désigne, sont regroupés en quinze centres de profit. Leur principale fonction
consiste à acheter des grains et des oléagineux aux producteurs de la région, à leur fournir les intrants nécessaires à la production des cultures céréalières et à en faire l'application sur demande. Ces éta- blissements font rapport au bureau de Chatham qui tient la majorité des éléments de la comptabi- lité relatifs à ces activités, savoir l'établissement des comptes clients, des comptes fournisseurs, du grand livre, des états financiers, des registres de stock de grains, etc. (Dossier, à la page 56.)
Les relations qu'entretient le bureau de Cha- tham avec les silos locaux sont décrites dans les deux extraits suivants du contre-interrogatoire de M. Stefan Gutierrez, directeur de la région de l'Est chez Cargill Grain:
[TRADUCTION]
Q. Et à partir de ces silos locaux, si je peux les appeler ainsi, qui sont administrés par le bureau de Chatham, à quel endroit le grain est-il expédié?
R. Ce grain est ... Je dirais, principalement, qu'il est expédié en entier dans les limites de la province d'Ontario.
Q. Où? Vers quelle destination?
R. Vers des fabriques d'aliments pour les animaux, des silos terminaux ou de transbordement...
Q. D'accord, ainsi ... vous, vous...
R. ... à des fins de commercialisation. [Dossier, à la page 101.]
Q. Vous dites qu'il y a 15 entrepôts ou à peu près, les aliments pour les animaux et les semences sont entreposés?
R. Le silo local, à titre d'exemple, je pourrais peut-être vous expliquer cela comme un ... il peut y avoir un entrepôt à fond plat adjacent au silo. Dans cet entrepôt, l'exploitant peut stocker les produits chimiques et les semences destinés au producteur local. Donc, il utilisera cet entrepôt pour garder son stock jusqu'à ce qu'il en ait besoin. Il n'y en a pas dans tous les établissements parce que cer- tains d'entre eux sont ...
Q. Quinze sur vingt-cinq, essentiellement, c'est ce que vous dites.
R. Euh, euh.
Q. D'accord. Pour ce qui est du travail effectué à Chatham relativement à l'entreposage, aux ventes d'ali- ments pour les animaux, de semences et de pro- duits chimiques, tout cela passe par Chatham?
R. Oui, de la façon indiquée ici, pour les comptes clients. [Dossier, à la page 120.]
Le syndicat a présenté concurremment deux demandes d'accréditation, l'une devant le CCRT et l'autre devant la Commission des relations du
travail de l'Ontario («CRTO»). Dans sa décision rendue le 22 décembre 1988, la CRTO a décliné sa compétence après être arrivée à la conclusion sui- vante (Dossier, à la page 55):
... Il ressort de la preuve produite en l'espèce que les établisse- ments de l'intimée comprennent des silos au sens du paragraphe 43(1) [maintenant le paragraphe 55(1)] de la Loi sur les grains du Canada, ainsi que des entrepôts et fabriques au sens de l'article 45 [maintenant l'article 76] de la LCCB. Ces installa tions ont été déclarées par le Parlement être des ouvrages à l'avantage général du Canada. Aussi sommes-nous venus à la conclusion que nous n'avons pas compétence pour statuer sur cette requête, laquelle est par les présentes rejetée.
Le CCRT a donc tenu une audience visant uniquement à déterminer s'il avait compétence, sur le plan constitutionnel, pour accréditer le syndicat. Le Conseil a fait connaître sa conclusion dans une décision-lettre datée du 28 mars 1989, dont voici les extraits pertinents:
[TRADUCTION] Le 4 novembre 1988, le requérant a déposé une demande d'accréditation devant le présent Conseil. Il y proposait une unité de négociation formée d'environ vingt-huit employés de bureau travaillant aux bureaux de Cargill à Cha- tham, en Ontario. Le Conseil doit répondre en l'espèce à deux questions: Premièrement, existe-t-il une entreprise fédérale? Deuxièmement, les activités de bureau de Chatham sont-elles intimement liées à cette entreprise fédérale? Le Conseil est d'avis qu'il est compétent pour accorder l'accréditation deman- dée parce qu'il est possible de répondre par l'affirmative à ces deux questions.
D'après la preuve qui lui a été soumise, le Conseil est convaincu qu'il existe en l'espèce une entreprise fédérale. Certes, ce ne sont pas tous les silos «locaux» de l'exploitation de Cargill qui ont été déclarés à l'avantage général du Canada. Mais il n'en reste pas moins que plusieurs l'ont été expressé- ment aux termes de la Loi sur les grains du Canada, L.R.C. (1985), chap. G-10. Ainsi les établissements suivants, propriété de Cargill, sont énumérés à l'annexe II de cette loi comme constituant des ouvrages à l'avantage général du Canada: Mid land Simcoe Elevator Co. Limited, à Midland (Ontario), Marathon Realty Company Limited, à Port McNicoll et Maple Leaf Mills Ltd., à Sarnia.
De plus, selon le témoignage du directeur de Cargill pour la région de l'Est, M. S. Guthierrez, cette société possède quinze entrepôts d'aliments pour les animaux en Ontario. Cargill exploite également des stations de nettoiement des semences, entre autres à Princeton et à Wallaceburg, ainsi que quelques petites fabriques d'aliments pour les animaux, notamment à Ayr, Ridgetown et Nelles Corners, en Ontario. Elle possède enfin des stations d'ensachage, comme à Tillbury, également en Ontario.
À la lumière de ces faits, nous sommes disposés à conclure que Cargill exploite une entreprise fédérale, non seulement parce que certains de ses silos ont été déclarés être des ouvrages à l'avantage général du Canada, mais aussi parce que l'article 76 de la Loi sur la Commission canadienne du blé, L.R.C.
(1985), chap. C-24, établit que les autres aspects des exploita- tions de Cargill en Ontario ont également été déclarés à l'avantage général du Canada. Tout en reconnaissant ne pas avoir compétence à l'égard de tous les silos de Cargill, nous devons conclure que l'exploitation de l'employeur constitue essentiellement une entreprise fédérale.
Le Conseil est également d'avis que les activités du bureau de Chatham sont intimement liées à l'entreprise principale à caractère fédéral. Le bureau de Chatham administre les fabri- ques d'aliments pour les animaux mentionnées ci-dessus, de même que tous les silos locaux que possède Cargill, bien que certains d'entre eux ressortissent à la compétence provinciale. Ces exceptions ne changent rien, cependant, à l'importance que revêt le bureau de Chatham pour les exploitations de Cargill dans l'Est du Canada. Ce bureau s'occupe également de la comptabilité, de la mise en marché du grain, de la collecte de statistiques et de la coordination des activités se déroulant dans plusieurs établissements de l'Est du pays, tels la station de nettoiement des semences de Wallaceburg.
Il importe également de souligner que le bureau de Chatham s'occupe activement de commercialisation, c'est-à-dire de l'achat, de la vente et du transport des grains. Une partie de cette activité se rapporte aux marchés de grain à terme des Bourses des grains de Winnipeg et de Chicago. La Bourse des grains de Winnipeg est régie par la Loi sur les marchés de grain à terme, L.R.C. (1985), chap. G-11. C'est par l'entremise du bureau de Chatham que les courtiers de l'Est du Canada négocient sur ces bourses.
Compte tenu de tous ces facteurs, le Conseil estime que le bureau de Chatham est intimement lié à l'entreprise fédérale. En conséquence, le Conseil a compétence pour connaître de la présente requête en accréditation.
Les questions juridiques en litige dans la pré- sente espèce mettent principalement en cause le pouvoir déclaratoire du Parlement, soit le pouvoir qui lui est conféré, aux termes de l'alinéa 92(10)c) de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1) [L.R.C. (1985), Appendice II, 5]] de déclarer qu'un ouvrage est à l'avantage général du Canada. Cette disposition est ainsi formulée:
92. Dans chaque province la législature pourra exclusive- ment faire des lois relatives aux matières tombant dans les catégories de sujets ci-dessous énumérés, à savoir:
10. les travaux et entreprises d'une nature locale, autres que ceux énumérés dans les catégories suivantes:
c) les travaux qui, bien qu'entièrement situés dans la pro vince, seront avant ou après leur exécution déclarés par le Parlement du Canada être pour l'avantage général du Canada, ou pour l'avantage de deux ou d'un plus grand nombre des provinces.
Deux grandes lois d'intérêt général régissent l'industrie du grain au Canada, chacune d'elles recourant au pouvoir déclaratoire fédéral. La Loi sur les grains du Canada, L.R.C. (1985), chap. G-10, constitue la Commission canadienne des grains (article 3) dont la mission est de «fixer et de faire respecter ... des normes de qualité pour le grain canadien et de régir la manutention des grains au pays, afin d'en assurer la fiabilité sur les marchés intérieur et extérieur» (article 13). Quant à la Loi sur la Commission canadienne du blé, L.R.C. (1985), chap. C-24, elle établit la Commis sion canadienne du blé qui «a pour mission d'orga- niser, dans le cadre du marché interprovincial et de l'exportation, la commercialisation du grain cultivé au Canada» (article 5). Parmi les pouvoirs qui lui sont conférés figurent ceux d'acheter, de vendre et de transporter des grains, ainsi que celui d'exploi- ter des silos (article 6).
La Loi sur les grains du Canada divise le pays en deux régions, celle de l'Est et celle de l'Ouest, séparées par le méridien qui coupe la limite est de Thunder Bay. L'article 2 de la Loi définit le terme «installation» ou «silo» comme désignant, notam- ment, «la partie des établissements de la région de l'Est énumérés à l'annexe II qui sert au stockage des grains». Parmi les établissements nommément désignés à cette annexe figurent ceux de Midland Simcoe Elevator Co. Ltd., à Midland, de Mara thon Realty Company Limited à Port McNicoll et de Maple Leaf Mills Ltd. à Sarnia, tous situés en Ontario. Il s'agit des trois silos de transbordement qui appartiennent maintenant à Cargill Grain et dont les parties admettent qu'ils relèvent en consé- quence de la compétence fédérale en vertu de l'alinéa 92(10)c).
C'est la seule déclaration applicable en l'espèce que l'on retrouve dans la Loi sur les grains du Canada puisque les dispositions pertinentes de l'ar- ticle 55 ne sont pas encore en vigueur. Cet article dispose:
55. (1) Toutes les installations du Canada, actuelles et futu res, à l'exception de celles visées aux paragraphes (2) ou (3), constituent, collectivement et séparément, des ouvrages à l'avantage général du Canada.
(2) Les installations actuelles et futures de la région de l'Est, décrites à l'alinéa d) de la définition de «installation» à l'article 2, constituent, collectivement et séparément, des ouvrages à l'avantage général du Canada.
(3) Les installations actuelles et futures de la région de l'Est, décrites à l'alinéa e) de la définition de «installation» à l'article
2, constituent, collectivement et séparément,. des ouvrages à l'avantage général du Canada.
Les termes généraux de cet article sont assuré- ment assez larges pour viser les exploitations de Cargill Grain, lesquelles sont toutes situées dans la région de l'Est, mais le paragraphe 121(1) porte que les paragraphes 55(2) et (3) n'entrent en vigueur qu'à la date fixée par proclamation. Or, aucune proclamation n'a à ce jour été prise aux termes de l'article 121.
Il convient donc de se reporter à la Loi sur la Commission canadienne du blé l'on retrouve, à l'article 76, une déclaration d'intérêt national ainsi libellée:
76. Sans préjudice de la portée générale de toute déclaration faite dans le cadre de la Loi sur les grains du Canada et portant que des silos constituent des ouvrages à l'avantage général du Canada, les minoteries, les fabriques ou entrepôts d'aliments pour les animaux et les stations de nettoiement des semences, actuels—notamment ceux qui figurent à l'annexe— et futurs, constituent collectivement et séparément des ouvrages à l'avantage général du Canada.
C'est sur cette déclaration que s'est appuyé le Conseil pour conclure que la plupart des silos appartenant à Cargill en Ontario ont été déclarés être à l'avantage général du Canada. À première vue, il est clair que «les minoteries, les fabriques ou entrepôts d'aliments pour les animaux et les sta tions de nettoiement des semences» situés en Onta- rio seraient visés en totalité.
La requérante allègue que l'article 76 doit rece- voir une interprétation restrictive de sorte que les silos «locaux» n'y soient pas visés, et ce pour deux motifs. D'abord, la Loi sur les grains du Canada et la Loi sur la Commission canadienne du blé sont in pari materia et aux termes de la première, il n'y a pas eu exercice de compétence à l'égard des silos locaux de la région de l'Est. Ensuite, l'appli- cation de la Loi sur la Commission canadienne du blé est territorialement restreinte en raison de la définition de «région désignée» à l'article 2, ainsi conçue:
2. (1) Les définitions qui suivent s'applique à la présente loi:
«région désignée» La région formée des provinces du Manitoba, de la Saskatchewan et d'Alberta, des parties de la province de la Colombie-Britannique connues sous les noms de district de Peace River et de régions Creston-Wynndel, ainsi que des régions éventuellement incluses dans cette région en applica tion du paragraphe (3).
Les paragraphes (2) et (3) de l'article 2 sont également invoqués:
2....
(2) Sauf disposition contraire, les termes de la présente loi s'entendent au sens de la Loi sur les grains du Canada ..
(3) La Commission peut, par ordonnance, inclure dans la région désignée des parties de la province de la Colombie-Bri- tannique—à l'exception du district de Peace River et des régions Creston-Wynndel—et des parties de la province d'On- tario comprises dans la région de l'Ouest.
Pour ce qui est du premier argument, soulignons que la division territoriale n'est pas la même aux termes des deux lois. Même en tenant compte des pouvoirs additionnels de désignation conférés à la Commission canadienne du blé par le paragraphe 2(3) de sa loi constitutive, la «région désignée» aux termes de celle-ci ne saurait constituer l'équivalent de la région de l'Ouest visée à la Loi sur les grains du Canada, étant donné que certaines parties de la Colombie-Britannique sont exclues du territoire pouvant ainsi faire l'objet d'une désignation.
La portée de l'article 76 a été examinée dans plusieurs arrêts. Dans l'affaire Camirand c. R., [1976] C.S. 1294, le juge Mignault de la Cour supérieure du Québec a estimé que les mots «sans restreindre la généralité de ce qui précède» signi- fiaient simplement que l'énumération en annexe de moulins et entrepôts de la région désignée n'avait pas pour effet d'exclure les autres moulins et entrepôts de la même région. Il a conclu que la déclaration ne visait par conséquent que les mou- lins et entrepôts dans les quatre provinces de l'Ouest.
Cette décision a été suivie par le juge Brière dans l'affaire Antoine Guertin Ltée 1, non publiée, Tribunal du travail (Qué.), 500-28-000502-831. Cependant, dans la décision Cie du trust national Ltée c. Burns, [1985] C.S. 1286 10 , le juge Mailhot (aujourd'hui juge à la Cour d'appel du Québec) a refusé de suivre la décision Camirand. En arrivant à la conclusion opposée, le juge Mailhot semble avoir été particulièrement frappée par le fait que
10 Un appel est pendant depuis 1985 devant la Cour d'appel du Québec, mais il n'a pas encore été entendu. Cependant, dans une espèce connexe, cette Cour a indirectement confirmé, pour d'autres motifs, l'arrêt des juges Bisson, Chouinard et Mailhot: voir Raymond, Chabot, Martin, Paré et associés c. Association des employés de G.D.I. Inc., jugement rendu le 9 juin 1989 (no 200-09-000461-852).
les deux lois ont été modifiées le même jour, soit le 30 juin 1950, afin que soit étendue la portée de leur disposition déclaratoire: la déclaration de la Loi sur la Commission canadienne du blé, 1935 [S.C. 1935, chap. 53, art. 39 (mod. par S.C. 1947, chap. 15; 1950, chap. 31, art. 8)] est devenue identique au présent article 76 et celle de la Loi sur les grains du Canada [S.R.C. 1927, chap. 86, art. 173 (mod. par S.C. 1950, chap. 24, art. 10)] était ainsi libellée:
173. Tous les élévateurs au Canada, jusqu'ici ou dorénavant construits, sont par les présentes déclarés des ouvrages à l'avan- tage général du Canada.
Les élévateurs étaient par ailleurs définis comme «les immeubles dans lesquels le grain de l'Ouest peut être reçu ou hors desquels il peut être déchargé directement des wagons de chemin de fer ou des navires.» (S.R.C. 1952, chap. 25, art. 2). Puis en 1971, la Loi sur les grains du Canada a été remplacée et un pouvoir déclaratoire a été conféré (S.C. 1970-71-72, chap. 7, art. 43) dans les termes utilisés présentement à l'article 55 et comportant une limitation régionale par rapport à la déclaration générale contenue au paragraphe (1), tandis que la déclaration contenue dans la Loi sur la Commission canadienne du blé demeurait inchangée. En somme entre 1950 et 1971, la Loi sur les grains du Canada s'appliquait à l'ensemble du pays, tout comme la Loi sur la Commission canadienne du blé. Par la suite, la Loi sur les grains du Canada a été modifiée de façon à viser tous les silos de la région de l'Ouest, quelques-uns de la région des Grands Lacs et les silos de l'Est énumérés à l'annexe II. La Loi sur la Commission canadienne du blé n'ayant pas été ainsi modifiée, il faut présumer que le Parlement entendait mainte- nir la large portée de la déclaration antérieure.
Le juge Mailhot a également souligné que la notion de «région désignée» dans la Loi sur la Commission canadienne du blé devait manifeste- ment viser les parties de la Loi il y est fait renvoi: l'article 23 pour la partie II, «Contrôle des élévateurs et des chemins de fer» et l'article 32 pour la partie III, «Organisation du marché inter- provincial et extérieur du blé pour la Commission». Quant à l'article 76 que l'on retrouve à la partie
VII, «Dispositions générales», il ne saurait avoir une portée territoriale limitée".
L'article 76 a également été examiné par la présente Cour dans C.S.P. Foods Ltd. c. Conseil canadien des relations du travail, [1979] 2 C.F. 23; 25 N.R. 91 (C.A.), le juge Heald se pro- nonce ainsi la page 29 C.F.) au nom de la Cour:
Un coup d'oeil à l'article déclaratoire de la Loi sur la Commis sion canadienne du blé ... suffit pour se rendre compte qu'il étend la déclaration de la Loi sur les grains du Canada à tous moulins à farine, moulins à provendes, entrepôts à provendes et moulins de nettoyage des semences ...» [c'est moi qui souligne] qui sont déclarés «à l'avantage général du Canada ...D.
Interprété littéralement, ce passage est suffisam- ment large pour résoudre la question en litige dans la présent espèce. Toutefois, il subsiste peut-être un doute dans la mesure les ouvrages ou entre- prises en cause dans cette affaire étaient, de fait, situés dans les limites de la «région désignée» de l'Ouest du Canada.
Néanmoins, la conclusion qui s'impose, à mon sens, est la suivante: aucun des moyens invoqués ne permet de restreindre la portée générale des termes employés à l'article 76. En fait, les motifs contrai- res examinés par le juge Mailhot m'amènent éga- lement à souscrire à sa conclusion, à savoir que la déclaration contenue à l'article 76 de la Loi sur la Commission canadienne du blé doit être interpré- tée comme visant, dans leur totalité, «les minote- ries, les fabriques ou entrepôts d'aliments pour les animaux et les stations de nettoiement des semen- ces» situés au Canada.
Ce point étant tranché, restent les conclusions de fait du Conseil qui, en tant que telles, ne sont pas susceptibles de révision par cette Cour en vertu de l'article 22 du Code, lequel limite le contrôle judiciaire aux circonstances prévues à l'alinéa 28(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale. Le Conseil précise que, sur les 25 «silos locaux» en cause, au moins 21 ou bien sont des ouvrages fédéraux, ou sont intégrés à des ouvrages fédéraux en vertu de l'article 76 de la Loi sur la Commission cana-
" La pertinence de cet argument a également été mise en relief dans l'arrêt W.G. Thompson & Sons Limited; Re U.F.C.W.; Re Group of Employees, [1987] OLRB Pub., mai, 787, la p. 790, la principale décision de la CRTO dans ce domaine.
dienne du blé: il s'agit de 15 entrepôts d'aliments pour les animaux, deux stations de nettoiement des semences, deux fabriques d'aliments pour les animaux 12 et une station d'ensachage. En outre, les trois silos de transbordement sont explicitement déclarés être des ouvrages fédéraux aux termes de la Loi sur les grains du Canada. Se fondant sur ces faits, le Conseil conclut que «l'exploitation de l'employeur constitue essentiellement une entre- prise fédérale» et que «les activités du bureau de Chatham sont intimement liées à l'entreprise prin- cipale à caractère fédéral», d'autant plus que cer- taines des fonctions remplies dans ce bureau se rattachent aux activités générales qu'exerce Car- gill Grain dans l'Est du Canada en tant qu'entre- prise fédérale.
Les motifs pouvant justifier la révision par cette Cour sont l'erreur de compétence ou l'erreur de droit manifestement déraisonnable: Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Conseil canadien des relations du travail, [1984] 2 R.C.S. 412; 14 D.L.R. (4th) 457; (1984), 55 N.R. 321; 14 Admin. L.R. 72; 84 C.L.L.C. 14,069. La question en litige dans la présente espèce se rapportant à la compétence du Conseil, sur le plan constitutionnel, on peut présumer que, si erreur il y avait, ce serait une erreur juridiction- nelle. Quoi qu'il en soit, le Parlement ne peut exclure le pouvoir de surveillance d'une cour supé- rieure, même par une clause privative: Conseil canadien des relations du travail et autre c. Paul L'Anglais Inc. et autre, [1983] 1 R.C.S. 147; 146 D.L.R. (3d) 202; (1983) 47 N.R. 351.
Bien que ni le requérant ni le Conseil n'ait soulevé la question, il serait possible d'invoquer l'argument de l'erreur de compétence en se fon dant sur le jugement dissident de cette Cour dans Central Western Railway Corp. c. T.U.T., [1989] 2 C.F. 186; (1988), 47 D.L.R. (4th) 161; (1988), 84 N.R. 321 (C.A.). Dans cette affaire, il s'agis- sait de savoir à qui reconnaître la compétence constitutionnelle sur les relations du travail dans le cas de la société Central Western Railway Corpo ration, laquelle exploitait une voie ferrée longue de 105 milles appelée Stettler Subdivision dans les
12 Le Conseil semble avoir inclus par erreur la fabrique d'aliments pour les animaux d'Ayr: il appert en effet que cette fabrique est directement exploitée par la société mère et non par Cargill Grain elle-même (Dossier, à la p. 102).
limites de la province d'Alberta. La Cour a unani- mement conclu que ce tronçon avait été déclaré être un ouvrage fédéral en vertu de l'alinéa 92(10)c) de la Loi constitutionnelle de 1867. Tou- tefois, s'appuyant sur le principe selon lequel les relations du travail relèvent principalement de la compétence provinciale et que la compétence fédé- rale constitue l'exception, le juge Hugessen, J.C.A., s'est quant à lui exprimé en ces termes (aux pages 214 et 217 C.F.):
Cette conclusion ne résout toutefois pas la question en litige. Il n'existe, à ma connaissance, aucun arrêt décidant que les relations de travail sont assujetties à la compétence fédérale pour le simple motif que le travail concerné est exécuté sur ou en liaison avec un ouvrage fédéral. Cela n'est pas étonnant. Les ouvrages, étant des choses matérielles, n'ont pas de relations de travail; ce sont les entreprises qui en ont.
L'entreprise et l'affaire de la Central Western ont un carac- tère provincial et local. Sa voie ferrée ainsi que son droit de passage sont assujettis à la compétence fédérale en vertu d'une déclaration faite sous le régime de l'alinéa 92(10)c). La compé- tence fédérale s'étend à l'usage qui est fait de cette voie ferrée mais la réglementation des relations de travail de l'utilisateur ne fait pas intégralement partie de cette compétence. Le con- trôle effectif de cet ouvrage n'exige pas le contrôle de l'entre- prise. En conséquence, le Conseil canadien des relations du travail n'avait pas la compétence voulue pour rendre la décision faisant l'objet du présent examen.
Cependant, la décision qu'a rendue la majorité dans cette affaire fait aujourd'hui autorité et elle appuie le point de vue opposé. Voici ce que dit le juge Marceau, J.C.A. (aux pages 204 et 205 C.F.):
J'estime toutefois qu'il faut ici faire une distinction fondamen- tale entre, d'une part, une entreprise qui est seulement appelée à participer à la construction, à la réparation ou à l'entretien d'un ouvrage fédéral, ou qui se trouve utiliser un tel ouvrage dans l'exercice de ses activités et, d'autre part, une entreprise ayant pour seule raison d'être d'exploiter de façon continue cet ouvrage fédéral, de mettre en valeur sa capacité de production, de lui faire produire, pour ainsi dire, le [TRADUCTION] «béné- fice national général» qui en est attendu. Il me semblerait normal, en raison de la dimension nationale de cette dernière entreprise, que le caractère fédéral de l'ouvrage en question entraîne la compétence fédérale sur tous les aspects essentiels de son exploitation. Tel est, quoi qu'il en soit, le point de vue qu'a adopté le Parlement lorsqu'il a édicté l'article 108 du Code canadien du travail, qui porte:
108. La présente Partie s'applique aux employés dans le cadre d'une entreprise fédérale, aux patrons de ces employés dans leurs rapports avec ces derniers, ainsi qu'aux organisations patronales groupant ces patrons et aux syndicats groupant ces employés. (J'ai souligné les mots qui me semblent appuyer ma proposition le plus significativement.)
L'article 108 [Code canadien du travail, S.R.C. 1970, chap. L-1 (mod. par S.C., 1972, chap. 18, art. 1)] [maintenant l'article 4] du Code [L.R.C. (1985), chap. L-2] est bien sûr également en cause dans la présente espèce.
Le juge Lacombe, J.C.A., a retenu la même solution (aux pages 227 et 228 C.F.):
Suivant l'état actuel du droit, il ne peut exister une dichoto- mie ouvrage-entreprise selon laquelle une société de chemin de fer exerçant ses activités locales sur une ligne fédérale verrait les relations de travail de son entreprise assujetties à la compé- tence provinciale et tous les autres aspects de l'utilisation de cette ligne en tant qu'ouvrage fédéral, tels la signalisation et la sécurité, régis par l'autorité fédérale. La réglementation des conditions d'emploi des employés de Central Western constitue une partie intégrante de la compétence fédérale principale sur une matière s'inscrivant dans la catégorie de travaux mention- née à l'alinéa 92(10)c) de la Loi constitutionnelle de 1867, et elle est directement reliée à l'utilisation quotidienne d'un ouvrage fédéral. Il doit être souligné que le Parlement du Canada détient en vertu du paragraphe 91(29) le pouvoir exclusif de légiférer au sujet de toutes les matières entrant dans les catégories de sujets expressément exceptées au paragraphe 92(10) de la Loi constitutionnelle de 1867.
À moins que et jusqu'à ce que la déclaration du Parlement devienne inopérante à l'égard de la subdivision Stettler, l'ou- vrage et l'entreprise de Central Western sont tous deux assujet- tis à la compétence fédérale. Il serait curieux, par exemple, que la Commission canadienne des transports ait compétence à l'égard des voies de Central Western sur lesquelles est exploitée son entreprise de chemin de fer, alors que le Conseil canadien des relations du travail serait sans compétence à l'égard des employés de cette société, qui lui permettent d'exercer ses activités sur cet ouvrage et relativement à cet ouvrage déclaré fédéral. En vertu d'une exception à la règle générale selon laquelle les relations de travail ressortissent à la compétence provinciale, la compétence fédérale sur les relations de travail de Central Western constitue un élément essentiel de l'autorité exclusive du Parlement d'adopter des lois relativement à un ouvrage qu'il a déclaré être à l'avantage général du Canada.
Il me semble que la différence fondamentale entre les points de vue de la majorité et de la minorité dans cette affaire se ramène à une diver gence sur la portée qu'il convient de donner à la «prépondérance» provinciale en matière de rela tions du travail. Cette «prépondérance» n'est pas contestée en soi, mais à mon sens les juges formant la majorité dans l'arrêt Central Western considè- rent que l'exercice du pouvoir déclaratoire fédéral, interprété raisonnablement, a pour effet de confé- rer priorité à la compétence fédérale. Je ne vois rien qui puisse aller à l'encontre de cette analyse dans les arrêts récents, tels Construction Mont- calm Inc. c. Commission du salaire minimum, [1979] 1 R.C.S. 754; (1978), 93 D.L.R. (3d) 641;
(1978), 25 N.R. 1; 79 C.C.L.C. 14,190; et Nor thern Telecom Ltd. c. Travailleurs en communi- cationdu Canada, [1980] 1 R.C.S. 115; (1979), 98 D.L.R. (3d) 1; (1979), 28 N.R. 107; 79 C.C.L.C. 14,211; (Northern Telecom No. 1). De plus, comme l'a souligné le juge Lacombe, J.C.A., le pouvoir fédéral exclusif de légiférer semble découler clairement du paragraphe 91(29) de la Loi constitutionnelle de 1867. C'est d'ailleurs ce que lord Porter a dit explicitement dans l'arrêt Attorney -General for Ontario v. Israel Winner, [1954] A.C. 521, la page 568; [1954] 4 D.L.R. 657 (C.P.), à la page 666; 756 (C.A. Sask.) lors- qu'il a déclaré que le Parlement exerce en vertu du paragraphe 92(10) la même compétence que si les [TRADUCTION] «exceptions étaient comprises dans les catégories de sujets qui lui sont réservées en vertu de l'article 91». Pour reprendre les mots du juge Dickson (aujourd'hui juge en chef) dans Nor thern Telecom No. I à la page 132 R.C.S.:
... La compétence principale du fédéral sur un sujet donné peut empêcher l'application des lois provinciales relatives aux relations de travail et aux conditions de travail, mais unique- ment s'il est démontré que la compétence du fédéral sur ces matières fait intégralement partie de cette compétence fédérale.
C'est sur ce fondement que repose l'article 4 du Code.
À mon avis donc, l'arrêt Central Western con- firme la proposition portant qu'une entreprise fondée sur un ouvrage fédéral et les relations du travail de cette entreprise sont, pour l'attribution de la compétence, partie intégrante de l'ouvrage fédéral lui-même.
Plusieurs constitutionnalistes réputés partagent ce point de vue. Ainsi le professeur Bora Laskin (tel était alors son titre) s'est exprimé ainsi dans son ouvrage Canadian Constitutional Law, 3 e éd., 1966, la page 506; 5e éd. par Neil Finkelstein, Toronto: Carswell, 1986, aux pages 628 et 629:
[TRADUCTION] S'il y a une conclusion à tirer des mesures qui ont été prises en vertu de l'al. 92(10)c) et des commentaires faits sur cette disposition, c'est assurément que la déclaration d'un «ouvrage» à l'avantage général du Canada a pour effet de faire passer sous compétence fédérale non seulement l'enve- loppe matérielle de cet ouvrage, ou ses installations, mais aussi les activités intégrées qui s'y exercent; en d'autres termes, la déclaration se rapporte à la fonction de l'ouvrage: (voir The Queen v. Thumlert [(1959), 28 W.W.R. 481 (C.A. Alb.)]. [C'est moi qui souligne.]
Dans son traité Constitutional Law of Canada, 2e éd., Toronto: Carswell, 1985, le professeur Peter
W. Hogg, après avoir repris cet énoncé du profes- seur Laskin, ajoute ce qui suit à la page 492:
[TRADUCTION] La justesse de cet énoncé est démontrée dans les cas la déclaration a été suivie par l'affirmation d'un pouvoir de réglementer l'activité liée à l'ouvrage. Les exemples les plus patents sont peut-être les déclarations portant que les silos et les divers types de fabriques et d'entrepôts à grains au pays sont des ouvrages à l'avantage général du Canada. L'adoption de ces déclarations visait à établir la compétence réglementaire du Parlement fédéral sur le commerce du grain, compétence qui lui avait été déniée par l'arrêt The King v. Eastern Terminal Elevator Co. (1925), ([1925] R.C.S. 434.) On a statué que ces déclarations conféraient la compétence fédérale voulue pour régir la livraison, la réception, le stockage et la transformation du grain, soit les activités exercées sur les «ouvrages* ou relativement à ceux-ci (Jorgensen c. Procureur général du Canada, [1971] R.C.S. 725; Chamney c. La Reine, [1975] 2 R.C.S 151.)
Bien- qu'aucun des arrêts cités par ces deux auteurs ne porte exactement sur cette même ques tion, leurs conclusions sont, à mon avis, conformes à la tendance de la jurisprudence. Même si je n'étais pas lié par l'opinion de la majorité dans l'arrêt Central Western, je n'aurais donc aucune hésitation à y souscrire".
Bien entendu, les entreprises qui sont indépen- dantes et détachables d'un ouvrage fédéral ne sont pas nécessairement assujetties à la compétence fédérale. Ainsi, on a jugé que des centres de services agricoles, rattachés à des silos constituant des ouvrages fédéraux ne faisaient pas partie inté- grante de l'exploitation de ces silos et n'étaient pas nécessairement accessoires au fonctionnement du réseau de silos: R. v. Saskatchewan Wheat Pool (1978), 89 D.L.R. (3d) 756; 43 C.C.C. (2d) 119;
13 Le problème de la portée de l'alinéa 92(10)c) est examiné en profondeur, sans qu'il soit résolu, par Phineas Schwartz, «Fiat by Declaration - S. 92(10)c) of the British North Ame- rica Act (1960), 2 O.H.L.J. 1. Andrée Lajoie, dans Le pouvoir déclaratoire du Parlement, Montréal: Les Presses de l'Univer- sité de Montréal, 1969, interprète largement le pouvoir déclara- toire fédéral. I. H. Fraser, dans «Some Comments on Subsec tion 92(10) of the Constitution Act, 1867» (1984), 29 R. de D. McGill 557, apporte des éclaircissements sans non plus résou- dre le problème. A mon avis, c'est avec raison qu'il affirme, à la p. 587, que [TRADUCTION] «la compétence à l'égard d'un ouvrage comprend nécessairement un élément de contrôle sur les usages qui en sont faits, quels qu'ils soient; mais cette compétence ne fait que s'étendre à ces usages, elle n'en découle pas*, et la p. 606), que [TRADUCTION] «les tribunaux ont à bon droit refusé d'accepter qu'il ne doit y avoir qu'une entre- prise pour la simple raison qu'il n'y a qu'un entrepreneur*. Naturellement, s'il y a plus d'une entreprise, comme c'est le cas en l'espèce, il convient de se poser la question accessoire que je m'apprête à soulever.
[1978] 6 W.W.R. 27 (C.A. Sask.). En l'espèce, le Conseil devait statuer sur la question de la compé- tence en matière de relations du travail, non pas à l'égard de la totalité des employés des deux entre- prises, mais uniquement à l'égard des employés de bureau de Chatham. L'intégration dont il est ques tion ici vise donc celle qui existe entre ces travail- leurs et l'entreprise fédérale fondée sur les ouvra- ges fédéraux.
Cette question de l'intégration est en réalité une question secondaire qui se pose dans le cas d'entre- prises affiliées. Dans ce contexte et puisque la question doit être posée en l'espèce, l'élément clé est toujours celui de la qualité de l'intégration d'une filiale dans l'entreprise principale de nature fédérale. Ainsi que cette Cour l'a dit dans Code canadien du travail (Re) (1986), [1987] 2 C.F. 30, aux pages 48 et 49; 34 D.L.R. (4th) 228; (1986), 72 N.R. 348; 87 C.L.L.C. 14,017 (C.A.):
[L]e facteur le plus important lorsque, dans des affaires de ce type, il s'agit de trancher la question de la compétence constitu- tionnelle, est celui des «relations d'ensemble» existant entre l'exploitation de la filiale et l'entreprise principale de nature fédérale. Les faits se rapportant à cette relation devraient être examinés en mettant l'accent sur leur aspect fonctionnel et pratique. Pour que la compétence fédérale soit établie (1) leur exploitation doit présenter un haut niveau d'intégration et (2) cette intégration doit avoir un caractère continu.
En l'espèce, il ne fait absolument aucun doute que la relation existant entre les deux entreprises a un caractère continu. La requérante n'a pas non plus allégué l'absence d'un haut niveau d'intégra- tion dans leur fonctionnement. Au contraire, elle a admis au paragraphe 30 de son exposé des faits et du droit que:
[TRADUCTION] 30. L'administration, la comptabilité, l'enre- gistrement du mouvement des grains et les opérations connexes sont des fonctions accomplies ... principalement par le person nel administratif de Chatham, en Ontario, dans le cadre de l'administration du réseau de silos locaux. [C'est moi qui souligne.]
Il en découle qu'il s'agit d'un système entièrement intégré, savoir la conclusion même à laquelle en était arrivé le Conseil.
Dans les faits, la preuve de la requérante repo- sait sur la proposition que les «silos locaux» ne constituaient pas des ouvrages à l'avantage général du Canada. Cette question étant tranchée au détri- ment de la requérante et vu qu'il est établi, suivant l'arrêt Central Western, que l'entreprise fondée sur un ouvrage fédéral est elle-même de compétence
fédérale, il n'y a aucun motif permettant à cette Cour de conclure, selon la preuve produite et l'argumentation présentée en l'espèce, que le Con- seil a commis une erreur juridictionnelle en jugeant qu'il y avait un haut niveau d'intégration dans l'exploitation. C'est en s'appuyant sur les faits que le Conseil a conclu qu'il y avait une entreprise fédérale principale et que les activités de bureau en litige y étaient intimement liées. À mon avis, cette Cour ne saurait dire que cette conclu sion de fait laquelle sont arrivés les deux tribu- naux en cause) était erronée.
Soulignons que dans l'arrêt Saskatchewan Wheat Pool, la Cour d'appel de la Saskatchewan n'est pas intervenue dans les conclusions d'un tri bunal administratif, mais a simplement confirmé une déclaration de culpabilité aux termes de la réglementation provinciale. En l'espèce, il me semble n'y avoir aucun fondement factuel permet- tant à cette Cour d'infirmer la décision du Conseil.
Compte tenu de ma décision sur ce point, il n'y a pas lieu que j'examine les autres moyens qu'a invoqués le syndicat à l'appui de la décision du Conseil.
En conséquence, la demande fondée sur l'article 28 doit être rejetée.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendu par
LE JUGE DESJARDINS, J.C.A.: J'ai eu le privi- lège de lire les projets de motifs de mes collègues les juges Hugessen et MacGuigan, J.C.A. Je sous- cris aux motifs du juge Hugessen, J.C.A.
L'article 55 de la Loi sur les grains du Canada, L.R.C. (1985), chap. G-10, ainsi que l'article 76 de la Loi sur la Commission canadienne du blé, L.R.C. (1985), chap. C-24, visent strictement les «ouvrages» qui y sont mentionnés. Le Parlement n'a pas tenté, dans ces lois, de faire tomber sous le coup des déclarations les entreprises reliées à ces ouvrages, bien que l'alinéa 2h) du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), chap. L-2, laisse croire à cette possibilité. Pourtant, à l'alinéa 92(10)c) de
la Loi constitutionnelle de 1867, il n'est question que de «travaux» et non d'«entreprises» 14 .
Par ailleurs, l'état du droit ne permet pas à mon avis de soutenir qu'une fois qu'un «ouvrage» a fait l'objet d'une déclaration, l'entreprise passe sous compétence fédérale. Le principe qui a été établi dans l'arrêt Chamney c. La Reine, [1975] 2 R.C.S. 151, la page 157; (1973) 40 D.L.R. (3d) 146; 13 C.C.C. (2d) 465; [1974], 1 W.W.R. 493, c'est que lorsqu'un «élévateur» a été l'objet d'une déclara- tion, «[1]a Loi sur la Commission canadienne du blé soumet ces immeubles à une réglementation» 15 . Ainsi, le mouvement du grain après l'arrivage à l'intérieur des immeubles peut être assujetti à la législation fédérale mais il n'en va pas de même pour l'entreprise. Même si l'on pouvait conclure de l'arrêt de cette Cour Central Western Railway Corp. c. T.U.T., [1989] 2 C.F. 186; (1988), 47 D.L.R. (4th) 161; (1988), 84 N.R. 321 (C.A.), que les employés et les cadres chargés de l'exploi- tation d'ouvrages visés par une déclaration sont régis par la législation fédérale en matière de relations du travail—question sur laquelle je n'ai pas à me prononcer en l'espèce—, cela ne change- rait en rien le caractère essentiellement local de l'entreprise de la requérante. Cette dernière est une commerçante en grains dont les installations sont entièrement situées en Ontario. Que trois silos terminaux ou de transbordement, quinze entrepôts et trois fabriques d'aliments pour les animaux ainsi que deux stations de nettoiement des semences aient été déclarés à l'avantage général du Canada, sur un réseau comprenant en outre vingt-cinq silos
14 L'alinéa 2h) du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), chap. L-2, fait mention de «tout ouvrage ou entreprise». La validité des lois comportant des déclarations à l'égard de «tra- vaux et entreprises» ou seulement d'«entreprises» a fait l'objet d'analyses dans la doctrine et la jurisprudence. Voir P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada, 2 » éd., Toronto: Cars- well, 1985, la p. 492; K. Hanssen, «The Federal Declaratory Power under the British North America Act» (1968), 3 Man. L.J. 87, aux p. 94 et 95; A. Lajoie, Le pouvoir déclaratoire du Parlement, Montréal: Les Presses de l'Université de Montréal, 1969, p. 61; I. H. Fraser, «Some Comments on Subsection 92(10) of the Constitution Act, 1867» (1984), 29 R. de D. McGill à la p. 557, et les autorités qui y sont citées. Voir également In Reference re Industrial Relations and Disputes Act, [1955] R.C.S. 529, le juge Rand [1955] 3 D.L.R. 721; p. 553.
15 Voir également The Queen v. Thumlert (1960), 20 D.L.R. (2d) 335, aux p. 336, 341 et 357; (1959), 28 W.W.R. 481 (C.A. Alb.).
locaux et une station d'ensachage, et que, dans le cadre de son exploitation, la requérante transporte du grain destiné au marché interprovincial et international, cela n'en fait pas une entreprise principale à caractère fédéral à laquelle pourraient se rattacher les relations du travail des employés de bureau travaillant à Chatham, en Ontario.
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